Mardi 1er juillet 2025
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Examen du rapport d'information sur le financement de la sécurité sociale
M. Alain Milon, président. - Nous nous réunissons cet après-midi pour examiner le projet de rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur le financement de la sécurité sociale, travail confié le 5 janvier dernier à Élisabeth Doineau, rapporteure générale, et à Raymonde Poncet Monge.
C'est la première fois que la Mecss examine elle-même un de ses projets de rapport. Comme vous le savez, en vertu de son règlement intérieur, cette mission n'adopte pas elle-même ses rapports : le soin en revient à la commission des affaires sociales. Il s'agit d'éviter la tenue, à quelques jours d'intervalle, de deux réunions portant sur le même sujet et rassemblant à peu près les mêmes personnes. Toutefois, sans examen par la Mecss, il est difficile de parler d'un rapport de la Mecss.
Comme je l'ai souligné le 9 octobre 2024, lors de l'examen par la commission du rapport de Marie-Pierre Richer et Annie Le Houérou sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), il me semble que la Mecss devrait examiner ses rapports préalablement à leur adoption par la commission.
Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, a déclaré à cette occasion : « Cela ne me choquerait pas que la Mecss se prononce, de façon informelle, si elle le souhaite, avant l'examen formel du rapport d'information par la commission des affaires sociales ».
Nous sommes donc convenus, lors de la réunion de la Mecss du 17 décembre 2024, de procéder désormais ainsi. Nous verrons à l'usage s'il convient de modifier en conséquence le règlement intérieur de la Mecss, ce qui ne peut être fait que par la commission.
Dans le cas présent, j'attire votre attention sur le fait que, si la Mecss examine bien ce rapport aujourd'hui, la commission ne l'examinera pas demain, comme c'était initialement prévu, mais en septembre prochain. En effet, comme Mmes les rapporteures nous l'expliqueront, ce travail est d'une nature un peu particulière : il s'agit d'une « boîte à outils », qui a vocation à présenter la totalité, ou presque, des mesures envisageables pour ramener la sécurité sociale à l'équilibre, sans prendre parti pour ou contre aucune d'elles.
Ce rapport détaille ainsi les différents éléments de cadrage, ainsi que les objectifs à atteindre et les règles de gouvernance, qui font l'objet de ce que Mmes Doineau et Poncet Monge ont décidé d'appeler « points d'accord entre rapporteures ».
Le recours à cette expression, plutôt qu'au terme habituel de « propositions », a pour but d'éviter toute ambiguïté sur le fait que le rapport ne privilégie ni ne rejette aucune mesure en particulier. Par exemple, il est préconisé d'adopter rapidement une trajectoire crédible de retour à l'équilibre et de réaliser un nouveau transfert de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).
Ces « points d'accord entre rapporteures » ayant un contenu politique - ce sont de fait des propositions, même si le terme n'est pas utilisé -, nous devons les examiner aujourd'hui.
Les « outils » sont les mesures concrètes que l'on peut prendre pour ramener la sécurité sociale à l'équilibre. Mmes les rapporteures nous les présenteront seulement à grands traits, en raison de leur grand nombre - il y en a plus d'une centaine - et parce que le rapport ne prend pas position à leur sujet.
L'objectif est de nous doter, avant la discussion du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), d'une « boîte à outils » aussi complète que possible. Cela implique notamment de prendre en compte les mesures proposées par la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) dans son Rapport au ministère chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l'évolution des charges et des produits de l'assurance maladie au titre de 2026, dit rapport Charges et produits, publié la semaine dernière, et celles qui figureront dans le rapport commandé par M. le Premier ministre aux trois hauts conseils - le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) et le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) -, lequel devrait être bientôt publié.
C'est pour opérer ces ajustements que Mmes les rapporteures ont besoin d'un délai supplémentaire. Mais les orientations politiques ne changeront pas par rapport à celles que nous adopterons aujourd'hui.
Il nous a semblé préférable de maintenir l'examen du rapport prévu aujourd'hui, tout d'abord pour que vous soyez informés en temps réel de l'avancée des travaux, ensuite pour éviter un encombrement de notre calendrier en septembre prochain. Bien entendu, si le rapport était substantiellement modifié cet été, il devrait être réexaminé par la Mecss.
Je vous rappelle enfin que la commission se réunit à seize heures dans la salle Clemenceau pour une table ronde sur les expériences étrangères de soins palliatifs et d'aide à mourir. Nous devrons donc avoir achevé nos travaux un peu avant.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Monsieur le président, avant tout, je tiens à vous remercier de votre confiance.
Au cours de ce travail de longue haleine, nous avons veillé à entendre en audition le maximum de personnalités, représentants d'institutions, économistes ou encore responsables de caisses. Mais l'actualité récente a été particulièrement chargée ; elle a été notamment marquée par les travaux du Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie et par la publication du rapport de la Cnam. Nous devons évidemment en tenir compte.
J'ai été heureuse de travailler avec Raymonde Poncet Monge, qui, forte de son expertise d'économiste, a su poser les bonnes questions. Je n'oublie pas non plus les fonctionnaires de la commission, dont le concours a été précieux.
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - Notre rapport est conçu comme une boîte à outils. Nous n'y préconisons ou n'y rejetons aucune mesure a priori, qu'il s'agisse des dépenses, des recettes ou des moyens d'augmenter le PIB. En revanche, nous préconisons certaines orientations relatives à la gouvernance. Ces mesures devraient, à mon sens, recueillir le consensus au sein de la commission. Il s'agit de ce que nous nommons les « points d'accord entre rapporteures ».
Bien sûr, ce travail n'empiète pas sur les prérogatives des rapporteurs de branche, lesquels restent totalement maîtres d'apprécier ce qu'il convient de faire ou non.
Nous nous sommes efforcées de constituer une boîte à outils aussi fournie que possible. En annexe, un tableau d'une quinzaine de pages synthétisera et chiffrera les principales propositions qui ont pu être avancées dans le cadre du débat public. On y trouve par exemple la valeur d'un point d'augmentation de tel ou tel taux de contribution sociale généralisée (CSG), ou encore l'impact d'un écart d'un an de l'âge d'ouverture des droits à la retraite.
Nous sommes tous pour ou contre telle ou telle mesure, et c'est bien normal. Additionnées, ces diverses dispositions s'élèvent à une centaine de milliards d'euros : il ne s'agit évidemment pas de toutes les mettre en oeuvre.
La Mecss nous a semblé l'instance le mieux à même d'élaborer un tel rapport. Il ne s'agit certes pas d'un travail d'évaluation, mais l'approche technique retenue est celle qu'adoptent habituellement les rapports de la Mecss.
