Mercredi 1er octobre 2025
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de M. Martin Ajdari, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)
M. Laurent Lafon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Martin Ajdari, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), que je remercie vivement d'avoir accepté notre invitation.
Monsieur le président, c'est aujourd'hui la première fois que nous vous auditionnons comme président en exercice. Nous en sommes particulièrement heureux.
Je rappelle que l'Arcom est l'autorité publique indépendante chargée, depuis le 1er janvier 2022, de la régulation des secteurs audiovisuel et numérique. Ces deux univers sont désormais étroitement liés. La transformation des usages et la convergence des modes de diffusion exposent nos acteurs nationaux à une concurrence internationale de plus en plus vive. Cela doit nous conduire à nous interroger en permanence sur les adaptations nécessaires pour renforcer durablement ces acteurs nationaux face à des groupes mondiaux qui disposent de moyens technologiques et financiers considérables.
Nous entendons le président de l'Arcom au moins une fois par an, sur le rapport annuel de l'Autorité, au titre de l'article 18 de la loi du 30 septembre 1986 : c'est une obligation légale. Toutefois, c'est aussi l'actualité récente qui nous a amenés à programmer l'audition d'aujourd'hui.
D'une part, le décès tragique, cet été, du streamer Raphaël Graven, lors d'une émission diffusée en direct sur la plateforme Kick, a rappelé la gravité des enjeux. Cet événement met en lumière la difficulté d'agir face à des plateformes établies hors de France, alors même que la justice avait été saisie depuis plusieurs mois. Le règlement européen sur les services numériques (RSN) impose aux plateformes des responsabilités accrues, notamment grâce à l'action de signaleurs de confiance.
Des interrogations demeurent : quelle a été l'action de l'Arcom vis-à-vis de Kick ? Le dispositif européen permet-il d'agir assez vite ? Faut-il aller plus loin, en rapprochant le régime des plateformes de celui qui s'applique à l'audiovisuel ? Des questions similaires se posent d'ailleurs en matière de protection des mineurs en ligne sur les grandes plateformes, un sujet qui a fait l'objet la semaine dernière d'une conférence que vous avez organisée, et dont vous pourrez sans doute nous dire un mot.
D'autre part, des extraits vidéo diffusés sur internet le 5 septembre dernier ont mis en cause la neutralité du service public de l'audiovisuel. Cette diffusion a conduit à la suspension du journaliste Thomas Legrand de l'antenne de France Inter. Nous avons été nombreux à nous émouvoir de la suspicion que ces propos pouvaient entraîner quant à l'impartialité de la radio publique.
Le pluralisme des opinions est une chose, la neutralité du service public en est une autre. Elle suppose de distinguer clairement information et commentaire, journalistes et éditorialistes, tout en garantissant l'indépendance éditoriale. Nous entendrons la semaine prochaine les présidentes de France Télévisions et de Radio France, que vous avez également auditionnées sur ce sujet il y a quelques jours.
Ces questions sont cruciales, car elles ont un écho important dans le débat public. Pouvez-vous préciser quelles sont les conclusions que l'Arcom a tirées des auditions réalisées ? L'Arcom a indiqué avoir engagé une étude sur le sujet. Comment entendez-vous contribuer, rapidement, à cette réflexion sur la neutralité ?
Enfin, se pose plus largement la question de l'avenir du modèle de l'audiovisuel public. La Cour des comptes a récemment souligné les fragilités économiques et sociales de France Télévisions. En juillet, le Sénat a adopté en deuxième lecture la proposition de loi sur la réforme de l'audiovisuel public et la souveraineté audiovisuelle. Il faut désormais que ce texte fasse l'objet d'une seconde lecture par l'Assemblée nationale.
Je rappelle, pour terminer, que cette audition est enregistrée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Je vais à présent, monsieur le président, vous laisser la parole pour une intervention liminaire, puis mes collègues pourront vous poser leurs questions, en commençant par notre rapporteur sur les crédits de l'audiovisuel public, Cédric Vial.
M. Martin Ajdari, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). - Mesdames, messieurs les sénateurs, merci beaucoup de cette invitation. C'est ma première audition devant vous depuis ma prise de fonction. Son objet est fixé par la loi, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président : il est de vous présenter le rapport d'activité de l'Arcom pour 2024. Il s'agit d'une période antérieure à ma prise de fonctions, mais cette présentation sera l'occasion d'évoquer l'actualité, nos perspectives et les enjeux que vous avez évoqués.
Je vous propose d'aborder les deux grandes thématiques que vous avez évoquées. Un premier temps sera consacré aux missions historiques de l'Arcom et centré sur la gestion du spectre hertzien, le soutien à la création et le pluralisme ; dans un second temps, j'évoquerai la régulation du numérique, l'année 2024 ayant été marquée par l'entrée en vigueur de textes majeurs. Je finirai par quelques remarques sur des questions qui font l'actualité.
Avant toute chose, lors de cette première audition, je voudrais rendre hommage aux membres du collège que j'ai l'honneur de présider en soulignant l'importance de la collégialité de nos décisions et de nos travaux, qui est au coeur de notre indépendance. Je rends également hommage aux agents de l'Arcom, dont je salue le dévouement à leur mission, que je constate tous les jours. Les services sont représentés ici par Alban de Nervaux et Pauline Blassel, respectivement directeur général et directrice générale adjointe, qui m'aideront à répondre à vos questions.
La TNT a connu en 2024 d'importantes évolutions, avec le lancement d'un appel à candidatures inédit pour quinze chaînes, dont dix gratuites. Au terme de cette procédure, l'Arcom a autorisé deux nouvelles chaînes le 11 décembre 2024, T18 et Novo 19, et elle n'a pas renouvelé deux autorisations, celles de C8 et de NRJ12. Ces décisions sont antérieures à ma prise de fonction, mais elles ont suscité des débats et des interrogations, dont la marque est encore présente et dont je crois pouvoir dire que j'ai pris toute la mesure. Je voudrais rappeler que cette procédure a suivi rigoureusement les principes et les étapes prévus par la loi. Il y avait plus de candidats que de fréquences disponibles et, pour les départager, le collège s'est fondé sur une appréciation des mérites respectifs des projets et de l'expérience acquise par les sortants - huit sur dix ont été reconduits - mais aussi sur leurs éventuels manquements. Ces derniers étaient parfois flagrants et n'étaient pas de nature politique, contrairement à ce que j'ai pu entendre.
Ces mouvements dans la TNT gratuite, couplés à la décision du groupe Canal+ de se retirer de la TNT payante, ont conduit l'Arcom à adopter une nouvelle numérotation, déployée le 6 juin, avec plusieurs objectifs dictés par l'intérêt du public, notamment assurer la continuité de la numérotation, et créer un bloc de chaînes d'information dans un objectif de lisibilité. Ce choix a montré sa pertinence : les audiences des quatre chaînes d'information progressent, tout comme celles de France 4 et de la chaîne parlementaire (Assemblée nationale et Public Sénat), qui, selon des données encore provisoires, ont enregistré elles aussi des hausses d'audience.
Plus largement, l'année 2024 a confirmé une dynamique positive pour les médias audiovisuels et pour le soutien qu'ils apportent, sous le contrôle de l'Arcom, à la création. Les obligations de financement dans la production audiovisuelle sont passées de 860 millions d'euros en 2019 à 1,2 milliard d'euros en 2023, soit une progression de 40 %. Cette hausse tient à l'effort accru des chaînes privées, à l'engagement renforcé de France Télévisions, mais aussi à l'intégration réussie -- accompagnée par l'Arcom -- des plateformes comme Netflix, Disney+ ou Amazon, qui représentent désormais un quart du total. Les chiffres de 2024, encore partiels, confirment cette tendance, preuve du succès de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), qu'il faudra préserver alors que sa révision se profile.
Mais cette dynamique s'est retournée en 2025. D'abord, avec un recul de 5 % des recettes publicitaires des chaînes de télévision au premier semestre, y compris pour leurs offres délinéarisées, et une nette baisse de la durée d'écoute. Ensuite, avec un ralentissement de la progression des abonnements aux services de médias à la demande. Enfin, avec la diminution sensible de la subvention versée à France Télévisions, une tendance appelée à se poursuivre en 2026. Les contraintes budgétaires du pays sont réelles et incontournables, mais des coupes trop soudaines pourraient déstabiliser l'ensemble de l'écosystème de la production audiovisuelle, qui a besoin de visibilité et de stabilité. C'est aujourd'hui l'économie entière de la télévision, publique et privée, qui se trouve fragilisée.
