Déclaration du Gouvernement sur les résultats du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007

M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les résultats du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007 concernant la réforme des traités.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. - « Si l'Europe a été tirée dans plusieurs directions opposées par des hommes qui n'avaient pas la même idée de son destin, j'y vois beaucoup de temps et d'efforts perdus, mais rien qui contredise la nécessité de l'unir. » Cette phrase de Jean Monnet éclaire la nature même de la construction européenne, conflictuelle, incertaine, douloureuse. Chaque chapitre de promesses est balancé par une crise, chaque temps d'espoir par un moment de doute. Mais l'instabilité est toujours génératrice de progrès.

« La présidence allemande, qui a reçu pendant ces deux jours et nuits passés à Bruxelles le renfort efficace de plusieurs chefs d'État et de gouvernement, dont M Sarkozy, a fait gagner des années à la construction européenne. Que peut-on attendre du compromis ? Tout d'abord un meilleur fonctionnement des institutions, avec un président permanent du Conseil européen, des modalités de vote améliorées, mais seulement à partir de 2014, l'extension du vote à la majorité qualifiée dans certains domaines et des pouvoirs accrus de codécision du parlement européen. » Nous sommes plusieurs, ici, toutes sensibilités confondues, à approuver ce propos du grand européen qu'est Jacques Delors. Oui, le compromis trouvé au Conseil de juin était inespéré. Certes, le traité simplifié n'a pas l'ampleur symbolique du défunt traité constitutionnel ; certes, des aménagements ont été nécessaires pour satisfaire les exigences de certains ; mais souvenons-nous de la situation dans laquelle nous nous trouvions il y a quelques semaines ! Qui, alors, pensait à une victoire ?

M. Hubert Haenel. - Un miracle !

M. Bernard Kouchner, ministre. - La France semblait déchirée pour longtemps par le référendum du 29 mai 2005, elle se résignait à être peu à peu exclue de l'Europe. A Madrid, en janvier dernier, la réunion des dix-huit pays du « oui » eut valeur de symbole : un grand rendez-vous européen sans la France ! Chaque jour, notre pays semblait s'éloigner de l'Europe ; chaque jour, il était plus isolé. A la veille du Conseil dominaient la morosité, la frilosité, le doute. Rares étaient ceux qui pronostiquaient une issue positive -je n'en étais pas moi-même. La voie paraissait bouchée.

Au fil des échanges, on a vu pourtant les réticences tomber les unes après les autres, pas nécessairement de gaité de coeur ; peu à peu des alliances inespérées se sont reconstruites. Sous l'influence décisive de la présidence allemande, grâce aux pressions du Président de la République, au sens des responsabilités du Président de la commission, à la bonne volonté de M. Socrates, au dialogue mené avec le Premier ministre hollandais et avec M. Blair, grâce aussi à l'engagement des Polonais, une solution acceptable par tous s'est dégagée.

L'Européen acharné que je suis, à qui le 29 mai 2005 -qui exprimait malgré tout de vrais doutes et de vraies peurs sur la nature de l'Union- avait laissé un goût amer, peut aujourd'hui exprimer son profond soulagement. Le vote des Français a été pris en compte, les blocages sont dépassés. Le Président de la République a proposé, imposé l'idée d'un traité simplifié ; comme il l'a dit, la France est de retour en Europe, non une France égoïste, obnubilée par ses peurs, mais une France ouverte aux autres, fidèle à elle-même et à l'esprit européen. Les compromis, en Europe, se font toujours aux dépens de soi, de ses propres certitudes.

Depuis le 23 juin au matin, le mandat est clair et unanimement approuvé : une Conférence intergouvernementale doit conduire à la signature d'un nouveau traité institutionnel avant la fin de l'année.

Il sera composé d'un traité relatif à l'Union européenne et d'un traité relatif au fonctionnement de l'Union européenne. La formulation est certes alambiquée, mais les avancées sont décisives. Tel sera le mandat de la CIG qui s'ouvrira sous la présidence portugaise le 24 juillet prochain à Bruxelles, un mandat précis, détaillé presque article par article. J'ai confiance en la présidence portugaise, même si ce sera difficile, et j'espère que nous pourrons aboutir à une ratification rapide par tous les États membres, pour que le traité entre en vigueur avant les élections de juin 2009 au Parlement européen.

J'en viens au contenu. Dans ce débat nécessaire, préalable au débat de ratification, le Parlement doit disposer de tous les éléments. Nous avons entendu des interrogations légitimes, bien que parfois contradictoires, sur ce projet. Pour certains, il ne ferait que resservir aux Français ce qu'ils ont rejeté en 2005. Pour d'autres, il n'apporterait rien de nouveau par rapport au traité de Nice. J'entends répondre à ces deux objections. L'accord de Bruxelles s'est fait autour de l'idée de traité simplifié avancée par le Président de la République lors de la campagne. Son objectif est simple et ambitieux : réconcilier les exigences des Français qui ont dit non et celle de nos partenaires qui ont dit oui. À la volumineuse et incertaine Constitution -appellation controversée-, qui revisitait la réalité européenne depuis 1957, se substitue un texte court, qui reprend l'indispensable.

Ceux qui connaissent la réalité européenne savent que se trouver face à une assemblée de vingt-sept membres est une expérience difficile. Il faut trouver d'autres modalités de dialogue qu'à douze ou quinze.

Les éléments symboliques -drapeau, hymne, devise et terme de « constitutionnel »- n'y figurent plus. A tort ou à raison, ils incarnaient, aux yeux de beaucoup, un super État européen. Ils ont donc été supprimés, puisque tel était le mandat reçu des Français. La France n'a pas voté non par mégarde et nous étions face à ceux, beaucoup plus nombreux, qui ont voté en faveur du traité.

Pour répondre à la crainte, exprimée par les Français, que l'Europe ne les protège pas de la mondialisation, nous avons obtenu que la « protection des citoyens » devienne l'un des objectifs de l'Union dans ses relations avec le reste du monde. Ce nous sera un levier pour mieux lutter contre les délocalisations.

A la demande de la France, la « concurrence libre et non faussée » ne sera plus un objectif de l'Union, mais un outil au service d'une croissance économique équilibrée, du plein emploi et du progrès social. Cela ne vous aura pas échappé, surtout à gauche : il y a là plus qu'une nuance juridique.

Ces avancées prouvent que le vote des français a été pris en compte. Il n'y a ni duperie, ni duplicité, ni dissimulation.

Loin de sonner le glas de nos ambitions, ce projet incarne le renouveau de l'esprit et de la méthode européens pour une Europe plus efficace, plus démocratique, plus protectrice.

Un Président dirigera le Conseil européen pour deux ans et demi, assurant la continuité du fonctionnement de l'Union et une meilleure visibilité de l'institution pour les citoyens. À nous aussi de la rendre lisible, mieux qu'auparavant.

Un « Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » désigné pour cinq ans sera la voix unique de l'Europe dans les crises. « Haut représentant » et non « Haut commissaire », comme je l'ai entendu dire tout à l'heure, ce qui, je vous l'accorde, aurait eu certains relents de colonialisme.

La Commission, quant à elle, verra le rôle de son Président renforcé. Désormais élu par le Parlement européen sur proposition du Conseil, associé à un nombre réduit de commissaires -deux tiers du nombre d'États membres-, il pourra, à compter de 2014, conduire plus efficacement et avec plus de cohérence les politiques communes.

Dans beaucoup de matières touchant directement la vie des citoyens -santé, énergie, coopération policière, coopération judiciaire en matière pénale, espace, protection civile...- les décisions pourront être prises plus facilement. Ces avancées amélioreront le fonctionnement de l'Europe, sans menacer nos intérêts fondamentaux. Le compromis de Luxembourg demeure.

Autre attente des Français : une Union plus démocratique. Le Parlement européen verra son rôle accru par l'extension de la procédure de codécision à de nouveaux domaines comme les fonds structurels, soit environ 300 milliards d'euros de 2007 à 2013. Le rôle de contrôle des Parlements nationaux sera renforcé par rapport au traité de Nice. Si un projet d'acte législatif est contesté, dans un Parlements national, par une majorité, la Commission sera tenue de le réexaminer. Elle ne pourra décider de son maintien que sur avis motivé. Le Parlement européen devra alors examiner cet avis en même temps que ceux des Parlements nationaux. Si 55 % des membres du Conseil et une majorité des membres du Parlement européen estiment qu'une proposition n'est pas compatible avec le principe de subsidiarité, l'examen du texte ne sera pas poursuivi.

Plus efficace, plus démocratique, le nouveau Traité assurera également une meilleure protection des citoyens.

La Charte des droits fondamentaux qui, dans le Traité de Nice, n'avait qu'une portée déclaratoire deviendra juridiquement contraignante et sera applicable dans tous les États membres, sauf le Royaume-Uni. Ceux qui militaient en faveur de cette charte s'en plaignent. Je dis : tant pis pour le Royaume-Uni.

Mme Éliane Assassi. - Tant pis pour les salariés du Royaume-Uni !