Conformément aux compétences de la Mecss, ce rapport se limite au champ de la sécurité sociale, à savoir les régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et le fonds de solidarité vieillesse (FSV), et des organismes concourant à son financement, à savoir la Cades et le fonds de réserve pour les retraites (FRR). Se trouvent hors du champ du rapport les régimes complémentaires de retraite, l'assurance chômage, les complémentaires santé et la plupart des minima sociaux.
Comme l'ont demandé les membres de la Mecss le 17 décembre 2024, notre rapport examine non seulement les recettes, mais aussi les dépenses, et leur effet sur le solde.
Les projections à long terme du rapport portent sur le périmètre de la sécurité sociale. Toutefois, compte tenu notamment des sommes en jeu, notre analyse se concentre essentiellement sur les branches vieillesse, maladie et autonomie. Elle s'inscrit, en outre, dans une perspective de réduction du déficit des administrations publiques : nous n'examinons pas les manières de réduire le déficit de la sécurité sociale en augmentant celui de l'État, nonobstant la compensation insuffisante des exonérations sociales.
Dans le domaine des finances sociales, le calendrier de ce mois de juillet est déjà chargé. C'est pourquoi, comme l'indiquait M. le président, nous allons décaler la publication du rapport à l'automne. Nous disposerons ainsi, à la veille de l'examen du PLFSS, de la liste de mesures le plus à jour possible. De surcroît, nous éviterons d'éventuelles interférences avec les prises de position politiques qui auront lieu au cours de ce mois.
(Mme la rapporteure projette une présentation PowerPoint en complément de son propos.)
Quand on évoque la situation financière de la sécurité sociale, avant de parler du déficit, il faut aborder le montant des dépenses.
Du fait de son modèle social, la France consent les dépenses publiques de protection sociale les plus élevées du monde en points de PIB : il s'agit là d'un lieu commun. Mais ce constat est moins vrai si l'on exprime ces dépenses en euros par habitant ; notre pays figure alors en sixième position, derrière le Luxembourg, la Norvège, le Danemark, l'Autriche et la Belgique. Ainsi, au Danemark en 2019, les dépenses publiques de protection sociale étaient d'environ 17 000 euros par habitant, contre 15 000 euros en France.
Le PIB français par habitant est en effet dans la médiane de l'OCDE. C'est ce qui a fait dire au président du Conseil d'orientation des retraites (COR), lors de son audition, que « la France est pauvre parmi les riches ».
On peut interpréter ce fait de diverses manières, selon sa sensibilité politique. On peut estimer qu'il est faux que la France ait des dépenses sociales trop généreuses. À l'inverse, on peut considérer que la France « vit au-dessus de ses moyens ».
Dans le cas des recettes, on observe, pour ce qui concerne notre pays, une situation de fausse normalité. Notre sécurité sociale est financée pour près de la moitié par des prélèvements sur le travail, ce qui en soi n'a rien d'extraordinaire : il en est de même dans les autres pays de l'OCDE. Ce qui distingue la France, c'est le fait que, en raison de ses dépenses sociales très élevées en points de PIB - d'où des recettes sociales très élevées également -, elle a instauré des allégements généraux sur les bas salaires dans le cadre de sa politique de l'emploi.
Cela étant, l'actualité est bien sûr marquée par le déficit de la sécurité sociale. Ce déficit atteint actuellement un niveau sans précédent hors période de crise, et, à politiques inchangées, il augmenterait encore d'ici à 2029, pour approcher 25 milliards d'euros.
Il est intéressant de comprendre comment on est passé d'un quasi-équilibre en 2019 à un déficit de 15 milliards d'euros en 2024.
Tout d'abord, l'évolution du solde conjoncturel a contribué à l'aggravation du déficit pour près de 13 milliards d'euros. Concrètement, si l'on s'appuie sur l'estimation du PIB potentiel fournie par la Commission européenne, on observe qu'en 2019 le PIB de la France était supérieur d'environ 2 % à son niveau potentiel. En résultaient des recettes supplémentaires qui amélioraient temporairement le solde de plus de 10 milliards d'euros.
On relève ainsi un fait dont on n'a pas toujours conscience : en 2019, année souvent citée comme référence, la sécurité sociale souffrait en réalité d'un déficit structurel de plus de 10 milliards d'euros. Aujourd'hui, le PIB est un peu inférieur à son niveau potentiel. C'est pour cela que, par rapport à 2019, la conjoncture dégrade le solde de 13 milliards d'euros.
Le second facteur d'aggravation du déficit, de près de 20 milliards d'euros, correspond à l'aggravation du déficit causée par un taux de croissance des dépenses supérieur à celui du PIB potentiel. Cette somme correspond à peu près aux montants cumulés du Ségur de la santé et des mesures de compensation de l'inflation, prises pour faire face à la crise sanitaire, mais aussi parce que la politique de maîtrise de la masse salariale hospitalière de la décennie 2010 n'était pas totalement soutenable.
Chacun de ces deux facteurs d'aggravation du déficit traduit donc une limite de la politique de retour à l'équilibre de la décennie 2010, ce dont il faut avoir conscience dans le contexte actuel.
Un premier facteur d'amélioration du solde a correspondu aux mesures sur les recettes, d'environ 8 milliards d'euros. Paradoxalement, au cours de la période, les recettes ont spontanément eu tendance à augmenter plus vite que le PIB potentiel, malgré la forte hausse du montant des niches sociales en 2022 et 2023.
Nous avons également décomposé le solde de la sécurité sociale entre le solde structurel, c'est-à-dire le solde corrigé des effets de la conjoncture, et le solde conjoncturel, c'est-à-dire celui qui résulte de celle-ci.
Ce qui permet d'analyser la politique du Gouvernement, c'est avant tout - vous en conviendrez - le déficit structurel. Ce graphique montre que si, dans la première moitié des années 2010, la réduction du déficit a été structurelle, avec un quasi-retour à l'équilibre structurel, l'effort s'est ensuite relâché : le déficit structurel repart à la hausse à la veille de la crise sanitaire. En effet, le déficit structurel avait à nouveau dépassé 10 milliards d'euros en 2019, ce dont on ne se rendait alors pas compte. L'excédent structurel dégagé dans les dernières années de cette décennie n'a pas incité à prendre des mesures de réduction du déficit.
