Immigration, intégration et asile (Conclusions de la CMP)

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.

Discussion générale

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. - La commission mixte paritaire réunie le 16 octobre est parvenue à un accord. Le projet comptait dix-huit articles lors de sa présentation en conseil des ministres, et quarante-sept après la discussion en première lecture à l'Assemblée nationale. Le Sénat avait adopté vingt-deux articles dans la rédaction du Sénat et approuvé vingt-six articles additionnels, de sorte que cinquante-et-un articles restaient en discussion. La plupart des différences n'étaient pas synonymes d'un désaccord entre les deux assemblées : une quarantaine d'articles ont été adoptés dans la rédaction du Sénat ou après de simples modifications rédactionnelles. Un débat serein a permis de dégager des solutions équilibrées sur les quelques points de désaccord.

Après un long débat sur l'article 5 bis relatif aux tests ADN, la commission a repris la rédaction du Sénat sous réserve d'une précision apportée par le rapporteur à l'Assemblée nationale qui en fixe strictement le champ. Sur cette question très sensible, la pédagogie commande de rappeler que le TGI de Nantes décidera les tests après que le juge aura vérifié que les investigations utiles auront été réalisées au préalable. La compétence judiciaire est ainsi respectée : il n'y a pas en l'occurrence de dérogation. Le recours au test garde un caractère subsidiaire et on ne pourra y recourir que si l'état civil non plus que la possession d'état n'ont pas permis d'établir la filiation. M. Fauchon, dont je salue la contribution, aurait souhaité qu'on mette plus en évidence le recours préalable à la possession d'état mais je suis persuadé que la formulation est de nature à rassurer et à convaincre nombre d'opposants à la rédaction initiale de cet article.

Le respect de la vie privée est garanti, puisque le test devra avoir été demandé ou accepté par les intéressés, et que la filiation ne sera établie qu'à l'égard de la mère, ce qui écarte le risque de remise en cause de paternités légalement établies.

Un décret donnera la liste des pays dans lesquels la mesure sera expérimentée durant dix-huit mois. On pourra ainsi vérifier que les pays concernés l'acceptent tout en évitant les appréciations fluctuantes des consulats. Enfin, le Comité consultatif d'éthique donnera son avis sur le projet de décret et les analyses seront réalisées aux frais de l'Etat. Les oppositions n'ont plus lieu d'être.

A l'article 2, sur la condition de ressources, la commission a renvoyé au décret la modulation dans la limite de 1,2 Smic, à la condition que le décret ne la permettrait que pour les familles de six personnes ou plus. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous le confirmer ? La commission a également supprimé l'exonération de la condition de ressources pour les titulaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées car cela aurait créé une inégalité.

A l'article 4 sur la formation des conjoints de Français, la commission mixte paritaire a rétabli le texte de l'Assemblée nationale car quinze jours ne permettent pas une formation utile. Toutefois l'exception en faveur des conjoints de Français expatriés a été maintenue.

A en outre été maintenue la disposition de la loi du 24 juillet 2006, introduite par notre regretté collègue Jacques Pelletier, qui permet aux conjoints de Français, entrés régulièrement et mariés en France, de déposer leur demande de visa de long séjour en préfecture ; il reviendra à l'administration de mettre en oeuvre les moyens nécessaires à son application.

En supprimant l'article 9 ter, la CMP est revenue au délai de recours d'un mois devant la commission de recours des réfugiés ; le Sénat y tenait beaucoup. A l'article 12, elle a supprimé la possibilité de moduler la durée de validité de la carte de séjour « salarié en mission », estimant qu'une telle souplesse serait source de complexité administrative et pourrait être abusivement interprétée.

La CMP est en outre revenue sur l'article 10 ter, pourtant adopté conforme par les deux assemblées, au motif que le texte créant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté a prévu que le contrôle s'appliquerait aussi aux modalités de transfèrement des personnes privées de liberté. Elle a supprimé l'article 21, afin de ne pas laisser penser que le droit des étrangers en situation irrégulière à être accueillis dans les structures d'hébergement d'urgence était remis en cause. Le Sénat avait déjà levé certaines ambigüités, mais seule la suppression pure et simple était de nature à rassurer les associations et rétablir les conditions d'un travail serein.

Le texte adopté par la CMP porte l'empreinte du Sénat, qui a tenu à renforcer l'effectivité des droits : on ne peut être ferme que si on est exemplaire en matière de respect des procédures. Ainsi avons-nous insisté pour que le délai de recours laissé à l'étranger débouté de sa demande d'asile soit porté à 48 heures. De même, le Sénat avait précisé à l'article premier que l'évaluation et la formation linguistique seraient mises en oeuvre dès le dépôt du dossier en préfecture, et que les résultats de l'évaluation, comme l'attestation de suivi de la formation, seraient remises à l'étranger immédiatement.

Nous avons également estimé, à l'article 20, que les résultats des études relatives à la diversité et aux discriminations ne devaient pas permettre l'identification directe ou indirecte des personnes concernées. Certains ont dit craindre un fichage ethnique ; mais la Cnil et la Halde ont émis un avis favorable à un dispositif qui n'est de toute façon pas inédit dans notre législation et reste sous l'entier contrôle de la Cnil.

Le Sénat a en outre relancé les commissions départementales des titres de séjour, et en a revu la composition. Il a eu le souci de simplifier les procédures, comme en témoigne l'adoption d'un amendement de M. Laffitte permettant aux scientifiques étrangers poursuivant en France des travaux commencés dans un autre État membre de l'Union européenne d'obtenir un titre de séjour sans demande préalable d'un visa de long séjour. Les titulaires de la carte « compétences et talents » seront enfin dispensés du contrat d'accueil et d'intégration.

Je remercie tous ceux qui ont activement participé à nos débats et j'invite le Sénat à adopter les conclusions de la CMP. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement. - Rarement un texte aura été en si peu de temps autant commenté, débattu et enrichi. Le Sénat y a pris toute sa place, ce qui montre l'intérêt pour une démocratie d'être dotée d'une deuxième chambre.

La CMP a adopté un texte équilibré, avec l'entier soutien du Gouvernement. Je remercie tout particulièrement le président et le rapporteur de votre commission des lois. Plus qu'un aboutissement, le vote du Parlement est une étape ; il s'agit, conformément à l'ambition du Président de la République et du Gouvernement, d'être plus ferme à l'égard des immigrés qui ne respectent pas les lois de la République mais aussi plus protecteur envers ceux qui respectent nos règles et partagent nos valeurs. C'est ainsi qu'on favorisera l'intégration et qu'on préservera la cohésion nationale.

Le regroupement familial sera mieux encadré, grâce à une évaluation préalable du degré de connaissance de la langue française et des valeurs de la République. La langue est en effet le meilleur vecteur d'intégration, la meilleure clé d'accès à l'emploi, au logement, aux services publics, en un mot à une vie normale. Près des trois quarts de nos compatriotes approuvent ce dispositif. Demander de passer un test de français, c'est combattre le communautarisme et récompenser les étrangers qui font l'effort de s'intégrer.

L'étranger qui souhaite faire venir sa famille devra disposer de revenus adaptés à la taille de celle-ci ; un décret en Conseil d'État fixera un barème raisonnable. Le parcours d'intégration sera renforcé par la création du contrat d'accueil et d'intégration pour la famille, qui rappellera les droits et devoirs des parents, dont l'obligation d'instruction.

Les procédures d'examen des demandes d'asile sont confortées ; la tradition de la France est respectée -124 000 personnes ont aujourd'hui le statut de réfugié politique dans notre pays. Je le redis solennellement : les questions de l'asile et de l'immigration sont distinctes et doivent le rester ; l'asile n'est pas et ne sera pas la variable d'ajustement de notre politique d'immigration. Le texte tient compte de la nouvelle organisation gouvernementale, qui me confie la tutelle de l'Ofpra ; celui-ci reste bien évidemment souverain pour l'examen des cas individuels, sous le contrôle de la commission des recours, renforcée et devenue la Cour nationale du droit d'asile.

Les travaux parlementaires ont été de grande qualité ; le texte y a gagné près de 50 articles, 460 amendements ont été débattus, 150 adoptés issus de tous les bancs, dont 41 de l'UMP, 5 des centristes, 15 des socialistes, 15 des Verts et 2 des communistes ; 34 d'entre eux ont été votés à l'unanimité. J'insisterai sur quatre dispositions importantes : vous avez créé un compte d'épargne « codéveloppement » ; vous avez généralisé le bilan de compétences pour les étrangers s'installant en France, encourageant ainsi l'immigration de travail ; vous avez refusé toute régularisation massive, laissant aux préfets le soin d'examiner les dossiers au cas par cas en tenant compte de la capacité d'intégration par le travail de l'étranger.

Enfin, vous avez créé une carte de résident permanent pour faciliter la vie des étrangers parfaitement intégrés qui vivent dans notre pays depuis de longues années.

J'en viens à la possibilité très controversée de prouver la filiation au moyen d'un test ADN. Cette proposition de M. Mariani, rapporteur à l'Assemblée nationale, a suscité les plus vifs débats, surtout au Sénat si j'en crois le nombre d'heures où elle a été discutée. Chacun a pu s'exprimer dans l'hémicycle et dans les médias. Bien sûr, il y a eu des excès. Bien sûr, il y a eu des caricatures. Bien sûr, il y a eu des faux-procès. Mais, ce sont les règles du jeu démocratique.

