Contrôleur général des lieux de privation de liberté

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Je félicite Mme la Garde des sceaux et ministre de la justice d'avoir pris l'initiative de ce projet de loi. Il concerne les libertés publiques et il est important qu'il ait été déposé en premier au Sénat.

D'autant que ce projet de loi fait suite à une proposition de loi adoptée par notre assemblée en 2001 et relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons. Elle était le fruit des travaux d'une commission d'enquête dont le rapporteur était notre ancien collègue, M. Cabanel et le président, M. Hyest, qui est aujourd'hui notre rapporteur.

Discussion générale

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. - C'est un honneur pour moi de me présenter devant vous pour la seconde fois au cours de cette session extraordinaire avec ce projet de loi qui s'inscrit dans notre volonté de rénover en profondeur notre système pénitentiaire. C'est une première étape. A l'automne, nous examinerons une nouvelle loi pénitentiaire.

Vous attachez une grande importance au contrôle extérieur des lieux de privation de liberté : le Sénat a toujours veillé à protéger la dignité de la personne humaine dans notre législation. La République doit pouvoir s'assurer du respect des droits fondamentaux de ceux qu'elle a décidé d'isoler, et leur garantir des conditions de vie dignes.

L'institution d'un Contrôleur général des lieux de privation de liberté est une belle et grande idée née de vos réflexions et de vos travaux. Ce projet de loi est d'abord le vôtre. A la suite de votre commission d'enquête de 2000, une proposition de loi de MM. Hyest et Cabanel avait été adoptée le 26 avril 2001. Votre réflexion s'appuyait alors sur les conclusions de la commission Canivet, qui recommandait la mise en place d'un contrôle extérieur des prisons. Le texte que je vous présente aujourd'hui, s'il a une portée plus large, reprend la substance des dispositions que vous aviez retenues.

Notre ambition est grande ; nous voulons la modernité, l'humanité et le respect de nos engagements européens et internationaux. Le Contrôleur général aura le statut d'autorité indépendante, comme le Médiateur de la République, la CNIL, la HALDE etc., qui ont acquis leur légitimité et prouvé leur efficacité. Surtout, ces autorités ont démontré qu'un Etat de droit n'a pas à craindre d'une autorité indépendante du pouvoir exécutif. Je le dis aux fonctionnaires des ministères concernés, aux agents de l'administration pénitentiaire. Ce sont eux qui m'ont confortée dans ce projet car ils sont les premiers à déplorer les conditions réservées aux détenus, à souffrir d'une image de leur métier parfois dévalorisée. Ce regard extérieur sur un monde intérieur leur est indispensable ; il l'est tout autant pour eux que pour les personnes qu'ils ont la charge de surveiller.

Ce contrôle n'est pas une marque de défiance. Il est la contrepartie de missions et de responsabilités très étendues. La décision de priver quelqu'un de sa liberté n'en sera que plus légitime, mieux comprise. Déjà, les parlementaires exercent un droit de visite dans les prisons, le Médiateur de la République instruit les réclamations individuelles et ses travaux mettent en évidence la nécessité d'un contrôleur indépendant.

Le Contrôleur aura pour mission de garantir le respect de la dignité humaine. La privation de liberté, quelle que soit sa forme et sa durée, n'autorise pas l'humiliation, ni les atteintes à l'intégrité physique : elle oblige au respect de la personne et de ses droits fondamentaux : elle est, pour reprendre la formule du sénateur Pelletier, « indissociable du droit légal à la rédemption et à la réhabilitation. » La détention doit préparer à la réinsertion alors que, trop souvent, elle conduit à l'exclusion, au désarroi, au ressentiment. Les conditions de vie et d'hygiène sont trop inégales. L'accès à l'éducation n'est pas généralisé. La sortie est insuffisamment préparée. La promiscuité ajoute à la détresse et favorise la récidive.

Les étrangers en centre de rétention, les personnes gardées à vue ont également des droits fondamentaux ; les malades dans les hôpitaux psychiatriques doivent être pris en charge avec dignité. Pour notre Nation qui a écrit la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il serait indigne de ne pas veiller au respect de ces droits jusque dans les lieux où les personnes sont privées de liberté. Ce sera la mission du Contrôleur général.

Enfin, le projet de loi tend à respecter nos engagements européens et internationaux. Le 11 janvier 2006, le Conseil de l'Europe a réaffirmé sa volonté de replacer les détenus au coeur des missions de l'administration pénitentiaire. Les règles pénitentiaires européennes prévoient le contrôle par un organe indépendant, rendant publiquement compte de ses conclusions. En outre, la France va ratifier le protocole facultatif à la Convention contre la torture de l'ONU, signé le 16 septembre 2005. Ce protocole recommande l'instauration d'un mécanisme national de visites régulières dans tous les lieux où des personnes sont privées de liberté sur décision de l'autorité publique. Trente-cinq pays l'on ratifié.

Certains pays répartissent les missions de contrôle entre plusieurs organismes existants. La France a fait le choix d'un contrôle unique, inspiré du modèle que la Grande-Bretagne a mis en place en 1981 : celui de l'Inspecteur en chef des prisons. J'ai rencontré vendredi à Londres, en compagnie du président Hyest, Mme Owers qui exerce cette fonction depuis 2001. Elle m'a dit combien le regard porté sur les lieux d'enfermement par l'Inspecteur en chef des prisons est fondamental, pour les détenus comme pour le personnel des prisons qui attend son intervention comme une bouffée d'air venu de l'extérieur. Mme Owers fait état des améliorations considérables, accomplies depuis 1981 : progrès en faveur de la santé, de l'humanisation des lieux d'enfermement, et de la prévention des suicides. Nous connaissons tous l'attachement historique de la Grande-Bretagne aux droits de la personne humaine. La France peut s'enrichir de l'expérience de son voisin européen : elle doit en faire bénéficier ses citoyens.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sera nommé par décret pour un mandat de six ans, non renouvelable. Il exercera sa mission pour l'ensemble des lieux de privation de liberté. La notion de lieu de privation de liberté est très large. C'est l'originalité de notre projet par rapport aux propositions antérieures qui ont été faites en France et par rapport au contrôle britannique.

Les lieux de privation de liberté englobent bien évidemment les établissements du ministère de la justice : les maisons d'arrêt, les centres de détention, les maisons centrales, les centres pénitentiaires, les centres de semi-liberté, les établissements pénitentiaires pour mineurs, les centres éducatifs fermés. Le contrôle s'appliquera également aux locaux de garde-à-vue de la police et de la gendarmerie, aux dépôts des tribunaux, aux centres et aux locaux de rétention administrative, aux zones d'attente des aéroports, des ports et des gares, aux quartiers d'arrêt des armées, aux lieux de privation de liberté gérés par les douanes. Enfin, ce contrôle s'appliquera aux secteurs psychiatriques des hôpitaux. Au total, le projet de loi vise 6 072 lieux de privation de liberté, dont 219 relèvent du ministre de la justice. Les autres dépendent des ministres de l'intérieur, de l'immigration et de l'intégration, ainsi que de la défense, de la santé et du budget.

L'indépendance que nous garantissons au Contrôleur général sera la condition de son succès. Il ne recevra aucune instruction de la part des autorités ministérielles, ni de leurs administrations. Les modalités de saisine du Contrôleur seront très larges. Toute personne physique ou morale qui aura connaissance d'atteintes aux droits de la personne dans un lieu de privation de liberté pourra s'adresser au Contrôleur. Par exemple, un détenu pourra lui écrire directement, et sous pli fermé. Le recours au Contrôleur général doit être simple. Il est important que cette institution soit connue de tous, puisque tous pourront le saisir. C'est pourquoi il faudra qu'elle s'incarne en une personnalité éminente, qui saura faire entendre sa voix. Le Contrôleur général ne se substituera pas à toutes les instances qui interviennent déjà dans les lieux de privation de liberté, comme la commission nationale de déontologie de la sécurité. Le Contrôleur général travaillera en coordination avec elles. Il donnera un nom et un visage à leur cause commune. Il permettra d'attirer l'attention de nos concitoyens sur les enjeux du respect des droits fondamentaux dans les lieux de privation de liberté.