Pour approfondir l'analyse de la décennie 2010, nous avons construit deux autres graphiques. Le graphique intitulé « Évolution du solde de la sécurité sociale » repose sur une approche centrée sur le solde structurel et l'effort structurel. Selon cette approche, un effort neutre sur les dépenses équivaut à une hausse au même taux que la croissance potentielle, même si ne pas augmenter davantage la dépense implique parfois un effort considérable. L'effort structurel ne porte quasiment que sur la première moitié des années 2010 et n'a alors consisté qu'en des augmentations de recettes. L'effort structurel sur les dépenses a, lui, été négatif. En d'autres termes, les dépenses ont augmenté plus vite que le PIB potentiel.
Le graphique intitulé « Mesures sur le périmètre de la sécurité sociale » met en lumière les mesures concrètes prises au cours de la période ; il montre que les mesures d'un montant de 80 milliards d'euros, soit 9 milliards d'euros par an, ont porté pour les deux tiers sur les dépenses. Toutefois, celles qui concernent les recettes se concentrent, là encore, sur la première moitié de la décennie. Schématiquement, chaque année, nous avons ainsi enregistré des mesures d'économies sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) d'un montant de 4 milliards d'euros, ainsi qu'un milliard d'euros d'économies sur les retraites. Au cours des années 2011 à 2014, il convient d'ajouter à ces montants des hausses de recettes de plus de 6 milliards d'euros par an.
Nous nous sommes demandé dans quelle mesure le Ségur et les mesures liées à l'inflation avaient annulé l'effort de maîtrise de l'Ondam des années 2010. En retenant l'hypothèse d'un taux de croissance tendanciel de l'Ondam de 4,5 % en valeur depuis 2019, le Ségur et les mesures inflation n'auraient pas annulé l'effort de maîtrise de l'Ondam des années 2010, mais l'auraient réduit d'environ un tiers.
Nous avons abondamment parlé, l'année dernière, de la forte croissance des niches sociales après la crise sanitaire. Le coût des allégements généraux de cotisations patronales est passé de 50 milliards d'euros, en 2020, à 65 milliards d'euros en 2023. En effet, de nombreux salariés supplémentaires ont été rattrapés par le niveau du Smic, revalorisé du fait de l'inflation, d'où cette hausse du coût total des allégements. Toutefois, en 2024, ces derniers ont légèrement diminué ; ils auraient stagné sans le gel des bandeaux. Il ressort du rapport de juin 2025 à la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) que, même en neutralisant la baisse de 2 milliards d'euros consécutive à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, la stagnation devrait se poursuivre en 2025. Il est vraisemblable que, le Smic suivant l'inflation, lesdits allégements généraux aient pris de l'avance pendant les périodes où elle était élevée, augmentant moins vite que la masse salariale au cours des années suivantes.
Quant aux exemptions d'assiette, c'est-à-dire l'essentiel des niches sur les compléments de salaire, elles ont fortement augmenté en 2022, hausse que la Cour des comptes a critiquée dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) de mai 2024.
Nous nous sommes efforcées de synthétiser les compensations des niches sociales. Le montant total des niches et allégements dépasse 100 milliards d'euros. Contrairement aux tableaux de l'annexe du Placss relative aux niches sociales, qui présentent un montant plus bas, nous prenons en compte la totalité des niches, dont les taux réduits de CSG et l'exemption de la prime de partage de la valeur (PPV), dont le coût est nul selon le Gouvernement, alors que la Cour des comptes l'estime à 1 milliard d'euros par an. Ainsi, sur l'ensemble, 35 milliards d'euros ne seraient pas compensés.
Dans ce cadre, le principal cas manifeste de non-respect de la loi est celui de l'exemption de PPV. En effet, pour les allégements généraux, la compensation du bandeau maladie serait inférieure de 5,5 milliards d'euros au coût, la part de TVA étant affectée à la sécurité sociale en 2019 ayant été, selon la Cour, mal calculée et sous-compensée. De même, la non-compensation, que l'on peut déplorer, de l'exonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires, découle de la LFSS 2019. S'ajoutent un certain nombre de niches antérieures à la loi Veil du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, qui instaure l'obligation d'une compensation. Or ces dernières enregistrent une croissance dynamique depuis quelques années.
Le bandeau maladie a été instauré en 2019, en remplacement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). La baisse de 6 points des cotisations maladie, soit 19,8 milliards d'euros en 2019, n'a été compensée que par une fraction de 9,79 points de TVA, soit 17,4 milliards d'euros, soit une sous-compensation de 2,4 milliards d'euros, qui fluctue depuis lors. À long terme, la TVA évolue comme le PIB en valeur, et est donc peu susceptible d'être rognée : le problème réside donc non pas dans le principe d'y recourir, mais dans le niveau qui a été décidé par le législateur.
Nous en arrivons au déficit de la sécurité sociale. De manière provocatrice, nous affirmons d'emblée que celui-ci n'existe pas ! Je vous rassure : nous vous expliquerons tout de même pourquoi il faut le résorber... Évitons les fausses polémiques. On peut comparer le solde de la sécurité sociale avec celui de divers périmètres plus larges. La Cades est par nature excédentaire, du fait de ses recettes, de 15 milliards à 20 milliards d'euros par an, afin d'amortir la dette. En l'agrégeant à la sécurité sociale, l'ensemble est à l'équilibre en 2024 et ne devient déficitaire qu'en 2025. La situation est analogue pour le solde global des administrations de sécurité sociale (Asso), lequel inclut également, notamment, les organismes de régimes complémentaires de retraite et l'assurance chômage.
Une autre raison pour laquelle la notion de déficit de la sécurité sociale a peu de sens est que si ses dépenses correspondent à une réalité physique, ses recettes résultent d'une convention juridique. Cela peut amener à relativiser ou à nier l'existence de ce déficit ou, au contraire, à considérer qu'il est gravement sous-estimé, comme le montre la polémique autour d'un prétendu déficit caché du système de retraites.
Cela étant, la sécurité sociale n'a pas vocation à être en déséquilibre, puisque cela reviendrait à faire payer les prestations actuelles par les générations futures. En outre, en cas de nouvelle crise, la sécurité sociale aurait des difficultés à jouer son rôle d'amortisseur social : il serait difficile d'augmenter encore le déficit de 40 milliards d'euros si celui-ci est déjà de 25 milliards d'euros. Par ailleurs, si nous ne faisons rien, nous risquons une crise de liquidité à brève échéance. Enfin, le déficit des administrations publiques, de 5,8 points de PIB en 2024, c'est-à-dire le plus élevé de la zone euro, n'est pas soutenable, et l'effort ne peut reposer sur les seuls État et collectivités. La sécurité sociale doit revenir à l'équilibre pour contribuer à cet effort.