M. Bernard Kouchner, ministre. - Si l'on faisait voter les Anglais, ils voteraient non !

Mme Éliane Assassi. - Qui avait prévu que les Français voteraient non ?

M. Bernard Kouchner, ministre. - Je ne suis pas voyant. Ne revenez pas sans cesse au passé.

M. Robert del Picchia, vice-président de la commission. - Parlons d'avenir !

M. Bernard Kouchner, ministre. - Un protocole de même valeur juridique que les Traités reconnaîtra le rôle des services d'intérêt économique général, c'est-à-dire des services publics.

M. Pierre-Yves Collombat. - Non ! Ce n'est pas pareil.

M. Bernard Kouchner, ministre. - C'est l'un des objectifs poursuivis par la France depuis des années. J'ai été membre du Parlement européen et je me souviens des batailles que nous avons menées. Le traité reconnaît une grande marge de manoeuvre aux autorités nationales, régionales et locales dans la fourniture de ces services.

M. Jean Bizet. - Très bien !

M. Bernard Kouchner, ministre. - Le champ d'intervention de l'Union sera étendu, le principe de solidarité énergétique affirmé.

Certains nous reprochent la complexité du texte. Il est vrai que nous avons fait le choix d'un texte technique qui s'en tient au strict nécessaire et que nous l'avons voulu détaillé pour que l'accord soit le plus clair possible. Le mandat pour la CIG sera donc aussi simple que peut l'être un Traité qui ajuste, améliore et précise en quelques pages les règles de fonctionnement d'un espace de liberté, de sécurité, de justice, de prospérité et de solidarité partagées pour près de cinq cents millions de citoyens européens ! Nous veillerons à ce que la CIG rédige texte clair, un texte concret qui permettra de faire progresser l'Europe et ne peut que rendre espoir à ceux qui, comme moi, croient en la méthode de Jean Monnet, celle d'une Europe dont le rêve se nourrit d'avancées tangibles et progressives.

A Bruxelles, nous avons rassemblé différents cercles de solidarité autour d'une même ambition. Entre anciens et nouveaux membres, je n'ai ressenti qu'une volonté commune, je n'ai observé qu'une même détermination politique. Comme l'a souligné le Président de la République, c'était le retour de la politique en Europe.

Si j'avais le temps, je vous raconterais ces deux nuits où la France et l'Allemagne ont oeuvré ensemble à « sortir la construction européenne de l'enlisement. » J'ai cité Jack Lang.

M. Pierre-Yves Collombat. - Vous n'auriez pas une petite place pour lui ?

M. Bernard Kouchner, ministre. - Je le cite exactement : « Nicolas Sarkozy aura réussi, avec Angela Merkel, à sortir de l'enlisement la construction européenne ». (Marques d'ironie sur les bancs socialistes) Eh oui ! C'est la vérité !

M. Simon Sutour. - Il n'y a plus qu'à lever la séance !

M. Bernard Kouchner, ministre. - Oui, les efforts allemands et français ont permis d'aboutir à une position commune en Europe et ont rallié MM. Blair, Zapatero, Socrates et Juncker. Il aura fallu, certes, faire quelques concessions au Royaume-Uni (« Ah ! » sur les bancs CRC), mais les Britanniques ont eux aussi fait des concessions, notamment sur la majorité qualifiée, qui concernera de très nombreux domaines, l'Union sera dotée de la personnalité juridique, les piliers disparaissent, la perspective de créer un service diplomatique commun est conservée.

Ce n'est un secret pour personne, le partenaire le plus difficile à ramener dans la collectivité européenne fut la Pologne. Qu'aurions nous dû faire ? Poursuivre sans son accord, ni sans doute celui d'autres nouveaux États membres, une construction européenne conçue d'abord pour réconcilier et unifier le continent européen ? Laisser de côté le plus peuplé des pays qui souffrirent à l'Est ?

Comment les États qui auraient refusé ce compromis auraient-ils pu le justifier ? La Pologne a obtenu que la fameuse « double majorité » ne s'applique qu'à partir du 1er novembre 2014. Pendant une période transitoire, jusqu'au 31 mars 2017, tout État membre pourra demander qu'une décision continue d'être prise selon la règle de la majorité qualifiée de Nice. Sans cet accord, nous en serions de toute façon restés au Traité de Nice...

Les Européens ont donc fait le choix d'avancer ensemble dans la définition d'une nouvelle architecture pour l'Union.

Cet accord ne signifie pas que dans l'Europe à 27 nous ne devions ni ne pouvions toujours tout faire ensemble. Les conditions de déclenchement de coopérations renforcées seront assouplies, elles seront encore raccourcies dans le domaine de la justice et des affaires intérieures et elles seront rendues possibles en matière de défense commune.

Ces accords et ces négociations, ces clarifications et ces avancées permettent aujourd'hui aux Européens de tourner leurs regards vers l'avenir, de ne plus se focaliser sur des angoisses obsidionales et des désaccords ressassés mais de se diriger, avec des moyens et des outils rénovés, vers la construction d'une ambition européenne renouvelée. « C'est une bonne base de travail » a dit Dominique Strauss-Kahn. « Il y a de quoi faire » a ajouté Elisabeth Guigou ! (Marques d'agacement sur les bancs socialistes)

M. Simon Sutour. - Ce sont toujours les mêmes que vous citez !

M. Bernard Kouchner, ministre. - Ils m'importent, comme les autres...

M. Aymeri de Montesquiou. - Il fallait rééquilibrer !

M. Pierre-Yves Collombat. - Que de regrets, que de remords dans vos citations ! (On approuve sur les bancs CRC)

M. Bernard Kouchner, ministre - Allons donc, qui a obtenu ce résultat ?

Il y a beaucoup à faire pour réconcilier les citoyens avec le projet européen, pour mieux les informer, pour ne rien leur dissimuler. Par des débats, par des rencontres, par le dialogue, il nous appartient désormais à tous de les impliquer avant la ratification parlementaire : c'est ainsi que nous éviterons que se reproduise la triste coupure entre l'Europe et les Européens, qui nous a fait tant de mal.

C'est avec ce même souci du débat politique que nous aborderons la présidence française de l'Union qui démarre dans un an. Nous le ferons avec la perspective de mettre en oeuvre de nouveaux instruments et avec un crédit politique retrouvé auprès de nos partenaires. Il nous appartiendra de le faire fructifier, à partir de quelques priorités dont nous aurons l'occasion le débattre ensemble au cours des prochains mois.

Forts de ce nouveau Traité, nous devons désormais écrire la page des chantiers d'avenir : celle de politiques nouvelles et audacieuses pour la croissance et l'emploi, pour la sécurité et l'indépendance énergétiques, pour la protection de l'environnement, pour une politique d'immigration commune équilibrée, pour une politique étrangère de l'Europe plus affirmée, qui réunisse avec nous les pays riverains de la Méditerranée et montre sa solidarité avec le continent africain. Telle est notre feuille de route.

C'est par de telles ambitions que nous redonnerons du souffle et du coeur à l'Europe, avec les Européens. C'est ainsi que nous construirons avec cinq cents millions de femmes et d'hommes une Europe fidèle à son héritage humaniste, fière de son modèle social, sûre d'un projet économique rénové et dépouillée de ses oripeaux étatistes ou ultralibéraux. (Exclamations sur les bancs socialistes)

Oui, la France est de retour en Europe ! Saisissons cette chance pour agir et porter haut nos valeurs !

Je terminerai comme j'ai commencé, en citant Jean Monnet : « La construction européenne, comme toutes les révolutions pacifiques, a besoin de temps -le temps de convaincre, le temps d'adapter les esprits et d'ajuster les choses à de grandes transformations. Il y a aussi, toutefois, les circonstances qui bousculent le cours du temps et il y a l'occasion qui se présente à son heure : faut-il laisser passer cette heure sous prétexte qu'on ne l'attendait pas si tôt ? » (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du RDSE)

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'union européenne. - Très bien !

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

M. Robert-Denis Del Picchia, en remplacement de M. Serge Vinçon, Président de la commission des affaires étrangères. - L'Europe est enfin sortie de la crise institutionnelle dans laquelle elle était plongée depuis deux ans, à la suite des référendums français et néerlandais.

Le Conseil européen a aussi montré que la France était de retour en Europe et que le couple franco-allemand pouvait être efficace lorsqu'il se mettait au service de l'Union dans son ensemble et du rapprochement avec les autres partenaires européens.

L'action du Président de la République a été déterminante et il faut rendre hommage à son efficacité, ainsi qu'à celle de la présidence allemande.

Comme vous l'avez rappelé, qui aurait songé, il y a encore quelques mois, voire quelques semaines, que l'on parviendrait à concilier les positions des dix-huit pays ayant ratifié le traité constitutionnel, celles des États qui l'ont rejeté ou qui ont choisi de différer leur procédure de ratification ? Qui aurait parié que l'on réussirait à surmonter le blocage de la Pologne à propos de la double majorité ?