La radio, autre grand média hertzien, voit sa diffusion traditionnelle en FM de plus en plus concurrencée par l'écoute sur smartphone. D'où l'importance du DAB+, que vous avez défendu dans votre proposition de loi, monsieur le président, pour accroître l'offre dans un contexte de saturation de la bande FM, préserver l'universalité et la souveraineté de la diffusion et améliorer la qualité d'écoute. Le Livre blanc de la radio publié en juin 2024 par l'Arcom a amorcé une dynamique, mais la notoriété et l'équipement progressent trop lentement. Nous avons donc décidé de renforcer le pilotage, avec la création, lors des Assises de la radio le 5 juin 2025, d'un groupe de suivi associant la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) et l'association Ensemble pour le DAB+. Nous y traiterons également l'assouplissement des mentions légales dans la publicité et l'exposition de la musique, sujet actuellement en réflexion.
Je voudrais également rappeler une décision majeure du 13 février 2024 du Conseil d'État, imposant à l'Arcom d'étendre son contrôle au-delà des temps de parole politiques, à l'équilibre global des opinions exprimées par les chroniqueurs et invités. En juillet 2024, nous avons adopté une délibération précisant ce nouveau contrôle : il s'agit de prévenir tout déséquilibre manifeste et durable dans l'expression des courants de pensée, mesuré sur un mois pour les chaînes d'information et trois mois pour les généralistes. Trois critères sont retenus : diversité des intervenants, variété des thèmes, pluralité des points de vue. Ce dispositif, qui suscite de nombreuses interrogations, est en cours d'appropriation par les chaînes, mais il reste difficile à appliquer pour mesurer la diversité des opinions. Dès ma prise de fonction, j'ai souhaité que nous puissions avoir un dialogue avec elles pour évaluer les conditions de sa mise en oeuvre. De nombreuses consultations ont eu lieu au premier semestre. Il en ressort que, en général, les chaînes suivent de manière assez précise les thèmes traités à l'antenne et leurs invités, à l'exclusion de tout fichage : elles notent le nom de leurs invités pour en montrer la diversité, en se passant de toute connotation idéologique associée. En revanche, les mêmes éditeurs nous ont fait part de difficultés pour mesurer la diversité des points de vue et des opinions. C'est un domaine nouveau, dans lequel nos modalités et critères de contrôle devront s'affiner au gré des saisines dont nous ferons l'objet, puisque nous construisons notre doctrine en fonction de celles-ci, sans nous autosaisir.
Sur le terrain numérique, nos compétences se sont élargies avec la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (Sren), ainsi qu'avec le règlement sur les services numériques (RSN), qui est entré en vigueur début 2024, ce qui est très récent. Il y a une impatience légitime en matière de régulation du numérique, mais les outils dont l'Union européenne s'est dotée sont assez nouveaux. La mission de l'Arcom dans ce cadre consiste à s'assurer du respect par les plateformes installées en France de leurs obligations de moyens en matière de modération.
Elle agit comme coordinateur national : contrôle de la modération, ergonomie des signalements, examen des algorithmes, mais aussi coopération avec la Commission européenne dans la régulation, notamment pour les très grandes plateformes comme TikTok, X, Facebook, Instagram ou YouTube. Nous avons également vocation à coopérer avec l'ensemble de nos homologues européens lorsque des contenus problématiques sont hébergés sur des plateformes établies dans d'autres États. C'est d'ailleurs en partie ce qui a fait défaut dans le cas de la plateforme Kick, qui accueillait le programme de Raphaël Graven, sous le pseudonyme de Jean Pormanove, dont vous avez évoqué le décès dramatique, en direct, à la fin du mois d'août dernier.
J'ai entendu beaucoup de critiques sur le fait que l'Arcom avait laissé ce programme être diffusé, malgré son caractère choquant. L'émotion qu'a suscitée cet événement est compréhensible et légitime. Il y a peut-être eu une incompréhension sur le champ de nos missions dans le domaine du numérique, qui est assez différent de ce qu'il est dans le domaine audiovisuel, car notre mission n'y est pas d'agir sur les contenus. S'agissant du règlement sur les services numériques ou de la loi Sren, nous n'avons pas compétence pour apprécier la légalité des contenus, ni pour en demander le retrait. C'est la mission de la justice, et celle-ci l'exerce.
En l'occurrence, la justice s'était saisie de cette affaire dès la fin 2024, avait placé en garde à vue deux protagonistes, entendue les acteurs et n'avait pas considéré à l'époque devoir donner suite. Cet événement dramatique nous pose néanmoins question. Il nous invite à renforcer nos mécanismes de coopération entre administrations nationales, avec la justice et avec les signaleurs de confiance, pour être plus réactifs. Nous allons à cette fin réactiver en octobre l'Observatoire de la haine en ligne pour créer les conditions de cette réactivité.
Nous devons mieux coopérer au niveau européen. La semaine dernière, au sein du Comité européen des services numériques, nous avons évoqué le cas de la plateforme Kick comme un exemple de coopération à améliorer. À défaut d'avoir répondu assez précocement dans cette affaire, nous essayons d'en tirer les enseignements. C'est une priorité à laquelle je voudrais consacrer plus de moyens.
Au titre du RSN, nous avons désigné en 2024 et 2025 de nombreux signaleurs de confiance. Ces acteurs, le plus souvent associatifs, signalent aux plateformes des contenus dont le caractère illicite ne fait aucun doute, qu'il s'agisse d'arnaques, de contrefaçons ou de messages haineux ou dangereux pour les enfants. Ces signalements bénéficient d'une priorité de traitement et suscitent donc des retraits rapides, ce qui démultiplie l'action de régulation du numérique.
Un premier signaleur, l'association e-Enfance, avait été désigné dès novembre 2024 pour la protection de l'enfance en ligne. Le mouvement s'est accéléré avec la désignation de sept nouveaux signaleurs dans des domaines aussi divers que la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, la défense des consommateurs, la lutte contre le piratage, les cyberviolences ou la prévention des addictions. L'enjeu est de faire réseau et de mobiliser tous les acteurs.
La loi Sren a également doté l'Arcom de nouvelles compétences dans deux champs emblématiques. Le premier est la possibilité de faire cesser, après mise en demeure, la diffusion de médias russes faisant l'objet de sanctions directes ou indirectes. Nous avons mobilisé cette possibilité, ce qui nous a permis en 2025 d'obtenir l'arrêt de la diffusion de deux chaînes par Eutelsat et le déréférencement ou le blocage de dix-neuf sites officiels de médias russes. Ce travail se poursuivra.
Le second champ, encore plus notoire, est l'interdiction effective de l'accès des mineurs aux sites pornographiques. Conformément à la loi, l'Arcom a publié à l'automne 2024, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), un référentiel définissant les exigences applicables au système de vérification de l'âge, qui doivent être à la fois efficaces et protectrices des données personnelles. Ces derniers mois, une fois les textes réglementaires publiés et la plupart des nombreux recours écartés, nous avons pu enjoindre à la douzaine de sites ayant la plus grande audience en France de se conformer à la loi, sous peine de blocage ou de déréférencement.
Cette démarche a produit des résultats : tous les sites visés soit ont été bloqués, soit ont décidé de fermer leur service en France - c'est le cas de Pornhub et YouPorn,-, soit, pour la plupart, se sont conformés. Bien sûr, il reste les sites de moindre audience et les moyens de contournement, et nous allons à présent nous y attaquer, mais ces derniers mois ont montré que la volonté du législateur, réaffirmée face à la perplexité de la Commission européenne, et l'action du régulateur permettent de changer la donne. Il n'y a pas de fatalité à l'accès libre, notamment des enfants, à des contenus dangereux en ligne.