Ramener le déficit à 3 points de PIB en 2029 impliquerait de prendre des mesures d'environ 155 milliards d'euros sur les dépenses et les recettes pour l'ensemble des administrations publiques. Or, pour ramener la sécurité sociale à l'équilibre à cette même échéance, l'effort représente environ 40 milliards d'euros, soit un quart du total, alors que la sécurité sociale englobe 40 % des dépenses publiques. Toutefois, nous ne proposons pas d'aller au-delà du retour à l'équilibre.
Pour sortir d'une vision à court terme et éviter une simple liste à la Prévert de mesures, nous avons réalisé des projections à long terme à politiques inchangées, en nous appuyant sur celles réalisées par d'autres organes, comme le COR ou la Commission européenne, en les mettant en cohérence entre elles et avec le périmètre de la sécurité sociale. Ces projections vont jusqu'à 2070, même si évidemment à cette échéance les résultats sont très incertains.
Ces projections suggèrent que sans agir sur la dynamique tendancielle des dépenses et des recettes, le déficit de la sécurité sociale pourrait atteindre 3 points de PIB en 2040, et 9 points en 2070. Ce scénario n'a pas beaucoup de sens, car il suppose de laisser advenir une hausse annuelle de 4 % des dépenses d'assurance maladie, ce qui ne sera évidemment pas le cas.
Ainsi, nous avons conçu un scénario dit de « stabilisation maladie », c'est-à-dire comprenant une stabilité des dépenses de l'assurance maladie en points de PIB, correspondant à peu près à l'hypothèse de la LFSS 2025 jusqu'à l'année 2028. Cela suppose quelque 4 milliards d'euros d'économies par an. Conformément à la logique du rapport, ce scénario n'a rien de prescriptif, même si nous convenons qu'il ne faut pas laisser filer les dépenses. Dans ce cadre, le déficit atteindrait 1,4 point de PIB en 2040 et 3 points en 2070. Cela reste important dans l'absolu : le déficit serait d'environ 45 milliards d'euros en 2040. La moitié de ce déficit serait imputable aux retraites, avec un déficit de la branche vieillesse de 1,6 point de PIB, régimes complémentaires exclus.
La maîtrise des dépenses de la branche maladie correspond de loin à l'enjeu financier le plus important. En effet, comme le souligne le COR, les dépenses liées aux retraites sont stables en proportion du PIB : le déficit de la branche vieillesse est lié à la diminution de la part des régimes équilibrés par l'État. Par ailleurs, à politique inchangée, les dépenses de la branche autonomie augmenteraient de 0,6 point de PIB sur la période. C'est beaucoup à l'échelle de la branche, mais très peu à celle de la sécurité sociale.
Entre 2024 et 2070, l'évolution spontanée des dépenses des branches est variable. Ainsi, sans contrainte sur la branche maladie, les dépenses de la sécurité sociale augmenteraient de 6,4 points de PIB sur la période, ce qui n'est évidemment pas soutenable. En revanche, si les dépenses de l'assurance maladie étaient stables en points de PIB, la hausse globale serait bien plus faible. Ainsi, les dépenses de la branche vieillesse augmenteraient de 0,4 point de PIB, celles de la branche autonomie de 0,6 point, et celles de la branche famille, essentiellement indexées sur l'inflation, baisseraient de 0,4 point.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Nous en venons aux moyens de ramener la sécurité sociale à l'équilibre. Ce n'est pas techniquement difficile, le défi est surtout de nature politique.
La première question est celle de l'échéance. Le Gouvernement souhaite un retour à l'équilibre en 2029. Ainsi, la ministre chargée des comptes publics a, à plusieurs reprises, fait état de cet objectif, notamment en séance publique au Sénat, le 28 mai dernier. Pour ma part, je n'ai pris conscience de cet objectif que quand nous avons auditionné le directeur de la sécurité sociale, le 15 mai dernier. Il est en effet frappant qu'un tel objectif de retour à l'équilibre ne figure dans aucun document, particulièrement parmi les annexes de la loi de financement de la sécurité sociale, dont l'usage est qu'elles s'entendent à droit inchangé.
Or il serait utile de disposer d'un document décrivant où nous allons, ne serait-ce que pour rassurer les créanciers de l'Urssaf caisse nationale, c'est-à-dire de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). En effet, les marchés ne détestent rien plus que l'incertitude.
Le premier de nos dix points d'accord est donc la nécessité de ramener la sécurité sociale à l'équilibre structurel, si possible en 2029 et au plus tard en 2035. Dans les années 2010, la sécurité sociale a été ramenée à l'équilibre structurel dès 2014, le solde s'étant dégradé ensuite. Ce n'est donc pas irréaliste. S'il paraît difficile, compte tenu du contexte politique et économique, d'atteindre cet objectif en quatre exercices, l'échéance de 2035 nous paraît néanmoins impérative. En effet, un nouveau transfert de dette sociale à la Cades serait alors peut-être impossible sans augmentation des ressources de la Cades.
Examinons d'un point de vue arithmétique les contraintes d'un retour à l'équilibre. Si l'échéance visée est 2029 par exemple - cela n'est pas prescriptif -, nous savons qu'il faudra prendre des mesures de réduction des dépenses et d'augmentation des recettes à hauteur d'environ 40 milliards d'euros.
L'étape suivante consiste à fixer le taux de croissance de l'Ondam. La croissance spontanée de l'Ondam est estimée à environ 4,5 % par an. C'est là notre point d'accord n° 2 : il convient de maîtriser la dynamique des dépenses de la branche maladie rapportées au PIB, qui devront augmenter moins rapidement que leur croissance spontanée. Pour stabiliser l'Ondam en points de PIB, il faudrait réaliser environ 4 milliards d'euros d'économies chaque année. Le rapport ne dit pas lesquelles ; il se contente de reprendre en annexe les principales mesures envisagées, notamment celles qui figurent dans le rapport de la Cour des comptes publié en avril 2025.
Cet effort ne pouvant suffire à éviter une dégradation du déficit, il convient ensuite - c'est notre point d'accord n° 3 - d'agir sur les recettes, les dépenses ou le nombre d'heures travaillées dans l'ensemble de l'économie. Par exemple, s'il a été décidé de réduire l'Ondam de 4 milliards d'euros, il faudra trouver 6 milliards d'euros ailleurs pour atteindre les 10 milliards d'euros par an.
Regardons maintenant ce que disent les modèles de simulation respectifs de la direction du Trésor - Mésange - et de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) - EmeRaude - afin de déterminer s'il est plus efficace, pour réduire le déficit, d'augmenter les recettes ou de réduire les dépenses d'un montant donné. En d'autres termes, quel est l'effet sur le solde des administrations publiques d'une augmentation des recettes ou d'une diminution des dépenses d'un point de PIB, soit 30 milliards d'euros ?