Aujourd'hui, l'Europe dispose d'une feuille de route. Un mandat clair et précis a été fixé à la conférence intergouvernementale pour aboutir à un nouveau traité, qui devrait entrer en vigueur avant les élections européennes de juin 2009.

Réformateur, ce nouveau traité le sera profondément.

Il donnera à l'Union européenne des institutions lui permettant de fonctionner efficacement à vingt-sept États membres : un Président stable du Conseil européen ; une Commission européenne resserrée ; un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, assisté par un service diplomatique commun, qui sera chargé de coordonner l'ensemble de l'action extérieure de l'Union ; le vote à la majorité qualifiée remplacera l'unanimité au sein du Conseil dans de nombreux domaines, comme la coopération policière et judiciaire.

L'Union européenne sera plus démocratique, grâce au rôle renforcé du Parlement européen et des Parlements nationaux. Enfin, la charte des droits fondamentaux aura une valeur juridiquement contraignante et l'Union européenne pourra agir dans de nouveaux domaines, comme l'énergie, l'espace ou la santé.

Certains ont regretté la complexité du système de la prise de décision au Conseil. L'essentiel est d'avoir préservé le principe de la double majorité.

Les dérogations obtenues par le Royaume-Uni concernant la charte des droits fondamentaux ou le domaine de la justice et des affaires intérieures soulèvent davantage d'interrogations. Comment expliquer que, dans un domaine aussi essentiel que la protection des droits fondamentaux, il y ait deux régimes distincts en Europe ? La Grande-Bretagne, qui ne participe ni à Schengen ni à l'euro, pourra rester à l'écart en matière de liberté, de sécurité et de justice. Ne se met-elle pas elle-même dans une position de repli à l'égard de la construction européenne ? Ne risque-t-elle pas d'entraîner dans son sillage d'autres États, peut-être un jour la Pologne ou l'Irlande ? Ne risque-t-on pas d'aboutir à une Europe à deux vitesses ou à la carte ?

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'union européenne C'est inévitable !

M. Robert-Denis Del Picchia. - Le nouveau traité permettra de réconcilier les Français qui ont dit oui et les Français qui ont dit non au référendum. Comme l'a dit le Président de la République à Strasbourg, l'enjeu actuel est de réconcilier l'Europe avec les citoyens.

Ces dernières années, l'Union européenne s'est sans doute trop concentrée sur les questions institutionnelles, s'éloignant ainsi de leurs préoccupations. Pour donner un sens à l'Europe, il ne suffit pas de réformer ses institutions. Il faut aussi que l'Europe sache susciter l'adhésion des citoyens, en se donnant les moyens de répondre à leurs angoisses et à leurs attentes.

Il faut donc partir de ces préoccupations pour rétablir la confiance.

La priorité, c'est la croissance et l'emploi. C'est la première et principale préoccupation des Français. Alors que pendant longtemps, la construction européenne a été synonyme de progrès et de prospérité, aujourd'hui, l'Europe ne répond plus aux attentes des citoyens dans un contexte marqué par l'atonie de la croissance, la persistance du chômage et les délocalisations. Pire, l'Europe n'apparaît plus comme une chance mais comme une menace au regard de la mondialisation.

Or l'Europe peut être un formidable levier pour adapter la mondialisation et résister à la toute puissance du marché. Comme l'a dit Nicolas Sarkozy, elle peut être un atout pour la croissance économique et la création d'emploi, si elle en a la volonté et s'en donne les moyens. Le bilan de la stratégie de Lisbonne est très décevant et la zone euro n'a pas rattrapé son retard en matière de croissance et de création d'emplois.

Dès lors que la politique monétaire se décide à l'échelon européen, on ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur les moyens de rendre plus efficace la coordination entre la politique budgétaire, la politique monétaire et la politique de change.

De même, comment préserver, au-delà de la diversité, l'originalité du modèle social européen, qui figure au coeur de l'identité européenne ? Dans une Europe élargie, plus hétérogène, la dimension sociale doit rester au centre du projet européen. Le nouveau traité comporte des avancées, comme l'introduction d'une clause sociale horizontale et l'ajout d'un nouveau protocole soulignant la spécificité et le rôle essentiel des services publics.

Les attentes des citoyens sont également très fortes dans le domaine de l'immigration, de la sécurité et de la justice.

Si des progrès ont été réalisés ces dernières années, par exemple avec le mandat d'arrêt européen, qui a remplacé la procédure d'extradition, l'unanimité, qui régit très largement ces matières, constitue un sérieux frein dans une Europe à vingt-sept.

Le nouveau traité remédie à ces difficultés en étendant le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil et en rendant plus aisé le recours aux coopérations renforcées.

Autre défi : bâtir une véritable politique étrangère et de défense. Pendant que l'Union européenne discute de savoir quel titre il faut donner à son ministre des affaires étrangères -et surtout pas « Haut Commissaire », je l'ai bien compris, Monsieur le ministre-, les Etats-Unis, la Russie et les nouvelles puissances émergentes comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, n'attendent pas. Or nous avons besoin d'une Europe forte, capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale, au Proche Orient, dans les Balkans ou ailleurs. Ainsi, en cas d'échec du Conseil de sécurité sur le Kosovo, les États membres seront-ils capables de se saisir de ce dossier et de conserver une approche commune ?

Qu'en est-il des relations avec la rive Sud de la Méditerranée et avec l'Afrique, qui présentent une importance particulière pour notre pays ? Le Président de la République a lancé récemment l'idée d'une Union méditerranéenne, sur le modèle de l'Union européenne, pour rapprocher les deux rives de la Méditerranée. Quelles initiatives compte prendre le gouvernement pour concrétiser ce projet et comment s'articulera-t-il avec le processus de Barcelone et le partenariat euro-méditerranéen ?

L'Europe de la défense a beaucoup progressé ces dernières années. Le nouveau traité permettra de nouvelles avancées, avec notamment la « clause de solidarité » et les « coopérations structurées ». Pour autant, un fait récent laisse songeur : l'annonce du déploiement d'éléments du système de défense anti-missiles américain en Pologne et en République tchèque. Comment expliquer que, sur un sujet de cette importance, qui concerne directement la protection du territoire et des citoyens européens, il n'y ait qu'un accord entre les États membres : ne pas en parler ! Il y a encore du chemin à faire vers une défense européenne réellement autonome !

Enfin, il y a l'enjeu de l'élargissement de l'Union. L'Europe doit un jour tracer ses frontières pour approfondir son projet. Disons le clairement : tout État qui respecte les critères n'a pas vocation à faire partie de l'Union européenne ! L'adhésion à l'Union européenne n'est pas un droit, c'est un acte de foi qui suppose l'adhésion à des valeurs communes, mais aussi le maintien de l'élan d'intégration. Cela ne veut pas dire pour autant que l'Union européenne ne doit pas approfondir ses relations avec ses voisins sur la base d'un partenariat privilégié. Une réflexion sur les frontières de l'Union est indispensable.

Sur tous ces sujets, la commission des affaires étrangères, qui a décidé récemment de constituer des groupes de travail pour suivre les travaux de la Conférence intergouvernementale, la politique étrangère et de sécurité commune ou encore le projet d'Union méditerranéenne, entend participer activement à la réflexion.

Le nouveau traité permettra à l'Europe de sortir de l'impasse institutionnelle dans laquelle elle était plongée depuis deux ans et de rendre son fonctionnement plus efficace, plus démocratique et plus transparent. Pour consolider l'Union, il ne suffit pas de perfectionner ses institutions. Il faut, dans le même temps, resserrer ses liens avec les citoyens. Cela passe par des progrès tangibles, qui manifestent aux yeux des citoyens que la construction européenne est à leur service. Pour ce faire, inspirons-nous de la méthode de Jean Monnet ! C'est autour de projets concrets, en matière industrielle et technologique comme Galiléo, en matière énergétique ou de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, ou encore en développant les échanges culturels et universitaires, à vingt-sept ou par une avant-garde de pays décidés à avancer, que l'on parviendra réellement à réconcilier l'Europe avec les citoyens. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne - C'est en qualité de Président de la délégation pour l'Union européenne que je m'exprime ce soir mais aussi en tant qu'ancien membre de la Convention qui a élaboré le Traité constitutionnel, ce qui me permet de porter un regard objectif et positif sur l'accord de Bruxelles. Partisan résolu de ce traité, j'ai accueilli avec beaucoup de regret le « non » des Français. Mais le devoir des partisans du « oui », c'était de se demander pourquoi les électeurs avaient dit « non » et d'en tirer les conséquences.

Il est toujours difficile de faire parler les urnes à l'issue d'un référendum parce que, dans nos réunions, nous rencontrons surtout les convaincus. Les Français n'ont pas voté « non » à ce qui, dans le traité, était là pour améliorer le fonctionnement de l'Union. Ce qui motivait les partisans du « non », c'était d'abord le sentiment que l'Europe ignorait leurs préoccupations concernant les délocalisations et, plus généralement, le risque de « dumping » social, fiscal ou environnemental. L'Union européenne leur paraissait d'une orientation trop exclusivement libérale, alors qu'ils s'inquiétaient pour l'avenir de la protection sociale et des services publics. Beaucoup avaient également le sentiment que la construction européenne restait très éloignée des citoyens, hors de leur contrôle, et qu'elle en faisait trop dans certains domaines et pas assez dans d'autres.