Enfin, le Contrôleur général sera doté de pouvoirs étendus. Son contrôle prendra la forme de visites dans les lieux de privation de liberté, quels qu'ils soient et où qu'ils se trouvent. Le Contrôleur général aura une seule mission : s'assurer par lui-même des conditions de prise en charge des personnes privées de liberté. Bien entendu, il disposera pour cela d'une équipe de contrôleurs qu'il recrutera lui-même. Les visites pourront intervenir à tout moment. Le Contrôleur général pourra s'entretenir avec toutes celles et ceux qu'il jugera utile de rencontrer, dans le cadre de son investigation : les personnes privées de liberté, mais aussi l'ensemble du personnel, des médecins et des auxiliaires de justice. Au terme de sa visite, le Contrôleur général fera connaître ses observations. L'administration pourra y répondre. En Angleterre, chaque visite de l'Inspecteur en chef donne lieu à un rapport, accompagné de recommandations aux autorités, dont 95 % sont admises par l'administration et 75 % en moyenne suivies d'effet dans les deux ans. L'Inspecteur en chef le vérifie à l'occasion d'une visite inopinée. Je crois que c'est la bonne méthode. Le président Hyest le souligne dans son remarquable rapport : le dialogue est complémentaire de la démarche d'investigation. Le dialogue est la meilleure promesse de résultats concrets.

Le projet de loi prévoit enfin que le Contrôleur général fera part de ses observations dans un rapport annuel au Président de la République et au Parlement, qui sera rendu public. Le Contrôleur pourra proposer les modifications des lois et des règlements qu'il jugera nécessaires à la protection du droit des personnes privées de liberté. J'ai conscience des efforts que la mise en place de ce contrôle demandera aux différents ministères concernés, mais le respect des libertés et des droits fondamentaux est à ce prix. La République fera la preuve qu'elle ne s'arrête pas aux portes de ses institutions fermées ; elle veillera à l'égalité humaine de traitement dans tous les lieux où elle prive des personnes de leur liberté ; elle renforcera la confiance de nos concitoyens dans leurs institutions, ainsi que l'a souhaité le Président de la République. Vous le voyez, ce projet de loi représente bien plus qu'une réforme technique. Il est porteur d'un message politique fort. Je ne doute pas que le Sénat, qui en a été l'instigateur, lui apportera très largement son soutien. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur. - C'est peu dire que ce projet de loi fut longtemps attendu ! Qu'il soit d'abord présenté au Sénat, comme l'a rappelé M. le président, est pour nous le signe d'une juste reconnaissance de la part prise par notre Assemblée dans un processus qui touche maintenant à son terme.

Le Sénat a en effet largement ouvert la voie au projet de loi, d'abord par les recommandations de la commission d'enquête sénatoriale de 2000 dont le rapport Les prisons : une humiliation pour la République a contribué à réveiller les consciences. Ensuite, par la proposition de loi sénatoriale adoptée ici, à l'unanimité, en 2001, sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et le contrôle général des prisons.

Bien entendu, le Sénat n'a pas plaidé seul dans ce sens. Il faut saluer ici la contribution majeure de la mission conduite pas M. Guy Canivet, alors premier président de la Cour de cassation, sur l'amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, ainsi que les travaux de l'Assemblée nationale, sous l'égide de notre collègue, Louis Mermaz. Le projet de loi s'inscrit ainsi dans un climat très consensuel. Pourquoi en effet ne pas parler de consensus dans cette Assemblée, même si, bien sûr, nous continuons à travailler sur certains points ?

L'instauration d'un contrôle extérieur répond à quatre exigences. D'abord, la privation de la liberté d'aller et de venir ne doit jamais porter atteinte au respect de la dignité de la personne qui est l'une des valeurs essentielles de nos sociétés démocratiques. Le Contrôleur extérieur apparaît à cet égard comme une garantie pour prévenir les abus éventuels que peut favoriser un milieu clos.

Ensuite, le contrôle extérieur est aussi une nécessité pour les administrations chargées des lieux de privation de liberté. Ces administrations et leur personnel, comme m'en ont convaincu nos nombreuses auditions, attendent d'un contrôle extérieur qu'il dissipe les suspicions qui s'attachent, par principe, aux yeux de l'opinion publique, aux lieux d'enfermement. Doutes injustes, le plus souvent. Un contrôle extérieur permettra aussi de prendre la mesure des efforts et du dévouement du personnel auquel je souhaite rendre ici un hommage mérité.

Le contrôle extérieur est aussi une exigence, non pas parce que les lieux d'enfermement seraient soustraits à tout contrôle, mais parce qu'au contraire, ils sont soumis à des contrôles dont la multiplicité conduit à une certaine déresponsabilisation.

La dernière exigence est internationale. Le protocole facultatif à la convention des Nations Unies contre la torture, que le France a signé le 16 septembre 2005 et qu'elle devrait ratifier avant la fin du premier semestre 2008, prévoit la mise en place d'un mécanisme national de prévention indépendant, chargé d'examiner régulièrement la situation des personnes privées de liberté. Plusieurs de nos voisins ont déjà mis en place le dispositif de contrôle prescrit par le protocole facultatif ou sont en voie de l'instituer. Notre pays ne saurait rester à l'écart de ce mouvement.

Vous avez, madame la Ministre, présenté l'économie générale du dispositif qui nous est proposé. Notre commission a approuvé le choix d'instituer une fonction de contrôle spécifique, unifiée et indépendante. Aurait-il fallu rattacher cette fonction au Médiateur de la République, comme l'avait d'abord envisagé le précédent gouvernement ? Nous avons discuté longuement de cette option et nous en débattrons de nouveau à l'occasion de l'examen des amendements. Nous pensons qu'il est préférable de confier la fonction de contrôle à une autorité spécifique.

Ce choix ne procède évidemment pas d'une quelconque défiance à l'égard du Médiateur. Bien au contraire, son actuel titulaire, M. Jean-Paul Delevoye, a accompli un travail exemplaire dans les prisons en développant, en accord avec l'administration pénitentiaire, l'action des délégués du Médiateur dans les prisons. Mais le travail de médiation est différent de celui du contrôle : le Médiateur de la République lui-même évoque l'« obligation de séparation stricte des deux missions ». Et une grande majorité des personnalités que nous avons entendues, en particulier le représentant du Conseil de l'Europe, ont plaidé pour la mise en place d'une fonction de contrôle spécifique et autonome. Tel était d'ailleurs l'esprit des recommandations de la mission présidée par M. Guy Canivet et le principe retenu par la proposition de loi sénatoriale sur le contrôle extérieur. Sans doute, notre position aurait-elle été différente si la France disposait, sur le modèle de certains pays scandinaves, d'un véritable « ombudsman » ...

M. Robert Badinter. - Eh oui !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - ...sous l'autorité duquel les deux fonctions de contrôle et de médiation auraient pu être réunies. Mais, en l'état du droit, le rattachement de la fonction de contrôle au Médiateur serait, pour votre commission, source de confusion.

Votre commission s'est efforcée par les amendements qu'elle vous proposera de conforter l'indépendance et l'autorité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Elle s'est inspirée en particulier des recommandations formulées par le rapport de notre collègue Patrice Gélard, au nom de l'office parlementaire d'évaluation de la législation sur les autorités administratives indépendantes.

Avant de conclure, je formulerai trois observations. D'abord, votre commission s'est montrée très attentive à l'indispensable cohérence des contrôles. L'institution du Contrôleur général ne met nullement en cause les prérogatives de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, dont on doit espérer qu'elle puisse assurer de manière plus effective sa mission de contrôle.

Lors de la commission d'enquête, il nous a été dit que les contrôles aboutissaient à des rapports qui ne redescendaient jamais et restaient dans les placards. Je peine à le croire : des rapports qui restent dans les placards, cela n'existe pas ! (Sourires). C'est bien pourquoi on en demande tant.

Le Contrôleur général doit pouvoir être saisi par les autres autorités indépendantes afin d'harmoniser leurs actions. La question se pose cependant du maintien des organismes dont le rôle doublonnera celui du Contrôleur général. Quel sera le sort de la commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d'attente (CRAZA), qui accomplit un travail considérable malgré la modestie de ses moyens ? Les dispositions constitutives de cette commission présentant un caractère réglementaire, il appartient au Gouvernement de prendre une décision ; quelles sont vos intentions ? En tout état de cause, il sera utile d'évaluer les divers dispositifs de contrôle.

Nous souhaitons également attirer votre attention sur les moyens dévolus au Contrôleur général, dont la mission portera sur 5 500 locaux. A titre indicatif, l'inspecteur en chef des prisons d'Angleterre -il y en a un autre en Écosse- dispose d'une équipe de quarante personnes pour visiter cent trente-neuf établissements.

Le Contrôleur général doit-il disposer d'un pouvoir d'injonction ? Ce n'est pas toujours synonyme d'efficacité, cela peut susciter un repli corporatiste, alors que dialogue et persuasion peuvent aboutir à de bons résultats. L'autorité du Contrôleur général ne se bâtira pas contre les administrations mais avec elles. D'où l'importance que revêtira le choix de la personnalité appelée à assurer ces fonctions.