Selon les deux modèles, la réduction des dépenses est à court terme la manière la moins efficace de réduire le déficit en raison de son effet plus récessif, mais à long terme la manière la plus efficace de le faire, car elle n'a pas d'effet néfaste sur l'investissement par exemple. Les deux modèles convergent sur un autre point : dans le cas de la TVA et de la CSG, l'amélioration du solde est proche la première année du montant de la mesure, mais l'effet est plus faible à long terme.
En revanche, les deux modèles divergent quant à l'effet d'une augmentation uniforme des cotisations patronales et salariales. Selon le Trésor, les cotisations ont un effet tellement récessif, à cause des emplois détruits, qu'à long terme l'amélioration du solde public est nulle. En revanche, selon l'OFCE, il n'y a pas d'effet particulier sur l'emploi, et l'effet est le même que pour les autres augmentations de prélèvements. Le rapport se contente de présenter ces résultats sans prendre parti.
Nous devons nous doter rapidement d'un plan crédible de retour à l'équilibre et réaliser un nouveau transfert de dette à la Cades. En effet, même si nous parvenions à ramener la sécurité sociale à l'équilibre en 2029, nous ne serions pas tirés d'affaire. Lors de leur audition, les responsables de l'Acoss ont clairement tiré le signal d'alarme. Comme vous le savez, la sécurité sociale n'est pas censée être en déficit, la fonction normale de l'Acoss étant de financer le besoin de trésorerie lié au décalage temporel entre les recettes et les dépenses. C'est la raison pour laquelle la loi n'autorise l'Acoss qu'à s'endetter à court terme.
Toutefois, en l'absence de transfert de dette à la Cades, le déficit de la sécurité sociale doit aussi être financé par l'Acoss. Les responsables de l'Acoss nous ont indiqué que, à la fin de 2025, le besoin de trésorerie devrait être proche du plafond de 65 milliards d'euros fixé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. Les années suivantes, ce besoin devrait augmenter chaque année du montant du déficit, ce qui entraînerait un dépassement du seuil de 100 milliards d'euros en 2027. À titre de comparaison, pendant la crise sanitaire, le besoin de trésorerie maximal sur l'année a été de 90 milliards d'euros... Les responsables de l'Acoss ont ainsi considéré qu'il n'était pas évident, qui plus est dans un contexte de déficit croissant sans perspectives d'amélioration, que l'on puisse renouveler durablement ce qui avait été fait de manière ponctuelle en 2020. Ils estiment que la situation pouvait devenir rapidement problématique dès 2027. En réalité, nous entrerions selon eux en zone de risque à la fin de l'année 2025.
Il faut donc transférer rapidement de la dette de l'Acoss à la Cades. Comme le montre l'historique des amortissements de dette réalisé par la Cades, plus le temps a passé, plus on a transféré des sommes importantes à la Cades, et plus la durée d'amortissement a été importante : elle a été de treize ans pour le transfert suivant la crise des dettes souveraines et pour le transfert consécutif à la crise sanitaire, alors que, par le passé, les sommes étaient moins élevées et étaient plus vite remboursées.
On pourrait avoir l'impression que la Cades est une sorte de solution magique permettant d'effacer la dette sociale. Ne perdons pas de vue cependant que pour amortir la dette, la Cades met un certain temps, qui dépend notamment du montant transféré et des ressources qu'on lui affecte. Jusqu'à présent, nous avons fait en sorte que ses ressources lui permettent d'amortir la dette une dizaine d'années après le début du transfert. Quel serait cependant l'encours de dette de la Cades sans augmentation de ses ressources ? Nous avons simulé deux scénarios, l'un avec un retour à l'équilibre en 2029, l'autre avec un retour en 2035, et un transfert qui débute dans les deux cas dès 2026. On constate que l'encours augmenterait dans un premier temps, puis que la Cades commencerait à amortir la nouvelle dette à partir de 2033, une fois le stock de dette actuel amorti. En cas de retour de la sécurité sociale à l'équilibre en 2029, la courbe d'amortissement serait analogue à celle des derniers transferts, mais si l'équilibre est atteint en 2035, alors l'encours de dette maximal et la durée d'amortissement seraient sans précédent. Qu'adviendrait-il si le retour de la sécurité sociale à l'équilibre était tardif au point de susciter une durée d'amortissement de, par exemple, vingt ans ? Cela ne serait-il pas perçu par les investisseurs comme un abandon de fait du principe d'équilibre de la sécurité sociale ? Y aurait-il alors un sens à continuer de confier à la Cades la mission d'amortissement de la dette sociale ? Je n'en sais rien ; je pose simplement la question.
Les analyses qui précèdent nous ont conduites à trois nouveaux points d'accord qui, comme les précédents, concernent non pas des mesures concrètes sur les dépenses ou les recettes, mais des objectifs et des règles de gouvernance, et correspondent à des préconisations déjà formulées par notre commission. Le point d'accord n° 4 consiste à se doter rapidement - en toute rigueur, il faudrait le faire dès cet automne - d'une trajectoire crédible de retour de la sécurité sociale à l'équilibre. À ce moment-là seulement, il sera possible de réaliser un nouveau transfert de dette à la Cades, avec un nouveau butoir vraisemblablement entre 2035 et 2040.
Comme l'échéance actuelle de 2033 pour la fin de l'amortissement de la dette sociale est définie par une disposition organique, un nouveau transfert de dette impliquerait une disposition organique. Le point d'accord n° 5 consiste donc à réviser rapidement l'article 4 bis de l'ordonnance de 1996 sur la Cades, afin de permettre un nouveau transfert de dette de l'Acoss à la Cades.
Enfin, point d'accord n° 6, il convient d'adopter annuellement une programmation à moyen terme - et non une simple prévision à politiques inchangées - des recettes, des dépenses et du solde de la sécurité sociale. Il serait certes très étonnant que le Parlement s'entende sur un tel plan dès cet automne, mais il y a néanmoins urgence.
J'en viens à la dernière partie de ce chapitre : renforcer la gouvernance de l'assurance maladie. L'un des principaux enjeux, si l'on souhaite ramener la sécurité sociale à l'équilibre, est de reprendre le contrôle de l'Ondam. Après avoir été respecté systématiquement de 2011 à 2019, l'Ondam est systématiquement dépassé depuis 2020. Le Gouvernement ayant indiqué l'importance qu'il accordait au retour de la sécurité sociale à l'équilibre, on aurait pu supposer - ou du moins espérer - que l'Ondam revienne sous contrôle en 2025. Or ce n'est pas le cas, comme le montre le récent avis du comité d'alerte. Il y a en fait deux problèmes : d'une part, depuis la crise sanitaire, les prévisions sont systématiquement optimistes ; d'autre part, les instruments de régulation infra-annuelle sont insuffisants. Le Gouvernement a communiqué en début d'année sur l'augmentation du montant de la réserve prudentielle, portée à 0,4 % en 2025, mais celle-ci ne concerne pas la médecine de ville. Elle a notamment pour effet de transférer du déficit de la sécurité sociale vers les hôpitaux, ce qui n'a pas d'intérêt. Il en découle notre point d'accord n° 7 : mettre en place une gouvernance effective de l'Ondam, reposant notamment sur des prévisions non biaisées et un renforcement des outils de régulation infra-annuelle.