Il était donc urgent de redresser la barre. On a commencé de le faire depuis deux ans et il suffit, pour le constater, de comparer le texte initial de la directive « services » et le texte finalement adopté. Je pourrais citer également l'exemple de la création du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation pour aider la reconversion professionnelle des travailleurs et le lancement, en septembre dernier, du dialogue direct entre la Commission et les parlements nationaux au sujet de la subsidiarité et la proportionnalité.

L'Europe n'est pas sourde et le mandat donné à la CIG marque une étape dans cette réorientation. Il conserve la substance du traité constitutionnel, c'est-à-dire la réforme du fonctionnement de l'Union, qui n'était pas la cause du vote négatif des Français, mais, en même temps il contient des inflexions importantes. C'est ainsi que la concurrence « libre et non faussée » ne figure plus parmi les objectifs de l'Union. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus de politique de la concurrence dans l'Union, mais qu'on a écouté ceux de nos concitoyens qui ne comprenaient pas que cette concurrence apparaisse comme une fin en soi. Pour ma part, je fais mienne la formule de Jacques Delors selon laquelle l'Europe doit reposer sur un triptyque : concurrence, coopération et solidarité. La nouvelle rédaction va dans le sens d'un tel équilibre : la concurrence est un moyen, un aiguillon indispensable, elle ne doit pas apparaître comme un dogme exclusif de toute autre préoccupation.

Le nouveau protocole sur les services publics va très exactement dans ce sens. Il pose quatre principes : « le rôle essentiel et la grande marge de manoeuvre des autorités nationales, régionales et locales dans la fourniture, la mise en service et l'organisation des services d'intérêt économique général » ; la prise en compte des « situations géographiques, sociales ou culturelles différentes » ; un « niveau élevé de qualité, de sécurité et d'accessibilité, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel » ; la pleine compétence des États membres pour les services non économiques d'intérêt général. Ce texte garantit l'équilibre entre les impératifs de la concurrence et ceux des services publics.

On me dira peut-être que, dans tout cela, on en reste aux orientations générales. Mais, encore une fois, nos concitoyens n'ont pas voté contre la présidence stable du Conseil européen ou l'extension du vote à la majorité qualifiée ; ils ont voté contre une certaine façon de construire l'Europe, où ils ne se retrouvaient pas suffisamment. C'est donc bien sur le terrain des orientations qu'il faut leur répondre.

Le mandat de la CIG tient compte également des critiques sur le risque de voir l'Union s'ériger en une sorte de « super-État » difficilement contrôlable, critiques que l'on a d'ailleurs plus entendues aux Pays-Bas qu'en France. La terminologie « constitutionnelle » disparaît, la « clause de flexibilité » permettant d'étendre les compétences de l'Union est mieux encadrée. Le contrôle de subsidiarité confié aux parlements nationaux est complété par une disposition qui, si j'ai bien compris, s'ajoute à celles prévues par le traité constitutionnel. J'aimerais, Monsieur le ministre, que vous le confirmiez.

La Convention avait prévu deux étapes. La première, une sorte de carton jaune, permettait aux parlements nationaux d'alerter la Commission au sujet de la subsidiarité : si un tiers de ces parlements alertait la Commission, celle-ci devait réexaminer sa proposition. Et puis il y avait une deuxième étape, éventuelle, celle du carton rouge, qui donnait la possibilité aux parlements nationaux de saisir la Cour de justice après l'adoption définitive du texte. Dans le mandat de la CIG, une nouvelle modalité apparaît, une sorte de carton orange : si une majorité des parlements nationaux alerte la Commission, et s'ils reçoivent l'appui soit de 55 % des États membres, soit de la majorité du Parlement européen, alors la Commission doit retirer son texte. Cette nouvelle modalité, compliquée à mettre en oeuvre, paraît destinée à jouer de manière très exceptionnelle. Tout va bien si elle s'ajoute au carton jaune et au carton rouge prévus par le traité constitutionnel, mais si elle s'y substituait, ce ne serait plus un progrès.

Monsieur le Ministre, pouvez-vous confirmer que le carton orange s'ajoutera au rouge et au jaune sans les remplacer ?

Au reste, pourquoi les Parlements nationaux n'ont-ils pas d'observateurs à la CIG alors que le Parlement européen en dispose de trois ? C'est paradoxal puisque Strasbourg, contrairement aux Parlements nationaux, n'a pas compétence pour approuver les traités. D'après ma petite enquête, la présidence allemande n'était pas favorable à cette proposition, suivant en cela le Parlement européen. L'Allemagne devrait d'ailleurs se méfier : elle pourrait donner le sentiment qu'elle impose parfois son point de vue et qu'il existe une collusion entre le Parlement européen, le Bundestag et la Chancellerie... En réalité, cette situation est peut-être aussi de notre fait. La France n'était pas aussi présente en Europe qu'on l'aurait souhaité à ce moment-là. Je défends l'idée que le Parlement portugais, puisque nous sommes sous présidence portugaise, ait un représentant. J'exposerai cette proposition la semaine prochaine à Lisbonne et, comme l'on dit beaucoup en France qu'il faut donner davantage de poids au Parlement ces temps-ci, j'espère, monsieur le Ministre, que vous me soutiendrez. (M. le ministre opine du bonnet)

Ce traité constitue une étape vers une Europe plus proche des citoyens. Mais, ce qu'attendent les Européens, ce sont d'abord des politiques pour plus d'efficacité en matière de croissance et d'emploi, de lutte contre la délinquance juvénile ou encore de développement durable. Ils veulent une Europe qui défend ses valeurs et ses intérêts. Le traité nous donne des outils pour mettre en oeuvre ses politiques, rien de plus.

Ce Conseil européen a permis de réconcilier les Etats qui avaient approuvé le traité constitutionnel et ceux qui l'avaient rejeté. Pour reprendre les mots du Président de la République à Strasbourg, il constitue la synthèse du « oui » et du « non » en France. La France est enfin revenue dans le jeu européen en retrouvant son partenariat avec l'Allemagne et, avec ce traité, nous tournons la page de dix ans de débat institutionnel. A nous de savoir l'utiliser au mieux pour encourager la Renaissance de l'Europe, que le Président de la République a appelée de ses voeux ! (Applaudissements à droite et au centre).

M. Bruno Retailleau. - Je veux exprimer ma perplexité : ce traité simplifié, que j'aurais aimé applaudir sans réserve, n'est pas une vraie rupture par rapport au traité constitutionnel que les Français ont rejeté. Certes, la tâche du Président de la République était difficile et je reconnais les avancées obtenues : un traité réformateur plutôt que refondateur, la suppression de la référence à la concurrence « libre et non faussée » et le protocole sur les services d'intérêt général.

M.  Bourlanges comme M. Sellal, notre représentant à Bruxelles, nous avaient alertés : le texte a perdu en lisibilité, mais toute la Constitution est là. J'ai donc cherché des traces montrant que le message du 29 mai 2005 avait été entendu. Et j'ai trouvé l'inverse. L'application du principe de primauté du droit communautaire et de la Charte de droits fondamentaux est renvoyée au juge, plutôt qu'au peuple. Qui plus est, à un juge militant de la cause supranationale qui construit décision après décision une jurisprudence téléologique. Ensuite, ce texte marque la naissance d'un État en devenir, doté d'une personnalité juridique, d'une présidence indépendante des États-membres et d'un service diplomatique... Enfin, des compétences, toujours plus nombreuses, seront soumises à la règle de la majorité qualifiée. Nous avons donc affaire à une deuxième Constitution, sans le nom mais avec les mêmes mécanismes supranationaux, « moins ronflante mais plus habile ».

M. Pierre Fauchon. - Eh oui !

M. Bruno Retailleau. - A ceux qui prétextent qu'il faut faire fonctionner l'Union, je veux dire que l'Europe, avant d'être une structure, doit être un projet partagé. Ce traité vise la même finalité historique, une Europe fédérale, avec les mêmes méthodes, les petits pas et l'engrenage. Pour les partisans du « oui », c'est une bonne nouvelle. Mais qu'ils ne fassent pas mine ensuite de s'étonner des admonestations de Bruxelles sur cette idée folle qu'aurait eu le Président français d'une Europe plus protectrice. Que va-t-on dire aux pêcheurs d'anchois et de thon ? Que nous n'avons plus de pouvoir ? Qu'au nom d'un intérêt communautaire supérieur, il faut renoncer à défendre nos intérêts nationaux ? Je croyais pourtant que l'on avait tiré les leçons du référendum et des élections. « Les Français ne veulent plus que l'on décide à leur place ! » a affirmé M. Sarkozy dans son discours d'investiture.

Pour que l'Europe gagne en légitimité politique, nous ne pourrons pas faire l'économie d'un référendum sur ce texte. Une autre Europe est possible et souhaitable : une Europe respectueuse des démocraties nationales, fondée sur des coopérations différenciées.

