Mercredi 1er octobre 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 10 h 05.
Conséquences des décisions jurisprudentielles récentes en matière de droit relatif aux congés payés - Audition de MM. Jean-Guy Huglo, conseiller doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation, Pierre Ramain, directeur général du travail, Mme France Henry-Labordère, directrice générale adjointe du Medef, responsable du pôle social, M. Éric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales de la CPME, et Mme Laurence Breton-Kueny, vice-présidente déléguée de l'Association nationale des DRH et directrice des ressources humaines d'Afnor
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous organisons ce matin une table ronde sur les conséquences des décisions jurisprudentielles récentes en matière de droit relatif aux congés payés.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera ensuite disponible en vidéo à la demande.
Ces deux dernières années, plusieurs arrêts importants sont intervenus en la matière : l'un, en septembre 2023, relatif à l'acquisition de congés durant les périodes d'arrêt maladie ; deux autres, le mois dernier, relatifs, d'une part, à la possibilité de reporter ses congés payés si un arrêt maladie survient lors d'une période de congés, et, d'autre part, à la nécessité de prendre en compte les jours de congé dans le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Il s'agissait, dans chacun de ces cas, selon la Cour de cassation, de mettre le droit français en conformité avec le droit européen. Ces évolutions jurisprudentielles ont néanmoins suscité des réactions inquiètes des représentants des entreprises. Il a donc semblé utile de faire un point sur ce sujet.
Je remercie de leur présence M. Jean-Guy Huglo, conseiller doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation, M. Pierre Ramain, directeur général du travail, Mme France Henry-Labordère, directrice générale adjointe du Mouvement des entreprises de France (Medef), responsable du pôle social, M. Éric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et Mme Laurence Breton-Kueny, vice-présidente déléguée de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (DRH) et directrice des ressources humaines d'Agence française de normalisation (Afnor).
M. Jean-Guy Huglo, conseiller doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation. - S'agissant des droits à congés payés, avant nos arrêts du 10 septembre dernier, la jurisprudence traditionnelle des années 1980-1990 de la chambre sociale privilégiait un critère purement chronologique : un salarié dans l'impossibilité de prendre ses congés en raison de son arrêt maladie avait le droit de les reporter, mais le fait de tomber malade et de prendre un arrêt maladie au cours de ses congés n'en suspendait pas l'écoulement et n'ouvrait pas droit au report.
Or, dans un arrêt du 21 juin 2012, sur le fondement de la directive de 2003 sur le temps de travail et des congés payés, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a établi la règle inverse. Pour elle, conformément à l'article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - élaborée en 2000 et annexée au traité de Nice -, le droit au repos est un droit fondamental. Définissant la période de congés payés comme une « période de détente et de loisirs » pour le salarié, elle a considéré que tomber malade pendant une période de congés avait pour conséquence de changer l'objectif de la suspension de l'exécution du contrat de travail - il s'agit désormais de restaurer la santé du salarié - et ouvrait donc droit au report des congés payés.
À la chambre sociale de la Cour de cassation, nous avions évidemment conscience que notre jurisprudence traditionnelle était désormais incompatible avec celle de la CJUE. Mais, comme nous n'avions jamais été saisis jusqu'à cette année, nous n'avions jamais eu l'occasion de nous prononcer de nouveau sur la question. Contrairement à ce que je lis parfois dans la presse, la Cour de cassation ne « s'empare » pas d'un sujet ; il faut qu'il y ait un pourvoi.
Nous avons été saisis en début d'année, et nous avons dû statuer. Nous n'avons pas eu à écarter l'application d'une disposition du code du travail, puisqu'il n'y en a pas sur le sujet. Par ailleurs, en vertu d'une jurisprudence générale de la CJUE, le juge national est soumis à une obligation d'interprétation conforme de son droit national au regard des règles européennes. Il était donc évident que notre jurisprudence sur les congés payés devait évoluer.
Nous avons renvoyé le dossier en plénière de chambre, la formation la plus solennelle, qui comporte dix-sept magistrats. Depuis 2018, les revirements de jurisprudence s'effectuent uniquement en plénière de chambre. Un projet d'arrêt mettant en conformité notre jurisprudence avec celle de la CJUE a été rédigé. Il n'y a pas eu de contre-projet ; c'était rigoureusement impossible. En effet, si nous avions fait fi de la jurisprudence de la CJUE, nous aurions créé une situation de manquement judiciaire, ce qui peut avoir deux conséquences.
La première est évidemment la possibilité d'un recours en manquement de la Commission européenne contre la République française. Il y a eu des précédents : le 4 octobre 2018, la France a été condamnée en manquement du fait du maintien d'une jurisprudence en matière fiscale du Conseil d'État incompatible avec la libre prestation des services, sur le fondement d'une plainte déposée par des entreprises françaises.
La deuxième est liée à l'arrêt Köbler de 2003 de la Cour de justice de l'Union européenne, qui institue la responsabilité de l'État vis-à-vis des particuliers, notamment des salariés, pour les violations graves et manifestes du droit de l'Union européenne résultant d'une décision de la cour suprême nationale. En cas d'appel et de cassation, ces affaires sont portées devant mes collègues de la première chambre civile de la Cour de cassation, qui est compétente pour les actions de responsabilité contre l'État relevant du juge judiciaire.
Dans cet arrêt, l'organe juridictionnel européen a défini les conditions, très classiques, d'engagement de la responsabilité : tout d'abord, existence d'une violation d'une norme de droit de l'Union européenne qui confère des droits aux particuliers, comme la directive de 2003 sur les congés payés ; ensuite, existence d'une violation grave et manifeste du droit de l'Union européenne par la cour suprême nationale ; enfin, existence d'un préjudice subi par le particulier. Il y a des exemples : la première chambre civile a déjà dû statuer sur une action en responsabilité contre l'État du fait de violations supposées par une autre chambre.
Je n'ai aucun doute que, en l'espèce, si nous avions maintenu notre jurisprudence ancienne, la violation grave et manifeste du droit de l'Union européenne aurait été constituée. D'une part, l'arrêt de 2012 est très clair : depuis un an, le site du ministère du travail recommande aux entreprises de faire application non pas de la jurisprudence de la chambre sociale, mais de celle de la CJUE. D'autre part, comme vous le savez, une procédure en manquement a été engagée par la Commission européenne le 18 juin dernier. Nous n'avions donc aucune marge de manoeuvre.
Néanmoins, nous avons prévu un certain nombre de garde-fous. Premièrement - cela figure dans l'arrêt, dans la notice explicative et dans le communiqué de presse -, il faut évidemment que le salarié ait notifié à l'employeur un arrêt maladie durant ses congés payés. Le délai réglementaire est de quarante-huit heures. En effet, si l'employeur a des doutes sur la justification médicale de l'arrêt maladie, il doit pouvoir provoquer une contre-visite par un médecin-conseil de la caisse primaire d'assurance maladie.
Deuxièmement, j'ai pris la précaution de ne pas rendre l'arrêt avant le mois de juillet et d'attendre le 10 septembre, pour laisser le temps de s'accoutumer à la règle nouvelle. Je pense qu'il ne devrait quasiment pas y avoir d'effet rétroactif, puisque nous avons subordonné l'application de la règle au fait que le salarié ait notifié à l'employeur un arrêt maladie durant sa période de congés.
Sur le deuxième arrêt, qui concerne le mode de calcul des heures supplémentaires, la problématique est un peu différente. Là, il y avait une disposition du code du travail : l'article L. 3121-28 du code du travail prévoit que toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire de 35 heures est une heure supplémentaire. Simplement, le texte précise qu'il doit s'agir de 35 heures de travail effectif. Dès lors, un salarié ayant fait des heures supplémentaires en début de semaine qui prend un jour de congé le vendredi perd son droit à majoration d'heures supplémentaires s'il est en dessous des 35 heures. Un système similaire existe en droit allemand, mais pour ce dernier la période de référence des heures supplémentaires est le mois, et non la semaine. Cela a fait l'objet d'une condamnation par la CJUE, considérant qu'un tel dispositif dissuadait le salarié de prendre ses congés payés. Ce qui vaut pour une période de référence d'un mois vaut a fortiori évidemment pour une période de référence d'une semaine.
Nous étions donc face à une difficulté, puisque nous avions un article du code du travail partiellement incompatible avec la directive de 2003 telle qu'elle a été interprétée par la CJUE. Dans une série d'arrêts du 6 novembre 2018, cette dernière a reconnu l'effet direct de l'article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sur le droit au repos. En théorie, les directives européennes n'ont pas d'effet direct horizontal, c'est-à-dire dans les litiges entre particuliers. Mais la CJUE a reconnu l'effet direct de trois articles de la Charte européenne des droits fondamentaux, dont celui que je viens de mentionner. Dans ses arrêts du 6 novembre 2018, elle a considéré qu'un juge national saisi d'un litige entre particuliers pouvait écarter l'application du droit national incompatible sur le fondement de cet article d'effet direct. En d'autres termes, l'article est considéré comme suffisamment précis et inconditionnel pour être appliqué immédiatement par un juge.
L'article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est donc la base juridique des arrêts du 13 septembre 2023 sur l'acquisition par un salarié de congés payés durant sa période de maladie, en sachant que notre droit était incompatible, mais de manière différente. L'incompatibilité du droit français concernait uniquement la limite d'un an. Vous le savez, les arrêts que nous avons rendus ont conduit à l'adoption de la loi du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue).
Nous avons dû faire de même sur le mode de calcul des heures supplémentaires, en écartant partiellement l'article L. 3121-28 du code du travail : le jour de congé pris par le salarié ayant exécuté des heures supplémentaires doit être en quelque sorte assimilé à une heure de travail effectif.
Je pense que nous en avons désormais à peu près terminé avec la mise en conformité de notre droit du travail avec le droit de l'Union européenne en matière de congés payés, hormis peut-être quelques détails ponctuels.
M. Pierre Ramain, directeur général du travail. - En complément, j'aimerais rappeler le contexte dans lequel ces arrêts sont intervenus. Nous avons été destinataires d'une mise en demeure de la Commission. Elle avait été précédée de contacts informels ; conscients de la fragilité de notre dispositif juridique, nous avions mis sur le site du ministère une information recommandant de se conformer à la jurisprudence de la CJUE.
Nous répondons à la mise en demeure de la Commission d'une double manière. Tout d'abord, nous indiquons le sens des arrêts de la Cour de cassation. Surtout, la loi Ddadue du 22 avril 2024, notamment son article 37, consacre indirectement un droit au report des congés payés ne pouvant être pris en raison d'un arrêt maladie. L'article L. 3141-5 du code du travail dispose que les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n'entraînant pas un caractère professionnel sont « considérées comme périodes de travail effectif » pour la détermination du droit à un congé. Comme il n'y a aucune précision apportée quant à la date, le dispositif s'applique à tous les arrêts de travail, y compris ceux qui surviennent pendant les congés payés. Et les articles L. 3141-19-1 et L. 3141-19-2 du même code, toujours créés par la loi Ddadue, précisent qu'un salarié dans l'impossibilité de prendre ses congés payés pour cause de maladie bénéficie d'une période de report sans distinction selon la date à laquelle l'arrêt de travail survient, y compris si c'est pendant une période de congés payés.
L'incompatibilité entre notre droit interne et la jurisprudence de la CJUE sur la question du report des congés survenus à l'occasion d'un arrêt maladie avait assez bien été identifiée, d'où l'information que nous avions mise sur le site du ministère.
Contrairement à ce que nous avions connu voilà deux ans à la suite des arrêts de septembre 2023, nous n'avons pas, me semble-t-il, de situation antérieure lourde à régler. Le fait que l'arrêt de travail doive être prescrit et notifié à l'employeur est une double garantie qui rend impossible l'application du bénéfice de la jurisprudence aux situations passées.
En ce qui concerne le calcul des heures supplémentaires, il y a également une limitation. Dans l'arrêt, il est fait référence au décompte hebdomadaire, mais pas aux autres modes de décompte du temps de travail. En pratique, les heures supplémentaires dites « structurelles », celles qui sont effectuées chaque semaine par un salarié dans une entreprise parce que le régime horaire est de 38 heures ou de 39 heures et pas de 35 heures, ne sont pas concernées par le bénéfice de la jurisprudence. C'est uniquement sur les heures ponctuelles dans les entreprises en régime de décompte hebdomadaire que la jurisprudence aura un effet direct.
Enfin, nous avons examiné ce qu'il en est dans les autres États membres de l'Union européenne, et nous avons constaté que tous - je mets de côté le système allemand, dont les particularités ont été mentionnées tout à l'heure - ont un droit conforme. Nous sommes en train de nous aligner.
Mme France Henry-Labordère, directrice générale adjointe du Medef, responsable du pôle social. - Si nous ne contestons pas le raisonnement juridique sur lequel ces deux nouveaux arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation se fondent, force est de constater qu'ils sont très mal perçus par les entreprises et les employeurs.
Tout d'abord, ils font suite aux arrêts du mois de septembre 2023, qui avaient donné lieu à la loi Ddadue du 22 avril 2024, un texte dont l'adoption avait déjà envoyé un premier signal négatif aux chefs d'entreprise s'agissant de la valeur travail.
Ensuite, ils s'inscrivent dans un contexte d'augmentation très importante des arrêts maladie depuis la fin du covid. Entre 2010 et 2019, la croissance annuelle des arrêts maladie était de 2,3 %. Depuis la période 2019-2023, elle est passée à 3,9 %. Au-delà de l'effet covid en 2020 et 2021, le nombre des arrêts maladie reste à un niveau très élevé, même si une partie d'entre eux sont liés au vieillissement de la population. En 2023, le coût des indemnités journalières s'élevait tout de même à plus de 10 milliards d'euros.
En France, nous souffrons d'un déficit d'heures travaillées, ce qui pose problème dans l'environnement très concurrentiel qui est le nôtre. Une récente étude du Conseil d'analyse économique (CAE) montrait que notre pays présente un écart en termes de nombre d'heures travaillées par habitant d'une centaine avec les Allemands et les Britanniques, et de plus de 300 heures avec les Américains. Les deux arrêts apparaissent comme de nouveaux cailloux dans notre chaussure.
Cela a été rappelé, si cette jurisprudence s'inscrit dans un cadre juridique, celui de l'interprétation de la CJUE de la directive sur le temps de 2003, la France a la particularité d'avoir une réglementation sur le temps de travail extrêmement exigeante. En plus des 35 heures, nous avons toute une série de règles très contraignantes sur tout le champ du temps de travail, qu'il s'agisse du temps partiel, du travail dominical, du travail de nuit, etc. Cette législation proprement française s'ajoutant aux règles fixées par l'Union européenne, il devient extrêmement difficile pour les entreprises de rester compétitives.
La loi Ddadue a eu des effets positifs : elle a limité les possibilités de rétroactivité, ce que nous avons approuvé ; je pense qu'il y avait une très forte insécurité juridique pour les entreprises à l'époque. Mais cela a également eu des conséquences financières, puisque les entreprises doivent provisionner les sommes nécessaires.
En ce qui concerne les contestations de la part des salariés, nous n'avons à ce stade que peu de retours, la loi Ddadue étant très récente. Nous constatons simplement que les salariés utilisent ce motif comme un motif supplémentaire en cas de contestation d'un licenciement.
Nous sommes en train d'analyser les deux nouveaux arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation, en sondant nos entrepreneurs. Leurs premières interrogations concernent le délai pendant lequel le salarié peut et doit communiquer son arrêt de travail à l'employeur pour bénéficier du report de congés. Le délai réglementaire de quarante-huit heures s'applique-t-il ? Comment se passe la contre-visite lorsque le salarié est à l'étranger ? Quid des congés de fractionnement, qui - je le rappelle - sont dus quand il n'est pas possible de prendre la durée totale du congé principal ?
En ce qui concerne le second arrêt, qui concerne le décompte hebdomadaire des heures supplémentaires des salariés, notre première analyse est que cela concerne un nombre relativement limité de salariés. Mais des questions se posent tout de même. La décision s'applique-t-elle aussi à la cinquième semaine de congé, c'est-à-dire au-delà des quatre semaines visées par la directive européenne de 2003 ? S'applique-t-elle également au calcul des heures complémentaires des salariés à temps partiel ? Quelle pourrait être la position de la Cour de cassation concernant les autres dispositifs de décompte ?
Pour notre part, nous considérons qu'une réflexion plus globale sur notre législation du temps de travail s'impose. Si nous ne contestons évidemment pas le principe au repos du droit des salariés, il nous semble que les souplesses dont nous bénéficiions depuis 2003 ont été remises en cause par cette nouvelle jurisprudence quand les rigidités de notre législation nationale sont, elles, maintenues.
M. Éric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales de la CPME. - Merci d'avoir organisé cette table ronde, un exercice tout à fait louable au moment où les chefs d'entreprise font face à de véritables difficultés et s'interrogent : ne sommes-nous pas en train de partir à la dérive avec un droit qui devient peu à peu incompréhensible pour le commun des mortels ?
En effet, un salarié ou un chef d'entreprise moyen ne comprend rien à la situation actuelle. Chargé des affaires sociales depuis sept ans, je vais être obligé, pour la première fois, de céder la parole aux juristes de mon équipe, car je ne suis pas en mesure de comprendre l'intégralité du sujet. Il n'est pas envisageable de continuer ainsi, avec un droit du travail qui devient d'une complexité sans nom et des chefs d'entreprise réduits au rôle de spectateurs du match entre la réglementation française et la réglementation européenne. Je vous remercie donc de vous être saisis du sujet et j'espère que vous pourrez le porter plus avant.
Ces nouvelles règles fragilisent terriblement la valeur travail et les entreprises, en étant source de complications considérables. Les transpositions opérées par la loi amènent selon moi davantage de complexité pour le chef d'entreprise, dans la méconnaissance la plus complète de la réalité vécue dans les entreprises, tant pour les dirigeants que pour leurs salariés.
Avant la loi du 22 avril 2024, aucune disposition n'encadrait l'arrêt de travail d'origine non professionnelle ; désormais, celui-ci ouvre le droit à deux jours ouvrables par mois, étant précisé qu'il existe maintenant deux compteurs, l'un fondé sur une période de vingt-quatre jours et l'autre sur une période de trente jours.
S'y ajoute un changement en matière d'arrêt de travail d'origine professionnelle, dans la mesure où il n'existe plus de plafond pour le nombre de jours d'acquisition. Encore une fois, ces différents aspects sont incompréhensibles pour le commun des mortels ; seul un juriste spécialisé est en mesure d'y voir clair.
L'employeur est également soumis à un devoir d'information qui représente une contrainte supplémentaire. De surcroît, là où la période de report des congés est censée être de quinze mois, les congés sont dans la pratique pris dans l'année. Parmi les autres aspects qui me laissent perplexe, le calcul de l'indemnité de congés est d'une telle complexité que je peine à m'approprier le sujet, sans oublier la question des délais de prescription, de rétroactivité depuis 2009 et de forclusion... C'est donc d'une véritable armée de juristes dont il faut se doter, mais je rappelle que les PME et les TPE que je représente en sont dépourvues !
J'insiste sur la catastrophe que représente la mise en place de deux compteurs distincts pour les congés : comment pourrions-nous avancer sur ce point ?
S'agissant de l'introduction d'un délai de report, qui pouvait paraître à première vue comme une disposition sécurisante, donc comme une bonne nouvelle, l'obligation faite à l'employeur d'informer le salarié du nombre de jours de congés payés acquis et de leur date limite dans le mois qui suit la reprise peut rapidement devenir chronophage, avec un risque d'oubli.
De plus, nous estimons qu'un salarié bénéficiant d'un report de congés payés du fait de la survenance d'un arrêt maladie au cours de cette période de congés programmés ne devrait pas pouvoir prétendre à l'application de cet article, dès lors qu'il est en mesure de prendre ses jours de repos avant le terme de la période de prise de congés. Il existe là une complexité que nous pourrions tâcher d'atténuer, en posant pour principe que les congés doivent être pris dans un délai d'un an, quelle que soit leur nature.
Tout n'est pas perdu de notre point de vue, car nous sommes d'éternels optimistes : nous formulerons des propositions afin de simplifier le droit, et les parlementaires pourront s'en saisir. Parmi elles, l'acquisition de congés payés en arrêt maladie ne serait possible qu'à la condition que le compteur de congés n'atteigne pas vingt-quatre jours ouvrables pour une période de référence entière. Selon nous, il n'était pas nécessaire de modifier la rédaction des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail : il convenait simplement de prévoir que les droits à congé d'un salarié qui a fait l'objet d'un arrêt de travail ne peuvent être réduits en deçà de quatre semaines pour une période de référence, ladite période de quatre semaines étant imposée par la réglementation européenne.
Qu'advient-il, en effet, des droits attachés à la cinquième semaine ? Quelles sont les conséquences d'un arrêt maladie survenant pendant la cinquième semaine ? Ces points méritent que vous vous en empariez, afin de simplifier la loi, et nous avons des propositions rédactionnelles en ce sens.
J'en viens à la nécessité d'endiguer l'explosion des arrêts maladie et rappelle les propositions de la CPME en la matière : d'une part, instaurer trois jours de carence d'ordre public ; d'autre part, mettre fin à la possibilité de délivrer des arrêts maladie en ligne, car ceux-ci pourraient être aisément accordés pendant les périodes de congés. Nous avons également des propositions relatives à l'invalidité.
En conclusion, nous ne sommes pas inactifs sur le sujet, puisque nous essayons de faire en sorte que Small and medium enterprises united (SMEunited), qui représente l'ensemble des TPE-PME à l'échelon européen, puisse faire valoir des modifications.
Comme l'a justement souligné Mme France Henry-Labordère, le droit du travail français est à la fois très complexe et très protecteur dans le domaine du temps de travail. Or cette législation vient ajouter une couche réglementaire incompréhensible pour les chefs d'entreprise.
Mme Laurence Breton-Kueny, vice-présidente déléguée de l'ANDRH et directrice des ressources humaines d'Afnor. - L'ANDRH compte 6 500 membres en France et représente environ 12 millions de salariés.
Je partage une série de constats dressés par les intervenants précédents, à commencer par la complexification du droit. J'y ajoute un point qui est trop peu souvent évoqué, à savoir les différences de traitement qui découlent de l'application, au-delà du code du travail, des conventions collectives et des accords collectifs qui peuvent être beaucoup plus favorables.
Pour en revenir aux décisions du 13 septembre 2023, je souhaite insister sur l'iniquité de traitement que génère le dispositif qui en résulte : jusqu'à présent, seuls les accidents de travail (AT) et les maladies professionnelles (MP) ouvraient droit à des congés, mais c'est désormais le cas pour toutes les formes d'arrêt de travail. Très récemment, nous avons eu l'exemple d'une personne absente pendant deux ans et qui disposera de vingt-cinq jours de congé au titre de la première année et de vingt jours au titre de la seconde, alors que des salariés qui travaillent toute l'année n'ont droit qu'à vingt-cinq jours de congés payés : une telle situation pose question du point de vue de l'équité.
S'il faut appliquer le droit européen, il convient de le faire de manière intelligente. Je rappelle que nos collègues allemands ne disposent que de vingt jours de congé, ce qui explique que cette durée ait été retenue pour la deuxième année.
Concernant le décompte et le paiement des heures supplémentaires, qui donnent parfois lieu à des litiges, il faut rappeler qu'il existe différentes façons de calculer le temps de travail - de manière hebdomadaire, mensuelle ou annualisée - et des modalités qui varient selon les accords et les conventions collectives. En fonction de l'entreprise considérée, il faut ainsi ajouter aux congés payés les congés pour ancienneté et les jours de réduction du temps de travail, et déterminer si nous nous accordons ou non pour retenir une période de quatre semaines de congés payés, ce qui ouvre encore la voie à un certain nombre de problématiques.
J'en reviens à l'arrêt du 10 septembre 2025 relatif au report des congés lorsque le salarié tombe malade durant ses vacances. Si nous devons recevoir la notification d'un arrêt maladie dans un délai de 48 heures, le garde-fou que constituent les indemnités journalières (IJ) de la sécurité sociale est nécessaire : je refuserai donc, en l'absence de paiement desdites IJ, de compenser, même si nombre d'entre nous subrogent.
Je rappelle que vous avez placé un poids supplémentaire sur les épaules des entreprises, dans la mesure où les IJ versées par la sécurité sociale sont désormais plafonnées à 1,4 Smic, contre 1,8 Smic précédemment. En tant que directeurs des ressources humaines, nous ne compléterons que lorsque nous constaterons le versement des IJ de la sécurité sociale.
Je vais tâcher de décrire le processus tel qu'il se déploie concrètement : le 10 septembre, nous déclarons tous les événements du mois d'août, puis nous recevons, le 16 septembre, le retour de la sécurité sociale. Cette dernière nous indique parfois que tel ou tel arrêt n'a pas été reçu, cas dans lequel nous ne sommes pas en principe tenus de maintenir la rémunération.
Une fois encore, les modalités varient en fonction des entreprises et des conventions collectives, mais, de manière générale, trois jours de carence s'appliquent la première année et la personne concernée ne perçoit que les IJ de la sécurité sociale.
Afin que tout se déroule correctement, il faut procéder à des vérifications. Je rappelle que le filigrane ne figure que sur le premier volet des arrêts de travail, mais que nous ne recevons que le troisième volet et que nous ne disposons pas d'une vision complète de la réalité avant le compte rendu de la sécurité sociale. Je vous invite donc à ne pas oublier l'aspect pratique de l'application de la réglementation.
Nous sommes également prêts à vous aider, car la rédaction de nombreux articles prête le flanc à l'interprétation. Or c'est de cette dernière que découle une inégalité de traitement entre les organisations disposant des moyens de trouver la bonne information et les autres.
Je rappelle, enfin, que nous courons également le risque de contestation et de contrôle de l'Urssaf.
Mme Frédérique Puissat. -Je salue l'organisation de cette table ronde sur ce sujet très technique. En synthèse, la Cour de cassation reconnaît aux salariés qui tombent malades pendant leurs congés payés le droit de les reporter, tandis que les congés payés doivent être intégrés au calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Il convient d'y ajouter - car tout cela a des incidences sur les collectivités locales et sur le budget de l'État - que le Gouvernement a pris un décret le 21 juin 2025, afin de se mettre en conformité en tant qu'employeur.
Au cours de nos différents entretiens avec le Medef et la CPME, le coût estimatif de la mesure était estimé dans une fourchette allant de 1,5 milliard d'euros à 3 milliards d'euros : pouvez-vous confirmer ces montants ?
En avez-vous estimé le coût, monsieur le directeur général du travail, pour la fonction publique d'État et, par ricochet, pour les collectivités territoriales qui vont être concernées ?
Par ailleurs, j'ai bien entendu le propos de M. le conseiller doyen et personne ne remet en cause les arrêts de la Cour de cassation. Mais pourrions-nous envisager d'ajouter des garde-fous réglementaires, afin d'anticiper les enjeux opérationnels et financiers et un probable embouteillage des juridictions ? Des recours sont-ils possibles avant de toucher au texte de loi ?
Enfin, la majorité sénatoriale est prête à se saisir de vos propositions, mais encore faut-il un véhicule législatif et une majorité qu'il sera difficile de réunir du côté de l'Assemblée nationale. Dans un contexte d'incertitude, d'absence de gouvernement et d'instabilité d'une Assemblée nationale exposée à un risque de dissolution, le temps va continuer à courir et les prochaines décisions législatives dans ce domaine ne pourront être prises qu'en 2026, compte tenu d'un calendrier parlementaire déjà rempli par le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Je me tourne vers les organisations professionnelles : quelques avancées sont-elles observées dans le cadre des discussions paritaires relatives au temps de travail ? Celles-ci pourraient nous permettre de desserrer l'étau et d'atténuer les conséquences des décisions de la Cour de cassation.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Sénatrice du Bas-Rhin, je prête attention à la législation relative aux travailleurs frontaliers : sauf erreur de ma part, l'Allemagne applique la réglementation dont nous débattons depuis 1963. Nous sommes-nous rapprochés de nos voisins ? Existe-t-il des solutions ? Il est certain que l'application des conventions collectives débouchera sur des différences sensibles.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Le sujet a suscité de nombreuses réactions, y compris sous une forme épidermique chez les chefs d'entreprise, mais aussi chez les médecins qui ont pu penser que des exigences supplémentaires leur seraient demandées en termes de qualification de l'arrêt de travail. Monsieur le conseiller doyen, vous avez laissé entendre que la France était déjà très en retard s'agissant de cette transposition de la directive européenne. Mais quelle était la situation dans les autres pays et y avait-il véritablement urgence ?
Si une certaine indignation s'est exprimée quant aux conséquences de la décision, il faudrait sans doute s'interroger sur les causes du mécontentement des chefs d'entreprise : afin de comprendre la complexité du droit du travail, un niveau de qualification élevé est requis, et le patron de PME ou de TPE peut fort bien se tromper, au risque de désespérer et d'avoir à mettre la clé sous la porte.
Comment pourrions-nous faire pour aider les chefs d'entreprise qui créent de l'emploi ? Loin d'exploiter leurs salariés - contrairement à une idée communément admise dans notre pays -, ils sont harassés et enserrés dans une gaine normative qu'il conviendrait d'alléger.
M. Jean-Guy Huglo. - S'agissant du report des congés payés pour les salariés qui tombent malades pendant leurs vacances, nous étions a priori le seul pays à ne pas être en conformité avec le droit européen.
Concernant les arrêts du 13 septembre 2023 relatif à l'acquisition de congés payés par le salarié malade, l'arrêt correspondant de la CJUE date de 2009 et a été rendu dans sa formation la plus solennelle : quinze États membres sont intervenus devant cette juridiction, mais la France n'en faisait pas partie. Dans la mesure où cette solution a été réitérée dans le droit français en 2013, nous avons indiqué qu'il fallait procéder à une mise en conformité, ce qui a été chose faite avec la loi du 22 avril 2024.
Lorsque la CJUE avait rendu les arrêts du 6 novembre 2018 sur l'effet direct de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, nous avions d'ailleurs souligné que cette réforme était d'autant plus urgente.
J'ajoute que l'obligation d'information de l'employeur qui a été évoquée a certes été créée par la loi du 22 avril 2024, mais qu'elle découle de la jurisprudence de la CJUE : cette dernière a décidé que le délai de prescription prévu par le droit national s'applique à condition que l'employeur ait mis le salarié en mesure de prendre effectivement ses congés.
Le point de départ du délai de prescription - nous ne pouvons pas modifier ce point - correspond donc au jour où l'employeur met le salarié en mesure de prendre effectivement ses congés, d'où des difficultés liées à l'incompatibilité du droit national, dans la mesure où l'employeur qui se borne à appliquer le code du travail ne peut évidemment pas mettre le salarié en mesure de prendre ses congés, car il ne lui reconnaît pas, par définition, un droit à congés payés pour une période d'arrêt maladie.
En outre, si la jurisprudence de la Cour de justice autorise les salariés à reporter ces congés, elle permet aussi au droit national de prévoir un délai à l'issue duquel le salarié perd son droit à report. Ce délai existait pour les fonctionnaires, mais pas pour les salariés, avant la loi du 22 avril 2024.
Le délai de quinze mois qui a été mentionné provient lui aussi de la jurisprudence de la CJUE, qui a estimé qu'il fallait prévoir une période substantiellement plus longue que la période de référence : ladite période de référence étant d'un an dans la quasi-totalité des États membres, elle a admis une période de quinze mois en droit allemand. C'est pourquoi le législateur s'est limité à cette durée, qu'il me semble malaisé de réduire, car un tel changement serait jugé incompatible avec la jurisprudence de la CJUE.
Quant à la complexité de la loi du 22 avril 2024, il est certain que sa mise en oeuvre aboutit à faire coexister deux logiciels de paie. Mais ladite loi avait pour objectif d'éviter une surtransposition de la directive en se limitant - du moins dans certains cas - aux quatre semaines de congés payés.
Pour ce qui est de l'assiette, des heures supplémentaires et du sort de la cinquième semaine de congés payés, je tiens à souligner que la Cour de cassation ne dispose que de pouvoirs limités : elle ne peut qu'écarter partiellement un texte du code du travail, mais en aucun cas procéder à une réécriture.
Nous avons ainsi écarté partiellement l'article L. 3121-28 du code du travail relatif au mode de calcul des heures supplémentaires, sans pouvoir réécrire le texte en établissant une distinction - comme l'avait fait la loi du 22 avril 2024 - entre la cinquième semaine de congés et les quatre semaines du droit national. L'effet sera de toute façon assez limité.
M. Pierre Ramain. - Je note qu'une partie non négligeable des complexités citées par M. Chevée a été souhaitée par les organisations professionnelles elles-mêmes au moment des discussions autour de la loi Ddadue, afin de limiter l'impact du coût de la mise en conformité du droit national avec le droit européen, d'où notamment l'introduction du double compteur et du délai du report.
Il existait donc sans doute une contradiction entre la limitation de la complexité et l'atténuation de l'impact de la mise en conformité. De la même manière, l'information du salarié était l'une des conditions qui permettaient la limitation du délai de report et la mise en place d'un mécanisme de prescription.
Nous sommes confrontés, dans le cadre de la rédaction et de l'application des textes, à un délicat exercice de conciliation d'objectifs potentiellement contradictoires, d'où une complexification du droit, mais j'insiste sur le fait que l'atténuation de l'impact semblait être l'objectif principal au moment du vote de la loi, notamment s'agissant de la régularisation des situations passées.
Pour ce qui est de l'évolution des IJ, je rappelle que ces dernières ont enregistré une hausse de 39 % de 2019 à 2024 - corrigées du vieillissement démographique et de l'inflation - , ce qui pose de réelles questions, tant pour les finances publiques que pour l'organisation des entreprises et pour le coût des dispositions de la protection collective qu'elles financent.
S'agissant de la situation des autres pays européens, seule la Slovaquie était dans une situation de non-conformité avant que nous n'adoptions la loi d'avril 2024.
Concernant les arrêts de travail survenus pendant les périodes de congés payés, nous sommes tout à fait disposés à examiner des suggestions permettant d'appliquer les principes de manière pragmatique. Cependant, je précise que les voies de passage sont très étroites, notamment en droit conventionnel, car tout ce qui serait perçu comme une remise en cause du droit au repos garanti par la directive risquerait de créer une nouvelle insécurité juridique. De ce point de vue, notre responsabilité consiste bien à instaurer des garde-fous et à éviter de recréer des situations de flou juridique qui seraient désastreuses pour tous les acteurs.
Enfin, je ne suis pas en mesure de vous répondre sur l'impact financier de ces changements pour la fonction publique. Nous ne disposons pas de données solides sur ce sujet et sommes de plus confrontés à une saisonnalité dans les arrêts de travail qui empêche de parvenir à un chiffrage robuste des conséquences de cette jurisprudence.
Mme France Henry-Labordère. - Madame Puissat, nous avions évalué à environ 2,7 milliards d'euros l'impact des changements au moment de la loi Dadue. Si les entreprises provisionnent à ce titre, la loi est entrée en vigueur trop récemment pour vous fournir un chiffre précis.
Concernant les possibles garde-fous, il est important de s'assurer que le report des congés payés en cas d'arrêt maladie sera bien limité à quinze mois. Sur le plan de la rétroactivité, nous sommes dans une situation sensiblement différente de celle de l'an dernier, et le nombre de salariés qui auraient envoyé leur arrêt maladie à leur employeur sans connaître les règles applicables est sans doute très limité.
Plus globalement, la question de l'absentéisme est posée et nous soutenons également l'instauration d'un ou plusieurs jours de carence d'ordre public : la mesure pourrait en effet décourager le recours aux arrêts maladie en les rendant financièrement moins intéressants, mais il convient de prendre en compte la durée de l'arrêt dans le calcul ; de plus, certains accords d'entreprise ou de branche « écrasent » les jours de carence d'ordre public, avec un maintien du salaire dès le premier jour.
