Jeudi 6 novembre 2025

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Audition d'Adrien Taquet et Anne-Hélène Moncany sur le rapport "Parcours des mineurs auteurs de violences sexuelles"

Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Adrien Taquet, ancien secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, co-président de la commission d'audition publique et co-auteur du rapport sur le « Parcours des mineurs auteurs de violences sexuelles », ainsi qu'Anne-Hélène Moncany, psychiatre et ancienne présidente de la Fédération française des Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS). Nous avons déjà eu l'occasion de vous auditionner, Adrien Taquet, lorsque vous étiez secrétaire d'État, de même que Docteure Moncany, à l'occasion de notre mission conjointe de contrôle avec la commission des lois sur la prévention de la récidive du viol et des agressions sexuelles. Nous sommes heureux de vous retrouver, l'un et l'autre, autour de sujets qui nous mobilisent.

Cette audition est ouverte à nos collègues membres de la commission des lois car elle s'inscrit dans le prolongement de nos travaux communs menés dans le cadre de la mission conjointe de contrôle sur la prévention de la récidive du viol et des agressions sexuelles dont le rapport, intitulé « Prévention de la récidive du viol : prendre en charge les auteurs pour éviter de nouvelles victimes », a été publié en mai dernier.

Je précise également qu'elle fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat.

Avant d'en venir à la présentation de votre rapport, j'aimerais exprimer ma colère et mon indignation lorsque j'ai, comme vous toutes et tous, découvert la fabrication, et la commercialisation sur la plateforme Shein, de poupées sexuelles au corps de fillettes accompagnées de descriptions incitant au viol d'enfants. L'existence même de ces objets pédopornographiques, mais aussi le fait qu'ils aient pu être commercialisés et achetés en France, nous rappellent les dangers qui pèsent sur nos enfants et la nécessité pour notre délégation de continuer à dénoncer et à lutter contre toutes les formes de pédocriminalité.

Il a fallu que quelqu'un pense à les fabriquer et que quelqu'un accepte de les commercialiser, car, et c'est le plus choquant, il y avait un marché.

Je sais, Adrien Taquet, que lorsque vous étiez secrétaire d'état chargé de l'enfance, vous aviez eu à traiter des affaires similaires. Il y a bien sûr la responsabilité de la plateforme Shein et celle des autres plateformes commerciales aujourd'hui visées par une enquête du Parquet de Paris, mais j'aimerais entendre votre colère, à n'en pas douter, et connaître vos recommandations en la matière.

Si vous le permettez, je vous inviterai à développer votre réponse dès le début de votre intervention.

J'en viens maintenant à la présentation de votre rapport, co-rédigé avec Clémentine Rappaport, rendu public en septembre 2025 et qui s'inscrit dans la continuité du plan gouvernemental de lutte contre les violences faites aux enfants 2023-2027. Il constitue une étape majeure dans notre manière de penser et de comprendre les violences sexuelles commises par des mineurs, un sujet longtemps resté tabou, voire un « impensé » de nos politiques publiques et de nos représentations collectives.

Le phénomène est complexe à appréhender :

• Il l'est, à la fois dans son ampleur : il concerne 1 mineur sur 9 000, mais le nombre de mis en cause est passé de 8 900 à 15 700 entre 2017 et 2024, soit 11 500 mineurs en moyenne sur la période. En outre, environ 30 % des agressions sexuelles sur mineurs sont commises par d'autres mineurs. Ces statistiques sous-estiment sans doute la réalité, comme le montre notamment une étude de l'INSERM, selon laquelle plus d'une victime sur trois ne dénonce pas les faits.

• Il l'est aussi en raison de sa nature, diverse, qui varie selon l'âge des auteurs et le type de violences sexuelles : comment comparer un jeune enfant, un préadolescent de 12 ans ou adolescent de 17 ans ? Quels points communs entre l'inceste au sein d'une fratrie ou une affaire de proxénétisme ?

L'objectif de votre rapport est donc de mieux comprendre les parcours, les profils et les besoins spécifiques des mineurs auteurs de violences sexuelles, afin d'améliorer leur accompagnement et notamment de prévenir la récidive et la reproduction des violences.

Il fait ainsi écho, je le disais, aux travaux menés par notre délégation au cours du premier semestre de cette année, dans le cadre d'une mission conjointe de contrôle avec la commission des lois, sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles.

À cette occasion, nous avions souligné le rôle crucial de la prévention autour de plusieurs axes :

• l'accompagnement et le soutien à la parentalité ;

• l'éducation au consentement dans le cadre du programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) dispensé, nous l'espérons, à l'école ;

• la formation des intervenants sociaux au repérage et à la détection précoce des maltraitances ou carences dont peuvent être victimes les enfants dans leur cercle familial.

Votre rapport va dans ce sens, en replaçant ces enfants et adolescents au coeur d'une réflexion globale, judiciaire, médicale, éducative et sociale. Vous nous rappelez notamment la spécificité des auteurs mineurs et qu'« il est essentiel de ne pas les considérer comme des adultes miniatures ».

Face à ce constat, vous insistez sur la prévention et la nécessité d'agir très en amont : sur la parentalité, sur les stéréotypes de genre, sur l'exposition précoce à la pornographie et, plus largement, sur la culture du respect et du consentement.

Vous concluez votre état des lieux en rappelant les conséquences désastreuses de l'exposition à la pornographie, qui fait « désormais partie du quotidien d'un grand nombre d'enfants, parfois dès l'âge de 8 ou 9 ans ».

Notre délégation relevait déjà, dans son rapport sur l'industrie pornographique « Porno : l'enfer du décor » de septembre 2022, qu'un tiers des enfants de moins de 12 ans et deux tiers de ceux de moins de 15 ans ont déjà eu accès à des contenus pornographiques. Les mineurs, qui représentent en France 2,3 millions de visiteurs uniques, soit 12 % de l'audience mensuelle moyenne des sites pornographiques, sont donc massivement exposés à la pornographie, avec des conséquences délétères sur leur santé mentale, sur leur vision de la sexualité et sur leur rapport aux personnes du sexe opposé. Vous soulignez en particulier, dans votre rapport, que « les adolescents qui consomment le plus régulièrement de la pornographie sont aussi ceux qui ont le plus de mal à définir le consentement », tout en rappelant que les violences sexuelles ayant un mineur pour auteur sont commises à 93 % par des garçons.

Face au caractère traumatisant de l'accès précoce aux images pornographiques, peut-être reviendrez-vous sur le rôle que peut jouer l'école en matière de prévention ?

Vous nous invitez également à « interroger les structures sociales et culturelles qui rendent ces violences possibles, banales et parfois invisibles ». Nous commencerons la semaine prochaine nos auditions sur le thème de la place des femmes dans l'univers du jeu vidéo, où nous aborderons notamment la représentation de la femme et son hypersexualisation. Peut-être pourriez-vous développer à ce titre l'une de vos propositions (la numéro 27), qui vise à encourager les plateformes, l'industrie du jeu vidéo et les influenceurs à diffuser des contenus éducatifs fondés sur l'EVARS, afin de déconstruire les stéréotypes de genre, les modèles virilistes et la banalisation des rapports de domination ?

Concernant les réponses institutionnelles, plutôt que d'opposer prévention et sanction, vous nous invitez à construire une approche intégrée, fondée sur la connaissance, l'évaluation, le soin, l'éducation et la coordination entre les institutions.

Parmi les pistes de réflexion que vous proposez, j'ai notamment retenu :

• La nécessité d'un décloisonnement : les professionnels travaillent encore trop souvent en silos, ce qui s'avère particulièrement préjudiciable lorsqu'il s'agit d'adolescents susceptibles d'être à la fois auteurs et victimes de violences.

• Le développement de données et de connaissances plus précises, impliquant une meilleure coordination entre les secteurs sanitaire, de la protection de l'enfance et de la justice.

• La formation de l'ensemble des intervenants - juges, policiers, travailleurs sociaux, éducateurs, etc. -, comme nous le répétons régulièrement au sein de notre délégation, aux spécificités des infractions sexuelles commises par des mineurs.

• La responsabilisation des mineurs auteurs, notamment à travers un recours accru à la justice restaurative, encore trop peu mobilisée aujourd'hui.

Vos 45 recommandations rejoignent ainsi, en grande partie, celles formulées par notre mission conjointe de contrôle sur la prévention de la récidive du viol.

En invitant à dépasser la seule réponse judiciaire et à mieux comprendre le parcours des auteurs, vous proposez également de mieux protéger les victimes.

Je vous laisse sans plus tarder la parole, d'abord en réaction à la vente des poupées pédopornographiques que j'évoquais au début de mon intervention, puis, pour une présentation des principaux axes du rapport. Je vous laisse organiser vos prises de parole comme vous le souhaitez.

M. Adrien Taquet, ancien secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, co-président de la commission d'audition publique et co-auteur du rapport sur le « Parcours des mineurs auteurs de violences sexuelles ». - Merci beaucoup, Madame la présidente.

Sur l'affaire Shein, vous l'avez rappelé, j'avais été confronté à ce sujet en tant que ministre. Il est très bien que tout le monde pousse des cris d'orfraie aujourd'hui, mais ce n'est malheureusement pas un phénomène nouveau. À l'été 2020, c'était Amazon qui avait commercialisé ces poupées. Alertés par des associations, nous avions immédiatement pris contact avec la plateforme. Une parole publique forte avait conduit au retrait de ces poupées, mais force est de constater que cela ne suffit pas.

Ma colère est évidemment partagée. Je formulerai trois remarques d'ordre général. La première est qu'il faut souligner la responsabilité de chacun et veiller à ne pas diluer les responsabilités. Il y a d'abord la loi. Des textes réglementaires interdisent déjà de commercialiser, de produire et de consulter du matériel qui représente de façon hypersexualisée des mineurs et qui constitue donc du matériel dit pédocriminel. Ces textes existent. Peut-être faut-il les renforcer au niveau national comme au niveau européen, où des dispositions existent également pour mettre un terme à la commercialisation de ce type d'objet. Il faut peut-être aussi renforcer les sanctions, notamment financières, car nous avons face à nous des acteurs à l'assise financière solide pour qui les amendes actuelles ont peu d'effet. Le cadre normatif et les sanctions existent donc, même s'ils peuvent être renforcés.