Mme Éliane Assassi. - Nos dirigeants se sont permis de nier le résultat du référendum du 29 mai 2005. Preuve en est, la signature de la France, qui figure toujours au bas du traité constitutionnel et notre Constitution qui fait encore référence à ce fameux texte. Le groupe CRC en a d'ailleurs demandé le retrait.

Après le Conseil européen de juin 2007, la seule question qui vaille aujourd'hui est : les structures et les orientations de l'Union européenne sont-elles conformes aux attentes et aux besoins des populations ? Pour l'heure, la réponse est négative. Et l'on ne peut croire, comme M. Sarkozy l'affirme, qu'il a respecté le mandat donné par les Français le 29 mai 2005.

Au-delà d'un habillage verbeux censé réconcilier les partisans du « oui » et les tenants du « non » et de l'augmentation du délai accordé aux parlements nationaux pour examiner les projets, vous vous êtes contentés de conserver ce qui faisait consensus : l'élection d'un président stable et le système du vote à la double majorité qualifiée repoussé à 2014 pour complaire à la Pologne, qui a également obtenu que la Charte des droits fondamentaux n'affecte pas les législations nationales sur la famille afin de sauvegarder son droit conservateur, pour ne pas dire réactionnaire. De son côté, le Royaume-Uni a obtenu que la Charte ne puisse pas être utilisée par les syndicats britanniques devant la Cour européenne de justice.

De plus, le Royaume-Uni bénéficie d'une dérogation sur la coopération judiciaire. Comme la fiscalité reste soumise à la règle de l'unanimité, le dumping fiscal a de beaux jours devant lui !

Depuis une douzaine de jours, Nicolas Sarkozy se targue d'avoir fait retirer la référence à « la concurrence libre et non faussée » des objectifs de l'Union. Mais ce principe est maintenu dans les traités ! Il continuera donc à inspirer les politiques européennes, alors que les citoyens voient en lui une cause de l'érosion des acquis sociaux, de la progression de la précarité et de l'explosion des dividendes. La substance du traité constitutionnel est conservée ; l'ossature de son titre III reste intacte. Bref, au fond, rien n'a changé, et le prétendu geste fort n'est qu'une manipulation.

La réalité, c'est l'indépendance de la Banque centrale européenne qui donne priorité à la lutte contre l'inflation au détriment du soutien à la croissance et à l'emploi ; l'encadrement strict des finances publiques ; la traque aux aides publiques et aux participations étatiques ; l'orientation libre-échangiste de la politique commerciale de l'Union.

On retire une disposition qui n'a pas plu, avec l'espoir de faire taire les opposants politiques, et l'on fait revivre les traités qui disaient la même chose : la concurrence dans le traité de Rome, la politique économique dans celui de Maastricht. Beaucoup de bruit, pour rassurer l'opinion et pour forger à Nicolas Sarkozy une image d'homme d'État, de « sauveur de l'Europe ». Nul n'est dupe du tour de passe-passe, au point que la présidence du Conseil se permet de réaffirmer tel quel le présupposé de la concurrence « libre et non faussée ». Rien n'a bougé. Et aucune réponse n'est apportée aux urgences sociales et écologiques.

Plus grave encore, ratifier le traité par voie parlementaire constituerait un déni de démocratie : en refusant de donner la parole au peuple, on concrétiserait la grande épopée imaginée par les pères fondateurs par un hold-up parfait.

Le 23 juillet, les Vingt-sept se réuniront pour préparer un projet de traité simplifié avant la réunion d'une conférence intergouvernementale. Le Portugal a été chargé de la rédaction définitive de ce texte. Est-ce là une façon démocratique d'agir ? On veut surtout empêcher l'expression populaire par référendum. La feuille de route fixe des échéances très rapprochées afin d'aboutir à un nouveau traité dès la fin 2007 pour une ratification en 2008, avant les élections européennes de juin 2009. C'est dire si le temps du débat public sera court.

Des modifications cosmétiques, une politique toujours aussi libérale, un semblant de recul sur la concurrence « libre et non faussée », une charte des droits fondamentaux de très faible portée, une course au moins-disant fiscal : nous sommes bien loin de l'autosatisfaction affichée par Nicolas Sarkozy ! Non, la décision prise à Bruxelles n'est pas conforme au vote des Français en 2005. Les principes antilibéraux, objets de la critique de la majorité de nos concitoyens, demeurent. Ce disant, je suis en parfait accord avec les 57 % des Français qui souhaitent être consultés.

Nous sommes tous attachés à l'Europe. (M. Del Picchia rit). Nous le sommes tout autant que vous !

Hubert M. Hubert Haenel. - Que Dieu vous entende ! (Sourires)

Mme Éliane Assassi. - Il nous a entendus le 29 mai 2005.

Nous sommes Européens autant que vous, mais nous ne donnons pas à l'Europe le même sens que vous, ni les mêmes valeurs. (M. Haenel marque son soulagement ; on applaudit sur les bancs CRC).

M. Pierre-Yves Collombat. - Un socialiste maintenu !

M. Simon Sutour. - L'accord des Vingt-sept a un mérite, celui d'exister. Après plus de deux ans de paralysie, l'Union européenne envisage quelques réformes institutionnelles ; nous ne pouvons nous en plaindre car nous pensons que cela était nécessaire. Un refus de principe serait une erreur, d'autant qu'on constate des avancées.

La présidence du Conseil sera stabilisée ; le nombre de Commissaires sera enfin réduit ; la concurrence « libre et non faussée » cesse d'être incluse dans les objectifs de l'Union, même si elle demeure ; le champ du vote à la majorité qualifiée est étendu aux questions de coopération judiciaire et policière ; la répartition des compétences est éclaircie ; l'Union se dote d'une personnalité juridique unique et met fin à l'incompréhensible système des piliers ; enfin, les pouvoirs du Haut représentant pour Ia Pesc sont accrus et il est doté d'un service diplomatique. Tout cela ne peut être écarté d'un revers de main.

L'accord a été conclu après que la présidence allemande a convaincu la Pologne de lever son opposition au vote à la double majorité : Mme Angela Merkel a menacé de convoquer une CIG sans son voisin de l'Est. Le porte-parole du gouvernement allemand, Ulrich Wilhelm a expliqué que la Pologne aurait ensuite la possibilité de rejoindre le consensus européen, à l'automne, à la CIG. En échange, une extension du système actuel a été négociée, ce qui permet à la Pologne et à l'Espagne de bénéficier d'un grand nombre de voix, comparativement aux plus grands États.

Le système de vote à la double majorité n'entrera en vigueur qu'à partir de 2014, lorsque l'Union aura établi la planification de son budget pour 2014-2020. Entre 2014 et 2017, tout État membre pourra encore exiger que l'ancien système de vote soit utilisé s'il le souhaite. Une malheureuse et complexe clause spéciale facilite la formation d'une minorité de blocage au cours de cette période. La Pologne a également obtenu une clause de solidarité en matière d'énergie, pour tenir compte de ses relations difficiles avec la Russie.

Nous ne sommes pas seulement pragmatiques, euroréalistes, nous sommes surtout des militants de l'Europe politique, de l'Europe intégrée, qui n'avons pas abdiqué l'ambition fédéraliste. De ce point de vue, nous ne pouvons nous satisfaire d'un accord médiocre, en considérable régression par rapport aux travaux de la Convention européenne. Le terme Constitution lui-même est abandonné. En effet, il s'agissait d'un traité constitutionnel et non d'une véritable constitution, qui aurait supposé l'existence d'un État et d'un peuple européens, mais le nouveau traité sera un simple amendement aux traités existants, sans vocation à donner une cohérence, une colonne vertébrale à l'Europe politique. En ce sens, ce n'est guère plus qu'un règlement intérieur de l'Union. Tony Blair l'a avoué : « La chose la plus importante ici, c'est que le traité constitutionnel a été mis de côté, nous en sommes revenus à un traité conventionnel ».

Les symboles de l'Union -hymne, drapeau, journée du 9 mai- ne figurent même plus dans les traités ; la double majorité, est reportée à 2014, voire 2017 ; le vote à la majorité qualifiée n'est pas appliqué aux matières fiscale et sociale ; le terme « ministre dès affaires étrangères » n'a pas été retenu : c'est très significatif de la volonté des ministres nationaux de ne pas abandonner un pouce de terrain dans ce domaine, comme l'est le refus du vote à la majorité qualifiée en cette matière. Si la charte des droits fondamentaux a enfin une force contraignante, elle n'est pas intégrée dans les traités ; elle n'est du reste pas applicable au Royaume-Uni. Enfin, grave lacune, le mince protocole sur les services publics ne cache pas l'absence de dimension sociale, écologique, ou de réformes de la gouvernance énergétique.

Au total, c'est donc bien d'un « mini-traité pour une mini-ambition » qu'il s'agit, plutôt dans la lignée du si contesté traité de Nice. Il ne s'agit pas de nier la part que le président de la République a prise dans cet accord : il a fait preuve d'une énergie dont Jacques Chirac n'était plus capable depuis le 29 mai 2005. Il a concrétisé le retour de la France en Europe, il a imposé sa conception d'un traité simplifié, même si ce texte est plus « illisible » encore que le TCE.