Je passe au dernier chapitre : le maintien de la sécurité sociale à l'équilibre une fois que ce dernier aura été atteint. L'assurance maladie est le principal défi des prochaines décennies. Alors que le débat se focalise sur les retraites et dans une moindre mesure sur l'autonomie, on parle très peu du problème de financement des dépenses de santé, qui est pourtant « l'éléphant dans la pièce ». En effet, si l'on ne fait rien, les dépenses de la branche maladie pourraient passer de 8,6 points de PIB actuellement à plus de 10 points en 2040 et à environ 15 points en 2070. À cela s'ajoute le fait que les recettes de la branche maladie tendent spontanément à augmenter un peu moins vite que la richesse nationale. Selon la Cnam, le taux de croissance spontané des recettes de l'assurance maladie est en effet inférieur d'environ 0,3 point à celui du PIB en valeur, du fait du faible dynamisme des recettes assises sur la masse salariale du secteur public et sur la consommation de produits du tabac. C'est comme si nous prenions chaque année des mesures d'un montant d'environ 0,75 milliard d'euros pour réduire les recettes de la Cnam ! Ainsi, même si les dépenses étaient stabilisées par rapport au PIB, en l'absence de mesures d'augmentation des recettes, le déficit augmenterait. Sans maîtrise des dépenses de santé, nous assisterions probablement à leur désocialisation croissante. Les inégalités d'accès aux soins se creuseraient encore davantage.
Nous avons essayé de lever le nez du guidon et de nous extraire des prévisions à moyen terme des lois de financement de la sécurité sociale pour nous pencher sur les prévisions des économistes sur les déterminants à long terme des dépenses de santé. Selon l'OCDE, ces dernières devraient augmenter mécaniquement de 2,2 % par an en volume entre 2022 et 2040. Avec une inflation de 1,8 %, l'augmentation serait ainsi de 4 %, ce qui correspond à peu près à l'estimation de la croissance spontanée de l'Ondam. Cette augmentation de 2,2 % en volume proviendrait pour 0,7 point de la croissance du PIB, pour 0,5 point de l'« effet Baumol » (c'est-à-dire la tendance des salaires à augmenter plus vite que leur productivité dans certains secteurs, notamment dans le secteur de la santé), pour 0,4 point du progrès technologique et pour 0,6 point du vieillissement.
Bien entendu, le Gouvernement ne laisse pas filer les dépenses d'assurance maladie. Il réalise bien près de 4 milliards d'euros d'économies par an. Toutefois, le suivi des mesures en exécution est quasi inexistant. Les principales données sont prévisionnelles ; elles se trouvent dans l'annexe au PLFSS relative à l'Ondam. En 2022 et 2023, le Gouvernement n'a affiché aucun objectif pour les établissements hospitaliers et, depuis lors, les annexes sont devenues très vagues.
Si l'on réalise un tableau - par ailleurs incomplet, car il ne prend pas en compte, par exemple, les efforts sur la masse salariale des établissements de santé -, on observe que, sur les 4 milliards d'euros d'économies annuelles sur la période 2015-2021, 2,5 milliards d'euros ont porté sur les prix, essentiellement ceux des médicaments et des achats hospitaliers. Il n'est pas évident que la régulation puisse porter majoritairement sur les prix pendant plusieurs décennies. En fait, pour agir efficacement sur la dépense, il faut vraisemblablement davantage agir sur les volumes, en ciblant les inefficiences.
Malheureusement, contrairement à ce qui existe aux États-Unis, il n'y a pas, en France, de chiffrage des inefficiences des dépenses de santé (ce qu'on peut appeler, au sens large, les « gaspillages »). Nous nous sommes donc efforcées de réaliser un tel chiffrage. Il en ressort que les inefficiences correspondraient à environ un quart des dépenses de santé, soit un niveau conforme aux estimations usuelles des pays de l'OCDE. Toutefois, en regardant précisément chaque composante, on se rend compte que ces inefficiences demeurent parce que leur réduction se heurte souvent à un obstacle économique ou politique. Par exemple, les possibilités de prévention manquées correspondent à près de 8 % des dépenses. Une piste serait d'améliorer la prévention tertiaire, en assurant un meilleur suivi des personnes déjà malades. Il semble en revanche peu probable que la France décide, par exemple, de mettre en place une véritable politique pour lutter contre la consommation nocive d'alcool. Au total, l'OCDE estime que ses États membres pourraient tout de même diviser par deux les inefficiences de leurs dépenses de santé.
Conformément au principe que nous avons adopté pour ce rapport - mais aussi parce que Corinne Imbert est plus compétente sur ce sujet -, nous ne prenons pas position, évidemment, sur ce qu'il convient de faire concrètement. Le rapport rappelle toutefois les principales pistes habituellement évoquées, comme l'amélioration des parcours de soins ou le renforcement de la prévention. L'aspect politique de certaines décisions y est souligné. Techniquement, nous pourrions par exemple contraindre les médecins à renseigner l'indication thérapeutique dans l'ordonnance électronique, comme le préconise le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Cette mesure impliquerait toutefois un débat politique approfondi.
Cela m'amène à deux nouveaux points d'accord, qui concernent la seule gouvernance.
Le point d'accord n° 8 est le suivant : nous avons besoin de disposer d'un rapport approfondi, mis à jour régulièrement, proposant des projections à long terme et chiffrant les inefficiences. Il s'agit de contribuer à créer une dynamique. Ce rapport devra donc être médiatisé. La réalisation de chiffrages a contribué à renforcer la lutte contre la fraude ; de même, documenter les inefficiences du système de santé pourrait tous nous inciter, y compris les usagers, à en faire plus pour les réduire.
Dans le cas du point d'accord n° 9, l'idée est de favoriser le développement d'un écosystème, notamment universitaire, réfléchissant aux questions d'efficience dans le domaine de la santé. Nous ne pouvons pas nous réveiller à chaque fin de printemps en nous demandant quelles mesures d'économies sur l'Ondam nous allons bien pouvoir prendre dans le prochain PLFSS...