Ensuite, il y a la responsabilité des plateformes. Il faut le dire et le redire : aujourd'hui, comme en 2020, elles disposent des moyens techniques et technologiques pour repérer et filtrer en amont les images, le contenu et les textes problématiques.

Ce sont des outils utilisés par toutes les plateformes, ainsi que par nos services de police et de renseignement. Cela existe et se développe. Les plateformes doivent mettre en place ces outils et les doubler, si nécessaire, de moyens humains qui peuvent constituer des garde-fous supplémentaires. Nous savons que c'est souvent là que cela pèche, pour des raisons d'économie. Leur responsabilité première est donc de mettre en place les moyens technologiques et humains nécessaires pour que ce type de produit ne soit pas commercialisé dans notre pays.

Vient ensuite la responsabilité des pouvoirs publics. Il faut une parole publique forte, que la main ne tremble pas. J'ai le sentiment que, ces dernières heures, le Gouvernement et les pouvoirs publics ont eu une parole assez forte et ont pris - ou sont en train de prendre - des mesures à la hauteur de l'enjeu et de l'indignation légitime de nos concitoyens.

La responsabilité des associations, qui jouent le rôle de lanceurs d'alerte, doit être soulignée et saluée.

Le deuxième aspect est qu'en dépit de tout cela, il faut être sincère avec nous-mêmes. Nous savons qu'il n'y a pas de système pur et parfait. Se dire que nous arriverons à interdire tout accès à ce type de produit, quand bien même nous en interdirions la commercialisation et la présence en France, est illusoire. Il y aura toujours des VPN et des plateformes qui opéreront à l'étranger, sur lesquelles nos concitoyens pourront se connecter. Il faut donc avoir une action résolue en France, mais aussi au niveau européen et probablement au-delà, même si le reste du monde ne partage pas forcément notre vision européenne. Il y a une vraie vision européenne à construire et à défendre par rapport à ces problématiques, notamment vis-à-vis de l'approche outre-Atlantique, beaucoup plus libertarienne. Nous ne pouvons pas nous dire qu'en adoptant toutes ces mesures nationales, le problème sera réglé.

En effet, si nous nous disons cela, nous invisibiliserons un problème qui demeurera.

J'adopte la même approche que pour l'accès à la pornographie. En tant que décideurs publics, nous devons mettre le plus d'obstacles et de barrières possibles entre nos concitoyens - en particulier les plus vulnérables - et ce contenu préjudiciable. Il faut rendre l'accès le plus difficile possible par la loi, par des contrôles par défaut, des interdictions ou des contrôles de l'âge. Mais il ne faut pas illusionner les gens sur la réalité du phénomène : il perdurera, il faut simplement le rendre le moins néfaste possible et adopter une approche pragmatique.

Mon troisième point, c'est qu'il est évidemment très bien de s'attaquer à ces plateformes. Alors qu'un débat semble naître, mêlant la lutte contre le matériel pornographique et celle contre la fast fashion, il me semble qu'il faut bien dissocier les deux sujets.

Et comme je le disais, s'attaquer à ces plateformes pour des questions liées à la pédocriminalité est plus que nécessaire. Mais d'autres plateformes, d'autres réseaux posent problème, et il faudrait être tout aussi volontariste à leur égard. Aujourd'hui, X (ex Twitter) est l'endroit où des réseaux de prostitution opèrent au vu et au su de tous, sans aucune modération. Sur Instagram, je reçois quinze fois par jour en message privé des sollicitations d'actes sexuels tarifés.

TikTok était le réseau social préféré des pédocriminels. J'avais eu l'occasion de le dire à son directeur, ainsi qu'à Cédric O, alors ministre du numérique. À l'époque, une tendance voulait que l'on se mette en scène en dansant avec ses enfants de façon assez lascive. Or, les pédocriminels adorent cela, tout comme ils apprécient les simples photos de vacances que nous publions. Ce que l'on retrouve sur les serveurs, ce ne sont pas seulement des contenus sordides, mais des photos banales qui constituent un matériau pour ces criminels.

Il va donc falloir s'attaquer à ce problème. Nous préconisons une interdiction des réseaux sociaux pour les mineurs de moins de 15 ans, comme l'a évoqué le Président de la République. L'Australie vient de l'adopter pour les moins de 16 ans ; nous allons peut-être nous diriger vers cette voie. Je rappelle qu'entre 15 et 18 ans, on reste mineur. Quand on a un compte « adolescent » sur ces plateformes, j'ose espérer, je le dis en tant que père qui a fini par céder, que mon fils ne reçoit pas ce genre de sollicitations. À 15 ans, il restera un mineur, mais n'aura plus de compte « adolescent ».

Il est donc très bien de s'attaquer à Shein et aux autres, avec le pragmatisme nécessaire pour ne pas baisser la garde. Mais attaquons-nous aussi aux autres espaces numériques qui sont des espaces de menace pour nos enfants. Le numérique est formidable, mais nous parlons ici des menaces bien réelles qui pèsent sur eux.

Une autre difficulté concerne les jeux vidéo. Nous savons aujourd'hui que c'est sur les forums de jeux vidéo que des adultes, se faisant passer pour des enfants, entrent en contact avec d'autres enfants. Là aussi, il faut en avoir conscience et essayer d'agir.

Nous n'allons certes pas commencer à contrôler toutes les discussions et tous les échanges, car il y a de vrais sujets de liberté derrière, évidemment. Ce sont les vieux débats. Pour autant, cela passe probablement par la sensibilisation, par l'éducation des enfants, a minima.

Mme Anne-Hélène Moncany, ancienne présidente de la Fédération française des Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS). - Je voudrais simplement rappeler, comme Adrien Taquet, que l'on semble découvrir aujourd'hui la fréquence et l'importance des comportements pédocriminels et, plus largement, du trouble pédophilique au sein de la population générale. Il y a des utilisateurs de ces objets, comme il y a des consommateurs de cyberpédopornographie. Les études sont rares et les chiffres difficiles à obtenir, mais ils montrent, notamment aux États-Unis, que 3 à 10 % des hommes ont déjà eu des fantasmes impliquant des mineurs. C'est donc loin, très loin, d'être anecdotique.

La sanction est absolument nécessaire, tant pour ceux qui produisent ces objets que pour ceux qui les détiennent ou les achètent. Cependant, comme pour la cyberpédopornographie, cela ne suffira pas. C'est là qu'intervient l'approche conjointe avec la prévention.

C'est ce que je vous avais exposé en 2018, à la suite de la première audition publique que nous avions menée sur les auteurs de violences sexuelles adultes. L'une des préconisations du rapport était la mise en place d'un numéro d'appel téléphonique pour les personnes attirées sexuellement par les enfants, le dispositif STOP. Ce dernier existe en Angleterre et en Allemagne depuis plus de vingt ans, afin que les personnes qui présentent une telle attirance et qui souhaitent de l'aide puissent y avoir accès. Ce n'était pas possible jusqu'en 2019, date à laquelle nous nous sommes rencontrés pour mettre en place ce dispositif dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, qui faisait suite à une mission du Sénat qui préconisait la mise en place de ce type de dispositif en France.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Parmi les corapporteures, il y avait effectivement Marie Mercier et moi-même.

Mme Anne-Hélène Moncany. - Nous voyons aujourd'hui que le numéro que nous avons mis en place, le 0806 23 10 63, reste très peu connu et que personne n'en parle.

Si nous voulons être efficaces collectivement, il faut appuyer beaucoup plus la diffusion de ce type de dispositif. Nous sommes d'ailleurs en train de retravailler sur une campagne de communication, notamment avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). En effet, ce numéro ne fonctionne que s'il est connu des personnes ciblées, or sa notoriété est aujourd'hui très insuffisante.

Ce travail s'inscrit dans une forme de continuité, puisqu'en 2018, avec la Fédération française des CRIAVS - les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles -, nous avions à coeur de mettre à jour les connaissances scientifiques sur les auteurs de violences sexuelles.

Un des points que nous souhaitions développer était la question des mineurs auteurs de violences sexuelles, car nous voyions déjà émerger cette problématique. Les CRIAVS recevaient de plus en plus de sollicitations, notamment de la part de la protection de l'enfance et des institutions accueillant des mineurs, concernant des violences sexuelles entre pairs ou des comportements sexuels problématiques. Les professionnels et l'entourage éprouvaient une grande difficulté à agir, voire à savoir quoi faire.

En 2018, nous n'avons pas réussi à traiter cette question. C'était une frustration à l'époque, mais cela paraît évident aujourd'hui : les enfants ne sont pas des adultes miniatures. L'approche et la prise en charge sont tellement spécifiques qu'une des préconisations de 2018 était de consacrer un travail spécifique à la question des mineurs auteurs de violences sexuelles.

C'est ce que nous avons initié en 2022. Le processus d'une audition publique est assez long. C'est un dispositif lourd mais très rigoureux, ce qui donne une forme de solidité aux préconisations du rapport. Il s'agit d'une méthodologie issue à l'origine de la Haute Autorité de santé, même si nous avons choisi de la mener indépendamment. En effet, la question des mineurs auteurs de violences sexuelles dépasse très largement le champ sanitaire, et l'un des enjeux majeurs est la pluridisciplinarité.

La Fédération française des CRIAVS a donc été promotrice de ce travail. La première étape a consisté à réunir un comité d'organisation, présidé par Daniel Pinette, qui m'a d'ailleurs relayée à la présidence de la Fédération des CRIAVS en septembre.