Ce « traité réformateur » qui vient amender les traités existants manque un des objectifs de la déclaration de Laeken : la simplification. Et le Premier ministre belge, n'a pas eu tort de parler de traité « de notes de bas de page » ! Une étape fondamentale consistera donc à rendre ces traités plus lisibles et à séparer la partie constitutionnelle des éléments législatifs, y compris par des modes de révision différenciés.

Le président de la République a, avec la complicité d'Angela Merkel, tordu le bras aux « amis de la Constitution », étrangement résignés, à l'exception de Romano Prodi.

Il n'a proposé aucune vision mais défendu une approche fonctionnaliste. Et on voit les limites d'une méthode uniquement diplomatique et à huis clos : on gardera le goût amer de marchandages sans hauteur de vue et à l'écart de tout débat public. Quel accord aurait-on obtenu sans les travaux de la Convention qui, elle, avait su s'ouvrir au public ? L'Union européenne doit reprendre sa méthode.

Autre bémol, l'absence de clause de rendez-vous. L'Europe élargie a besoin de rendre visible le projet politique qu'elle porte. Sinon, la distance avec les citoyens s'accroîtra : aucune démarche purement diplomatique ne peut relancer le moteur européen.

Un verre à moitié plein ou à moitié vide. Nous constatons des avancées mais aussi des reculs. Entre une inexorable marche en avant ou le repli, l'Europe est à un tournant de son histoire. Les socialistes attendent les résultats de la conférence intergouvernementale. Nous formulons des propositions et nous déterminerons avec le souci de ne pas cautionner une Europe a minima et de rendre à l'Union un souffle que des dirigeants désenchantés n'ont pas su lui donner. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Denis Badré. - Avec une présidence stabilisée et un ministre des affaires étrangères, l'Europe est sortie de la panne. Ses partenaires attendaient la France, peut-être à cause du « non » au référendum. Nous sommes heureux d'un accord qui permet un redémarrage et que nous devons à nos deux ministres ainsi qu'à l'engagement du président de la République... et à nos partenaires -aurions-nous été aussi bons joueurs ? Angela Merkel a eu la volonté inébranlable de conclure un mandat détaillé pour la prochaine conférence intergouvernementale. Reste à mettre au crédit de la Convention un travail remarquable et à reconnaître l'action de la Commission, du Parlement européen et des parlements nationaux.

L'Europe est-elle sauvée ? Je l'espère, mais il faut y travailler encore et que le texte final soit ratifié par les Vingt-Sept. J'aimerais qu'à cet égard, la France soit exemplaire, une fois n'est pas de coutume, car d'autres débats difficiles nous attendent sur les perspectives financières, la PAC, ou le codéveloppement. Or certains évoquent déjà une remise en cause de l'accord. Comment construire dans la durée si un accord n'est pas respecté ? Les États qui n'ont pas soumis le traité à ratification sont parmi ceux qui ont élevé le plus de difficultés. Ce précédent est bien fâcheux alors qu'il faut, pour construire l'Europe, une confiance mutuelle.

On peut regretter qu'un accord a minima ne retienne pas la codification qui aurait permis une véritable simplification, non plus que l'appellation de ministre des affaires étrangères. Il est vrai que mieux vaut utiliser sans les citer les symboles de l'Union que les citer sans les utiliser. Je n'en préfère pas moins une Europe qui s'affirme pour ce qu'elle est et je compte sur vous pour qu'il en soit ainsi.

Je veux, enfin, dénoncer trois fautes contre l'Union. La première est la nôtre lorsque nous laissons filer les déficits. La seconde est celle de nos amis britanniques lorsqu'ils choisissent d'ignorer les valeurs communes au point qu'on peut s'interroger sur leur place dans l'Union. La troisième est celle des pays qui invoquent les pertes subies pendant la guerre : l'Europe est une oeuvre de réconciliation et jamais la France et l'Allemagne n'ont procédé de la sorte durant les années 50.

Retrouvons le sens profond de l'Europe et rendons le visible pour qu'il gagne la confiance des Européens. Sortons des débats caricaturaux sur la ratification par référendum qui serait démocratique et la voie parlementaire, qui confisquerait la décision. Cependant, ne donnons pas le sentiment que nous ne consultons pas les Français parce qu'ils ont mal répondu et associons-les à la poursuite du projet européen, qui les intéresse encore après le 30 mai.

La France est maîtresse chez elle mais pas chez ses vingt-six partenaires. Elle doit donc apprendre à les écouter et admettre qu'ils peuvent réussir par d'autres voies qu'elle. Il convient enfin qu'autour du couple franco-allemand, L'Europe se remette au service de la réconciliation, de la liberté et des droits de l'homme. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)

M. Pierre Fauchon. - Je ne crois pas qu'il y ait dans cette Assemblée quelqu'un qui ait des convictions européennes plus affirmées que moi et c'est pourquoi je suis convaincu qu'on n'avancera que par le concret, avec modestie, et obstination. Tout ce qui nous fait avancer est bon à prendre, malgré les contradictions ou les absurdités.

Comme le disait Talleyrand, « Cocher, allez doucement, parce que je suis pressé ! »

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.  - « Hâtez-vous lentement » disait Boileau !

M. Pierre Fauchon. - C'est parce que je suis pressé de voir l'Europe avancer que j'ai beaucoup souffert depuis ce triste référendum, cette journée aux conséquences désastreuses, non seulement pour le fonctionnement même de l'Union mais dans tous les domaines auxquels son action s'étend ou devrait s'étendre.

Ainsi, l'Europe était-elle littéralement embourbée dans des embarras techniques, le scepticisme des uns, le conservatisme national des autres, l'insouciance et l'inconscience qui sont trop souvent la marque de ceux que l'on aimerait qualifier de responsables. Et nul ne voyait comment le char pouvait être arraché à cette « maudite boue » comme dit La Fontaine. Il s'est trouvé quelques vaillants charretiers, parmi lesquels des Français, pour obtenir une sorte de miracle : le char a bougé ; mieux, il s'est arraché à cette paralysie pour se remettre en mouvement. Sans doute ne peut-on dire avec le fabuliste « mon char marche à souhait » mais il recommence à bouger. Et tout redevient possible. Et la confiance renait dans le camp des Européens d'autant plus que les avancées portent sur des points essentiels comme les modalités de vote tandis que les blocages portent sur des aspects infiniment moins importants, même s'ils sont emblématiques. Sans doute n'est-il plus question de Constitution, mais je ne suis pas de ceux qui s'en découragent, me souvenant que l'Europe se fait depuis 50 ans sans Constitution et que la Grande-Bretagne, sans constitution, dispose de textes fondamentaux dont l'Europe devrait s'inspirer.

Il ne faut donc pas se crisper sur les formes mais considérer le fond et engranger les résultats acquis en s'efforçant d'en faire des tremplins. Si rien n'est définitivement résolu, l'avenir n'est plus bouché et, en franchissant le cap des votes unanimes, nous avons accompli un pas décisif. Sans doute faudra-t-il supporter un certain retard mais y avait-il d'autres moyens ? Nul ne peut honnêtement le prétendre. C'est pourquoi, parlant au nom de mon groupe dans sa très grande majorité...

M. Jean Bizet. - Quel groupe !

M. Pierre Fauchon. - ...je vous dis un très grand bravo. (Applaudissements sur divers bancs au centre et à droite)

M. Jean François-Poncet. - Il n'y a littéralement plus rien à dire car tout à été dit, à plusieurs reprises et, en général, fort bien. Si je m'écoutais, je m'arrêterais là, mais parlant au nom du principal groupe de cette assemblée, je vous demande un peu de patience afin de m'acquitter de ma tâche.

Il est certain que l'accord de Bruxelles marque une étape importante dans la série de sommets qui ont émaillé la vie mouvementée de l'Union européenne. On peut débattre des mérites et des carences de cet accord mais il y a deux points que personne ne peut contester. C'est, d'abord, que la France est de retour en Europe après le référendum perdu de 2005 : l'idée d'un traité simplifié est française car c'est Nicolas Sarkozy qui, le premier, en a parlé à Berlin il y a un an. Ensuite, ce succès français n'aurait pas été possible si le couple franco-allemand n'avait pas été de retour en Europe. C'est la conjonction de ces deux retours qui a permis l'avancée : l'Europe a retrouvé son moteur, même s'il a fallu prendre des précautions avec certains de nos partenaires.

J'en viens aux mérites et aux carences de l'accord. Les mérites sont évidents et tout le monde les a rappelés : une présidence stable du Conseil européen ; un chef de la diplomatie qui, étant en même temps vice-président de la Commission, rassemblera pour la première fois entre ses mains l'ensemble de l'action internationale de l'Union ; un système de vote à la double majorité qui prend en compte le poids démographique des États. Certes, jusqu'en 2017, le traité de Nice continuera à s'appliquer. Un tel système avantagera indûment la Pologne et l'Espagne, mais ce qu'on oublie d'ajouter, c'est qu'il avantagera aussi la France, la Grande-Bretagne et l'Italie. La concession a été faite par la seule Allemagne qui, avec ses 82 millions d'habitants, a accepté d'en payer le prix durant dix ans.