Ce bilan de 2024 nous ouvre des perspectives sur 2025. L'un des chantiers prioritaires pour l'Arcom est la protection des mineurs en ligne. Jeudi dernier, nous avons présenté une étude très complète qui met en évidence la fréquence et la précocité croissante avec laquelle les enfants sont exposés à des risques multiples. Catherine Morin-Desailly, qui représentait le Sénat, nous a exposé les préoccupations qui ont inspiré la résolution que vous avez votée en juillet.
Nous tirons de ces études édifiantes deux priorités. La première est que les plateformes, qui fixent dans leurs conditions générales une limite d'âge à 13 ans, doivent au moins appliquer celle-ci. Aujourd'hui, 40 % des 11-12 ans accèdent à ces réseaux en contournant cette obligation théorique. Faisons-la appliquer dans l'attente des débats sur la majorité numérique. La seconde est de s'assurer que les plateformes ne proposent aux mineurs que des services expurgés de tout contenu dangereux : incitation à des comportements à risque ou à des troubles alimentaires, contenus choquants, fonctionnalités addictives comme le défilement infini, ou contacts avec des adultes potentiellement malveillants. Nous auditionnerons à cette fin les plateformes les plus importantes à partir de cet automne pour mesurer leurs progrès et en faire part à la commission, ainsi qu'au public, afin d'accroître la pression autour des objectifs légitimes de protection des mineurs.
Un autre chantier majeur est l'évolution de la TNT à court et long terme. Compte tenu de l'état du marché publicitaire et de la fragilité de certaines chaînes, nous avons décidé de ne pas réaffecter pendant deux ans les fréquences laissées disponibles par le départ de Canal+ de la TNT. La loi nous en donne la possibilité. Pour le long terme, nous engageons une réflexion sur l'avenir de ce mode de diffusion, hier prépondérant, encore indispensable aujourd'hui pour de nombreux foyers, notamment les plus isolés, mais qui décline dans un monde de plus en plus numérique. Il faut s'interroger sur les objectifs de la diffusion hertzienne de demain, sur sa modernisation et sur les nouveaux outils de régulation qui sont nécessaires pour assurer aux médias la visibilité et le soutien économique qu'ils méritent, ainsi que pour lutter contre les asymétries réglementaires. C'est sous la forme d'un livre blanc que nous voudrions aborder ces enjeux prospectifs.
La troisième priorité est le service public de l'audiovisuel. En tant que régulateur, nous avons pour mission de protéger son indépendance et de veiller à ce qu'il puisse assurer ses missions essentielles d'information locale, nationale, internationale, de diversité culturelle et de représentation des territoires et des outre-mer. Quelques jours après la diffusion d'extraits vidéo qui ont suscité de vifs débats, et à la suite de saisines de nombreux sénateurs, le collège de l'Arcom a auditionné le 17 septembre les présidentes de France Télévisions et de Radio France. Nous avons recueilli leurs observations sur cette séquence, qui avait déjà donné lieu à des décisions, mais aussi et surtout pour faire le point sur les questionnements plus larges - et qui lui préexistaient - qu'elle a pu soulever sur l'impartialité. Je préfère ce terme à celui de neutralité, car il figure dans la loi, même s'il n'y est pas précisé.
La conviction du collège, antérieure à cet événement, a été exprimée dans le rapport des États généraux de l'information, notamment de son troisième groupe, présidé par Christopher Baldelli. Nous pensons que, si le pluralisme est une obligation qui s'applique à l'ensemble des médias, l'impartialité est l'une des valeurs dont le régulateur est le garant, mais cette notion n'est pas précisée aujourd'hui, contrairement à celle d'indépendance, dont le financement et le mode de nomination des dirigeants sont un gage.
Nous avons donc annoncé des travaux pour les prochaines semaines et les prochains mois, visant à préciser et à objectiver cette notion d'impartialité, pour lui donner un caractère plus concret. Nous souhaitons également mesurer la perception et les attentes du public par des études quantitatives et qualitatives, que nous confierons à des personnalités juridiques, académiques, universitaires et journalistiques compétentes. Enfin, nous voulons évaluer les outils qui existent au sein des sociétés audiovisuelles publiques, car les directions ont engagé ces réflexions, sans les objectiver, ni en faire un outil de communication vers leur public. C'est une attente légitime envers le service public, pour que celui-ci donne, dans un contexte de défiance à l'égard des médias et des institutions, plus de gages sur la façon dont il travaille pour s'assurer de cette exigence d'impartialité. Nous sommes loin d'être le seul pays en Europe confronté à cette question ; la BBC, notamment, a conduit de très nombreuses études avec l'Office of communications (Ofcom) ces dernières années.
Je ne peux achever ce propos introductif sans mentionner le projet de loi relatif aux États généraux de l'information dont vous serez prochainement saisis, car il devrait apporter des inflexions importantes en matière de modernisation du contrôle des concentrations plurimédias. Il s'agit d'une modernisation du suivi du pluralisme externe, qui pourrait être l'occasion pour le législateur de s'interroger sur la portée du pluralisme interne, lequel soulève de nombreuses questions.
Je mentionnerai deux autres dimensions importantes de notre action. La première est la lutte contre le piratage, et je réitère notre impatience de voir les dispositions de votre proposition de loi trouver une traduction rapide.
La seconde est une mission moins connue, confiée à l'Arcom depuis un an et demi : l'accessibilité des 200 000 ou 300 000 sites internet publics aux personnes en situation de handicap. Nous exerçons aujourd'hui cette mission avec une ou deux personnes et nous commençons à avoir des résultats assez probants. C'est aussi une illustration de notre action dans l'intérêt du public.
Voilà les enjeux sur lesquels vous trouverez en l'Arcom un régulateur déterminé, toujours à votre écoute et à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Cédric Vial. - Lors de la présentation du rapport de la Cour des comptes sur France Télévisions, le Premier président Moscovici a tenu un discours très alarmant. Au vu de certaines mesures qui ont été prises, on peut se demander si certains acteurs de cette entreprise, ou même de l'Arcom, n'ont pas été mis au courant de ce rapport avant sa publication. Aviez-vous été informé de ses conclusions ou de son contenu pendant la procédure de nomination de la présidente de France Télévisions ?
Vous avez rappelé l'affaire dite « Legrand Cohen », qui pose un certain nombre de questions. Vous l'avez dit, l'audiovisuel public, et l'audiovisuel de manière générale, repose sur trois piliers : l'indépendance, le pluralisme et l'impartialité. Là, il y a un vrai problème avec l'indépendance. Je songe à un autre procès dont on a beaucoup parlé aussi dans l'actualité récente. Imaginons deux personnes qui se réunissent avec une troisième, extérieure à leur rédaction, afin de mettre en place une stratégie pour influencer le cours d'une élection présidentielle, en mettant en place des moyens qui ne sont pas légaux. Même si ces moyens, au final, ne sont pas mobilisés, comment qualifier ces faits ? Dans le jugement de M. Sarkozy, de tels faits ont été qualifiés. Ne peut-on faire un parallèle ?
Cela pose la question de l'indépendance, en tout cas. Voilà des agents du service public qui proposent de mettre à disposition leur position, donc les moyens de l'État français - dans le cas de M. Sarkozy, il s'agissait des moyens d'un État étranger - pour essayer d'influencer une élection présidentielle. Ils envisageaient de se servir de leur position de journaliste non pas pour informer de manière impartiale ou présenter les informations de manière honnête, comme le prévoit la loi, mais afin d'influencer des électeurs et donc de mettre en place une stratégie pour tromper les auditeurs ou les téléspectateurs. C'est un enjeu majeur, et le rôle du législateur est de veiller à ce que ce type de pratiques ne puissent pas être mises en oeuvre, parce qu'elles sont contraires à la loi. N'est-ce pas aussi votre rôle ? Vous avez été saisi par le Sénat, et vous avez entendu les présidentes. Quelles conclusions tirez-vous de ces auditions ? Y a-t-il eu d'autres saisines ? Vous nous avez dit que vous réfléchissiez au fur et à mesure des saisines. Une instruction est-elle en cours pour aboutir à des sanctions envers les personnes incriminées ?
Vous nous avez dit que vous lanciez une réflexion sur l'impartialité. Pouvez-vous nous préciser les différences entre les règles d'impartialité, de pluralisme et d'indépendance dans le secteur public et dans le secteur privé ? On a beaucoup dit récemment que le privé n'était pas forcément soumis aux mêmes règles que le public, même dans le domaine public de la TNT. Pourriez-vous nous préciser ces différents points ? Des tensions apparaissent en la matière entre des groupes privés et des groupes publics, ce qui ne semble pas souhaitable.
Ma dernière question concerne la notion de pluralisme interne. Elle concerne des chaînes publiques - on pense à une chaîne de radio bien connue, sur laquelle de nombreuses questions se posent - comme privées. En dehors des saisines, avez-vous la possibilité de faire progresser les choses sans attendre des sanctions, notamment la sanction ultime qu'est le retrait d'une fréquence ?
La traçabilité, si j'ose dire, est fondamentale, ou en tout cas la transparence sur les intervenants. Récemment, en interviewant Matthieu Pigasse, Caroline Roux a oublié de le présenter et de mentionner les liens qu'elle pouvait avoir avec lui ou qu'il pouvait avoir avec la chaîne. De tels cas se produisent régulièrement sur des chaînes d'information. Des personnes sont présentées comme journalistes, mais on ne sait pas si elles interviennent au nom de leur rédaction, s'il s'agit de chroniqueurs, de salariés, de bénévoles... Comment peut-on promouvoir davantage de transparence, afin que le téléspectateur puisse avoir connaissance de la situation des personnes qui parlent, d'éventuels conflits d'intérêts qui pourraient se poser, bref pour créer un cadre sécurisant pour les téléspectateurs et les auditeurs en matière de pluralisme ?
M. Martin Ajdari. - Je vais essayer de n'oublier aucune de vos questions.
Vous avez tout d'abord évoqué le rapport de la Cour des comptes. Nous savions qu'un contrôle était en cours depuis de nombreux mois, mais nous n'avons eu connaissance ni d'éléments provisoires ni du rapport définitif avant la fin du mois de mai, soit environ deux semaines après que nous avons pris notre décision.
Pour autant, je tiens à le dire, il y a dans les constats de la Cour des comptes, qui sont alarmants sur la situation financière capitalistique, des analyses qui ne sont pas si différentes des points d'attention que nous avions nous-mêmes relevés dans notre bilan quadriennal, adopté en janvier 2025, avant ma prise de fonctions. Ce rapport alerte surtout sur la situation financière, qui est très tendue et préoccupante, ainsi que sur le besoin de visibilité, de prévisibilité et de réforme.
Vous m'interrogez ensuite sur les vidéos dans lesquelles figurent Thomas Legrand et Patrick Cohen, qui soulèvent à vos yeux un problème d'indépendance. Je précise que, sauf mention contraire, je m'exprime au nom du collège.
En tant que régulateur, lorsque nous parlons d'indépendance, c'est par rapport au pouvoir politique ou au pouvoir économique. Dans votre question, vous sous-entendez une éventuelle accointance. Pour nous, il s'agit plutôt d'une question d'impartialité. Je n'entrerai pas ici dans le débat sur les conditions de captation de ces vidéos. J'observe simplement que des propos tenus ont provoqué un trouble, lequel a d'ailleurs conduit la direction de Radio France à prendre une décision pour l'antenne.
Nous avons auditionné les présidentes de France Télévisions et de Radio France et entendu les avis de leurs comités respectifs relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes, qui sont assez clairs. Il me semble que l'on ne peut pas soupçonner ces comités de partialité, compte tenu de leur composition.
J'entends les doutes sur le silence observé par telle personne à la suite des propos tenus par telle autre. Selon moi, et je le dis très franchement, un silence de deux ou trois minutes dans une vidéo extraite d'un échange qui est supposé avoir duré une heure ne peut pas valoir consentement ou acquiescement. Sur ce sujet, nous n'avons rien à ajouter aux avis très clairs des comités que je viens d'évoquer.
Pour nous, la question est plus large. Cette séquence montre que la société est plus polarisée, que les opinions sont plus différentes et les attentes de l'opinion plus fortes, notamment à l'égard du service public, que tous financent, dont tous doivent bénéficier et dans lequel chacun doit se retrouver.
On dit parfois que le taux de confiance dans le service public de l'information s'élève à 60 %. C'est un résultat que l'on peut considérer comme positif. Que pensent cependant les 40 % restants ? Pourquoi sont-ils mécontents ? Il faut que les sociétés audiovisuelles prennent en compte ces mécontents et fassent un travail d'introspection, sous le contrôle de leur comité d'éthique, éventuellement de l'Arcom, sur la façon dont ils abordent les différents thèmes autour desquels s'organise le débat public, pour que le plus grand nombre de Français se sentent représentés sur leurs antennes. Tel est l'enjeu.
Cette démarche ne produira pas des résultats d'un claquement de doigts, mais elle doit être entamée rapidement, de manière constructive, pour répondre aux attentes qui s'expriment. L'impartialité est inscrite dans la loi depuis longtemps, mais nous nous sommes plutôt concentrés sur l'indépendance.
Vous m'avez ensuite interrogé sur le pluralisme interne. J'ai déjà évoqué les changements intervenus en 2024, qui ont beaucoup changé la donne. Auparavant, le pluralisme interne se résumait au temps de parole, donc les choses étaient assez simples. Pour évaluer le pluralisme des chaînes privées, on prend en compte les temps de parole, mais on vérifie également l'absence de déséquilibre manifeste et durable dans l'expression des opinions, le choix des thèmes et des invités. Entre la stricte impartialité et l'absence de déséquilibre manifeste et durable, il y a place pour une ligne éditoriale, éventuellement des préférences - en tout cas, c'est notre conviction -, à condition évidemment de respecter les principes d'honnêteté de l'information et de respect de la dignité de la personne, ainsi qu'une diversité des points de vue. Ce sont les enseignements que l'on tire de la décision du Conseil d'État sur le silence de la loi et le cadre dans lequel nous travaillons.
En ce qui concerne la traçabilité et la transparence sur les intervenants, je partage entièrement votre préoccupation. Nous sommes déjà saisis de cette question lorsqu'un intervenant à l'antenne a manifestement un lien, économique ou autre, avec le sujet abordé, surtout si ses propres activités sont en cause. Nous le signalons aux diffuseurs et les mettons en garde. Notre intervention est fondée lorsque l'absence de transparence est susceptible de porter atteinte à la sincérité de ce qui est diffusé à l'antenne. Elle n'est donc pas systématique.
Il me semble qu'il serait utile, sur le service public, mais aussi au-delà, de faire la transparence sur les affiliations des intervenants et de signaler par exemple que ceux-ci appartiennent à un journal ou à un institut universitaire ou de recherche. Certaines informations peuvent être affichées à l'antenne sans trop l'obscurcir, d'autres pourraient figurer sur leur site internet. C'est un sujet sur lequel nous espérons avancer au cours des prochaines semaines.
Mme Sylvie Robert. - Dans le contexte actuel, je tiens, au nom de mon groupe, à adresser tout notre soutien à l'audiovisuel public.
L'offensive contre l'audiovisuel public nous impose, en tant que législateurs et en tant que membres de cette commission, d'être extrêmement rigoureux s'agissant des mots que nous employons. J'entends parler de neutralité - je ne comprends pas ce que cela signifie -, d'impartialité - il faut aussi préciser cette notion - et de pluralisme. Nous devons objectiver les situations.
Nos concitoyens ont confiance dans l'audiovisuel public : c'est le cas de 60 % d'entre eux, ce qui est un taux très élevé. Il faut néanmoins s'intéresser aux 40 % restants. En outre, les autorités de contrôle - l'Arcom, mais aussi la Cour des comptes - reconnaissent l'indépendance, l'honnêteté et le pluralisme de l'information sur le service public, où aucun manquement n'a été constaté à ce jour, contrairement à ce qu'il se passe ailleurs.
Le décalage est assez grand entre un certain discours politique, qui instrumentalise aujourd'hui l'audiovisuel public, et la situation objective. L'offensive contre l'audiovisuel public est allée très loin. Dans un édito, un grand quotidien a rappelé que parmi les impératifs que doivent respecter les chaînes figure le respect du pluralisme, dont le Conseil constitutionnel a utilement rappelé, dans un arrêt rendu en 1986, qu'il constitue l'« une des conditions de la démocratie », ajoutant que le respect de ce pluralisme impose d'offrir « des programmes qui garantissent l'expression de tendances de caractères différents». Ce principe de pluralisme vaut pour le secteur public, mais également pour le secteur privé, comme beaucoup font mine de l'oublier.
J'ai un peu de mal à comprendre la décision de l'Arcom de conduire une étude sur l'impartialité de l'audiovisuel public et sur la perception qu'en ont les Français. C'est tout à fait légitime, et même très intéressant, mais cela s'inscrit dans un contexte où beaucoup essaient de délégitimer et de fragiliser l'audiovisuel public. Acceptez-vous d'élargir votre travail sur l'impartialité à l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel ?
Chers collègues, soyons conscients que l'audiovisuel public est précieux et indispensable à notre démocratie. Le fragiliser, c'est fragiliser tout un écosystème qui fait vivre des distributeurs, des créateurs et des producteurs.
M. Pierre Ouzoulias. - Je tiens à dire en préambule qu'enregistrer une conversation privée à l'insu des intéressés est contraire à la loi, mais également à la charte de déontologie des journalistes, dite charte de Munich. Le président du Sénat, victime des mêmes méthodes, vous a saisi. Personnellement, j'aurais beaucoup de réticence à commenter des paroles ayant été recueillies dans un cadre totalement illégal. Je me demande si la charte de Munich ne mériterait pas d'être transposée dans le droit français, afin que la déontologie des journalistes soit un peu plus respectée.
Ces vidéos ont suscité de nombreuses réactions d'hommes politiques. Permettez-moi de vous lire la réaction de l'un d'entre eux : « Deux journalistes essentiels de l'officialité PS, Thomas Legrand et Patrick Cohen, complotent pour valoriser un axe "de Ruffin à Canfin et Glucksmann". La caste choisit ses masques politiques. » Il s'agit de Jean-Luc Mélenchon. Manifestement, toute la gauche ne se retrouve pas dans ce que disent MM. Thomas Legrand et Patrick Cohen !
Je suis inquiet de voir que des autorités publiques que l'on disait indépendantes sont aujourd'hui contestées de façon systématique. C'est vrai pour l'Arcom, mais aussi pour le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES). Je me demande s'il ne faut pas envisager de leur assurer une protection supplémentaire, non plus dans la loi, mais dans la Constitution. Je regrette que nous soyons de plus en plus obligés de garantir un certain nombre de libertés - je pense notamment à la liberté académique - par des modifications constitutionnelles. Cela montre bien qu'il s'est passé quelque chose de fondamental dans notre pays.
M. Max Brisson. - Monsieur le président, en synthèse de votre rapport annuel, vous avez traité de nombreux et utiles sujets, que vous avez à gérer dans un cadre législatif largement obsolète. L'actualité vous a cependant rattrapé. J'évoquerai à mon tour la question de l'audiovisuel public.
J'ai bien entendu les deux vice-présidents du Sénat quasiment nous inviter, il y a quelques minutes, à l'autocensure. Pour ma part, je ne m'autocensurerai pas. Je doute, par exemple, que la Cour des comptes ait voulu délégitimer l'audiovisuel public ; elle a simplement souhaité lui rappeler quelques exigences.
La loi de 1986 parle de pluralisme, d'indépendance et d'impartialité. Indépendance ou impartialité, lorsque nous apprenons les connivences politiques entretenues par deux chroniqueurs du service public, Thomas Legrand et Patrick Cohen ? Indépendance ou impartialité, lorsque, à mots à peine couverts, ceux-ci distillent la manière dont ils souhaiteraient user de leur influence sur le service public pour orienter les auditeurs à des fins électorales ? Impartialité ou indépendance, lorsqu'ils sont depuis lors invités à longueur d'antenne à s'autojustifier auprès de leurs collègues complaisants ?
En réaction, vous avez certes annoncé diligenter des travaux sur l'impartialité de l'audiovisuel public. Ma première question, monsieur le président, est la suivante : cela sous-entendrait-il que, jusqu'à aujourd'hui, le service public échappait à ce contrôle et donc à son devoir d'impartialité ?
Impartialité ou indépendance, lorsque, du 10 au 20 septembre, Gabriel Zucman était l'invité des Matins de France Culture, de C à vous sur France 5, du Grand Entretien sur France Inter et - excusez du peu ! -, du journal de vingt heures de France 2, sans rencontrer de réelle contradiction et sans que jamais il soit indiqué que, loin d'être un simple économiste, il était aussi le fournisseur de l'arsenal fiscal de la campagne européenne de M. Glucksmann et le corédacteur des programmes économiques de la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) et du NFP (Nouveau Front populaire) ?
Quelle appréciation portez-vous sur cette campagne médiatique, orchestrée sur les antennes du service public, promouvant un dispositif fiscal clairement revendiqué par la gauche et porté par un économiste ouvertement militant ? Ne serait-il pas de bonne politique, dans un souci d'équilibre et de transparence, d'attribuer à M. Zucman le statut de personnalité politique de gauche, afin que ses interventions audiovisuelles soient comptabilisées au titre du courant politique auquel il apporte régulièrement et publiquement son soutien ?
Impartialité, enfin, lorsque Mme Ernotte déclarait en juillet 2023, lors d'une audition à l'Assemblée nationale, que le service public essaie de représenter la France « telle qu'on voudrait qu'elle soit », et qualifiait deux années plus tard la chaîne CNews de chaîne d' « extrême droite » ? Malheureusement, la Cour des comptes a montré depuis lors dans un rapport que le groupe présidé par Mme Ernotte est au bord du gouffre. Au-delà des mots, que traduit cette offensive médiatique ? Que devons-nous en comprendre ? Que le service public de l'audiovisuel aurait pour mission d'être un contrepoids du groupe Bolloré, d'imposer à tout prix sa vision de la société, quitte à travestir la réalité des faits ?
Est-ce là la mission du service public de l'audiovisuel, qui appartient à tous les Français, y compris à ceux qui votent différemment de Mme Ernotte, de M. Legrand, de M. Cohen, bref à tous ceux qui ne votent pas à gauche ?
M. Bernard Fialaire. - Nous avons à veiller au respect du pluralisme et de la liberté d'expression. Votre tâche ne serait-elle pas facilitée s'il existait une déontologie des journalistes reposant sur un véritable code, ainsi qu'un ordre des journalistes permettant la reconnaissance de leur statut ?
Il est aussi important de distinguer les intervenants, qu'il s'agisse de chroniqueurs ou d'invités, des journalistes, soumis à une déontologie. Le code de déontologie devrait s'appliquer à tous. Tous les sondages prouvent que nos concitoyens auraient davantage confiance dans l'information s'il existait un code de déontologie. J'aimerais avoir votre avis personnel sur cette question, pas seulement celui de l'ensemble du collège de l'Arcom.
M. Pierre-Antoine Levi. - Monsieur le président de l'Arcom, à la suite d'un courrier que j'avais adressé à votre prédécesseur, M. Roch-Olivier Maistre, en avril 2024, concernant les pratiques éditoriales de la chaîne AJ+, filiale du groupe qatari Al-Jazeera, il m'avait été répondu que l'Arcom ne disposait pas de compétences pour se prononcer sur la licéité des contenus diffusés exclusivement via les réseaux sociaux, faute de diffusion linéaire sur les antennes audiovisuelles.
Cette réponse, bien qu'elle soit juridiquement fondée, laisse entière la question de la diffusion en France, de manière massive et ciblée, de contenus potentiellement contraires aux principes républicains, aux règles déontologiques du journalisme et souvent porteurs de messages haineux ou idéologiquement biaisés.
En tant que coordinateur national des services numériques dans le cadre du règlement européen sur les services numériques, le DSA, l'Arcom envisage-t-elle de se saisir plus directement de ce type de problématique ? Estimez-vous que le cadre actuel, qui repose exclusivement sur des mécanismes de notification, sur l'autorité judiciaire ou sur les conditions générales d'utilisation des plateformes, est suffisant pour faire face à la diffusion des contenus problématiques en ligne ? Faut-il, selon vous, envisager une évolution législative ou réglementaire, notamment pour mieux encadrer les entités médiatiques non linéaires comme AJ+, qui bénéficie d'une audience française significative sans répondre à aucune obligation en termes de pluralisme, de transparence éditoriale ou de responsabilité ?
Je suis pour ma part convaincu que la technologie ne doit pas être une échappatoire au respect des valeurs fondamentales de notre République. Il s'agit ici non pas de restreindre la liberté d'expression, mais de garantir que l'espace numérique ne devienne pas une zone grise d'influence, d'endoctrinement ou de désinformation, à l'abri de tout contrôle démocratique.
L'Arcom a-t-elle l'intention d'agir ? Dans le cas contraire, que propose-t-elle pour que la puissance publique ne reste pas impuissante ?
Mme Monique de Marco. - Je ne m'attendais pas aujourd'hui à une charge aussi lourde de la part de certains ici contre l'audiovisuel public ! C'est inquiétant. J'apprends en outre que l'économiste Gabriel Zucman est un militant gauchiste... Chacun a son avis !
Je reviendrai pour ma part sur la question du pluralisme, en particulier sur le respect par CNews de ses obligations conventionnelles. La convention conclue avec l'Arcom prévoit le respect du pluralisme des courants de pensée et d'opinion, ainsi que l'honnêteté et la rigueur dans la présentation et le traitement de l'information. CNews ayant déjà fait l'objet de mises en demeure et de sanctions, est-il possible pour l'Arcom de réaliser un audit global du respect du pluralisme par cette chaîne ? Il serait intéressant également de savoir qui sont ses intervenants.
Par ailleurs, l'Arcom ayant pour mission le blocage administratif des plateformes de partage de vidéos diffusant des contenus à caractère pornographique accessibles aux mineurs, la mission lui a été confiée d'établir un référentiel technique pour permettre la vérification de l'âge des usagers. Comment mettre en place un système de vérification d'âge efficace et pérenne sur certains sites ?
Mme Laure Darcos. - Pour ma part, je déplore que l'on résume l'audiovisuel public à des débats politiques, alors qu'il fait tant pour la culture. Je pense aux podcasts de Radio France ou aux programmes de France Télévisions mettant en valeur notre patrimoine.
Ma première question porte sur les radios indépendantes. Pour rappel, ce sont des PME et des TPE. Elles rassemblent chaque jour près de 7,5 millions d'auditeurs et sont écoutées chaque semaine par plus d'un Français sur trois. Financées à 100 % par les recettes publicitaires générées par leur audience, elles sont engagées et ancrées dans la vie culturelle, sportive, démocratique et économique de leur territoire. Il s'agit de médias locaux, qui proposent sur leurs antennes, leurs sites web et les réseaux sociaux une riche offre d'informations locales et nationales.
Avec plus de 2 500 salariés, dont 500 journalistes, les 200 radios indépendantes réunies au sein du Sirti, le syndicat des radios indépendantes, sont le premier employeur de la radiodiffusion privée financée par la publicité.
Dans son communiqué de presse publié le vendredi 19 septembre et portant sur le report de l'attribution de la ressource TNT disponible, l'Arcom évoque le lancement de travaux visant à approfondir le modèle économique de la diffusion de la TNT dans une perspective de long terme et les éventuelles modalités de sa modernisation. Elle évoque également la possibilité d'un assouplissement du cadre juridique qui s'applique aux services de télévision.
Depuis plusieurs années, les services de télévision plaident en faveur d'une levée des restrictions relatives aux secteurs interdits à l'échelon national à la télévision, en particulier pour la promotion dans la grande distribution. Ce secteur représentant 50 % des recettes publicitaires des radios indépendantes, la suppression de cette restriction viendrait déséquilibrer de façon importante le modèle économique du média radio. Comment l'Arcom entend-elle donc concilier la modernisation du cadre applicable à la télévision avec la préservation de la viabilité économique de ces radios locales indépendantes ?
J'en viens à ma seconde question. La France possède un paysage médiatique local extrêmement varié. En effet, les acteurs de l'audiovisuel public local privé, financés par la publicité locale et nationale ou par le Fonds de soutien à l'expression radiophonique locale pour les radios associatives, permettent à l'ensemble des Français d'accéder à une offre d'informations fiables, diversifiées et de proximité dans les territoires. L'audiovisuel local privé joue donc un rôle essentiel pour nos concitoyens, complémentaire des médias nationaux, privés et publics.
Comment entendez-vous collaborer avec l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel local privé ? Quel rôle spécifique l'Arcom souhaite-t-elle donner aux médias audiovisuels locaux dans le renforcement du lien social et démocratique dans les territoires ?
Ma dernière question portera sur un autre sujet. En juin 2024, l'Arcom a publié son Livre blanc sur l'avenir de la radio en France, dans lequel elle dresse un état des lieux des enjeux du média, propose un calendrier de déploiement du DAB+, ainsi que plusieurs recommandations d'évolution législative, relatives notamment aux mentions légales et aux contraintes musicales. Un an après sa publication, quelle place ce Livre blanc occupera-t-il dans la feuille de route de l'Arcom pour 2026 ? Comment comptez-vous mobiliser ces acteurs de l'audiovisuel local pour coconstruire la mise en oeuvre de ces recommandations ?
Mme Colombe Brossel. - Si un extraterrestre débarquait ici ce matin, il pourrait avoir le sentiment que le champ de compétence de notre commission se limite à l'audiovisuel public. La charge n'est pas nouvelle - nous l'avons vu lors de l'examen de la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, dans la version de Mme Dati -, elle est organisée, structurée. Est-ce un hasard ou une coïncidence si Éric Ciotti a déposé à l'Assemblée nationale une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l'audiovisuel public, après celle tendant à créer une commission d'enquête sur le coût de l'immigration ?
La Cour des comptes fait son travail et dit des choses extrêmement désagréables sur le financeur de l'audiovisuel public, à savoir l'État. C'est le point le plus important du rapport de la Cour des comptes !
Monsieur le président, Reporters sans frontières (RSF) a saisi l'Arcom après avoir enquêté sur la vague de harcèlement et de menaces proférées en mars 2025 sur les réseaux sociaux envers les auteurs d'un livre sur l'affaire de la mort de Thomas à Crépol.
La chaîne CNews s'est livrée pendant plus d'une semaine à une campagne de dénigrement de l'ouvrage et de ses auteurs, point de départ d'une vague de haine en ligne absolument spectaculaire contre les journalistes, menacés de mort. Pourquoi le contrôle de l'Arcom n'a-t-il pas été renforcé après la décision du 13 février 2024 du Conseil d'État ? Je rappelle par ailleurs que CNews est multirécidiviste et persiste.
Mme Béatrice Gosselin. - À la fin de votre propos liminaire, vous avez évoqué la question de l'inclusion des personnes en situation de handicap. Vous faisiez sans doute allusion à la directive européenne dite European Accessibility Act du 17 avril 2019, entrée en vigueur le 28 juin 2025, qui vise à faciliter l'accessibilité des personnes en situation de handicap.
Des éditeurs d'ouvrages scientifiques vous ont sollicité en tant qu'autorité de contrôle avec l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), pour s'inquiéter des conséquences de ces dispositions et vous interroger sur la manière de les mettre en oeuvre. C'est évidemment une question sensible, d'autant que les sanctions peuvent être lourdes. À ce jour, ils n'ont pas reçu de réponse. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Mme Annick Billon. - Les questions sur le pluralisme, l'impartialité et le service public sont pleinement légitimes, d'autant qu'il s'agit d'argent public, mais, comme elles ont déjà été largement évoquées, je vous interrogerai sur un autre sujet : l'accès aux sites pornographiques.
La délégation aux droits des femmes du Sénat a consacré à ce sujet d'importants travaux en 2022. Nous avons alors constaté que les mineurs consommaient massivement ce type de contenu : à 13 ans, un tiers des enfants a déjà eu accès à des images pornographiques ; pour ceux de 11 ans, une recherche sur ordinateur sur huit a trait à la pornographie - c'est une sur cinq sur smartphone !
Les conséquences sur les mineurs sont extrêmement graves : addictions, comportements sexuels à risque, image dégradée de la femme, effets sur le développement de la personnalité, la capacité d'empathie, etc.