Ce comité réunissait les différents acteurs impliqués : les grands instituts, les ministères de la santé, de la justice et de l'Éducation nationale, des associations de victimes, de protection de l'enfance ou de pédopsychiatrie, ainsi que des juges des enfants. Ces acteurs se sont réunis pendant près d'un an pour formuler 40 questions précises sur la problématique des mineurs auteurs de violences sexuelles. Ils ont ensuite désigné 40 experts nationaux et internationaux - Belges, Suisses et Québécois - pour y répondre. Ces experts provenaient de tous les champs, notamment de la santé et de la justice, mais aussi de la sociologie, car la question des violences sexuelles est éminemment sociétale. Parallèlement, un groupe de chercheurs a analysé toute la littérature scientifique sur le sujet. L'ensemble de ces travaux est disponible sur le site de la Fédération française de psychiatrie. En juin dernier, une commission d'audition, co-présidée par Adrien Taquet et Clémentine Rappoport, a été mise en place. Composée de 14 professionnels du champ sans être des experts, elle avait pour but d'apporter un regard extérieur sur les travaux des experts. Pendant deux jours, au ministère de la santé, les experts ont présenté les conclusions de leurs travaux à cette commission, qui avait préalablement pris connaissance de tous les rapports. La commission d'audition s'est ensuite réunie pendant 48 heures. Telle est la méthodologie utilisée pour produire le rapport et les préconisations que va vous présenter Adrien Taquet. Je souhaitais expliquer la manière dont ce travail s'est construit.

M. Adrien Taquet. - Il s'agit d'une approche pluridisciplinaire dès le départ, à la fois fondamentale, rigoureuse et scientifique. Elle est aussi contrainte, car nous sommes restés, selon la méthodologie, dans le cadre de ce qui nous était restitué par les experts ou par les échanges. En effet, lors des auditions de cette commission elle-même très pluridisciplinaire, se trouvaient des juges des enfants, des sociologues, une historienne des violences faites aux enfants et des pédopsychiatres. Dans la salle, deux cents personnes concernées par ces sujets, professionnels et associations, pouvaient interagir et poser des questions. Nous pouvions nous appuyer sur ces échanges, mais nous n'avions pas le droit de sortir du cadre qui nous était fixé, ni de consulter d'autres rapports, sauf s'ils étaient cités. Ce rapport s'inscrit donc dans un cadre qui nous a été donné, très exhaustif, pointu et précis, puisqu'il émane de personnes expertes dans leur domaine.

Sur le fond, je formulerai trois grands constats. Le premier concerne la question des mineurs auteurs de violences sexuelles. Ce n'est pas un phénomène nouveau, mais nous l'avons longtemps ignoré ; c'est un impensé complet de notre société. Ce qui est nouveau, c'est qu'il s'ancre dans des réalités et sur des facteurs de risque nouveaux.

La question des violences sexuelles sur les enfants est un impensé de notre société, mais lorsqu'il s'agit de mineurs auteurs, cela l'est plus encore, par tabou et probablement par peur d'entacher une vision quelque peu idéalisée de l'enfant. Nous peinons aussi à sortir d'une dichotomie entre l'enfant angélique, d'un côté, et le monstre, de l'autre. Or, cette vision n'est pas conforme à la réalité.

Dans 72 % des cas judiciarisés, les mineurs auteurs ont aussi été victimes de violences sexuelles ou physiques. Ne pas sortir de cette dichotomie empêche d'avoir une réponse globale, holistique, qui est nécessaire pour appréhender l'enfant dans son entièreté.

En conséquence, les réponses institutionnelles sont très segmentées, avec des approches silotées et souvent uniquement pénales, qui ne prennent pas en compte le fait que l'enfant est aussi une victime nécessitant un accompagnement. Pourtant, une prise en charge précoce et holistique est un frein à la récidive, qui devient alors très faible. Il est donc possible de casser le fameux cycle de la violence, qui n'est pas une fatalité si l'on apporte les bonnes réponses.

Ce sujet est un impensé de notre société, alors que le phénomène est loin d'être marginal. On dénombre chaque année 11 500 mineurs mis en cause pour des faits de violences sexuelles, et ce ne sont là que les faits judiciarisés, la face émergée de l'iceberg. Cela représente entre 30 % et 50 % des auteurs d'agressions sexuelles sur mineurs.

Entre 30 % et 50 % des mineurs agressés sexuellement chaque année le sont donc par d'autres mineurs. C'est tout l'objet de ce rapport que de s'atteler à cette question, assez peu traitée ces dernières années, et j'en prends ma part. Je regrette de ne pas avoir abordé ce sujet en tant que ministre. S'intéresser à la question des mineurs auteurs constitue une partie importante du problème de la protection des enfants contre les agressions sexuelles. Quelques chiffres : ces auteurs ont majoritairement moins de 16 ans et 30 % d'entre eux ont moins de 13 ans. Pour les viols, ils sont 32 %, avec une surreprésentation entre 16 et 17 ans. Le quasi-doublement des faits entre 2017 et 2024 est probablement lié à la libération de la parole et de l'écoute sur ces sujets ces dernières années. Rien ne permet de prouver scientifiquement une explosion à ce point des violences sexuelles sur cette période. Un autre chiffre peut surprendre : alors que les faits judiciarisés augmentent, on observe une stabilisation des condamnations. Cela ne signifie pas pour autant qu'aucun suivi éducatif n'est mis en place, ce qui est dû à la singularité de la justice pénale des mineurs. Une part importante des moins de 13 ans étant concernée, la présomption de non-discernement conduit à un classement sans suite. On nous signale d'ailleurs une multiplication par quatre des classements sans suite pour ce motif depuis le nouveau code de la justice pénale des mineurs. Encore une fois, cela ne veut pas dire qu'aucun suivi éducatif n'est mis en place.

Il s'agit d'un phénomène d'ampleur, à ne pas minorer, qui n'est pas nouveau, mais qui s'ancre dans des réalités nouvelles, avec de nouveaux facteurs de risque et de nouvelles vulnérabilités. Par conséquent, au-delà de l'approche quantitative, il faut s'intéresser aux interstices. Sans grande surprise, Internet et les réseaux sociaux sont devenus les premiers espaces de découverte de la sexualité pour nos préadolescents. Il y a une exposition massive et précoce de nos jeunes enfants à la pornographie en ligne, et je crains même que les chiffres ne se soient encore aggravés depuis deux ou trois ans.

Il y a aussi le phénomène du harcèlement scolaire et c'est aujourd'hui la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire. Il est omniprésent dans la vie des jeunes, et on en trouve la trace dans 50 % des cas dans le parcours des mineurs auteurs, qu'ils en aient été les auteurs ou les victimes. Ce problème laisse une trace dans notre société et dépasse aujourd'hui très largement les grilles de l'école pour s'immiscer jusque dans l'intimité des chambres de nos adolescents. Les réseaux sociaux, Internet et l'accès à la pornographie façonnent aujourd'hui la sexualité et le rapport à l'autre de nos jeunes. Cela agit comme un catalyseur de comportements sexuels violents chez des mineurs déjà vulnérables, ce qui appelle des réponses à la hauteur de l'urgence.

Un deuxième point important est qu'il n'y a pas de profil type du mineur auteur de violences sexuelles. Ce n'est pas parce que l'on consomme beaucoup de pornographie et que l'on est jeune que l'on va devenir auteur de violences sexuelles. Il existe cependant un certain nombre de facteurs de risque que l'on retrouve souvent chez eux. C'est un phénomène complexe et protéiforme qui interdit les réponses toutes faites et de s'enfermer dans des schémas archétypaux. Selon l'âge et le stade du développement, la situation n'est pas la même, et il y a assez peu de corrélation entre un enfant impubère et un adolescent pubère. Les implications et les situations ne seront pas les mêmes, tant dans l'approche éducative que d'un point de vue judiciaire. La notion même de violence sexuelle n'est pas la même entre un inceste et de la prostitution infantile.

Il n'y a donc pas de profil type du mineur agresseur sexuel. Certains ont grandi dans des familles violentes ou carencées, d'autres présentent des troubles du développement ou du comportement. L'influence qu'ils ont pu subir par des contenus inadaptés en ligne sera majeure, mais ce ne sont pas des constantes systématiques. En revanche, des facteurs de risque connus existent, sur lesquels il faut s'arrêter : les antécédents de maltraitance, l'exposition à la pornographie ou l'absence de repères éducatifs. À l'inverse, il y a les facteurs protecteurs, qui sont autant de leviers sur lesquels il faudra agir : le fait de bénéficier d'une éducation non violente, d'avoir une famille où l'on communique, un encadrement bienveillant. Chaque parcours est singulier, il faut bien garder cette idée en tête.

Chaque parcours est singulier, mais avec deux phénomènes. Premièrement, de nombreux auteurs sont également des victimes, à hauteur de 72 %. Ils ont été exposés à des violences dans leur enfance, ce qui brouille les frontières simples entre victimes et agresseurs. Ce constat souligne que protéger les enfants, c'est non seulement soutenir les victimes, mais aussi prévenir les passages à l'acte en s'occupant des auteurs potentiels. Il y a un cercle vertueux à enclencher. Aujourd'hui, nous avons peut-être tendance à insister sur la dimension répressive. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas de sanctions - il en faut évidemment -, mais il faut prendre en considération la mise en place de réponses éducatives pour ce cycle de violences auprès des mineurs auteurs.

Il faut prendre l'enfant dans sa globalité et sa complexité. Une quasi-constante est à noter : il s'agit d'un phénomène quasi totalement genré, puisque dans 93 % des cas, les auteurs sont des garçons. Cependant, il ne faut pas s'arrêter là, car d'autres victimes sont tout aussi importantes. Je songe à la prostitution des mineurs, où les jeunes filles représentent 40 % des mis en cause pour proxénétisme. Des jeunes filles sont donc aussi concernées dans des contextes bien précis. Ce déséquilibre massif, avec 93 % d'auteurs masculins, amène à interroger la construction des rôles de genre et des modèles de domination transmis aux enfants. Nos propositions contiennent des éléments techniques souvent évoqués, comme la formation des professionnels ou la connaissance des chiffres. La prévention est essentielle, mais il s'agit fondamentalement d'un combat culturel. Un combat doublement culturel, qui interroge à la fois la violence qui traverse notre société et la manière dont les identités de genre se construisent aujourd'hui chez les jeunes. Les comportements violents sont acquis socialement - on ne naît pas violent -, notamment en lien avec les normes de masculinité. Vous savez certainement, et peut-être vous en êtes-vous emparés, qu'un certain nombre de discours masculinistes réapparaissent sur plusieurs plateformes que l'on évoquait précédemment.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Cette année, les deux rapports de la délégation portent sur la montée en puissance des masculinismes et sur les jeux vidéo. Ces deux rapports auront, à un moment donné, quelques sujets communs.

M. Adrien Taquet. - Les experts pointent l'émergence de ces discours, auxquels nos adolescents ont très facilement accès, comme un terreau inquiétant pour légitimer ou banaliser les violences, notamment les violences sexuelles entre mineurs.

En miroir, il faut considérer les rapports entre adultes et enfants. Les violences sexuelles commises par des mineurs s'inscrivent souvent dans une répétition de schémas de domination où l'enfant reproduit sur plus vulnérable que lui ce qu'il a lui-même subi ou observé dans un cadre familial. Nous abordons là la question des violences conjugales. Un sociologue nous l'a dit, la famille est un lieu privilégié d'apprentissage des inégalités de genre entre générations. C'est un mot fort, mais si la cellule familiale doit être un lieu de protection, elle peut être aussi celui où s'apprennent, consciemment ou inconsciemment, les inégalités de genre et leur transmission. Il s'agit donc de dimensions culturelles profondes auxquelles il faut s'atteler, au-delà des mesures techniques.

Venons-en à quelques préconisations. Il faut une prise en charge qui remette le mineur au centre. Cela implique de ne pas considérer un mineur comme un adulte miniature, mais bien comme un enfant encore en développement. Par conséquent, calquer des modalités de prise en charge d'adultes sur l'accompagnement des mineurs auteurs n'a ni sens ni efficacité. Ce ne sont pas des facteurs d'éducation et de protection efficaces pour l'enfant et, in fine, pour la société.

Ces derniers temps, nous nous dirigeons un peu trop systématiquement vers le pénal et la sanction auprès de mineurs qui, sur des faits sexuels ou autres, sont par ailleurs de plus en plus jeunes et violents - du moins, c'est le sentiment que nous en avons. Les historiens disent que la société n'est pas plus violente aujourd'hui qu'elle ne l'était auparavant. Pour autant, des pics de violence nous laissent assez dépourvus.

Je tiens à rappeler ma conviction, qui était aussi la mienne en tant que ministre : un enfant ou un adolescent en conflit avec la loi reste avant tout un mineur en développement. C'est un enfant avant toute chose, comme le dit d'ailleurs la Convention internationale des droits de l'enfant. Cela implique de mettre le mineur au centre et de le considérer dans son entièreté, c'est-à-dire souvent à la fois comme auteur et comme victime. Or, aujourd'hui, on travaille encore beaucoup trop en silos, cloisonnés entre les secteurs. Vous avez ainsi la justice d'un côté, le secteur médico-psychologique de l'autre, l'éducation ou le social par ailleurs, avec des personnes dont les objectifs, les approches et la formation, les mots, la façon d'appréhender les sujets et les phénomènes ne sont pas les mêmes, au risque que le mineur et sa famille se perdent totalement face à des institutions qui ne les appréhendent pas globalement et qui ne parlent pas le même langage. C'est souvent cette incapacité à se coordonner qui crée les fameuses ruptures de parcours que nous retrouvons dans beaucoup de politiques publiques, avec des suivis thérapeutiques interrompus.

Je formulerai donc quelques propositions techniques. Dès qu'un mineur fait l'objet d'une enquête pour violence sexuelle, il faut une saisine immédiate et parallèle d'un juge des enfants au civil. Cette approche globale, menée en même temps que la procédure pénale, permettrait d'évaluer la situation du jeune, ses conditions familiales, les dangers et les besoins éducatifs, afin de prendre des mesures de protection et d'accompagnement immédiates, en plus des éventuelles sanctions pénales. Plus l'évaluation et l'orientation seront précoces, mieux nous pourrons prévenir la récidive.

Il faut également déployer sur l'ensemble du territoire des services éducatifs spécialisés pour le suivi des mineurs auteurs de violences sexuelles. Je songe notamment aux actions éducatives en milieu ouvert (AEMO), qui sont déjà en très grande difficulté - je suis bien placé pour le savoir. Il faut les soutenir et les spécialiser sur ces sujets, car ils sont aujourd'hui assez peu formés.

Les unités d'accueil pédiatrique enfance en danger (UAPED), que nous essayons de constituer en point d'entrée du parcours du mineur victime, devraient également l'être pour le mineur auteur. En effet, les UAPED ont deux vertus : d'une part, une entrée par le soin, ce qui me semble fondamental ; d'autre part, une approche pluridisciplinaire, dont nous avons besoin pour les mineurs auteurs.

Enfin, cela implique de mettre le mineur au centre et de le mobiliser, en n'hésitant pas à être innovant. Il faut encourager le recours à la justice restaurative dans ces situations, en complément de la réponse pénale classique, avec des moyens dédiés.

Le problème de la justice restaurative est qu'elle est inscrite dans les textes, mais qu'on ne lui octroie pas de moyens, et encore moins s'agissant des mineurs, avec des partenariats étroits entre la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et les associations spécialisées, dont les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS). Il faut inclure systématiquement des modules de sensibilisation aux violences sexuelles, au consentement et au respect de l'autre dans les stages éducatifs auxquels sont astreints les mineurs, que ce soit en alternative aux poursuites ou à titre de sanction judiciaire. Ce n'est pas systématiquement le cas, très loin de là. Il faut donner la parole aux mineurs eux-mêmes sur leur parcours, ce qui n'est pas du tout fait, en organisant des espaces pour recueillir leurs paroles et en finançant de la recherche sur ces sujets. Il faut remettre le mineur au centre.

Le deuxième grand principe est de reconnaître qu'aucune institution ne peut gérer seule toute la complexité de ces situations. Il y a nécessité de mettre fin à cette approche en silo pour lui substituer une approche thérapeutique dite multisystémique ou « intercontenante », c'est-à-dire qu'elle soit à la fois institutionnelle - pour toutes les institutions, pas chacune dans son coin - mais aussi familiale et sociale. Pour ce faire, il faut assurer la formation initiale et continue de tous les intervenants - juges, procureurs, policiers, éducateurs, psychologues ou travailleurs sociaux - aux particularités des infractions sexuelles commises par des mineurs et au développement psychosexuel. Tous ces intervenants ne savent rien du développement psychosexuel des enfants. Alors que c'est tout de même la base. Il faut également harmoniser les pratiques avec des guides nationaux de référence. Enfin, il faut repenser l'organisation globale et la prise en charge de manière plus coordonnée avec des outils qui fonctionnent : les conventions-cadres entre la PJJ, les CRIAVS, l'aide sociale à l'enfance et l'Éducation nationale avec la mise en place des instances locales de concertation où les différents intervenants pourront se coordonner autour de cas de mineurs très concrets et souvent très complexes..

Un préalable à tout cela : améliorer la connaissance du phénomène.

Concernant la question des données, il faut revoir toutes les statistiques judiciaires, restructurer le système d'information et réactualiser les indicateurs, notamment sur le profil, les parcours et la récidive, qui sont très incomplets. Il faut avoir conscience que lorsque l'on met en place un accompagnement coordonné multisystémique précoce, le taux de récidive est inférieur à 8 % dans les deux ans et quasi nul à cinq ans. Il faut enfin briser le cycle des violences, non seulement après coup pour éviter la récidive, mais aussi en amont. Il s'agit de briser ce cycle à double titre : celui de la violence entre enfants victimes et enfants auteurs, et celui de la violence entre générations, car il existe une sorte de fatalité intergénérationnelle. Il faut donc agir sur l'environnement numérique et médiatique dans lequel grandissent les jeunes, en mobilisant les acteurs du numérique et de la culture. Au-delà des réseaux sociaux, qui ont une influence majeure et omniprésente, d'autres acteurs peuvent avoir une influence positive. Je vise tous les acteurs de la culture qui diffusent des contenus, ainsi que les éditeurs de jeux vidéo. Ces derniers font partie intégrante de la culture de nos jeunes et sont vecteurs d'un certain nombre de stéréotypes dans la construction du genre. La contribution de l'industrie du jeu vidéo passe par plusieurs leviers. Premièrement, elle doit avoir conscience du rôle positif qu'elle peut jouer. Il faut féminiser bien davantage cette industrie, mais aussi sensibiliser et former tous ses acteurs à ces problématiques, sur la base des programmes EVARS. Le travail que nous allons mener auprès de nos enfants doit aussi agir sur l'évolution de cette industrie. Tous ces acteurs doivent participer à la déconstruction des stéréotypes de genre auxquels ils contribuent aujourd'hui.

Le sujet est le même pour la pornographie : il n'y a pas de contre-discours. La seule façon dont nos adolescents construisent leur sexualité et leur rapport à l'autre, c'est via la pornographie.

Je caricature un peu, mais à peine. Nous, les parents, avons toujours été en difficulté et le sommes peut-être encore plus aujourd'hui. Certains le sont davantage pour des raisons liées à leur parcours, à leur histoire, à des référentiels culturels, religieux, ou à des problématiques sociales. Il faut par conséquent bâtir un contre-discours sur ces sujets. C'est là l'enjeu. Il faut par ailleurs continuer à renforcer le contrôle de l'accès des mineurs à la pornographie, comme nous avons commencé à le faire, ainsi que l'interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Il faut évidemment mobiliser les parents, qui ont un rôle éducatif à jouer, malgré la difficulté que certains rencontrent. Il faut donc leur offrir des outils et mobiliser les institutions qui peuvent les accompagner. Je pense aux caisses d'allocations familiales (CAF), qui se consacrent de plus en plus à l'accompagnement à la parentalité et doivent se saisir de ces sujets, mais aussi aux protections maternelles et infantiles (PMI), à France Travail ou aux missions locales. Certaines personnes sont totalement hors des radars, très éloignées de toutes nos institutions. Des dispositifs pratiquant le fameux « aller-vers » sont en contact avec des populations que nous n'arrivons pas à toucher. C'est peut-être une façon de tisser un lien, de renouer le fil, puis d'orienter vers des personnes plus expertes. Toutefois, il faut accompagner les parents sans les culpabiliser. C'est le problème récurrent de l'accompagnement à la parentalité. Les parents ont déjà l'impression que c'est difficile et qu'ils ne s'en sortent pas. Si, en plus, on leur dit qu'ils font mal, cela crée une mise à distance. Il faut donc les accompagner, leur donner des outils, créer des guides, leur en parler très tôt, dès les mille premiers jours de l'enfant, période où le développement psychosocial de l'enfant peut être abordé. Il faut aussi impliquer les deux parents.

Sur ces sujets, c'est souvent la femme qui se retrouve confrontée à ces problématiques. Il serait bien que les pères s'investissent un peu plus. Enfin, l'école, à qui l'on va encore demander de régler tous les problèmes. Néanmoins, c'est là que se trouvent nos 18 millions d'enfants, il faut donc lui donner les moyens. Se pose évidemment la question de l'effectivité des cours d'éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS). Il est de votre rôle de parlementaire de vous assurer que, dans chacune des écoles, ces cours soient mis en place, comme cela a été annoncé depuis la rentrée. En 2019, dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, nous avions difficilement obtenu de l'Éducation nationale un audit sur la réalité de ce qui était déjà censé être appliqué dans les écoles. Le rapport, qui avait mis deux ans à sortir, a révélé que ces cours n'étaient effectivement mis en oeuvre que dans 18 % des classes. Il faut donc que l'effectivité annoncée par la précédente ministre de l'éducation nationale, Elisabeth Borne, soit mise en place, car c'est le socle.

Il faut évidemment impliquer les parents et probablement investir le périscolaire. Il faut aller partout où les enfants sont et où l'on peut les toucher.

C'est aussi le rôle des associations, des moyens que nous leur donnons et des problématiques de passage à l'échelle auxquelles elles sont toutes confrontées. De nombreuses personnes formidables mènent des actions de manière isolée, mais dès qu'il est question de passage à l'échelle ou d'action nationale c'est plus compliqué. Vous le savez, les associations sont toutes en grande difficulté financière aujourd'hui, notamment en raison d'une baisse massive des subventions publiques, en particulier sur ces thèmes prioritaires.

La prévention la plus efficace dans ces problématiques est conjointe, multisystémique ; elle mobilise à la fois l'enfant, sa famille, l'école et la communauté éducative dans son ensemble. J'ai quelques points sur l'inceste, les enfants en situation de handicap et les outre-mer, sur lesquels je reviendrai.

Voilà pour les constats et les grandes mesures que nous avons proposées, ces 45 propositions que vous avez mentionnées et qui s'articulent autour de quatre grands axes : mieux connaître, évaluer tôt, accompagner de façon spécifique, coordonner les acteurs et prévenir pour mieux protéger.

Au-delà de ces mesures, souvent techniques, il y a un véritable combat culturel à mener. Quand vous essayez de protéger les enfants dans une société de plus en plus violente, dont les premières victimes sont les plus vulnérables, vous avez un peu l'impression de ramer à contre-courant. Nous n'arriverons jamais à une protection effective de nos enfants tant que nous serons dans une société dont les rapports sociaux sont de plus en plus violents. C'est donc une question de responsabilité individuelle. C'est un premier combat culturel, pour une société un peu plus apaisée.

Le deuxième combat culturel est la question de la construction des genres. Tant que nous ne nous attaquerons pas à cela, ce sera le terreau de violences entre mineurs et, plus globalement, entre les gens.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je voudrais évoquer une structure que nous avons visitée à Migennes dans l'Yonne avec nos corapporteurs de la mission sur la prévention de la récidive du viol : le SAVI, service d'accompagnement de jeunes auteurs ou victimes d'infractions à caractère sexuel.

Ce centre comporte trois pôles - thérapeutique, judiciaire et éducatif - afin de prendre en charge les jeunes sur ces trois volets. Mis en place par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), il est financé par l'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté et géré par les Pupilles de l'enseignement public (PEP). Plusieurs secteurs se sont donc mobilisés pour créer cette structure, assez unique en son genre et par conséquent très fragile, car il a été compliqué de faire comprendre la nécessité de regrouper ces trois pôles.

C'est à l'occasion de ce déplacement à Migennes que l'on nous a expliqué qu'une grande majorité des jeunes auteurs reçus dans ce centre étaient aussi des victimes. Quand ces jeunes comprennent qu'ils ont aussi été des victimes, alors ils prennent la mesure des actes qu'ils ont commis. Jusqu'alors, cela était normal pour eux : puisqu'ils l'avaient subi, ils le faisaient subir.

Vous avez parlé du handicap. Effectivement, lors de la mission commune d'information menée en 2019 - avec les rapporteures Marie Mercier et Michelle Meunier - sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions, nous avions pu constater à quel point les enfants en situation de handicap étaient absents de ces politiques publiques. Il y a donc un vrai sujet sur cette question.

Mme Annick Billon. - Je souhaiterais d'abord revenir sur l'affaire Shein. Lorsque nous avons travaillé sur l'industrie de la pornographie, nous avions, avant tout, pour objectif d'imposer ce sujet dans le débat public. L'affaire Shein prend aujourd'hui cette ampleur parce qu'elle touche précisément la pédocriminalité.

Nous disposons d'un certain nombre de dispositifs législatifs et de sanctions financières. La bonne réponse se situe probablement à l'échelle de l'Europe, mais les amendes ne semblent aujourd'hui pas suffisantes, puisque Shein a tout de même payé 191 millions d'euros d'amendes cette année. À un moment où nous recherchons des financements, il faudrait probablement augmenter ces seuils d'amende.

Je m'interroge également sur les fichiers, car, comme la présidente le disait, nous devons nous intéresser aux consommateurs et aux acheteurs. Nous avons réussi à obtenir une loi pour lutter contre la prostitution en nous attaquant aux consommateurs, à l'acheteur d'actes sexuels. Estimez-vous aujourd'hui qu'il serait intéressant d'aller plus loin concernant ces acheteurs, ces prédateurs sexuels qui, sur la toile, assouvissent des besoins sexuels absolument abjects ? Ma question porte donc sur les consommateurs : devons-nous durcir la législation ? Ensuite, concernant les fichiers dont nous disposons, comme le FIJAIS, est-il possible de les améliorer pour pouvoir enfin tracer ces agresseurs potentiels ?

Ma deuxième intervention porte sur les auteurs mineurs auteurs d'infractions sexuelles. Vous l'avez dit, le phénomène n'est pas nouveau, mais l'environnement et les facteurs sont différents. Dans votre étude, avez-vous fait un rapprochement entre agresseur sexuel, prostitution et aide sociale à l'enfance (ASE) ?

Sans vouloir pointer du doigt à nouveau l'ASE, qui manque, nous le savons, de moyens, ces derniers jours, une jeune fille a été agressée en pleine nuit dans le centre qui l'hébergeait. Existe-t-il des statistiques montrant que les enfants confiés à l'ASE sont victimes de réseaux de prostitution ou d'agressions sexuelles ? Quelles sont les données, si elles existent, concernant les auteurs de ces faits ? Ma deuxième question porte sur la législation comparée. Disposez-vous d'une étude qui permettrait de savoir si des outils ont été mis en place ailleurs ? Vous avez souvent évoqué l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVRAS). De nombreux pays ont mis en place des programmes éducatifs qui permettent d'acculturer les enfants à la connaissance et à la protection de leur corps, ainsi qu'à la prévention des agressions sexuelles. La France s'intéresse-t-elle à ce qui se fait en Europe ou dans le reste du monde ? Enfin, je reviens sur la nécessité d'une réponse pluridisciplinaire, comme cela a été évoqué par la Présidente avec cette structure dans l'Yonne. Le fait que 72 % des auteurs aient eux-mêmes été victimes, sans qu'il y ait eu quasiment jamais de condamnation lorsqu'ils ont subi ces violences, est interpellant. Que préconisez-vous ? L'enjeu est majeur : reconnaître une victime lui permet de comprendre ce qui lui est arrivé et peut l'empêcher de reproduire l'agression. Que proposez-vous pour que, même avec une libération de la parole, ces affaires soient enfin judiciarisées et les auteurs d'inceste punis ?

Mme Laurence Rossignol. - Je vous remercie pour ce travail. La connaissance, l'expertise et la compréhension des sujets concernant l'exposition des mineurs aux agressions sexuelles, qu'elles soient commises par des majeurs ou par d'autres mineurs, ont énormément progressé. C'est devenu un sujet présent dans la société, auquel les politiques publiques ne peuvent manifester trop d'indifférence, sous peine d'être en décalage et dans une situation peu honorable.

Nous savons à peu près ce qu'il faut faire. Cela converge avec le rapport que nous avons rédigé en mai dernier sur la prévention de la récidive du viol, dans lequel nous avons conclu que le meilleur moyen d'empêcher la récidive est d'empêcher le premier passage à l'acte. Le meilleur moyen de réduire ce premier passage à l'acte est de traiter les mineurs ou anciens mineurs victimes d'agressions sexuelles. Si tous les enfants victimes avaient été suivis et accompagnés, avec la prise de conscience du fait d'avoir été victime, il y aurait probablement beaucoup moins d'agressions sexuelles. Il resterait toujours, bien entendu, les 25 % d'auteurs qui ne sont pas d'anciennes victimes.

Nous savons ce qu'il faut faire, mais nous n'allons pas le faire. C'est cela, le sujet. Nous n'allons pas le faire pour de nombreuses raisons. D'abord, parce que c'est devenu un « gros business » et un « petit business ». L'exploitation sexuelle des mineurs est un petit business de reconversion ou de complément de ressources pour les petits narcotrafiquants. J'avais observé que cela était à peu près concomitant du confinement, qui a mis un frein au trafic de drogue : il n'est pas très facile de faire un « go-fast » lorsque toutes les autoroutes sont fermées. C'est un petit business, mais aussi un gros business, car dans l'industrie pornographique et dans tout le commerce illégal du dark web, beaucoup d'argent circule.

Pourquoi est-ce que je dis que nous n'allons pas le faire ? Je veux bien que l'on dise que les parents doivent être mobilisés. Enfin, nous sommes tout de même le deuxième pays du monde en matière de fréquentation des sites pornographiques.

Un bon nombre de pères de famille sont eux-mêmes des consommateurs de pornographie, ce qui me fait douter de leur capacité à éduquer leurs enfants sur ce sujet. J'adhère totalement à ce que vous dites. Avec les associations féministes, nous avons des discussions sur tout ce qu'il faudrait faire pour réduire les violences faites aux femmes. Nous savons tout, mais nous ne le ferons pas. Le chiffre qui m'a le plus marquée est celui communiqué par Laure Beccuau, la procureure de la République de Paris, au moment de nos travaux sur l'industrie de la pornographie. Elle nous avait dit que les services de police avaient identifié 150 hommes commandant des viols en streaming, mais que le parquet et les enquêteurs n'avaient les moyens d'en poursuivre que 25. Elle nous expliquait donc : « Nous savons qu'il y en a 125 qui continuent et nous n'avons pas les moyens de les instruire. » Nous n'avons donc pas de moyens d'enquête, pas de moyens de justice. J'ai sursauté tout à l'heure, Adrien Taquet, quand vous avez parlé de périscolaire : éducation populaire, associations de quartier.... Soit ces associations sont exsangues, soit il s'agit d'associations ou de fondations religieuses, et ce ne sont pas elles qui feront de l'éducation sexuelle. La crise de la santé mentale, je ne vous en dis pas plus, vous la connaissez tous. En fait, ce qui est désespérant, c'est que nous sachions qu'il ne s'agit pas que de la violence de la société, mais de sa corruption par un business international. J'en suis arrivée à un point où je me dis : après tout, qu'est-ce qui nous empêche de fermer tous ces sites ? Car nous n'aurons jamais les moyens de réguler la délinquance sur le net. Les autorités chinoises y arrivent très bien. À un moment donné, il faut se poser cette question. Au nom de quelles libertés ? Celles de la création, du commerce et de l'industrie ? Nous voyons bien le débat que nous avons au plan européen sur la pornographie. À défaut d'avoir les moyens d'éduquer, de réguler, je pose la question concernant l'EVARS. Qui s'occupe de cette formation ? Des enseignants. Formés par qui ?

Le professeur de "sciences et vie de la terre" (SVT) est souvent désigné pour effectuer cette formation, alors que dispenser des séances d'EVARS nécessite d'y être formé.

De plus, nous-mêmes, législateurs, sommes parfaitement incohérents : nous sommes capables de voter une proposition de loi sur la justice des mineurs avec des amendements qui proposent de mettre les enfants en prison dès treize ans, en méprisant l'aspect éducatif, mais nous sommes aussi capables de demander plus de mesures éducatives pour les enfants. Nous allons examiner le budget pour 2026. Quelles seront les coupes budgétaires qui ne se verront pas ? Toutes celles qui permettent de prendre en charge ce que vous venez d'exposer. À un moment donné, nous serons obligés de nous poser d'autres questions sur la coercition, à défaut de régulation. Les sites sont régulés, mais quand on voit que Xavier Niel n'a rien trouvé de mieux avec Free, juste après que nous ayons enfin obtenu des mesures sur l'accès des mineurs aux sites pornographiques, que d'offrir un forfait incluant le VPN. Il n'y a même plus besoin d'aller le chercher, il est offert par Free.

Il va falloir que nous changions de format si nous voulons obtenir quelques résultats, sinon tout cela ne fera que s'accroître.

Mme Olivia Richard. - Je souhaite simplement réagir et je félicite Annick Billon pour sa tribune publiée aujourd'hui dans Ouest France à propos de l'affaire Shein. J'observe néanmoins que l'annonce de la suspension de la plateforme n'est intervenue qu'une fois que l'on y a constaté la commercialisation d'armes.

Aujourd'hui, c'est la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire. J'étais lundi dans un collège avec des élèves de cinquième, à qui ma première question a été : « Qui a un téléphone portable, un accès à un écran, un ordinateur privé connecté à Internet ? » Sur trente enfants, vingt-huit ont levé la main. Au bout de deux heures de formation, ce qu'on comprend c'est qu'ils s'éduquent tout seuls avec les écrans.

Je ne vais pas donner de leçons. J'ai un souvenir ému du Club Dorothée, sur lequel je me jetais en rentrant de l'école. J'ai moi-même été le produit de cette époque. Mais il n'y avait pas de sexe au Club Dorothée. J'ai passé beaucoup de temps devant des écrans, mais des écrans qui étaient adaptés aux enfants. Certes, ce n'était pas nécessairement brillant - on se souvient de quelques dessins animés où les personnages explosaient, cela pouvait être très violent -, mais nous n'étions pas des proies avec de possibles prédateurs en face.

Je suis ressortie de ces deux heures de formation avec la conviction que vingt-huit élèves sur trente s'élèvent tout seuls devant des écrans, c'est-à-dire YouTube, sans aucune restriction sur les réseaux sociaux, même s'ils sont censés avoir l'accord de leurs parents. Les parents n'ont aucune idée de la situation ou ne s'intéressent pas à la question. Il ne faut donc pas les culpabiliser. Mais quand je vois des parents d'élèves en élémentaire râler parce que telle maîtresse a diffusé tel film qu'ils ne trouvaient pas adapté, et être extrêmement vigilants sur le menu à la cantine - je partage toutes ces préoccupations -, mais qu'à côté de cela, leurs enfants de neuf ans ont majoritairement des iPhones connectés à Internet... Neuf ans ! Je ne comprends pas. Il faudrait peut-être expliquer un peu clairement que le danger ne se trouve pas seulement dans la rue.

Je sais, monsieur le ministre, que vous avez assisté à la présentation de l'Office mineurs (OFMIN) chargé de lutter contre les infractions les plus graves commises à l'encontre des mineurs. Il faut comprendre qu'il n'y a pas que la rue qui est dangereuse : il y a aussi internet, et il faut former les parents. Nous avons voté l'inscription du consentement dans la définition pénale du viol. Deux jours après, des policiers étaient mis en examen pour viol après avoir eu des relations sexuelles avec une femme en garde à vue au dépôt de Bobigny, relations qu'ils disent consenties. Il va falloir m'expliquer comment on peut être consentante quand on est en garde à vue, en dépôt ou en prison, avec des menottes. Et que dire du sentiment d'impunité alors qu'ils ont filmé et gardé la vidéo sur leur téléphone, tout en disant qu'elle est consentante ! Il va falloir faire des campagnes de communication à la télévision, me disait-on, si l'on veut atteindre les parents et leur expliquer qu'internet est dangereux. On peut faire des spots télévisés. Les parents et les grands-parents regardent la télévision.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Le premier média regardé par les enfants, étonnamment, est le journal de 20 heures.

Mme Olivia Richard. - Il est possible de faire de la publicité sur YouTube. Allons chercher les gens là où ils sont. Cela ne demande pas nécessairement d'énormes moyens.

Mme Colombe Brossel. - Je souhaitais revenir sur l'école.

Aude Lorriaux a publié en début d'année scolaire un livre intitulé « Un tableau noir », qui consistait justement à ouvrir un peu la grande boîte noire qu'est souvent l'Éducation nationale. Ce livre avait pour point de départ l'enquête sur le harcèlement scolaire. Par conséquent, nous avons les moyens de savoir et d'avoir accès à de l'information.

Vous avez dit que le ministère de l'Éducation nationale participait au comité scientifique que vous avez mis en place. Comment se sont-ils mobilisés après la publication de votre rapport et de vos préconisations ? L' EVARS, le périscolaire, d'accord. Mais à l'intérieur de la machine, comment se projettent-ils pour sortir justement de cette boîte noire ? Quand on entend le nouveau ministre de l'Éducation nationale, quand on écoute nos interlocuteurs de l'Éducation nationale ou quand on lit ce livre, il n'est pas totalement clair de savoir quel type de transformation de la machine elle-même pourrait être proposé.

Je serais donc intéressée de savoir ce qu'ils vous ont dit et ce qu'ils ont apporté au sein du comité scientifique.

Mme Laure Darcos. -Aujourd'hui, le drame, ce sont les offres IPTV, où l'on trouve un programme complet : du sportif, des films, et des sites pornographiques. C'est très compliqué, puisqu'on n'arrive pas à fermer ces sites basés à l'étranger. Quand on en ferme un, et l'ARCOM est sollicité énormément sur ce sujet, à chaque fois, d'autres sont ouverts immédiatement ailleurs. C'est le drame absolu du piratage en général, mais qui permet à des sites de se sophistiquer.

Je voulais revenir sur la question de la prévention. Je souscris à tout ce qui a été dit. Beaucoup militent pour dire que l'idéal, ce serait que l'éducation sexuelle se fasse dans les familles. Mais comme cela ne se fait pas dans les familles, il faut qu'en effet l'école s'en empare. C'est très important.

Je voulais parler des mineurs auteurs de violences sexuelles. Lors d'une visite d'un centre éducatif fermé dans mon département, j'ai pu interroger un jeune qui avait 14 ans et qui était là pour viol en réunion. Il n'avait toujours pas compris, au bout de six mois, un an, pourquoi il était là. Il a posé la question au juge en disant :« en fait, à partir de combien est-ce que c'est interdit ? ». On se rend compte aussi que la prostitution, n'est pas, toujours liée à des réseaux organisés de proxénètes. Ce sont des mineurs de l'ASE qui prostituent leurs petites camarades de 12-13 ans, dans l'hôtel situé à côté de l'IDEF. Il faut sensibiliser le personnel à ces problématiques, que ce soit dans les centres éducatifs fermés, à l'ASE, ou à l'IDEF, où nous avons un mélange important de mineurs isolés, d'enfants qui sont passés de famille en famille ou d'abandon en abandon ?

Mme Marie-Do Aeschlimann. - Merci, Dr Moncany et Monsieur le ministre, pour cette présentation qui nous donne des informations importantes pour appréhender une réalité très préoccupante.

Je voudrais vous interroger sur deux niveaux. Tout d'abord, vous avez largement expliqué la question de la socialisation sexuelle des enfants sur les réseaux sociaux. Comme je préside un groupe de travail sur l'exposition des enfants aux écrans et aux réseaux sociaux, nous allons faire des propositions dans les prochaines semaines. Je serais très heureuse de pouvoir prolonger la discussion avec vous, car l'idée n'est pas de centrer notre propos sur cette question.

Je vous ai trouvé, Monsieur le Ministre, un peu défaitiste. C'est une question complexe et difficile, celle de la meilleure régulation de l'accès aux réseaux sociaux européens pour les enfants. Certains pays sont plus entreprenants et engagés. Peut-être qu'on devra davantage inviter toutes les parties prenantes, y compris les plateformes et tous les acteurs du numérique, à prendre leurs responsabilités. Peut-être que le législateur devra mettre des règles encore plus sévères, même si ces dernières années, beaucoup de textes ont été votés. C'est le premier point. Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Est-ce que nous ne pouvons pas nous inspirer de ce qui se fait dans d'autres pays, peut-être l'Australie ? Et peut-être la Chine, qui fait des choses pour la protection des enfants, comme le fameux mode mineur. J'en reviens, et après avoir parlé avec des acteurs, des parents, mais aussi des institutionnels, je m'interroge.

Dans votre rapport, deux chiffres retiennent mon attention. Le premier est 61 %, qui correspond au pourcentage de dossiers classés sans suite. La raison en est souvent la difficulté d'apporter la preuve des faits invoqués, due à la complexité et au temps écoulé entre les faits et le jugement. Un autre chiffre intéressant est la durée moyenne de 65 mois de la procédure dans les cas de mineurs impliqués dans des actes de violences sexuelles. Cela soulève la question de l'amélioration de notre procédure pénale pour adapter les règles à la singularité des faits, à l'âge et à la maturité des enfants. Comment pouvons-nous mieux accueillir la parole des enfants ? Quelles idées proposez-vous ? Il faudrait trouver un moyen de les écouter sans les solliciter de manière excessive, sans aller jusqu'à leur demander chaque année s'ils ont rencontré des problèmes dans l'année écoulée. Avez-vous des suggestions pour mieux entendre et recevoir la parole des enfants ?

Le temps de la procédure pénale est particulièrement long, mais il constitue aussi une protection, puisque le code de la justice pénale des mineurs pose des règles - comme la césure, notamment - qui sont importantes pour protéger les enfants et faire en sorte que l'enquête soit véritablement efficace. Ne faut-il pas une singularité de la procédure pénale liée à ce type de faits ?

Mme Béatrice Gosselin. - Je voudrais revenir sur la prévention que vous avez évoquée, qui est le point fort sur lequel nous devons insister.

Je voulais savoir si, dans vos préconisations, il existe, pour les acteurs du monde éducatif - école, associations éducatives ou périscolaires -, des indicateurs précis qui pourraient constituer des points d'alerte. Je songe à des comportements qui pourraient alerter les personnels de l'éducation.

M. Adrien Taquet. - Pour répondre à Laurence Rossignol et Annick Billon, sur la question de Shein, la législation existe déjà pour pénaliser les consommateurs.

Premièrement, les enquêteurs suivent parfois les acheteurs. Laissons-les donc travailler. Si l'on veut poursuivre ces derniers, la législation existe déjà, car c'est une infraction. Ensuite, il y a la question des moyens, qui a été soulevée.

Vous citiez, madame la sénatrice, l'OFMIN. Je m'y suis rendu trois fois. C'est l'expérience la plus marquante de mon mandat et probablement celle où l'on prend conscience de la dimension massive du phénomène auquel nous sommes confrontés. À l'étranger, plus on octroie de moyens à la lutte, plus il y a de résultats. Aux Pays-Bas ou en Angleterre, dans l'équivalent de l'OFMIN, ils sont dix, quinze, vingt fois plus nombreux et arrêtent donc dix à quinze fois plus de personnes. Mais cela reste très en deçà du nombre de personnes qu'il faudrait poursuivre.

Les enquêteurs vous raconteront les stratégies qu'ils mettent en place et les priorités qu'ils sont obligés de définir. Il est terrible de parler de priorité quand on parle d'enfants menacés, car aucun enfant n'est prioritaire sur un autre. Sauf que nous en arrivons là, parce que des enfants sont peut-être en danger immédiat, et d'autres plus vulnérables encore de par leur très jeune âge, puisqu'on découvre que les nourrissons, par exemple, sont victimes de violences sexuelles. Par conséquent, il faut parfois prioriser, ce qui est impensable, mais c'est la réalité à laquelle nous sommes confrontés. Il y a donc bien une question de moyens, mais nous sommes face à un phénomène massif.

Je suis désolé de le dire, mais il faut en avoir conscience. Je vous rejoins il y a probablement matière à durcir la législation, notamment sur les plateformes.

Mme Anne-Hélène Moncany. - Je souhaite revenir sur la question du handicap, car c'était l'une de nos véritables frustrations. À chaque audition publique, de nouvelles frustrations émergent.

Nous savons que les violences sexuelles sur les mineurs en situation de handicap sont particulièrement fréquentes, y compris entre eux. Nous sommes très régulièrement sollicités sur ces questions, mais nous n'avons pas réussi à avancer autant que nous le souhaitions sur ce sujet. Il faut absolument introduire partout dans les établissements et les institutions qui accueillent ces mineurs la question de l'EVARS de manière spécifique. On ne travaille pas de la même manière avec des mineurs qui ont un handicap psychique ou un trouble du neurodéveloppement.

M. Adrien Taquet. - Puis-je apporter un complément sur le handicap ? Concernant l'EVARS dans les établissements médico-sociaux, nous sommes très loin du compte. Il faut avoir conscience que pour un enfant atteint d'autisme non verbal au sein d'un institut médico-éducatif (IME), il n'y a pas de hashtag pour libérer la parole. L'enjeu, pour un responsable politique, est d'aller chercher les plus vulnérables parmi les vulnérables. Si nous ne nous occupons pas de ces enfants maintenant, ils sont repartis pour cinquante ans dans la pénombre. C'est un vrai sujet auquel il faut s'atteler. Des personnes comme Marie Rabatel se battent, mais elle est un peu seule dans le désert. Il faut donc l'aider, poursuivre le travail, développer l'EVARS et aller recueillir la parole. À la suite des affaires concernant les EHPAD, un plan de contrôle a été mené par les agences régionales de santé (ARS). Nous basculons maintenant sur le contrôle des établissements médico-sociaux pour personnes en situation de handicap, et je suis certain que des éléments vont remonter sur la question des violences.

En complément, un autre sujet a été totalement oublié, qui relève du droit commun mais appelle à des mesures spécifiques et exige que l'on arrête de le traiter comme la cinquième roue du carrosse : les outre-mer. La question des violences sexuelles et physiques sur enfants dans les outre-mer est une catastrophe. Pendant le Covid, l'OFMIN avait relevé une forte consultation d'images pédopornographiques dans ces territoires. Les outre-mer sont donc un sujet en soi.

Sur cette question, tout ce que nous avons dit s'applique aussi aux outre-mer, mais un certain nombre de singularités liées à l'histoire et aux cultures nécessiteraient des mesures spécifiques. Les enfants des outre-mer, sont dans la République. Il y a donc matière à mener des actions volontaristes.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je rappelle que nous avions rédigé en 2023, avec nos collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer, un rapport sur la parentalité en outre-mer. Or, sur ces sujets - et notamment lorsque nous avions abordé les violences sexuelles sur mineurs -, le fait de sexualiser de très jeunes petites filles en outre-mer est un phénomène également prégnant.

M. Adrien Taquet. - En Guyane, des enfants sont déracinés pour aller au lycée à Kourou, hébergés dans de la famille où une sorte de tradition instaure une forme de droit de cuissage. Sans faire de généralités, il y a de nombreuses choses auxquelles il faut s'atteler, comme la question de la prostitution infantile.

Mme Anne-Hélène Moncany. - J'enchaîne sur la question de la prostitution et des liens avec les violences sexuelles. Parfois, la question de la prostitution fait écran, car l'exploitation sexuelle des mineurs est en soi une problématique très importante, et nous commençons à le comprendre. De plus, des violences sexuelles sont exercées dans ces réseaux par celui qui prostitue. C'est donc un point qu'il va falloir renforcer.

Disposons-nous de statistiques sur les jeunes filles de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ? Il existe quelques chiffres, toujours très imparfaits en matière de violences sexuelles. D'un point de vue plus qualitatif, celui de notre expérience au sein des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), il s'agit d'une problématique importante, absolument majeure chez un grand nombre de jeunes filles prises en charge par l'ASE. En effet, elles ont été victimes de violences sexuelles extrêmement précocement - presque toutes - et la prise en charge des symptômes liés à ces violences est très largement insuffisante. Les symptômes de stress post-traumatique, notamment, ne sont pas bien traités. Or, l'un de ces symptômes est justement de se réexposer à des violences sexuelles ou d'en commettre soi-même.

Nous connaissons les difficultés de la pédopsychiatrie. Néanmoins, des dispositifs d'articulation et de soutien commencent à se développer, pas partout malheureusement. Nous en avons mis en place un à Toulouse, dans notre hôpital, pour soutenir l'ASE dans la prise en charge de ces enfants. Ce n'est pas simple, car il y a des problématiques d'acculturation et de place, mais il faut le faire quand même.

M. Adrien Taquet. - Il faut un peu de constance dans les politiques publiques. S'agissant des professions, il y a eu un effet d'accélération avec la covid, mais c'est un phénomène sur lequel les professionnels de santé commençaient à nous alerter. Il y a eu le rapport Champrenault que nous avions mandaté, puis le premier plan national de lutte contre la prostitution, doté de 12 ou 14 millions d'euros. J'avais dit que c'était une toute première pierre très modeste, mais qui permettait au moins de mettre le sujet sur la table.

Il faut que cela continue, car ce type de politique exige de la constance.

Mme Anne-Hélène Moncany. - Un mot sur la législation comparée. Parmi les experts intervenus lors de l'audition publique, deux expériences nous ont semblé intéressantes. L'une d'elles se déroule dans les Flandres. Paradoxalement, la question de l'inceste a été assez peu abordée. Néanmoins, il y a eu cette expérimentation en Flandre qui consiste à accompagner des fratries - car l'inceste entre mineurs se produit beaucoup au sein des fratries et entre cousins - et des familles, parfois sans les séparer. Cela peut paraître étonnant, car ce n'est pas notre manière de fonctionner. En réalité, dans les problématiques d'inceste, il ne suffit pas de séparer pour que l'inceste s'arrête. Bien souvent, après les condamnations, les personnes se retrouvent. Il s'agit donc de savoir comment travailler avec l'ensemble de la famille - pas toutes les familles, ni à n'importe quel moment - pour les accompagner, car pour être vraiment efficaces sur les phénomènes incestueux, il faut travailler au niveau transgénérationnel. Cela nous semble intéressant.