J'en viens aux carences. Premier recul, les concessions de vocabulaire. Le mot Constitution disparaît. On peut se demander s'il était nécessaire. Je n'en suis pas persuadé. Les symboles de l'Union -le drapeau, l'hymne et la devise- passent à la trappe. C'est très regrettable mais cela ne change rien puisque ces symboles continueront à être utilisés. Le Haut Représentant pour la politique étrangère perd son titre de ministre, mais ses attributions et ses moyens n'en seront pas affectés.

Le deuxième recul concerne la Grande-Bretagne, il est beaucoup plus sérieux : elle a profité de l'occasion pour revenir sur une partie des engagements auxquels Tony Blair avait souscrit dans le Traité Constitutionnel. La déclaration des droits fondamentaux ne s'y appliquera pas, et les décisions prises à la majorité qualifiée en matière judiciaire ne s'imposeront à elle que si elle y consent. La Grande-Bretagne est-elle encore membre à part entière de l'Europe ? A force de ne participer ni à Schengen, ni à la monnaie unique, ni à la coopération judiciaire, ni à la déclaration des droits fondamentaux, ce pays conserve-t-il encore, par exemple, la légitimité nécessaire pour s'opposer à d'éventuels progrès de l'intégration européenne ? J'en doute.

Le troisième recul a été dénoncé par le Président du Conseil Italien et le Premier ministre belge. C'est le recul de l'esprit communautaire qui est très grave. De fait, certains pays ont défendu avec âpreté leurs priorités nationales aux dépens de l'intérêt européen. Mais est-ce vraiment nouveau ? N'a-t-on pas eu le même sentiment quand, en 1962, la France a pratiqué la politique de la « chaise vide », quand Mme Thatcher clamait « rendez-moi mon argent », quand la France et l'Allemagne se sont opposées au Sommet de Nice ou lorsque l'Europe s'est déchirée sur l'Irak ? Après chacune de ces crises, l'Europe a rebondi. De même, elle a rebondi à Bruxelles, le 23 juin, à 4 heures et demie du matin.

La construction européenne n'a jamais été un long fleuve tranquille, mais elle a toujours su se sortir des ornières où elle s'était enfoncée et surmonter les obstacles qui l'entravaient, comme elle vient de le faire en adoptant les grandes lignes d'un traité réformateur.

Pourtant, il faudra rédiger ce traité, sans que renaissent les contentieux. Or, nous savons bien que le diable est dans les détails.

Reste une dernière question : l'accord a-t-il pris en compte le « non » de la France au traité constitutionnel ? Ce qui a motivé le vote négatif, c'est la troisième partie du traité, qui avait donné le sentiment que l'Europe mettait le cap sur l'ultralibéralisme.

Or elle a totalement disparu. On peut aussi rappeler le protocole sur les services publics ou le retrait, parmi les objectifs fondamentaux de l'Union, de la concurrence « libre et non faussée ». Ce retrait est plus significatif qu'il y paraît, pourvu que la jurisprudence de la Cour de justice et la Commission s'en inspirent lorsqu'il faudra décider, par exemple, si l'Europe doit s'incliner devant la mondialisation ou combattre ses injustices et ses dérives.

Après avoir rendu au Président de la République l'hommage qui lui est évidemment dû, le moment est venu pour moi de féliciter les ministres qui lui ont apporté un concours précieux. J'exprime l'espoir qu'ils réussiront demain, les problèmes institutionnels étant réglés, à rassembler l'Europe autour des grands chantiers de son avenir. Un nouveau chapitre s'ouvre : puissiez-vous figurer au premier rang des négociateurs avisés qui l'écriront ! ((Applaudissements au centre et à droite)

M. Aymeri de Montesquiou. - Le 29 mai 2005 a été ressenti comme une catastrophe par tous ceux qui ont la passion de l'Europe, une Europe dont le destin apparaissait alors comme celui d'une Suisse immense, résignée et nostalgique. Mais les peuples sont souverains. Les mêmes espéraient que leurs dirigeants feraient tout pour sortir l'Union de l'impasse où l'avait entraînée le « non » des Français et des Néerlandais, et la France d'une situation d'impuissance où elle était en butte à l'ironie et à la condescendance de ses partenaires.

Il a fallu toute la créativité et la volonté du Président de la République pour confirmer l'indispensable entente franco-allemande, puis pour relancer l'Europe. L'atmosphère de Bruxelles a tranché avec celle des Conseils précédents, et les résultats obtenus permettent les réformes indispensables au bon fonctionnement de l'Union tout en prenant la mesure de l'opposition des opinions publiques. L'essentiel des acquis de la Convention est préservé et les parlements nationaux sont confortés dans leur rôle de surveillants de la bonne application du principe de subsidiarité.

Si l'on peut regretter la disparition du mot « Constitution » ou celle des symboles, la sémantique est dérisoire au regard des enjeux. On peut ainsi s'étonner que le Royaume-Uni ait attaché autant d'importance à désigner le ministre des affaires étrangères comme un Haut représentant ... tout en lui conservant ses attributions. A le voir refuser de donner une valeur contraignante aux droits fondamentaux ou s'accrocher à la règle de l'unanimité en matière fiscale, on peut se demander s'il est encore un partenaire à part entière. On pourrait d'ailleurs lui demander un peu plus de stabilité : l'île tantôt se rapproche, tantôt s'éloigne de l'Europe, au point de donner à tous le mal de mer ! Et la Pologne veut déjà revenir sur l'accord de Bruxelles.

Tout cela nuit à l'Europe, à son image, aux États-membres. Il est temps de restaurer un code de bonne conduite, de faire en sorte que l'Europe avance de façon homogène. C'est son avenir qui est en jeu. Il faudra aussi sans doute recourir aux mécanismes de coopération renforcée pour rattraper le temps perdu. Le couple franco-allemand irrite parfois, mais il reste indispensable, déterminant. Quant aux nouveaux membres, ils démontrent, par leur adhésion à un projet commun, l'impact inouï de l'idée européenne ; ils enrichissent et renforcent l'Union.

Pourtant, les peuples européens doutent comme jamais ; le « non » français et néerlandais a laissé des traces. Raison de plus pour se réjouir d'un accord qui marque le renouveau de l'esprit européen. Il faut profiter de cette dynamique pour montrer à nos concitoyens ce que l'Europe leur apporte de positif. Comme l'a relevé le Président de la République, les questions concrètes doivent être traitées avec bon sens et réalisme, qu'il s'agisse du dumping monétaire ou social, de la préférence communautaire, de la PAC, de la défense de l'Union à ses frontières, et surtout de l'énergie. L'Europe a un intérêt vital à élaborer enfin une politique énergétique harmonisée. Je pense aussi à l'innovation ou à un droit unique des sociétés.

Plus fondamental encore : il faut redonner un élan à la construction européenne. L'Europe ne fait plus rêver, les peuple s'en désintéressent, n'en attendent plus rien. Bruxelles est devenu synonyme de technocratie et de bureaucratie. Il est temps de redonner espoir, fierté, enthousiasme aux Européens, pour que l'Europe existe face à la Russie, aux États-Unis, à la Chine, pour qu'elle ait un futur politique, économique et culturel. La volonté politique est le moteur de cette renaissance. L'impulsion salutaire donnée par le Président de la République rappelle à l'Europe son projet originel, audacieux, harmonieux et visionnaire. Les Européens convaincus n'espéraient pas ce résultat ; pour eux, c'est un succès considérable. Oui, l'esprit européen souffle à nouveau ! ((Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Je suis très honoré de m'exprimer pour la première fois devant la Haute assemblée, ému aussi de le faire au moment où l'Europe se relance, où la France retrouve sa place au coeur de la construction européenne, où la dynamique franco-allemande, grâce à l'impulsion donnée par le Président de la République dès son investiture, est restaurée.

Vos analyses me confortent dans l'idée que l'accord de Bruxelles est un très bon accord. Comme l'a dit M. François-Poncet, la France est revenue au coeur de l'Europe sur le fondement d'une idée de M. Sarkozy. Nous partageons le même soulagement de voir l'Europe se dégager de deux ans de panne politique et de quinze ans de doute institutionnel.

Depuis Maastricht, nous n'avons cessé de tenter de définir des institutions adaptées à l'élargissement. Nous avons essayé à Amsterdam, à Nice, lors de la Convention, lors de la CIG de 2004, sans parvenir à rien stabiliser. M. Fauchon a eu raison de le dire : le char était embourbé, nous l'avons remis en mouvement en deux mois.

Aujourd'hui, nous sommes parvenus à un accord qui rend les institutions plus efficaces et plus démocratiques dans une Europe à vingt-sept. Cela est important pour le fonctionnement de l'Union mais aussi essentiel pour que cette Union élargie soit acceptée. C'est un soulagement pour la France, qui semblait avoir perdu son ambition et son influence : elle a retrouvé les deux.

