Jeudi 13 novembre 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques, présidente -

La réunion est ouverte à 8 h 45.

Présentation par MM. Dominique de Legge et Rachid Temal des conclusions du rapport de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères

Mme Micheline Jacques, présidente. - Mes chers collègues, lors de notre première réunion de la session, consacrée à notre programme de travail 2025-2026, notre collègue Rachid Temal a proposé une présentation des conclusions du rapport de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères, dont il a été le rapporteur et Dominique de Legge le président.

Vous avez été unanimes à y voir une excellente initiative. Ce rapport dresse en effet une typologie des menaces auxquelles la France est confrontée et formule des recommandations pour une stratégie globale, nationale et interministérielle de lutte contre les influences étrangères malveillantes, en intégrant les enjeux financiers et ultramarins.

MM. Temal et de Legge sont donc venus ce matin nous exposer leur travail précurseur, qui fait aujourd'hui figure de référence, et pour échanger avec nous sur les menaces qui visent notamment nos outre-mer. Je tiens à les en remercier chaleureusement. Je n'ai pas besoin d'insister sur l'actualité de leurs travaux alors que nous avons examiné la semaine dernière les recommandations de nos excellentes rapporteures, Jacqueline Eustache Brinio et Evelyne Corbière Naminzo, sur la coopération régionale dans le bassin Atlantique. Sous la coordination de Christian Cambon, nous avions également abordé l'an dernier la situation dans le bassin Indien, avec Stéphane Demilly et Georges Patient.

M. Dominique de Legge. - Je suis très heureux de vous présenter ce matin les conclusions de nos travaux, qui ont duré cinq mois : nous avons eu 46 auditions, 6 déplacements ; 120 personnalités ont été entendues, dont 5 ministres. Cette commission d'enquête, initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain portée par Rachid Temal, faisait suite à d'autres travaux du Parlement : notons, au Sénat, ceux menés par André Gattolin sur les influences dans le monde universitaire et par Claude Malhuret sur TikTok ; à l'Assemblée nationale, ceux de Constance Le Grip sur les ingérences politiques ; enfin, les travaux conjoints de la délégation parlementaire au renseignement, présidée par Sacha Houlié.

Relevons que le Sénat parle davantage d'« influence étrangère », tandis que l'Assemblée nationale préfère le terme d'« ingérence ». La sémantique a son importance. Dans l'absolu, l'ingérence renvoie à la souveraineté, à l'indépendance, à la capacité à agir. L'influence, elle, n'est pas en soi répréhensible. Qui ne cherche, dans nombre de contextes, à infléchir par son influence la position d'un partenaire ? L'influence prend toutefois une tout autre dimension si elle découle d'une volonté délibérée de nuire ou d'affaiblir celui qui n'est plus un partenaire, mais une cible ou un adversaire.

Je souhaite partager avec vous cinq réflexions issues de nos travaux.

Premièrement, si l'influence et la désinformation ne sont pas des phénomènes nouveaux dans les relations entre États, ce qui est nouveau, c'est le recours au support numérique, qui échappe pratiquement à tout contrôle, avec un effet d'amplification et de démultiplication. Ainsi, la cible devient potentiellement, et à son insu, un acteur de sa propre désinformation en participant à la diffusion des messages.

Deuxièmement, le combat est asymétrique. Les démocraties sont les premières cibles, mais le combat est inégal. Nos principes ne nous autorisent pas le recours à certains procédés et méthodes propres aux dictatures. La liberté d'expression et d'opinion est confrontée à trois réalités : le support numérique diffuse davantage des opinions que des faits ; le contrôle des sources et l'anonymat sont au coeur du sujet ; enfin, le recours à l'intelligence artificielle peut rendre crédibles des faits qui n'ont jamais existé.

Troisièmement, les moyens aussi sont asymétriques. Pendant nos travaux, l'Azerbaïdjan, qui n'est tout de même pas une grande puissance militaire, est parvenu à déstabiliser notre pays dans le Pacifique. La dissuasion nucléaire importe moins que le narratif, y compris pour la réponse.

Quatrièmement, la culture du secret reste prégnante. Les nombreuses demandes de huis clos pour nos auditions attestent de la sensibilité du sujet, alors même que le secret conservé sur les origines des émetteurs malveillants, leurs méthodes et leurs objectifs participe de leur stratégie et contribue à les protéger. Ainsi du réseau social X : tout en défendant les libertés d'expression et de diffusion, il se réfugie derrière le huis clos afin de protéger ses porte-parole. Quant à la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure), tout en nous expliquant que la lutte contre ce fléau passe par la mise en lumière des pratiques, elle opposait sur bien des points le secret-défense à la représentation nationale...

Cinquième et dernière réflexion, on relève tout de même une prise de conscience des pouvoirs publics. Les ministères régaliens au moins ont pris la mesure de l'enjeu et engagé des initiatives, qui méritent sans doute d'être plus coordonnées. Le ministère de l'économie pourrait sans aucun doute être plus vigilant sur le contrôle des investissements étrangers en France. Enfin, la prise de conscience de l'éducation nationale, des universités, des médias et de la culture laisse à désirer.

En conclusion, il nous apparaît qu'il faut sortir de la naïveté. Les réseaux sociaux ne sont pas le monde des Bisounours ! On peut certes y communiquer de façon sympathique, mais ce sont aussi les supports d'offensives destructrices. C'est la raison pour laquelle nous avons inclus dans le titre de notre rapport le terme de « mobilisation », qui renvoie à un vocabulaire militaire. Il s'agit de la mobilisation de toute la Nation dans cette « néo-guerre » ; ce n'est pas simplement l'affaire de spécialistes, mais celle de chacun d'entre nous, du monde de l'entreprise, du monde associatif, des ministères, etc.

Mais je cède sans plus tarder la parole à Rachid Temal, dont l'engagement dans cette commission d'enquête n'a pas eu d'égal. Je veux souligner le plaisir que j'ai eu à travailler avec lui dans une bonne intelligence tout à fait réelle !

M. Rachid Temal. - Le plaisir fut complètement réciproque ! Nous avons veillé à n'avoir aucun désaccord majeur entre nous, ce qui est venu assez naturellement. Nous partagions régulièrement nos réflexions, nous construisions ensemble le programme des auditions. Cela nous a permis d'aboutir à un rapport de qualité, salué par les spécialistes, et à des propositions soutenues à l'unanimité par les membres de la commission d'enquête.

Revenons brièvement sur l'origine de cette commission d'enquête. Rappelons-nous des débats qui se sont développés sur le rôle des plateformes numériques à partir de 2016, autour du vote pour le Brexit et de la première élection de Donald Trump. On en discutait, mais comme si la France était protégée d'opérations d'influence menées par ces canaux, comme si nous étions dans une bulle. Les « Macron Leaks » de 2017 ont été une première prise de conscience. On a commencé à examiner les conditions de préservation de la démocratie et les moyens de lutte contre ces campagnes bien réelles. C'est ainsi que l'idée nous est venue de cette commission d'enquête.

Nous avons retenu le concept d'« influence », car celle-ci est une réalité tangible. La France, comme tous les autres pays, mène des politiques d'influence, pour diffuser le plus largement possible notre langue, notre culture, notre vision du monde. Ces démarches sont saines, dès lors qu'elles sont transparentes et assumées. En revanche, quand certains États usent de techniques d'influence dans des logiques de fracturation d'autres États et de leur système démocratique, cette influence devient malveillante - c'est évidemment sur ces situations que nous nous sommes concentrés.

Nous avons aussi souhaité, dans une plus grande mesure que les travaux antérieurs sur ce sujet, nous inscrire dans une logique d'élaboration d'une politique publique en la matière, au-delà de l'analyse factuelle.

Nous sommes partis du constat de la réalité de la menace. Il fallait sortir de la naïveté, cesser de croire que tout cela n'était pas bien important, qu'il ne s'agissait que de quelques influenceurs sans impact sur la vie démocratique ou économique. Nous devons prendre conscience que, dans notre monde fracturé et compétitif, une véritable guerre est menée, une guerre dont nous sommes l'une des principales cibles. Certains, plutôt que de lancer des bombes, utilisent les réseaux sociaux pour parvenir à leurs fins. Dès lors, la France doit s'armer dans ce domaine comme elle l'a fait pour la guerre conventionnelle. Nos adversaires consacrent des moyens considérables à ces entreprises de fracturation des sociétés occidentales - la Chine, la Russie, l'Azerbaïdjan consacreraient près d'un milliard d'euros à la rémunération de relais d'influence.

Pour sortir de la passivité, il faut occuper le terrain du narratif. Les adversaires que j'ai mentionnés ont des histoires à raconter, mais quelle histoire racontons-nous au monde ? Que disons-nous de ce qu'est la France ? Il faut se montrer plus volontariste.

Il faut également sortir de l'empirisme et de la dispersion des actions menées en France par différents organismes, chacun dans son coin. Certes, je salue bien sûr le travail de Viginum (service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères) et d'autres structures, qui sont des succès, mais l'ensemble n'est pas coordonné, il ne s'agit pas d'une véritable politique.

Nous devons en somme changer de paradigme face à un phénomène qui, lui aussi, a complètement changé, en s'appuyant sur les réseaux sociaux et sur les capacités de l'intelligence artificielle générative, qui permet d'inventer personnages et faits, et face à laquelle la capacité du cerveau humain à distinguer le vrai du faux devient quasiment impossible. Il s'agit d'une rupture civilisationnelle, où la machine est capable de dépasser l'être humain. Il faut reconnaître la faible capacité des États à intervenir sur des réseaux sociaux dont les modèles économiques s'appuient largement sur les fausses informations - celles-ci, ou du moins celles qui prêtent à débat, génèrent dix fois plus de clics et de réactions que les informations réelles ! Nous sommes tous à la fois acteurs et victimes de ce phénomène.

Nous avons voulu donner à notre travail le périmètre le plus large possible, en abordant les questions politiques, bien sûr, mais aussi l'éducation, l'outre-mer, la défense, la culture, etc., dans une logique de cercles concentriques.

Je veux à présent vous exposer les plus importantes de nos propositions.

Tout d'abord, nous regrettons l'absence à ce jour d'études universitaires menées dans la durée sur la réception des opérations de manipulation de l'information. Pour comprendre un phénomène, il faut l'étudier sur le long terme ; c'est ce que nous appelons de nos voeux.

Nous recommandons ensuite de nous doter d'une stratégie nationale globale, interministérielle, mais aussi territoriale, sans laquelle nous continuerons d'être attaqués par des structures bien organisées et affranchies des contraintes de ce qui est en même temps notre force, à savoir notre démocratie.

Il faut donc - troisième recommandation cruciale - établir une doctrine claire de réponse aux opérations d'influence malveillante. On se demande toujours s'il faut ou non répondre. Je pense au cas de la prétendue découverte d'un charnier sur une base française au Mali après le départ de nos troupes. La fausse information, issue officiellement de l'armée malienne, appuyée bien sûr par les mercenaires du groupe Wagner, affirmait que l'armée française avait tué des Maliens et dissimulé les corps ; elle s'est répandue comme une traînée de poudre. Heureusement, l'armée française ayant laissé un drone au-dessus de la base en partant, on a pu démontrer, images à l'appui, que les corps y avaient été enterrés après coup ! La France a pu, dans ce cas d'espèce, riposter très rapidement. Depuis lors, il est arrivé que le Président de la République lui-même, sur ses réseaux sociaux, démonte de fausses nouvelles. Mais trop souvent, en considérant que ce doit être l'affaire des spécialistes, personne n'en parle, ce qui empêche d'avoir conscience de ce qui se passe.

La quatrième recommandation cruciale consiste à demander que l'on conforte le rôle de Viginum. Cette structure, placée auprès du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), lui-même rattaché au Premier ministre, a la capacité technique d'identifier les opérateurs d'attaque. Les notes qu'il produit sont publiques ; elles indiquent quel groupe nous a attaqués et selon quelles modalités, d'où sort la fausse information, quels en sont les relais, et ce qui démontre sa fausseté. C'est un outil que nos partenaires européens nous envient, une vraie pépite ! Il est d'autant plus important d'y insister à l'orée de la discussion budgétaire que l'an dernier, alors que nous proposions de renforcer ses moyens, il était prévu de les réduire. Il faut pourtant développer l'expertise technique de Viginum et le doter d'antennes régionales.

La question de la formation nous est, elle aussi, apparue essentielle. Il importe de nous doter d'opérateurs aisément identifiables qui seraient à même d'aider les collectivités, les entreprises, les grandes structures publiques, de former des référents en leur sein, de leur apprendre les mesures de sécurité et de prévention requises, mais aussi la meilleure manière de répondre aux attaques, de communiquer à leur sujet. C'est une demande que nous ont exprimée les représentants du Medef, qui ont demandé à nous rencontrer après la publication du rapport. Tous veulent savoir qui appeler pour être formés à ces questions.

Un portage politique aussi est indispensable si l'on veut aboutir à une mobilisation de toute la Nation. L'on dit que la France est protégée, parce que les services de renseignement y travaillent ; c'est bien, nous ne le contestons pas, mais ce problème nous concerne tous, nous sommes tous des cibles et souvent, malgré nous, des propagateurs de fausses nouvelles. Or, en France, du fait de notre histoire, sans portage politique au plus haut niveau, les choses n'avancent pas. C'est pourquoi nous demandons qu'il se fasse à l'échelon du Premier ministre, ou à tout le moins d'un ministère d'État capable de mobiliser tous les services. Nous avons vu combien cela peut être efficace dans des pays comme l'Estonie, où des réunions régulières ont lieu entre le gouvernement, les grands acteurs économiques, les structures éducatives, etc., pour améliorer la réactivité face à une menace qui est loin d'être statique, mais se fait chaque jour plus sophistiquée. Il importe aussi de créer un observatoire des influences étrangères malveillantes pour mesurer le niveau de la menace et ses évolutions, de manière publique.

Voilà ce qui constitue selon nous la base d'une politique publique efficace en la matière. Certes, le SGDSN nous affirme travailler lui-même à une stratégie nationale. Nous avons publié ce rapport ; l'exécutif peut évidemment aller plus loin s'ils le souhaitent, mais ils seraient bien inspirés de se fonder sur nos travaux, d'autant que le Parlement dispose d'une liberté et d'une vision globale qui manquent trop souvent aux services administratifs, trop souvent bridés par les règles et les organisations existantes.

J'en viens à des recommandations plus sectorielles et, en premier lieu, à la question des investissements étrangers. L'outil de contrôle qui existe actuellement est utile, mais il faut aller beaucoup plus loin, notamment sur la question de l'information et sur celle du contrôle démocratique des structures qui doivent être ciblées.

Un autre élément d'intérêt concerne les médias et la culture. Nous formulons une recommandation qui détonne sans doute un peu, mais que nous assumons : nous doter d'une « pléiade d'influence » culturelle chargée de porter notre message, un groupe de créateurs issus de différentes disciplines artistiques qui construiraient un narratif. Nous sommes largement passés de l'ère de l'écrit à celle de l'image ; or la réponse que nous offrons aujourd'hui reste largement écrite. Il serait donc intéressant de mobiliser la capacité artistique de notre pays. Il ne s'agit pas de créer une sorte de ministère de la propagande, chargé de la diffusion d'une « vérité officielle » ; simplement, il faut traduire nos valeurs dans un projet d'influence diffusé dans le monde entier.

Cela nous amène à nous interroger aussi sur notre audiovisuel public extérieur, dont les moyens sont aujourd'hui assez faibles. Par ailleurs, il faut prendre en considération le fait que, notamment sur le continent africain, beaucoup d'infrastructures de diffusion audiovisuelle sont contrôlées par la Chine, qui en fait une sorte de cheval de Troie et empêche la diffusion de contenus contraires à ses intérêts.

Nous souhaitons également que la coopération avec nos partenaires européens soit plus importante. Nous faisons face à des attaques coordonnées d'envergure européenne, nous l'avons vu lors des manifestations d'agriculteurs dans plusieurs pays - France, Allemagne, Pologne... -, où des acteurs hostiles ont profité d'un malaise tout à fait réel pour y greffer une stratégie d'influence visant à fracturer nos sociétés.

Quant aux plateformes numériques, elles sont au coeur du sujet. Nous saluons les mesures de régulation prises à l'échelon européen, notamment le DSA (Digital Services Act), ainsi que le lancement de plusieurs enquêtes. Il faut désormais prendre les décisions particulières qui s'imposent. Dominique de Legge a évoqué X, ce chantre de la liberté d'expression qui rechignait à une audition publique et, depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, a supprimé les quelques modérateurs qu'ils avaient. De telles plateformes refusent d'assumer leur rôle d'éditeur. Alors que, dans les médias classiques, tout se publie sous l'autorité d'un rédacteur en chef qui endosse la responsabilité juridique des publications, ces plateformes considèrent qu'elles ne fournissent que les « tuyaux », et que tous les discours de haine et les fausses informations qui s'y déversent ne sont pas de leur responsabilité. Ce modèle a peut-être un sens économique, mais il est inadmissible dans une démocratie. Nous devons mener une véritable bataille en la matière, comme certains de nos collègues le font depuis longtemps au Sénat, pour enfin avancer sur la question.

Ces questions nous incitent aussi, au-delà de la régulation, à mener une politique industrielle volontariste dans ce secteur. Aujourd'hui, parmi les grands acteurs du numérique, il n'y a aucune plateforme européenne. Les règles européennes de libre concurrence ne devraient pas empêcher l'émergence de géants capables de rivaliser avec les plateformes existantes et les nouveaux acteurs du spatial, du quantique, ou de l'intelligence artificielle. Il faut encourager la construction de tels acteurs européens, par une politique industrielle digne de ce nom.

J'en viens au cas de l'université, où nous faisons face aux conséquences de la politique menée depuis plusieurs années, par laquelle nous demandons aux universités de trouver des sources de financement en dehors de la sphère publique. Aujourd'hui, en pratique, des financements sont offerts par des pays étrangers, qui se disent prêts à financer des chaires ou des bourses, mais au prix d'un certain contrôle sur les sujets de recherche. Ces pays cherchent aussi à développer ainsi leurs rapports avec nos futures élites.

Il faut développer la culture de vigilance vis-à-vis des opérations d'influence étrangère et d'espionnage au sein de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. On a certes mis en place un écosystème de laboratoires protégés, mais il en reste beaucoup - quelque 1 500 - qui devraient l'être et ne le sont pas aujourd'hui. Cela fait qu'on assiste à un pillage massif de l'intelligence française. C'est aussi pourquoi nous réclamons des procédures systématiques d'encadrement du financement étatique ou paraétatique des bourses.

Par ailleurs, si des référents enseignement de défense et de sécurité (REDS) ont été mis en place dans les établissements, tous les présidents d'université ne sont pas habilités au secret défense ; nous avons eu connaissance d'un cas où seule la directrice de cabinet l'était - elle ne pouvait donc pas communiquer librement avec son président sur certains sujets cruciaux. Une question similaire se pose pour les ministres non régaliens.

Nous avons également travaillé sur le contrôle du financement étranger des cultes. Contrairement à certaines idées reçues, la première religion financée par des fonds publics extérieurs n'est pas l'islam, mais le protestantisme.

Enfin, nous nous sommes intéressés à la vie politique, ce qui nous a notamment conduits à proposer d'interdire aux personnes physiques étrangères ne résidant pas en France de consentir un prêt à des partis politiques. Aujourd'hui, un résident d'un autre pays européen peut sans problème accorder un financement de plusieurs millions d'euros à un parti français, sans même de garantie de remboursement.

Nous recommandons aussi d'interdire à un parti ou un candidat de collaborer avec des influenceurs ou des plateformes d'influenceurs pour mener des campagnes électorales rémunérées, ce qui est possible aujourd'hui.

Nous voulons également renforcer les pouvoirs de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), en lui permettant de demander aux prêteurs d'établir l'origine des fonds octroyés à un candidat ou à un parti, ce qui n'est pas le cas actuellement. Nous souhaitons aussi lui donner accès au fichier national des comptes bancaires (Ficoba) et permettre à Tracfin de lui transmettre des informations. Toutes ces mesures ne sont pas très compliquées : il faut simplement mieux organiser les flux. Cela requiert aussi d'allouer plus de moyens à la CNCCFP.

Il faudrait aussi pouvoir s'assurer de l'absence d'exposition des ministres « pressentis » à des influences étrangères, et encourager le sourçage systématique des amendements et des questions portés au débat parlementaire. Il est essentiel que chacun sache d'où l'on parle et avec quelle information.

Pour une réelle mobilisation de la Nation, il est indispensable d'impliquer la jeunesse dans ce mouvement. On pourrait ainsi imaginer que la Journée défense et citoyenneté, seul moment où nous pouvons toucher tous les jeunes, comporte un volet consacré aux influences étrangères. Cela pourrait nous aider à créer une réserve opérationnelle citoyenne sur ces questions, comme il en existe dans d'autres pays. Il faudrait disposer d'une communauté qui puisse dire : Telle information est fausse et nous pouvons le démontrer.

Enfin, l'éducation nationale doit mieux encore développer l'esprit critique, dès le plus jeune âge, par un renforcement de la sensibilisation aux médias. Il faut que chaque jeune puisse, grâce aux cours de mathématiques, interpréter des graphiques, voir quand ils sont faux ou détournés. Ainsi, à chaque fois qu'on est confronté à une information, on a le réflexe d'en vérifier l'origine et la véracité, de faire preuve de recul et discernement. Tel est l'espoir que nous devons avoir pour notre jeunesse.

En somme, je le redis, il s'agit de sortir de la naïveté et d'assumer ce conflit. La meilleure réponse est la démocratie, mais une démocratie qui s'assume, qui porte ses valeurs. Cela concerne toute la Nation. En tout cas, ce fut un plaisir que de rédiger ce rapport, qui a a eu un franc succès. J'espère qu'il pourra être utile à notre pays.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie de cet exposé très brillant, qui suscite chez moi plusieurs questions et réflexions, dont je vous ferai part après celles de nos collègues qui souhaitent s'exprimer.

M. Stéphane Demilly. - Comme nous sommes la délégation aux outre-mer, ma première question est toute naturelle : les outre-mer sont-ils une cible privilégiée des diffuseurs de fausses nouvelles ?

Avez-vous pu établir une sorte de palmarès des pays particulièrement ciblés par les fausses nouvelles ? D'autres pays européens sont-ils affectés par les opérations politiques d'influence russe en particulier ?

Enfin, comment proposez-vous d'enrichir notre arsenal technique et juridique pour contrer cette diffusion de fausses nouvelles ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je remercie avant tout les auteurs de ce rapport de très grande qualité. La tâche est immense ; pour la mener à bout, il faut prendre conscience du problème, mais surtout nous mettre à agir, car les constats évidents ne devraient pas prendre trop de temps. Ainsi de la francophonie également : on constate depuis des années que le français est en perte de vitesse, mais que fait-on, collectivement, pour affronter ce problème ? Le passage à l'action est essentiel.

Les sanctions sont difficiles envers des acteurs difficilement identifiables, il faut donc commencer par éduquer nos concitoyens et par coopérer avec nos partenaires. Par ce terme, j'entends tout le monde de la francophonie, 90 États avec lesquels nous avons en commun la langue, mais aussi des valeurs. Cette coopération peut s'appuyer sur des institutions existantes, comme le Réseau francophone des régulateurs des médias (Refram), créé en 2007 à Ouagadougou.

Si vous me pardonnez d'anticiper votre réponse à M. Demilly, j'ai en tête deux exemples d'opérations d'influence étrangère malveillante visant nos outre-mer. On a cité, bien sûr, le rôle de l'Azerbaïdjan dans la crise en Nouvelle-Calédonie, mais on oublie trop souvent la diversion employée par la Russie pour riposter aux condamnations suscitées par son invasion de la Crimée : elle expliquait que la France ne faisait pas autre chose à Mayotte, qui serait un territoire occupé. C'est évidemment une ineptie totale, les Mahorais ayant choisi de rester Français.

Les exemples de telles opérations pourraient être multipliées, tout simplement parce que la France, de par ses outre-mer, suscite des jalousies. Nous sommes le seul pays ayant 35 frontières avec d'autres pays ; grâce à nos outre-mer, nous sommes la deuxième puissance maritime du monde. Ces qualités suscitent la convoitise de puissances qui aimeraient bien être à notre place...

Mme Solanges Nadille. - Ce rapport étaye le constat que nous faisons tous de la présence d'influences étrangères sur nos territoires, en particulier ultramarins.

Vous préconisez, dans votre recommandation n° 35, de conduire des enquêtes auprès des ministres « pressentis » pour s'assurer de l'absence d'exposition à des influences étrangères ». Ne serait-ce donc pas déjà le cas ?

Vous recommandez par ailleurs de doter Viginum du statut d'agence de l'État. Je ne suis pas une adepte de telles structures. Pourrions-nous envisager d'autres possibilités pour structurer notre riposte ?

Mme Micheline Jacques, présidente. - Concernant le financement des partis politiques, j'ai été frappée, lors de la dernière élection présidentielle, par le fait que, dans la majeure partie des territoires ultramarins, on ait voté au premier tour majoritairement pour l'extrême gauche, puis au second tour pour l'extrême droite. Les opérations d'influence que vous avez étudiées ont-elles pu avoir un impact sur ces résultats assez criants ?

Dans le cas de Mayotte, la Russie a soutenu, aux Comores, le président Azali Assoumani, allant jusqu'à promettre de l'aider à récupérer Mayotte. Par ailleurs, à Mayotte, c'est un parti d'extrême droite, qui serait financé par des fonds liés à la Russie, qui recueille le plus de voix.

La perte de confiance des citoyens dans les politiques publiques résulte-t-elle de ces influences ? Enfin, quelle place nos outre-mer occupent-ils dans la stratégie française de lutte contre ces ingérences ?

M. Rachid Temal. - Notre travail intègre bien sûr les problématiques liées à l'outre-mer. M. Mohamed Soilihi a raison, la France est jalousée, et ce pour de nombreuses raisons : à celles qu'il a citées, j'ajouterai notre qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, notre dissuasion nucléaire, mais aussi le fait que nous sommes la première puissance européenne présente dans l'espace indopacifique.

Parmi les principales puissances se livrant à ces opérations d'influence, on compte la Russie, la Chine, la Turquie de manière croissante, mais aussi l'Azerbaïdjan, qui démontre qu'une petite nation sans capacité militaire proche de la nôtre peut tout de même nous faire très mal. Tous se servent contre nous de la question coloniale, à Mayotte comme ailleurs.

M. Mohamed Soilihi a également raison de souligner la nécessité de l'action dans ce domaine ; ce qu'il manque surtout aujourd'hui pour avance, c'est une stratégie française.

Viginum est d'ores et déjà une agence de l'État ; ce qui est indispensable, c'est un pilotage national de cette politique.

Un élément qui ne figure pas au rapport, mais sera crucial dans les prochains mois, est la vulnérabilité des prochaines élections municipales ; chaque échéance électorale voit en effet des opérations de plus grande ampleur que la précédente. Or, dans les communes de moins de 9 000 habitants, qui sont tout de même une large majorité, aucun compte de campagne n'est exigé. N'importe qui peut, sans aucun contrôle, employer un million d'euros à se faire élire maire de sa commune. Des mesures doivent être prises.

Nous savons pertinemment que certains partis aujourd'hui ont partie liée avec des puissances étrangères. On constate que le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI) adoptent, sur un certain nombre de grandes questions internationales, des positions assez proches de celles de M. Poutine ; cela nous alerte. Le fait que le RN ait été financé pendant longtemps par une banque russe est aussi un élément significatif.

Les gens votent comme ils le veulent, mais les votes en faveur des extrêmes, des partis populistes qui affirment que le système est à bout, qu'il faut en finir, révèlent souvent des influences étrangères. Dans les outre-mer, celles-ci s'appuient souvent sur la dénonciation d'un système colonial néfaste. L'outre-mer est donc cruciale, car elle est aujourd'hui une porte d'entrée pour les ingérences malveillantes envers notre pays.

Notre travail se veut un rapport de politique publique, nous n'avons pas voulu simplement établir un état des lieux. Nos 47 recommandations s'inscrivent dans une logique globale ; ne rien faire aurait des conséquences extrêmement dommageables.

La Nouvelle-Calédonie est l'exemple parfait de ces enjeux. Elle est inscrite sur la liste des pays à décoloniser des Nations unies, ce qui permet à ces puissances malveillantes de répéter jour après jour que nous sommes un mauvais pays, du mauvais côté de l'histoire. Il nous faut donc réaffirmer que la démocratie doit prédominer, mais cela exige puissance et clarté. C'est pourquoi il faut mobiliser toute la Nation.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Merci encore de votre exposé et de vos réponses. Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 9 h 35.

Jeudi 13 novembre 2025

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et de Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Audition de M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je suis particulièrement heureuse de l'organisation de cette réunion, organisée conjointement avec la commission des affaires européennes, sur les enjeux pour les outre-mer du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034, que notre délégation a inscrite à son programme de travail et que nous avons décidé de porter de concert avec le président Jean-François Rapin, tant les menaces qui visent nos territoires ultramarins semblent graves.

Ce n'est pas la première fois que nous traitons des problématiques communautaires ni que nous unissons nos efforts avec la commission des affaires européennes pour faire entendre la voix des outre-mer, malheureusement trop souvent minorée quand elle n'est pas totalement ignorée. En 2020, lors des négociations du précédent cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, notre délégation avait réalisé un rapport pour alerter sur les menaces pesant sur les enveloppes destinées aux régions ultrapériphériques (RUP) dans le contexte du Brexit et sur les dispositifs fiscaux spécifiques aux outre-mer.

En janvier dernier, à la suite de l'adoption du premier volet de notre étude consacrée à la coopération et à l'intégration régionales des outre-mer, axée sur le bassin océan Indien, fruit du travail approfondi de nos collègues MM. Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient, nous avons déposé conjointement une proposition de résolution européenne sur l'intégration régionale des régions ultrapériphériques de l'Union européenne. Cette proposition de résolution européenne a posé des jalons importants pour l'avenir parmi lesquels deux orientations clés : d'une part, changer le regard porté sur les RUP au moyen de la création d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu), à destination des États voisins des RUP ; d'autre part, l'adoption nécessaire d'un paquet législatif RUP, afin de passer en revue les différentes législations européennes qui créent des obstacles réglementaires à l'insertion économique des RUP dans leur environnement. Le sujet normatif est, à nos yeux, prioritaire pour débloquer l'insertion économique des outre-mer.

Cette proposition de résolution européenne étant devenue résolution du Sénat le 27 mars 2025, nous l'avons défendue ensemble, à Bruxelles, en mai dernier.

Nous voici à nouveau réunis pour mieux mesurer les enjeux du nouveau CFP 2028-2034, tel qu'il a été présenté par la Commission européenne le 16 juillet 2025.

Pour nous aider à y voir plus clair, nous avons l'honneur et la chance d'accueillir ce matin M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint de l'association Eurodom, l'un des meilleurs spécialistes de ces sujets qu'il suit quotidiennement.

Monsieur le délégué général, lors de votre journée d'études du 6 novembre dernier à Bruxelles, qui a connu un beau succès avec un niveau de participation exceptionnel, j'ai noté le front uni que les RUP françaises, mais aussi portugaises et espagnoles, avaient affiché.

Je suis persuadée que les RUP ainsi que les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) doivent être placés au centre de la stratégie de puissance et d'influence de l'Europe dans le monde et qu'il faut convaincre les autres États membres de l'enjeu fondamental des RUP et des PTOM.

Or, les premières propositions de la Commission européenne font planer le risque d'un effacement de quarante ans de différenciation des politiques européennes. Or un retour en arrière, ignorant l'article 349 du Traité, irait à l'encontre de tous nos travaux et du message porté par notre délégation en faveur de l'ardente obligation de la différenciation.

Pour mener à bien ce travail de fond, nous avons désigné un trio de rapporteurs que je remercie de leur engagement et de leurs questions, composé de nos collègues MM. Olivier Bitz, Georges Naturel et Saïd Omar Oili.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Je me réjouis que nous puissions nous retrouver, une fois de plus, avec nos collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer, pour évoquer les enjeux européens des outre-mer, RUP comme PTOM, que nous défendons conjointement avec constance - et il en faut !

La présidente Micheline Jacques a rappelé la résolution européenne adoptée par le Sénat le 27 mars dernier, dont j'ai eu l'honneur et le plaisir d'être le rapporteur, aux côtés de notre collègue Georges Patient. Nous l'avons défendue avec conviction à Bruxelles, lors d'une mission conjointe en mai dernier, auprès de la Commission européenne, du Service européen pour l'action extérieure, mais aussi auprès de nos collègues parlementaires européens, avec lesquels il est nécessaire d'entretenir un dialogue régulier.

À cet égard, la journée d'études organisée la semaine dernière, évoquée par la présidente Micheline Jacques, semble avoir été utile. Je relève avec intérêt la mobilisation des eurodéputés des régions et territoires portugais et espagnols, qui prolonge les échanges que nous avions eus avec eux en mai dernier - parler d'outre-mer aux Allemands est un puits sans fond.

Je veillerai à maintenir la mobilisation de nos collègues des Cortes et du Sénat espagnols ainsi que de l'Assemblée de la République portugaise, notamment au travers des réunions de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), dont la prochaine aura lieu du 30 novembre au 2 décembre. Lors de la dernière réunion, j'avais déjà fait introduire dans la déclaration finale une référence à l'importance des outre-mer et à la nécessité de prévoir les adaptations prévues par l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Cet article justifie pleinement, à mes yeux, l'élaboration d'un « Omnibus » RUP, afin de libérer nos outre-mer de certaines contraintes inadaptées. Monsieur Lombrière, peut-être pourriez-vous nous indiquer si vous avez des attentes ou des propositions en ce domaine ?

Nous devons l'affirmer avec la plus grande force : les RUP et les PTOM répartis sur la surface du globe sont un atout géostratégique majeur pour l'Union européenne, qui en a malheureusement trop peu conscience. Nous l'avons même entendu de la part des services de la Commission européenne. Nous défendrons donc avec force l'importance des RUP et des PTOM dès que nous en aurons l'occasion. Je l'ai fait récemment auprès de la commissaire à l'élargissement.

Les travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer et la résolution que nous avons élaborée soulignent également combien il est essentiel d'obtenir un élargissement de la politique de voisinage en direction de l'environnement régional des RUP et PTOM, en déterminant conjointement une stratégie commune.

L'audition d'aujourd'hui s'inscrit toutefois davantage dans la perspective des négociations qui démarrent sur le prochain cadre financier pluriannuel, après les premières propositions de la Commission européenne, fortement contestées par le Parlement européen ; d'ailleurs, nous devions recevoir Mme Stéphanie Riso, directrice générale du Budget de la Commission européenne en audition, mais elle a dû être remplacée, car elle devait revoir encore certains éléments du CFP.

Telles qu'elles ont été présentées par la Commission européenne le 16 juillet dernier, ces propositions annoncent des changements importants, qui nous inquiètent : la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion seraient renationalisées sous couvert de simplification, de flexibilité, d'efficacité - et certainement de pouvoirs accrus dévolus à la Commission européenne. Certaines orientations ne nous paraissent pas acceptables.

Tout n'est pas dit, loin de là. En ce qui concerne les RUP et les PTOM, les perspectives budgétaires ne sont pas si sombres, puisque les moyens en faveur des RUP seraient maintenus, et pourraient même être accrus, en jouant notamment sur le nouvel instrument « Europe dans le monde » qui permettrait d'intégrer notamment la coopération régionale et de voisinage. De même, pour les PTOM, la proposition de nouvelle décision d'association porte un accroissement des crédits pour tous les territoires concernés - et l'on constate, il est vrai, un vertigineux doublement pour le seul Groenland.

Encore faut-il que nous parvenions par ailleurs à trouver un accord sur les ressources propres qui permettrait de financer l'enveloppe globale proposée par la Commission européenne.

Ces éléments justifient notre vigilance mais éclairent aussi la toile de fond de nos échanges de ce matin.

M. Benoit Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom. - Merci pour votre accueil. Vous l'avez dit, la proposition faite le 16 juillet dernier par la présidente de la Commission européenne suscite de l'inquiétude outre-mer - dans les régions ultra périphériques, comme on dit à Bruxelles, ce qui marque une distance plus grande encore que l'expression d'outre-mer... Cette proposition parait relever d'une politique de rétrécissement européen, plutôt que d'élargissement, on le voit sur le plan budgétaire pour la PAC, la pêche et la politique régionale - s'il est encore difficile d'y voir clair, on parle d'une baisse des crédits de 20 % au total, un chiffre communément admis et qui n'a pas été contesté par la Commission. La présidente de la Commission a sorti sa proposition - j'ai le sentiment que certains services de la Commission l'ont découverte en même temps que nous - en « mode commando », peu de personnes ont été impliquées, cela explique les réactions vives dans les RUP et plus largement dans les pays de la cohésion, ceux qui ont besoin des fonds européens pour rattraper la moyenne de développement communautaire.

Cette proposition change en profondeur la conception même des politiques européennes - régionale, agricole, relative à la pêche et, plus généralement, le soutien économique - en créant quatre piliers.