Deuxième élément sur ce qui se fait à l'étranger, même s'il n'y a pas de solution miracle. Au Québec, dès le plus jeune âge, à l'école, est mise en place une matière qui n'est pas seulement l'EVARS, mais une sorte de promotion de la santé et des compétences psychosociales très globale. Les questions de l'EVARS y sont traitées, mais aussi celles des compétences psychosociales, notamment chez les tout-petits : comment apprendre à interagir, à respecter le « non », etc. La question des réseaux sociaux y est également abordée plus tardivement, car tout se recoupe. Le risque serait de parler aux jeunes à l'école de sexualité, puis des réseaux sociaux, puis du harcèlement, alors qu'en réalité, tout cela est lié.

Nous aurions tout intérêt à essayer d'élaborer un programme assez global, conçu par des personnes compétentes. En effet, ni le professeur de sciences de la vie et de la terre, ni celui d'histoire-géographie ne connaissent tout cela, et c'est normal. La prévention et la promotion de la santé sont un métier ; cela s'apprend. Dernier point sur les réseaux sociaux. Je suis très frappée de constater que les parents sont très inquiets de laisser leur enfant parcourir 200 mètres tout seul dans la rue. En réalité, le risque qu'il soit agressé sexuellement dans la rue sur cette distance est infime. En revanche, sur les réseaux sociaux, il est maximal. Il suffit de cinq minutes pour potentiellement être en lien avec un agresseur sexuel, mais cela n'est pas suffisamment connu des parents. Il faut aller chercher les gens là où ils sont, c'est-à-dire sur les réseaux. Les parents, les adultes, nous sommes tous souvent sur nos téléphones. Diffuser de l'information sur ces réseaux me semble donc très important, notamment sur ces questions, car la majorité des parents ne le savent pas.

Sur la question de ce que l'on peut dire aux professionnels, peut-être y a-t-il des points d'alerte. Nous n'allons pas former tous les professionnels qui interviennent auprès des enfants de manière très spécifique à ces questions, ce n'est pas réaliste. En revanche, des points de repère sur les comportements sexuels problématiques des enfants seraient utiles. En effet, que se passe-t-il aujourd'hui dans les institutions ou à l'école ? Quand il se passe des événements d'allure sexuelle entre enfants, il y a deux écueils : soit ils sont complètement banalisés, soit, au contraire, ils sont dramatisés sans savoir ce qui relève du normal ou du pathologique, avec une stigmatisation de l'enfant qui peut être très délétère.

Or, les repères en matière de comportement sexuel problématique ne sont pas très compliqués. Pouvoir les expliquer aux professionnels qui travaillent avec les enfants et qu'ils sachent ensuite à qui s'adresser, ce sera déjà un grand pas si nous y arrivons.

M. Adrien Taquet. - Je songe aux professionnels, mais également aux maires des petites communes qui ont souvent les écoles sous leur responsabilité. Ils se retrouvent être les récipiendaires de ce qui se passe dans l'école et, face à la situation, peuvent avoir peur. Ils peuvent craindre de voir leur responsabilité engagée s'ils n'ont pas mis en place des mesures adéquates face à un phénomène qu'ils maîtrisent mal, et peuvent légitimement surréagir. Il est ainsi possible de se retrouver avec des enfants de quatre ans à la gendarmerie, alors que cela ne relève pas d'un comportement sexuel problématique, mais de l'exploration sexuelle normale. Tout dépend de l'âge, de la situation et du comportement considéré. Ce sont des éléments assez simples, mais qui ne sont pas connus des professionnels.

Pour compléter les propos d'Anne-Hélène Moncany, je dirai un mot sur l'Éducation nationale et sa manière de réagir. L'absence de ministre après la publication de notre rapport n'a pas facilité les choses. Dans le rapport, nous avons adopté une approche technique : nous avons listé les quarante mesures en désignant les ministères, voire les directions d'administration centrale, concernés par leur mise en oeuvre. Nous étions très précis.

Désormais, nous attendons la fin de l'examen du budget et, surtout, que les personnes soient confirmées dans leurs fonctions. Nous devons rencontrer tous les ministres, mais nous ne les avons pas encore vus. J'imagine que nos interlocuteurs ont reçu le rapport, mais, pour le moment, vous êtes les premiers que nous voyons.

Mme Laure Darcos. - N'est-ce pas Sarah El Haïry, la Haute-Commissaire à l'Enfance, que vous avez rencontrée en premier ?

M. Adrien Taquet. - Oui, en effet c'est à elle que nous avons remis le rapport. Son rôle interministériel est d'aller solliciter les ministres. Il n'y a pas de raison de douter qu'elle ne le fasse ou qu'elle soit en train de le faire. Mais c'est aussi à nous de faire notre travail et d'aller voir chacun des ministres.

Concernant l'éducation nationale, je me permets d'insister de nouveau sur la question du harcèlement scolaire, face auquel nous sommes dans un déni collectif. J'ai été assez étonné d'apprendre à l'époque que le premier véritable plan avait été mis en place sous François Hollande ; nous appréhendons donc collectivement ces sujets depuis très récemment. Nous élaborons des programmes, mais la réalité est que si vous examinez la prostitution infantile, dans beaucoup de cas de victimes, il y a eu des phénomènes d'agression sexuelle, mais souvent aussi des phénomènes de harcèlement grave.

Si vous vous rendez aux urgences pédopsychiatriques, dans n'importe quel CHU, 50 % des enfants qui s'y trouvent ont subi du harcèlement dans leur parcours. Nous avons plus d'un million d'enfants chaque année qui sont victimes de harcèlement. Nous pensions que la situation s'améliorait, mais en fait, nous sommes passés de 24 % à 36 % d'enfants victimes de harcèlement. À quel moment arrêterons-nous ce fléau ? Quand nous donnerons-nous les moyens et sortirons-nous tous de ce déni ?

Mme Colombe Brossel. - Le problème n'est jamais posé comme vous le faites, et c'est l'un des points majeurs. La question a été présentée de façon à faire battre nos petits coeurs de parents ou d'élus.

Or, la lutte contre le harcèlement scolaire n'est pas un sujet de compassion, mais un sujet de politique publique majeur. Cela n'est jamais posé comme tel. Je ne nie pas que plusieurs ministres de l'éducation nationale s'en soient emparés, mais ce n'est pas en faisant du lacrymal que l'on fait de la politique publique.

M. Adrien Taquet. - C'est un sujet compliqué, mais qui devrait tous nous mobiliser. Que nous soyons une institution et que, collectivement, nous rendions possible qu'autant de personnes soient harcelées chaque année, cela devrait tout de même nous alerter.

Faut-il aller plus loin sur la régulation ? Ou la régulation actuelle suffit-elle ? Pour ma part, j'en suis arrivé à la conclusion, peut-être un peu désabusée, que le bon modèle de référence est la Chine. C'est désolant pour des démocraties comme les nôtres. Je l'ai dit aux plateformes, j'ai vu le patron de Google récemment : « Comme vous ne faites pas le travail, nous dérivons très doucement, mais sûrement, vers l'adoption de mesures prises par des régimes bien plus autoritaires que le nôtre ». Les démocraties que nous sommes sont en train de dériver vers le couvre-feu numérique.

Ces plateformes mettent les démocraties au défi et nous dirigent vers des modèles autoritaires. Peut-être est-ce ce qu'il faut faire pour protéger nos enfants. Et peut-être que la protection des enfants légitime une telle action. Mais il faut bien avoir conscience de ce que cela implique en termes de libertés publiques et de la direction que cela nous fait prendre. C'est un vrai sujet.

Le président s'empare un peu du sujet « démocratie et réseaux sociaux », parce que c'est véritablement le sujet aujourd'hui, en plus du rôle de l'école sur le développement de l'esprit critique de nos enfants face aux« fake news ».

Mme Dominique Vérien, présidente. - Sur la question des écrans, je signale que le jeudi 18 décembre, dans l'espace réservé du groupe Union Centriste, sera examinée une proposition de loi de Catherine Morin-Desailly visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans. Nous pourrons nous mobiliser et éventuellement compléter le texte initial.

Le sujet du handicap s'inscrit dans la continuité du rapport que nous avons publié avec Marie Mercier en 2019. Nous voyons bien qu'il faut toujours remettre l'ouvrage sur le métier. Sachez que nous sommes toutes et tous mobilisés pour faire vivre votre rapport comme les nôtres, puisque les préconisations vont dans le même sens.

Même si je partage un peu le défaitisme de Laurence Rossignol, nous sommes à un moment où la mondialisation et les réseaux nous imposent de faire un véritable choix de société. Nous ne sommes pas dans une bulle et il faut réussir à imposer notre propre choix de société, qui est fondé sur l'égalité. C'est un peu ce que nous faisons à travers la diplomatie féministe, mais nous devons le faire d'une façon générale pour définir la société que nous voulons : une société plus paisible que celle qui s'affiche sur les espaces numériques, une société qui respecte évidemment les femmes et les enfants.

Avant de nous quitter, nous avons un second point à l'ordre du jour : la nomination de rapporteurs sur nos prochains rapports.

Conformément aux différents retours que j'ai reçus des groupes politiques de notre délégation, je vous propose de nommer les équipes suivantes :

- sur notre rapport « Femmes et jeux vidéo » : par ordre alphabétique, Marie Mercier, moi-même et Adel Ziane ;

- sur notre rapport « Montée en puissance des mouvements masculinistes en France » : un trio de rapporteures avec, par ordre alphabétique, Béatrice Gosselin, Olivia Richard et Laurence Rossignol.

S'agissant de notre colloque du 27 novembre sur les mouvements masculinistes dans le monde, trois sénatrices animeront les tables rondes du colloque : Annick Billon, Béatrice Gosselin et Laurence Rossignol.

La réunion est close à 10h30.