L'incendie dans la presse
Quelques articles paraissent dès le lendemain dans la presse : le Journal des débats, l'Illustration et le Moniteur univers
Journal des débats
29 octobre 1859
La salle des séances du Sénat, au palais du Luxembourg, vient d'être en partie détruite par le feu. La nuit dernière, vers une heure et demie, un incendie s'est déclaré dans les combles d'un bâtiment attenant à cette salle, à gauche, et le feu s'est propagé si rapidement qu'en quelques instants il s'est fait jour à travers la toiture et a menacé sérieusement les autres dépendances du palais.
L'alarme a été donnée immédiatement, et peu après sont arrivés au pas de course, sur le lieu du sinistre, les sapeurs-pompiers de tous les postes environnans, avec leurs pompes ; plusieurs brigades de sergens de ville, le commissaire de police de la section du Luxembourg, de forts détachemens de troupes de la garde de Paris, des 20e, 28e et 68e régimens de ligne, avec les colonels en tête.
Le service de sauvetage a pu être promptement organisé sur de larges bases sous la direction du colonel de Lacondamine du corps des pompiers. Le feu a été énergiquement attaqué et a pu être d'abord maintenu dans son foyer primitif ; mais peu après le plancher de l'étage supérieur s'est écroulé sur celui qui était au-dessous, et l'incendie a gagné les combles de la salle du Sénat et le bâtiment du côté opposé. Alors les débris embrasés sont tombés des deux côtés sur cette salle et ont déterminé la chute de la coupole. Une partie de l'ameublement avait pu être enlevée ; l'autre partie a été réduite en cendres, mais les statues n'ont été que faiblement endommagées. Les deux corps de bâtiment à droite et à gauche ont éprouvé des dégâts considérables. Les autres dépendances du palais ont été entièrement préservées, et l'on ne voit à l'extérieur aucune trace de l'incendie, qui a été maintenu à l'intérieur. Le feu a pu être complètement éteint vers six heures du matin.
Le ministre de la guerre et le général Soumain, les autorités municipales du 11e arrondissement, le préfet de police, le chef de la police municipale, le chef du service de sûreté, etc., arrivés sur les lieux dans les premiers momens ne se sont retirés qu'après l'extinction de l'incendie. On est unanime pour reconnaître que c'est à la promptitude et à l'abondance des secours ainsi qu'à la bonne direction des travaux qu'on doit d'avoir pu sauver les autres dépendances. Tous les travailleurs civils et militaires ont rivalisé de zèle et de courage dans cette circonstance ; plusieurs d'entre eux ont été plus ou moins grièvement blessés.
Le ministre de la guerre et le général Soumain se trouvaient dans la salle des séances pour examiner les progrès du feu et donner des instructions pour les combattre, lorsque la coupole s'est détachée ; sans une prompte retraite, ils auraient pu être écrasés : ils n'ont heureusement été blessés ni l'un ni l'autre.
Quatre travailleurs ont été blessés ; ce sont le sergent-major Labaste, du corps des pompiers, qui a eu la jambe gauche fracturée ; le caporal Rozier, du même corps, qui a reçu de graves contusions à la tête et sur le dos ; ils ont été portés à l'hôpital du Val-de-Grâce après avoir reçu sur place les premiers soins. Les sieurs Henry et Meyer, cantonniers employés dans les dépendances du palais du Luxembourg, ont aussi reçu des blessures, mais moins graves, et dont les suites ne paraissent pas devoir être dangereuses.
D'après l'enquête qui a été ouverte sur le champ par le commissaire de police de la section, la cause de cet incendie paraît être tout à fait accidentelle ; on pense qu'il a été communiqué par la cheminée du calorifère.
On avait répandu le bruit que la bibliothèque et les archives avaient été atteintes ; un pareil malheur, qui eût été irréparable, n'est point à déplorer, et cette partie de l'édifice n'a eu nullement à souffrir.
Les grilles du jardin du Luxembourg sont restées fermées aujourd'hui pour permettre aux ouvriers d'enlever les débris du feu.
L'Illustration, journal officiel
5 novembre 1859
L'une de ses œuvres, la plus belle peut-être, la Mort de César, fait partie de la galerie du Luxembourg. M. Court avait obtenu l'autorisation de l'en retirer peu avant l'incendie qui a failli détruire le palais. C'est dans la salle où le Sénat tient ordinairement ses séances, que le feu aura fait le plus de ravages. Des combles, où il venait d'éclater, il s'était communiqué rapidement à la charpente, menaçant la coupole qui surmonte la salle des séances. Une ouverture pratiquée pour faciliter l'écoulement des masses d'eaux dirigées contre l'incendie ne peut en débarrasser le plancher de la salle, qui s'écroula bientôt en même temps que la coupole. Il ne paraît pas, du reste, que les désastres occasionnés par le sinistre aient été aussi graves qu'on le pouvait craindre ; l'incendie a épargné les peintures, tableaux et décorations. Il n'y a eu d'atteint et de perdu que les pendentifs d'Abel de Pujol, qui décoraient la coupole.
Philippe Busoni
Le Moniteur universel, le Journal officiel de l'Empire français
29 octobre 1859
Faits divers
Vers une heure du matin, le cri au feu ! partant simultanément de la rue de Tournon et de la rue de Vaugirard, et répété par la sentinelle du poste de la cour du Sénat, avertit qu'un incendie considérable venait d'éclater au milieu du palais du Luxembourg. Les flammes avaient, dès l'abord, pris un tel développement, que l'espoir de se rendre maître du feu était bien faible parmi les personnes qui, les premières, avaient répondu aux cris d'alarme.
