Mercredi 24 septembre 2025

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 50.

Moyens de renforcer l'efficacité de la lutte contre le trafic des espèces protégées - Examen du rapport d'information

M. Jean-François Longeot, président. - Bien que nous nous soyons déjà retrouvés la semaine dernière pour procéder à la désignation d'un rapporteur, c'est ce matin que nous reprenons réellement nos travaux parlementaires, avant de pouvoir nous atteler à nouveau à des travaux législatifs, quand le Gouvernement sera nommé.

Nous sommes réunis pour l'examen du rapport d'information de notre collègue Guillaume Chevrollier sur les moyens de renforcer l'efficacité de la lutte contre le trafic d'espèces sauvages et protégées, sujet aussi méconnu que préoccupant.

Tous ceux qui ont participé au déplacement de la commission en juin 2024 à l'aéroport Charles-de-Gaulle le savent, l'importation massive et quasi ininterrompue d'espèces protégées et de viande de brousse par la voie aérienne constitue un véritable fléau. Nous avions alors rencontré des douaniers désemparés, en première ligne face à cette submersion silencieuse qui embolise nos capacités d'interception et fait peser de sérieuses menaces sur notre sécurité sanitaire, environnementale et économique.

À l'arrivée de certains vols, pas moins d'un bagage sur deux contient des produits carnés, dont l'importation est pourtant strictement prohibée par le droit européen. La plupart des passagers en situation d'infraction affirment en outre ignorer l'interdiction ; cette méconnaissance réglementaire sur laquelle prospère le trafic ne peut et ne doit plus durer. Quant aux trafiquants qui importent des produits de façon illicite en toute connaissance de cause, nous devons mobiliser contre eux un arsenal répressif agile et dissuasif, car ces trafics constituent l'une des grandes causes de l'érosion de la biodiversité.

Lors du déplacement de la commission, j'ai pris toute la mesure de ce phénomène et de la nécessité de trouver des solutions pour y répondre : notre pays ne saurait rester plus longtemps une passoire ; les risques sont trop importants. Il s'agit non pas de juger les voyageurs qui consomment ces produits pour des raisons culturelles, mais de mettre fin à des flux porteurs de menaces pour la santé humaine et animale, qui peuvent être à l'origine de zoonoses ou d'épizooties. Que l'on se rappelle seulement que la covid-19 est probablement originaire d'un marché d'animaux sauvages à Wuhan ou que la pandémie du sida est due à la manipulation de viande de singe infectée par le virus souche du VIH. C'est dire si les enjeux sont massifs et l'urgence d'agir bien attestée.

Je tiens à remercier le rapporteur, Guillaume Chevrollier, de son implication et de la qualité de son rapport. Il a entendu tous les acteurs de la lutte contre ce trafic, des vétérinaires et des experts de sécurité sanitaire et environnementale, en se rendant à nouveau à l'aéroport de Roissy à la rencontre des douaniers. Lors de notre première visite, l'un d'entre eux m'avait dit : « Merci de votre visite ; mais de nombreux politiques sont venus sans qu'il n'y ait jamais de suite... » Cela m'a marqué. Je lui ai promis qu'il y aurait une suite. Au cours de leurs contrôles, les douaniers laissent passer des personnes dont ils sont sûrs qu'ils transportent des produits illicites, parce qu'ils sont déjà en train de contrôler des voyageurs et qu'ils ne peuvent pas vérifier tous les bagages. Il faut vraiment les accompagner.

Le rapporteur formule des recommandations pour en finir avec cette bombe à retardement qu'est le trafic incontrôlé d'espèces sauvages et protégées, hautement lucratif et pourtant peu risqué pour les trafiquants. Nous devons mettre fin à notre candeur coupable et changer d'échelle. C'est précisément ce que vous proposera le rapporteur, qui fait à mon avis oeuvre utile, alors que le sujet n'a pas la résonance médiatique qu'il mérite. Ce phénomène doit sortir des soutes des avions afin d'être mis en lumière dans le débat public. J'espère que ce rapport y contribuera...

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Comme le président vient fort justement de le rappeler, la problématique abordée par les travaux de contrôle qui nous occupent ce matin, le trafic d'espèces sauvages et protégées, ne bénéficie pas de la lumière médiatique ni de l'attention politique qu'elle mériterait, même si, au cours d'une mission de suivi sur la pandémie de Covid, j'avais engagé des travaux sur ce sujet et alerté sur les dangers zoonotiques. Cette problématique est à la confluence de multiples enjeux et porteuse de sérieuses menaces pour la santé publique, tant humaine qu'animale.

