- Mardi 8 juillet 2025
- Mercredi 9 juillet 2025
- Audition de Mme Anne-Isabelle Etienvre, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions d'administratrice générale du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
- Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Anne-Isabelle Etienvre aux fonctions d'administratrice générale du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
- La compétitivité de la filière bois française - Examen du rapport d'information
- Projet de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer - Désignation de rapporteurs
Mardi 8 juillet 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 13 h 35.
Proposition de loi, rejetée par l'Assemblée nationale, portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, dont nous allons débattre en séance à quatorze heures trente.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Madame la présidente, mes chers collègues, 196 amendements ont été déposés sur ce texte, ce qui est important pour un examen en deuxième lecture.
Sur ce total, nous avons soulevé l'irrecevabilité de 37 amendements au titre de la règle de l'entonnoir, ce qui représente seulement 18 % du total, soit un niveau identique à la semaine passée en commission. En effet, en deuxième lecture, en vertu de l'article 45 de la Constitution, les amendements doivent être en lien direct avec les dispositions restant en discussion, de sorte que les dispositions additionnelles ou nouvelles dépourvues d'un tel lien ne peuvent être recevables.
Avec mon collègue rapporteur Patrick Chauvet, nous avons cependant veillé à enrichir le texte avec les amendements recevables sur la forme et intéressants sur le fond. Ainsi, 15 avis favorables ou de sagesse seront proposés ; je ne mentionnerai que les plus notables d'entre eux.
À l'article 3, sur la relance du nucléaire, nous serons favorables aux amendements identiques nos 11 et 108 rectifié de nos collègues Franck Menonville et Vincent Louault relatifs à l'augmentation de la capacité des installations nucléaires.
À l'article 4, sur les différentes flexibilités, nous émettrons un avis favorable à l'amendement n° 13 de notre collègue Stéphane Piednoir visant à abaisser l'objectif de capacité d'hydrogène décarboné à 4,5 gigawatts (GW) d'ici à 2030. Nous serons également favorables aux amendements identiques nos 75 et 166 de nos collègues Franck Montaugé et Éric Gold sur l'optimisation des investissements des réseaux électriques.
À l'article 5, sur les énergies renouvelables, nous émettrons un avis favorable à l'amendement n° 180 du Gouvernement, tendant à relever l'objectif de production de chaleur renouvelable à 299 térawattheures (TWh) d'ici à 2030, et à l'amendement n° 15 de notre collègue Stéphane Piednoir, visant à augmenter l'objectif de production de biogaz à 50 TWh à la même échéance. Il en sera de même pour l'amendement n° 99 rectifié de notre collègue Michel Savin, tendant à maintenir un objectif sur l'hydroélectricité introduit par le Sénat dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, ou pour les amendements identiques nos 35 et 138 de nos collègues Denise Saint-Pé et Michel Canévet, prévoyant un objectif sur l'agrivoltaïsme, introduit par le Sénat dans la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (Aper). Nos collègues Daniel Gremillet et Franck Menonville étaient les initiateurs de ces deux objectifs sénatoriaux.
Enfin, à l'article 24, concernant la protection des consommateurs, nous nous en remettrons à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 148 de notre collègue Patrick Chaize, visant à étendre une mesure de protection à l'ensemble des contrats de fourniture de gaz et d'électricité, et sur l'amendement n° 9 de notre collègue Brigitte Devésa, prévoyant d'étendre une autre de ces mesures aux contrats en cours.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - S'agissant de nos propres amendements, nous n'en déposerons que 6, dont 5 d'ordre purement rédactionnel.
En revanche, le dernier est substantiel, puisqu'il tend à consolider l'évaluation proposée à l'article 25 B : il prévoit en effet que cette évaluation porte sur la mise en oeuvre de nos objectifs énergétiques nationaux, dont leur degré d'atteinte et leur impact financier, quelles que soient les sources d'énergies concernées, nucléaire comme renouvelables. Nous avons donc entendu les interrogations concernant le sujet du financement de la transition énergétique, notamment des énergies renouvelables.
Pour le reste, la proposition de loi que nous examinerons cet après-midi est conforme à celle que nous avons votée en octobre 2024. Elle prévoit une relance massive de l'énergie nucléaire, à son article 3, et un essor complémentaire des énergies renouvelables, à son article 5. Elle permet de conserver un mix nucléaire aux deux tiers, d'ici à 2030, et majoritairement, d'ici à 2050. Tel est très clairement l'objectif de production d'électricité décarbonée prévu à l'article 5 : 560 TWh d'électricité décarbonée au total d'ici à 2030, dont 360 TWh d'origine nucléaire et 200 TWh de sources renouvelables.
Nous vous proposons d'adopter ces six amendements.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DES RAPPORTEURS
Article 8
L'amendement de précision rédactionnelle n° 192 est adopté.
Article 13
Les amendements de coordination rédactionnelle n° 193 et n° 194 sont adoptés.
Chapitre II : Accroître la participation des collectivités territoriales à la transition énergétique
L'amendement de suppression n° 195 est adopté.
Chapitre III : Simplifier les normes applicables aux projets d'énergies renouvelables
L'amendement de suppression n° 196 est adopté.
Article 25 B
L'amendement n° 197 est adopté.
Les sorts de la commission sur les amendements des rapporteurs sont retracés dans le tableau ci-après :
EXAMEN DE LA MOTION
Motion
Question préalable
La commission émet un avis défavorable à la motion n° 40 tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
La réunion est close à 13 h 50.
Mercredi 9 juillet 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Audition de Mme Anne-Isabelle Etienvre, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions d'administratrice générale du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui parmi nous Mme Anne-Isabelle Etienvre, candidate proposée par le Président de la République à la fonction d'administratrice générale du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
En vertu de l'article L. 332-3 du code de la recherche, l'administrateur général, ou, en l'occurrence, l'administratrice générale du CEA, fait partie du conseil d'administration de l'établissement et en assure la direction générale. Elle dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de l'établissement et le représente. Elle est nommée pour une durée de quatre ans, renouvelable une fois.
En outre, si l'administratrice générale devait être nommée présidente du conseil d'administration, comme ses prédécesseurs, elle le serait pour la durée de son mandat d'administratrice générale dès lors qu'elle est membre de droit du conseil d'administration.
En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette nomination par décret du Président de la République ne peut intervenir qu'après audition par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
La présente audition est ouverte à la presse et au public, et retransmise en direct sur le site du Sénat. Elle donnera lieu à un vote à bulletin secret, pour lequel les délégations de vote ne sont pas autorisées. L'Assemblée nationale entendra Mme Etienvre aujourd'hui à 15 heures, puis nous procéderons simultanément au dépouillement des bulletins, sans doute autour de 17 heures, sous l'oeil attentif de nos deux scrutateurs désignés, Daniel Gremillet et Antoinette Guhl.
Il ne pourra être procédé à cette nomination si l'addition des votes négatifs dans les deux commissions représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Pour mémoire, le poste d'administrateur général du CEA était occupé depuis 2018 par M. François Jacq, lequel a été nommé président-directeur général du Centre national d'études spatiales (Cnes) par décret du Président de la République le vendredi 23 mai 2025. Notre commission l'avait entendu ici même, également en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le 29 avril dernier.
Je voudrais rappeler brièvement votre parcours, madame Etienvre. Vous êtes ancienne élève de l'École normale supérieure Paris-Saclay, docteure en physique. De 2012 à 2016, vous avez été coordinatrice du laboratoire d'excellence consacré à la physique des deux infinis et des origines et, en parallèle, à compter de 2014, vous avez été cheffe du service de physique des particules de l'Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers du CEA. À compter de 2016 et jusqu'en 2022, vous avez occupé le poste de directrice de cet Institut de recherche et, à ce titre, de 2019 à 2022, vous êtes la déléguée scientifique de la France au conseil de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, le Cern. De juin 2022 à novembre 2023, vous rejoignez le cabinet de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche Sylvie Retailleau, en tant que conseillère recherche. Depuis novembre 2023, vous êtes directrice de la recherche fondamentale du CEA.
Avant de passer la parole à notre collègue Christian Redon-Sarrazy, rapporteur sur cette nomination, je souhaiterais rappeler que le CEA est un organisme de recherche classé comme établissement public à caractère industriel et commercial (Épic) créé en 1945 et placé sous la tutelle des ministères chargés de l'énergie, de la recherche, de l'industrie, de la défense et du budget.
Doté d'un budget de plus de 6 milliards d'euros et comptant près de 22 000 salariés répartis sur dix sites dans différentes régions, le CEA est l'un des trois plus grands opérateurs de l'État.
Il assure à la fois des missions relatives à la défense nationale, réalisées par sa direction des applications militaires, et des missions civiles, en particulier celles de ses directions des énergies, de la recherche technologique et de la recherche fondamentale.
Longtemps uniquement dédié à la recherche et au développement en matière d'énergie nucléaire, le domaine de compétences du CEA s'est progressivement élargi à la recherche technologique pour l'industrie, aux sciences de la matière et de l'univers, à la santé, aux sciences du vivant et, enfin, aux énergies renouvelables, au climat et à l'environnement.
À cet égard, je souhaiterais vous interroger sur deux domaines de spécialité peu connus du CEA, mais essentiels pour notre avenir : la transition numérique et la médecine du futur.
Alors que les technologies numériques bouleversent les modes de production et le fonctionnement des sociétés, le CEA dispose de compétences très fortes sur l'ensemble de la chaîne de valeur, qu'il s'agisse de la microélectronique, des logiciels, des données ou encore de l'intégration système.
Dans le domaine clef de la microélectronique, dans quelle mesure les travaux du CEA peuvent-ils permettre aux entreprises françaises, notamment à STMicroelectronics, de résister à la concurrence des géants américains et asiatiques ?
S'agissant de l'intelligence artificielle (IA), comment les travaux du CEA peuvent-ils contribuer à réduire la consommation d'énergie et d'eau, en particulier celle générée par le refroidissement des data centers ?
Dans un contexte de vieillissement de la population, qui va engendrer une forte hausse des maladies chroniques et neurodégénératives, alors que nous savons désormais l'impact dévastateur que peuvent avoir les pandémies mondiales, le CEA est également très investi dans le développement de la « médecine du futur », grâce notamment à ses compétences dans les domaines du marquage isotopique, de la radiobiologie ou bien encore de l'imagerie biomédicale.
À l'heure où il devient possible d'exploiter massivement les données de santé, comment le CEA peut-il contribuer à l'identification des marqueurs individuels de prédisposition et d'évolution des maladies ?
Je cède sans plus tarder la parole à Christian Redon-Sarrazy puis vous aurez le loisir de lui répondre, madame Etienvre, après quoi les autres membres de la commission vous poseront leurs questions trois par trois, si vous le voulez bien.
M. Christian Redon-Sarrazy, rapporteur. - Mes chers collègues, nous devons nous prononcer aujourd'hui sur la candidature de Mme Anne-Isabelle Etienvre, dont la nomination est proposée en qualité d'administratrice générale du CEA. L'enjeu pour nous est d'approuver ou non la nomination de Mme Etienvre à ce poste, pour une durée de quatre ans.
Depuis sa création, le CEA constitue un acteur majeur de la recherche, du développement et de l'innovation, au service des grands enjeux stratégiques et industriels de notre pays.
Conçu après la Seconde Guerre mondiale pour développer toutes les applications issues des sciences de l'atome, le CEA est historiquement porteur des ambitions nucléaires françaises d'indépendance énergétique et de défense nationale.
Reconnu pour l'excellence de ses travaux de recherche et ses compétences dans les technologies de pointe, il a progressivement étendu ses activités à de nouveaux domaines tels que le numérique, la santé ou bien encore les énergies renouvelables.
Dans chacun de ces domaines, le CEA développe de nouvelles connaissances scientifiques et transfère des innovations technologiques auprès du monde industriel, conformément aux grands axes stratégiques de son contrat d'objectifs et de performance (COP) 2021-2025.
Alors qu'un nouveau COP devra être finalisé d'ici à la fin de l'année, quelles priorités pour le CEA souhaiterez-vous porter auprès de ses tutelles ?
Quels sont les points marquants du bilan de votre prédécesseur, François Jacq, que vous souhaitez poursuivre et approfondir ? A contrario, souhaiterez-vous apporter des inflexions sur certains aspects ?
Au-delà de ces deux questions très générales, je souhaiterais également aborder avec vous une série de points plus spécifiques, à commencer par la relance de la filière nucléaire.
L'administrateur général du CEA est membre du conseil de politique nucléaire chargé de définir, sous l'égide du Président de la République, les grandes orientations de la politique nucléaire nationale.
Alors que le nucléaire connaît une forte relance dans notre pays depuis le discours présidentiel de février 2022 annonçant la construction de six réacteurs nucléaires EPR2 et une option pour huit autres, le CEA joue plus que jamais un rôle essentiel de soutien et d'expertise auprès des industriels de la filière que sont EDF, Framatome et Orano.
En ce qui concerne le parc électronucléaire actuel, les activités du CEA contribuent à permettre la poursuite de l'exploitation et la prolongation de la durée de fonctionnement des réacteurs nucléaires en service, en particulier les plus vieux d'entre eux, dans des conditions qui parfois interrogent.
Quel regard portez-vous sur notre parc électronucléaire ? Comment le CEA peut-il favoriser sa longévité tout en maintenant le niveau de sûreté le plus élevé ?
Ces dernières années, le CEA a essaimé dans le cadre du « nouveau nucléaire » quatre start-up pour concevoir les petits réacteurs du futur. Elles ont toutes été retenues dans le cadre de l'appel à projets « réacteurs nucléaires innovants » du plan France 2030. Le CEA accompagne également les autres start-up retenues, notamment à travers l'Agence de programme nucléaire innovant (APNI) qu'il héberge.
En outre, le CEA participe au projet Nuward, destiné à construire le réacteur nucléaire SMR (Small Modular Reactor), un réacteur de petite taille et de faible puissance à eau pressurisée.
Comment comptez-vous consolider le rôle majeur joué par le CEA dans l'émergence du « nouveau nucléaire en France » ? Pensez-vous que l'objectif d'engager la construction d'une première centrale de référence SMR en 2030 puisse être tenu ?
Le CEA assure par ailleurs le pilotage de la construction du réacteur Jules Horowitz, installation destinée à tester le comportement des matériaux et combustibles sous irradiation. Mais celui-ci, construit sur le site de Cadarache en partenariat avec huit autres pays, accumule les retards et les surcoûts, aujourd'hui supérieurs à 2 milliards d'euros, soit un coût initial multiplié par quatre.
Comment voyez-vous l'avenir du réacteur Jules Horowitz ? Pensez-vous qu'il pourra être mis en service d'ici la fin de la décennie ? Faut-il s'attendre à de nouveaux surcoûts ?
L'Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN) du CEA délivre des formations à tous les niveaux de qualification dans les domaines de l'énergie nucléaire.
Alors que le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen) estime que la filière aura besoin de recruter 10 000 personnes par an d'ici à 2033, comment comptez-vous parvenir à doubler le nombre de diplômés de l'INSTN pour parvenir à 1 200 diplômés par an ?
Le CEA est également responsable du démantèlement de ses installations nucléaires en fin de vie et de l'assainissement des sites concernés consistant à enlever la radioactivité résiduelle. Il lui faut également gérer les déchets qui en résultent. Il s'agit là d'une activité majeure pour le CEA puisqu'elle mobilise tous les ans plus de 700 millions d'euros et quelque 1 100 agents, plus d'une trentaine de sites devant faire l'objet d'un démantèlement. Il s'agit de sites anciens et souvent uniques - réacteurs expérimentaux, laboratoires, etc. -, ce qui complique les opérations.
Il y a dix ans, les retards accumulés, les hausses de coûts et les difficultés de financement avaient conduit les autorités de sûreté nucléaire à demander au CEA de procéder à un réexamen complet de ses obligations de fin de cycle. Cela a notamment conduit le CEA à opérer une hiérarchisation des différents chantiers et à restructurer l'organisation et la conduite de ces opérations d'assainissement-démantèlement.
De votre point de vue, la gestion de ces opérations complexes est-elle aujourd'hui maîtrisée ou leur organisation vous paraît-elle perfectible ? Comment poursuivre les efforts pour améliorer la maîtrise des coûts et des délais, et préparer le démantèlement des futurs équipements ?
Bien que cela ne figure pas dans le champ de compétences de notre commission, je voudrais aborder maintenant le domaine de la défense et de la sécurité. Le contexte international nous interpelle. L'attaque russe contre l'Ukraine, pays qui avait renoncé à son arsenal nucléaire contre des garanties internationales de sécurité, les frappes israélo-américaines contre le programme iranien, la décision du Royaume-Uni de recréer une composante aérienne de sa force de dissuasion nucléaire, le choix allemand d'acheter des F35 pour justement emporter des armes nucléaires américaines, les attaques ukrainiennes contre les bombardiers stratégiques russes ou encore la centralité des boucliers antimissiles dans les conflits d'aujourd'hui avec l'usage d'armes hypersoniques sont autant de faits qui montrent combien le sujet de l'armement est revenu au sommet de l'agenda stratégique.
Dans ce contexte, sachant que notre pays a fait de l'arme nucléaire son assurance vie, l'ultima ratio de son indépendance, le CEA joue un rôle absolument central. Il a pour mission de concevoir, fabriquer, maintenir en condition opérationnelle puis démanteler les têtes nucléaires qui équipent les forces nucléaires aéroportée et océanique françaises.
Il est aussi chargé de la conception et de la réalisation, du suivi en service et du maintien en condition opérationnelle des réacteurs et des coeurs nucléaires équipant les bâtiments de la Marine nationale, sous-marins et porte-avions.
Le CEA contribue également à la sécurité nationale et internationale à travers l'appui technique qu'il apporte aux autorités pour les questions de lutte contre la prolifération nucléaire, le terrorisme et le désarmement.
Alors que les questions du nucléaire civil, du nucléaire militaire et du lien entre les deux sont au coeur des enjeux de sécurité de notre continent, comment renforcer encore le rôle que joue le CEA dans la défense de notre pays et la lutte contre la prolifération nucléaire ?
Considéré comme l'un des trois organismes les plus innovants au monde, le CEA joue un rôle essentiel en France en matière de recherche, une excellence dont témoignent notamment les quelque 4 718 publications scientifiques, dont 54 % de co-publications internationales, réalisées en 2023. Il contribue au rayonnement international des sites universitaires auxquels il participe, en particulier à Paris-Saclay, la première université française au classement de Shanghai. Il est le deuxième bénéficiaire des financements européens, avec plus de 300 projets financés dans le cadre du programme Horizon Europe.
Alors que vous êtes la directrice de la recherche fondamentale du CEA, comment comptez-vous, en tant qu'administratrice générale, maintenir, voire améliorer encore les performances du CEA en matière de recherche ?
Une grande partie de ces recherches ont des débouchés industriels et viennent favoriser l'innovation de nos entreprises grâce à l'exploitation des technologies innovantes mises au point par le CEA, par la cession de licences. En tant que premier déposant de brevets en France et en Europe - il dispose de 7 200 familles de brevets actives -, le CEA a de ce fait un rôle majeur pour accompagner les entreprises dans leurs projets de recherche et développement afin de favoriser le développement d'un tissu industriel plus compétitif, en particulier dans les domaines de l'énergie, du numérique et de la santé.
Alors que le CEA compte aujourd'hui environ 700 partenaires industriels, dont 42 % de PME, comment comptez-vous renforcer encore son lien avec les nombreux laboratoires partenaires et son rôle de soutien à l'innovation de nos entreprises industrielles ? Comment faciliter davantage les transferts technologiques vers les PME ?
Depuis 1972, le CEA a créé plus de 250 start-up, dont 75 % dans les deep tech, c'est-à-dire des entreprises porteuses de technologies de rupture. Dix ans après leur création, 80 % d'entre elles sont encore en activité et certaines connaissent un succès mondial, à l'instar de Soitec, leader mondial dans le domaine des matériaux semi-conducteurs innovants ou de Lynred, spécialisée dans la fabrication des détecteurs infrarouges.
Comment amplifier encore cette dynamique de création d'entreprises innovantes à l'initiative du CEA ?
Avant de vous céder la parole, madame Etienvre, je souhaite aborder une dernière thématique : celle des principaux enjeux internes au CEA. Comme d'autres organismes de recherche, le CEA connaît un vieillissement de ses effectifs et doit s'efforcer d'améliorer sa marque employeur. Sous l'impulsion de François Jacq, le CEA a beaucoup évolué dans son organisation interne ainsi que dans son modèle financier ces dernières années.
Voyez-vous, en interne comme en externe, des chantiers à poursuivre ou d'autres chantiers à ouvrir pour améliorer l'efficacité et l'attractivité du CEA ?
Comment améliorer la soutenabilité financière du CEA, dans un contexte marqué par de fortes dépenses contraintes et une tendance à la baisse des financements publics comme privés ?
Nous avons besoin, pour nous prononcer sur votre nomination, de bien comprendre comment vous vous positionnez sur les différents enjeux que je viens d'évoquer et d'identifier les priorités qui seront les vôtres pendant les quatre années de mandat qui pourraient vous être confiées à la tête du CEA.
Mme Anne-Isabelle Etienvre, candidate proposée aux fonctions d'administratrice générale du CEA. - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c'est un très grand honneur de vous présenter aujourd'hui ce que sont, à mes yeux, les enjeux clés du CEA pour les quatre prochaines années.
Je sais tout l'intérêt que vous portez, au sein de cette commission, aux sujets de recherche et d'innovation, qui font vraiment l'ADN du CEA. Vous l'avez souligné, madame la présidente, monsieur le rapporteur, le monde actuel est confronté à la conjonction d'enjeux majeurs, dans un contexte géopolitique particulièrement tendu et instable, rendant plus que jamais essentielle la prise en compte des besoins souverains pour nos sociétés dans plusieurs domaines. Bien évidemment, la défense, l'énergie et le numérique en font partie. Il est par ailleurs nécessaire de renforcer le lien entre la science et la société pour consolider la confiance collective dans le progrès scientifique et technique.
Le CEA s'inscrit depuis longtemps pleinement dans ces défis en tant qu'organisme national de recherche au service des politiques publiques, ancré dans le besoin de souveraineté depuis quatre-vingts ans, tout en montrant au fil des décennies une formidable capacité d'adaptation.
Le CEA mène à bien ses activités de recherche et de développement de manière très ciblée par le biais de programmes qui permettent d'assurer un continuum de la recherche amont jusqu'au transfert industriel, dans les domaines qui lui incombent. Cela lui confère un rôle très spécifique dans l'écosystème national et international.
Permettez-moi à présent de détailler le cap que j'entends suivre si je suis nommée. Je me suis fixé sept priorités.
La première concerne la défense, le CEA étant un acteur clé pour la dissuasion nucléaire et la recherche duale. En effet, le CEA, via la direction des applications militaires, a la responsabilité de mener à bien les programmes que l'État lui confie dans le cadre de la mise en oeuvre et du renouvellement de sa dissuasion nucléaire.
Cela concerne notamment les armes nucléaires et les chaufferies nucléaires embarquées dans les sous-marins et le porte-avions de la Marine nationale. C'est donc une responsabilité majeure qu'il faut exercer avec la plus grande rigueur au service des besoins régaliens de l'État, en mobilisant toutes les compétences du CEA pour y parvenir. Les activités nucléaires civiles contribuent en soutien, notamment pour les besoins de la propulsion nucléaire ainsi que pour la gestion des matières, ce qui est évidemment très important.
Le CEA mène à bien, de surcroît, des activités de recherche duale. Il contribue notamment fortement au programme de lutte contre le terrorisme, le programme NRBC-E - nucléaire, radiologique, biologique, chimique et explosif -, en proposant des solutions technologiques qui vont des diagnostics à l'identification, en passant par les contre-mesures médicales, face à des risques en constante évolution. Dans le contexte tendu que nous connaissons, ce programme est particulièrement important. Une cinquantaine de projets de recherche, en collaboration avec d'autres partenaires, sont d'ores et déjà réalisés, et il est important que cela continue.
Pour répondre plus spécifiquement à votre question, monsieur le rapporteur, la mobilisation des compétences des équipes de recherche du CEA pourra être renforcée au service de l'innovation de défense dans plusieurs domaines clés tels que les composants électroniques sécurisés, la simulation et les moyens de calcul, notamment grâce au futur supercalculateur exascale européen Alice Recoque, hébergé à Bruyères-le-Châtel, en Essonne.
L'astrophysique, les sciences du climat ou la fusion sont des disciplines à la pointe de l'art en termes de développement de codes de calcul et de traitement de données massives ; elles viennent enrichir les travaux que la direction des applications militaires mène dans le cadre de son programme Simulation.
Au-delà de cette question emblématique, la physique nucléaire, l'étude des matériaux ou encore les développements instrumentaux sont autant d'exemples de sujets transversaux entre les programmes civils et militaires du CEA qui illustrent les synergies entre nos équipes. Je suis convaincue de l'intérêt de cette fertilisation croisée entre les différentes directions du CEA, qui représente un levier d'action extrêmement efficace, et je m'attacherai donc à la renforcer.
J'en viens maintenant au second point : la recherche et développement dans le domaine de l'énergie décarbonée. Le besoin d'une production d'énergie souveraine, efficace et décarbonée, dont le coût est maîtrisé, constitue et continuera de constituer un enjeu majeur pour la société et l'industrie. La relance du nucléaire, aux côtés des énergies renouvelables, permettra d'y répondre.
Dans ce contexte, le CEA jouera pleinement son rôle d'opérateur de la recherche, en bonne articulation avec l'ensemble des acteurs de l'énergie. Nous mobiliserons toutes nos équipes de façon interdisciplinaire pour assurer, là encore, le continuum de la recherche amont jusqu'à l'industrie. C'est la raison d'être de notre organisme.
La relance du nucléaire sera naturellement au coeur de la stratégie du CEA dans le domaine de l'énergie. Je souhaite que nous allions de l'avant dans ce domaine, en cohérence avec les décisions prises dans le cadre du conseil de politique nucléaire. Si je suis nommée à ce poste, l'une de mes priorités sera de bâtir avec les principaux industriels de la filière nucléaire une relation de confiance qui prenne en compte les besoins de chacun.
Je veux exposer les principaux axes stratégiques du CEA dans le domaine du nucléaire civil.
La prolongation du parc actuel est un défi immédiat pour la filière nucléaire. Je souhaite que nos équipes mettent leurs compétences dans le domaine de la recherche et développement (R&D) au service des besoins de l'industrie pour veiller, en particulier, à une bonne compréhension du vieillissement des matériaux et de leurs structures. Nous avons des compétences en physico-chimie et en physique des matériaux. Le CEA dispose également de capacités en simulation ou en codes neutroniques. Enfin, nous pouvons nous appuyer sur nos infrastructures de recherche pour examiner la possibilité de poursuite du parc actuel, en lien avec nos partenaires industriels. Nous travaillons également sur le sujet du combustible.
L'émergence de projets innovants participe au leadership de la France dans le nouveau nucléaire. Je songe bien sûr au projet de SMR et aux onze start-up sélectionnées dans le cadre de France 2030. À ce sujet, il est important que le CEA, au travers de l'Agence de programme pour le nucléaire innovant, aide l'ensemble de ces start-ups grâce à l'expertise de nos équipes, par exemple sur les différents codes ou en mettant nos infrastructures de recherche à leur disposition.
Vous m'avez interrogée sur la robustesse de l'hypothèse d'un démarrage de l'un de ces projets en 2030. Il m'est difficile de vous répondre aujourd'hui. Il faut souhaiter le succès de ces projets, car ils sont source d'innovation. Le CEA les regarde avec beaucoup d'attention. Ils sont complémentaires avec les projets de plus grande envergure portés par la filière et le CEA. Ils sont aujourd'hui dans une phase qui n'est pas encore suffisamment mûre pour que je puisse vous dire avec certitude si certains d'entre eux aboutiront à la mise en place d'un réacteur en 2030. C'est un objectif ambitieux.
Par ailleurs, nous définirons avec l'ensemble des acteurs concernés un programme de travail permettant d'atteindre la fermeture complète du cycle du combustible nucléaire. Dans l'immédiat, une feuille de route commune avec les industriels concernés sera bâtie d'ici à la fin de l'année 2025. Elle devra respecter une cohérence d'ensemble, et sera proposée à l'État conformément à une décision prise lors du dernier conseil de politique nucléaire.
Pour cela, je mobiliserai les compétences des équipes du CEA, en particulier dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides, en veillant à ce que soient pris en compte le retour d'expérience et les connaissances acquises dans ce domaine depuis de longues années au sein de l'organisme. Il nous faudra aussi maintenir nos infrastructures de recherche nucléaire au meilleur niveau. Elles sont essentielles pour la conduite de nos programmes et bénéficient également à nos partenaires industriels au sens large.
J'en viens au réacteur expérimental Jules-Horowitz. Ce projet a connu de grandes difficultés techniques et calendaires, qui ont conduit à des surcoûts substantiels. Je ferai de son suivi une priorité, non seulement en raison de l'importance de ce projet, mais aussi pour le bon respect de son planning et de ses coûts. Ceux-ci sont stabilisés depuis plusieurs années. C'est une évolution positive : pour que les choses demeurent ainsi, un suivi rigoureux est nécessaire, de même qu'un dialogue approfondi avec l'État, qui se matérialise pour l'heure par des comités trimestriels. Le planning actuel prévoit un démarrage en 2032-2033.
Par ailleurs, nos équipes poursuivront le programme indispensable de l'assainissement et du démantèlement des anciennes installations nucléaires de recherche. Ce domaine important du nucléaire civil doit d'ailleurs être pris en compte dès la conception des projets pour anticiper la bonne conduite de l'assainissement et du démantèlement, et prévoir le coût de ces opérations.
Ce programme d'envergure, qui repose sur un fonds dédié de l'État, est segmenté en plusieurs projets sur nos différents centres concernés. Ceux-ci sont menés par une équipe projet robuste, amenée à établir des priorités afin de respecter l'enveloppe budgétaire globale, avec le souci permanent de mener à bien ces activités cruciales pour nos sites. Ce sujet reste suivi de près par l'État comme par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Outre l'énergie nucléaire, je suivrai attentivement l'ensemble des travaux de R&D ciblés sur la production d'autres formes d'énergie bas-carbone, ainsi que sur le stockage et le transport énergétique. Je pense notamment à la conception des cellules photovoltaïques à haut rendement, dont il faut aussi augmenter la recyclabilité, à la durabilité et à la performance des systèmes d'électrolyse à haute température pour la filière hydrogène ou encore, pour ce qui concerne le stockage, à la poursuite de la R&D sur la conception de batteries performantes, plus durables et plus recyclables.
Il est également essentiel de développer des carburants ou des molécules de synthèse nécessaires à la décarbonation de certains secteurs, comme l'aérien ou le maritime.
À plus long terme, d'ici à 2050, la fusion thermonucléaire pourrait permettre de produire de l'électricité. Des acteurs majeurs internationaux, sur le sol européen ou encore aux États-Unis comme en Asie, se positionnent sur de tels projets. La France est le pays hôte du projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (Iter). Ce projet complexe a connu des difficultés induisant des retards significatifs, mais il semble avoir aujourd'hui renoué avec une bonne maîtrise technique, comme cela est apparu lors du dernier conseil d'Iter. Il importe que ce projet soit couronné de succès et que l'ensemble des sept membres internationaux restent pleinement investis dans Iter, ce qui est le cas aujourd'hui.
Par ailleurs, le CEA bâtira une feuille de route stratégique reposant sur ses compétences scientifiques et techniques préexistantes. Je pense en particulier au réacteur West, qui a récemment établi un nouveau record de maintien d'un plasma en fusion, aux aimants supraconducteurs, ou encore au laser Mégajoule à Bordeaux. Cette feuille de route revêt un intérêt particulier au moment où l'Europe, en particulier, édicte une stratégie européenne en matière de fusion.
Enfin, la mise en place de l'Agence de programme sur l'énergie décarbonée (Aped), dont le pilotage a été confié au CEA, permettra d'améliorer la coordination entre les différents partenaires, académiques comme industriels. Cela renforcera l'impact de notre action aussi bien en matière de vitesse de définition et de déploiement des programmes de recherche que de vision stratégique nationale.
J'en viens maintenant au numérique.
La maîtrise des technologies numériques constitue un autre enjeu de souveraineté, qu'il s'agisse de la microélectronique, des logiciels, des systèmes ou encore des infrastructures numériques indispensables pour le calcul intensif ou l'intelligence artificielle. Le CEA se positionne dans ce domaine sur la recherche amont, sur les propriétés physiques de la matière qui sont à la base des technologies de l'information et des technologies quantiques, et sur le développement des composants microélectroniques. Le CEA est bien intégré au programme européen qui s'inscrit dans la continuité du Chips Act (Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors). Nous aurons donc pour objectif de mener à bien le projet de construction puis d'exploitation des lignes pilotes de production de composants sur notre site de Grenoble, en assurant une articulation efficace avec l'ensemble des industriels de la microélectronique. Outre notre partenaire historique STMicroelectronics, d'autres industriels souhaiteront peut-être aussi en bénéficier. Il nous revient de faire en sorte que ces infrastructures soient aussi utiles que possible à l'ensemble du tissu industriel français.
La dimension européenne de nos partenariats dans le numérique devra aussi être renforcée pour faire face à la compétition mondiale très forte, assurer la souveraineté européenne et préparer les programmes futurs. L'Agence de programme du composant aux systèmes et infrastructures numériques (Asic), dont le pilotage a été confié au CEA, permettra de consolider une stratégie nationale dans ce domaine, tout comme le fait l'Aped.
Les développements logiciels se poursuivront en mettant à profit les avancées de l'intelligence artificielle pour la science, très développées dans certains domaines, un peu moins dans d'autres. J'aurai donc à coeur de renforcer l'interdisciplinarité au sein de l'organisme en faisant bénéficier l'ensemble de nos activités de nos compétences actuelles en matière d'IA pour la science. Nous devrons aussi pleinement nous emparer du potentiel de l'IA générative pour ses applications fonctionnelles, tout en veillant à ce que son utilisation soit responsable : prônons une IA de confiance et frugale, respectueuse des contraintes environnementales.
Pour ce qui concerne les data centers, le CEA s'efforce de rationaliser ses moyens de calcul en évitant d'avoir des clusters de petite taille sur l'ensemble de ses laboratoires, au profit de centres de calcul de plus grande envergure, afin d'optimiser nos moyens et de mener des actions vertueuses, telles que la récupération de la chaleur fatale.
Enfin, la cybersécurité, aussi bien matérielle que logicielle, fera l'objet d'une attention particulière en tant qu'enjeu de souveraineté incontournable.
J'en viens maintenant à la recherche fondamentale.
Nos programmes nécessitent la préservation d'une recherche fondamentale d'excellence au CEA dans les disciplines clés de l'organisme que sont la physique, la chimie, l'ingénierie, les sciences du climat, les sciences des matériaux ou encore les sciences du vivant. Il ne s'agit donc pas de toutes les disciplines scientifiques, mais bien de celles qui contribuent aux principaux programmes du CEA. Ces recherches font progresser les connaissances, aussi bien conceptuelles qu'instrumentales, et permettent à nos équipes de rester au meilleur niveau mondial. Elles font l'objet de choix assumés et partagés, et elles bénéficient d'une trajectoire financière renforcée par les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) lancés dans le cadre de France 2030. Je souhaite, dans ce domaine, qu'une veille scientifique et technique soit renforcée au sein du CEA dès l'an prochain, dans un monde où le cycle de l'innovation s'accélère.
Je veux également présenter notre action dans le domaine de la santé. Le CEA a notamment joué un rôle clé dans la naissance et l'essor de la médecine nucléaire, essentielle pour les besoins de nos concitoyens. Le CEA apporte une contribution à l'effort de recherche et développement en santé au niveau national, en suivant trois lignes de force spécifiques, reposant sur des compétences génériques transverses à l'organisme.
La première est l'imagerie médicale, qui joue un rôle indispensable dans le traitement des pathologies cérébrales ainsi que dans le diagnostic et le traitement des cancers. L'appareil d'IRM Iseult, le plus puissant au monde, a dévoilé ses premières images il y a quelques mois. Il devrait nous permettre une meilleure compréhension du fonctionnement de notre cerveau et un meilleur diagnostic, voire un meilleur traitement, des pathologies cérébrales.
Notre deuxième ligne de force concerne les dispositifs médicaux de tests et de diagnostics appliqués en particulier aux pathologies infectieuses.
Le troisième domaine de recherche auquel contribue le CEA est le numérique au sens large, c'est-à-dire le traitement et le stockage de données massives, ainsi que l'application de l'intelligence artificielle à la santé.
Notre stratégie dans le domaine de la santé s'est affûtée tout dernièrement. Je souhaite désormais qu'elle se déploie en lien étroit avec les partenaires académiques, le monde hospitalier et la filière industrielle en santé.
Par ailleurs, le CEA contribue à une fraction substantielle des infrastructures de recherche nationales et internationales, telles que l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, plus connue sous son acronyme historique Cern, pour Conseil européen pour la recherche nucléaire, le grand accélérateur national d'ions lourds (Ganil), ou encore l'infrastructure de calcul Alice Recoque. Elles bénéficient à l'attractivité du CEA à l'échelle internationale. Je veillerai donc à ce qu'elles puissent être aussi largement ouvertes que possible au monde académique comme au monde industriel.
Enfin, le ressourcement scientifique et technique amont est important. Il a été réamorcé grâce à la mise en place du programme de recherche « Audace ! » l'an dernier. Mené conjointement avec les universités de Grenoble et de Paris-Saclay, celui-ci permet l'émergence d'idées nouvelles, en rupture technologique. Son ancrage dans la durée, en cas de soutien par l'État, permettrait ainsi de détecter et d'accompagner de manière agile les idées les plus novatrices. Nous renforcerons ainsi un esprit pionnier indispensable dans un organisme de recherche.
Je tiens maintenant à évoquer le positionnement européen et international du CEA. Face aux défis que pose la compétition internationale, ainsi que, plus récemment, le changement de positionnement des États-Unis, l'Europe est l'échelle adéquate pour que nos activités prétendent à un impact véritable. Il importe donc de contribuer à la structuration des programmes clés de R&D européens, à leur réalisation et, in fine, à la compétitivité industrielle de l'Europe ainsi qu'à son autonomie stratégique. Ce sera un enjeu majeur pour le CEA, qui plus est au moment où le prochain programme-cadre est en cours de définition.
En nous coordonnant étroitement avec nos homologues européens, tel que le Fraunhofer-Gesellschaft en Allemagne, nous pourrons être force de proposition pour le prochain programme-cadre avec des initiatives structurantes dans le domaine de l'énergie, comme l'a été le Chips Act sur le numérique.
Les équipes du CEA sont également bien positionnées sur les programmes du Conseil européen de la recherche (ERC) et du Conseil européen de l'innovation (EIC), et je continuerai à les inciter à poursuivre cette dynamique.
Le Fonds européen de la défense et le programme Euratom représentent également un outil majeur pour nos activités.
Enfin, nous devons disposer d'infrastructures technologiques soutenues par l'Europe pour accompagner la maturité technologique jusqu'au transfert industriel.
À l'international, le CEA a noué depuis de nombreuses années des partenariats solides avec ses principaux homologues en Europe, aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Le contexte actuel nécessite, naturellement, une vigilance particulière sur ces collaborations, en examinant attentivement l'impact des évolutions des politiques publiques en matière de recherche et d'innovation chez nos partenaires.
J'en viens maintenant à un autre objectif qui me tient à coeur : je souhaite que le CEA renforce son ancrage dans le monde académique et qu'il soit encore plus ouvert sur la société au sens large, ce qui inclut l'industrie. Le paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche français poursuit sa structuration. Le CEA s'inscrira pleinement dans cette dynamique, au-delà des partenariats solides avec les organismes de recherche comme avec les universités.
Concrètement, cela se traduira par un soutien aux politiques de sites portées par les universités partenaires du CEA, à Grenoble et à Paris-Saclay notamment.
Je renforcerai également l'implication du CEA dans les activités d'enseignement, en particulier en soutien aux actions liées à l'appel à manifestation d'intérêt « Compétences et métiers d'avenir » qui ont été lancées dans nos domaines stratégiques. Vous citiez, monsieur le rapporteur, le nucléaire : il y a là un défi collectif pour toute la filière et nous jouerons notre rôle via l'Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN), l'Université des métiers du nucléaire et l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur, auxquels contribuent nos personnels.
Je souhaite aussi suivre attentivement la formation par la recherche, en veillant à la bonne insertion postdoctorale de nos docteurs dans le monde socio-économique. Enfin, je renforcerai les actions de communication vers les formations diplômantes en lien avec les métiers du CEA pour attirer les talents, avec une attention particulière envers les femmes.
Par ailleurs, la diffusion des savoirs scientifiques vers le plus grand nombre fait partie intégrante de nos missions. Elle est d'autant plus essentielle qu'il faut à la fois renforcer l'attractivité des plus jeunes vers les métiers présents au CEA et donner confiance au grand public envers le progrès scientifique et technique comme réponse aux défis majeurs auxquels le monde est confronté. Cette diffusion sera renforcée par des actions de communication ciblées pour ancrer le dialogue avec la société.
Monsieur le rapporteur, la maxime du CEA est « de la recherche à l'industrie ». J'entends la faire vivre pleinement, au plus près des territoires, au travers de nos différents centres et pôles régionaux de transfert technologique, en bonne articulation avec l'ensemble des structures de valorisation existantes, que ce soit au sein des universités ou en lien avec les collectivités territoriales.
La recherche partenariale est très présente dans nos instituts, avec plus de 700 entreprises partenaires de toutes tailles. C'est un atout qu'il faut continuer à faire vivre, ce qui suppose de garder un bon niveau de dépôt de brevets, reflet de l'innovation, par des démarches fortement incitatives que j'ai déjà engagées auprès de nos équipes, et de continuer à accompagner nos start-up par un processus d'essaimage simple et efficace, qui repose actuellement sur une structure dédiée.
Enfin, je veux dire un mot des enjeux managériaux de ce poste. Le CEA, ce sont avant tout des femmes et des hommes reconnus pour leurs grandes compétences dans des métiers variés, qui font preuve d'un niveau d'engagement absolument remarquable. J'aurai constamment à coeur d'échanger avec nos équipes sur le terrain, à l'écoute de leurs préoccupations comme de leurs suggestions, dans le respect de chacun. Il me paraît essentiel d'exercer ce mandat en gardant constamment à l'esprit des lignes directrices claires.
Il s'agira, d'abord, de mener à bien les programmes pilotés par le CEA avec rigueur et efficacité dans un contexte budgétaire contraint. J'aurai également à coeur de porter une attention constante aux enjeux de sûreté et de sécurité. Je veillerai aussi à mobiliser les fonds européens grâce à un plan d'action déployé dans l'ensemble de l'organisme, particulièrement important dans une période de tension budgétaire. En outre, il faudra simplifier les processus internes de gestion pour une bonne maîtrise des dépenses. Enfin, je serai attentive à garder le cap de l'ambition de l'organisme par un management serein reposant sur un collectif soudé et une communication interne renforcée, afin de maintenir l'adhésion collective de tous les personnels aux axes programmatiques du CEA.
Pour conclure, j'assumerai, si je suis nommée, cette belle responsabilité avec autant d'humilité que de détermination, avec mes compétences scientifiques, mon expérience dans le suivi de projets complexes et mon vécu managérial. Je serai au service de l'État et des besoins de la société, afin que le CEA poursuive ses objectifs avec force et sérénité.
Pour répondre à vos questions, monsieur le rapporteur, j'ajoute, concernant le bilan du CEA, que nos projets se construisent par essence sur le temps long, ce qui induit une forme de continuité.
Pour autant, certaines inflexions seront nécessaires. Sur la défense, il me paraît important de renforcer la recherche duale au service de l'innovation de défense. Concernant la prolifération nucléaire et son suivi, nos experts du CEA et de la direction des applications militaires ont toujours été et continueront d'être au service de l'État. Dans le domaine de l'énergie, il faut accompagner pleinement le renouveau du nucléaire et faire face aux défis immédiats, notamment la durabilité du parc, la solidité et l'harmonie avec l'ensemble de la filière nucléaire et la définition d'un programme pour la fermeture du cycle. Je souhaite aussi que nous ayons une stratégie plus affirmée dans le domaine de la fusion thermonucléaire, qui s'inscrit dans un temps plus long. Dans le domaine des partenariats européens, une inflexion sera également nécessaire sur le futur programme-cadre. Nous devrons aussi accélérer le transfert industriel dans le domaine de la santé et renforcer nos collaborations avec l'industrie. De même, il nous faudra consolider notre lien avec la société, au travers de l'enseignement, mais aussi du dialogue et des actions de diffusion des savoirs. Enfin, si je suis nommée à ce poste, mon expérience et ma personnalité marqueront également une inflexion en matière de management.
M. Franck Montaugé. - Le stockage de l'électricité à grande échelle aura tôt ou tard des conséquences majeures sur le fonctionnement du système électrique national. Le CEA travaille-t-il sur ce sujet ? Le cas échéant, quelles sont les perspectives de recherche dans ce domaine stratégique ?
Par ailleurs, comment le CEA pourrait-il contribuer à la définition d'une doctrine d'emploi des SMR dans le système industriel français en matière de décarbonation ou de modulation du fonctionnement du système électrique national dans son ensemble et pour les zones non interconnectées ? Estimez-vous utile de proposer à l'État des orientations en la matière ? Lesquelles ? Le CEA a-t-il été sollicité sur ce point ?
Enfin, nous cheminons vers un mix électrique totalement décarboné. Nous restons aujourd'hui très dépendants du gaz naturel, en provenance de la Russie ou des États-Unis, pour répondre aux besoins de consommation à la pointe de notre système national. Quelles sont les pistes de travail du CEA pour atteindre la pleine autonomie nationale sur ce point ?
Mme Marie-Lise Housseau. - À titre personnel, je serais très satisfaite qu'une femme aux compétences scientifiques aussi reconnues que les vôtres accède à ce poste !
Entre 2010 et 2019, le CEA s'est impliqué sur le prototype de réacteur nucléaire de quatrième génération Astrid. Votre prédécesseur l'a interrompu, malgré l'opposition des salariés. Si vous aviez occupé son poste à cette époque, quel aurait été votre arbitrage ?
Le CEA est surtout connu pour l'énergie atomique, mais il s'est également ouvert aux énergies alternatives. Qu'envisagez-vous pour les développer ?
M. Vincent Louault. - Je serais très fier de participer à la première nomination d'une femme à la tête du CEA, d'autant plus que mon territoire, en Touraine, a hébergé Thérèse Planiol.
Le CEA semble avoir beaucoup réorienté ses efforts de recherche du nucléaire vers les énergies renouvelables, au point qu'EDF a dû renforcer ses équipes de recherche et développement pour combler les vides. Comment comptez-vous répondre aux critiques selon lesquelles le CEA a délaissé son expertise historique sur le nucléaire, qui reste le pilier de notre souveraineté énergétique française ?
Mme Anne-Isabelle Etienvre. - Concernant le stockage, nous travaillons notamment sur la durabilité et la recyclabilité des batteries, avec des innovations à base de pérovskites en particulier. En parallèle, il est important d'adopter une vision intégrée de l'énergie et du stockage. Nous y travaillons avec l'ensemble des partenaires impliqués, notamment dans le cadre de l'Agence de programme pour l'énergie décarbonée.
Les start-up qui ont émergé dans le domaine des SMR sont intéressantes. Leurs concepts sont très variés. Toutes n'ont pas la même maturité, mais le CEA les soutient dans leurs besoins en expertise, qu'elles soient issues ou non de notre maison. Ces start-up peuvent contribuer aux besoins de certains industriels, en complémentarité du parc nucléaire.
Il est difficile de savoir ce qu'il adviendra de leurs projets. Pour l'heure, il convient d'observer les progrès de chacune pour conseiller l'État sur les différentes solutions proposées et accompagner l'industrialisation de celles qui sont les plus prometteuses. Le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) sollicite pour cela le CEA en tant qu'expert.
L'interruption du programme Astrid - c'est un sujet délicat - a été décidée dans un contexte très différent de celui que nous connaissons aujourd'hui, marqué, désormais, par la relance du nucléaire. Nos équipes qui travaillent sur les réacteurs à neutrons rapides sont ravies d'être mobilisées pour construire le programme de fermeture du cycle qui nous est demandé.
Concernant les énergies alternatives, le CEA ne fait pas tout, mais il mène une R&D ciblée sur certains domaines. J'ai évoqué le photovoltaïque, secteur dans lequel l'objectif est d'atteindre le seuil symbolique de 30 % de rendement supplémentaire et d'améliorer la recyclabilité. D'autres technologies génériques contribuent également à l'optimisation de certaines briques pour d'autres formes d'énergie. En matière d'énergie alternative, nous sommes essentiellement mobilisés sur l'hydrogène et sur le photovoltaïque.
La relance du nucléaire place le CEA à un moment important de son histoire.
On constate une volonté collective forte et une forme de fierté au sein de nos équipes à répondre présent pour cette relance du nucléaire, avec toutes leurs compétences, qui vont de l'amont à l'aval. J'ai lancé dans ma direction actuelle un programme transverse pour préparer le nucléaire de demain et d'après-demain. Il est important que nos équipes soient mobilisées et qu'elles puissent se saisir des programmes à venir.
Nous devons adopter un positionnement complémentaire à celui de l'industrie nucléaire française, qui est très bien structurée. C'est ainsi que nous formerons une équipe du nucléaire français cohérente au niveau national et international.
Enfin, nous travaillons sur la décarbonation du mix énergétique. Le laboratoire I-Tésé élabore ainsi des schémas d'exploitation à partir de différents scénarios de mix énergétiques afin de conseiller le Gouvernement.
M. Daniel Gremillet. - La question du refroidissement prend une ampleur stratégique, que ce soit en matière de nucléaire ou de data centers. Lors de son audition, le directeur général d'Iter m'avait indiqué que la recherche nous permettrait bientôt de renvoyer l'eau nécessaire au refroidissement à une température inférieure à celle à laquelle elle a été collectée. Je voudrais vous entendre sur ce point.
La France est à un tournant stratégique en matière nucléaire. Comment le CEA peut-il garantir à notre pays des capacités industrielles au rendez-vous, tant du point de vue des délais et de la durée d'investissement que des coûts ?
Enfin, je souhaiterais des précisions sur le recyclage de la matière. Détenir les matériaux sera bientôt un élément stratégique - on le voit actuellement avec les batteries chinoises. Les pays qui auront la capacité de retransformer la matière seront avantagés. À ce titre, quel pourra être le rôle du CEA ?
M. Patrick Chaize. - Quel est votre regard sur la fusion de l'ASN et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ? Quelles conséquences a-t-elle eue sur le CEA ?
M. Lucien Stanzione. - Dans le cadre de la mission d'information sur le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert, j'ai visité avec Pierre Cuypers le laboratoire de bioénergétique et biotechnologies des bactéries et microalgues du site de Cadarache. Le biocarburant développé s'appuie sur l'enzyme FAP. Quel est votre engagement dans la poursuite de ces recherches et de leur éventuel développement industriel ?
Mme Anne-Isabelle Etienvre. - Nous devons faire un effort pour optimiser nos structures de calcul et nos data centers. L'objectif est de regrouper les structures et de veiller à ce qu'elles soient moins gourmandes en énergie et en eau.
Si la récupération de la chaleur fatale contribue à chauffer nos centres, le refroidissement reste un défi. Nous travaillons avec des industriels pour améliorer le bilan carbone de nos data centers. Cet enjeu dépasse le seul CEA, mais il joue un rôle essentiel, au regard de notre positionnement sur les moyens de calcul à grande échelle et sur l'IA.
Concernant le nucléaire, les ressources humaines représentent un enjeu important. Nos équipes sont très compétentes, mais elles doivent encore être renforcées. Pour cela, nous menons plusieurs actions en matière de formation de nos jeunes, notamment dans les écoles d'ingénieurs et de techniciens. À cet enjeu s'ajoutent des questions financières : après plusieurs années durant lesquelles aucune grande infrastructure n'a été construite, la bonne maîtrise des projets nucléaires fera l'objet de toute mon attention.
Le CEA dispose d'un programme consacré à la question des matières, en lien avec France 2030. Nous avons un positionnement académique sur l'économie circulaire des matières, afin de recycler et de réinjecter certains composants. Nous essayons aussi, notamment par la fabrication additive, de définir de nouvelles matières qui soient plus facilement recyclables.
La fusion entre l'ASN et l'IRSN a conduit le CEA à héberger une activité essentiellement commerciale de dosimétrie passive. Cette activité très spécifique, qui n'était pas traitée, historiquement, par le CEA, s'est installée de manière relativement neutre, sans grand changement. Nous avons simplement veillé à la bonne intégration des salariés concernés. De même, le CEA accueille désormais une activité de défense, pour le compte du ministère des armées, et dont l'intégration se poursuivra jusqu'à la fin de l'année 2025. L'élément essentiel est que nos relations avec la nouvelle autorité de sûreté n'ont pas été perturbées.
Enfin, l'activité sur les biocarburants menée à Cadarache est très prometteuse. Elle a donné lieu à des brevets et à une jeune start-up, en laquelle je crois beaucoup. Nous continuerons à accompagner ce développement, qui se déploie également dans d'autres sites du CEA, et qui pourra donner lieu à des transferts industriels.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Le CEA accompagne les entreprises françaises - petites et moyennes entreprises (PME), entreprises de taille intermédiaire (ETI), start-up - dans leur développement à l'international, notamment par l'intermédiaire de vos trois instituts de recherche, grâce à une politique active de brevets et de licences à l'international et à la coordination avec Bpifrance, les sociétés d'accélération du transfert de technologies (Satt) et les autres acteurs de l'écosystème.
Si vous étiez nommée administratrice générale du CEA, quels développements envisageriez-vous pour renforcer ce soutien à l'activité internationale ?
Mme Micheline Jacques. - Le nucléaire peut-il trouver une place dans les territoires ultramarins ? Je pense particulièrement à l'industrie de transformation du nickel, qui nécessite beaucoup d'énergie et dont le coût de production actuel est un frein au développement économique de la Nouvelle-Calédonie.
Par ailleurs, les Antilles et le bassin caribéen font face à des arrivées massives de sargasses sur les côtes. C'est un véritable fléau, à la fois sanitaire, pour les populations, et environnemental, pour les écosystèmes marins.
Une start-up de l'île de la Barbade, Rum and Sargassum Inc., en partenariat avec le campus de Cave Hill de l'Université des Indes occidentales, a lancé le premier véhicule fonctionnant au gaz naturel compressé, qui utilise les eaux usées des distilleries et un biométhane à base de sargasses. Il s'agit d'une source de biocarburant innovante. Ce projet est pris très au sérieux par l'Union européenne, qui apporte un financement à son déploiement.
Envisageriez-vous de soutenir des unités de recherche au sein des universités antillaises, ainsi que des projets de coopération scientifique au niveau régional ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Comment abordez-vous la communication des sites du CEA à destination des riverains ? En tant que sénatrice de la Côte-d'Or, où se trouve le site de Valduc, je suis souvent sollicitée par les élus des communes voisines, qui relaient fréquemment les interrogations des habitants.
Par ailleurs, le CEA est associé à la réflexion concernant le projet du Cern et le grand collisionneur de particules. Quelle est votre implication dans ce projet ?
Mme Anne-Isabelle Etienvre. - Le CEA, par essence, est très international. Ses domaines de compétences bénéficient d'une grande visibilité. Nous entretenons des liens étroits avec nos partenaires internationaux historiques, notamment avec le Department of Energy (DOE), aux États-Unis, ainsi que nos homologues du Royaume-Uni, d'Allemagne, d'Italie, d'Espagne et l'Institut Riken, au Japon. Nous coopérons également avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Le CEA était notamment présent au comité mixte sur le nucléaire entre la France et le Japon, il y a dix jours.
Ces relations nous permettent de contribuer à la diplomatie scientifique avec nos autres partenaires universitaires et académiques, comme le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Elles nous aident également à accompagner l'industrie à l'international, en facilitant le dialogue. Je suis attachée à cette dynamique.
Madame la sénatrice, je n'avais pas connaissance de ce projet sur les biocarburants en outre-mer. Je serais désireuse d'en apprendre davantage. Le laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE) de Paris-Saclay pourrait apporter son soutien. Je reste à votre disposition pour échanger sur ce point.
Concernant le nucléaire, nous devrons étudier les possibilités ouvertes par les SMR dans les territoires ultramarins.
Nos directeurs de centres ont vraiment à coeur de communiquer avec le grand public. Nos activités sont sensibles : il est donc crucial d'assurer une bonne communication de l'ensemble de nos centres, sur tout le territoire, avec les collectivités territoriales et la population au sens large, tant pour rassurer les riverains, lorsque cela est nécessaire, que pour faire connaître notre action et attirer des talents.
Le Cern est une très belle construction européenne. Ce centre a été construit au sortir de la Seconde Guerre mondiale pour réunir des chercheurs du monde entier autour d'un objectif scientifique pour la paix. Ses innovations ont largement fait progresser la science et la technologie.
Le Cern se trouve aujourd'hui à un moment important de son histoire, puisque sa réflexion porte désormais sur les futurs grands collisionneurs. Comme ce type de projet se construit sur le temps long, il faut y penser dès à présent. Il s'agit d'un projet ambitieux qui bénéficie du soutien de la communauté scientifique internationale. Il existe, par ailleurs, un projet rival en Chine, qui pourrait advenir plus rapidement. Outre les questions financières, car il est onéreux, ce projet emporte des considérations environnementales. Il n'est donc pas acquis qu'il se concrétise.
Pour que le Cern reste ce beau centre européen rayonnant, il est important de continuer à instruire la possibilité de mener à bien ce projet, tout en réfléchissant à des options alternatives.
Mme Viviane Artigalas. - Vous souhaitez intégrer davantage les femmes au CEA et renforcer les liens de votre maison avec notre société.
Quelles actions pourraient être menées par le CEA pour orienter les jeunes filles vers les filières scientifiques et les carrières scientifiques ?
M. Fabien Gay. - Je veux revenir sur la fusion de l'IRSN et de l'ASN. En effet, sur le volet social, la réintégration au sein du CEA de la dosimétrie et de l'expertise nucléaire de défense s'est faite au forceps. Les salariés n'ont eu que sept mois pour s'y préparer. D'ailleurs, l'ensemble des syndicats, qu'ils soient de droit privé ou public, étaient plutôt défavorables à cette fusion. Comment se passe l'intégration ? Plus largement, quelle sera votre gestion des questions sociales au sein du CEA ? En particulier, les dernières négociations annuelles obligatoires (NAO) ont été très complexes.
Mme Anne-Isabelle Etienvre. - Au-delà du CEA, cette forme d'autocensure que l'on peut percevoir chez les jeunes filles à l'égard des sciences se joue dès le plus jeune âge, à l'école primaire.
C'est donc ce niveau que nous devons cibler, au travers de nos actions de pédagogie. Je souhaite, à cet effet, renforcer nos partenariats avec les écoles, qui sont toujours heureuses de nous accueillir. Nos salariés, quant à eux, sont désireux d'aller à la rencontre des jeunes publics pour leur donner le goût des sciences.
Ensuite, il est essentiel de garder le contact avec le grand public pour faire connaître les recherches que nous développons afin de répondre aux questions-clés de la société. C'est ainsi que nous pourrons attirer le public, y compris les talents féminins.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quelle est la proportion de femmes parmi les salariés du CEA ?
Mme Anne-Isabelle Etienvre. - Elles représentent environ un tiers des effectifs.
Par ailleurs, au sein du CEA, je reste attentive au bon développement de la carrière des femmes, en fonction de leurs compétences, et je veille à ce qu'elles bénéficient, comme les hommes, d'un équilibre satisfaisant entre la vie privée et la vie professionnelle pour s'épanouir pleinement.
La fusion entre l'ASN et l'IRSN s'est faite rapidement. Le rôle du CEA a été de l'accompagner pour qu'elle se déroule, autant que possible, dans de bonnes conditions pour les salariés - aussi bien ceux du CEA que ceux qui nous ont rejoints. Les représentants du personnel, notamment, laissent entendre que les salariés de l'ancienne ASN et de l'ancienne IRSN semblent heureux au CEA. En tout cas, je n'ai pas d'écho de grandes difficultés. Cela a nécessité un accompagnement interne important, et je resterai vigilante sur ce point.
Plus généralement, le dialogue social est un sujet clé, que j'ai toujours pris très au sérieux dans mes fonctions. Dans ce domaine, je compte mettre en place toutes les conditions d'un dialogue social respectueux de chacun, avec un suivi rigoureux des demandes portées à la connaissance de la direction. Je veillerai également à me rendre régulièrement sur le terrain pour rencontrer les salariés.
Ce sera un sujet d'attention pour moi, dans un contexte de tensions sociales globales et de fortes contraintes budgétaires. Plus que jamais, il faut accompagner, être à l'écoute et surtout partager nos orientations afin d'embarquer chacun dans notre projet pour l'organisme.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Madame Etienvre, nous vous remercions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Anne-Isabelle Etienvre aux fonctions d'administratrice générale du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons achevé l'audition de Mme Anne-Isabelle Etienvre, candidate proposée par le Président de la République pour exercer les fonctions d'administratrice générale du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.
Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.
Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Il est procédé au vote.
Après dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Anne-Isabelle Etienvre à la fonction d'administratrice générale du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), simultanément à celui de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, le résultat est le suivant :
Nombre de votants : 28
Bulletin blanc : 2
Suffrages exprimés : 26
Pour : 24
Contre : 2
La compétitivité de la filière bois française - Examen du rapport d'information
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - J'invite Mme Anne-Catherine Loisier et M. Serge Mérillou à nous présenter leur rapport sur la compétitivité de la filière bois française.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Madame la présidente, je vous remercie de nous avoir confié la rédaction de ce rapport, pour lequel nous avons réalisé un important travail et auditionné une soixantaine de personnes.
Mes chers collègues, dans les travaux de notre commission sur les contraintes à lever pour redresser notre économie, nous avions exploré l'agriculture, l'énergie, et nous explorerons bientôt l'automobile et le logement. Nous ne nous étions pas encore penchés sur la compétitivité de la filière bois.
Discrète mais stratégique, cette filière représente 440 000 emplois, soit davantage que l'industrie automobile, et irrigue l'ensemble du territoire. Comme les filières industrielles que j'ai citées, la filière bois va au-devant de grandes mutations. Elle pèse à elle seule pour 10 % du déficit commercial de notre pays, soit 8,5 milliards d'euros, tandis que l'agriculture et l'agroalimentaire, pourtant jugés en difficulté, restent excédentaires à hauteur de 5 milliards d'euros.
Un rapport sénatorial de 2015 évoquait, sur ce point, un « modèle de pays en développement » : la France, riche de 17,5 millions d'hectares de forêts métropolitaines - auxquels s'ajoutent 8 millions d'hectares en Guyane - exporte sa matière première pour la voir revenir sous forme de produits finis - je pense notamment à l'ameublement et au parquet.
Comment une forêt plus étendue que celle de l'Allemagne peut-elle générer un déficit aussi important ? Comment optimiser la valorisation de la ressource bois issue de nos forêts au bénéfice de notre économie ? Ce sont les questions auxquelles nous avons voulu répondre, et qui nous conduisent à formuler vingt-quatre recommandations.
M. Serge Mérillou, rapporteur. - Mes chers collègues, trois partis pris ont guidé notre démarche.
Premièrement, nous avons centré notre approche sur l'économie de la filière bois, c'est-à-dire essentiellement l'aval, alors que nous avons pour habitude de parler beaucoup de l'amont. Le point de vue que nous adoptons est donc, en quelque sorte, celui des transformateurs de bois.
Deuxièmement, nous croyons que le bois, matériau bas carbone, est un levier pour réconcilier écologie et économie. L'optimisation du rendement matière est à la fois une exigence environnementale, pour allonger la durée de vie des produits bois, et un défi de compétitivité, pour créer plus de valeur ajoutée, qui doit tous nous mobiliser.
Troisièmement, nous avons préféré une approche ciblée à un énième rapport global. Ainsi, cinq produits emblématiques nous ont servi de portes d'entrée.
Le rapport est structuré en quatre parties. Nous présentons, tout d'abord, ces cinq produits. Ensuite, nous revenons sur les défis transversaux de la première transformation. Nous abordons, pour suivre, la question du bouclage biomasse, qui agite toute la filière, avant de conclure sur les leviers de mobilisation du bois en forêt.
Je commence donc par notre première partie et notre approche par produit.
Le premier produit est la façade et le mur à ossature bois. Le bois d'oeuvre charpente toute la filière par sa forte valeur ajoutée. Or la France accusait un retard important sur le volume de bois séché et sur les bois techniques par rapport à l'Allemagne ou à l'Autriche. Avec l'accent mis sur le triptyque scier-sécher-transformer, nous avons rattrapé une petite partie du chemin depuis 2020. À titre d'exemple, la première usine de lamibois de France est en train de sortir de terre en Haute-Loire. La part de bois dans la construction neuve reste cependant faible - moins de 7 % -, freinée non tant par le coût que par un manque d'acculturation des maîtres d'ouvrage.
Nous recommandons notamment de faciliter la reconnaissance des solutions d'effet équivalent aux normes incendie, un dossier qui nous a fait prendre du retard.
Nous voudrions aussi encourager les collectivités à bonifier les isolants biosourcés en complément de MaPrimeRénov', ce que préconisait déjà le rapport de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique de Guillaume Gontard et Dominique Estrosi Sassone. À terme, il faudra sans doute élargir la réglementation environnementale 2020 (RE2020) à la rénovation, car 80 % de la ville de demain est déjà construite.
J'en viens au deuxième produit, l'ameublement et le parquet. Plus de 3 milliards des 8,5 milliards d'euros de déficit proviennent du seul ameublement. La part du meuble français sur notre marché est passée de 77 % à 37 % en vingt-cinq ans. Ce recul s'amplifie aujourd'hui avec la « fast déco » importée à bas coût. Nous préconisons des mesures d'urgence pour temporiser - frais de 2 euros par colis, contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), communication négative sur les non-conformités constatées - et surtout le recours à la réglementation antidumping européenne, qui devrait devenir plus automatique, pour riposter.
Le troisième produit est la palette, segment où la France est bien positionnée. Elle constitue aussi un bon levier de diversification pour les scieries et un vecteur de contrôle de la chaîne logistique pour notre industrie.
Concernant le quatrième produit, le papier pour carton ondulé, la papeterie est le premier poste de déficit bois, à hauteur de 4 milliards d'euros. L'exemple du site de production Blue Paper à Strasbourg, que nous avons visité avec Anne-Catherine Loisier, montre qu'il est possible de maintenir ce type de site en France. Mais dans ce secteur, très internationalisé, les arbitrages dépendent beaucoup des coûts de production, et notamment du coût de l'énergie. Le cadre post-Arenh, c'est-à-dire après l'instauration du dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, sera donc déterminant.
J'en viens enfin au cinquième et dernier produit, les granulés bois. Trois fois moins chers que l'électricité, ils sont une solution réaliste de transition énergétique, notamment dans les zones non raccordées au gaz et pour remplacer des foyers peu performants à des fins d'amélioration de la qualité de l'air. Une meilleure reconnaissance des projets respectant ces deux conditions dans MaPrimeRénov' nous paraîtrait bienvenue.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - J'en viens au deuxième volet, celui des défis transversaux de la première transformation.
Le bois souffre des maux classiques de l'industrie française : fiscalité peu incitative, voire discriminante, et charges sociales élevées. Un basculement vers une fiscalité plus environnementale bénéficierait à ce matériau. Une taxe carbone aux frontières permettrait aussi de limiter l'importation de produits beaucoup plus émissifs, à l'instar du parquet transformé en Chine, qui émet quatorze fois plus de CO2 que celui qui est transformé en France.
La question des compétences est également cruciale. Il y a pénurie dans les métiers du bois, mais aussi, et surtout, dans la maintenance et l'électromécanique. Les propositions du rapport Bozio-Wasmer sur la « désmicardisation », dont les syndicats nous ont parlé la semaine dernière, devraient permettre de mieux cibler les exonérations sur l'emploi intermédiaire et donc industriel.
Plus spécifiques à la filière, deux grands types de normes entravent ou risquent d'entraver la compétitivité du bois français.
Tout d'abord, sur la traçabilité, le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE), entrera en vigueur le 30 décembre 2025. La France continue seule contre vingt-quatre États membres à le défendre, car il s'agissait d'une mesure miroir adoptée sous présidence française de l'Union européenne. Une proposition de résolution européenne discutée aujourd'hui même au Parlement européen vise à créer une catégorie « risque nul » réservée aux pays européens. En effet, le Brésil et d'autres pays d'Amérique du Sud sont classés en « risque standard ». Or ce différentiel très faible entre eux et nous sera préjudiciable à nombre de pays européens, notamment la France. Alors qu'il s'agissait de lutter contre la déforestation importée et l'huile de palme, nous risquons d'imposer plus de contraintes à nos entreprises : nous marchons sur la tête... En effet, 100 % de nos entreprises seront assujetties à ces normes, mais seules les filières exportatrices des États tiers le seront. L'incidence sur la compétitivité de nos productions sera majeure. Sans rouvrir le texte en tant que tel pour ne pas créer d'insécurité juridique, nous formulons donc quatre propositions d'aménagement de ce règlement, en complément de la motion discutée aujourd'hui.
Ensuite, il existe des normes sur le bois en fin de vie, qui représente une ressource importante en volume pour satisfaire aux nombreuses demandes. Nous sommes les seuls au monde à avoir soumis le bois à la responsabilité élargie du producteur (REP) du bâtiment. Nous espérons que les amendements que j'ai fait adopter en séance au Sénat sur l'écocontribution réduiront ce poids qui met en difficulté nos producteurs.
Au-delà de ces deux dossiers, il y a les normes du quotidien, qui imposent parfois une forme de harcèlement administratif à certaines de nos industries. Je pense par exemple aux murs coupe-feu exigés par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). D'expérience, des rendez-vous territoriaux de simplification, sous l'égide des préfets, et en présence des élus locaux, pourraient aplanir bien des difficultés.
Le sujet de l'assurabilité devient existentiel pour les scieries. Certaines ne sont aujourd'hui que partiellement assurées : c'est une véritable épée de Damoclès qui pèse sur leur activité au quotidien. Pour les grands groupes, des captives, formes d'autoassurance, peuvent exister et pourraient être accompagnées par les pouvoirs publics. Mais pour les petites et moyennes entreprises (PME), il faudrait faire reconnaître aux assureurs la validité de solutions alternatives au sprinklage, de moindre envergure et donc moins coûteuses, comme les détecteurs de fumée précoces.
Enfin, la modernisation des outils industriels est essentielle. Les appels à projets France 2030 centrés sur l'industrie du bois ont permis, avec 500 millions d'euros d'argent public, de générer 2 milliards d'euros d'investissements privés et de créer 3 000 emplois en l'espace de trois ans. Ce fort effet de levier témoigne d'un besoin d'investissements majeur dans cette industrie et justifie la poursuite du dispositif.
Dans un contexte budgétaire contraint, à défaut, une alternative serait la provision pour investissement, sur le modèle allemand. L'ensemble des acteurs pousse fortement en ce sens. Elle préserverait une dynamique d'investissement, pour les grandes comme pour les petites scieries, lesquelles sont souvent hors d'atteinte des appels à projets, avec des critères beaucoup plus simples. Bercy freinera mais, en fin de compte, la provision pour investissement, grâce à son effet de levier, ne fera que reporter les recettes. Pour nous, c'est un élément essentiel pour que la filière poursuive sa modernisation.
J'en viens au troisième volet de notre rapport, qui concerne le bouclage biomasse.
Le principe européen de « cascade des usages » correspond d'abord à un bon usage économique de la ressource. Naturellement, la charpente est mieux payée que la palette, elle-même mieux payée que le bois de chauffage. Dans la transposition de la directive dite RED III du 18 octobre 2023, nous préconisons donc de ne pas aller au-delà de ce que font nos voisins. Si nous imposons des contraintes supplémentaires, nos industries auront du mal à résister.
Si l'essor du bois-énergie prive d'approvisionnement d'autres usages, il faut plutôt agir sur le signal-prix. Par exemple, nous pourrions rééquilibrer, dans l'ensemble des appels à projets bénéficiant au bois, le financement qui va aux usages « matière » : il n'est aujourd'hui que de 25 %, en raison notamment du poids de l'appel à projets « biomasse chaleur pour l'industrie, l'agriculture et le tertiaire » (BCIAT), qui subventionne des unités de biomasse pour décarboner l'industrie. Nous préconisons de rééquilibrer ces financements publics et de tendre à 50 % afin d'éviter que l'usage pour le bois-énergie ne soit mieux rémunéré qu'un usage long.
Par ailleurs, nous demandons de faire preuve de vigilance sur certains appels d'air qui devraient être objectivés et mieux encadrés, en se penchant mieux sur la question des volumes dans le temps. Ainsi, la centrale de Gardanne doit être accompagnée en douceur vers l'arrêt de son activité dans huit ans. Il faut être clair quant au fait que la filière ne pourra durablement fournir les volumes suffisants pour les carburants d'aviation durables, dits SAF (Sustainable Aviation Fuel), à base de bois, au-delà de 2030. Enfin, le choix de décarboner certains des cinquante plus grands sites industriels par la biomasse solide doit être envisagé au cas par cas. Il faut bien faire la part des choses.
Les cellules régionales biomasse doivent être renforcées, et leur expertise consolidée. La régulation des projets nouveaux, en lien avec les professionnels des territoires, par des avis conformes de ces cellules sur les décisions du préfet portant sur les plans d'approvisionnement, permettrait à la fois de sécuriser la filière et de valoriser les usages matière, plus créateurs de valeur.
Enfin, la très ambitieuse trajectoire d'augmentation de 12 millions de mètres cube par an du programme national de la forêt et du bois, élaboré en 2016, n'a pas été respectée, pour plusieurs raisons. Elle doit donc être réajustée. Plutôt qu'un volume de bois à sortir de forêt, il serait plus pertinent de se fixer des objectifs de volume de bois d'oeuvre - sciage, déroulage - et de bois d'industrie transformé sur le territoire national et donc générateur de valeur ajoutée. L'acceptabilité sociétale de l'exploitation du bois et de la transformation du bois en sera renforcée.
M. Serge Mérillou, rapporteur. - J'en viens au dernier axe de ce rapport. Une fois qu'une trajectoire plus réaliste et pertinente de mobilisation est adoptée, comment atteindre l'objectif et valoriser mieux le bois de nos forêts ?
Contrairement aux idées reçues, la France n'est pas le grenier à bois de l'Europe. La forêt allemande, qui est deux fois plus dense, connaît trois cycles de récolte quand la France n'en connaît qu'un, car elle est plus résineuse. Elle est par ailleurs plus adaptée aux prérequis de l'industrie.
L'exploitation y est plus facile, car la forêt allemande est une forêt de plantation en plaine. En France, seulement 13 % de la surface est issue de plantations, et la géographie physique ou encore la desserte compliquent la donne.
Les entreprises de travaux forestiers, qui sont plus fragiles en France, car plus isolées, souffrent d'une saisonnalité accrue, avec les intempéries en automne et la nidification au printemps. Les missions interservices de l'eau et de la nature (Misen), sous l'autorité du préfet, pourraient contribuer à limiter les risques d'infraction sur les chantiers, en définissant avec les professionnels des cahiers des charges a priori.
Sur le terrain, deux freins organisationnels subsistent.
Le premier, bien connu, est le morcellement de la propriété : il faut encourager la gestion collective, via les coopératives ou les experts forestiers, par une bonification à leur avantage du dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement (Defi) « travaux » et par une meilleure coordination entre l'Office national des forêts (ONF) et les gestionnaires privés par massif, plutôt que d'entreprendre un hypothétique remembrement forestier, qui serait trop long et coûteux.
Le second est le manque de contractualisation : en sécurisant les flux, la vente de bois façonné « bord de route », trié en lots homogènes, permettrait à nos scieries, sur le modèle de l'Allemagne, de se concentrer sur leur coeur de métier, à savoir la transformation, et par ailleurs de limiter l'export de nos meilleurs chênes.
Reste enfin le sujet de l'adaptation au changement climatique.
Les crédits en faveur de la planification écologique pour la forêt, dont fait partie le plan de renouvellement forestier, doivent être maintenus à 130 millions d'euros pour donner de la visibilité aux parties prenantes. Dans les forêts scolytées, notamment communales, l'absence de renouvellement forestier est d'autant plus regrettable que les coupes et replantations sont bénéfiques même à très court terme du point de vue du puits de carbone. Certaines lignes du plan, peu coûteuses, mais éminemment stratégiques, doivent être sanctuarisées : je pense en particulier au soutien à la filière graines et plants et aux mesures en faveur de l'aval.
Surtout, il faut cesser de vouloir adapter la forêt à l'industrie. C'est à l'industrie de s'adapter à la forêt. Cela implique, tout d'abord, la mise en oeuvre rapide du plan « Scolytes et bois de crise », pour faciliter le stockage et le transport face à des afflux qui seront de plus en plus imprévisibles avec la multiplication des coupes accidentelles et sanitaires. Ensuite, il faut soutenir les efforts de recherche et développement pour transformer les gros et très gros bois, car notre forêt vieillit, et mieux valoriser les essences dites « secondaires », car notre forêt est diversifiée et va l'être de plus en plus.
En ce sens, le maillage français de petites scieries de feuillus, certes aujourd'hui peu compétitives, est peut-être bien adapté à la forêt de demain, car il est plus flexible que les grandes unités industrielles allemandes. Il nous semble donc raisonnable de maintenir un équilibre entre grandes scieries industrielles et scieries de service, de proximité, sûrement plus orientées sur les feuillus et une diversité d'usages.
On connaît l'importance de la forêt dans l'adaptation au changement climatique : mais celle-ci contribue également à l'atténuation et à la politique de préservation de la biodiversité. À ce titre, la gestion durable, pour peu qu'elle soit accompagnée de quelques mesures de financement novatrices, par exemple européennes, à l'exemple des mesures agroenvironnementales et climatiques de la politique agricole commune, pourrait encourager ceux qui s'y engagent.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Pour conclure ce rapport sur une note d'espoir, nous croyons que la filière bois française bénéficie de deux atouts phares.
Tout d'abord, elle dispose d'une forêt d'une richesse exceptionnelle et d'un matériau unique pour son potentiel de création de valeur et de décarbonation, et qui, sous ses multiples formes, ne demande qu'à être davantage valorisée sur le territoire national.
Ensuite, nous avons la chance d'avoir des acteurs économiques engagés, qui prennent des risques, et qui ne demandent que deux choses : être aidés pour investir et se moderniser et ne pas être entravés dans leur activé par une couche supplémentaire de normes administratives, plus contraignante que celles auxquelles doivent se soumettre leurs voisins européens.
Depuis 2020 puis, grâce, notamment, aux Assises de la forêt et du bois de 2022, un élan a été donné, notamment du point de vue des financements publics. Mais l'ensemble des acteurs entendus nous ont fait part d'une demande de cohérence et de continuité. La forêt est un investissement à long terme : l'effort a commencé il y a quelques années. Chers collègues, continuons à soutenir cette forêt pleine d'avenir !
M. Daniel Gremillet. - Je remercie les rapporteurs pour ce travail, dont je partage les conclusions.
Je vous rejoins totalement sur la recommandation n° 8 : nous formons trop de personnes sur la dimension environnementale de la forêt, mais nous manquons terriblement de compétences pour ce qui est de la production et de la connaissance du matériau, tant dans les exploitations forestières que dans les entreprises. Il est essentiel d'y remédier : sans cela, tous les moyens investis dans la forêt - qui ont atteint un niveau bien supérieur à tout ce que nous avions connu les années précédentes - se solderont par un gâchis monstrueux. Il ne suffit pas de planter : il faut aussi que des hommes et des femmes soient formés en sylviculture et en transformation du bois.
Sur la REP, je vous rejoins également : il y a une forme de distorsion concernant l'utilisation du bois dans le paysage normatif français par rapport à nos concurrents européens, notamment allemands.
La contractualisation, sur laquelle vous insistez dans la recommandation n° 20, est en effet clé. La spéculation ne peut apporter une réponse pour valoriser le bois : en temps de crise, ce ne sont pas les Chinois, mais bien les entreprises locales, qui soutiennent la filière. Il faut que tout le monde l'entende.
Concernant la recommandation n° 21, n'aurions-nous pas intérêt à confier la compétence de définir les cahiers des charges pour la réduction des risques d'infraction au code de l'environnement aux préfets de département ? L'échelle régionale me paraît en effet trop vaste pour embrasser la réalité de chaque territoire.
Quant à la recommandation n° 24, à laquelle je souscris, je vous propose d'instaurer, dans nos différentes régions, en lien avec les entreprises et les collectivités, des aires de stockage. Lors de la tempête de 1999, nous avions financé des aires de stockage. Mais lorsque le bois qui y était conservé a été transformé, elles ont été détruites. La région Grand Est, dont je suis vice-président sur les questions agricoles et forestières, a créé des aires de stockage qui ont vocation à durer, en lien avec les entreprises. Cela permet d'utiliser en priorité les bois malades ou provenant des dégâts d'une tempête.
Enfin, il y aurait beaucoup à gagner à développer une véritable politique sanitaire de la forêt, comme celle qui existe pour l'élevage. Les scolytes en sont l'éternel exemple : une intervention précoce aurait permis d'éviter la propagation de la maladie, sachant que de nouvelles attaques se profilent désormais. Il y a soixante ans, lorsqu'un arbre était attaqué par le bostryche, le préfet ordonnait qu'il soit coupé et brûlé : c'est ainsi que la propagation des scolytes a été évitée.
Mme Marie-Lise Housseau. - Nous pouvons sans doute faire mieux sur la communication, un aspect que ne semble pas traiter votre rapport. Il faudrait communiquer sur le fait que la forêt est aussi un outil de production. Dans mon département, les coupes font l'objet de nombreuses critiques, au motif qu'elles dévasteraient les paysages. Les forestiers en viennent parfois à interdire l'accès aux massifs. Il faudrait donc rappeler que la forêt sert à produire du bois.
Je crois par ailleurs qu'aujourd'hui, le plus gros risque qui menace la forêt, ce sont les incendies, et plus seulement sur le pourtour méditerranéen. Or les forêts ne sont pas suffisamment équipées pour répondre à ce risque.
Mme Micheline Jacques. - Je sais l'attachement que porte Anne-Catherine Loisier à la forêt ultramarine, notamment guyanaise. Nous proposerons à la délégation aux outre-mer, que je préside, de travailler sur l'exploitation de cette forêt, à la rentrée.
Plus largement - pardonnez-moi si ma question n'est pas pertinente -, j'aimerais savoir si l'on parvient à valoriser le bois abîmé par les incendies ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Monsieur Gremillet, je suis d'accord avec vous sur la recommandation n° 21. Il est dans la logique des choses de confier à chaque préfet de département la définition du cahier des charges.
Concernant les aires de stockage, il est en effet dommage qu'elles soient seulement construites en période de crise puis abandonnées.
La politique sanitaire de la forêt commence à se mettre en place. Dans mon département, par exemple, les acteurs commencent à travailler en réseau pour détecter les cas de scolyte sur les sapins de Douglas.
Concernant l'acceptabilité de la production, plutôt que de continuer sur un objectif national de prélèvement de bois de nos forêts, nous proposons de fixer des objectifs en bois d'oeuvre, bois d'industrie et, accessoirement en bois-énergie : c'est ainsi que les personnes qui fréquentent les forêts comprendront l'usage économique et sociétal qui est fait du bois prélevé.
Sur le volet incendie, j'invite notre collègue à se pencher sur la loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, issue des travaux de notre commission et de ceux de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et que j'avais rapportée avec MM. Rietmann et Martin, sous la présidence de M. Bacci. Ce texte très complet porte à la fois sur le volet assurantiel, sur la gestion forestière - diversification des essences -, sur le débroussaillement, et traite de l'usage des bois issus des parcelles incendiées, qui, je vous le confirme, peuvent conserver leurs propriétés mécaniques et être réutilisés à certaines conditions.
M. Serge Mérillou, rapporteur. - Il y a un véritable besoin de formation, non seulement pour l'exploitation de la forêt, mais également pour la transformation du bois, en lien avec ce matériau et avec les équipements qui permettent sa transformation. Je pense notamment aux techniciens, aux électromécaniciens et même aux ingénieurs.
Concernant la communication, il est vrai que la forêt est devenue un enjeu sociétal. Les gens ont un fort attachement à la dimension paysagère de la forêt et en parlent parfois comme s'ils en étaient propriétaires !
Je crois aussi que les incendies sont l'un des principaux risques qui menacent la forêt, outre les scolytes. Il arrive que des milliers d'hectares disparaissent d'un coup, même si, comme l'a dit Anne-Catherine, une partie du bois peut être récupérée.
Concernant la recommandation n° 21, nous avons considéré que rien n'empêcherait les préfets de région de faire le point avec leurs préfets de département.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous propose de voter les recommandations.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
Projet de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer - Désignation de rapporteurs
La commission désigne M. Frédéric Buval et Mme Micheline Jacques rapporteurs sur le projet de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer.
La réunion est close à 12 heures.