Les pompiers des casernes les plus voisines arrivèrent peu après sur le lieu du sinistre, et furent bientôt successivement suivis par des détachements nombreux de la garde de Paris et de divers autres régiments de la garnison.
Le feu avait pris dans les combles couvrant le grand hémicycle de la salle des séances. La toiture était déjà entièrement en feu, et les étincelles qui s'en échappaient, pour retomber sur les autres points du palais, causaient les plus vives alarmes. Parviendrait-on à préserver la salle des séances en faisant de la toiture la part du feu ? Telle était la grande question. On l'espéra un moment, mais il fallut bientôt renoncer à cet espoir ; la charpente enflammée, en s'écroulant, écrasa par son poids d'abord la coupole et ensuite le plancher formant le sol de la salle des séances.
Malheureusement, au moment de cet écroulement général, quelques personnes, obéissant à des ordres qui leur avaient été donnés, étaient occupées au rez-de-chaussée à pratiquer sous le plancher de la salle des ouvertures destinées à l'écoulement des eaux. Quatre de ces personnes, deux pompiers et deux hommes de service du Luxembourg, se trouvèrent ensevelis sous ces masses de débris de toute nature, des étreintes desquelles on ne tarda pas à les dégager. Deux de ces personnes, un sergent-major des pompiers et un cantonnier du Luxembourg, sont grièvement blessés.
Dès le début de l'incendie, on avait par précaution enlevé une partie du mobilier de la salle des séances.
Des pompes, habilement dirigées, ne cessèrent, depuis le grand écroulement des parties supérieures de l'édifice, d'inonder cet immense foyer de façon à ce que cahcun des débris fût, en quelque sorte, noyé dans des torrents d'eau. C'est ainsi que l'on a pu préserver les riches boiseries de la salle de toute atteinte sérieuse, et aussi, nous sommes heureux de le constater, une partie des objets d'art, peinture et sculpture, qui ornaient l'enceinte législative.
La conduite du colonel de Lacondamine a été, durant cette longue et pénible nuit, au-dessus de toute éloge. Tous les officiers du corps des pompiers payaient, comme le colonel, de leur personne dans les moments les plus périlleux.
S. Exc. Le maréchal Randon, ministre de la guerre, S. Exc. Le marcéhal Magnan, le préfet de police, le général Soumain, commandant de la place de Paris, le général Devilliers et plusieurs autres officiers supérieurs s'étaient rendus pendant l'incendie au palais du Luxembourg, et ne l'ont quitté que lorsque le feu, complètement maîtrisé, ne pouvait laisser aucune appréhension. S. Exc. Le président Troplong et le vice-président Royer s'étaient également rendus sur les lieux du sinistre.
Les élèves des écoles et les habitants du quartier du Luxembourg, précédant l'arrivée des troupes, ont secondé avec le plus grand zèle les pompiers dans la formation des chaînes et le maniement des pompes.
M. le curé de Saint-Sulpice et plusieurs ecclésiastiques sont accourus, prêts à donner aux blessés, s'il était besoin, leurs secours spirituels.
La perte est grande sans doute ; mais elle eût été beaucoup plus importante si le feu avait atteint la riche bibliothèque, les précieuses archives du Sénat et la collection de peinture et de sculpture des artistes vivants.
Ce matin, à sept heures, tout danger avait cessé ; le reste de la journée a été consacrée aux mesures de précaution jugées nécessaires.
La salle des séances du Sénat, dont la partie supérieure vient d'être complètement incendiée, a été construite il y a une vingtaine d'années, par M. de Gisors ; décorée, pour les peintures, par MM. Abel de Pujol, Vauchelet et Blondel ; pour les sculptures en marbre, par MM. Dumont, Etex, Ramus, Debay, Valois, Maindron, Seurre et plusieurs autres artistes de même renom ; pour celles en bois, par MM. Triqueti, Elschoett et Klagmann. Ces dernières sont demeurées intactes, ainsi que les statues en pied de Mathieu, Molé, Turgot, Portalis, Colbert, Lhospital, Daguesseau, Malesherbes, Saint-Louis et Charlemagne. Les bustes des maréchaux Masséna, Montebello, Trévise et Gouvion Saint-Cyr sont également restés à l'abri des atteintes de l'incendie. Mais les peintures de MM. Abel de Pujol et Vauchelet n'ont pas eu le même sort. Contre toute attente, celles de Blondel, quoique longtemps exposées au feu, n'en ont que peu souffert.
Par un bonheur assez longtemps inespéré, la principale galerie de la bibliothèque, attenant au foyer de l'incendie et pouvant lui être un nouvel aliment, a été préservée. Il en a été de même avec celle dite des Archives, sur les vitraux de laquelle une pluie d'étincelles et de charbons incandescents, poussés par un vent du sud, venait déjà s'abattre, et où un service de surveillance a été organisé à temps. On sait que la coupole de la principale galerie de la bibliothèque, représentant l'Elysée des grands hommes, décrit par le Dante au 4e chant de l'Enfer, a pour auteur M. Eugène Delacroix, et que le reste principal du plafond est de Camille Roqueplan. On y remarque, entre autres statues, celles d'Etienne Pasquier et de Montesquieu.