Vous savez, comme moi, que l'action publique n'apporte de solutions efficaces que si les problèmes à résoudre sont décrits, analysés et identifiés comme tels par la société, qui doit avoir conscience des enjeux, des menaces et du coût de l'inaction ; on peut faire le parallèle avec la situation budgétaire. En dépit des risques multiples dont il est porteur, le trafic d'espèces sauvages prospère à bas bruit et progresse dans l'ombre, faute d'être considéré pour ce qu'il devrait être : un enjeu sanitaire, environnemental et économique à part entière. Mon rapport d'information vise, par ses constats et ses recommandations, à mettre fin à cette méconnaissance et à ériger la lutte contre ce trafic d'espèces sauvages et protégées au rang de devoir sanitaire.

Comment me suis-je forgé cette conviction ? Au terme d'une vingtaine d'auditions, auxquelles vous avez été conviés, après avoir entendu plus d'une cinquantaine d'experts, de scientifiques et de douaniers et à l'issue d'un déplacement à l'aéroport Charles-de-Gaulle en juillet dernier, après un précédent déplacement de la commission à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, quelques mois plus tôt, tout indique, depuis les données statistiques jusqu'au sentiment des acteurs de la lutte, que la France échoue à endiguer les flux d'animaux vivants, de produits carnés et de marchandises illicites que ce trafic charrie ; nous échouons à trouver les réponses adéquates pour réagir face à ce phénomène multifactoriel, tentaculaire, adaptatif et transnational.

De quoi parle-t-on ? D'un trafic mondial, qui affecte plus de 4 000 espèces animales et végétales dans plus de 160 pays ; d'un commerce illicite dont les autorités douanières, tous pays confondus, ont réalisé entre 2015 et 2021 plus de 13 millions de saisies, pour un volume intercepté supérieur à 16 000 tonnes ; d'une activité illicite extrêmement lucrative, générant des flux financiers supérieurs à 20 milliards de dollars par an, même si on peut trouver d'autres estimations variant au sein d'une fourchette entre 7 et 23 milliards.

On parle aussi d'un trafic avec de puissants moteurs, qui répond à une demande qui ne faiblit pas, alimentant un large éventail de secteurs et de débouchés : consommation alimentaire, médecine traditionnelle, mode des nouveaux animaux de compagnie relayée par de nombreux influenceurs, collection de plantes ornementales, vogue des cabinets de curiosités qui rappelle d'autres époques, le tout nourri par de puissantes incitations sur les réseaux sociaux ; d'un trafic bien implanté et en développement dans notre pays, qui constitue à la fois un pays de départ, un pays d'arrivée et un pays de transit, grâce à ses hubs maritimes et aéroportuaires qui assurent une excellente connectivité avec l'Asie, l'Afrique et les Amériques. Notre territoire n'est pas indemne de ce trafic : je pense notamment à la très lucrative contrebande de civelles en Vendée et sur le pourtour du Golfe de Gascogne, mais également aux espèces exotiques des outre-mer, telles que les perroquets, les reptiles, les coraux ou certaines plantes protégées.

On parle en outre d'un trafic qui embolise nos capacités d'interception douanière - en 2024, plus de 98 000 espèces protégées par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites) ont été saisies, dont 3 500 d'origine animale - ; d'un trafic à deux visages : les espèces protégées au titre de la Convention de Washington, car menacées d'extinction en cas d'exploitation non durable, et le trafic de « viande de brousse », soit la viande d'animaux sauvages en provenance d'Afrique qui recouvre une grande variété d'espèces - singes, pangolins, porcs-épics, rongeurs, chauves-souris, antilopes, serpents -, qui arrivent en quantité significative dans nos aéroports, transportés dans des glacières.

Chaque année depuis 2018, les services douaniers constatent en moyenne 2 500 infractions et saisissent 22 tonnes de viande domestique ou sauvage, principalement dans les aéroports. Une étude scientifique conduite en partenariat avec la douane, dont les résultats n'ont pas encore été publiés, fait état d'un volume annuel estimé à 475,5 tonnes, soit plus de 9 tonnes par semaine. Ces résultats suggèrent que nous faisons face à un trafic non jugulé : seulement 0,6 % de la viande de brousse transitant par Charles-de-Gaulle serait saisie...

Voilà pour le constat chiffré, dont vous conviendrez qu'il dessine un tableau assez sombre. Il s'obscurcit encore si l'on s'intéresse à présent aux risques et menaces que ce trafic fait peser, qui sont principalement de trois ordres.

Une menace pour la santé humaine et animale d'abord : sur le plan sanitaire, les produits circulant dans le cadre de ce trafic échappent à toute chaîne de contrôle vétérinaire ou de quarantaine, augmentant ainsi le risque d'introduction d'espèces vectrices de maladies zoonotiques ou épizootiques sur le territoire national. On estime que 60 % des maladies infectieuses affectant l'humain sont d'origine animale, et 70 % des maladies émergentes sont issues de la faune sauvage, dont certaines pouvant aboutir à une pandémie ou du moins à des impacts sanitaires et économiques très graves pour les sociétés concernées. Comme l'a rappelé le président, les émergences du syndrome respiratoire aigu sévère (Sars) de type 1 et 2, du virus de l'immunodéficience humaine (VIH), d'Ebola ou de la variole du singe (Monkeypox) sont toutes liées à la consommation de viande de brousse. On suspecte également la covid-19 d'être en lien avec le marché d'animaux sauvages de Wuhan. Il s'agit donc d'un risque non pas hypothétique, mais fort grave. Les risques sont également significatifs pour l'agriculture, si importante dans notre pays, en particulier l'élevage, à travers les épizooties : les agents pathogènes issus de la faune sauvage peuvent provoquer des maladies graves chez l'animal, avec des taux de morbidité et de mortalité élevés, susceptibles de conduire à l'abattage de tout un cheptel.

Ce trafic constitue ensuite une source de pression majeure pour la biodiversité : selon la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) - le « Giec » de la biodiversité -, le trafic d'espèces sauvages et de produits de la pêche illégale constitue l'une des principales menaces pour la biodiversité. Les prélèvements non durables contribuent à accroître le risque d'extinction de 28 % des espèces menacées ou quasi menacées. Ce trafic est susceptible de neutraliser les efforts de conservation de la nature, d'affecter les ressources vivrières des communautés locales, d'endommager les équilibres écosystémiques en cas de prélèvements trop abondants d'espèces et de limiter l'efficacité des politiques de préservation de l'environnement mises en oeuvre par les États. La disparition d'espèces clés bouleverse les chaînes alimentaires, la régénération des forêts et d'autres services écosystémiques vitaux. Il peut s'ensuivre une perte de résilience, pouvant entraîner des cascades d'extinctions, la perturbation des services écosystémiques, telles que la pollinisation ou la régulation des parasites et favoriser l'introduction d'espèces exotiques envahissantes dans les pays de destination. On a souvent évoqué ce sujet au sein de notre commission.

Ce trafic constitue enfin une source de violence, car il alimente des réseaux criminels, permet le blanchiment d'argent pour d'autres trafics - c'est le quatrième trafic le plus important après la drogue, les armes, les êtres humains - et peut entraîner le décès de gardes forestiers : le caractère très lucratif de ce commerce illégal conduit en effet les trafiquants à opérer en bande armée en prenant des risques importants.

On l'aura compris, la lutte contre le trafic d'espèces sauvages est une course contre la montre, pour éviter que les risques dont ce trafic est porteur se matérialisent. Du fait de son volume, de son intensité et de la congestion douanière qu'il provoque au sein des aéroports, ce trafic constitue l'exemple même d'une bombe à retardement sanitaire.

En ce cas, comment expliquer l'impuissance de notre pays à juguler ce trafic ? J'avancerai ici quelques explications.

Le trafic trouve son premier moteur dans la croissance du transport aérien de voyageurs, qui alimente une augmentation arithmétique des flux illicites transportés. Le volume colossal de passagers et de fret transitant par les points d'entrée aéroportuaires, combiné à la nécessité de garantir un flux rapide pour éviter les retards, rend ainsi inenvisageable un contrôle systématique et approfondi des bagages. Ce facteur explique la porosité du passage en frontière, en dépit de la mobilisation à saluer des douaniers, dont nous avons reçu l'ensemble des représentants syndicaux ou presque.

La mésinformation des voyageurs participe à notre échec de réduction des flux du trafic : la connaissance des interdictions n'est pas ancrée dans l'esprit des passagers. L'information relative à l'interdiction d'entrée de produits carnés et d'animaux protégés sur le territoire français est trop discrète, trop tardive et trop technique.