La proposition, faite par le Président de la République, d'un traité simplifié a rassemblé les Européens. Dix-huit pays avaient ratifié la Constitution -M. Haenel a eu raison de souligner leurs efforts- d'autres, dont la France, l'avaient rejeté, d'autres enfin, et ce ne sont pas les plus faciles, ne l'avaient pas ratifié. L'accord auquel nous sommes parvenus justifie pleinement le choix de la voie parlementaire pour la ratification. Vingt-trois des vingt-sept pays européens ont déjà fait ce choix. Le Président de la République, au cours de la campagne, a été très clair. La démocratie sort renforcée de cet accord avec l'extension des pouvoirs de contrôle des Parlements nationaux et de la procédure de codécision.

M. Kouchner l'a dit, la France a joué le meilleur rôle, et assuré une parfaite entente avec l'Allemagne. Je remercie MM. François-Poncet et Badré d'avoir souligné les mérites de Mme Merkel.

Nos interventions m'ont laissé penser que nous pouvons dépasser les oppositions qui ont marqué le référendum, pour nous retrouver sur la construction d'une Europe plus solidaire.

Il est vrai, monsieur Haenel, que certains de nos concitoyens ne se reconnaissaient plus dans le fonctionnement de l'Union européenne. Au manque de protection, aux insuffisances des politiques concrètes, à une certaine dérive libérale, ils ont dit non. Nous non plus, nous ne voulons pas d'une Europe du libre-échange : c'est bien ce qui ressort de l'accord de Bruxelles.

Il n'y a pas, Mme Assassi, de recul sur la fiscalité, ni au regard de la Constitution, ni au regard de Maastricht. Soyons lucides et sachons renouer avec le triptyque cher à Jacques Delors : concurrence, coopération, solidarité.

Vos commentaires, qu'ils soient critiques ou positifs, laissent apparaître un consensus sur les avancées du traité. Vous avez relevé l'importance des améliorations apportées aux institutions : présidence stable, extension de la majorité qualifiée, coopérations renforcées -y compris pour les nouveaux États-membres. Vous avez saisi la signification démocratique du traité : incarnation des institutions pour les citoyens, généralisation de la codécision avec le Parlement européen, contrôle du respect de la subsidiarité par les parlements nationaux.

Je vous confirme, monsieur Haenel, que ce qui a été agréé s'ajoute bien au protocole n° 1 ; que le carton orange s'ajoute au jaune -le pouvoir des parlements nationaux s'accroît sans modifier l'équilibre institutionnel de l'Europe. Je suis, comme vous, favorables à la présence d'observateurs au sein de la CIG. Je l'ai dit à la présidence portugaise et je vous soutiendrai. (M. Haenel remercie)

Vous avez été plusieurs à relever l'ambition internationale de l'accord, illustré par la création du Haut représentant pour les affaires étrangères, qui combine, ainsi que l'a souligné M. François-Poncet, la légitimité politique du conseil et les moyens de la Commission, tout en préservant la spécificité de la politique étrangère et de sécurité commune.

Je vous suis, monsieur Del Picchia, sur la nécessité de relancer le processus amorcé en 1998 à Saint-Malo, pour que l'Europe contribue à la résolution des crises et au maintien de la paix.

Beaucoup parmi vous ont souligné combien les préoccupations des Français sont prises en compte. La concurrence « libre et non faussée » ne compte plus parmi les objectifs de l'Union, et ce n'est pas négligeable, à en croire les réactions outre-Manche. Il faudra voir quelle interprétation en donnera la Cour européenne de justice. Les principes généraux régissant le fonctionnement des services publics et leur articulation avec le marché intérieur sont consolidées. L'ambition de lutter contre le changement climatique est affirmée : création d'une base juridique, majorité qualifiée, codécision. La Charte des droits fondamentaux acquiert une force contraignante, portant haut des principes et des droits dont la France s'honore. La Confédération européenne des syndicats a salué cette avancée sans réserve. Je pense que tous les Français ont été entendus dans le cadre d'une Europe relancée.

J'ai entendu aussi des interrogations, des doutes, parfois des critiques. Certains ont regretté l'abandon de l'ambition constitutionnelle. M. Kouchner l'a rappelé, nous avions un mandat des Français, dont certains ont pu craindre de voir certaines politiques gravées dans le marbre d'une loi fondamentale et redouter l'avènement d'un super État. Mais c'est un symbole qui reste dans notre coeur et que nous ferons vivre.

L'essentiel, M. Retailleau l'a rappelé, a été préservé : une Europe rassemblée, qui fonctionne, avec les moyens de définir des politiques répondant aux attentes de ses citoyens.

Au contraire de M. Sutour, je pense que l'extension du vote à la majorité qualifiée, la suppression des piliers, la reconnaissance d'une personnalité unique montrent que l'esprit communautaire est de retour, après Amsterdam et Nice.

Plusieurs d'entre vous ont estimé que le traité n'avait rien de simplifié. Si l'accord de Bruxelles, portant sur un mandat pour une conférence intergouvernementale, est détaillé et parfois technique, c'est bien que nous l'avons souhaité, pour nous assurer que la CIG ne fera que mettre en forme des décisions politiques. C'est aussi le moyen de voir le traité ratifié avant l'échéance électorale de 2009. Le traité lui-même n'apportera que de simples amendements aux textes existants, en distinguant les principes du fonctionnement.

MM. François-Poncet, Badré et de Montesquiou ont manifesté des inquiétudes sur les concessions faites au Royaume-Uni et à la Pologne. Il est vrai que M. Blair, en accord avec M. Brown, a obtenu des dérogations. Le Royaume-Uni a choisi de ne pas entrer de plain-pied dans des politiques d'importance, comme la coopération policière ou la politique d'immigration. Il a également choisi de donner la préférence à son système juridictionnel plutôt qu'à un engagement clair sur la charte des droits fondamentaux. Je comprends les interrogations de votre commission, mais je rappelle que l'Europe est déjà à plusieurs vitesses : c'est le cas pour l'euro ou pour Schengen. Il faut reconnaître à M. Blair le mérite d'avoir pris ses responsabilités et ne pas oublier que le Royaume-Uni n'a plus la possibilité de bloquer les autres États-membres, comme cela était possible avec les autres traités. J'ajoute à ces réflexions une note d'espoir : les Britanniques se sont laissé la possibilité de rejoindre les autres Européens, et je souhaite vivement qu'il le fasse lorsqu'ils seront prêts.

Le cas de la Pologne est différent : l'enjeu était de voir si les Polonais s'engageraient dans la voie du compromis. Cet accord, à la fois politique et psychologique, est une grande victoire. Les vingt-sept états membres, sans distinction entre anciens et nouveaux membres, se sont engagés dans la voie de la relance. Tel est le grand acquis de ce conseil historique.

La relance de l'Europe que l'accord de Bruxelles permet n'aura d'effet concret que si nous en nourrissons la dynamique : tel est le sens de plusieurs de vos interventions.

C'est pourquoi nous devons prendre des initiatives pour la croissance et l'emploi, pour la coordination des politiques économiques, industrielles et énergétiques ; pour la protection des citoyens, pour l'immigration et l'intégration ; pour préparer l'avenir et pour renforcer l'influence internationale de l'Europe. Quelles doivent être les relations de l'Europe avec les pays émergents ? C'est également une question importante et M. Del Picchia a justement souligné que nous devons développer nos relations avec les pays méditerranéens, sur la base de projets concrets, dans les domaines de l'environnement et du développement. Nous souhaitons aller plus loin que le processus de Barcelone, tout en assurant la complémentarité avec les institutions et les moyens financiers mis en oeuvre, la commission devant naturellement garder un rôle essentiel dans cette mise en oeuvre.

C'est ainsi que nous préparons la présidence française de l'Union européenne qui commence dans un an exactement. Nous en reparlerons ; c'est un vaste chantier, pour lequel votre soutien nous est indispensable.

Nous devons revoir la manière dont nous parlons de l'Europe aux Français. Le meilleur moyen est de la sortir des cercles d'initiés et de convaincus. L'Europe est l'affaire de tous : gouvernement, Parlement, élus, associations, syndicats, fédérations professionnelles.

Rien ne se fera sans débat, sans l'implication de nos concitoyens. Vous avez raison : rien ne se fera sans aller vers les Français, pour défendre leurs intérêts, pour renforcer notre place dans une Europe plus politique, plus solidaire, plus forte dans le monde de demain ; bref, pour garantir notre avenir, celui de notre pays, celui de nos enfants, dans un monde qui ne nous attend pas. (Applaudissements des bancs du RDSE à la droite)

MM Hubert Haenel et Robert-Denis Del Picchia - Très bien !

M. le président. - Nous en avons terminé avec ce débat. Acte est donné de la déclaration du gouvernement qui sera imprimée et distribuée.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 5 juillet, à 9h 30.

La séance est levée à minuit cinq.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre