Le véritable compte rendu des événements est une lettre du colonel Lacondamine, commandant les sapeurs pompiers de la Ville de Paris, adressée au général de division Soumain, commandant la place de Paris. Il écarte définitivement la possibilité d'un incendie dû au calorifère. Il en avance une autre sur l'imprudence des ouvriers utilisant du feu pour des travaux dans les combles.
Le Grand Référendaire a écrit à ce chef des corps pour le prier de passer à son cabinet. M. de Lacondamine s'est empressé d'obtempérer à cette demande. Il a remis au Grand Référendaire la copie du rapport par lui adressé le 28 octobre à M. le Général Soumain, commandant la Place de Paris (voir ci-dessous). Aux différentes questions que le Grand Référendaire a adressées au Colonel Lacondamine, celui-ci a répondu que, dans son appréciation, et en raison de la grande expérience que les divers incendies qu'il a combattus lui ont donné, il pensait que le sinistre du 28 octobre était dû à la négligence des ouvriers qui fréquentaient la coupole au-dessus de la salle des séances du Sénat. M. le Colonel a repoussé avec une entière conviction la supposition que le feu avait pu être communiqué par les cheminées du calorifère, puisqu'elles sont entièrement intactes, et que d'ailleurs le calorifère n'était point encore allumé au moment où l'incendie a éclaté.
Le colonel a repoussé avec la même conviction la supposition d'une combustion spontanée, qui aurait pu se produire dans quelques chiffons en petite quantité, qui se trouvaient dans un local attenant à la chambre du lustre, et qui avaient servi à le nettoyer. Restait donc la malveillance ou l'imprudence, seule cause du désastre. Le colonel ne croit pas au premier cas, mais il adopte complètement la seconde supposition. Le rapport du colonel a été joint à cette déclaration.
Le rapport du colonel Lacondamine
Paris, le 28 octobre 1859.
A M. le Général de division Soumain, commandant la Place de Paris
Mon Général,
J'ai l'honneur de vous rendre compte que le feu a pris vers une heure, dans le comble de la salle des séances du Sénat (Palais du Luxembourg) à 1 heure œ, les postes de la rue de Clovis et du Mont de Piété (rue Bonaparte) ayant été prévenus, s'y sont immédiatement transportés, et les caporaux Guérin, de la 5e compagnie, et Billan, de la 4e compagnie, ont attaqué : quelques minutes après sont arrivés d'abord un détachement de la 4e compagnie commandé par le capitaine Billard de Veaux et composé de 3 sous-officiers, 6 caporaux, 20 sapeurs et 2 clairons, puis un détachement de la 5e compagnie, sous les ordres du capitaine Gramet et du lieutenant Bernié, et composé de 5 sous-officiers, 12 caporaux, 36 sapeurs et un clairon. Enfin, à 2h, j'arrivais avec le major ingénieur, l'adjudant major et l'adjudant Cussot, à ce moment l'attaque générale s'est complètement organisée. Trois pompes battaient la coupole de la salle des séances, une quatrième pompe était dans la salle éteignant les brandons qui y tombaient et cherchant aussi à battre le bas de la coupole. Six autres pompes servaient comme pompes alimentaires.
L'architecte ayant déclaré qu'il y avait du danger à rester sur la coupole, il ne fut pas possible d'attaquer le feu directement et les jets n'ayant pu être dirigés que très obliquement, le feu la gagna presque totalement et elle tombait par petite partie. Vers 5 heures du matin, le breuil du lustre, qui est en fonte et bien lourd, étant tombé dans la salle, en traversa le plancher qui déjà était très surchargé par les matériaux tombés de la coupole, et aussi par l'eau venant des pompes. Une partie du plancher, d'environ 4 mètres 50 millimètres de diamètre, fût précipité dans le vestibule qui est au dessous de la salle ; malheureusement le sergent major Labaste et le caporal Rosier étaient dans ce vestibule occupés à pratiquer, dans le plafond avec des haches, des ouvertures pour l'écoulement des eaux et ils furent ensevelis sous les décombres. Le caporal Rosier n'a rien de fracturé, mais il est horriblement contusionné. Quant au sergent major Labaste, il a le péroné de la jambe gauche cassé, le corps tout contusionné et la tête extrêmement meurtrie. Tous deux ont été portés à l'hôpital. Dans ce moment, nous étions maîtres du feu partout, il n'y avait plus que quelques petites parties qui s'enflammaient ça et là.
Vers 6 heures, M. le Général commandant la Place me donnait l'ordre de renvoyer une partie des troupes. A 8 heures, ne voyant plus aucun danger, je me retirai, en laissant des instructions au lieutenant Lorme qui venait avec un détachement de 30 hommes, relever les deux petites postes, les 4e et 5e compagnie.
M. le Maréchal ministre de la guerre, M. le Général de division commandant la place, M. le Général chef d'Etat major général et M. le Préfet de police étaient présents.
La police a été faite par des fortes brigades de sergents de ville et plusieurs officiers de paix sous les ordres de M. Monvalle, commissaire de police, qui s'est multiplié pour l'organisation des chaînes et l'arrivage de l'eau.
La Garde de Paris, les 20e, 28e et 62e de ligne ont fourni des détachements, savoir :
La Garde de Paris : 300 hommes
Le 20e de ligne : 80 hommes
Le 28e de ligne : 400 hommes
Et le 62e de ligne : 388 hommes
Ce feu, mon Général, quoiqu'extrêmement difficile : 1° à cause de la multiplicité des couloirs qui conduisent à la salle des séances, 2° des escaliers qui conduisent à la coupole, 3° de la hauteur et de la disposition de cette coupole, 4° enfin de l'éloignement de l'eau qu'on était obligé de prendre dans la pièce d'eau qui se trouve dans le jardin en face du Palais, a été attaqué avec la plus grande vigueur, et ainsi que vous avez pu en juger par vous-même, puisque vous ne nous avez pas quittés, tous mes hommes ont fait grandement leur devoir ; quelques uns se sont conduits d'une manière toute particulière. Je crois qu'ils méritent une récompense. J'ai, en conséquence, l'honneur de vous demander, mon Général, 1° que le Lieutenant Bernié, qui n'a pas cessé de surveiller la coupole, qui a été exposé à la fumée et qui n'a pas craint de rester pendant fort longtemps au point le plus dangereux, soit nommé Chevalier de la Légion d'honneur. Cet officier compte des longs et bons services et il a été proposé pour cette faveur à l'Inspection générale dernière.
2° que le sergent major Labaste, qui a été enseveli sous les décombres et qu'on en a retiré mutilé, soit décoré de la médaille militaire. Labaste occupait un poste très périlleux au moment de l'écroulement.
3° que le Sergent Delannoy, qui n'a pas cessé d'occuper le poste le plus difficile à la coupole, et qui par son énergie et son courage a empêché les flammes de gagner les pièces voisines du feu, soit décoré de la médaille militaire.
4° que le Caporal Dufau qui, par son adresse et son courage, s'est maintenu avec sa lance pendant plusieurs heures à un point très périlleux et très important, soit décoré de la médaille militaire.
5° Enfin que les 23 militaires désignés à l'état ci-joint reçoivent des gratifications en récompense de la belle conduite qu'ils ont eu pendant tout le temps qu'a duré ce grand sinistre.
Je ne terminerai pas mon rapport sans vous informer, mon Général, que M. le docteur Passant, faisant fonction de médecin aide major au bataillon, n'a pas quitté le lieu du sinistre et qu'il a parfaitement soigné les blessés et que M. Roussel, chef des huissiers de la Chambre , a fait son possible pour que mes hommes ne manquent de rien.
Je ne dois pas non plus vous laisser ignorer, mon Général, que M. Balestrino, chef de la Police municipale, et M. Primorin, sous-chef, étaient présents au feu, et que ces messieurs ont beaucoup contribué à la bonne organisation des secours.
Je suis, avec respect, mon Général, votre très humble et très obéissant serviteur.
Le lieutenant colonel commandant le corps des sapeurs pompiers
Signé : de Lacondamine