Mardi 14 octobre 2025
- Présidence conjointe de M. Stéphane Travert, président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, et de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 18 h 15.
Audition de M. Stéphane Séjourné, commissaire européen chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site de l'Assemblée nationale.
La réunion est close à 20 h 25.
Mercredi 15 octobre 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Logement des jeunes - Examen du rapport d'information
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, avant de passer à notre ordre du jour, je tiens à saluer en votre nom notre nouvelle collègue Marie-Pierre Bessin-Guérin, sénatrice de la Loire-Atlantique, qui remplace au sein de notre commission Pierre Médevielle. Nous lui souhaitons la bienvenue parmi nous.
Nous examinons aujourd'hui le rapport d'information sur le logement des jeunes. Je laisse la parole aux trois rapporteurs.
Mme Martine Berthet, rapporteure. - Madame la présidente, mes chers collègues, nous avons le plaisir de vous présenter aujourd'hui les conclusions de notre mission d'information sur le logement des jeunes.
Depuis le mois d'avril dernier, nous avons entendu vingt-deux organisations : associations, administrations, bailleurs sociaux, gestionnaires de résidences ou encore représentants d'élus locaux. Notre déplacement prévu dans le Morbihan début septembre pour y observer plusieurs programmes innovants a, quant à lui, été malheureusement annulé, compte tenu de l'actualité politique.
Nous formulons vingt-cinq recommandations que nous considérons comme les clés - si j'ose dire - du logement des jeunes et qui se résument en trois actions : programmer, accompagner, innover.
C'est, je crois, la première fois que notre commission examine la crise du logement à travers le prisme d'une catégorie spécifique, la jeunesse. Pourtant, les raisons de nous y intéresser abondent. Nous avons délibérément opté pour une définition large de la jeunesse, englobant les jeunes de 18 ans, voire de 16 ans, jusqu'à 30 ans, afin de tenir compte autant des mineurs apprentis que des jeunes ménages primo-accédants.
D'abord, un constat s'impose : la situation économique et sociale des jeunes est alarmante. En plus de son niveau, l'aggravation rapide de leur précarité est préoccupante. Entre 2002 et 2019, le taux de pauvreté des 18-29 ans a augmenté de plus de quatre points. Hormis les moins de 18 ans, aucune autre tranche d'âge n'a connu une telle hausse.
La crise du logement frappe les jeunes de plein fouet. En matière de logement, ils cumulent des facteurs de précarité : ils sont à la recherche de logements de petite taille, pour de courtes durées, dans des zones où la demande explose. Sur le marché locatif privé, ils se heurtent à la concurrence de ménages plus solvables, alors qu'ils ne disposent ni de stabilité professionnelle ni de garantie familiale. À cela s'ajoute la pression de la location touristique meublée.
Cela a des effets matériels immédiats pour les jeunes. Leur taux d'effort net, une fois déduites les aides au logement, est deux fois plus élevé que pour le reste de la population. Ils sont aussi plus touchés par le mal-logement : logements trop petits, passoires énergétiques, surpeuplement dû à la colocation ou encore obligation de rester chez leurs parents du fait de l'impossibilité d'accéder à un logement autonome.
Loger les jeunes est un enjeu social et politique majeur que nous ne devons pas sous-estimer. Certains avancent qu'il ne faudrait pas construire davantage de logements dédiés aux jeunes en raison du vieillissement de la population qui réduit le poids démographique de la jeunesse. La réalité est beaucoup plus compliquée que cela : la jeunesse s'allonge ! La poursuite d'études, le report du mariage, du premier enfant et de l'entrée dans la vie active retardent le départ du domicile parental. On est aujourd'hui jeune bien plus longtemps qu'hier ! Si nous n'agissons pas, nous creuserons le fossé intergénérationnel et alimenterons une jeunesse désabusée, déjà l'une des plus pessimistes d'Europe. Comment se projeter dans la vie lorsque l'on ne parvient pas à se loger ?
La jeunesse est aussi un ensemble protéiforme : étudiants, apprentis, alternants, jeunes actifs, saisonniers, demandeurs d'emploi... Leurs statuts sont de plus en plus mouvants, les jeunes en cumulant plusieurs ou effectuant des allers-retours entre l'un et l'autre.
Pourtant, la politique du logement des jeunes est aujourd'hui centrée sur les étudiants. Les besoins pour cette population sont indéniables, mais il n'est pas légitime de négliger les jeunes actifs : à partir de 21 ans, les jeunes non-étudiants sont majoritaires au sein de la classe d'âge des 18-29 ans !
Ce prisme estudiantin se retrouve dans le plan lancé au mois de janvier 2025 par le Gouvernement, qui prévoit la création de 45 000 logements étudiants d'ici à 2027. Nous estimons ce plan nécessaire, mais il doit absolument être élargi aux jeunes actifs et s'inscrire dans une vision de moyen terme, au moins jusqu'en 2030.
C'est l'objet de nos recommandations nos 1 à 3 : définir une véritable programmation du logement pour tous les jeunes.
Pour cela, il faut mieux connaître l'offre existante. Le parc mobilisable pour les jeunes reste mal identifié. Il convient donc de poursuivre et de valoriser les observatoires territoriaux du logement étudiant, mis en place par les collectivités avec l'appui des agences d'urbanisme. Ces outils sont précieux pour orienter les politiques locales de l'habitat et la programmation des aides à la pierre.
Il faut aussi améliorer la lisibilité de l'offre. La politique publique en faveur du logement des jeunes est fragmentée. Elle dépend de plusieurs ministères - logement, enseignement supérieur, économie, santé, travail.... Cela forme un millefeuille de dispositifs disparates, gérés par des acteurs différents. Les jeunes sont parfois démunis face à tant de complexité et connaissent malheureusement trop mal les aides auxquels ils peuvent prétendre. Dans l'espace numérique, le foisonnement d'informations est illisible, les offres des Crous, bailleurs, associations et autres plateformes se superposant. Une expérimentation sur la plateforme beta.gouv.fr tente de regrouper les offres étudiantes en une plateforme unique, mais elle est à l'arrêt depuis fin 2024. Nous recommandons donc d'accélérer la création de plateformes unifiées, rassemblant l'ensemble des logements à vocation sociale, au-delà du seul public étudiant.
L'opposition entre jeunes étudiants et non-étudiants n'a d'ailleurs plus beaucoup de sens aujourd'hui. Les gestionnaires de résidences que nous avons auditionnés nous l'ont répété : la fragmentation des offres entre les étudiants et les jeunes actifs n'est plus tenable face à la porosité des statuts des jeunes que j'évoquais à l'instant.
Nous recommandons donc de sortir de la segmentation stricte entre étudiants et jeunes actifs pour expérimenter des modèles mixtes.
Au croisement des jeunes actifs et des étudiants, deux catégories méritent une attention particulière : les alternants et les saisonniers.
Tous les saisonniers ne sont pas jeunes, mais beaucoup le sont - 46 % d'entre eux ont moins de 26 ans. Leur logement doit être intégré à la programmation du logement des jeunes. La Cour des comptes soulignait encore cet été l'absence totale d'outil de suivi du logement saisonnier. Il faut aller au-delà du bricolage autour de solutions pensées pour d'autres publics, comme l'utilisation d'internats, qui ne répondent pas aux besoins. Nous recommandons d'élaborer des solutions ad hoc de logement pour les saisonniers, évitant la concurrence entre publics. Les résidences à vocation d'emploi, comme adopté par la commission dès 2024, sont une bonne solution. Certains territoires commencent en outre à développer des résidences mixtes. Des incitations fiscales existent également et gagneraient à être mieux connues.
S'agissant des alternants et apprentis, leur nombre a été multiplié par 2,8 depuis 2017. C'est une bonne chose, car l'apprentissage favorise l'autonomie, l'expérience et l'insertion professionnelle. Encore faut-il que l'État accompagne les jeunes dans cette évolution. La double localisation entre centre de formation et entreprise oblige souvent à louer un second logement. Dans ce cas, ces jeunes sont soumis à la taxe d'habitation sur les résidences secondaires. C'est une absurdité qu'il faut faire cesser, car elle est à la fois injuste et pénalisante pour un public déjà fragile.
M. Yves Bleunven, rapporteur. - J'aborde pour ma part le premier moment-clé du parcours des jeunes dans le logement : l'accompagnement, dès leur départ du domicile parental, grâce à un logement dédié.
Le parc dédié aux jeunes les soutient à un moment charnière de leur vie, lorsqu'ils construisent leur autonomie, trouvent leur place dans la société et amorcent leur parcours professionnel.
Aujourd'hui, ce parc est en double difficulté : il manque cruellement de places et son modèle économique est fragilisé.
S'agissant des étudiants, l'offre de logements gérés par les Crous (centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires) ou les bailleurs sociaux représente environ 244 000 places, pour plus de 3 millions d'étudiants. Autrement dit, seuls 8 % des étudiants ont pu accéder à un logement en résidence à la rentrée 2022. Nous accumulons un retard considérable. Entre 2018 et 2022, le plan 60 000 logements n'a permis d'agréer que 29 000 logements sociaux étudiants.
Le tableau n'est pas plus favorable s'agissant des jeunes actifs : les foyers de jeunes travailleurs (FJT) et les résidences sociales pour jeunes actifs (RSJA) comptent à peine 68 000 places, soit quatre fois moins que le parc dédié aux étudiants. Dans les régions les plus tendues, comme l'Île-de-France ou l'Occitanie, moins d'un quart des demandes sont acceptées. Là encore, les objectifs du « programme 20 000 » de 2017 n'ont pas non plus été atteints. Quant au plan de 2025 évoqué par ma collègue, il ne fixe aucun objectif spécifique pour les jeunes actifs, hormis la création de résidences-services à loyers intermédiaires, qui sont inaccessibles aux plus précaires.
S'ajoute une autre difficulté : l'équation délicate du modèle économique des projets de résidences jeunes. Il s'agit de concilier des loyers abordables pour les jeunes et la viabilité économique des projets. Aujourd'hui, seule l'Île-de-France peut financer des résidences universitaires via un prêt locatif à usage social (PLUS). Nous recommandons d'expérimenter ce financement dans d'autres territoires, où les besoins des étudiants modestes sont les plus urgents. Nous pensons par exemple aux outre-mer où les loyers du prêt locatif social (PLS) ne sont pas adaptés au niveau de pauvreté étudiante.