La Représentation nationale est appelée à se prononcer sur un projet qui répond à un voeu largement partagé. Je ne doute pas que cet esprit de consensus nous animera pour parfaire un projet de loi destiné à nous réunir et non à nous diviser. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Yves Détraigne. - Ce projet de loi nous est soumis alors que l'examen de textes à caractère répressif replace la question des conditions de détention au coeur des débats. L'absence de grâce collective du 14 juillet s'inscrit également dans ce contexte, sachant que, pour 50 888 places opérationnelles, on compte plus de 60 000 personnes écrouées dans des prisons dont beaucoup sont vétustes et insalubres. De nombreux rapports ont décrit cette situation ; je mentionnerai ceux du Premier président Canivet, en mars 2000, et du président Hyest, en juin 2000.

L'urgence a conduit à installer, le 11 juillet dernier, un Comité d'orientation restreint en vue de l'élaboration d'un projet de loi pénitentiaire. Mais avant d'attaquer ce vaste et indispensable travail législatif, vous nous proposez de créer un contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous souscrivons pleinement à cette initiative qui met la France en conformité avec les textes européens et internationaux et, plus particulièrement, avec le Protocole facultatif additionnel à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signé le 16 septembre 2005 mais toujours pas ratifié par la France, ce que je regrette.

Je me réjouis, de plus, que ce projet de loi reprenne les conclusions du rapport Canivet -comme le Sénat l'avait souhaité en avril 2001, sur proposition du président Hyest- et les élargisse à l'ensemble des lieux de privation de liberté. Ainsi ose-t-on enfin ouvrir les portes des prisons et regarder cette « humiliation pour la République » !

Ce texte appelle cependant quelques réserves. La procédure de nomination ne respecte pas l'exigence de nommer dans cette éminente fonction une personnalité dont l'autorité morale et l'indépendance ne soient pas contestées. Nous proposerons donc que le décret nommant le Contrôleur général soit pris en Conseil des ministres et que les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat donnent un avis. Cet amendement s'inscrit d'ailleurs dans la droite ligne de ce que souhaite le Président de la République dans le cadre de la réforme des institutions.

Le dispositif encadre trop les interventions du Contrôleur, par exemple en lui imposant de prévenir les responsables des lieux visités avant son intervention : la visite inopinée doit être la règle, même si l'on peut penser que, par correction, le Contrôleur annoncera sa visite dans la plupart des cas.

Autre point d'inquiétude, les règles relatives au secret. Là aussi, nous voulons inverser la logique du dispositif, afin ce ne soit plus les responsables des établissements qui puissent opposer le secret au Contrôleur mais lui-même qui soit tenu de respecter le secret de la défense nationale, le secret de l'enquête et de l'instruction ou le secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client.

Si le Contrôleur peut communiquer aux chefs d'établissements ses observations et ses recommandations, ceux-ci doivent lui indiquer les mesures qu'ils entendent prendre au regard de ses observations. Le Contrôleur doit également pouvoir informer d'autres autorités telles que la Halde, le Défenseur des enfants ou la CNRS s'il l'estime nécessaire.

Enfin, nous proposerons de reprendre une disposition votée en 2001, afin que le Contrôleur porte sans délai à la connaissance du procureur de la République les faits laissant présumer l'existence d'une infraction pénale, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale. Pouvez-vous préciser ce qu'on entend par personnes morales dont « l'objet est la défense des droits fondamentaux » ? J'ai cru comprendre que toutes les personnes physiques pourraient saisir le Contrôleur...

De nombreux textes prévoient déjà des contrôles et des inspections sur les conditions de détention : services d'inspection de l'hygiène et de la sécurité, commission de surveillance, visite des établissements pénitentiaires de leur ressort par les magistrats. Il faudra imposer un toilettage et une mise en cohérence.

Déjà, la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention, dressait un constat accablant : « les contrôles prévus sont nombreux, variés, mais ils sont à peu près dépourvus d'effets, soit parce qu'ils ne sont pas exercés, soit parce qu'ils sont exercés de manière trop formelle, soit encore parce que l'habitude a été prise de faire preuve de peu de rigueur en ce qui concerne l'hygiène et la sécurité. » Le moment est donc venu de mettre fin à cette situation.

Par ailleurs, comme l'avait fait observer M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, « l'instauration d'un contrôle dans les prisons implique [...] un inventaire du droit applicable dans ces lieux. Le droit de la prison [...] comprend essentiellement des règlements et un droit subordonné [...] alors que la reconnaissance au détenu d'un statut de citoyen aurait commandé une intervention législative pour régir ses rapports à l'administration. [...] En prison comme ailleurs, les droits doivent être concrets et effectifs. »

Enfin, la question budgétaire est cruciale si nous ne voulons pas simplement nous donner bonne conscience. Car, faute de moyens, l'institution d'un contrôle extérieur et indépendant n'aura pas une réelle efficacité. Par parenthèse, le Contrôleur général devra veiller à recruter des contrôleurs aux compétences diversifiées pour avoir une vision très large des lieux de privation de liberté.

Il y aurait eu bien d'autres choses à dire sur l'état des prisons, la formation des personnels ou encore l'accès des détenus à la formation et aux soins. L'examen d'une loi pénitentiaire sera l'occasion de revenir sur ces sujets majeurs. En attendant, madame le Garde des sceaux, nous saluons la création d'un Contrôleur général que nous attendions depuis longtemps. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Très bien !

M. Laurent Béteille. - Madame le Garde des sceaux, le projet de loi instaurant des peines minimales pour les récidivistes ainsi que ce texte instituant un Contrôleur indépendant des lieux privatifs de détentions constituent le fondement d'une justice que vous voulez à la fois plus ferme et plus humaine. En effet, il n'est pas question d'améliorer l'efficacité de notre justice au détriment du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Le Sénat se réjouit que la justice soit l'un des grands chantiers de cette législature, lui qui il y a sept ans déjà créait une commission d'enquête sur les établissements pénitentiaires avec M. Hyest pour président et M. Cabanel pour rapporteur. Dans son rapport, la commission d'enquête appelait à améliorer sans délai les conditions des détenus - « il y a urgence... Il y a urgence depuis deux cents ans » rappelait-elle en conclusion -et à créer un organe de contrôle externe des prisons. Soucieux de répondre aux critiques adressées à la France, le Sénat adoptait une proposition de loi en avril 2001 qui reprenait ces propositions.

Venons-en au sujet de ce texte. Les prisons font aujourd'hui l'objet de multiples contrôles : celui des magistrats chargés de veiller aux conditions de détentions des personnes dont ils ont la charge ; celui de la commission de surveillance, présidée par le préfet du département, qui peut communiquer ses observations au ministre de la justice ; celui de l'inspection des services pénitentiaires et des services judiciaires ; et enfin, depuis la loi du 15 juin 2000, celui des députés et sénateurs qui peuvent saisir la commission nationale de déontologie de la sécurité, laquelle peut ensuite formuler des recommandations. En pratique, ces contrôles sont trop souvent ponctuels, dépourvus d'efficacité et les garanties d'indépendance font défaut. C'est pourquoi le gouvernement précédent avait franchi un premier pas en signant en mars 2005 une convention permettant l'intervention des délégués du Médiateur de la République dans dix établissements. En janvier 2007, ce dispositif a été étendu aux établissements de plus de 300 détenus, dont Fleury-Mérogis dans mon département, avec la création de vingt-cinq nouvelles permanences. Le bilan de cette expérience est très encourageant : 700 saisines par an en moyenne ; les délégués ont traité des litiges qui ne pouvaient être résolus par une autre voie -un tiers des réclamations concernent les litiges opposant détenus et administration pénitentiaire tels que demande de transfert ou perte d'effets personnels ; l'administration pénitentiaire a joué le jeu et constaté que ces permanences avaient permis de réduire les tensions et de prévenir les conflits.

Madame le Garde des sceaux, je me réjouis de la création d'une autorité indépendante, car la solution proposée par le gouvernement précédent aurait pu relever du mélange des genres, la médiation et le contrôle. Le Médiateur de la République l'avait d'ailleurs reconnu en distinguant les deux fonctions. De plus, ce texte montre la volonté de la France de s'engager pleinement dans un contrôle indépendant et effectif de tous les lieux de privation de liberté, des établissements pénitentiaires aux centres hospitaliers spécialisés, en passant par les dépôts des palais de justice et les centres de rétention administrative, jusqu'aux cellules des commissariats et des gendarmeries. Le Contrôleur pourra faire des contrôles inopinés, si les circonstances l'imposent. Le Contrôleur général ne recevra d'instructions d'aucune autorité, il sera donc libre de ses décisions.

Ce projet de loi permettra à la France de respecter les standards européens et le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signé par la France le 16 septembre 2005 : il serait anormal qu'un grand pays démocratique comme le nôtre ne soit pas en conformité avec les normes européennes.

Pour autant, nous ne pouvons ignorer la surpopulation carcérale que la Commission d'enquête du Sénat avait dénoncée comme « la honte de la République ». Ce problème perdure malgré les efforts réalisés ces dernières années, par la Chancellerie. Ce sont, en effet, près de 61 000 détenus qui peuplent les cent quatre-vingt-huit établissements français dont la capacité totale est de 51 000 places. 10 000 détenus supplémentaires sont venus grossir la population carcérale ces cinq dernières années. Toujours selon l'administration pénitentiaire, 80 000 personnes pourraient être détenues en 2017 dans des prisons qui, à cet horizon, ne devraient disposer que de 64 000 places.

La situation des prisons françaises a, en outre, donné lieu à une appréciation sévère de M. Alvaro Gil-Robles, ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, dans le rapport sur le respect effectif des droits de l'homme en France, présenté en février 2006. Mais ce bilan ne tient pas suffisamment compte des améliorations apportées ces dernières années dans la modernisation des infrastructures pénitentiaires ou dans la prise en charge médicale. Ainsi, à Fleury-Mérogis, plus grande prison d'Europe, un programme immobilier de 340 millions, lancé en 2004, est en cours. Aujourd'hui, sont en voie de réalisation, la remise en état de trois cent cinquante cellules qui étaient insalubres et donc inoccupées de ce fait, la construction de trois bâtiments d'accueil des familles, la réhabilitation des réseaux électriques et du mess du personnel. Sont encore à rénover l'ensemble des autres hébergements et à construire un nouveau quartier de cent vingt places, dédié aux courtes peines, qui favorisera la réinsertion.

Il convient de poursuivre l'amélioration du parc pénitentiaire mais aussi d'aller plus loin. Parce qu'il est temps de porter un regard nouveau sur la prison, parce qu'iI convient de transcrire dans notre ordre juridique interne les règles pénitentiaires européennes, parce qu'il est temps d'accorder toute sa place à la réinsertion, parce qu'il faut mieux respecter les droits fondamentaux des détenus.

Une réforme profonde du système carcéral est donc nécessaire et urgente et c'est pourquoi nous nous félicitons de la discussion prochaine d'une grande loi pénitentiaire. Pour reprendre vos propos, madame la Ministre, « Ce qui est en jeu, ce sont, d'une part, la sécurité des Français et, d'autre part, la réinsertion des détenus. C'est l'affaire de tous, la fermeté n'exclut pas l'humanité ». Sachons protéger la société en ne laissant pas s'installer le sentiment d'impunité. Sachons prévenir, éduquer, sanctionner mais sachons aussi favoriser la réinsertion des plus vulnérables.

Au vu de ces quelques observations, mon groupe soutiendra ce texte qui garantit le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. (Applaudissements à droite et au centre).

présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président

M. Georges Othily. - Le 10 février 2000 était constituée la Commission d'enquête sénatoriale sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, présidée par notre collègue Jean-Jacques Hyest. Pour ma part, je dois dire ma fierté d'avoir été l'un de ses membres tant les travaux de cette commission seront remarquables et remarqués par tous, tant pour la clarté du diagnostic sans concessions que pour l'audace des propositions. Le 29 juin 2000, son excellent rapporteur, le Président Guy-Pierre Cabanel faisait connaître son rapport, au titre on ne peut plus explicite : « Prisons : une humiliation pour la République » !

L'alarmant état des lieux dressé dans ce rapport, demeure d'actualité et permet de connaître le dramatique univers carcéral du pays des droits de l'Homme. Ce rapport Cabanel, qui fait honneur à notre Haute assemblée et fut un best-seller de notre littérature parlementaire, demeure encore sept ans plus tard une lecture obligée avant toute réforme sérieuse de notre système pénitentiaire. A la page 203 de son tome premier, j'ai pu lire ceci : « Le constat accablant dressé par votre commission d'enquête sur la situation des contrôles exercés sur l'administration pénitentiaire exige une réponse énergique et rapide » ; puis, « Il apparaît indispensable que la France se dote d'un organe de contrôle externe des établissements pénitentiaires, doté de très larges prérogatives et pouvant effectuer des visites très complètes des établissements Cet organe pourrait également servir de relais aux recommandations formulées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, dont les visites ne sont pas assez régulières pour qu'un véritable suivi puisse avoir lieu. Les rapports de cet organe de contrôle seraient soumis au Parlement ».

C'était la première fois qu'on évoquait dans notre pays la création d'un Contrôleur général. Démentant une fois de plus des préjugés qui ont la vie très dure, les sénateurs ont fait preuve « d'énergie et de rapidité » puisque le 26 avril 2001 ils adoptaient une proposition de loi déposée le 30 novembre 2000 par leurs collègues Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel et dont j'eus l'honneur d'être le rapporteur. Ce texte était relatif aux « conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons ». Mais, six ans après son adoption par notre Haute assemblée, ce texte est hélas toujours en attente d'examen sur le bureau de l'Assemblée nationale. On ne saurait imaginer un seul instant que cela s'explique par un manque d'énergie de nos collègues députés ...

La proposition de loi sénatoriale instituait un Contrôleur général des prisons « chargé de contrôler l'état, l'organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires », et qui disposerait de pouvoirs très étendus : droit de visite à tout moment dans les établissements pénitentiaires, droit d'accès à tous les locaux de ces établissements, droit de s'entretenir avec toute personne et d'obtenir toutes les informations nécessaires. En outre, le Contrôleur général pourrait proposer au Gouvernement toute modification législative ou réglementaire et établirait chaque année un rapport qui serait rendu public. Ce texte était donc très proche de votre projet de loi, madame le Garde des Sceaux, à ceci près que ce dernier étend opportunément ce contrôle à tous les lieux de privation de liberté.

A l'occasion de la Commission d'enquête 2000, j'ai pris la mesure des conditions de détention alarmante dans nos établissements pénitentiaires et, depuis, je n'ai cessé d'utiliser le droit, dont disposent désormais les parlementaires, de visiter à tout moment les prisons. Si l'on ajoute à cela que j'ai été rapporteur du budget de l'Administration pénitentiaire pendant six ans, mes nombreuses visites dans les lieux de détention m'ont permis de mesurer combien les choses ont trop peu évolué pendant toutes ces années. Pire! Mon expérience semble très proche de celle vécue entre 1974 et 1976 par la Secrétaire d'État à la condition pénitentiaire, Hélène Dorlhac et racontée dans son ouvrage d'une grande actualité Changer la prison, dans lequel elle évoquait son « voyage au bout de l'enfer ». Par exemple, je pourrais faire miennes ces lignes sur la surpopulation carcérale, génératrice de bien des risques pour le détenu comme pour la société : « Dans certaines cellules, écrivait Hélène Dorlhac, on trouve quatre ou cinq prisonniers au lieu d'un seul ; de cette promiscuité naît trop souvent la contagion de perversion. Surtout lorsque de nouveaux arrivants, souvent jeunes et délinquants primaires côtoient les vieux habitués des prisons. La prison reste encore une véritable « école du vice ». Une hiérarchie se crée, avec ses « caïds ». C'est l'exploitation des plus faibles par les plus rusés (...). La prison est un microcosme de notre société dont les tares sont exacerbées ». Et elle constatait que « l'on ne refait pas un être social dans un cadre asocial » avant de plaider en faveur d'une « humanisation de la prison qui ne saurait pour autant être synonyme de laxisme ».

Trente ans après, le 15 février 2006, était rendu public le rapport du Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe. C'est d'ailleurs sur la base de ce rapport et à l'initiative du président Jacques Pelletier que nous avions engagé ici, le 11 mai 2006, un excellent débat sur le sujet. D'après ce rapport, la plus grande atteinte aux Droits de l'Homme dans la République française reste, et de très loin, l'intolérable situation de nos prisons. Le constat du rapport Gil-Roblès de 2006 rejoint malheureusement les conclusions de celui de MM. Hyest et Cabanel en 2000.

A la lecture de ces rapports, il apparaît que l'institution d'un Contrôleur général des lieux de privation de liberté est une excellente initiative et les amendements proposés par la commission des lois permettront de renforcer le statut, l'autorité et l'indépendance du Contrôleur. Je pense par exemple à la nomination par le Président de la République après consultation du Parlement ou encore à l'élargissement de la saisine aux autorités administratives indépendantes.

Reste que nous ne pourrons faire l'économie d'une grande loi pénitentiaire, si souvent repoussée faute de moyens et surtout faute de volonté politique. Il y va de la place des prisons dans notre société, comme jadis de celle de l'abolition de la peine de mort.

L'augmentation constante de la population carcérale n'a été compensée ni par la création d'établissements modernes dignes d'un État de droit, ni par le redéploiement des différentes catégories de détenus, ni par le développement des alternatives à l'emprisonnement. Comme le souligne l'Observatoire international des prisons (OIP), l'indignité des prisons françaises est essentiellement due au fait que les détenus sont privés de l'exercice de leurs droits les plus élémentaires : quid de I'arbitraire des commissions de discipline, de l'isolement de longue durée, de l'insuffisance drastique de l'offre de soins psychiatriques, de la quasi absence de dispositifs de réinsertion pour les détenus libérés ?

La construction de nouvelles prisons ne peut être qu'un préalable à une refonte totale de notre politique pénitentiaire et de notre dispositif judiciaire. Un détenu est volontairement retiré de la place publique pour protéger la société, mais cela ne lui ôte pas sa qualité de personne humaine, ni sa dignité. La préparation à la réinsertion rejoint le droit légal à la rédemption et à la réhabilitation de ceux qui ont enfreint les règles de la collectivité.

La France ne peut continuer à entretenir des établissements où se fabrique légalement la désocialisation des individus, où se renforce leur propension au crime. Les dispositifs alternatifs à la privation de liberté doivent être développés : bracelet électronique, mais aussi travaux d'intérêt général et aménagement des peines.

Le président Hyest évoquait déjà il y a six ans la transformation des prisons en asile. Les taux de pathologies psychiatriques en prison sont jusqu'à vingt fois supérieurs à ce qu'ils sont dans la population générale. Or, il n'existe que quelques centaines de places en Unités pour malades difficiles. L'amendement du rapporteur, qui prévoit d'étendre le champ du contrôle à l'ensemble des établissements psychiatriques, y compris ceux sous statut privé, est donc particulièrement bienvenu.

L'intervention du Médiateur de la République a été renforcée le 25 janvier dernier par la signature d'une convention avec le Garde des Sceaux pour généraliser l'intervention de ses délégués dans les établissements pénitentiaires, garantissant un meilleur accès au droit pour l'ensemble des détenus. En plaçant ainsi le Médiateur à l'écoute des personnes détenues, on facilite aussi leur réinsertion. Ce dispositif ne devrait-il pas être renforcé dans le projet de loi en gestation à la Chancellerie ?

Le grand chantier pénitentiaire s'ouvre à nouveau avec ce texte. Sous le contrôle du président de la commission des lois, je me permets de suggérer le nom du président Cabanel pour occuper le premier poste de Contrôleur général.

Ce texte est une première étape qui marque la volonté politique du gouvernement d'en finir avec une très grave humiliation pour notre République. Parce qu'« une société se juge à l'état de ses prisons », disait Camus, préparons au plus vite et tous ensemble, une grande loi pénitentiaire qui mette enfin nos actes en accord avec nos principes philosophiques et juridiques.

La grande majorité du groupe RDSE votera ce projet de loi. (Applaudissements à droite et sur les bancs du RDSE)

Mme Éliane Assassi. - Il aura donc fallu attendre sept ans pour voir apparaître ce Contrôleur général des lieux de privation de liberté que nous appelons de nos voeux depuis longtemps. L'idée est née en 2000, après la publication de plusieurs rapports sur les conditions de détention, dont ceux des deux assemblées et celui de M. Canivet ; MM. Hyest et Cabanel ont déposé une proposition de loi, qui n'a malheureusement jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Les sénateurs du groupe CRC n'ont jamais manqué une occasion de la reprendre sous forme d'amendement, mais sans succès.

Nous sommes donc favorables à instauration d'un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, conformément aux engagements pris par la France auprès de l'ONU en 2005 ; mais ce texte a minima ne saurait nous convenir, qui est en-deçà des propositions du rapport Canivet, de la proposition de loi de 2001, du protocole de 2002 signé par la France en 2005, de ce qui se fait chez nos voisins ou encore des attributions du Médiateur de la République.

Pour être efficace, le contrôle doit répondre à des critères aujourd'hui absents du texte. La nouvelle autorité doit être indépendante du pouvoir politique, incontestable et impartiale ; de cela elle tirera sa crédibilité et sa légitimité. Il importe que le contrôleur soit nommé, non par décret simple, mais par décret du Président de la République pris après avis des commissions compétentes du Parlement. C'est d'autant plus nécessaire qu'aucun critère de compétence, de qualification ou d'expérience ne figure dans le texte -alors que le protocole y fait expressément référence. La première personnalité qui sera nommée sera regardée avec beaucoup d'intérêt en France comme au-delà de nos frontières ; elle donnera incontestablement le ton.

La nouvelle autorité devra en outre être dotée des moyens humains, financiers et matériels à la hauteur de ses missions ; le projet n'apporte sur ce point aucune garantie. Elle doit avoir un budget propre, inscrit au programme « Coordination de l'action gouvernementale ». Elle doit pouvoir recruter des contrôleurs en nombre, spécialisés. Son champ de compétence doit être précisément défini et concerner tous les lieux de détention, y compris les centres de semi-liberté, les centres éducatifs fermés, les secteurs psychiatriques des établissements hospitaliers, les locaux de garde à vue, les centres de rétention administrative, les zones d'attente. La rédaction de l'article 6 exclut les cas de privation de liberté par les forces militaires ou de police françaises à l'étranger. Le contrôleur doit également pouvoir s'intéresser à l'État, à l'organisation et au fonctionnement de ces lieux, aux conditions de vie et de travail des détenus ; ses pouvoirs doivent être clairs en matière de visite, d'audition et d'investigation, d'accès aux dossiers, aux lieux, aux équipements. Il doit pouvoir procéder à des visites régulières, mais surtout inopinées ; les visites sans préavis ne peuvent être limitées aux seuls cas où des circonstances particulières l'exigent. Pour toutes ces raisons, nous proposerons de réécrire l'article 6.

Il doit également disposer de pouvoirs d'injonction à l'encontre des autorités publiques. L'administration compétente doit être tenue, dans un délai fixé par le Contrôleur général, de lui rendre compte de la suite donnée à ses observations et à ses recommandations. Celles-ci doivent être rendues publiques, tout comme ses avis, propositions ou rapports de visite. En cas d'inexécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée, le Contrôleur doit pouvoir enjoindre à l'autorité mise en cause de s'y conformer dans un délai qu'il fixe. Enfin, nous regrettons l'absence d'articulation prévue entre le Contrôleur et les instances internationales, comme le sous-comité de la prévention. Nous avons déposé un amendement en ce sens.

Du sort réservé à nos propositions dépendra notre vote final. Si le texte n'était modifié qu'à la marge, nous nous abstiendrions.

Ce texte, qui ne sera adopté définitivement qu'à l'automne, intervient alors que la situation des prisons françaises est catastrophique : surpopulation carcérale, allongement de la durée des peines, absence de grâce présidentielle, multiplication des gardes à vue... Sans parler de la situation dans le secteur de la psychiatrie ou dans les centres de rétention administrative. Je crains qu'il ne serve d'alibi au gouvernement pour poursuivre, voire amplifier sa politique sécuritaire tout en se donnant bonne conscience. C'est votre côté charitable : on multiplie les contrôles extérieurs, cela évite de poser les questions de fond. Et ce n'est pas la future loi pénitentiaire qui inversera cette tendance. Le Contrôleur général des prisons est une belle idée, mais si ce texte reste en l'état, je crains qu'il ne se révèle fort décevant. (Applaudissements à gauche)

M. Robert Badinter. - En matière carcérale, je suis un pessimiste actif. Il y a cinquante-cinq ans que je me suis pour la première fois rendu à la maison d'arrêt de Fresnes, à mobylette. Cela fait trente-cinq ans que je n'ai pas cessé de lutter pour l'amélioration des conditions dans les prisons. Je n'ai pas le sentiment que ces efforts aient abouti. Il y a eu trop de rapports, internationaux et parlementaires, pour ne pas s'interroger sur la condition singulière du monde carcéral en France, en dépit des efforts des personnels pénitentiaires qui assument des fonctions très difficiles dans des conditions souvent pénibles, parfois dangereuses, dont la communauté nationale ne leur sait pas suffisamment gré.