En définitive, grâce à MM. Hyest et Fauchon que je remercie, nous avons adopté un dispositif très satisfaisant qui permettra aux étrangers de bonne foi d'apporter un élément de preuve de leur filiation au soutien d'une demande de regroupement familial. Il ne s'agit de cela, et rien que de cela. Je rappelle les garanties entourant le dispositif : il sera facultatif et fondé sur le volontariat ; il sera mis en place à titre expérimental dans les pays où l'état-civil est déficient ; il ne constituera pas un obstacle financier puisqu'il sera gratuit ; il ne conduira à aucun « fichage génétique » ; il portera sur la filiation avec la mère, ce qui permettra d'éviter, notamment, la révélation publique d'un viol ; et, surtout, il devra être autorisé par le juge civil. Ainsi, comme me l'a soufflé le président Mercier, cette procédure sera similaire à celle de l'actuel article 16-11 du code civil. Celui-ci, issu de la loi de 1994 relative à la bioéthique, prévoit que l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques peut être recherchée en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge, saisi d'une action tendant à l'établissement ou à la contestation d'un lien de filiation. La seule différence entre les deux dispositifs est que, dans le cadre d'une demande de regroupement familial, le test ADN servira à établir un élément de preuve de la filiation, et non la filiation elle-même.

Ainsi, le dispositif, entouré de garanties, pourra être mis en oeuvre par la France à titre expérimental, aux côtés des douze pays européens qui le pratiquent déjà ou s'y préparent (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.) Lorsque j'ai pris connaissance des travaux de la commission des lois de l'Assemblée nationale, j'ai voulu approfondir cette question des tests ADN en me rendant dans les pays qui recourent à cette procédure. Parmi eux, on trouve le pays le plus à gauche de toute l'Europe : l'Espagne ! (Exclamations à droite). J'ai rencontré le ministre des affaires sociales en charge des immigrés légaux, le ministre de l'intérieur responsable des immigrés illégaux, la secrétaire d'Etat à l'immigration qui est d'ailleurs une ancienne syndicaliste -ce qui devrait rassurer Mme Borvo- et, enfin, Mme de la Vega, vice-présidente du Conseil. Que m'ont-ils appris ? Que ce pays de gauche et de tradition catholique (Mêmes mouvements), très satisfait de l'utilisation des tests ADN pour la Chine, le Nigéria et le Pakistan, s'apprête à étendre le dispositif à huit autres pays. Je me suis rendu dans un autre pays de gauche, gouverné par les travaillistes -ici, Mme Borvo sera peut-être plus critique

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - J'ai peur que l'Espagne étende le test aux Français ! (Sourires)

M. Brice Hortefeux, ministre. - Alors que je déclarais aux journalistes français que le Royaume-Uni, grand pays de l'habeas corpus, procède à 10 000 tests par an, le ministre britannique de l'immigration m'a interrompu pour rectifier l'information : 12 000 tests ont été effectués l'an dernier.

Et ensuite, on me dit que les tests ADN sont abominables alors que nous les pratiquerons à la française, en prenant toutes les protections possibles ! S'ils sont abominables, il faut considérer le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, mais aussi la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, l'Autriche, la Finlande, la Lituanie, la Norvège et la Suède comme des pays arriérés. A court d'arguments, un intervenant sur France Inter expliquait samedi dernier que ces pays avaient admis les tests ADN parce qu'ils étaient de système monarchique... (Exclamations amusées à droite)

M. Bernard Frimat. - Nous aussi !

M. Brice Hortefeux, ministre. - Pourquoi passer sous silence les prises de position du Haut-commissariat des Nations-Unies aux réfugiés, en mai dernier, et de la Commission européenne, ce 4 octobre, en faveur des tests ADN ?

En concluant aujourd'hui nos débats, je mesure l'importance de la mission qui nous incombe (Murmures à gauche) : en décidant aujourd'hui de la politique d'immigration, nous dessinons le visage de la France de demain. Parce que ce texte est ferme et protecteur, il va dans le bon sens. Le sens d'une France vigilante, fière d'elle-même, désireuse de préserver son équilibre, mais ouverte à l'autre, accueillante à ceux qui veulent la rejoindre pour s'y intégrer. Le sens d'une France diverse mais unie, riche de son harmonie ! (Applaudissements à droite et au centre ; M. Bernard Seillier applaudit également).

Mme Éliane Assassi. - La CMP est parvenue sans surprises à un accord, sans l'aval des sénateurs du groupe CRC que je représentais, sur ce texte qui aurait dû s'appeler projet de loi relatif à « la lutte contre l'immigration familiale et le droit d'asile ». En effet, vous opposez immigration familiale, que notre pays subirait, et immigration du travail, que vous souhaitez choisir et augmenter, sans tenir compte du fait que ces deux formes d'immigration sont indissociables. Vous voulez organisez l'immigration comme si la France était une entreprise et le monde un vaste marché de l'emploi. C'est inacceptable ! En réalité, vous ne cherchez pas à diminuer les flux migratoires, mais à les organiser au profit du patronat, et à donner des gages politiques à l'électorat le plus extrême qui a voté pour M. Sarkozy en mai dernier.