Quant aux résidences sociales et aux FJT, ils sont tous deux financés en PLAI (prêt locatif aidé d'intégration), ce qui ouvre droit à des subventions de l'État. Malgré cela, le coût du foncier pèse sur l'équilibre des opérations. Pour y répondre, le bail réel solidaire (BRS) locatif pourrait être davantage mobilisé : il permet à un office foncier solidaire de conserver la propriété du terrain et de conclure un BRS avec un bailleur, qui loue le bâti à une association gestionnaire. De cette façon, le loyer demandé par le bailleur et versé par le gestionnaire n'a plus à intégrer le coût du foncier.
De manière générale, le modèle économique des gestionnaires de résidences est mis à rude épreuve. La mission d'accompagnement, pourtant cruciale pour les jeunes, est en tension face à des besoins grandissants. Dans le contexte actuel, la précarisation des résidents allonge la durée des séjours, ce qui renforce les besoins d'accompagnement. Le taux de rotation, supérieur à 10 % il y a dix ans, est tombé sous les 5 % aujourd'hui. En outre, même s'ils sont conçus pour soutenir l'autonomie des jeunes actifs, les FJT accueillent aussi des publics vulnérables dans le cadre du contingent de l'État, voire des jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance (ASE) dans le cadre de conventions avec les départements.
Nous estimons donc indispensable d'engager une réflexion sur le modèle économique des gestionnaires de résidences jeunes.
Plus particulièrement, le modèle du FJT doit être valorisé, car il est un véritable tremplin vers l'autonomie. Les FJT se distinguent par un accompagnement renforcé, avec en moyenne sept encadrants pour cent jeunes, contre deux dans les RSJA. Malgré cette plus-value, ils sont souvent mis en concurrence avec les RSJA, du fait de financements et de publics similaires. Cette rivalité fragilise les FJT, qui ont en outre longtemps souffert d'une image vieillissante. C'est pourquoi nous recommandons de revaloriser le modèle du FJT et de prévenir cette concurrence contre-productive.
Cela passe notamment par une modification de la procédure des appels à projets auxquels ils sont soumis. Leur calendrier s'accorde mal avec le montage progressif d'un dossier. Lorsqu'un projet est proposé en Vefa (vente en l'état futur d'achèvement), la longueur des procédures peut décourager les bailleurs, qui se tournent vers d'autres produits pour concrétiser leurs opportunités foncières. Nous proposons donc, comme d'autres avant nous, de mettre en place un appel à manifestation d'intérêt au fil de l'eau. Ce dispositif donnerait plus de souplesse et de visibilité aux porteurs de projets et pourrait venir en appui d'une programmation triennale.
Plus largement, la pénurie de logements dédiés aux jeunes impose de créer de nouvelles solutions, innovantes et agiles. Il faut faire feu de tout bois ! Certaines réponses doivent être déployées dans l'urgence, notamment pour répondre à une demande localisée liée à l'implantation d'entreprises. Dans ces situations, les collectivités locales jouent un rôle déterminant : elles connaissent le terrain et les besoins. Certains sont extrêmement volontaristes pour innover et développer des solutions sur mesure. Leur capacité d'innovation peut d'ailleurs permettre d'éviter la « cabanisation », avec des campings ou des mobil-homes pour loger des actifs en l'absence d'autre solution.
Malgré leur volontarisme, ces territoires se heurtent souvent à un cadre juridique inadapté qui est un vrai frein à l'innovation. De récents projets de tiny houses en témoignent. Je détaillerai celui que je connais le mieux : celui de la ville de Grand-Champ dont j'ai été maire et où notre mission d'information devait se rendre. La commune a créé un village d'une trentaine de tiny houses. Dix sont louées en tant que logements sociaux par l'office public local, les autres en lots libres via des baux emphytéotiques à faible redevance : 150 euros. Le lieu accueille aujourd'hui jeunes actifs et personnes précaires : c'est un succès indéniable - plus de cent cinquante demandes pour trente emplacements. Reste que sa concrétisation a été rude : il a nécessité près d'un an de négociations avec l'État.
Le principal obstacle résidait dans la qualité de logements sociaux des tiny houses. Le bailleur social a dû solliciter une dérogation préfectorale pour qu'elles obtiennent un agrément de logements locatifs sociaux et puissent ainsi bénéficier des modalités de financement du logement social et du conventionnement à l'APL. Cela a pris neuf mois ! Pourquoi autant de temps ? Parce que les tiny houses n'ont pas de définition règlementaire spécifique. Elles sont assimilées à de l'habitat permanent démontable, ce qui peut aussi englober des yourtes ou des tipis, qui seraient bien sûr inacceptables en tant que logement social. La question de la surface a aussi nécessité une dérogation : à quelques centimètres carrés près, les tiny houses ne respectaient pas le minimum de quatorze mètres carrés du logement neuf.
De tels délais et procédures sont décourageants pour les collectivités volontaristes. Il faut clarifier le statut juridique de ces formes d'habitat innovantes. Surtout, au-delà des tiny houses, pour ne pas handicaper de futurs projets, il faut permettre aux collectivités de déroger, par convention avec l'État, à certaines normes lorsqu'elles expérimentent des solutions adaptées à leur territoire. Cela peut aussi permettre de créer des résidences mixtes, dont les publics accueillis refléteraient les besoins du territoire. L'innovation en matière de logement ne peut pas être imposée que d'en haut : elle doit aussi naître du terrain, au plus près des besoins des jeunes.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - J'aborde pour ma part le deuxième moment clé du logement des jeunes : l'accès à un logement autonome, qui est essentiel pour se projeter dans la vie.
Malgré sa cherté et sa qualité contrastée, le parc locatif privé loge 70 % des jeunes. Ils y occupent de petites surfaces, avec des loyers au mètre carré élevés et souvent revalorisés du fait de leur mobilité.
Le premier outil de solvabilisation sur le marché locatif privé est évidemment les aides personnelles au logement (APL). Celles-ci ont fait l'objet de réformes importantes depuis 2017 : réduction forfaitaire de 5 euros en 2017, contemporanéisation en janvier 2021, sous-indexations successives en 2019 et 2020... Au total, ces réformes ont représenté 4 milliards d'euros d'économies pour l'État en 2024.
Malgré les mesures protectrices mises en place pour les jeunes étudiants et les apprentis et alternants, les jeunes actifs ont été les grands oubliés de la contemporanéisation des APL. Les travaux de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et de la Cour des comptes le confirment : le montant de leurs APL a été réduit et leur situation peu, voire pas prise en compte. En ces heures de tension budgétaire, alors que les APL représentent 19 milliards d'euros de dépenses, nous appelons le Gouvernement à la prudence. Il ne faut modifier les règles d'attribution et les montants des APL que d'une main tremblante. Ne répétons pas les erreurs antérieures qui ont été dramatiques pour les jeunes, notamment les jeunes actifs.
Toujours sur le marché locatif privé, la garantie Visale, que nous connaissons bien, joue un rôle clé. Depuis 2018, son déploiement s'est fortement accéléré. Action Logement vise à doubler son recours d'ici à 2028, en l'ouvrant à de nouveaux publics. Malheureusement, encore trop de propriétaires lui préfèrent une caution familiale, pourtant moins sécurisante. Pour accompagner la dynamique de développement de Visale, il faut poursuivre nos efforts pour améliorer sa perception par les bailleurs.
J'en viens maintenant à l'encadrement des loyers, dont l'expérimentation arrive à échéance en novembre 2026. Avant d'envisager toute modification du dispositif, il nous faut disposer d'une évaluation : celle-ci devra nous être remise dans six mois. Une chose est sûre : le dispositif doit rester territorial et facultatif. Il faudra évaluer l'effet de l'encadrement des loyers sur les jeunes, mais aussi évaluer son rôle dans le développement de pratiques de contournements, comme les baux civils ou le coliving, encore peu encadré.
Les jeunes font également face à la concurrence de la location touristique. En particulier, le bail mobilité est parfois détourné de son objet pour permettre aux propriétaires de libérer leur logement en vue d'une location estivale. De nombreux jeunes actifs se retrouvent alors sans solution, contraints de dormir dans leur voiture ou au sein de colocations surpeuplées. Malgré nos demandes, aucune administration n'a pu nous fournir de données chiffrées, mais nous nous appuyons sur les remontées de terrain des élus locaux, qui sont unanimes et édifiantes. C'est pourquoi nous proposons de rendre possible, pour les collectivités volontaires, la création d'un régime de déclaration des baux mobilité.
Passons maintenant au parc social. Les jeunes y sont de moins en moins représentés : entre 1984 et 2013, la part des moins de 30 ans parmi les locataires est passée de 24 % à 8 %. C'est le résultat combiné du vieillissement de la population et d'une rotation faible du parc.
De plus, les règles de priorisation, qui valorisent l'ancienneté et les familles, sont inadaptées aux jeunes. Par exemple, un étudiant sans logement stable peut être jugé comme non prioritaire, au motif qu'il pourrait abandonner sa formation pour sortir de l'instabilité !
Pour lutter contre une forme de non-recours des jeunes au logement social, il faut inscrire la demande d'un logement social dans un moment de la vie. Il faut aussi évaluer les effets de la cotation sur la demande des jeunes et améliorer leur prise en compte dans les conventions intercommunales d'attribution.
L'offre de logements sociaux doit également être davantage adaptée aux besoins des jeunes. Le parc social compte peu de petits logements et ils sont extrêmement demandés. En Île-de-France, la demande de studios correspond à vingt fois la capacité d'attribution annuelle. Les objectifs du Fnap (fonds national des aides à la pierre) prévoient l'orientation de la moitié de la production vers ces petits logements, mais il faut agir en amont, en développant un modèle économique pour ces logements dont le loyer au mètre carré ne permet pas d'équilibrer l'opération.
J'évoquais à l'instant les dévoiements du bail mobilité dans le parc privé : à l'inverse, il en serait exempt dans le parc social. Nous avions souligné les effets sans doute limités de l'extension du bail mobilité au parc social lors de l'examen du projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables en 2024 ; néanmoins, comme l'a rappelé mon collègue rapporteur, il faut faire feu de tout bois et donner toutes les marges de manoeuvre juridiques possibles aux bailleurs sociaux.
À ce sujet, pour donner des marges de manoeuvre aux bailleurs sociaux, nous recommandons d'exonérer les résidences universitaires de la RLS (réduction de loyer de solidarité), en contrepartie d'engagements. Les résidences en gestion déléguée n'y sont pas soumises : cela pénalise les bailleurs qui ont développé une gestion locative destinée aux étudiants ! Rappelons qu'ils ont financé près de 80 % des logements sociaux étudiants entre 2018 et 2022.
Je terminerai par l'accès des jeunes à la propriété. Longtemps facilitée par des taux favorables, la propriété est de plus en plus l'apanage des plus aisés et des plus âgés. La part des moins de 30 ans propriétaires est passée de 18,5 % en 2018 à 16,7 % en 2021. À l'inverse, les plus de 50 ans représentent aujourd'hui près de 40 % des achats dans l'ancien, contre 30 % en 2015.
Contrairement à ce que l'on entend parfois, les jeunes ne sont pas moins attirés que leurs aînés par la propriété : c'est toujours une aspiration forte, synonyme de stabilité, d'ancrage et de réussite sociale.
Dans certains pays du nord de l'Europe, comme la Finlande, l'accès à la propriété des jeunes générations est soutenu par des dispositifs ciblés, qui allient encouragement à l'épargne, garanties de l'État et bonifications de taux d'intérêt qui permettent d'assurer une action contracyclique. Nous souhaitons encourager la réflexion sur le sujet, car nos dispositifs de soutien à l'accession ne sont pas ciblés pour les jeunes.
La dernière loi de finances a toutefois introduit plusieurs mesures exceptionnelles de soutien aux primo-accédants, comme l'exonération de droits de succession pour les dons familiaux en faveur de l'achat d'un logement neuf ou l'extension du prêt à taux zéro (PTZ). Il est encore trop tôt pour évaluer l'impact de ces mesures sur les jeunes, mais les jeunes de moins de 35 ans représentaient plus de 68 % des bénéficiaires du PTZ en 2024 ; cette part pourrait s'accroître en 2025. Nous recommandons donc de proroger la généralisation du PTZ dans le neuf au-delà de 2027 afin de pouvoir observer ses effets sur les jeunes primo-accédants.
Il faut aussi soutenir le développement de formes innovantes d'accession à la propriété, en s'appuyant sur des outils éprouvés comme le BRS. Il connaît une belle dynamique de développement : plus de 1 000 programmes ont été livrés en 2023 et ils devraient être plus de 6 000 en 2026 et en 2027. La réussite des opérations dépend souvent de politiques volontaristes d'élus locaux et d'une culture de l'accession sociale à la propriété sur le territoire. Le BRS se déploie d'ailleurs plus facilement dans le logement collectif, où la dissociation du foncier et du bâti suscite moins de réticences psychologiques. Nous recommandons donc l'inscription d'un volet « accession sociale » à la propriété au sein des programmes locaux de l'habitat.
Accompagner le développement du BRS, c'est aussi anticiper la suite des parcours résidentiels et ce qu'il adviendra des logements en BRS après leur première cession. En effet, aujourd'hui, un bien en BRS construit il y a plus de cinq ans est considéré, s'il est cédé, comme un logement ancien et n'est donc pas éligible au PTZ. Pour l'instant, la question se pose peu : à fin 2024, seules trente-neuf reventes de BRS ont eu lieu. Mais d'ici à 2026 ou 2027, voire à 2030, leur nombre devrait considérablement augmenter ! Il s'agit d'éviter un goulet d'étranglement lorsque les ménages modestes, cibles du BRS, ne seront plus soutenus dans l'acquisition d'un BRS. Nous recommandons donc d'ouvrir les logements acquis via un bail réel solidaire au PTZ lors de leur revente.
Telles sont, chers collègues, les conclusions de notre mission d'information sur le logement des jeunes. Nous avons tenté d'aborder l'ensemble des enjeux, pour rendre compte de la diversité des parcours, des situations et des besoins de toute une génération.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je salue le travail des rapporteurs sur ce sujet ô combien important, qui formule des recommandations non seulement frappées au coin du bon sens, mais aussi innovantes, que nous devrons approfondir.
M. Philippe Grosvalet. - Je salue le travail des rapporteurs qui met l'accent sur un sujet sensible.
La commission des affaires économiques le constate au travers de tous ses travaux : il n'y a pas d'ambition globale sur le logement dans notre pays et l'on note un manque criant de logements. On le sait, ce sont toujours les plus fragiles, en particulier les plus jeunes, qui en souffrent.
Je tiens à mettre l'accent sur l'accompagnement, car il est nécessaire. Vous n'avez pas parlé des missions locales, ces structures mises en place pour accompagner les jeunes de façon globale : emploi, santé, mais aussi logement. Les missions locales sont aujourd'hui mises à mal, ce qui a des répercussions.
Je suis heureux que vous souligniez l'enjeu des FJT, qui ont joué un rôle important dans l'histoire de notre pays et qui ont souffert ces dernières décennies.
Ma question porte sur le BRS, dispositif que j'ai moi-même promu.
Je m'interroge sur la recommandation n° 7 de l'axe 2 - développer et sécuriser la possibilité d'utiliser le bail réel solidaire en faveur des résidences jeunes pour minorer le poids du foncier dans le loyer demandé par les propriétaires de résidences aux gestionnaires. Cela correspond-il vraiment à la fonction du BRS ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - En tant que présidente de la mission locale Côte d'Azur, je partage la préoccupation exprimée. Les missions locales réalisent un accompagnement global pour lever tous les freins qui touchent les jeunes, le logement et l'autonomie en étant les principaux.
M. Yannick Jadot. - Je remercie chaleureusement les rapporteurs : le logement constitue un sujet majeur que nous traitons avec beaucoup de sérieux ici.
Le taux de pauvreté des jeunes explose, tout comme leur malaise psychologique. On connaît les conséquences catastrophiques de l'épidémie de covid.
Le logement est un enjeu de stabilité et de sécurité. Nous lirons le rapport avec beaucoup d'intérêt. Dans les différents débats sur le pouvoir d'achat, nous passons totalement à côté de la question des dépenses ! Quand on pense pouvoir d'achat, on pense revenus, mais la question des dépenses évitées est majeure ; or le logement entre dans cette catégorie de sécurisation des jeunes en difficulté. J'espère que, dans les semaines à venir, nous pourrons parler logement, mais aussi transport.
Mme Amel Gacquerre. - Merci de ce travail très complet qui met en exergue toute la complexité du sujet, avec des demandes très spécifiques - par exemple, de petits logements pour de courtes durées -, auxquelles il faut apporter des réponses également spécifiques.
Bravo d'avoir souligné dans ce rapport la diversité de la jeunesse. On parle en effet beaucoup de logements pour les étudiants - la pénurie de logements pour ces publics est évidemment une problématique très importante, parce que l'on passe à côté de la promesse républicaine d'égalité des chances -, mais pas assez des difficultés de logement auxquelles sont confrontés les autres jeunes.
Je soulignerai trois recommandations, particulièrement intéressantes à mes yeux.
D'abord, sur la question du logement social, vous avez avancé une proposition très concrète, à savoir la transformation de grands logements en petits logements, c'est-à-dire l'adaptation des logements au vieillissement de la population, mais aussi aux publics jeunes. C'est un objectif fort que nous pourrions mettre en avant lors de nos discussions avec les bailleurs.
Ensuite, sur l'innovation, il est question d'habitats alternatifs, comme les tiny houses, mais il y a aussi l'habitat partagé, l'habitat intergénérationnel... J'y crois vraiment. C'est une réponse aux demandes spécifiques que j'ai soulignées. Cela a également un intérêt en termes de coût. On pourrait également prendre exemple sur les habitats légers développés dans les pays du Nord.
Enfin, le projet de loi de finances pour 2026 prévoit le gel des APL, alors même que l'on sait que le logement représente 40 % à 50 % des dépenses des jeunes. Attention aux conséquences pour eux. Il est même question de la suppression de cette allocation pour certains étudiants rattachés à 20 % des foyers fiscaux les plus importants. Je fais partie de ceux qui pensent qu'il faut tout mettre sur la table, mais il faut veiller à toutes les situations particulières pour que cette mesure n'ait pas un impact négatif.
Merci d'avoir évoqué le dispositif Visale et Action Logement. Pour ma part, je tiens beaucoup aux résidences à vocation multiple.
Mme Antoinette Guhl. - Ce rapport aborde un sujet capital. La jeunesse souffre et ce phénomène est trop ignoré. Jamais la jeunesse n'a été autant précarisée qu'aujourd'hui. Quand je faisais mes études, 10 % des étudiants travaillaient, contre près de 60 % aujourd'hui. Ils ne travaillaient d'ailleurs que quelques heures par semaine, souvent pour gagner de l'argent pour leurs sorties, alors qu'aujourd'hui beaucoup travaillent trente heures par semaine, voire à temps plein, ce qui a une incidence sur leurs études.
On ne parle pas assez de ceux qui ne sont ni en emploi, ni en étude, ni en formation (Neet) et qui n'ont même pas droit aux minima sociaux. Merci d'avoir abordé la question du logement des jeunes de façon globale, mais c'est l'intégralité des politiques universelles qui devraient être appliquées à la jeunesse.
Les logements Crous représentent 7 % du logement étudiant. Vous soulignez à raison que les étudiants ne sont pas les seuls jeunes à connaître des difficultés de logement et semblez vouloir ouvrir les Crous à tous. Pourtant, l'offre des Crous ne couvre même pas les besoins des étudiants boursiers ! Comment l'étendre à d'autres publics dans ces conditions ? Cela supposerait d'élargir considérablement l'offre des Crous, donc leur budget. Je rappelle que les bourses d'études sont les plus faibles d'Europe. Trouver un logement quand on est boursier n'est pas si simple.
Certains jeunes ne sont éligibles à rien ! Nous devons réfléchir à étendre le revenu de solidarité active (RSA) aux 18-25 ans, s'ils y ont droit. La majorité doit également être une majorité sociale. Ces jeunes doivent avoir le droit de bénéficier des minima sociaux, ce qui leur permettra de subvenir à leurs dépenses de logement.
Certaines niches fiscales, par exemple le dispositif Censi-Bouvard, ont enchéri le coût du logement étudiant. En tant que législateurs, nous devons nous pencher sur ces questions.
Le coliving se développe, mais cela fait augmenter le prix des chambres, car les logements sortent de toute réglementation (loi Alur, encadrement des loyers...). Le Conseil de Paris vient d'ailleurs de l'interdire. Je précise qu'il existe des alternatives solidaires, comme le CoopColoc à Paris.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je rappelle que, dans le cadre des missions locales, les jeunes de moins de 25 ans qui n'ont rien bénéficient aujourd'hui de la garantie Jeunes, qui s'élève à près de 500 euros par mois.
Mme Marianne Margaté. - Merci de ce rapport qui contient des recommandations concrètes. Nous partageons le bilan noir de l'accès au logement pour les jeunes de moins de 25 ans. Ils paient le prix fort du désengagement de l'État dans la politique du logement : dépendance familiale, bas salaires, précarité, etc.
Aux effets de la contemporanéisation des APL, de la baisse de cinq euros, du gel de son montant s'ajoute la non-revalorisation du forfait charges. Ce rapport a le mérite de mettre à jour tous les aspects de la situation des jeunes : toutes ces données mises bout à bout dressent un tableau assez terrible.
Il faut faire tous les efforts nécessaires pour sécuriser le logement des jeunes et faire en sorte qu'ils puissent rester dans leur logement.
Je partage les propositions qui ont été avancées sur les FJT, aujourd'hui fragilisés. La mise en concurrence avec les RJSA pose question. Les FJT sont aujourd'hui la seule possibilité ouverte à tous les jeunes, quelle que soit leur situation.
J'apporterai deux nuances.
D'une part, l'encadrement des loyers a montré son efficacité en zone tendue, notamment pour les petits logements, et ce grâce au volontarisme des communes. Pour autant, la hausse des loyers s'étend partout là où l'encadrement des loyers n'est pas appliqué, ce qui pose question. Il est à parier que le développement du Grand Paris express s'accompagnera d'une flambée des loyers dans le parc privé.
D'autre part, le coliving se développe dans les villes qui cumulent tourisme et pôles étudiants. C'est notamment le cas à Fontainebleau. Il faut mener une réflexion sur l'encadrement de ce type de logement, qui s'exonère de toute règle pour le plus grand profit des propriétaires.
Enfin, une attention particulière est-elle portée aux jeunes sortant de l'ASE ou du sans-abrisme ? Il me semble que ce maillon manque, même si je mesure la complexité de ce problème.
M. Daniel Gremillet. - Si l'on veut favoriser l'apprentissage dans les territoires, encore faut-il que ces apprentis puissent être accueillis. Dans cette optique, il serait peut-être judicieux d'instaurer de la mixité au sein des maisons seniors que l'on inaugure : mixité sociale, sociétale et générationnelle.
Mme Anne-Catherine Loisier. - La question du logement nous préoccupe tous dans nos territoires.
Il semble facile de mettre en oeuvre rapidement la recommandation n° 15, qui a trait au dégrèvement automatique de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires pour les apprentis ou alternants en situation de double résidence. Cela répondrait à une aspiration forte des jeunes. Nous pourrions l'aborder lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2026.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure. Le BRS présente aujourd'hui plus d'attrait pour le logement individuel, car le foncier est plus cher. Le maire de la station de ski de Saint-Lary a essayé, avec l'office foncier, de construire de petites maisons en BRS pour loger les saisonniers. Cela n'a pas marché.
Par ailleurs, il s'agit non pas de laisser des logements Crous aux non-étudiants, mais plutôt de réfléchir à une non-segmentation des publics jeunes, afin que de nouveaux logements soient ouverts à d'autres publics jeunes. Il ne s'agit pas d'exclure les étudiants du peu de logements qui leur sont réservés.
M. Yves Bleunven, rapporteur. - Ce rapport met en évidence le besoin de créer une nouvelle ère pour les FJT et de leur redonner une nouvelle jeunesse. Il faut revoir leur financement pour qu'ils soient plus compétitifs et moderniser ce concept qui, quoi qu'on en dise, reste très intéressant, ne serait-ce que par l'accompagnement qu'il prévoit.
Il faut de l'innovation dans le parcours résidentiel. Je suis convaincu que le parcours résidentiel sera différent demain : il faut prévoir de nouvelles étapes. Par exemple, aujourd'hui, les jeunes ont deux logements.
L'appétence des jeunes à la propriété est manifeste. Acheter une tiny house à 25 ans est une première étape : c'est le début de la capitalisation pour ensuite revendre et, ainsi, éviter de verser des loyers à fonds perdu.
Mme Martine Berthet, rapporteure. - Il a fallu déterminer l'amplitude de nos travaux, ce qui explique la faible place accordée aux jeunes issus de l'aide sociale à l'enfance et aux mineurs non accompagnés qui relèvent d'ailleurs plus des compétences de la commission des affaires sociales. Toutefois, au regard de la porosité des parcours, ces jeunes sont de fait inclus dans les mesures que nous proposons. Nous avons d'ailleurs tenu à créer une tranche d'âge très large, allant de 16 ans à 30 ans.
Nous voulons libérer l'initiative locale, notamment pour favoriser la mixité générationnelle. Il faut donner de la souplesse aux territoires. Nous sommes tous interrogés sur le dégrèvement de la taxe sur les résidences secondaires et, ainsi que cela a été dit, il semble possible d'agir rapidement pour remédier à une situation inacceptable.
Nous recommandons une évaluation du dispositif d'encadrement des loyers, car nous voyons des contournements, notamment le coliving.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Sur l'encadrement des loyers comme sur d'autres dispositifs, nous considérons tous les trois que ces outils doivent être à la disposition et à la main des maires. Les élus locaux s'en empareront en fonction des spécificités de leur territoire.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
L'avenir de la filière automobile - Examen du rapport d'information
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nos collègues Annick Jacquemet, Alain Cadec et Rémi Cardon vont maintenant nous présenter les conclusions de leur mission d'information transpartisane sur l'avenir de la filière automobile.
Mme Annick Jacquemet, rapporteure. - L'industrie automobile française traverse aujourd'hui une crise profonde, et durable. Luc Chatel, président de la Plateforme automobile française, nous l'avait prédit il y a tout juste un an, lorsque notre commission l'avait auditionné : cette industrie peut, à court terme, disparaître. Ce qui semblait alors une menace assez théorique se concrétise malheureusement mois après mois. Après les plans sociaux chez les équipementiers Michelin et Valeo à l'automne dernier, les usines de Stellantis à Sochaux, Mulhouse et Poissy vont être partiellement mises à l'arrêt, faute de commandes suffisantes.
Où chercher l'origine de ce désastre ? Tout d'abord, dans une contraction sans précédent du marché : depuis la crise sanitaire, les ventes de véhicules neufs ont fortement chuté, d'environ 20 %. Les ventes de véhicules électriques, pourtant « boostées » par la législation européenne, ont connu une croissance moins dynamique qu'escompté : après un pic en 2023, la part des ventes de voitures « tout électrique » et hybrides rechargeables a même baissé en France en 2024 et 2025, pour s'établir à environ un tiers des ventes de véhicules neufs.
Les constructeurs français et européens sont en outre concurrencés par les acteurs extra-européens, au premier rang desquels la Chine, aujourd'hui premier pays producteur de véhicules électriques dans le monde : cette dernière assure près des deux tiers de la production mondiale, et ses exportations ont été multipliées par quatre en deux ans !
Les raisons de ce succès chinois, nous les connaissons : politique industrielle volontariste et planificatrice, mais surtout subventions colossales - on a évoqué le chiffre de près de 230 milliards de dollars d'aides directes - et coûts de production ultra-compétitifs. Résultat : des prix de vente inférieurs d'environ 30 % à ceux des véhicules produits en Europe, pour une qualité égale, voire supérieure. Les différents acteurs que nous avons interrogés nous l'ont en effet tous confirmé, la Chine est en avance technologiquement dans tous les domaines : batteries, mais aussi numérique et logiciels embarqués.
Cette situation a en outre vocation à s'aggraver avec le retour du protectionnisme américain, qui, en plus de nuire directement aux exportations européennes, amplifie encore les surplus de production que la Chine cherche à écouler sur le marché européen, et exacerbe la concurrence avec la Chine sur les marchés tiers.
Cette concurrence chinoise ne concerne pas uniquement les véhicules finis, mais aussi les batteries : 80 % des batteries actuellement utilisées en Europe viennent d'Asie, et notamment de Chine.
Résultat de la contraction du marché : en 2023, la production automobile française était encore inférieure de 40 % à celle de 2019, avec à la clé la destruction de quelque 19 000 emplois, dans une filière déjà minée par deux décennies de déclin.
Depuis les années 2000, la France a connu une baisse structurelle de sa production, en raison de délocalisations massives vers les pays à bas coût de main-d'oeuvre, d'abord en Europe de l'Est, puis vers la Turquie ou le Maghreb - certains collègues ont d'ailleurs pu en avoir un aperçu lors du déplacement de la commission au Maroc, au début du mois de septembre. La part de la France dans la production automobile européenne est ainsi passée de 20 % en 2000 à seulement 8 % en 2020.
Dans ce contexte, les difficultés actuelles risquent de donner le coup de grâce, d'autant qu'elles frappent une filière qui a consenti des investissements considérables pour se mettre au diapason de la transition verte, qu'il s'agisse de décarbonation des modes de production ou de passage à l'électro-mobilité - on parle de dizaines de milliards d'euros. Or, nous l'avons constaté lors de notre déplacement à Montbéliard, malgré de très importants efforts de modernisation, la production de l'usine Stellantis a déjà été divisée par deux, car le marché « ne suit pas ». Les sous-traitants locaux s'inquiètent tout simplement pour leur avenir. Pour la plupart d'entre eux, la transition vers l'électrique n'est pas une opportunité, mais une menace existentielle.
Or la survie de notre industrie automobile est un enjeu de souveraineté. Il ne s'agit pas simplement de maintenir des usines et des emplois, mais aussi de préserver notre indépendance économique, industrielle, technologique et même militaire.
Il y a bien sûr d'abord un enjeu économique et social : l'industrie automobile fait vivre pas moins de 350 000 salariés, répartis sur plus de 4 000 sites, très structurants pour les territoires concernés. Mais elle irrigue aussi de nombreux autres secteurs, comme la chimie, la métallurgie, le caoutchouc, ou encore l'informatique. On peut véritablement parler de « colonne vertébrale » de l'industrie française. La disparition de certains sous-traitants, faute de commandes suffisantes de la part du secteur automobile, aurait ainsi des conséquences dramatiques sur des industries comme la chimie ou la métallurgie, qui sont des industries de souveraineté. À terme, notre capacité de production militaire, notamment, pourrait s'en trouver affaiblie.
L'enjeu sécuritaire découle aussi, plus immédiatement, de la non-maîtrise par les Européens des chaînes de valeur de certaines technologies clés : les batteries bien sûr, mais aussi les logiciels embarqués, souvent développés hors d'Europe, avec les risques que cela représente en matière de fuite de données, de piratage, voire de contrôle à distance des véhicules. Dans un monde de plus en plus instable, céder le contrôle de ces technologies à des puissances étrangères, c'est prendre un risque majeur pour notre autonomie.
C'est pourquoi nous avons besoin d'une stratégie claire et ambitieuse pour éviter que la France - et plus largement l'Europe - ne devienne simple consommatrice de produits et de technologies sur lesquels elle aurait perdu la maîtrise.
Pour cela, nous proposons d'abord des mesures d'urgence pour contrer la concurrence déloyale des pays à bas coût.
La Commission européenne a déjà instauré en 2024 des droits de douane compensatoires pouvant aller jusqu'à 35 % pour contrecarrer les subventions dont bénéficient les acteurs chinois. Ces mesures ont déjà produit leurs effets, puisque les importations en Europe de véhicules chinois ont depuis baissé de près de 20 %. Mais elles restent insuffisantes. D'abord, elles ne concernent que les véhicules finis. Or la part des composants « sourcés » hors d'Europe, dans les pays à bas coût, ne cesse de grimper. Cette tendance va d'ailleurs s'aggraver avec l'électrification, dans la mesure où la valeur du contenu européen, estimé à 90 % en moyenne sur les véhicules thermiques, tombe à 60 % voire 40 % sur les véhicules électriques, notamment des batteries !
Nous estimons donc que l'Europe doit utiliser toute la palette des outils de défense commerciale à sa disposition pour rééquilibrer la concurrence, comme le font du reste les États-Unis ou la Chine dans d'autres domaines. Nous recommandons ainsi d'imposer temporairement des droits de douane massifs sur les véhicules chinois et sur certains composants clés, d'instaurer un seuil minimal de contenu européen dans les véhicules vendus en Europe (à hauteur de 80 % pour les composants hors batterie) et de fixer un objectif de 40 % de batteries produites sur le sol européen d'ici à 2035. Cela aurait pour effet d'obliger les constructeurs étrangers qui souhaitent accéder au marché européen à s'implanter en Europe, avec à la clé des transferts de technologie et des créations d'emplois. Il s'agit d'un levier puissant de relocalisation, qui nous permettrait de conserver sur notre sol l'entièreté de la chaîne de valeur.
Cette mesure devrait être doublée par la mise en place d'un éco-score à l'échelle européenne, qui prendrait en compte l'ensemble du cycle de vie du véhicule, pour déterminer l'éligibilité à certains mécanismes de soutien public. En effet, la réglementation favorise aujourd'hui les véhicules électriques en se fondant uniquement sur leurs émissions à l'échappement. Or, dans une voiture électrique, jusqu'à 75 % des émissions totales de CO2 sont occasionnées par la fabrication. Écologiquement plus juste, ce mode de calcul bénéficierait en outre particulièrement à la France, grâce à son énergie nucléaire décarbonée.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Ce travail de plus de quatre mois nous a permis de procéder à plus de trente auditions, concernant environ soixante institutions ou entreprises.
Je précise que notre objectif, avec la mesure qui vient de vous être présentée, n'est pas de s'extraire durablement de la compétition internationale, mais de laisser le temps à notre industrie de se transformer pour redevenir compétitive. C'est une stratégie de survie, car sans protections douanières, sans règles strictes sur l'origine des composants, dans quelques années, dans quelques mois, comme l'a dit ma collègue, c'en est fini de l'industrie automobile française, et même européenne.
Évidemment, ces mesures devront être temporaires et dégressives, car il ne s'agit pas d'offrir sans contreparties à nos industriels un marché captif, ni de nous dispenser de nous interroger sur les raisons de notre manque de compétitivité. J'y reviendrai, mais c'est un point très important pour que nous, Français, puissions faire entendre notre voix à Bruxelles. En effet, nos partenaires européens, et en premier lieu nos « amis » allemands - en matière industrielle, il convient de toujours mettre le mot « ami » entre guillemets -, qui ont globalement moins de difficultés que nous à exporter, ont souvent tendance à nous soupçonner d'invoquer la souveraineté pour masquer nos propres turpitudes, ce qui affaiblit nos positions.
Or nous avons des demandes à présenter à nos partenaires européens et à la Commission. Vous le savez, le Pacte vert européen, ou Green Deal, a fixé la fin de la vente de véhicules thermiques neufs en Europe à 2035 - une clause de revoyure, qui devait être étudiée en 2026 le sera en 2025, selon ce qu'a déclaré hier le commissaire européen Stéphane Séjourné. Cependant, cet objectif de réduire les émissions de CO2 des véhicules heurte de plein fouet la réalité industrielle. La date a été fixée au doigt mouillé : l'Europe visait la neutralité carbone en 2050, le parc automobile mettait en moyenne quinze ans à se renouveler complètement, il fallait donc arrêter d'y faire entrer des voitures thermiques en 2035. Et tout cela sans consultation des industriels - il est vrai que, après le Dieselgate, ils n'étaient plus très en cour à Bruxelles -, sans vérifier préalablement que l'Europe disposait des capacités technologiques et industrielles, des compétences et matières premières pour produire des batteries. Or, comme le dit Luc Chatel, réglementer n'a jamais fait une ambition industrielle. Voilà pourquoi nous en sommes là aujourd'hui : comme dans beaucoup de domaines, en Europe, nous avons mis la charrue avant les boeufs.
Je remarque d'ailleurs que l'Europe est la seule entité politique au monde à s'être fixé un objectif aussi rigide - à part la Californie. Ne nous y trompons pas : si la Chine est en pointe sur l'électrique, ce n'est pas par vertu, c'est parce qu'elle a parié sur cette technologie, dans une logique de planification industrielle. Alors que l'Union européenne a, encore une fois, choisi de réglementer le marché...
Pourtant, les constructeurs européens ont joué le jeu. Ils ont investi pour engager la transition, mais le marché « patine » et ils ne s'y retrouvent pas. À court terme, la situation semble insoluble.
La Commission européenne a fini par entendre les appels à l'aide de l'industrie : au début de 2025, elle a lancé un « dialogue stratégique », qui a débouché, en mars, sur un plan d'action en faveur de l'industrie automobile et sur un assouplissement de l'objectif intermédiaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon de 2025 - je rappelle que sans cet assouplissement, nos constructeurs auraient dû payer des milliards d'euros de pénalités. Même si le réveil est un peu tardif, on ne peut que saluer ce plan, qui prévoit notamment un soutien à l'innovation et aux batteries, la poursuite du développement des infrastructures de recharge, un soutien à la demande et un accompagnement à la reconversion de salariés touchés par la transition. Il s'agit pour l'instant d'annonces, qui devront se concrétiser dans des textes réglementaires - or il faut se méfier des annonces, quelle que soit leur nature, mes chers collègues !
Alors que préconisons-nous ? Notre première recommandation est de reporter la date l'interdiction des ventes de véhicules thermiques neufs en Europe. Si nous maintenons la date de 2035, nous avons la certitude que notre industrie automobile sera balayée, comme avant elle la sidérurgie ou la téléphonie. Les Chinois ont dix à vingt ans d'avance sur les technologies électriques - nous avons pu le constater lors du déplacement en Chine de notre commission l'an dernier ; nous devons laisser le temps à nos industriels de monter en compétence. La date d'extinction du thermique devra être fixée au niveau européen, après consultation des acteurs industriels, et être précédée par une trajectoire de décrue, afin que la transition se fasse sans heurts. À terme, l'électrique deviendra de toute façon beaucoup plus compétitif, et s'imposera ensuite naturellement dans tous les usages pour lesquels il est adapté.
Au contraire, s'arc-bouter sur le 100 % électrique en 2035 aurait un coût économique, mais aussi social et écologique. En effet, dans les zones très rurales, ou pour les utilisateurs occasionnels qui ne font que de longs trajets, l'électrique n'est, pour l'heure, pas adapté. Pourquoi braquer ces utilisateurs que le passage à marche forcée à l'électrique risquerait de priver de toute solution de mobilité ? Pas plus tard que la semaine dernière, l'Institut Montaigne alertait sur le risque d'un rejet en bloc par les citoyens des solutions de mobilité verte, trop coûteuses et mal adaptées à leurs besoins - nous devrions y prendre garde !
Lorsqu'on parle de décarbonation, il faut aussi prendre en compte la vitesse de renouvellement du parc, qui est deux fois plus lente qu'en 1990, pour s'établir aujourd'hui à vingt-cinq ans en moyenne en Europe. De ce fait, pour faire baisser les émissions à court terme, les solutions décarbonées pour le thermique ont un rôle majeur à jouer.
L'assouplissement de l'objectif 2035 permettrait notamment de mieux tirer parti des « hybrides rechargeables ». Elle réduit massivement les émissions tout en rassurant les usagers sur l'autonomie de leurs véhicules. Ces derniers ont été très critiqués, on a dit qu'ils fonctionnaient en fait presque exclusivement grâce à leur moteur thermique, mais c'est beaucoup moins vrai aujourd'hui, car les pratiques ont changé. En outre, compte tenu de nos capacités limitées de production de batterie, ne vaut-il pas mieux les utiliser pour équiper une demi-douzaine d'hybrides rechargeables à autonomie électrique réduite, qui fonctionnera de temps en temps à l'essence, plutôt qu'une seule « super voiture » électrique que personne n'achètera, compte tenu de son coût trop élevé ? Là aussi, c'est une question de réalisme. On nous a aussi beaucoup parlé des prolongateurs d'autonomie, les range extenders, qui se répandent en Chine et qui permettent de recharger la batterie avec un petit moteur thermique d'appoint, avec très peu d'émissions de CO2 : cela nous semble une solution intéressante à diffuser, en dépit des caricatures.
Notre deuxième recommandation, en plus de cet assouplissement paramétrique du « zéro véhicules thermiques neufs en 2035 », est d'appliquer réellement le principe de neutralité technologique, qui figure d'ailleurs déjà dans le règlement européen. À cela, il y a une raison quasi philosophique : le politique doit fixer des caps, mais ce n'est pas son rôle de faire des choix technologiques. Tenons-nous-en aux objectifs, et laissons à l'industrie le soin de trouver les meilleurs moyens de les atteindre. Je pense naturellement aux biocarburants et aux e-carburants, qui sont des solutions intéressantes, que, contrairement à l'électrique, nous maîtrisons complètement ; elles peuvent donc être mises en oeuvre immédiatement et à moindre coût, car elles ne nécessitent de modifier ni les motorisations ni les infrastructures. Sans compter que la production de biocarburants permet, en France notamment, de soutenir les revenus des agriculteurs. Il ne s'agit en aucun cas de favoriser indûment ces technologies, mais d'ouvrir le champ des possibles, à charge pour les industriels de faire leurs calculs de rentabilité.
La Commission s'est dite prête à réinterroger ces deux points : l'échéance de 2035 et le principe de neutralité technologique. Nous en sommes évidemment satisfaits et demeurerons très attentifs au contenu exact des futures propositions législatives en ce sens.
J'en reviendrai pour finir aux questions de compétitivité. Comme je l'ai déjà dit, si la France veut sauver son industrie automobile, elle a aussi un examen de conscience à faire, sur le coût du travail, mais aussi sur le coût de l'énergie, qui pénalise particulièrement la production de véhicules électriques - plus énergivore que celle des véhicules thermiques. On ne pourra pas en faire l'économie.
Mais nous appelons aussi à des ajustements des règles européennes en matière d'investissement, qui sont plus favorables pour les pays d'Europe centrale et orientale, ce qui fausse la concurrence au sein même de l'Union européenne, alors que ces pays sont déjà avantagés par leurs coûts du travail réduits !
Enfin, les règles européennes en matière d'aides d'État doivent également évoluer pour nous permettre de soutenir puissamment l'industrie des batteries, qui est la brique de base de notre future souveraineté automobile, y compris au stade de l'industrialisation.
M. Rémi Cardon, rapporteur. - Alain Cadec a parlé des conditions de production, je reviendrai pour ma part d'abord sur les conditions de marché. Aujourd'hui, le coût des véhicules électriques demeure un frein à l'achat pour beaucoup de Français.
Il est désormais bien établi que, sur le long terme, rouler en véhicule électrique coûte moins cher que de rouler en véhicule thermique : pour un usage quotidien, la recharge à domicile est environ trois fois moins chère qu'un plein d'essence, et l'entretien est également moins fréquent. Des études dont nous avons eu connaissance estiment que la voiture électrique devient globalement rentable au bout de deux à cinq ans.
Il n'en demeure pas moins que le coût d'entrée est élevé, puisqu'une voiture électrique coûte en moyenne 30 % à 50 % plus cher qu'une voiture thermique, ce à quoi peut s'ajouter le coût de l'installation de bornes de recharge domestiques. C'est un véritable frein à l'achat, particulièrement pour les classes populaires et moyennes, qui sont pourtant celles qui ont le plus souvent besoin de leur véhicule pour se rendre à leur travail.
Nous n'allons pas préempter les discussions budgétaires à venir, mais l'une de nos recommandations est d'assurer désormais la stabilité de ces aides dans le temps, afin de donner de la visibilité aux acheteurs, mais aussi aux industriels, sur les conditions de marché.
Plus fondamentalement, nous estimons que, à moyen terme, c'est au niveau européen que les mécanismes de soutien à la demande de véhicules électriques devraient être mis en place. Car actuellement, concrètement, ce sont les impôts des Français qui financent la production en Chine, mais aussi et surtout en Roumanie ou en Slovaquie... Si les objectifs en matière de baisse des émissions sont fixés au niveau européen et si leur atteinte est évaluée au niveau européen, les mécanismes de soutien au marché doivent aussi être fixés au niveau européen - pondérés, le cas échéant, en fonction du pouvoir d'achat de chaque pays, afin d'éviter des effets d'entraînement trop disparates.
Mais il existe aussi des voies non budgétaires pour soutenir le marché. La première tend à miser sur le marché de l'occasion électrique, qui est en progression, mais demeure moins fluide que celui de l'occasion thermique, en raison, notamment, d'inquiétudes persistantes sur les performances des batteries anciennes, alors que ces dernières sont plutôt meilleures que ce qui était anticipé. Afin de soutenir ce marché, nous recommandons donc de créer un « diagnostic batterie certifié » propre à rassurer les acheteurs, et qui serait exigible lors de la vente de tout véhicule électrique, neuf ou d'occasion.
Notre dernière préconisation pour soutenir le marché ne produira ses effets qu'à moyen terme, car elle nécessite un « changement de logiciel » dans les stratégies des constructeurs français. En effet, l'augmentation des prix moyens des véhicules, si pénalisante pour le marché, n'est pas principalement due à l'électrification, qui n'est arrivée que ces toutes dernières années. Depuis une vingtaine d'années, les constructeurs se sont engagés dans une stratégie de montée en gamme, qui n'a fait que s'accélérer en sortie de crise du Covid-19, dans un contexte de pénurie de l'offre qui a augmenté le « pricing power » des constructeurs. De fait, dans les gammes des constructeurs français, les petites voitures ont quasiment disparu. Or ce sont elles qui faisaient les volumes.
Les industriels ont sans doute leur part de responsabilité dans ces choix stratégiques qui apparaissent aujourd'hui délétères, mais le poids croissant des exigences normatives européennes, notamment en matière de sécurité, a également lourdement pénalisé les industriels français, dont les modèles légers sont devenus plus chers à produire, moins rentables, et donc moins attractifs pour les constructeurs - à la différence des berlines allemandes, relativement moins impactées. Résultat : des constructeurs français aujourd'hui incapables de proposer une offre abordable et qui ne cessent de perdre des parts de marché. Le tir est d'ailleurs en train d'être corrigé, avec l'arrivée de nouveaux modèles comme la ë-C3 ou la Twingo électrique. Mais, de l'avis des experts que nous avons auditionnés, notamment du groupe d'études et de recherche permanent sur l'industrie et les salariés de l'automobile (Gerpisa) du CNRS, le retour à ces modèles ne suffira pas à combler l'écart de prix occasionné par l'électrification.
Aussi, nous estimons nécessaire de modifier le cadre réglementaire pour créer une nouvelle catégorie de véhicules très légers, avec des exigences matérielles de sécurité allégées, mais, en retour, des restrictions en matière de vitesse, taille, puissance, etc. sur le modèle des kei cars japonaises. Compactes et légères, ces voitures aux performances limitées - intermédiaires entre les véhicules classiques et les voiturettes sans permis - permettent malgré tout de répondre à une large part des besoins, notamment pour les trajets du quotidien. Leur coût réduit, synonyme de large diffusion, devrait permettre aux constructeurs de renouer avec les volumes.
Un autre enseignement à tirer du succès des kei cars japonaises, dont la production est mutualisée entre les différents constructeurs pour faire baisser les coûts, est que, face à la compétition mondiale, seule une politique industrielle commune, portée par une vision partagée entre la France, l'Allemagne et les autres États membres de l'Union européenne, permettra de garantir l'avenir de l'automobile européenne.
C'est ce que nous recommandons sur le long terme. Car, même si le tableau est sombre, il y a des lueurs d'espoir pour l'avenir. Nous avons des atouts, en France et en Europe, pour redevenir leaders sur le véhicule de demain. Mais cela suppose que les acteurs européens, institutionnels et industriels, jouent collectif. La tentation de certains constructeurs de passer des alliances avec les Chinois pour rattraper « individuellement » leur retard technologique ne peut qu'accroître, à terme, le risque de dépendance envers la Chine, notamment sur des technologies clés comme les batteries. Nous suggérons au contraire de tirer parti des futures règles de contenu local européen et d'écoconditionnalité pour encourager l'implantation sur le sol européen de ces acteurs chinois, sous condition de transferts de technologie - comme ils l'ont, du reste, fait chez eux ! Alors que le marché états-unien se ferme, l'Europe, forte de ses presque 450 millions de consommateurs, est plus attractive que jamais : elle est en mesure de fixer ses conditions.
Sur le plus long terme, la France et l'Europe ont également de solides atouts en matière de R&D. Plus de la moitié des brevets déposés en France le sont par l'industrie automobile et quatre des dix premières places au classement des déposants de brevets sont occupées par des entreprises de la filière automobile. Même si, en termes d'effectifs, l'Europe n'est pas en mesure de concurrencer la Chine - on parle de 20 000 chercheurs et ingénieurs rien que chez le producteur de batteries CATL ! -, la France et l'Europe disposent de pôles de recherche de grande qualité et d'un vivier de talents reconnus dans des secteurs clés comme les batteries, l'intelligence artificielle et les véhicules autonomes. Dans les batteries notamment, le rattrapage sur les technologies matures n'exclut pas en parallèle les recherches sur les technologies d'avenir, par exemple les batteries solides, qui pourraient offrir de meilleures performances.
Afin de préserver un haut niveau d'innovation, il nous apparaît donc essentiel de sanctuariser des dispositifs comme le crédit d'impôt recherche (CIR), unanimement cité par les acteurs de la filière comme l'un des atouts majeurs de la France, mais aussi de renforcer les liens entre la recherche académique et l'industrie. Cela ne signifie naturellement pas que ces dispositifs ne doivent pas être ajustés - nous aurons sans doute l'occasion d'en débattre lors de l'examen du projet de loi de finances.
La France pourrait notamment tirer son épingle du jeu dans le domaine du logiciel, grâce à sa formation de haut niveau dans les domaines du numérique et de l'intelligence artificielle. Des entreprises comme Valeo sont en pointe dans ce secteur. Or, alors qu'aujourd'hui, les constructeurs réalisent leur bénéfice sur le prix de vente du véhicule, à l'avenir, les logiciels pourraient permettre de créer de la valeur pendant quasiment toute la durée de vie du véhicule. Plus encore que dans l'électrification, c'est sans doute là que réside la prochaine révolution de l'industrie automobile. Face à la force de frappe des Gafam et autres BYD, il est donc indispensable de soutenir l'émergence d'un écosystème européen du véhicule numérique.
Naturellement, ces mesures de long terme n'auront un sens que si notre industrie survit jusque-là.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci à nos rapporteurs. La liste des préconisations vous a été distribuée, place aux questions !
M. Franck Menonville. - Permettez-moi d'exprimer mon désarroi face à ce naufrage industriel, comparable à celui que nous vivons dans l'agriculture ou l'énergie. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, en raison de politiques européennes inadaptées, nous abandonnons encore une fois un secteur où nous disposions d'une souveraineté.
Il ne s'agit pas d'opposer l'électrique au thermique. Mais nous devons répondre à un enjeu de temporalité : quand on ne maîtrise pas de manière souveraine une technologie, on ne lui fait pas une place sur le marché sans s'y être préparé. Or c'est ce que nous avons fait. Il faut inverser la tendance.