Pourquoi ce pessimisme ? En 1998, l'Observatoire international des prisons demandait déjà la création d'un Contrôleur général des prisons, suivi de nombreux rapports parlementaires : celui de la commission Hyest, Une humiliation pour la République, puis celui de la commission Mermaz, à l'Assemblée nationale. À la demande de Mme Guigou, alors garde des Sceaux, le Premier président Canivet a déjà défini les conditions d'instauration d'une telle instance. Est-ce pour autant que les propositions de loi -celle de M. Hyest, votée à l'unanimité par le Sénat en 2001, ou celle de Mme Lebranchu, déposée en 2004- ont prospéré ? On trouve toujours du temps pour multiplier les lois sur la récidive, qui aggravent la surpopulation pénale, mais jamais pour la grande loi pénitentiaire que nous réclamons, et qui réglerait notamment la question du contrôle extérieur des lieux de détention.

Voilà que nous somme saisis, enfin ! au terme d'une longue attente et à la suite de rapports internationaux extrêmement critiques. Il existe depuis 1998 une déclaration du Parlement européen demandant à tous les États membres d'instaurer un tel contrôle. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a formulé la même demande en 2004. Si nous sommes saisis aujourd'hui, c'est que nous sommes tenus par nos obligations internationales : en 2004, nous avons enfin signé le protocole additionnel à la convention de l'ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que nous devrons ratifier au cours du premier semestre 2008.

Enfin, après tant de demandes des magistrats, des avocats, de l'administration pénitentiaire elle-même, voilà que l'on crée un Contrôleur général, aux compétences étendues. Mais ce texte avance frileusement, trop frileusement. Quelles conditions pour qu'un tel contrôle soit efficace ? Indépendance de l'autorité administrative indépendante, pouvoir et saisine larges -nous y reviendrons. C'est à la mesure de ces exigences que nous saurons s'il s'agit là de la simple satisfaction formelle d'une exigence internationale, d'un trompe l'oeil, ou d'une réelle volonté politique d'instaurer un contrôle des lieux de détention.

Parmi ces conditions, il y a l'autorité de la personne qui assumera cette haute fonction. Le texte actuel ne formule pas d'exigence sur ce point. On pense que cela ira de soi, que le célèbre vers, « L'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux », est dépassé. Je préfère pour ma part préciser, comme le fait la convention internationale, que le Contrôleur général sera choisi parmi des « personnalités de haute moralité, ayant une expérience professionnelle reconnue dans le domaine de l'administration de la justice ». Dès lors, cette personnalité étant nommée par décret du Président de la République - faute de quoi, nous aurions des problèmes de loi organique - ...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Absolument.

M. Robert Badinter. - ...il est normal que soit recueilli l'avis des commissions des deux assemblées, afin que le Parlement participe à cette nomination, ce qui ne fait qu'anticiper la volonté proclamée du Président de la République. Nous souhaitons en outre que cette décision soit prise à la majorité des trois cinquièmes de la commission.

Il faut reconnaître au Contrôleur général des pouvoirs qui lui permettent d'assurer effectivement sa mission : c'est la mesure de la volonté politique.

Ensuite, le Contrôleur doit pouvoir se rendre à son gré dans les établissements, sans bien sûr adresser de préavis solennel digne du Revizor de Gogol ; il doit pouvoir s'entretenir librement avec qui il veut et avoir accès à tous les documents, sans jamais que le secret, de quelque nature que ce soit, puisse lui être opposé. Même le secret médical ne saurait être invoqué, y compris dans les établissements psychiatriques, car seul le dossier médical recueille les éléments propres à établir, donc à faire cesser, les violences envers les personnes. Le contrôle ne saurait être partiel ni contraint, car le Contrôleur doit garantir que les droits fondamentaux sont effectivement respectés.

Le Contrôleur, enfin, doit disposer des moyens d'effectuer son contrôle. Il n'y rien de plus hypocrite que d'installer des institutions sans leur donner les moyens de fonctionner, comme la CNIL. Il y a en France quelque 5 500 lieux à contrôler, si nous voulions confier au Contrôleur général des moyens équivalents à ceux de son confrère anglais, ce serait 60 à 80 contrôleurs qu'il faudrait lui associer. Madame le Garde des Sceaux, quel budget, dans ses grandes lignes, prévoyez-vous pour le Contrôleur général ?

Cette réforme ne suffirait pas à transformer la situation des établissements si on n'y ajoutait la grande loi pénitentiaire que nous espérons et que nous attendons. Et les conditions de détention ne seront pas dignes de notre pays aussi longtemps que trois impératifs ne seront pas respectés. Premièrement, la prison doit être l'ultime recours, plutôt que la première défense pénale, car nous savons tous qu'elle est, dans les conditions de surpeuplement qui sont les siennes, le foyer de la récidive, l'école du crime. Méfions-nous du tout carcéral, espérons que les magistrats résistent à la pression de l'opinion publique ! Deuxièmement, n'oublions jamais que le détenu demeure, même au fond de sa cellule, un être humain et un citoyen, qu'on a privé de sa liberté, voire de ses droits civiques, mais pas de tous ses autres droits fondamentaux. Ce sera précisément la tâche du Contrôleur que d'y veiller. Troisièmement, ne perdons jamais de vue, comme trop souvent, qu'on sort toujours de prison et le premier devoir de l'administration pénitentiaire est de préparer la réinsertion du prisonnier, qui regagnera un jour la société des hommes libres. Je souhaite de tout coeur que la loi pénitentiaire respecte ces trois impératifs : elle sera alors un grand progrès, après deux siècles où notre communauté nationale a entretenu avec la prison des relations singulières qui ne l'honorent guère ! (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Jean-René Lecerf. - (Applaudissements à droite) Ce texte pas comme les autres s'insère dans une vaste ambition consistant à vouloir transformer les conditions de détention dans notre pays. Elle est ni de droite ni de gauche, nous l'approuvons tous : il y a urgence depuis 200 ans, selon la formule de notre rapport « Prison : une humiliation pour la République ». Nos concitoyens, déjà choqués par les livres comme celui de Véronique Vasseur, médecin chef à la prison de la Santé, ou encore celui du groupe de Mialet intitulé « Tous coupables », ont été bouleversés par les révélations de l'affaire d'Outreau, au point que la réforme de la justice soit devenue une ardente obligation. Cependant, elle n'a pas eu dans la dernière campagne présidentielle, la place qu'on aurait pu lui donner.

M. Jean-Pierre Sueur. - Absolument !

M. Jean-René Lecerf. - Déjà en 2001, M. Badinter, dans le débat sur la proposition de loi de MM. Hyest et Cabanel, appelait à profiter de notre unanimité pour agir. La remarque vaut six ans après, mais nous remarquons cependant que l'enthousiasme n'est pas au rendez-vous, comme si l'administration s'employait à retenir ses prérogatives, sans en confier aucune au Contrôleur.

M. Henri de Richemont. - Bravo !

M. Jean-René Lecerf. - La nomination en Conseil des ministres n'est peut-être pas compatible avec la loi organique, mais il paraîtra difficile d'expliquer que la nomination d'un Préfet ou d'un Recteur a plus de solennité que celle du Contrôleur. M. Sarkozy, dans sa campagne, déclarait que les nominations aux plus hautes fonctions devraient se faire sur des critères de compétences plutôt que de proximité avec les sphères du pouvoir, et que le Parlement pourrait y avoir un pouvoir de véto.

M. Henri de Richemont. - Très bien !

M. Jean-René Lecerf. - Pourquoi ne pas associer davantage le Parlement à la nomination du Contrôleur ? Ce serait renforcer son autorité morale. J'ai déposé un amendement dans ce sens, mais je me rallierai volontiers à celui de la commission, qui va dans le même sens. L'administration déploie un luxe de précautions pour entourer les pouvoirs confiés au Contrôleur, comme pour limiter son pouvoir. Mais quelle sera son utilité si son pouvoir d'information et d'accès aux prisonniers est limité ?

M. Henri de Richemont. - Exactement !

M. Jean-René Lecerf. - Nous ne légiférons pas pour satisfaire formellement au protocole de juillet 2005 contre la torture, ni pour nous donner bonne conscience, mais bien pour transformer les conditions de détention dans notre pays, pour que ce qui était hier une humiliation pour la République devienne digne de la patrie des Droits de l'Homme! (Applaudissements à droite)

Un pouvoir d'injonction, lorsque l'urgence se mêle à la gravité, lorsque la vie d'une personne est en jeu, ne serait pas naturel ? (« Absolument ! » sur les bancs socialistes). Il n'y a aucune défiance envers l'administration qui ne peut intervenir si elle n'a pas les informations ! Or on déplore un manque de communication entre les services médico-psychiatriques et le personnel pénitentiaire. Va-t-on priver le contrôleur de pouvoir demander un encellulement individuel immédiat, au risque d'un drame dont l'actualité des prisons n'est pas avare ?