La CMP a procédé à plusieurs aménagements justifiés. Elle a rétabli le droit à l'hébergement d'urgence des étrangers en situation irrégulière. Elle a supprimé l'appel suspensif du préfet contre la libération d'un étranger maintenu en rétention ou en zone d'attente comme la suspension des droits accordés aux étrangers pendant leur transfert. Elle a choisi de maintenir le délai de recours d'un mois devant la commission des recours des réfugiés ainsi que le délai de quarante-huit heures pour former un référé liberté. Enfin, elle a rétabli la possibilité pour les conjoints de Français de déposer leur demande de visa long séjour auprès de la préfecture.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - C'est déjà pas mal !

Mme Éliane Assassi. - Toutefois, elle a retenu beaucoup d'autres mesures, dont le recours aux tests ADN, malgré les protestations des Français, mais aussi du Vatican et du Président de l'Union Africaine. Faut-il rappeler les critiques émises par le comité consultatif national d'éthique ? Ou encore les pétitions lancées avec succès par « Sauvons la recherche » et Charlie Hebdo et les différentes manifestations de protestation contre l'ensemble du projet de loi ?

A mon sens, cet article, illustration de la logique de votre ministère qui associe immigration et l'identité nationale, devait être purement supprimé. En politique, il faut savoir faire marche arrière, surtout lorsqu'il s'agit d'un sujet aussi délicat que la génétique appliquée aux immigrés. N'est-ce pas ce que nous a enseigné l'histoire pas si lointaine de notre pays ? Le dispositif des tests ADN est stigmatisant, discriminatoire et inégalitaire : il ne concerne que les étrangers et, parmi eux, ne sont visées que les femmes !

M. Pierre Fauchon. - N'importe quoi !

Mme Éliane Assassi. - Que se passera-t-il si la mère est décédée, si les enfants ont été adoptés, sont nés d'une première union ou ont été pris en charge par un proche ou un ami suite au décès de leurs parents ? Ce dispositif est-il utile alors que le regroupement familial concerne très peu de gens par an ? 23 000 personnes dont 8 000 enfants tout au plus. Sachant que dans le cadre du regroupement familial il ne s'agit jamais de familles nombreuses, où est le problème ? Le recours à ces tests ne concernera que très peu de cas.

Dans ces conditions, pourquoi s'entêter ? J'irai plus loin : si doute il y a sur la filiation, il devrait bénéficier au candidat au regroupement familial. La « biologisation » de la famille n'est pas concevable dans notre pays, encore moins dans les pays d'origine de ces candidats. On nous dit que d'autres pays européens ont déjà recours aux tests ADN. Soit, mais premièrement ce n'est pas une raison pour en faire autant ; deuxièmement, les pays en question n'ont pas la même histoire que la France qui a conservé des liens étroits avec ses anciennes colonies.

Cette disposition, -comme bien d'autres- est inconstitutionnelle. Mais quand bien même le Conseil constitutionnel devrait la censurer, le débat sur ces tristement célèbres tests ADN aura marqué les esprits et on aura fait entrevoir un pas supplémentaire dans l'horreur. (Murmures au banc de la commission et à droite) Il aura mis en lumière tout ce que l'homme peut imaginer de mauvais à l'encontre de ses congénères. J'avoue ne pas comprendre -ou alors je comprends trop bien- l'entêtement non seulement des parlementaires de droite mais également du Gouvernement à maintenir et à encadrer juridiquement le recours à ces tests alors même qu'il ne figurait pas dans la version initiale du Gouvernement. L'explication est ailleurs. N'êtes-vous pas en train de passer outre le consensus politique qui a vu le jour lors de l'élaboration de la loi relative à la bioéthique de 1994, révisée en 2004, notamment en ce qui concerne l'utilisation des tests ADN ? N'êtes-vous pas en train de faire sauter un verrou important sans attendre la révision de cette loi qui doit avoir lieu dans deux ans ? N'êtes-vous pas en train d'ouvrir la boîte de Pandore et n'allez-vous pas permettre demain le recours à ces tests dans bien d'autres domaines que l'immigration, par exemple dans ceux des contrats d'assurance, des prêts, des allocations familiales, des successions et j'en passe ? Qui peut nous garantir que demain ces tests ne seront pas appliqués aux Français ?

Dans le reste du texte, la plupart des mesures que nous contestons depuis le début demeurent : les statistiques ethniques, la biométrie pour les personnes ayant bénéficié de l'aide au retour, la sanction du refus d'embarquer et, plus généralement, toutes les restrictions des droits des étrangers ; les demandeurs d'asile comme les candidats au regroupement familial qui se voient imposer le contrat d'accueil et d'intégration, la connaissance de la langue et des valeurs de la République, les conditions de ressources, pour ne citer que cela. Les conjoints de Français ne sont pas épargnés puisqu'ils vont se voir imposer l'apprentissage de la langue.

Restrictions également en matière procédurale : prolongation sans l'intervention du juge judiciaire du maintien en zone d'attente en cas de refus d'embarquer, suppression de l'obligation de motiver les mesures de contrainte, extension du recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de rétention... Vous êtes même allés jusqu'à supprimer en commission l'article introduit par le Sénat pour aider à améliorer les services de l'état-civil dans certains pays alors que c'était quand même mieux que les tests ADN.

Ce texte qui va permettre les relevés d'empreintes digitales, les relevés d'empreintes génétiques et les relevés ethniques confirme -si besoin en était encore- votre vision sécuritaire de l'immigration et votre défiance envers les étrangers. Vous ouvrez grand la voie à tous les fichages possibles qui seront alors autant d'instruments de contrôle tous azimuts de la population, étrangère comme française. La chasse à l'étranger est ouverte dans les écoles, dans les centres d'hébergement, dans les préfectures, dans les hôpitaux. La biologie et les nouvelles technologies sont mises au service d'une politique de l'immigration axée sur la chasse à l'étranger -toujours considéré comme fraudeur- dans mais aussi hors de nos frontières. C'est la politique du chiffre -25 000 expulsions avant le 31 décembre 2007- qui, alors qu'elle ne figure dans aucune des lois que vous avez votées, chers collègues de la majorité, conduit à cette traque inouïe de l'étranger sur tout le territoire français et à n'importe quel prix. Les dramatiques défenestrations en sont la triste illustration, tout comme les quatre automutilations dans le centre de rétention administrative (CRA) de Marseille Pour répondre aux objectifs chiffrés il faut débusquer les étrangers et, pour ce faire, vous avez déjà comme support réglementaire la circulaire de 2006 qui autorise les arrestations de sans-papiers dans les préfectures, les hôpitaux, et les centres d'hébergement, et dont l'article 21 sur l'hébergement d'urgence n'était, après tout, que le prolongement logique.

Mais il vous faut aussi les moyens humains. Un grand nombre de policiers est ainsi mobilisé pour intercepter des irréguliers alors que leur tâche prioritaire est d'interpeller les criminels et les délinquants, et ils sont de plus en plus nombreux à s'interroger sur le rôle que vous leur faites jouer. Vous recrutez également des auxiliaires de police de toutes parts : chez les inspecteurs du travail et chez les agents de l'UNEDIC et de l'ASSEDIC. Les gendarmes sont aussi concernés et la chasse aux sans-papiers devient leur priorité. Toute cette frénésie ne peut qu'engendrer contrôles au faciès et bavures. Parallèlement, on multiplie les poursuites à l'égard des « délinquants de la solidarité » et les mises en garde envers les maires ayant organisé des parrainages de sans-papiers.

Ce projet de loi marque une rupture sans précédent de la politique de l'immigration de la France, tournant ni anodin ni fortuit, qui est à mettre en perspective avec votre politique libérale de mise en pièces, un à un, des acquis sociaux qui ont construit notre modèle social : 1789, 1936, 1945, 1968. Quoi de mieux pour cela que d'opposer les étrangers aux Français et, parmi les étrangers, les réguliers aux irréguliers ? Diviser pour mieux régner on connaît la méthode...

Ce tournant est également à mettre en perspective avec l'annonce d'une révision constitutionnelle permettant la mise en place de quotas géographiques ; avec l'externalisation des camps de réfugiés aux frontières de l'Europe ; avec le rôle croissant donné à l'administration française pour mettre en oeuvre votre politique. Je pense ici notamment à l'injonction faite aux préfets d'atteindre les objectifs chiffrés d'expulsions, au rattachement de l'OFPRA à votre ministère alors que l'asile est un droit fondamental qui n'a rien à voir avec l'immigration, à l'affaiblissement de l'intervention du juge pour le prolongement du maintien en CRA ou en zone d'attente, à la suppression des magistrats dans les commissions départementales des titres de séjour.

Pour cette politique, il vous faut aussi des moyens matériels : vous y pourvoyez avec la multiplication des places en CRA qui deviennent de vraies machines à expulser les étrangers. De plus en plus de familles y sont maintenues avec leurs enfants alors qu'en principe les enfants ne sont pas soumis à l'obligation d'avoir des papiers. Mais là vous allez invoquer l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit rester avec ses parents !

On se dirige tout droit vers une « industrialisation » des expulsions via les CRA, via la politique du chiffre, via les instructions données aux préfets, via les auxiliaires de police. Dans ces conditions, il n'est guère étonnant que la Cité internationale de l'immigration ait été inaugurée dans l'anonymat et en l'absence des membres du Gouvernement. Le projet de loi que vous vous apprêtez à voter est la suite logique du discours colonialiste prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar. Avec un tel concentré de mesures contre le continent africain, les relations franco-africaines risquent fort de se dégrader.

Combien coûte une telle politique de l'immigration ? Combien coûte une expulsion du territoire avec escorte policière et billet d'avion sur une ligne régulière, quand il ne s'agit pas d'un vol privé ou d'un avion de la Sécurité civile ? Combien vont coûter les tests ADN à la collectivité ? Seules les industries pharmaceutiques vont en tirer de gros profits. N'y a-t-il pas une meilleure utilisation de l'argent public, par exemple en direction des pays d'émigration afin de les aider à se développer et à garder leurs ressortissants au lieu de piller leurs matières premières et leur matière grise ? Combien de drames humains vont-ils encore se produire, combien de morts supplémentaires aux larges des côtes françaises votre politique de l'immigration va-t-elle encore entraîner ?

On ne change pas les trajectoires migratoires à coup d'articles de loi et il est difficilement concevable d'envisager de choisir ses immigrés voire d'imposer des quotas selon les besoins du patronat. Et à contempler l'état du monde, il y a peu de chance pour que ce que vous appelez la pression migratoire diminue. Ce n'est pas un hasard par exemple si, à Cherbourg, on note l'arrivée de nombreux réfugiés irakiens. Jusqu'où êtes-vous prêts à aller ? En tout état de cause, vous êtes déjà allés trop loin. Et nous ne vous suivrons pas sur cette pente dangereuse. Fidèles à leurs valeurs, les sénateurs du groupe CRC voteront contre ce projet de loi et s'associeront à tout recours formé à son encontre devant le Conseil constitutionnel. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre-Yves Collombat. - Ce projet de loi poursuivait un double objectif : tirer les leçons de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ; organiser une opération de communication sur le thème de l'immigration dans le but d'accréditer l'idée qu'elle menace les Français dans leur identité et que le Gouvernement est là pour les protéger de ce risque mortel. Pour reprendre les termes d'une ministre -qui ne semble pas pour autant gênée d'appartenir à ce gouvernement-, il s'agissait d'« instrumentaliser » l'immigration à des fins politiques.

Pour le premier point, c'est complètement raté. Certes, le texte crée un droit de recours suspensif en cas de refus d'admission des étrangers sur le territoire mais il le fait dans de telles conditions que la France n'est toujours pas à l'abri d'une nouvelle condamnation par la Cour européenne.

Pour cela, deux conditions auraient du être remplies : que le droit de recours suspensif concerne non seulement les demandeurs d'asile, mais aussi toute personne pouvant se prévaloir des articles 2, 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que la France ne se mette pas en défaut au regard des articles 13 et 6 de ladite Convention. Le premier exige que le droit au recours suspensif soit effectif et le second crée un droit à être entendu équitablement et publiquement par un tribunal indépendant, un droit à disposer d'un interprète et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

La limitation du bénéfice du recours suspensif aux seuls demandeurs d'asile, la brièveté du délai de recours et son mode de calcul qui ne tient pas compte des fins de semaine -malgré le rétablissement du délai de 48 heures par le Sénat-, le maintien de la possibilité d'un jugement par ordonnance, les conditions matérielles de l'exercice de la justice en zone de police et l'usage de la « télé justice » pour des plaignants qui ne maîtrisent pas notre langue, les conditions dans lesquelles leur défense pourra s'organiser laissent à penser que ces deux conditions ne son pas remplies.

Si ce projet de loi vise à mettre la France à l'abri d'une nouvelle condamnation de la Cour européenne, c'est totalement raté. Mais l'objectif essentiel était ailleurs : il s'agissait de communiquer sur la « question immigrée » et multiplier les obstacles au regroupement familial, au mépris de nos engagements internationaux. Et sur ce point, en revanche, c'est très réussi ! Félicitations ! Les médias se sont focalisés sur l'immigration -se préoccupant même du Sénat pour une fois- jusqu'à l'annonce du divorce du couple présidentiel, sujet évidemment de première importance.

Tout le débat a tourné autour du fameux article 5 bis, les cerveaux disponibles devant être confortés dans l'idée que c'était bien leur identité nationale qui était menacée. Très réussi aussi le parcours d'obstacles créé pour le regroupement familial. Certes, l'amendement Pelletier sur les conjoints de Français a été rétabli, mais la CMP a conservé les deux mois de formation linguistique et morale. Pour les autres candidats au regroupement familial, la rédaction plus libérale et plus réaliste du Sénat a prévalu, mais la CMP a supprimé nos dispositions en faveur des retraités. Le texte finalement adopté pour cet article 5 bis sera inapplicable et constituera une source inépuisable de contentieux. Bref, votre but est pleinement atteint. Vous ne vouliez pas mettre à la disposition de l'administration un texte clair et applicable à moyens inchangés, mais de renvoyer sur les juridictions la régulation des flux migratoires et ainsi de les tarir. Plein succès.