J'en viens maintenant aux retraites. Autant, dans le cas de la branche maladie, les enjeux financiers sont considérables et les aspects techniques très complexes, autant dans le cas de la branche vieillesse nous sommes face à des questions avant tout politiques. Les dépenses de la branche vieillesse sont stables en points de PIB. Cependant, les recettes baissent, en raison de la diminution de la part relative des régimes équilibrés par l'État.
Dans son dernier rapport, le COR projette pour 2070 un déficit de 1,4 point de PIB pour l'ensemble du système de retraite. Comme on s'intéresse ici à la seule branche vieillesse, il faut retirer les régimes complémentaires, ce qui conduit à un déficit de 1,6 point de PIB en 2070.
Le rapport ne contient rien d'extraordinaire sur les retraites. Nous nous sommes contentées, pour l'essentiel, de reprendre, sans prendre parti, les chiffrages figurant dans le rapport de la Cour des comptes de février dernier. Le rapport comprend en outre des développements nuancés sur le financement des retraites au moyen d'actifs fléchés, comme des fonds de pension ou le fonds de réserve pour les retraites, en rappelant les arguments en faveur de cette solution et ceux qui s'y opposent. Dans l'hypothèse où il serait décidé de développer ce recours à des actifs fléchés, on pourrait envisager, notamment, de choisir le fonds de réserve pour les retraites. Nous avons auditionné les dirigeants du FRR, qui nous ont dit explicitement que ce fonds pourrait assurer la gestion d'un futur dispositif.
Dans le cas de l'autonomie, également, les choix sont politiques. A politiques inchangées, les dépenses de la branche autonomie devraient accélérer à partir de 2030, avec un déficit atteignant 0,6 point de PIB en 2070. Cette part n'est pas colossale si on la rapporte à l'ensemble des finances publiques, mais elle l'est dès lors qu'on la remet dans la perspective de la branche.
Il y a toutefois un fort aléa à la hausse. Selon les projections de la Commission européenne, les dépenses d'autonomie de la France pourraient considérablement augmenter en points de PIB si, pour chaque tranche d'âge, la probabilité et le coût de prise en charge étaient alignés sur la moyenne de l'Union européenne. Le rapport de la Commission européenne ne permet pas de voir précisément en quoi la France serait actuellement moins généreuse que ses voisins, mais il faut retenir que réfléchir à politiques inchangées n'est pas forcément la manière la plus adéquate pour projeter l'évolution des dépenses de la branche autonomie.
Sur les mesures à prendre pour financer l'autonomie, le rapport se borne à rappeler les principales propositions, telles que celles qui sont émises dans le rapport intitulé La Branche autonomie : périmètre, gouvernance et financement de Laurent Vachey de 2020, portant notamment sur le financement de la dépense privée, l'instauration d'une assurance obligatoire ou encore la mobilisation du patrimoine.
Cela nous conduit à notre dernier point d'accord, le point n° 10, qui est simplement qu'il nous faut prendre des décisions sur l'autonomie !
Nous avons vu tout à l'heure que, si la France est le pays dont les dépenses sociales sont les plus élevées en points de PIB, ce constat n'est plus vrai si l'on raisonne en euros par habitant. En effet, la France est, pour reprendre une expression utilisée par Gilbert Cette lors de son audition, « pauvre parmi les riches » ; d'où l'idée, fréquemment mise en avant, d'augmenter le PIB pour financer la sécurité sociale.
Intéressons-nous à l'écart de PIB par habitant entre les États-Unis et différents pays. Tout d'abord, si l'on compare la France aux États-Unis, on constate que la productivité globale des facteurs, c'est-à-dire à l'efficacité avec laquelle l'économie utilise le travail et le capital, également appelée progrès technique, est la première grande cause qui explique que le PIB par habitant est plus faible en France qu'aux États-Unis. La deuxième est liée au nombre d'heures de travail par travailleur.
Ensuite, si l'on compare la France aux autres pays, en particulier européens, on voit que la faiblesse de notre taux d'emploi, c'est-à-dire la proportion de personnes en âge de travailler ayant un emploi, pèse sur notre PIB par habitant. Aligner le nombre d'heures de travail par travailleur sur celui des États-Unis serait la solution la plus efficace, mais, d'un point de vue politique, elle est difficile à mettre en place. Aussi les économistes préconisent-ils plutôt de chercher à augmenter le taux d'emploi, étant donné que c'est notre principale anomalie par rapport à des pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas.
La manière la plus simple, et la seule qui soit fiable, d'augmenter le PIB, c'est d'accroître la quantité de travail. Si l'on compare la France à ses voisins, on voit qu'elle se distingue par un faible taux d'emploi des jeunes et des seniors. Or avec un taux d'emploi similaire à celui de l'Allemagne, il n'y aurait quasiment plus de déficit de la sécurité sociale.
Dans ce rapport, nous ne prenons pas parti sur ce sujet. Nous soulignons la difficulté politique actuelle à reculer encore l'âge de départ à la retraite et la complexité de la question de l'emploi des jeunes, et nous constatons qu'il serait sans doute plus facile d'améliorer le taux d'emploi des jeunes si les conditions de travail étaient meilleures.
Nous envisageons également une autre manière d'augmenter le temps de travail, bien qu'elle ne réponde pas à la tendance actuelle, qui consisterait à accroître la durée du travail de ceux qui ont un emploi. Nous présentons quelques pistes sur ce point, sans prendre parti, et en soulignant que le sujet n'est pas consensuel au sein de la commission.
Mme Annie Le Houérou. - Je remercie les rapporteures pour leur travail. Les auditions qu'elles ont réalisées et les débats qui les ont suivies étaient passionnants.
Les enjeux du retour à l'équilibre sont très politiques. La boîte à outils que vous présentez est intéressante, car chaque suggestion pourra être expertisée. En tout cas, je me réjouis que vous ayez pris le parti de maintenir un régime de sécurité sociale solidaire et que vous ayez examiné les pistes pour y parvenir à différents termes.
Vous avez ainsi adopté une approche transversale, quelque peu différente de celle des nombreux rapports que vous avez étudiés. Il nous reste désormais à analyser ces divers outils afin de préparer au mieux le PLFSS à l'automne. Il est dommage, à ce titre, que nous ne puissions pas nous appuyer dès à présent sur le rapport écrit. En effet, nous devons nous positionner sur ces choix, en particulier sur la question des dépenses et des retraites, qui nécessitent de trouver un équilibre.