Un autre facteur explicatif tient à la difficulté, pour les autorités douanières et la justice, à mettre en oeuvre une réponse pénale réactive, dissuasive et proportionnée à la gravité des menaces sanitaires. De plus, l'éparpillement des moyens de la lutte et l'implication d'un grand nombre de ministères contribuent à une coordination lacunaire et à la dilution des responsabilités.

Enfin, l'organisation et la structuration des réseaux criminels transnationaux qui se livrent à cette activité criminelle expliquent aussi notre échec : les modes opératoires agiles des trafiquants s'enchevêtrent avec d'autres trafics, mobilisent des moyens humains significatifs, des « mules » aux têtes de réseau, s'hybrident avec d'autres modes de transport, notamment le fret et les colis postaux, qui dépendent d'une autre chaîne de contrôle. De plus, la corruption et la faiblesse des cadres juridiques des pays sources permettent aux trafiquants d'exploiter les failles, d'échapper aux poursuites et d'utiliser les capacités de transports publics de voyageurs. On assiste à un glissement progressif d'un marché de niche vers un phénomène criminel plus diffus et mondialisé, difficile à endiguer à moyens douaniers et judiciaires constants.

Une fois dressé ce panorama et dessinée cette cartographie des risques et des lacunes de l'action publique, il me reste à vous proposer les solutions et les évolutions possibles que j'ai identifiées au cours de mes travaux, afin de réduire drastiquement les flux qui congestionnent nos capacités douanières au sein des aéroports.

Comme je l'ai souligné tout à l'heure, ce trafic constitue non seulement une grave menace pour la biodiversité et l'économie légale, mais aussi et surtout pour la santé publique et la sécurité sanitaire mondiale. Les efforts à mettre en oeuvre découlent à mes yeux de l'obligation qui incombe à l'État et aux pouvoirs publics de protéger la santé publique et l'agriculture.

Je préconise en premier lieu de changer d'approche pour faire face à ce trafic. Aujourd'hui, nous privilégions une logique d'interception, à l'arrivée, quand les marchandises illicites et les produits carnés sont détectés dans les bagages voyageurs : cela revient à écoper la mer à la petite cuillère, si j'ose dire. Il serait bien plus judicieux de rechercher les mesures transformatrices à la source du trafic, avec les pays de départ, via la coopération internationale et diplomatique, pour éviter que ces produits ne soient dirigés vers la France. En outre, les trafiquants opèrent désormais à l'échelle mondiale, en exploitant les failles des législations nationales et les lacunes des contrôles aux frontières : il est donc vain de miser sur les réponses isolées, qui sont inefficaces.

Pour cette raison, un renfort de la coopération avec les pays d'origine du trafic constitue un indispensable préalable, sur le plan tant du contrôle avant embarquement que des moyens répressifs employés contre les réseaux criminels. La décrue des flux générés par le trafic suppose une collaboration efficace et des efforts collectifs à l'échelle de tous les États de l'aire de répartition, de transit et de destination des espèces, ainsi qu'au travers de toute la chaîne de lutte contre la fraude.

Il me paraît également nécessaire de renforcer la coordination des acteurs nationaux chargés de la lutte, ainsi que l'échange de renseignements. La lutte contre le trafic d'espèces sauvages est une course contre la montre : elle exige une adaptabilité constante et une coordination sans faille des forces de l'ordre. Les difficultés ne tiennent pas à notre arsenal législatif et répressif, qui permet de sanctionner les trafiquants, mais découlent de la manière dont il est mis en oeuvre par des services douaniers embolisés par les flux des voyageurs et des marchandises, ainsi que par des juridictions engorgées, qui doivent par ailleurs répondre aux priorités pénales toujours plus nombreuses qui leur sont assignées. À cet égard, il semble opportun de systématiser les sanctions immédiates, sur la forme d'amendes perçues dès la constatation et la saisie, à travers l'outil de la transaction douanière, qui présente l'avantage d'être à la fois facile à mobiliser et dissuasive, sans recourir à des ressources judiciaires.

Les évolutions les plus transformatrices dans la lutte contre ce trafic ne seront pas de nature législative ni judiciaire, mais sont plutôt à chercher du côté du renforcement des moyens douaniers et de la coopération interservices. Pour lutter efficacement contre la criminalité environnementale, l'approche interministérielle et multidisciplinaire est indispensable, à travers la coordination des services de police et de gendarmerie, des juridictions spécialisées et de la société civile, pour que l'émiettement des moyens de lutte ne nuise pas à son efficacité.

Il me paraît également utile d'investir dans des capacités de détection renforcée, via des équipements de pointe : il est fondamental de renforcer les investissements en matière de recherche, de détection et d'analyse des produits et substances illicites. Il faut rendre le risque de se faire prendre si élevé que le trafic d'espèces sauvages deviendra moins attractif et moins profitable pour les criminels. Le facteur de dissuasion le plus efficace pour les trafiquants reste l'augmentation de la probabilité de la détection et de la saisie des marchandises. Le renforcement des moyens techniques à la disposition des douaniers répond ainsi à une logique d'efficacité et d'efficience. Le recours aux brigades cynophiles permettrait également des gains en matière de détection, tout en rendant le contrôle perceptible par les voyageurs.

J'ai identifié un axe majeur de progression en prenant la mesure de la méconnaissance réglementaire par les voyageurs et de la défaillance informative majeure mises en évidence par l'ensemble des acteurs. Cette situation suscite le désarroi des douaniers face au grand nombre de contrevenants d'ignorance. Il est indispensable de mettre en oeuvre une stratégie de martèlement des prohibitions de transport. Il est nécessaire d'oeuvrer à une information renforcée et lisible, à tous les stades du parcours voyageur, dès l'achat du billet. Pour être identifiée, comprise et retenue par les voyageurs, il est nécessaire que cette information soit visuelle, multilingue, omniprésente et répétée, de l'achat du billet jusqu'au passage en douane. Il faut graver dans l'esprit des voyageurs la règle « pas de viandes ni de produits animaux bruts », de la même manière que « pas d'armes ni de drogues ».

Cette intensification de la communication auprès des passagers est indispensable, mais ne permettra pas de toucher l'ensemble des voyageurs. Il me paraîtrait utile de réfléchir à l'opportunité d'instaurer une autodéclaration douanière obligatoire et simplifiée à remettre à l'arrivée pour les voyageurs en provenance des zones sensibles, engageant juridiquement la responsabilité du signataire, qui permettrait à la fois d'informer, de responsabiliser et de sanctionner rapidement les contrevenants. Certains États le font. Afin de ne pas créer de distorsion de concurrence, cette réflexion doit s'engager à l'échelle européenne. Les passagers devront aussi avoir la possibilité, dans la zone de récupération des bagages, de jeter leur marchandise avant les contrôles douaniers, dans des poubelles pour déchets représentant un risque biologique, afin d'inciter au dessaisissement volontaire sans sanction.

Il me semble également intéressant d'associer plus étroitement les acteurs du transport dans la lutte contre ce trafic. Leur sensibilisation et leur mobilisation sont essentielles pour réduire les flux générés et les risques associés. Je préconise d'inciter les compagnies à faire preuve de vigilance par rapport aux espèces protégées, au travers d'une formation accrue de leur personnel, de mesures pour prévenir les trafics et de procédures spécifiques en cas de découverte de trafic par leurs services. L'idée serait de les engager à informer davantage les voyageurs et à mettre en place des mesures préventives. Il ne me semble pas que la contrainte soit la solution : les compagnies aériennes évoluant dans un secteur extrêmement concurrentiel et ayant un océan de normes à respecter, il me paraîtrait peu judicieux d'abonder dans cet empilement normatif. Le rapport d'information que je vous présente a déjà permis de faire bouger les lignes, en provoquant un changement de comportement de certaines compagnies.

Nous pourrions plutôt oeuvrer à la création d'un label ou d'une certification pour les compagnies aériennes qui adoptent de bonnes pratiques pour lutter contre le trafic d'espèces sauvages, y compris des politiques de bagages spécifiques, leur offrant un avantage en termes d'image et d'attractivité pour les passagers soucieux de l'environnement.

Enfin, il me semble essentiel d'activer de nouveaux canaux de lutte contre ce trafic, pour accentuer les efforts de contrôle du continent peu exploré de la lutte numérique et postale. Le commerce illégal d'espèces sauvages et protégées prospère également par l'intermédiaire des colis postaux et de la vente en ligne : l'action publique doit donc investir ces champs. Les réseaux criminels utilisent de plus en plus les plateformes numériques d'e-commerce et les réseaux sociaux, le fret postal pour les animaux de petite taille, les produits secs ou sous vide. C'est aujourd'hui un angle mort de notre action, faute de moyens humains et de technologies de détection adéquates.