Un premier pilier est constitué de ce que l'on a appelé la « méga-enveloppe », ou le « super-fonds », qui regroupe toutes les politiques traditionnelles de l'Europe : la politique agricole, la politique de soutien industriel et la politique régionale, qui sont au fondement de la construction européenne et de la cohésion de notre continent. Tous ces fonds - agricoles, de cohésion, de soutien à la pêche -, qui représentent des sommes colossales, seraient confiés à la responsabilité des États membres, chacun recevant une grosse dotation qu'il serait libre de répartir en fonction de ses priorités nationales. La proposition précise que les États membres pourront compléter cette dotation ; en France, il est assez probable que nous ne le puissions pas, mais aussi que l'État pousse à une faible consommation sectorielle pour en consacrer une partie à boucher les trous budgétaires. La présidente propose de commencer par baisser le budget avant de déléguer ; c'est un mécanisme que nous connaissons bien dans la décentralisation - on délègue la compétence sans la doter suffisamment, à charge pour les collectivités de compléter.

On parle d'un recul des fonds de 20 %. Quelles en seraient les conséquences ? D'abord, la guerre de tous contre tous. Tout ce que l'on donnera en plus pour la politique régionale, afin de compléter les fonds européens - pour toute la politique régionale qui irrigue une grande partie des territoires de notre pays -, on le donnera en moins aux agriculteurs et aux pêcheurs. Tout ce que l'on donnera à l'Hexagone, on le donnera en moins aux régions ultrapériphériques. Il ne peut en être autrement, toutes les enveloppes seront diminuées de 20 %, ou bien l'État fera des arbitrages, certains secteurs seront ménagés, au détriment des autres.

L'État est censé pouvoir compléter les crédits européens, mais on parle de montants très importants : pour la France, la seule PAC représente 9 milliards d'euros. C'est donc un ensemble très large de crédits qui est affecté. Pour les seuls outre-mer, le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Posei) - qui est la PAC des outre-mer - représente 278 millions d'euros par an et le Fonds européen de développement régional des RUP (FEDER-RUP) - qui soutient les entreprises outre-mer - mobilise environ 500 millions d'euros sur la période du CFP, soit environ 40 euros par habitant ultramarin. Enfin, la partie du soutien à la pêche qui va aux outre-mer, avec les plans de compensation des surcoûts, s'élève à environ 25 millions d'euros. Ces sommes peuvent sembler peu de chose au regard des 9 milliards d'euros de la PAC, mais pour les agriculteurs, les pêcheurs, les chefs d'entreprise et les régions sur place, ils représentent des enjeux considérables. Il n'y a pas un ouvrage, pas une commande publique qui ne se fasse outre-mer sans financement ou cofinancement européen - avec des taux résiduels faibles pour l'État et les collectivités, autour de 15 à 20 % : les conséquences d'une diminution des crédits sont donc bien plus importantes que pour d'autres régions françaises.

Aux côtés de cette « méga-enveloppe », la proposition compte trois autres piliers. L'un concerne l'administration, je ne m'y attarde pas. Il en reste deux : la compétitivité et « L'Europe dans le monde ». Vous avez raison de souligner qu'il faut s'y intéresser de près, car il y a là beaucoup de financements ou de relais de financement à aller chercher pour les outre-mer, avec une logique très différente de celle du premier pilier. On parle beaucoup d'Omnibus, le Sénat s'est prononcé sur le sujet, l'objet de cette réglementation est d'adapter les politiques européennes aux réalités des outre-mer. C'est une bonne chose, mais c'est très loin de pouvoir compenser des manques budgétaires tels que la présidente de la Commission les envisage. En fait, l'Omnibus n'est qu'une partie de la solution - et devient aussi une partie du problème, parce que dès que nous pointons un problème à Paris ou à Bruxelles au nom des outre-mer, on nous répond « Omnibus », comme si c'était une carte magique. En réalité, l'Omnibus a été conçue un peu comme une voiture-balai, une loi portant diverses mesures, son rôle est d'ajuster au mieux les normes européennes aux réalités ultramarines, ce n'est pas un vecteur pour faire un contre-budget ni prendre des mesures nouvelles, l'intervention de l'Omnibus ne peut être que limitée.

Voici donc, à grands traits, la situation. Que craignons-nous ? Que les outre-mer soient une variable d'ajustement de ce rétrécissement européen. Nous le voyons avec les déclarations récentes du Président de la République sur le Mercosur ou dans les arbitrages budgétaires du projet de loi de finances au détriment des outre-mer. L'Assemblée nationale a repoussé ces baisses colossales des budgets de soutien à l'activité économique dans les départements d'outre-mer, tant pour la défiscalisation que pour les allégements de cotisations sociales, une baisse de l'ordre de 800 millions d'euros ; le Premier ministre a annoncé que le Gouvernement ne s'opposerait pas à la position parlementaire, mais il y avait au départ un arbitrage très dur. Nous craignons que, dans la lutte de tous contre tous pour le bénéfice de cette « grande enveloppe » désormais aux mains de l'État, l'on donne la priorité aux régions et aux agriculteurs de l'Hexagone, qui ont une capacité de mobilisation électorale et sociale supérieure, sans compter qu'il y a plus d'élus dans l'Hexagone que dans les outre-mer. Nous exprimons donc nos craintes, peut-être plus fort que d'autres, mais parce que ces enjeux sont pour nous essentiels ; les aides perçues par les agriculteurs et les pêcheurs vont au fonctionnement et compensent des surcoûts liés à des handicaps structurels : l'éloignement, qui rend tout plus cher, et la nécessité de stocker davantage puisque nous n'avons pas l'approvisionnement qu'on trouve dans l'Hexagone - l'agriculteur, par exemple, doit stocker une roue supplémentaire pour son tracteur parce que si elle le lâche, il n'en trouvera pas dans son environnement et devra patienter bien trop longtemps pour en avoir une autre, là où l'agriculteur d'une région hexagonale en trouve dans la journée en magasin... En réalité, les aides du Posei et les aides à la pêche ne font que rétablir les conditions d'une activité économique normale, elles ne sont pas une aide au revenu, elles visent à ce que l'agriculteur ou le pêcheur de Pointe-à-Pitre ou de Fort-de-France soit placé dans la même situation que ceux qui exercent le même métier à Brest ou à Concarneau. Si l'on supprime ces aides, il n'y a plus d'activité économique. C'est pourquoi nous sommes extrêmement inquiets.

Quels sont les termes du débat et quel en est le calendrier ?

La Commission a fait sa proposition, elle est maintenant au Parlement et au Conseil. Le Parlement, vous l'avez rappelé, s'est positionné très vite et de manière très critique. Une lettre inhabituelle a été adressée par les présidents des groupes PPE, socialiste, Renew et des Verts, ainsi que par les rapporteurs de ces groupes, directement à la présidente de la Commission, lui signifiant que sa proposition était inacceptable en l'état. La présidente de la Commission a répondu en début de semaine. Nous estimons que cette réponse manque de contenu, en tout cas pour les RUP ; cette lettre a probablement permis d'éviter d'aller trop loin à la veille d'un débat au Parlement européen sur le CFP, c'est de la politique - mais sur le plan pratique, aucune inflexion, c'est ce qui nous inquiète. Nous demandons que le Posei et le FEDER-RUP sortent du « mégafonds », du premier pilier, et qu'ils soient financés directement par des fonds européens, comme c'est le cas aujourd'hui - il faut savoir que 10 % de ce premier pilier reste à la main de Bruxelles, en particulier les réserves de crises : nous proposons, compte tenu des montants relativement modestes des aides aux RUP, d'en placer les crédits dans la partie du premier pilier qui continue à être gérée à Bruxelles. Cela permettrait à nos agriculteurs et à nos pêcheurs, de continuer à bénéficier de la prévisibilité qu'offre la politique bruxelloise, avec un budget fixé pour sept ans, c'est de loin préférable à une négociation annuelle en loi de finances, dont l'aléa rend l'activité quasi impossible outre-mer.

La proposition de la présidente de la Commission étant d'ordre budgétaire, elle a pour conséquence logique et assumée - la Commission ne le nie pas - de supprimer les règlements où se logent des fonds pour les RUP, en particulier le règlement Posei. Or, si on arrête son application, de même que si l'on n'applique plus les dispositions particulières aux RUP à l'intérieur de la politique commune de la pêche, on fait disparaitre cinquante ans d'acquis communautaire difficilement obtenus. On nous dit qu'il sera possible de les réintroduire autrement, soit dans le règlement Omnibus, soit par des amendements au CFP. Nous ne voulons pas entrer dans ce jeu et aller discuter point par point avec les administrations européennes, avec pour perspective d'obtenir au mieux ce que nous avons déjà aujourd'hui. La mécanique de la négociation avec la Commission est toujours la même : elle commence par faire une proposition inacceptable, on l'a encore vu lors de la dernière négociation, où la Commission a proposé une baisse du budget de la PAC d'environ 5 % ; la France s'est battue et a réussi à maintenir les crédits à leur niveau, mais la Commission a prétendu appliquer la baisse aux RUP puisque, formellement, nous ne sommes pas inclus dans la PAC ; il a fallu continuer à se battre, alors même que la question était réglée pour les agriculteurs de l'Hexagone... La dynamique de cette négociation est mortifère : à chaque fois, nous nous battons pour maintenir ce que nous avons. Or, la vie et les réalités du monde changent et les RUP sont plus exposées que des régions de l'Hexagone, nous ressentons immédiatement les bouleversements du monde, les changements géopolitiques, par exemple quand Donald Trump attaque des bateaux vénézuéliens. Nous sommes ouverts au monde et nous avons besoin de nous adapter, mais les budgets et les politiques d'aide sont figées depuis 2010 ; à chaque négociation le seul horizon possible est de maintenir nos acquis. Les budgets du Posei, par exemple, n'ont pas évolué depuis quinze ans, alors que la production s'est développée ; en conséquence, la France a complété les fonds européens, au point de financer quasiment la moitié de notre PAC ultramarine : cette politique devient nationale, plutôt qu'européenne, personne ne l'accepterait pour d'autres territoires... Nous l'avons rappelé dans un document adopté par notre assemblée générale il y a un an, en demandant un doublement des crédits du Posei, mais nous savons que nous n'en sommes pas là dans les négociations...

Le Gouvernement nous soutient, le Premier ministre - qui connait bien les outre-mer - a écrit une lettre à la présidente von der Leyen sur les sujets agricoles, avec un paragraphe sur le Posei et les outre-mer. Le travail a été fait, la position française est relativement claire. Le diable, cependant, est dans les détails. Faut-il que les crédits soient sanctuarisés à l'intérieur de la méga-enveloppe, mais décentralisés au niveau national ? Cela peut être une manière de soutenir les RUP, mais ce n'est pas celle que nous estimons la plus pertinente : nous insistons pour conserver la visibilité et la prévisibilité telle qu'elle existe dans les procédures budgétaires actuelles.

Nous sommes très attentifs à la position que prendront l'Espagne et le Portugal, nous pensons qu'ils vont nous rejoindre - le Parlement européen est unanime, dans toutes ses composantes nationales comme politiques, les États membres devraient suivre. La conférence des présidents des RUP a fait part de ses très fortes préoccupations sur la politique régionale et agricole. Les RUP espagnoles et portugaises sont en pointe dans ce combat ; les Canaries, Madère et les Açores ont mobilisé rapidement leurs responsables politiques, ils sont intervenus auprès de la Commission européenne et de leurs États respectifs, je ne doute donc pas qu'ils seront entendus.

Voilà le paysage. Nous sommes au début de cette négociation. Le calendrier normal est d'adopter le budget avant le 31 décembre 2027. Nous entrons donc dans ces négociations, qui seront longues et conflictuelles, et nous essayons de prendre un peu d'avance. Face aux deux mastodontes que sont l'agriculture continentale et l'ensemble des autorités régionales, le risque est que les RUP deviennent la part du feu, celle qu'on renvoie à plus tard, une fois les « gros » dossiers réglés ; nous essayons d'inverser les choses, en proposant de régler d'abord notre « petit » dossier, pour que la négociation se focalise ensuite sur les plus importants financièrement sans avoir à supporter le bruit constant que nous faisons au nom des RUP...

Je salue la réactivité de votre délégation aux outre-mer et de votre commission des affaires européennes, merci de votre constance à répondre présent ; vous avez organisé cette audition et envisagé une résolution européenne très rapidement, cela nous est très précieux.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Je reste consterné par le manque de vision de l'Union européenne par rapport à ses territoires d'outre-mer. Ce sujet est majeur, le monde change, les outre-mer sont une chance, grâce à eux nous avons un « porte-avions » sur tous les océans, une présence continue, mais ce n'est pas vraiment pris en compte, l'Europe n'en a pas la vision. Elle ne sait pas non plus contrecarrer certaines influences étrangères qui s'exercent dans les outre-mer - et elle ne fait rien, dans le fond, de cet atout que représente notre aire maritime. Ces questions géostratégiques devraient être mises au grand jour, je ne comprends pas pourquoi nous prêchons dans le désert...

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Merci de ce soutien aux territoires ultramarins, monsieur le président.

M. Saïd Omar Oili. - Je suis d'accord avec le président Rapin : nos territoires sont une richesse mais les investissements y sont en recul, alors que les Chinois et les Russes sont à nos portes. La France est présente dans l'océan indien, mais notre pays ne s'y implique guère, c'est dommage.

Une question technique importante : le taux de subvention spécifique de 85 % sera-t-il maintenu ?

Ensuite, la flexibilité budgétaire envisagée par la Commission européenne peut-elle servir à faire face aux catastrophes naturelles ? Il y a eu une mobilisation après le cyclone Chido, mais il y a aussi beaucoup de travail à faire pour rendre nos territoires plus résilients - à Mayotte, le port de Longoni, par exemple, présente des risques importants, il faut le consolider -, les RUP sont particulièrement vulnérables : comment mobiliser davantage les moyens européens ?

Enfin, l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union ne s'oppose-t-il pas à la réforme envisagée par la Commission européenne ? Je fais référence à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne de 2015 concernant Mayotte.

Mme Mathilde Ollivier. - Dans la proposition de « renationalisation » des fonds européens formulée par la Commission, il y a deux grands perdants : les régions et le Parlement européen. Vous demandez que les fonds dédiés aux RUP restent administrés à l'échelle européenne, avez-vous une stratégie pour inclure les régions continentales dans votre plaidoyer, qui sont, elles aussi, touchées par ce projet de réforme ? Elles auraient à passer par l'échelon national, au lieu de s'adresser directement à l'Europe, dans un contexte de restriction budgétaire qui pousse à la défense de l'existant plutôt qu'à la projection.

Ensuite, quelles sont les pistes envisageables pour faire prendre en compte les enjeux climatiques par le Posei et, plus généralement, par le prochain CFP ?

M. Georges Naturel. - Cette réunion est utile pour clarifier les enjeux, il est très important de se mobiliser en amont et je suis satisfait que le Premier ministre ait écrit à la présidente de la Commission européenne sur le sujet. Lors de notre déplacement à Bruxelles, j'ai été surpris que l'administration européenne méconnaisse l'importance géopolitique des territoires d'outre-mer - je n'en connais pas la cause - les fonctionnaires ont-ils d'autres préoccupations ? - mais ce fait est marquant. Je ne cesse de le répéter, l'Europe a trois territoires dans le Pacifique - elle en avait davantage avant le Brexit -, c'est très important face à la Chine, qui est présente également. L'Europe s'est beaucoup construite autour de l'agriculture, mais sans les outre-mer : c'est peut-être ce qui explique que nous en soyons là aujourd'hui ; or, si on ne développe pas l'économie ultramarine et en particulier l'agriculture, nos territoires vont se dépeupler. La Nouvelle-Calédonie a le nickel, mais c'est un secteur très concurrentiel et difficile, il ne faut pas s'en contenter ; nous avons aussi de la surface et un climat qui devraient nous permettre d'augmenter notre autosuffisance alimentaire, elle n'est que de 20 %, il y a beaucoup à faire.

Deux questions. Les PTOM, d'abord, sont-ils pris en compte dans les réflexions en cours - et comment ? Ensuite, quelle est la position des États membres sur la répartition entre le Groenland et les autres PTOM ? Dans les débats et les négociations à venir, il va falloir se battre pour maintenir, voire développer, les aides aux PTOM, en particulier français.

Mme Marta de Cidrac. - Il y a quelques jours, vous avez lancé à Bruxelles un appel solennel à la mobilisation pour les outre-mer, signé par un certain nombre d'élus et de personnalités ; Benjamin Haddad, notre ministre délégué aux affaires européennes, ne figure pas parmi les signataires : doit-on y voir le signe que notre diplomatie manquerait d'allant sur les thèmes que vous défendez ? Il me semble que Naïma Moutchou, notre ministre des outre-mer, est signataire, mais ne pouvait-on espérer un engagement plus large de notre diplomatie ?

Ma deuxième question porte sur la pêche et l'agriculture : les propositions de la Commission européenne menacent-elles quarante ans de politiques différenciées dont bénéficiaient nos RUP ? N'ouvrent-elles pas une boîte de Pandore, y compris pour nos politiques locales ? Je songe notamment au projet de loi de finances, aux taxes environnementales différenciées dans nos RUP, ou encore à tous les sujets d'économie circulaire et de déchets : qu'en pensez-vous ?

Mme Annick Petrus. - Cette audition est particulièrement importante, car elle intervient en amont du prochain CFP, lequel déterminera les priorités de l'Union européenne pour les sept années à venir, dans un contexte de tensions budgétaires liées à la défense, à la transition énergétique et au soutien à l'Ukraine. Pour les collectivités d'outre-mer, cette révision pourrait avoir des conséquences majeures : elles craignent à juste titre que ces nouvelles priorités ne rognent sur les politiques de cohésion et de solidarité, qui ont longtemps constitué le coeur du partenariat européen.

Pour Saint-Martin, cette perspective est particulièrement préoccupante. Notre territoire, jeune et insulaire, reste confronté à des défis structurels profonds : la reconstruction des infrastructures après les crises successives, une forte dépendance aux importations qui alourdit le coût de la vie, et des retards récurrents dans la mobilisation des fonds européens en raison de la complexité des procédures et du manque d'ingénierie locale.

Dans ce contexte, il est essentiel que le prochain CFP ne réduise pas les moyens des fonds structurels comme le Fonds européen de développement régional (Feder) et le Fonds social européen (FSE+), qui sont les principaux leviers du développement économique et de la cohésion sociale. Or, certaines propositions évoquées au sein de la Commission européenne vont dans le sens d'une réduction du budget consacré à la cohésion et d'une réorientation vers les régions performantes, ce qui serait profondément injuste pour nos territoires.

La politique agricole est également un enjeu. Le programme Posei, vital pour l'agriculture ultramarine, pourrait être fragilisé par des conditionnalités environnementales inadaptées et par la remise en question des aides spécifiques. Sans le Posei, nos filières agricoles, déjà fragiles, ne pourraient pas survivre.

S'agissant de la coopération régionale, le programme Interreg Caraïbes est un outil précieux, mais encore trop difficile à activer. Les contraintes administratives et les obstacles juridiques découragent souvent nos partenaires. Pourtant, cette coopération est essentielle et représente l'avenir de Saint-Martin dans son environnement caribéen.

Enfin, je veux souligner que la « renationalisation » des crédits européens, sous couvert de simplification, risque de marginaliser les petites collectivités comme la nôtre, alors que nous avons besoin de plus d'autonomie et d'appui local, plutôt que d'une négociation avec Paris ou à Bruxelles.

Comment garantir que les petites collectivités ultramarines, avec leurs contraintes administratives et humaines, pèsent dans les négociations budgétaires et continuent à bénéficier de conditions adaptées ?

Ensuite, quelles pistes Eurodom propose-t-il pour rendre le programme Interreg plus accessible et plus efficace, notamment en simplifiant les relations avec les États voisins non européens ?

Enfin, sur la cohérence entre le financement européen et les dispositifs nationaux, comme l'aide au logement ou la défiscalisation, comment éviter les doublons et assurer une complémentarité réelle entre les deux niveaux d'intervention ? Je suis profondément convaincue de la nécessité d'une Europe différenciée et équitable, capable de reconnaître les contraintes particulières de nos territoires tout en valorisant leurs potentiels. Saint-Martin, comme l'ensemble des outre-mer, n'a pas besoin d'un traitement d'exception, mais d'une prise en compte juste et pragmatique de ses réalités.

Mme Solanges Nadille. - Je souhaite vous interroger sur l'alourdissement de la fiscalité du transport aérien. Jusqu'au 31 décembre 2030, les vols au départ ou à destination des RUP - la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, La Réunion, Mayotte et Saint-Martin - sont exemptés du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne. Cette exemption reconnaît la dépendance structurelle de ces territoires au transport aérien, en l'absence d'alternatives viables.

À partir du 1er janvier 2031, sauf modification de la réglementation européenne, les vols entre les RUP et l'Hexagone devraient être assujettis à ce système, comme les autres vols intracommunautaires. Cette perspective inquiète légitimement, car elle augmenterait significativement les coûts des liaisons aériennes, réduisant l'accessibilité des territoires ultramarins, au détriment de l'économie touristique ainsi que des échanges commerciaux. Je vais saisir le ministre de l'Europe, mais que pensez-vous de cette réglementation européenne - quel impact sur l'avenir des outre-mer ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je partage les constats de nos présidents sur le désintérêt - le mot pourrait être plus fort - à l'égard de ce que peuvent apporter nos territoires d'outre-mer à la France et à l'Europe.

Je m'adresse au responsable d'Eurodom, avec toute son expertise : si vous aviez un modus operandi, une stratégie à nous suggérer, que pourrions-nous faire collectivement pour convaincre la Commission européenne et l'Union européenne de changer de braquet ?

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Vous avez évoqué le cofinancement par les collectivités ultramarines, c'est une difficulté pour certaines d'entre elles, au point qu'elles risquent de perdre des crédits faute d'avoir pu mobiliser leur propre quote-part ; une sous-consommation des crédits aura-t-elle une incidence dans la négociation sur le prochain CFP ?

Ensuite, comment mieux adapter les normes européennes aux réalités ultramarines ?

Enfin, quelle part des fonds du Posei sera-t-elle allouée au soutien des filières canne-sucre-rhum et de la banane - quelle part à l'aide au développement d'une agriculture diversifiée pour tendre vers une autosuffisance alimentaire ? Les jeunes agriculteurs de Guyane, par exemple, appellent à développer leurs exploitations : pourra-t-on les soutenir ?

Je rejoins les propos du président Rapin sur le manque de culture et de vision des institutions européennes pour les outre-mer - on le voit par exemple avec l'aberration de nous imposer des véhicules électriques, avec le fait de ne pas prendre en compte l'enjeu du nickel en Nouvelle-Calédonie, ou encore avec la façon dont on ne valorise pas notre potentiel, par exemple le spatial en Guyane : c'est incompréhensible.

M. Benoît Lombrière. - Nous avons bien reçu votre questionnaire et vous avons répondu par écrit, vous y trouverez des éléments complémentaires à mes réponses.

Si j'étais gaulliste, je dirais que les outre-mer devraient être hissés au rang d'instruments de puissance - mais je m'impose un devoir de réserve. Nous avons dans le Pacifique trois territoires - Wallis-et-Futuna, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie - qui représentent 15 à 20 % de nos droits de vote à l'ONU, un conflit majeur menace dans cette zone entre la Chine et les Etats-Unis, les puissances régionales comme l'Australie s'en inquiètent : nous sommes là, mais que faisons-nous ? Pas grand-chose... L'axe du monde bascule dans l'Indopacifique, nous y sommes présents, mais nous ne faisons pas grand-chose. Nous sommes le seul pays du monde à avoir un tel rayonnement, cela nous rend légitimes à prendre part à tous les débats géostratégiques, mais on a l'impression que l'Hexagone résume la France - alors qu'elle est immense grâce à ses outre-mer.

S'agissant du CFP, je veux souligner que, globalement, les échanges se passent très convenablement avec l'UE et la Commission européenne. La proposition dont nous parlons a été élaborée en interne, dans un cercle restreint autour de la présidente - von der Leyen, mais le dialogue se passe bien avec les commissaires européens. Je dirais qu'il n'y a pas de désintérêt pour les outre-mer, mais parfois de la méconnaissance, de la maladresse, voire de l'hostilité - de la part de la présidence - et je ne pense pas du tout que la Commission veuille minorer le soutien aux RUP, ce n'est pas son sujet. Ce qui se passe, c'est qu'une négociation s'ouvre, avec des arguments, des propositions et des contre-propositions, c'est comme cela que les normes s'élaborent à Bruxelles. À l'issue de notre journée de mobilisation de la semaine dernière, le 6 novembre, nous avons effectivement lancé un appel, signé par des parlementaires, des présidents de régions, des socio-professionnels ; les ministres ne l'ont pas signé et on le comprend, ils sont tenus par la solidarité gouvernementale et participent à d'autres cercles de négociation.

Notre appel compte neuf points, plusieurs concernent la politique régionale, nous visons plus large que les seules RUP. Pour le moment, les cofinancements sont maintenus. Le CFP fixe au cofinancement européen un plafond de 85 % ; la nouvelle version, plus nationale, dispose qu'il doit y avoir au minimum 15 % de financements nationaux, ce qui revient au même. La préoccupation porte donc davantage sur les ressources budgétaires, qui sont en baisse, que sur l'autorisation de cofinancement. Dans notre appel, nous demandons à la Commission et aux institutions européennes de revoir leur copie, en commençant par maintenir le règlement Posei en tant qu'instrument autonome, avec un budget doublé et sanctuarisé afin de garantir la sécurité alimentaire, la stabilité agricole et le soutien à l'emploi rural dans les RUP. Nous réclamons également la préservation des plans de compensation des surcoûts pour la pêche et l'aquaculture, ainsi que la création d'un véritable « Posei-Pêche » adapté pour soutenir durablement les filières maritimes ultramarines et leur compétitivité. Enfin, nous demandons le maintien des dispositifs existants et l'augmentation des montants alloués aux RUP pour la période 2028-2034 dans le cadre de la politique de cohésion. Cela concerne notamment l'allocation spécifique FEDER-RUP, le FSE+, ainsi que le maintien des taux de cofinancement majorés, qui sont indispensables à la continuité territoriale, à l'investissement public et à la résilience économique de ces régions.

S'agissant de Mayotte, le Parlement européen vient de voter des financements renforcés pour reconstruire après l'ouragan Chido, notamment grâce à l'action du député européen Younous Omarjee. La flexibilité est une très bonne chose, il faut pouvoir mobiliser des réserves de crise. Le changement climatique est une question centrale pour les RUP. Cependant, nous ne voulons pas troquer un renforcement de la réactivité en cas d'événement climatique, contre un affaiblissement de la politique de cohésion en général. Il est vrai que, lorsqu'il y a un ouragan, un cyclone ou un tremblement de terre, nos institutions européennes et nationales fonctionnent remarquablement ; mais nous parlons du soutien aux agriculteurs, aux pêcheurs et aux régions en période normale, où nous avons aussi besoin de flexibilité pour tenir compte des conditions particulières des RUP.

Comment passer à l'action pour obtenir des avancées et maintenir les acquis ? La proposition de la Commission ne contredit pas l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relatif à l'adaptation du droit communautaire aux outre-mer, mais il y a un débat sur la portée de cet article ; vous avez rappelé l'arrêt Mayotte, qui écarte la lecture restrictive que la Commission avait de cet article ; le texte même ne fait pas de l'adaptation une possibilité, mais une obligation, il dispose que « le Conseil propose des politiques adaptées », et non qu'il « peut proposer ». Il ne faut pas reculer sur cet article. Ce qui a été reconnu comme nécessaire au développement économique des RUP en application de l'article 349 du TFUE le reste aujourd'hui : c'est un argument politique à développer contre la proposition de la Commission, qui contredit sur ce plan l'article 349, et nous devons utiliser cet argument pour la faire reculer.

Sommes-nous bien coordonnés avec les régions ? Oui, et au-delà des outre-mer, nous sommes coordonnés avec Régions de France, dont le directeur général, Frédéric Potier, ancien conseiller outre-mer de Manuel Valls puis de Bernard Cazeneuve, est particulièrement sensible aux questions ultramarines - j'ai des échanges réguliers avec lui et nous prenons grand soin d'avancer groupés.

Concernant les réformes possibles du Posei, il faut commencer par dire que ce programme fonctionne bien, car il a des objectifs clairs : pousser à la structuration et à l'organisation du monde agricole des outre-mer dans toutes ses composantes. Cela concerne tant les filières d'expédition - je dis « expédition », car avec « exportation », on a l'impression que l'on n'est plus en France -, comme la banane ou la canne, qui sont de puissants vecteurs d'emplois locaux, que les filières destinées à la consommation locale, pour la diversification que vous avez évoquée. Notre position est que tout le monde doit avoir les moyens de fonctionner - et que nous devons éviter de nous opposer les uns aux autres, comme on nous y pousse régulièrement. L'agriculture doit avoir les moyens de fonctionner. Ce n'est pas parce qu'il y aura moins d'argent pour la banane qu'il y en aura plus pour la diversification, ni parce qu'il y aura moins de canne à La Réunion qu'il y aura plus de boeufs. Nous constatons en réalité une interdépendance entre les filières d'exportation et celles destinées à la consommation locale au sein de chaque exploitation. À La Réunion, par exemple, quasiment tous les agriculteurs qui font de la diversification ont aussi un ou deux hectares de canne. Pourquoi ? Parce que, quand le vent souffle et que votre serre est emportée, vous n'avez plus rien - alors que la banane aux Antilles et la canne à la Réunion, sont des cultures qui s'arrachent en dernier dans des conditions cycloniques ou climatiques extrêmes. Nous devons tous nous préparer à affronter les changements climatiques, il nous faut des cultures dites résilientes, c'est-à-dire qui continuent à pousser quand il fait chaud et qui évitent de polluer la terre et ceux qui la travaillent. Contrairement à bien des idées reçues, nous sommes en outre-mer en avance par rapport à l'agriculture hexagonale, car nous disposons d'outils d'aide et d'appui, dont beaucoup sont européens, qui nous permettent de gérer une production en réduisant au maximum notre impact. Les filières banane et canne, mais aussi la diversification, ont des taux de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires qui, s'ils étaient appliqués de la même manière en France hexagonale, feraient de nous un pays quasiment vert.

Quant aux PTOM, leur budget est de 164 millions d'euros dans la programmation actuelle ; il est prévu qu'il passe à 425 millions d'euros dans le prochain CFP, dont 225 millions pour le Groenland. Les crédits seront donc au rendez-vous pour l'ensemble des PTOM. 

Quelles conséquences la proposition de la Commission risque-t-elle d'avoir sur les politiques nationales ? Nous y voyons surtout celui de la compétition entre l'Hexagone et les outre-mer pour l'utilisation des fonds entre la politique régionale, la politique agricole, la politique de la pêche : quelqu'un y perdra. Personne ne peut croire qu'il y aura moins de crédits, mais que la baisse ne concernera que les autres. Les réalités vont apparaître crûment dans les lois de finances. Moins de budget pour la politique régionale, c'est moins de crédits dans toutes les régions françaises, moins de possibilités de cofinancer des projets ou une baisse très importante des taux de cofinancement de l'Union européenne. Dans tous les cas, l'ensemble est fragilisé. Cette proposition est donc mauvaise pour tous les territoires et pour l'ensemble des politiques nationales, puisque presque toutes sont financées ou cofinancées par des fonds européens.

Madame Pétrus, je vous répondrai par écrit sur Interreg Caraïbes.

Quelles conséquences aura l'extension de la taxe carbone sur le transport aérien entre la métropole et les outre-mer ? Elle contribuera à enfermer les habitants des outre-mer chez eux, il faut le dire aussi simplement que cela. Nous sommes loin, et pour venir en métropole, pour sortir de nos territoires, il nous faut prendre l'avion, cela émet du CO2. Nous sommes des Européens, et la dérogation dont nous bénéficions de manière très encadrée, est censée s'arrêter en 2031 : ce n'est pas acceptable, il faut qu'elle soit pérenne et il faut que ce soit clair pour tout le monde et arrêter de faire peur inutilement sur ce sujet ; on sait bien qu'à la fin, il y aura une dérogation : disons-le d'emblée et gagnons du temps.

Il y a, ensuite, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) sur les industries fortement émettrices comme le ciment, l'hydrogène ou les engrais. À compter du 1er janvier prochain, de nouvelles taxes sont censées s'appliquer sur ces produits, aucune dérogation n'a été prévue, alors que nous avons cruellement besoin de construire des logements et de développer notre agriculture : ce n'est pas acceptable, nous devons être traités en Européens...

M. Akli Mellouli. - Attention aux raccourcis ! On ne peut pas renoncer à lutter contre le réchauffement climatique, c'est une priorité pour tous - et il faut regarder les problèmes dans leur ensemble, pour trouver les meilleures solutions. Quand on fait transiter par Rungis des denrées alimentaires pourtant produites dans votre voisinage, ce n'est pas une bonne solution, et c'est une raison supplémentaire pour développer l'agriculture outre-mer, pour en diversifier les productions agricoles. Nous savons aussi que dans les Caraïbes, l'emprise du narcotrafic et des trafics d'armes s'accentue : si nous n'arrivons pas à lutter contre ces fléaux en donnant des conditions de vie dignes à nos concitoyens ultramarins, il est certain qu'ils se tourneront vers l'illégalité. Autre exemple, les sargasses : il est inconcevable d'en laisser le fardeau aux communes, alors que le problème est international et qu'il devrait faire l'objet d'un accord entre l'Europe et les États-Unis. Attention, donc, aux raccourcis, le changement climatique pose des problèmes complexes auxquels nous devons nous atteler sans présentations réductrices, pour trouver des solutions incitatives, plutôt que punitives.

M. Benoît Lombrière. - Je vous rejoins tout à fait, en disant que les mesures qui sont prises, sont punitives pour les ultramarins.

Le MACF concerne l'acier, le ciment, l'aluminium, les engrais et l'hydrogène. Notre réglementation dispose que si vous importez ces produits de pays qui n'ont pas nos normes environnementales, vous êtes taxé : c'est bien logique, tant qu'il y a une alternative. Or, dans les départements d'outre-mer, il n'y a pas d'alternative, nous n'avons aucune autre solution que de faire venir les produits de loin. Le paradoxe, c'est que si nous faisons venir un produit de près, de la Dominique par exemple, pour l'importer en Guadeloupe ou en Martinique, nous faisons appel à un État tiers et nous sommes taxés ; si nous ne voulons pas payer cette taxe, on doit faire venir ces produits de métropole - alors qu'il y a une usine bien plus proche, ce n'est pas cohérent. Mon propos a pu paraître réducteur parce que je l'ai raccourci, je ne conteste nullement le bien-fondé des mesures environnementales, mais j'indique qu'elles sont punitives lorsqu'il n'y a pas d'alternative, ce qui est notre cas. Et sur le fond, sur la lutte contre les causes du narcotrafic, ou encore sur les sargasses, je suis bien d'accord avec vous.

Quelle stratégie adopter ? Nous sommes engagés dans une négociation qui sera très longue - plus de deux ans - et dans laquelle nous devons avancer brique par brique, avec méthode. Nous avons mis en mouvement le monde professionnel et économique, nous sommes rejoints et appuyés par une bonne partie du monde politique des régions d'outre-mer, et soutenus par les représentations parlementaires nationales et européenne. Désormais, le dialogue va s'engager entre le Parlement européen et les États membres. Le Sénat, qui a toujours été très impliqué dans la défense des outre-mer et qui a une voix particulière lorsqu'il s'agit de défendre les territoires, bénéficie, à Bruxelles comme à Paris, d'une très bonne réputation, celle d'une institution qui connaît bien les politiques européennes et communautaires. Votre proposition de résolution européenne constitue donc une première étape, elle a l'avantage d'être prise par le Sénat tout entier.

Ensuite, le processus va durer très longtemps, il faut être persistant et ne pas s'épuiser ; c'est la stratégie de négociation habituelle, il faut y aller pas à pas. Jusqu'ici et par comparaison à des négociations précédentes, les institutions réagissent assez bien : la France a réagi par la lettre du Premier ministre, le Parlement européen également, y compris le groupe de la droite européenne, alors qu'il soutient la présidente de la Commission européenne et que le commissaire à l'agriculture en est issu - il n'était pas évident pour la droite européenne de se joindre à la gauche de l'hémicycle. Tout le monde a donc fait preuve de responsabilité. Sur la gauche de l'hémicycle, les mises en cause de la proposition se font de manière très constructive, nous ne sommes pas dans des postures. J'ai le sentiment que tout le monde prend cette négociation avec beaucoup de sérieux et de concentration.

Ensuite, il faut maintenir cette dynamique dans le temps, avec une difficulté qu'il ne faut pas cacher : l'instabilité gouvernementale, mais aussi le fait qu'au milieu des négociations, nous changerons de président de la République, ce n'est pas une position très confortable pour les autorités françaises.

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Merci pour votre disponibilité. Nos travaux feront l'objet d'un rapport, avec des recommandations, et nous serons très vigilants sur la mobilisation des fonds structurels.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 20.