La voiture électrique a toute sa place sur certains marchés, mais cette technologie ne peut pas être généralisée. La Chine a quinze ans d'avance sur nous et elle ne va pas nous laisser la rattraper !
En outre, nos constructeurs n'ont pas la capacité financière pour être présents sur toutes les technologies.
D'ailleurs, j'ai fait l'expérience du véhicule hybride rechargeable : on consomme plus qu'avec une voiture thermique !
M. Alain Cadec, rapporteur. - Ce n'est plus vrai aujourd'hui.
M. Franck Menonville. - Peut-être encore en milieu rural, ou bien était-ce une question de modèle. En tout cas, il faut donc continuer à développer les petits moteurs thermiques qui ont encore des marges de progrès et les e-carburants, tout en développant l'électrique dès que c'est possible.
Certains constructeurs misent sur le tout-électrique, mais de nombreux territoires de la planète n'auront toujours pas accès à l'électricité après 2035 : qui va prendre ces marchés ?
Mme Marie-Lise Housseau. - J'ai rencontré des représentants de Mobilians et je retrouve leurs demandes dans ce rapport. Ils estiment bien évidemment que l'échéance de 2035 est ingérable. Selon eux, la R&D permettra de développer des moteurs thermiques consommant très peu, si on leur en laisse le temps. Ils soulignent également que le renouvellement du parc ralentit, à l'inverse de ce que l'on souhaiterait. Par ailleurs, étant élue d'un département très rural, le passage au tout-électrique me paraît utopique.
Enfin, les réglementations actuelles imposent aux constructeurs d'installer des aides à la conduite dont la plupart des conducteurs ne se servent pas, mais qui augmentent le prix des véhicules de 20 % à 30 %...
M. Daniel Gremillet. - Je remercie les rapporteurs pour leurs recommandations courageuses - en particulier la première, sur le report de l'interdiction des ventes de voitures thermiques neuves -, parce qu'elles vont à l'encontre de décisions européennes prises sans aucun recul. Nous sommes aussi à la veille d'une fracture sociale et sociétale, avec l'interdiction du véhicule thermique à l'horizon de 2035 : les chiffres que vous avez donnés sur l'écart de prix montrent combien cela limite le champ des possibles, alors que la mobilité est un enjeu majeur dans notre société.
Je serais tenté de dire qu'il ne faut pas fixer de butoir : il faut laisser la recherche avancer et permettre à la technologie d'évoluer. Des véhicules thermiques de nouvelle génération apporteront peut-être une partie des réponses attendues.
Vous avez également raison de parler dès le début des biocarburants, car ils permettront à un certain nombre de Français qui ne pourront pas acheter un véhicule électrique d'être acteurs de la mobilité décarbonée. Cette prise de position va à l'encontre des politiques actuelles, mais nous aurons l'occasion d'en débattre lors du débat budgétaire.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le rétrofit hydrogène des moteurs diesel ? Nous disposons d'un savoir-faire qui permettrait une meilleure accessibilité à la mobilité décarbonée.
Il serait judicieux que le CIR, s'il est maintenu, soit conditionné au développement industriel en France et en Europe des résultats de la recherche ainsi financée. Par ailleurs, il faut être très exigeant sur le recyclage : le futur appartiendra aux pays qui auront mis en place une capacité de recyclage. L'Union européenne devra avoir une politique beaucoup plus incitative.
Mme Amel Gacquerre. - Je remercie les auteurs du rapport, notamment pour leurs propositions concrètes et de court terme.
Vous l'avez dit, les batteries sont notre point faible, mais elles risquent de le rester. Le grand projet de « vallée de la batterie » devait initialement comporter cinq gigafactories. Actuellement, ACC, à Billy-Berclau, qui devait créer 2 000 emplois, n'en a créé que 600, son rythme de production étant insuffisant ; Envision, à Douai, est la gigafactory la mieux avancée, qui a commencé à produire ; Verkor, à Dunkerque, ne va pas produire avant 2026. Ces résultats ne sont pas à la hauteur pour nous permettre d'avancer.
J'ai interrogé hier le commissaire Séjourné sur l'implantation du constructeur chinois BYD en Hongrie sans qu'il réponde clairement. Vous estimez, quant à vous, que c'est une menace. Que faire pour freiner ce mouvement ? Si vous pensez que notre filière automobile a vraiment un avenir - ne cédons pas au fatalisme ! -, lequel ?
M. Yannick Jadot. - Nous ne soutenons pas l'analyse développée dans ce rapport.
Tout d'abord, les derniers chiffres sur les ventes de voitures électriques montrent une reprise, grâce à l'arrivée de petits véhicules.
Ensuite, il faut parler de ce sujet avec précaution, car il est anxiogène. En matière de transition énergétique, le sujet de la voiture électrique vient en tête dans la désinformation. La date de 2035 marque l'interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs et non pas l'interdiction des véhicules thermiques.
M. Alain Cadec, rapporteur. - C'est bien ce que nous avons dit.
M. Yannick Jadot. - Il y a un an, dans le cadre de diverses commissions d'enquête, nous avons auditionné MM. Senard et Tavares, qui nous disaient qu'ils seraient prêts en 2030...
M. Alain Cadec, rapporteur. - M. Tavares est parti !
M. Yannick Jadot. - Ils nous ont dit qu'ils appliqueraient la nouvelle règle, qu'ils étaient des industriels performants et qu'ils voulaient être les premiers, mais qu'il fallait cesser de changer les règles. Le même raisonnement s'applique aux gigafactories : s'il n'y a plus de commandes de batteries électriques, elles vont devoir courir après les subventions pour tenir ! La Chine a de l'avance, certes, mais la solution ne consiste pas à descendre du train...
M. Alain Cadec, rapporteur. - Il s'agit de le ralentir !
M. Yannick Jadot. - On ne ralentira pas le train de la Chine. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), dans cinq ans, 50 % des voitures vendues dans le monde seront électriques. Ce n'est pas en reculant l'échéance en Europe que nous aiderons nos industriels à satisfaire le marché européen tout en étant compétitifs à l'échelon international. En Chine, au Brésil, en Thaïlande, en Indonésie, les véhicules électriques sont moins chers que les véhicules thermiques, sans subventions publiques, parce que les constructeurs ont fait le choix de véhicules adaptés à la demande.
La crise automobile en France a 40 ans ! Depuis 40 ans, la filière française a régulièrement perdu des dizaines de milliers d'emplois. Ce n'est pas dû à la voiture électrique. Le moment est venu de relocaliser la production. La Renault 5 électrique va être produite en France. La production des petites voitures a été jusqu'à maintenant délocalisée. L'électrique est une opportunité de relocalisation de la production en France.
Il s'agit donc de ne pas réduire nos ambitions européennes sur cette transition, mais de nous donner les moyens d'être au rendez-vous, en rattrapant ceux qui ont pris de l'avance et en relocalisant notre industrie autour de l'électrique.
Quant aux e-carburants, pour la voiture, ils sont dix fois plus chers qu'un carburant classique. Si vous voulez faire du social... Le premier à avoir développé cette idée, c'est Porsche, suivi par Ferrari ! Les e-carburants seront nécessaires pour les avions, mais pas pour les voitures.
M. Fabien Gay. - Je remercie nos trois rapporteurs pour ce travail sérieux. Je peux partager certains constats, notamment sur le besoin de protectionnisme ; d'autres constats m'inspirent des doutes ; enfin, je déplore des manques.
Comme Yannick Jadot, je pense que les industriels de nombreux secteurs - l'automobile, le nucléaire ou l'aéronautique - ont besoin de règles stables et, pour investir dans le long terme. Dans le même temps, il faut clairement préparer la transition vers les mobilités d'avenir. Pour autant, la question de l'impact écologique de la batterie électrique doit aussi être posée, comme celle des carburants. Nous verrons cohabiter pendant un certain temps l'électrique et le thermique, puis nous basculerons vers le tout-électrique, sachant que dans dix ou vingt ans, malgré les efforts d'économies d'énergie, avec la voiture électrique, les objets connectés, etc., la question de la production d'électricité va se poser. Les gigafactories sont à peine naissantes ; si nous donnons le signe aujourd'hui que les règles pourraient changer, un pan du secteur disparaîtra, faute d'investissements, et nous prendrons du retard. C'est un constat qui va au-delà des divergences de fond.
Deuxième point qui me frappe : la France est en train de s'hyperspécialiser, mais elle perd tout le reste de la chaîne de valeur. Nous assumons la conception des produits et parfois la production finale, mais le reste va se faire ailleurs. On observe déjà ce phénomène dans l'industrie du médicament. Depuis la crise du Covid-19, nous voyons les sous-traitants fermer et délocaliser. Dans mon département, l'un des derniers sous-traitants de Stellantis a fermé pour produire en Turquie. Une réflexion manque sur ce point.
Sur la recommandation n° 14, j'approuve le premier point - harmoniser les règles relatives aux aides publiques -, mais je ne peux que contester le deuxième - réduire le coût du travail. La réponse à ces questions d'avenir ne peut pas être dans le moins-disant social et environnemental. On trouvera toujours moins cher pour produire ailleurs !
Enfin se pose la question des véhicules dont nous avons besoin. Nous construisons des véhicules trop chers, quand les Chinois produisent de petits véhicules à moins de 10 000 euros. Le prix des voitures neuves, chez nous, a augmenté de 40 % en quinze ans...
M. Alain Cadec, rapporteur. - À cause des normes européennes !
M. Fabien Gay. - Aujourd'hui, le premier achat d'un véhicule neuf intervient à l'âge de 57 ans en moyenne ! Les jeunes ne peuvent donc pas accéder à des voitures propres. Il faut donc faire prendre un vrai virage stratégique à notre industrie.
M. Henri Cabanel. - Je partage ce qui vient d'être dit sur la demande de clarté des industriels. Si les véhicules électriques sont plus chers que les véhicules thermiques, le coût de la recharge et de l'entretien est nettement moins élevé : on ne le dit pas assez.
Je partage vos propositions sur les tarifs douaniers. Il faut aller plus loin, avec des primes à l'achat qui devraient être réservées à l'achat de véhicules électriques européens. Il faut également distinguer entre les véhicules légers et les poids lourds. Quant aux biocarburants, pensons au biogaz, issu de la méthanisation des déchets agricoles, mais aussi des stations d'épuration : cette solution peut être intéressante pour les véhicules lourds.
M. Daniel Salmon. - Je ne partage pas non plus les conclusions des rapporteurs. Notre commission fait d'ordinaire preuve de volontarisme, elle aime montrer sa capacité à innover. En l'espèce, j'ai le sentiment d'entendre des propos d'arrière-garde...