Mais à quel prix ? Au prix d'une nouvelle charge pour les contribuables, car les évaluations, les formations au français et aux valeurs républicaines, les analyses génétiques coûteront cher...pour un bénéfice nul.

Au prix d'un engorgement supplémentaire des juridictions administratives. Que votre texte perturbe le fonctionnement de la justice administrative vous laissera probablement de marbre, ce gouvernement ayant montré en quelle estime il tenait les juges. Mais la justice n'est pas uniquement une affaire de magistrats, elle concerne aussi les citoyens, qui subiront des délais encore plus longs.

Au prix d'un accroissement de l'immigration clandestine. Comment empêcher en effet les familles de se regrouper ? Seuls vous béniront les passeurs et trafiquants, dont les crapuleux revenus augmenteront.

Au prix de la réputation de la patrie des droits de l'homme, de l'image de la France considérée dans tant de régions du monde comme une Nation « pas vraiment étrangère » . Au prix de l'obscur sentiment d'humiliation de tous ces Français compatissants qui reconnaissent dans les indésirables que vous refusez de lointains parents. Au prix de la peine et de l'angoisse de tous ces malheureux auxquels vous refusez leur seul luxe, celui de vivre en famille.

Au prix surtout de la violation des principes immémoriaux qui règlent la filiation. « Venir au monde, dit Pierre Legendre, ce n'est pas seulement naître à ses parents, c'est naître à l'humanité. ». C'est l'institution, non le biologiste, qui finalement dit qui est fils et fille de cet homme et de cette femme. Jusqu'à présent, les tests ADN intervenaient soit lors d'enquêtes criminelles, soit comme un élément d'appréciation supplémentaire pour le juge de la filiation. L'article 5 bis instaure une tout autre chose : l'obligation de démontrer sa filiation à une administration, comme à une autre époque, de démontrer son absence de filiation. Si cela ne vous rappelle rien, vous avez une bien mauvaise mémoire.

Il y a peu de chances que soient vraiment utilisées ces dispositions mais, sur un plan symbolique, elles sont une calamiteuse innovation. M. Mariani ne s'y trompe pas, qui parade : « mon amendement existe toujours ». Vous avez ouvert une brèche dans le rempart juridique qui nous protégeait. De bons apôtres demain vous emboîteront le pas et élargiront cette brèche. Jusqu'où irez-vous ? Pour nous, nous ne saurions bien sûr vous accompagner dans cette voie. Le monde que vous prétendez nous préparer pour demain aura tout d'un internement administratif illimité : cela ne nous convient pas. George Orwell conclut son 1984 par ces mots : « Et Wilson aima Big Brother ». Pas nous, monsieur le ministre, ne vous en déplaise ! (Applaudissements à gauche)

M. Louis Mermaz. - Du fait de la procédure d'urgence, le texte ne peut plus être modifié que par un amendement du Gouvernement. A quoi bon s'exprimer puisque tout semble désormais joué ? Reste à placer une nouvelle fois le Gouvernement et sa majorité devant leurs responsabilités. Plusieurs parlementaires de droite et certains ministres s'inquiètent des conséquences d'un tel projet. Certes, les sénateurs siégeant à la CMP ont obtenu la suppression de quelques dispositions excessives et nuisibles, comme l'obligation faite au conjoint étranger d'un citoyen français de retourner dans son pays d'origine pour y subir un stage de formation et solliciter un visa de long séjour... Les conditions de ressources mises au regroupement familial ont été ramenées pour une famille de six personnes et plus à 1,2 Smic au lieu de 1,33, ce qui nous semble encore injuste et discriminatoire. Le demandeur d'asile auquel on aura refusé l'entrée sur le territoire français disposera désormais, puisque la Cour européenne des droits de l'homme en a ainsi décidé, d'un droit de recours suspensif. Les sénateurs ont obtenu que le délai de vingt-quatre heures, qui aurait rendu cette disposition inopérante, soit porté à quarante-huit heures. La décence nous y obligeait. Dans le même esprit, les sénateurs ont obtenu que les déboutés d'une demande d'asile devant l'Ofpra disposent comme par le passé d'un délai d'un mois -et non pas de quinze jours- pour introduire un recours devant la commission des recours des réfugiés. Enfin, le rapporteur pour l'Assemblée nationale a lui-même, après une explication embarrassée, proposé de supprimer l'article 21, ajouté par l'Assemblée nationale, qui compromettait gravement l'hébergement d'urgence des étrangers en situation irrégulière.

Ainsi, sur quelques points, l'étau semble avoir été desserré, mais le projet de loi en l'état porte encore de très lourdes atteintes aux droits de l'homme et aux engagements internationaux de la France. La situation des immigrés, des candidats au regroupement familial, des demandeurs d'asile va empirer encore. Depuis 2002, les lois répressives se succèdent en avalanche. Je ne reviens pas sur toutes les dispositions scandaleuses qui font obstacle au regroupement familial, les stages, les conditions de ressources, les mesures coercitives, le recensement ethnique.