Il faut sans plus tarder passer à une logique « tous flux » en investissant dans le développement de techniques automatisées d'analyse non invasive de colis postaux et de fret express, dont le volume colossal et exponentiel rend la détection de produits carnés ou de jeunes animaux particulièrement complexe. Cela implique également de responsabiliser les acteurs de la chaîne postale et de la livraison express, par exemple au travers d'obligations de vigilance et de déclaration renforcées. Pour contrer la progression de la vente et de l'achat d'animaux ou de produits illégaux via des plateformes en ligne, des groupes privés sur les réseaux sociaux, des forums spécialisés et des applications de messagerie cryptées, il serait opportun de développer des outils automatisés pour identifier et bloquer les contenus liés au trafic. Il faut également proposer des canaux de signalement faciles aux utilisateurs et accroître la responsabilisation des plateformes d'e-commerce, les places de marché en ligne et les réseaux sociaux afin qu'ils surveillent, signalent et suppriment les annonces de vente d'espèces protégées ou de produits illégaux.

Telles sont les préconisations dont je vous propose l'adoption. Vous l'aurez compris, je propose non pas une révolution ni l'annonce d'une énième priorité de notre action publique, mais des leviers transformateurs en étant soucieux des finances publiques :

- une coopération internationale, via des échanges de renseignements, des enquêtes conjointes et le renforcement des capacités de contrôle des pays sources du trafic ;

- une meilleure coordination des acteurs de la lutte pour mettre en échec ces trafiquants et les risques qu'ils font peser sur la santé humaine et animale ;

- des moyens douaniers renforcés, pour mieux détecter et mettre fin à la trop grande porosité de nos frontières ;

- et une information tous canaux pour en finir avec les passagers qui disent méconnaître les interdictions et un renforcement de notre capacité à contrôler le fret, les colis postaux et les trafics qui se font en ligne en toute impunité.

Certaines mesures nécessiteront des dotations budgétaires complémentaires, pour l'acquisition de moyens douaniers et le renforcement des agents dédiés à la lutte ; je suis néanmoins intimement persuadé qu'il s'agit d'un bon usage des deniers publics et que des économies en résulteront ; que l'on se remémore le coût phénoménal de la pandémie de Covid-19.

Si l'action publique n'est pas plus volontariste, il est probable que nous aurons à faire face à une nouvelle crise sanitaire ; il est de notre devoir de la prévenir et de protéger la santé de nos concitoyens d'une zoonose et les exploitations agricoles d'une épizootie. Au travers du rapport d'information que je vous soumets, j'ai cherché à identifier les enjeux et les solutions pour y remédier. J'espère que le prochain gouvernement s'en emparera pour limiter le volume du trafic, ce qui permettra de redéployer des moyens douaniers sur la lutte contre le fléau du narcotrafic, ainsi que l'a préconisé le rapport de commission d'enquête de nos collègues Jérôme Durain et Étienne Blanc.

M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le rapporteur, je vous remercie de ce travail très utile, qui permet d'éclairer nos collègues et dont je formule le voeu qu'il ait des suites législatives et réglementaires.

M. Didier Mandelli. - Je souhaite que ce rapport d'information puisse être diffusé largement auprès des différents ministères concernés : transports, santé, agriculture, etc. Alors que nous demandons à toutes les filières des efforts importants en matière de sécurité sanitaire, ne laissons pas passer ces tonnes de produits non tracés. J'ai encore en mémoire l'odeur pestilentielle que nous avions respirée lors de notre visite à Roissy, à l'aéroport voilà quelques mois. Les douaniers sont désabusés ; ils savent que plus des trois quarts des marchandises en question leur échappent.

Puissent les recommandations du rapporteur ne pas rester lettre morte. Des mesures, textes législatifs ou actions concrètes de la part des différents ministères s'imposent pour faire cesser ces trafics préjudiciables tant à la biodiversité des territoires dans lesquels les espèces sont prélevées qu'à la situation sanitaire dans nos contrées. Certes, je conçois que les cultures puissent différer selon les pays, mais il faut que des règles s'appliquent.

M. Jean-François Longeot, président. - Il y a besoin d'une vraie prise de conscience. J'invite ceux qui n'ont pas pu nous accompagner lors de notre visite à Roissy à s'intéresser aux conditions dans lesquelles les douaniers travaillent. On nous a par exemple parlé de trafic de viande de singe boucanée - car, même si c'est difficile à imaginer, certains de nos concitoyens font le choix de manger du singe... -, vendue à 150 euros le kilo. Je pense qu'il faut diffuser très largement ce rapport et continuer le travail de sensibilisation.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

La réunion est close à 10 h 25.