Faut-il attribuer au Médiateur un contrôle extérieur et indépendant ? J'y étais favorable lorsque le précédent gouvernement l'annonçait, je n'ai pas changé d'avis. Cette institution a acquis une légitimité et une connaissance de l'univers carcéral, et dispose déjà de pouvoirs importants. Il serait bon également d'éviter la dispersion des crédits publics : 5 788 lieux à visiter, a dit Mme la ministre ; cela exige des moyens ! Je déplore aussi la multiplication des autorités administratives indépendantes, « objet juridique non identifié » selon notre collègue Gélard, qui recommande de faire précéder toute nouvelle création par une évaluation...

M. Louis de Broissia. - Bravo !

M. Jean-René Lecerf. - Il y a cependant des objections, comme la nécessité de séparer fonctions de médiation et de contrôle, ou le statut même du Médiateur. Si sa mission portait aussi sur le respect des droits de l'homme, s'il accédait aux compétences pleines et entières d'un Ombudsman, alors le débat serait différent. On pourrait envisager un regroupement des autorités telles que le Défenseur des enfants, la HALDE, la commission nationale de déontologie de la sécurité, ce qui éviterait les risques de téléscopage et de confusion induits par des compétences enchevêtrées.

Notre sujet d'aujourd'hui est particulièrement sensible. La loi pénitentiaire, à l'automne prochain, devra selon moi procéder à une rupture qualitative avec le passé en redéfinissant le sens de la peine et les missions du personnel carcéral. Comme le disait le président Larché lors des débats d'avril 2001, chaque fois que l'on donne de l'espoir aux détenus, on facilite le travail des surveillants.

En 2001, il y eut un large consensus ; j'espère qu'aujourd'hui nous pourrons faire aussi bien et je me réjouis de travailler avec vous, madame le garde des Sceaux, à améliorer ce texte qui procède à une réforme essentielle. (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Charles Gautier. - Un consensus se dégage sur la nécessité de créer une autorité indépendante pour contrôler les lieux de détention. Je me félicite que Mme la ministre ait réussi à inscrire ce texte attendu à l'ordre du jour de nos travaux. Mais il est dommage que ce soit sous la poussée des organismes internationaux que la France concrétise ce projet : la patrie des droits de l'homme apparaît à la traîne de ses partenaires et de l'histoire...Elle a découvert récemment les conditions déplorables de détention dans ses prisons et je salue le patient et remarquable travail de l'Observatoire international des prisons. Mais pourquoi séparer cette question de l'ensemble du futur texte pénitentiaire ?

Les initiatives parlementaires ont été nombreuses depuis 2001 ; aucune n'a abouti ; des personnalités devenues ministres avaient dénoncé les conditions de vie en prison et vous ne pouviez plus demeurer insensible à cette question. En revanche les solutions que vous proposez ne font pas consensus.

Aujourd'hui, de nombreux organismes comptent parmi leurs prérogatives la visite et le contrôle des lieux de privation de liberté. Mais leur action est souvent inefficace et l'administration, muette. Les autorités judiciaires et les parlementaires peuvent faire des visites inopinées ; mais pour quels résultats ? Je l'ai constaté dans mon département, nous avons là une possibilité de nous informer, guère d'agir !

Vous créez une autorité indépendante qui pourra être saisie par les parlementaires, les particuliers, les associations. Quid des détenus qui voudront faire cette démarche ? Il n'est pas facile de critiquer une administration dont on dépend à ce point dans sa vie quotidienne. Je reprends aussi une critique que l'on a pu adresser à votre texte sur la récidive : où sont les moyens ? Les assistants ont des pouvoirs mal définis ; seul le Contrôleur général pourra visiter des lieux...qui ne sont pas énumérés ; des quelque six mille qu'il aura sous son contrôle, certains ne seront jamais visités.

Surtout, l'administration devra être avisée avant la visite. Pourquoi ?

Mme Bariza Khiari. - Le temps de faire le ménage !

M. Charles Gautier. - Les pouvoirs du Contrôleur général sont finalement limités. J'insiste sur l'importance des assistants, dont il faudra bien préciser fonctions et attributions. Vous n'avez hélas pas repris la recommandation de M. Canivet, un système dans lequel le premier niveau est constitué de citoyens bénévoles, intermédiaires locaux entre détenus et administration. Mme la ministre vante le modèle britannique. Que ne s'en est-elle inspirée, il compte quarante contrôleurs pour les seules prisons !

Ce texte a le mérite d'exister mais il est bien en retrait par rapport aux attentes. Nombre d'articles se bornent à énoncer tout ce qui peut limiter ou entraver l'action du contrôleur général.

M. Robert Bret. - Exactement !

M. Charles Gautier. - La nomination par simple décret crée une dépendance possible à l'égard du pouvoir en place, et contredit les positions du candidat à l'élection présidentielle, qui insistait sur la validation par le Parlement.

Le titulaire de ces nouvelles fonctions devra être une personnalité reconnue pour son action en faveur des droits de l'homme et le combat pour la dignité des détenus. La première désignation sera un test de votre volonté à donner tout son poids à la nouvelle institution. La crédibilité de votre démarche en dépend.

Ce texte omet tout ce qui figurait dans les propositions de loi. Je songe notamment aux rapports avec le procureur de la République.

Le Contrôleur général n'a de liens qu'avec les ministres et ne leur formule que des avis. Tout dépend donc du ministre concerné et de son attention au sort des détenus.

J'insiste enfin sur l'impérieuse nécessité de voir les moyens suivre, et nous attendons que vous nous rassuriez sur ce point, madame la ministre, car sans moyens, le Contrôleur général ne sera pas capable de changer un tant soit peu les conditions de vie déplorables dans les lieux de privation de liberté. Sans moyens, ce projet de loi restera un acte quelconque de plus, sans conséquence réelle. Notre groupe restera donc attentif aux réponses que vous apporterez à l'ensemble des questions que nous avons soulevées, ainsi qu'au sort qui sera réservé aux amendements que nous proposons. Nous attendons donc une très nette clarification. (Applaudissements à gauche)

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Nous accueillons avec satisfaction les efforts affichés par le gouvernement pour permettre à la France de mettre son système juridique en conformité avec ses engagements internationaux en matière de protection des droits humains.

Si la session extraordinaire s'est ouverte sur la ratification de nombreux textes d'une très grande importance en la matière, iI faut cependant noter que la France n'a pas encore ratifié le protocole facultatif à la Convention des Nations-Unies contre la torture.

Pourquoi une telle réticence ? Le système juridique français est-il à ce point incompatible avec les engagements internationaux de la France ?

Ce protocole oblige la France à créer une autorité indépendante de contrôle des lieux de privation de liberté. Tel est, justement, l'objet de ce projet de loi...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Eh oui !

Mme Alima Boumediene-Thiery. - C'est donc qu'il n'existe pas d'obstacle juridique à la ratification de ce protocole ! Pourtant, il ne figure pas à l'ordre du jour... Il me semble que le gouvernement n'entend pas se conformer exactement au protocole. Le Contrôleur qu'il crée n'est qu'une pâle représentation de ce que la communauté internationale attend de lui en la matière. Ne faisons donc pas preuve d'angélisme ni d'une satisfaction exagérée !

La véritable question est de savoir si un Contrôleur d'apparat est mis en place en France, ou si un véritable contrôle des lieux de privation de liberté, efficace, indépendant, est exercé.

Le projet de loi que vous nous proposez est minimaliste : il reprend le principe d'un contrôle extérieur des lieux de privation de liberté, mais rien de plus.

Instituer un contrôleur ne sert à rien, si vous ne lui donnez pas les moyens juridiques, matériels et humains de mener à bien sa mission de contrôle et de surveillance, si ses pouvoirs n'excèdent pas ceux des parlementaires ou ceux de la commission nationale de déontologie de la sécurité.

On n'envoie pas un pompier éteindre un incendie avec un seau d'eau !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Dans certains cas, si !

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Un véritable contrôle des lieux de privation de liberté doit s'étendre aux conditions de vie, au respect de la dignité des personnes privées de liberté, à leurs perspectives d'emploi et de réinsertion. Il ne s'agit pas de créer une énième autorité, venant ajouter son nom à la longue liste de celles déjà nombreuses compétentes en la matière.

Un seul contrôleur doté de larges pouvoirs d'injonction vaut mieux qu'une juxtaposition de contrôleurs dont les pouvoirs sont limités. Votre texte ne crée pas les conditions nécessaires à la mise en oeuvre d'un contrôle efficace et effectif des lieux de privation de liberté. II suffit de le comparer avec les règles internationales en la matière.

Le contrôle, pour être efficace et probant, doit pouvoir se faire de manière spontanée et impromptue.

En vertu du protocole facultatif, les États autorisent des visites régulières et sans accord préalable des autorités responsables. Cette possibilité de visiter les lieux sans préavis est la garantie fondamentale que les autorités ne pourront se soustraire à leurs responsabilités et se défendre de leurs carences.

Sur place et sur pièce, le Contrôleur pourra témoigner des dysfonctionnements d'un établissement.

Avertir les autorités, c'est leur donner la possibilité de camoufler leurs propres carences et leurs propres négligences.

Évitons au Contrôleur général de subir les odeurs de peintures fraîchement refaites pour les soins de sa visite !

Donnons-lui la possibilité de connaître la réalité des conditions de privation de liberté, pas un simulacre arrangé par les autorités avisées au préalable !

Pourquoi nous, parlementaires, disposons-nous du droit de visiter sans préavis les lieux de privation de liberté et le refusez-vous au Contrôleur général ?

Si vous souhaitez mettre un terme, comme le souligne M. le président Hyest dans son rapport, à un « contrôlé dispersé et insuffisant », il faut que le Contrôleur général dispose de compétences supplémentaires à celles des parlementaires, de la commission nationale de déontologie de la sécurité, et de tant d'autres autorités.

Votre projet de loi n'unifie pas les contrôles existants : ils tirent leur efficacité vers le bas. La force d'un Contrôleur général, c'est son indépendance. Ses compétences sont liées, dans tous les champs de son action : il ne peut pas librement visiter les lieux de manière inopinée et sans déposer de préavis ; il ne peut librement visiter ces lieux sans se voir opposer un refus fondé sur des considérations absurdes telles que « les troubles sérieux dans l'établissement », alors que c'est à ce moment précis que sa visite serait particulièrement utile ; il ne peut pas librement publier ses avis ni les réponses des autorités ; il ne peut pas alerter le procureur de la République des faits dont il pourrait prendre connaissance ; il ne pourra même pas présenter ses conclusions au cours d'une procédure judiciaire ayant un rapport avec les faits qu'il aura pu constater.

Ainsi muselé, le Contrôleur général ne sera plus qu'une chambre d'enregistrement des doléances, et ses conclusions ne seront qu'une compilation d'avis et de propositions sans effet obligatoire.

Votre projet de loi institue une autorité consultative, pas une autorité indépendante ayant des pouvoirs d'injonction.

Avec ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, nous avons saisi en juin 2006 la commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS) pour cinq affaires concernant les conditions de détention dans le centre pénitentiaire de Liancourt.

La commission a décidé, le 16 janvier 2007, de saisir le procureur de la République de ces faits.

Les droits des parlementaires, combinés avec ceux de la CNDS, sont bien plus efficaces que le système que vous souhaitez mettre en place.

De deux choses l'une : soit le contrôle indépendant que vous souhaitez mettre en place est supérieur en qualité et en effectivité à ceux déjà existants, soit cette institution est un leurre, une mesure d'affichage politique, incomplète et biaisée par rapport aux engagements internationaux de la France.

Nous avons déposé plusieurs amendements qui visent à donner au Contrôleur général la place qu'il mérite : un droit de visite large, sans restrictions absurdes ; un droit de publication de ses avis et des réponses des autorités sans autorisation préalable ; un droit de saisine du procureur de la République ; un droit d'intervention dans une procédure judiciaire, en qualité d'amicus curiae, afin d'éclairer les juges.

C'est à ce prix, que le Contrôleur général pourra exercer un contrôle indépendant et conforme au principe du respect de la dignité des personnes privées de liberté, au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

La privation de liberté ne prive que de liberté. L'égalité des droits doit toujours prévaloir. (Applaudissements à gauche)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Comme l'ont justement souligné le président Hyest et M. Béteille, le Médiateur de la République, M. Jean-Paul Delevoye, a accompli un travail remarquable de médiation dans les prisons, qui permet d'enrichir nos propres travaux sur la nécessaire création d'un contrôleur indépendant. Rattacher la fonction de médiation à l'institution de contrôle introduirait une confusion des missions.

J'ai bien noté votre souhait, monsieur le président Hyest, d'un contrôle judiciaire plus efficace sur les activités des prisons : je le rappellerai aux chefs de cour, en précisant que ce n'est pas seulement mon souhait, mais aussi celui de votre Haute assemblée.

Le dispositif que je vous soumets reprend celui de la proposition de loi du 26 avril 2001, que vous avez adoptée à l'unanimité, en instituant une mission de contrôle indépendante et spécifique.

Sur la question des moyens, vous serez amenés à examiner le budget de cette institution, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2008. Nous prévoyons de la doter de 18 emplois et de 2,5 millions d'euros de crédits. Ceux-ci pourront bien sûr augmenter au cours des années suivantes en fonction de la charge de travail effectif du contrôleur. Je rappelle que le Contrôleur anglais, que nous avons évoqué, a commencé avec six personnes, pour une population carcérale bien supérieure à la nôtre, de l'ordre de 90 000 détenus à l'époque. Le budget du Contrôleur sera supérieur à celui du défenseur des enfants, qui s'élève à 1,8 millions d'euros, et supérieur de plus d'un quart à celui du Médiateur, qui s'élève à 1,5 millions d'euros, cette dernière institution instruisant, je le rappelle, plusieurs millions de demandes individuelles.

Vous m'avez interrogée sur l'avenir de la commission nationale de contrôle des centres de rétention administrative et des zones d'attente, présidée par un magistrat de la Cour de Cassation, et qui exerce un contrôle d'une grande efficacité. Ce projet de loi ne prévoit ni n'implique sa suppression. Mais le gouvernement ne trouve ni utile ni souhaitable que coexistent plusieurs instances de contrôle jouant le même rôle. À terme, elle devrait donc être supprimée.

M. Detraigne a exprimé des craintes sur les pouvoirs du contrôleur et sur la possibilité de visites inopinées. Il est vrai que le texte prévoit des visites programmées, qui présentent l'avantage d'être plus approfondies. Ainsi, le contrôleur anglais a mis en place ce type de visite, pour permettre d'améliorer et d'approfondir le travail de rédaction des recommandations.

Mais le texte prévoit des visites inopinées dans des circonstances particulières, en cas de plaintes ou de dénonciations par exemple. Ainsi, le champ de ces visites inopinées sera très large.

Vous m'interrogez sur les « personnes morales dont l'objet est la défense des droits fondamentaux ». Il me paraît normal que les associations de défense des droits de l'Homme puissent saisir le Contrôleur.

Monsieur Othily, la discussion de la loi pénitentiaire donnera l'occasion d'aborder tous les problèmes : aménagement des peines, régime de la détention etc., et d'évoquer le rôle des délégués du Médiateur.

Mme Assassi souhaite que le Contrôleur dispose d'un pouvoir d'injonction. Il exercera une magistrature morale et sera un aiguillon pour les administrations concernées. Mais lui donner un pouvoir d'injonction, ce serait empiéter sur les prérogatives de l'autorité judiciaire et aller contre la séparation des pouvoirs

Il est vrai, monsieur Badinter, que le processus de nomination n'intègre pas encore le Parlement. C'est que la commission Balladur y réfléchit et que nous ne voulons pas préjuger ses conclusions.

M. Jean-Pierre Sueur. - C'est dommage. Le pouvoir du Parlement n'a pas à dépendre d'une telle commission.

M. Patrice Gélard. - Qui n'est d'ailleurs qu'un « comité » !

M. le Président. - Où M. Sueur compte beaucoup d'amis. (Sourires)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - La règle du secret doit s'appliquer dans de nombreux cas, monsieur Lecerf, mais certes pas tous, loin de là : dans la grande majorité des contrôles, elle ne sera pas opposable.

M. Charles Gautier s'est inquiété des pouvoirs des contrôleurs. Toutes garanties seront apportées dans le décret.

Madame Boumediene-Thiery, vous avez appelé à une ratification du protocole facultatif : c'est l'objet de ce projet de loi d'offrir un cadre juridique adapté à sa ratification. (Applaudissements à droite et au centre)