Comme cela a été rappelé, nous sommes confrontés à une très forte augmentation du taux de recours aux arrêts maladie, y compris en tenant compte des effets du vieillissement et de l'inflation. Il y a là un sujet à instruire, car nous sommes très préoccupés par cette évolution.
Madame Muller-Bronn, quelles seront les règles applicables aux travailleurs frontaliers ? À ce stade, je ne suis pas en mesure de vous répondre. Dans ce domaine, il semblerait que la France ait accumulé un certain retard. Cela étant, notre pays a la particularité de disposer d'une législation beaucoup plus exigeante que celle de la plupart de ses voisins européens en matière de temps de travail. Il s'agit là d'une grande différence.
M. Éric Chevée. - Lorsque, hors maladie, le salarié a eu la possibilité de prendre ses quatre semaines de congés payés à la fin de la période de référence, ne pourrait-on pas partir du principe qu'il est en conformité avec le droit européen et le droit français ? Ce serait bien plus simple que tel ou tel empilement de dispositifs...
La situation du dialogue social et, plus largement, la tension sociale à l'oeuvre n'ont échappé à personne. Cela étant, nous avons prouvé que nous étions capables d'avancer de manière paritaire, y compris dans des périodes compliquées en matière sociale.
Par ailleurs, M. le Premier ministre vient de nous adresser un courrier par lequel il nous invite à examiner les questions des conditions de travail, de la santé au travail et du temps de travail. Sur ces sujets essentiels pour les chefs d'entreprise comme pour les salariés, les partenaires sociaux pourraient proposer un accord national interprofessionnel (ANI). Le travail parlementaire n'en serait que plus rapide ensuite. Nous allons plaider en ce sens, même si le contexte n'est pas facile.
Mme Laurence Breton-Kueny. - Je tiens à revenir un instant sur les comparaisons européennes. La France dénombre 25 jours de congés payés et 11 jours fériés. Les Pays-Bas, eux, totalisent 20 jours de congés payés et 8 jours fériés.
Quand on transpose une directive européenne, il faut l'appliquer dans son intégralité. La cinquième semaine de congés payés figure déjà dans notre droit privé, et l'on peut dès à présent verser les jours dont il s'agit sur son compte épargne-temps. Il ne manquerait que peu de chose pour différencier cette semaine des autres.
Entre autres garde-fous, les contrôles menés par la sécurité sociale ont été évoqués. Or, à mon sens, ils sont vraiment très peu nombreux. De leur côté, les employeurs peuvent également lancer des contrôles, à condition de disposer de la complétude de l'adresse et d'avoir suffisamment de temps. Je pense notamment aux arrêts courts, car un délai de 48 heures est nécessaire pour missionner les organismes compétents des différentes branches. Je précise que ces derniers ne sont pas habilités à poursuivre leurs contrôles à l'étranger. À ce jour, ils travaillent uniquement sur le territoire français.
Je précise que la majorité des arrêts de travail sont légitimes et qu'au sein de nos organisations nous menons des politiques « santé - qualité de vie au travail » qui ont un impact sur le taux d'absentéisme.
Nous sommes confrontés au vieillissement de la population et, en parallèle, les jeunes sont de plus en plus absents. Dans ce contexte, nous menons des actions de prévention primaire, secondaire et tertiaire. Nous faisons de notre mieux, mais l'État doit soutenir nos efforts en suscitant un mouvement à l'échelle nationale - je pense notamment à la santé mentale. Le Québec a ainsi déployé d'ambitieuses politiques en santé. Les entreprises sont, in fine, le réceptacle des diverses évolutions des modes de vie et de la société. Or seul l'État peut donner une telle impulsion.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - La problématique dont nous traitons ce matin est particulièrement déstabilisante, à l'heure où les absences pour maladie connaissent une véritable envolée.
À ce titre, la France tend désormais à s'inscrire dans la norme européenne, et nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais les enjeux de compétitivité et de productivité nous imposent aussi des comparaisons extra-européennes.
J'ai bien noté que la Cour de cassation ne disposait, à cet égard, que d'une latitude extrêmement faible. Néanmoins, on ne peut qu'être sensible aux problèmes soulignés par les représentants des entreprises, que les difficultés soient financières ou opérationnelles - l'exercice de ces droits risque de susciter des conflits et des contentieux à n'en plus finir. De même, nous devons penser aux finances publiques, en particulier aux finances sociales.
La chambre sociale de la Cour de cassation a tenté d'encadrer cette mise en conformité. Le législateur peut-il à son tour agir en ce sens, notamment en s'inspirant d'autres pays de l'Union européenne ? La reconnaissance de ce droit ne saurait nous empêcher de prendre en compte les exigences et les contraintes des différentes parties, quelles qu'elles soient.
Nous respectons évidemment le droit du travail ; mais prenons garde à ne pas tomber dans une société totalement hédoniste, où le droit aux congés payés prend le pas sur la valeur travail. N'oublions pas que l'arrêt de maladie est un arrêt de travail justifié par la maladie.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Si les représentants des organisations syndicales avaient été présents ce matin, ils auraient sans doute plaidé, eux aussi, pour la simplicité et la cohérence des normes. C'est grâce à une telle clarté que les salariés peuvent pleinement exercer leurs droits ; c'est grâce à elle que les organisations syndicales peuvent les défendre.
Vous vous en doutez, les jours de carence d'ordre public ne font pas consensus au sein de notre commission. Pour justifier une telle mesure, on avance que le temps de travail par habitant serait très faible en France. Or la comparaison avec les États-Unis ne me semble guère pertinente. En outre, ce qui nous importe ici, c'est le temps de travail par emploi.
Quand on retient cet indicateur, on constate que la France est tout à fait performante - les comparaisons européennes le prouvent. En revanche, la France est sous-performante en matière de conditions de travail. Pour résoudre les problèmes déplorés aujourd'hui, en particulier pour lutter contre les burn-out, on ferait bien de s'attaquer à l'intensification du travail et, plus largement, de remédier à la dégradation des conditions de travail à l'oeuvre depuis maintenant vingt ans.