Pourtant, le code pénal interdit « de fabriquer, de transporter, de diffuser [...] un message à caractère [...] pornographique [...] lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur », et la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, dite loi Sren, a renforcé le dispositif, en demandant à l'Arcom d'établir « un référentiel déterminant les exigences techniques minimales applicables aux systèmes de vérification de l'âge » - il s'agissait de l'une des propositions de notre rapport de 2022 Porno : l'enfer du décor.
Au mois d'août, l'Arcom a d'ailleurs publié un communiqué de presse sur les mesures qu'elle a prises à ce sujet : elle a notamment envoyé, en juin, une lettre d'observations à cinq sites pornographiques établis dans l'Union européenne.
Je voudrais tout d'abord avoir votre retour d'expérience sur cette question.
Ensuite, je m'interroge sur l'efficacité de la réponse de l'Arcom alors qu'un site fermé par la justice pour des faits d'agression sexuelle et homophobe est réapparu sous un autre nom, alors même que ce site est soupçonné d'être un repaire de prédateurs sexuels et de diffuser des contenus pédocriminels. Il semble que l'Arcom ait simplement adressé aux responsables de ce site un courrier avec un questionnaire en vingt points, ce qui paraît peu par rapport à la gravité des faits reprochés. Faut-il une loi Sren 2 ? Votre réponse est-elle suffisante ?
M. Adel Ziane. - Chaque matin, je me réjouis de me réveiller dans un pays, la France, dans une démocratie où, si l'envie m'en prend, je peux regarder CNews sur le canal 14 de la TNT, écouter France Inter ou France Info, ouvrir Le Journal du dimanche, Le Figaro ou Le Monde, en fonction de mes orientations politiques et de ma sensibilité.
Nous faisons référence à la loi de 1986, mais, à l'heure où certains veulent remettre en cause l'existence même d'autorités indépendantes et contestent la légitimité de l'audiovisuel public, je rappelle que dans l'histoire de notre République, chaque fois que certains ont voulu s'arroger le contrôle de l'information, de grandes difficultés ont suivi. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le législateur a instauré un statut de la fonction publique qui visait non seulement à protéger les agents contre les pressions partisanes et l'arbitraire, mais aussi à garantir aux citoyens le fonctionnement d'un service public dévoué à l'intérêt général. C'est encore le cas aujourd'hui : l'audiovisuel public est régulé et obéit à cette logique.
Depuis la radiodiffusion nationale sous Vichy et la tutelle étroite du ministère de l'information sur la Radiodiffusion-télévision française (RTF) puis sur l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), que le général de Gaulle appelait souvent« sa » télévision, les Français ont souvent connu une information partielle et partiale. La dissolution de l'ORTF en 1974 a ouvert une nouvelle étape, nous donnant la chance de pouvoir nous informer librement sur tous les types de supports. Cette évolution n'a rien d'anecdotique, car elle a permis à notre démocratie de se renforcer. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), puis l'Arcom, joue aujourd'hui le rôle de protéger les acteurs médiatiques des ingérences et de protéger les citoyens de toute captation du débat par des intérêts particuliers ou partisans.
Une évolution est bien évidemment nécessaire compte tenu du numérique. Là où les logiques purement commerciales peuvent conduire à une homogénéisation et au sensationnalisme, l'audiovisuel public incarne une exigence de pluralisme et de rigueur. Je partage les propos de ma collègue Sylvie Robert sur la définition des termes d'impartialité et de pluralisme, qui sont un véritable enjeu.
J'en viens à mes questions : monsieur le président, alors que certains mettent en doute la crédibilité du service public audiovisuel, quelles mesures comptez-vous prendre pour protéger le service public des ingérences politiques et économiques, afin de garantir que les Français continuent de bénéficier d'une information pluraliste, indépendante et de qualité ? Ainsi que Sylvie Robert l'a indiqué, nous devons étudier cette question pour l'audiovisuel tant public que privé. Comptez-vous élargir le spectre de l'audit que vous allez bientôt lancer ?
M. Michel Savin. - Vous avez rapidement évoqué la lutte contre le piratage, qui est l'une des missions de l'Arcom. En juin dernier, le Sénat a adopté à une très large majorité la proposition de loi relative à l'organisation, à la gestion et au financement du sport professionnel. Dans ce texte essentiel pour l'avenir du sport français, nous apportons notamment des réponses fortes en matière de lutte contre le piratage des contenus sportifs. Les chiffres communiqués l'an passé étaient en effet alarmants : le manque à gagner lié au piratage est estimé à 290 millions d'euros, soit à 15 % du marché. Même si le rythme des blocages demandés par l'Arcom s'est accéléré depuis 2022 - on en compte environ 600 par mois, à comparer aux 50 000 réalisés en Angleterre -, pourriez-vous préciser le nombre de blocages effectivement réalisés, et indiquer comment l'Arcom compte rendre effectifs les blocages en temps réel lors de la diffusion en direct des grands événements sportifs ? Disposez-vous des moyens humains et financiers suffisants pour mener cette mission de manière efficace et durable ?
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je salue le travail de l'Arcom, dont les missions se sont considérablement étoffées ces dernières années, rendant les chantiers nombreux et complexes.
Je souscris aux priorités que vous avez évoquées, monsieur le président. En ce qui concerne la protection des mineurs en ligne, sujet d'un colloque auquel j'ai participé la semaine dernière pour témoigner de l'importance des travaux des commissions de la culture et des affaires européennes du Sénat, il y a urgence devant le désastre et l'état de la santé mentale de nos jeunes. L'étude approfondie de l'Arcom permet d'éclairer le législateur sur les décisions à prendre dans les prochains mois pour préciser et affiner la régulation.
Le règlement européen sur les services numériques (RSN), dont Florence Blatrix-Contat et moi-même avions évalué en juin dernier l'application, permet bien à certains, dont l'Arcom, de mener des enquêtes, mais leurs délais impliquent qu'il n'est pas toujours possible d'agir vite. L'Arcom mériterait de jouer un rôle plus important, en coordination avec la Commission européenne, qui doit lui conférer ce pouvoir. Quoi qu'il en soit, l'application du RSN s'est faite dans les temps, et je vous remercie d'avoir fait paraître le référentiel de l'Arcom sitôt les textes réglementaires publiés. Ainsi qu'Annick Billon l'a souvent répété, notamment lors de l'examen de la loi Sren, la vérification d'âge est un sujet sur lequel il faut avancer, mais il relève de la législation européenne. Les textes européens devront être complétés sur ce point, sans compter que le débat sur l'âge minimal d'accès aux réseaux sociaux est encore devant nous.
Le second chantier concerne le service public de l'audiovisuel, qui constitue l'un des piliers de notre démocratie, ainsi que le règlement européen sur la liberté des médias l'indique. Ce texte a dû être adopté en réponse aux coups de boutoir donnés ces dernières années en Pologne ou en Hongrie à des entreprises qui, lorsque leurs missions sont bien exécutées, garantissent le pluralisme et la démocratie. Il faut être exigeant avec le service public de l'audiovisuel, et les débats sur son impartialité sont nécessaires, même s'il est vrai que le pluralisme concerne toutes les entreprises de l'audiovisuel, publiques comme privées. Le chantier doit être mené de manière à la fois exigeante et réaliste. Le rapport de la Cour des comptes souligne les manquements des entreprises, mais aussi les faiblesses de la tutelle, qui n'a pas stabilisé de trajectoire financière durant les dix dernières années. Souvenez-vous de la suppression de la redevance audiovisuelle, pour laquelle aucune ressource de substitution n'était prévue. Je puis l'affirmer pour avoir siégé au conseil d'administration de France Télévisions : le contexte est celui de la fragilisation de l'audiovisuel public. Pour que les réformes se fassent, il est important que la tutelle donne des consignes claires et exigeantes.
Permettez-moi d'ajouter un dernier point : je suis extrêmement préoccupée devant le débat actuel, où les médias traditionnels sont remis en cause sous les coups de boutoir de l'extrême droite - appelons un chat un chat. L'exigence de démocratie passe nécessairement par un audiovisuel public et par des médias de qualité.
Mme Karine Daniel. - Les nombreuses interrogations sur l'Arcom témoignent des fortes attentes et de la responsabilité collective que nous avons de renforcer les autorités garantes d'enjeux importants pour notre démocratie et notre république. Cédric Vial dressait un parallèle avec les affaires judiciaires récentes : de même que l'on doit défendre les institutions judiciaires, il faut défendre les autorités de régulation de l'audiovisuel.