M. Alain Cadec, rapporteur. - On fait un constat !
M. Daniel Salmon. - Nos constructeurs automobiles, depuis longtemps, commettent des erreurs stratégiques et ils ont beaucoup procrastiné. L'avenir n'appartient pas au véhicule thermique. Les bilans écologiques sont largement en faveur du véhicule électrique. On oublie souvent que le véhicule thermique implique l'importation d'énergies fossiles pour 70 milliards d'euros chaque année. On sait également que pour respecter notre trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il faut agir sur les transports : or c'est là que nous sommes en retard.
Nous avons besoin d'une politique très volontariste si nous voulons avoir une chance de nous en sortir. Nos constructeurs ont fait une erreur en ne travaillant pas assez tôt sur le véhicule électrique, ils ont fait également une erreur en se concentrant sur des véhicules trop lourds et en abandonnant les véhicules plus légers, sans parler des innombrables gadgets inutiles qui pèsent sur le prix à la vente.
Rappelons enfin que l'objectif 2035, c'est uniquement la fin de la vente de véhicules thermiques neufs. Ce n'est pas en tergiversant que nous aiderons notre industrie à se développer.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je retiens deux axes qui nous interpellent : la compétitivité de nos industriels, pour relever le défi de l'électrique, et la capacité des Français à financer l'achat de véhicules électriques.
S'agissant des conditions de marché évoquées dans la recommandation n° 8, à l'approche du débat budgétaire, nous entendons parler d'une extension du malus écologique aux véhicules d'occasion. Comment les Français pourront-ils y faire face ? En ce qui concerne les conditions de production, on constate les effets de la politique tarifaire du président Trump : Stellantis prévoit d'investir 13 milliards d'euros aux États-Unis plutôt qu'en Europe. Dans ce contexte, comment avancer dans le sens que vous préconisez ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - De quelque façon qu'évolue le marché, nous aurons besoin d'installer des bornes de recharge, notamment en zone rurale, par exemple avec les aires de covoiturage. Or les collectivités sont souvent à l'initiative de ces projets et les financent (directement ou indirectement), contrairement à ce qui se faisait dans le passé avec les stations-service, où les industriels contribuaient. Le modèle économique serait peut-être à revoir.
En ce qui concerne le CIR et la relocalisation, les Chinois ne sont pas prêts à nous rendre ce qu'ils nous ont pris... Pour autant, il ne faut pas être défaitistes. La réindustrialisation passe par la maîtrise d'un certain nombre d'opérations de R&D, mais aussi de production. J'insiste sur la question des données qui représente un enjeu énorme. Dans ce domaine, la souveraineté est fondamentale et il ne faudrait pas laisser la main à d'autres acteurs.
Mme Martine Berthet. - J'approuve entièrement les recommandations de nos rapporteurs.
S'agissant de la recommandation n° 12 sur les matériaux critiques, je me permets d'insister sur les difficultés actuelles de la filière de la fibre de verre, qui produit notamment pour la filière automobile, dont les usines ferment en Europe, à cause de la concurrence chinoise qui contourne les mesures européennes de protection.
En ce qui concerne les batteries, des appels à projets avaient été lancés par l'Union européenne, auxquels avait répondu Tokai Cobex, pour la production de carbone spécifique à ces batteries. Cette entreprise japonaise renonce finalement à ce projet, à cause de notre instabilité politique et du coût de l'énergie. Sur ce dernier sujet, EDF commence à avancer des propositions plus favorables aux industriels et plus conformes à leurs besoins, mais il faudrait trouver une solution pour redonner de la confiance aux investisseurs étrangers.
Pour ce qui est du recyclage des batteries, on observe également des difficultés : Ugitech essaie de mettre en place la filière Ugi'Ring sur un ancien site industriel, mais se heurte à la complexité des études environnementales, ce qui ralentit la mise en oeuvre de ce projet d'économie circulaire vertueux, ce qui est regrettable.
Enfin, s'agissant du maintien du CIR et des dispositifs relatifs à l'emploi des doctorants, le sujet avait également été mis en avant lors des travaux de la commission d'enquête sur les aides publiques aux entreprises.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Nous faisons le constat d'un naufrage, mais notre rapport n'a pas pour objet d'opposer l'électrique au thermique.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué Mobilians, que nous avons auditionné et qui sera destinataire de notre rapport, comme tous les organismes auditionnés.
D'autres collègues ont évoqué les carburants alternatifs, comme l'hydrogène : ces technologies ne peuvent pas être rapidement mises en oeuvre et les industriels sont assez frileux, même si la recherche continue. En revanche, le biogaz peut être intéressant pour les gros véhicules, d'autant qu'il est désormais possible de le liquéfier.
Mme Gacquerre a évoqué le problème des batteries. Nous sommes très loin derrière la Chine en termes de production et tous les composants de nos batteries sont chinois ! Nous sommes dépendants des matières premières, qui proviennent de Chine ou de la République démocratique du Congo. Pour l'instant, on ne sait pas non plus recycler les batteries...
Monsieur Jadot, votre position est trop caricaturale. Vous évoquez la nouvelle Renault 5 : son prix de vente est de 30 000 euros, c'est trop élevé pour des ménages modestes. Leapmotor est le seul constructeur qui vende des véhicules électriques à moins de 20 000 euros, mais ils sont fabriqués en Chine.
Quand nous sommes allés à Montbéliard, le responsable du site nous a dit qu'il était incapable de fabriquer des véhicules électriques...
M. Rémi Cardon, rapporteur. - ... de manière rentable, pour être précis !
M. Alain Cadec, rapporteur. - Et ce ne sont pas seulement les patrons qui nous le disent, les syndicats aussi !
Quand M. Jadot dit que, dans cinq ans, 50 % du parc automobile mondial sera électrique...
M. Yannick Jadot. - 50 % des ventes de véhicules neufs !
M. Alain Cadec, rapporteur. - ... j'ai du mal à y croire.
Nous partageons la nécessité de produire des véhicules plus petits et plus abordables.
Par ailleurs, le coût d'utilisation des véhicules électriques est peut-être moins élevé que celui des véhicules thermiques, mais il faut aussi traiter la problématique de l'installation des bornes de recharge, notamment dans les copropriétés, et dans le logement social.
M. Jadot a cité Carlos Tavares, mais son successeur, Antonio Filosa, demande de la flexibilité dans la réglementation, pour aller vers la décarbonation en maintenant l'activité industrielle.
M. Yannick Jadot. - Les constructeurs veulent avant tout éviter les pénalités sur les émissions de CO2 !
M. Alain Cadec, rapporteur. - Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut aller vers l'électrique, mais pas n'importe comment ! L'Europe et la Californie sont prêtes à s'équiper en voitures électriques, mais le reste du monde ?
M. Yannick Jadot. - Même l'Indonésie est en train de rattraper l'Europe sur le taux de pénétration !
M. Alain Cadec, rapporteur. - En Chine, les véhicules électriques circulent uniquement dans les zones urbaines. Dans la campagne chinoise, on circule avec des véhicules thermiques. Et l'électricité y est produite par des centrales à charbon...
Pour terminer, je rappelle que la filière automobile représente 850 000 emplois : 350 000 en amont, 450 000 en aval. On risque d'en perdre une grande partie, c'est insupportable ! S'il suffit de faire un petit effort en décalant l'échéance, on doit pouvoir le faire. Le chancelier Merz lui-même a d'ailleurs demandé hier au Conseil un tel assouplissement.
Mme Annick Jacquemet, rapporteure. - Lors des auditions, nous avons entendu un cri d'alarme de tous les acteurs, auquel nous ne pouvons pas rester insensibles. En ce qui concerne le report de l'échéance de 2035, nous demandons à la Commission d'agir « en accord avec les industriels », il faut examiner la capacité de l'ensemble des acteurs à répondre aux besoins du marché
Monsieur Jadot, quand la R5 est sortie dans les années 1970, son prix équivalait à six mois de salaire moyen ; le prix de la nouvelle R5 représente entre douze et dix-huit mois de salaire. Cette petite voiture n'est pas à la portée de toutes les bourses. En moyenne, les Français peuvent consacrer 15 000 euros à l'achat d'un véhicule d'occasion, et 25 000 euros pour un véhicule neuf. Or le prix des voitures a augmenté de 25 % entre 2020 et 2024 : on comprend que le marché soit atone.
Nous avons auditionné tous les constructeurs de batteries. Ils se trouvent dans la « vallée de la mort » : ils ont mis au point les techniques, mais il leur faut trouver les financements pour passer à l'industrialisation. Ils souhaiteraient pouvoir compter sur des financements européens, mais sauf exception, ceux-ci ne bénéficient qu'à l'innovation et aux nouveaux projets, pas ceux en phase d'industrialisation.
Notre recommandation n° 8 insiste sur la stabilité du cadre fiscal et des aides à l'achat, car effectivement, les entreprises ont besoin de stabilité. En cinq ans, les réglementations ont connu dix-sept changements.
Enfin, les batteries NMC sont recyclables à 90 %, voire 100 %. C'est pourquoi nous insistons sur le développement du recyclage, car la grande majorité de l'extraction et surtout du raffinage des métaux rares se fait pour le moment en Chine.
M. Rémi Cardon, rapporteur. - Comme l'a dit Yannick Jadot, c'est surtout la taxe « Cafe », sur les émissions de CO2, qui fait peur pour l'instant aux constructeurs. La date butoir de 2035 les préoccupe moins, parce qu'ils ont déjà investi massivement.
L'accessibilité des véhicules électriques en termes de coût est un enjeu majeur. Il faut une politique de demande bien plus offensive. Par exemple, le leasing social est réservé à des catégories très modestes, il relève davantage de la politique de communication que d'une vraie politique sociale. C'est un sujet qui devra être abordé lors de l'examen du projet de loi de finances.
Nous sommes à dix ans de l'échéance : il faut faire preuve de volontarisme plutôt que de céder à la fatalité, sinon notre retard de quinze ans va se creuser.
Je vous invite à lire notre rapport, car nos préconisations sont plus modérées que ce qui est parfois ressorti de nos échanges.
M. Yannick Jadot. - Avez-vous abordé la question des flottes d'entreprise ?
M. Alain Cadec, rapporteur. - Nous avons reçu les observations des gestionnaires de flotte et nous en avons tenu compte dans nos recommandations.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous propose d'adopter, par un vote global, le rapport d'information et ses dix-huit recommandations.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 12 h 10.