Enfin, je rappelle que les congés annuels constituent le repos nécessaire après une année de travail. Or, par définition, un salarié malade ne peut pas se reposer. Le repos, c'est la récupération de la force de travail - pardonnez-moi de recourir à une notion marxiste ! Tout le monde y a donc intérêt, employeurs et salariés confondus.
M. Daniel Chasseing. - À en croire Mme Poncet Monge, le volume de travail par rapport au nombre d'habitants serait aussi important en France qu'en Allemagne.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je parlais du temps de travail par emploi !
M. Daniel Chasseing. - Or le critère significatif pour calculer la richesse nationale, c'est le volume total de travail rapporté au nombre d'habitants. Ainsi, en 2024, la France atteint 666 heures de travail par habitant contre près de 730 heures pour l'Allemagne, la moyenne européenne s'établissant à 770.
Si la France disposait du même nombre d'heures de travail par habitant que l'Allemagne, elle aurait 90 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Eh bien, créons des emplois !
M. Jean-Guy Huglo. - Madame la sénatrice Aeschlimann, un salarié ne peut pas relever en même temps de deux causes différentes de suspension de l'exécution du contrat de travail : ou il est en congé payé ou il est en arrêt de maladie. Dès lors qu'il tombe malade au cours de ses congés payés, il ne peut pas rester en congé payé. Le congé dont il dispose a une autre finalité, à savoir la restauration de son état de santé. La jurisprudence de la CJUE est très claire sur ce point, et la Cour de cassation ne peut évidemment pas la remettre en cause.
La chambre sociale de la Cour de cassation se préoccupe depuis longtemps de l'impact de ses décisions, à commencer par leurs effets systémiques. De même, nous sommes sensibles aux débats économiques et sociaux qui traversent la société française. Mais les traités européens ne contiennent pas de clause permettant à une cour suprême nationale de déroger au droit de l'Union européenne au motif que les mesures considérées coûteraient trop cher aux finances publiques ou aux entreprises. Nous sommes tenus d'appliquer le droit européen et nos marges de manoeuvre sont, de fait, extrêmement limitées.
Pour sa part, le législateur national peut reprendre la main. Pour le report des congés payés, le droit de la sécurité sociale laisse un peu plus de marges de manoeuvre que le droit du travail, sachant que, sauf erreur, onze États membres de l'Union européenne ont une cinquième semaine de congés payés, dont la France, et que seize s'en tiennent à quatre semaines. Ces questions ne relèvent pas de la Cour de cassation, mais du pouvoir politique. Cela étant, le récent débat suscité par la suppression de deux jours fériés peut laisser supposer que les marges de manoeuvre du pouvoir politique sur la cinquième semaine de congés payés sont quelque peu limitées.
M. Pierre Ramain. - Nous sommes tout à fait preneurs de pistes de travail, notamment de la part des organisations professionnelles, pour mieux accompagner et mieux encadrer ces évolutions, qu'il s'agisse des indemnités journalières ou, plus largement, de l'absentéisme en entreprise. Pour traiter de tels sujets, le dialogue social interprofessionnel est évidemment très précieux. Il ne peut que favoriser les évolutions du droit, sachant que ce domaine est presque exclusivement législatif.
Mme Laurence Breton-Kueny. - En résumé, nous préconisons l'application d'une limite à quinze mois et nous souhaitons que le report des congés payés soit conditionné au versement des indemnités journalières de la sécurité sociale, étant entendu où nous devons être en mesure d'interrompre la subrogation.
En parallèle, la CPAM et nous-mêmes devons être en mesure de mener des contrôles à l'étranger. À défaut, les arrêts ne sauraient selon nous être pris en compte.
Bien entendu, il faut sécuriser la notification des arrêts de travail - à cet égard, nous sommes très sensibles aux questions de traçabilité. De même, il faut renforcer la lutte contre les abus auxquels donnent lieu les arrêts de maladie en ligne.
Bref, nous sommes favorables à la reconnaissance du caractère de maladie par la CPAM et au règlement des IJSS comme déclencheur du report. De plus, nous poursuivrons bien sûr nos politiques « Santé - qualité de vie au travail ».
Notre objectif n'est pas le présentéisme à tout prix. Si une personne est malade, elle doit naturellement s'arrêter. Il faut à la fois contrôler les arrêts non légitimes et accompagner les personnes réellement malades, pour qu'elles recouvrent la santé.
Mme Gwendoline Delamarre, directrice des affaires sociales et de la formation de la CPME. - Je note avec intérêt que les termes d'« arrêt de travail » ne correspondraient plus à notre droit positif.
Pour endiguer la progression des arrêts de travail, dont notre protection sociale n'a plus les moyens d'assumer le coût, un certain nombre de mesures structurelles s'imposent. Comme le soulignait Éric Chevée, la CPME est prête à négocier sur le temps de travail et sur les congés payés. Elle est, de plus, à la disposition du Sénat.
Mme France Henry-Labordère. - Pour les entreprises, le sujet dont nous venons de traiter fait figure de poil à gratter, qui plus est dans le contexte que nous connaissons.
Évidemment, les aménagements du droit du travail ne résoudront pas tout : l'évolution du droit de la sécurité sociale a elle aussi toute son importance. C'est précisément pourquoi je fais le lien avec les jours de carence d'ordre public, lesquels relèvent de la même problématique.
Le Medef est, lui aussi, prêt à négocier sur ces sujets avec les organisations syndicales. Il existe certainement des mesures à prendre pour améliorer les conditions de travail. Reste que nous sommes face à une augmentation du nombre d'arrêts de travail - il faut en avoir conscience -, y compris chez les jeunes, qui, a priori, sont pourtant moins à risque. Les enjeux dont il s'agit dépassent le strict cadre de l'entreprise.
Enfin, des aménagements du droit du travail pourraient être nécessaires pour sécuriser les entreprises. À cet égard, nous ne manquerons pas de vous adresser nos propositions le moment venu.
M. Philippe Mouiller, président. - Merci à vous tous de ces éclairages sur un sujet tout à fait essentiel.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 50.