Concernant la gouvernance de l'Ondam, votre proposition est intéressante. Les pistes d'évaluation que vous proposez, notamment en matière d'efficience des dépenses de santé, méritent toute notre réflexion. On en appelle sans arrêt à la liberté des médecins - liberté d'installation, de prescription -, mais, dans nos territoires, on constate surtout que beaucoup de nos concitoyens n'ont pas la liberté d'accéder aux soins...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je salue ce travail remarquable, bien que je n'aie jamais douté de la capacité des rapporteures à nous présenter des pistes intéressantes, qui méritent une analyse fine et approfondie.
Sur la branche maladie, nous disons depuis plus de dix ans qu'il faut agir pour limiter les soins redondants ou inutiles. Vous estimez que les dépenses de santé correspondant à des inefficiences s'élèveraient à 28 % des dépenses de santé. Il se trouve que ce taux est exactement le même que la proportion des soins redondants ou inutiles indiqués par une enquête de la Fédération hospitalière de France, mentionnée par un rapport de 2012 d'Alain Milon et Jacky Le Menn. Il faut aller plus loin, plutôt que d'en rester à ce constat sans rien faire. Chaque ministre de la santé nous annonce 800 millions d'euros ou 1 milliard d'euros d'économies sur la redondance des soins, mais à quoi cela correspond-il ? On n'en sait rien ! Il est indispensable de procéder à une analyse précise et de produire un rapport sur l'efficience des soins, que la HAS devrait d'ailleurs être en mesure de documenter.
Concernant les retraites, il faut bien distinguer le public et le privé. Le financement des retraites du privé, que ce soit pour le régime de base ou les complémentaires, est bien connu. Les dépenses, de même, sont bien documentées par le COR jusqu'en 2070. Cependant, les médias se content souvent d'annoncer un chiffre global sur le déficit : 1 milliard d'euros en 2030 et 15 milliards en 2035. Or cela ne veut rien dire ! Surtout, cela représente bien peu de choses, sur 250 milliards d'euros de dépenses de retraites du privé. On peut donc y arriver, surtout quand on sait qu'il y a 86 milliards d'euros de réserves sur les complémentaires pour 100 milliards d'euros de dépenses. C'est bien pour cela que nous devrons prendre position sur une gouvernance paritaire du système des retraites du privé.
Pour le public, le problème est évidemment démographique : il y a de moins en moins de fonctionnaires. Il faut trouver d'autres solutions. Par exemple, nous pourrions recourir aux fonds de pension et au FRR. Il faut alimenter ce fonds. C'est ce qui est fait au Québec.
M. Khalifé Khalifé. - Les rapports de la Mecss sont-ils pris en compte par les dirigeants de la Caisse nationale de l'assurance maladie ? J'ai le sentiment qu'ils en font bien peu de cas !
Vous n'avez pas beaucoup évoqué la fraude. J'ai récemment demandé à mes collaborateurs de travailler sur l'intérêt de l'intelligence artificielle pour détecter ces fraudes : j'y vois une piste intéressante.
Vous n'êtes pas non plus revenues sur la financiarisation. Il ne me semble pas opportun de reporter la date du retour à l'équilibre structurel de la sécurité sociale de 2029 à 2035. D'ici là, de mauvaises habitudes auront été prises, et il sera bien difficile de revenir en arrière...
Enfin, est-il pertinent de comparer notre système de santé à celui des États-Unis, qui n'est pas idéal tant du point de vue des cotisations que de la financiarisation ?
M. Olivier Henno. - Je salue à mon tour ce magnifique travail, qui souligne bien la différence de nature entre les trois sujets évoqués. Les branches autonomie et retraites sont assez paramétriques et, donc, politiques. En revanche, la branche maladie est beaucoup plus difficile à maîtriser. Parmi les champs d'économies possibles, beaucoup de pistes dépassent le paramètre : je pense par exemple à la prévention, aux innovations thérapeutiques ou encore à l'apparition des biotechnologies, qui, certes, peuvent représenter des coûts nouveaux, mais également des sources d'économies. Ainsi, le véritable défi de la maîtrise des dépenses de sécurité sociale réside bien dans la maladie et la santé. Abordez-vous la question des possibilités d'évolutions technologiques ?
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. - Je remercie nos rapporteures d'avoir entamé ce travail difficile. La boîte à outils a l'avantage de dresser une liste de possibilités, mais elle présente aussi le danger - dans lequel vous n'êtes pas tombées ! - de laisser penser qu'il faudrait choisir une mesure au détriment des autres. J'attends pour ma part avec impatience d'entrer dans le détail d'un certain nombre de propositions.
Concernant l'évaluation des futures dépenses en matière de vieillissement de la population, les deux branches les plus importantes en volume sont les retraites et la maladie. Cependant, on sous-évalue beaucoup les dépenses en matière d'autonomie, dont le caractère exponentiel est souvent supérieur à celui des dépenses de maladie. Cette question nécessite sans doute un approfondissement particulier.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - L'ensemble du rapport compte près de 300 pages. Vous y trouverez donc de nombreux développements sur des sujets tels que les fraudes. Dans notre présentation, nous avons moins parlé de certaines questions, notamment celles qu'a abordées Olivier Henno, comme la prévention ou la redondance des soins.
Je vous invite donc à vous saisir des différentes propositions de ce rapport.
Nous tenions avant tout à vous montrer qu'il existe de très nombreuses pistes. Certains préconiseront de diminuer les dépenses, d'autres d'augmenter les recettes. Ma certitude, c'est qu'on devra faire l'un et l'autre !
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - La branche autonomie est la seule pour laquelle nous suggérons qu'il pourrait falloir davantage de dépenses que ce qu'impliqueraient des politiques inchangées. En réalité, si l'on a pu contenir l'autonomie, c'est parce que les enveloppes sont, pour l'essentiel, fermées. Mais il faudra bien les ouvrir un jour.
La fraude provient des surfacturations, en partie, mais aussi de la financiarisation de la santé.
Je vous rejoins dans vos propos sur le tournant préventif.
Enfin, n'oublions pas que notre rapport est essentiellement un texte financier. Un point aveugle demeure : chacun doit pouvoir bénéficier du système de soins selon ses besoins. Nous devons donc garantir l'égalité territoriale et sociale, ainsi que la fonction redistributive du système. Concernant les retraites, le taux de pauvreté des personnes âgées doit diminuer. Toutefois, notre rapport ne traite pas de ces sujets. Il nous faudra nous interroger sur les conséquences des mesures que nous proposerons en matière d'égalité territoriale, et les analyser au regard de leur efficacité par rapport aux objectifs de la sécurité sociale.
M. Alain Milon, président. - Je vous remercie de votre présentation.
La réunion est close à 16 heures.