Les tâches de l'Arcom sont immenses, et la question des moyens se pose naturellement. Comment appréhendez-vous ce sujet à l'orée de votre mandat ? À côté des moyens propres de l'Arcom, il faut également considérer ceux des signaleurs de confiance qui apportent une aide précieuse à votre institution. Or il s'agit parfois d'associations fragilisées par le contexte budgétaire. Se pose également la question des moyens donnés à l'éducation aux médias, qui permet de répondre à l'enjeu démocratique que constitue l'appropriation collective des médias, la compréhension de leur rôle et de leur place, pour toutes les générations.
M. Michel Laugier. - Je souhaite insister sur deux cas concrets : il y a quelques années, la présentatrice du journal d'Antenne 2, Béatrice Schönberg, avait démissionné parce que son mari était entré en politique, pour des motifs qu'on avait alors qualifiés de déontologiques. Pensez-vous qu'une même déontologie soit appliquée actuellement sur France Télévisions, notamment sur France 2 ?
En outre, C8 n'étant plus diffusée sur la TNT, Cyril Hanouna se retrouve aujourd'hui sur W9, présentant une émission au format exactement identique à celle qu'il présentait auparavant. Cette émission et la chaîne respectent-elles bien leur cahier des charges ?
M. Martin Ajdari. - Mesdames, messieurs les sénateurs, si mes réponses nécessairement synthétiques vous semblent insuffisantes, je reste à votre disposition pour les compléter.
En ce qui concerne l'impartialité du service public et des médias privés, le rôle de l'Arcom est de protéger l'indépendance du service public, de veiller à sa capacité à exercer les missions prévues par la loi avec les moyens fournis par le législateur, et éventuellement d'alerter si la situation se dégrade, à l'instar de la Cour des comptes. Par exemple, la plateforme Salto a dû fermer en raison du retrait de ses partenaires, mais aussi parce que ses perspectives pluriannuelles de financement ont été fortement révisées, pour des raisons légitimes. Notre rôle est alors de signaler ce déséquilibre des comptes, d'inviter à renforcer les coopérations entre les différents acteurs de l'audiovisuel public, ou encore, lors de la nomination d'un dirigeant, de lui donner une feuille de route l'invitant par exemple à procéder à des réformes internes du cadre social.
Mieux examiner l'impartialité du service public ne signifie pas qu'il y a des fautes en la matière. Depuis une quarantaine d'années et la fin de l'ORTF, nous nous sommes sans doute focalisés sur l'indépendance des médias, mais la question devient peut-être aujourd'hui davantage celle des gages d'impartialité et des preuves d'une appartenance commune que l'on donne. À mon sens, il s'agit d'une responsabilité propre au service public, ce qui ne signifie pas pour autant que les chaînes privées ne soient pas soumises à une obligation de pluralisme, dans les conditions que j'ai précisées. Nous nous prononçons uniquement sur saisine, collégialement, pour que l'on ne puisse pas nous reprocher de choisir nos cibles, une récente saisine venant par exemple d'être faite par Reporters sans frontières.
Les conditions de captation de la vidéo dont il était question peuvent être sujettes à débat, mais les propos les plus problématiques ont été reconnus par leur auteur, ce qui a fondé les décisions que nous avons prises.
Pour ce qui concerne le décompte du temps de parole de M. Zucman, nous pourrions, si nous en étions saisis, examiner la question d'une présentation insuffisamment équilibrée d'un sujet au coeur de l'actualité récente.
De manière générale, la volonté des journalistes de se doter d'un organe commun de déontologie semble très faible. Depuis des années, ils ne parviennent pas à se mettre d'accord pour instaurer un conseil de déontologie tel que celui qui existe en Belgique. Le choix leur appartient. Un comité d'éthique pourrait être instauré dans la loi issue des États généraux de l'information, accueillant des représentants issus des rédactions. Il faut se doter de structures permettant de traiter les questions relatives à l'impartialité du service public.
Monsieur Laugier, les relations entre des journalistes et des personnalités politiques sont aussi anciennes que la vie politique elle-même. Jusqu'à présent, une pratique assez courante voulait que, lorsqu'une personnalité est candidate, son conjoint, s'il exerce une fonction à l'antenne, se mette en retrait. La question peut être posée, mais il faut trouver le bon équilibre entre l'impartialité et le droit des deux conjoints à exercer chacun leur activité professionnelle.
L'émission de Cyril Hanouna avait été l'objet de nombreuses sanctions. Si des manquements aux obligations conventionnelles de W9 devaient être constatés, nous en tirerons les enseignements. Ce n'est pas le cas pour le moment.
Madame Karine Daniel, parmi les outils de régulation du numérique et d'appropriation par les citoyens de leur destin numérique, l'éducation aux médias, à l'information et à la citoyenneté numérique sont des chantiers extrêmement importants qui font partie de nos priorités. Ils doivent engager l'ensemble des acteurs concernés.
De même, l'ambition de régulation des plateformes est démesurée, mais pas inatteignable. Ainsi que Mme Catherine Morin-Desailly l'a suggéré, il faut auditionner les plateformes pour enquêter sur leur respect des obligations définies en France pour le public français, et il faut que cela alimente les travaux de la Commission.
En outre, si des contenus potentiellement illégaux ont été diffusés en ligne par Al-Jazeera, nous n'avons pas la compétence de faire cesser la diffusion en ligne de contenus illégaux. En revanche, la justice peut intervenir si elle constate des propos illégaux.
Le site Bounty reprend le site Coco, fermé pour pédopornographie, et laisse le sentiment d'une continuité de marque. Toutefois, les dirigeants du site affirment vouloir y mettre de l'ordre, et nous ne pouvons pas fermer le site a priori. La justice regarde très attentivement ce qui s'y passe. Nous sommes extrêmement vigilants sur leurs moyens de modération et leur demandons comment ils s'assurent que des contenus illicites ne sont pas présents. Nous engageons ce dialogue en lien avec les associations. À ce jour, il n'y a pas eu de fait concret pouvant leur être opposé, mais la question fait l'objet d'une très forte vigilance. En raison de la liberté de communication, on ne peut pas faire de procès d'intention à l'égard d'un acteur qui affirme qu'il veut se mettre en conformité avec la loi. De façon plus générale, en renforçant notre mobilisation collective et nos moyens, nous devons faire remonter les signaux faibles qui viennent de plateformes qui ne sont peut-être pas très grandes, mais qui peuvent poser des risques majeurs pour la société et les enfants. Il faut identifier ces sites, les repérer et faire remonter les signaux faibles pour agir de manière coordonnée.
Le piratage est évidemment un sujet qui nous préoccupe. Depuis le début de 2025, nous avons procédé à plus de 5 000 blocages, soit la moitié de toutes nos actions en la matière depuis 2022, lorsque la compétence nous a été confiée. À la fin du mois de mai 2025, nous avons trouvé un accord avec les fournisseurs d'accès à internet (FAI) et les ayants droit pour déterminer les conditions du blocage d'adresses IP, mais nous avons besoin que la proposition de loi du Sénat soit promptement examinée par l'Assemblée nationale pour pouvoir effectuer des blocages en temps réel.
Enfin, de petits éditeurs ont parfois du mal à se conformer aux règles d'accessibilité de leur catalogue, notamment en ce qui concerne les livres. Nous dialoguons avec eux pour être le plus compréhensifs possible.
Madame Laure Darcos, la télévision doit pouvoir accéder au marché publicitaire que les GAFAM accaparent, mais nous devons rester vigilants pour les radios indépendantes et la presse, qui sont des secteurs protégés. Ma crainte, c'est que les entreprises que nous protégeons, même si elles sont vitales pour la démocratie, ne pèsent pas grand-chose en valeur face aux masses considérables que les acteurs numériques arrivent à accaparer. Ce débat relève des compétences du Gouvernement, puisque les règles relatives à la publicité sont déterminées par le pouvoir réglementaire.
M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions de la précision de vos réponses, et des perspectives de travail que vous avez dessinées. Nous y serons très attentifs, pour bâtir notre propre programme de travail.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 15.