L'article 5 bis nouveau a provoqué beaucoup d'émotion dans des secteurs très divers de l'opinion. Et que l'on s'abstienne de nous opposer les sondages et l'état d'une opinion publique devant laquelle on agite le spectre d'une invasion massive par les immigrés accourus des quatre coins du monde. Assez de fantasmes et de manipulations ! Avec cette initiative d'un député de la majorité, encouragée, voire suscitée, par le Gouvernement, vous avez essuyé une déroute morale à laquelle vous ne vous attendiez pas. L'immigré est un être humain comme chacun d'entre nous et ce que vous proposez de lui faire subir, vous le faites subir à chacun d'entre nous. Vous avez porté atteinte à notre sens de l'intimité de la vie, à notre conception de la famille qui ne se réduit pas à la structure biologique. Un système tortueux a été inventé ici. Avec quels moyens sera effectuée la recherche de l'ADN ? Et ce ne sont ni le recours au tribunal de grande instance de Nantes -bel exemple de justice de proximité ?- ni la présence de l'avocat à des milliers de kilomètres de la requérante, ni le remboursement des tests, qui rendront la procédure opérante.

Les principes fondamentaux ont été atteints. Et vous redécouvrez l'existence du Comité national consultatif d'éthique que vous invitez à donner son avis sur le projet de décret concernant les tests génétiques, alors que vous n'aviez pourtant pas jugé son avis utile pour préparer le projet de loi. Cet avis, nous le connaissons déjà, et sa position sur les tests ADN est sans ambiguïté : « Malgré toute les modifications de rédaction concernant l'article 5 bis nouveau, le Comité craint que l'esprit de ce texte mette en cause la représentation par la société d'un certain nombre de principes fondamentaux. »

« L'erreur est de laisser penser qu'en retrouvant le gène, la filiation serait atteinte. La filiation passe par un récit, une parole, pas par la science. L'identité d'une personne et la nature de ses liens familiaux ne peuvent se réduire à leur dimension biologique. » On lit ensuite : « Le Comité attire encore l'attention sur la dimension profondément symbolique dans la société de toute mesure qui demande à la vérité biologique d'être l'ultime arbitre dans des questions qui touchent à l'identité sociale et culturelle. » La conclusion est claire : « le comité redoute les modalités concrètes d'application dans des réalités culturelles très différentes des nôtres. Nos concitoyens comprendraient peut-être l'exacte réalité de tels enjeux s'ils étaient confrontés à des exigences analogues lors de leur propre demande de visa. »

Je vous ai déjà reproché d'avoir négligé l'intérêt national et les conséquences désastreuses de ces tests dans nos relations avec nombre de pays amis, notamment africains. Notre collègue, Mme André, ne s'est rendue ni en Angleterre ni en Espagne, mais simplement au Burkina Faso pour assister au colloque Démocratie et développement, organisé pour célébrer le vingtième anniversaire de l'accession au pouvoir du président Blaise Compaoré. Elle a constaté la réprobation unanime de toutes les délégations africaines, car chacun a compris que les Africains forment la principale cible du Gouvernement. Ses hôtes ont fait observer que 70 % des étudiants qui s'expatriaient pour leurs études revenaient ensuite au pays. On est loin du fantasme de l'invasion !

En France, des avertissements se sont faits entendre de toutes parts, de la Ligue des droits de l'homme aux Églises, en passant par de nombreux magistrats et avocats. À juste titre, vous avez fini par renoncer à l'injuste article 21 sur l'hébergement d'urgence. De même, vous vous honoreriez à ne pas vous entêter dans une matière aussi délicate, qui touche à l'éthique comme à la réputation et aux intérêts de notre pays. À juste titre, cet article a cristallisé l'attention de l'opinion publique ; nous le combattrons vigoureusement, comme beaucoup d'autres aspects du projet.

Beaucoup d'entre nous sont favorables à une immigration partagée adossée à une réelle politique de codéveloppement, avec les moyens adéquats. Nous avons autant besoin des immigrés qu'ils ont besoin de nous ! Votre politique de fermeture est absurde alors que l'économie française vit au ralenti en dépit de vos incantations ! Des pays comme l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne ont su procéder aux nécessaires régularisations, car c'est la meilleure façon de combattre le travail clandestin. Ne comprenez-vous pas que des travailleurs immigrés ne peuvent venir que s'ils ont la possibilité d'être rejoints par leurs familles ?

L'immigration choisie dont vous vous réclamez, avec l'annonce de quotas -que nous récusons tout aussi fermement- priverait les travailleurs immigrés d'une vie de famille. Ce serait le visage de l'esclavage moderne.

Pourquoi tant de contradictions, sinon pour conserver et digérer le vote Front National, sans lequel vous seriez minoritaires ? Vous n'avez pas de politique de l'immigration. La preuve ? En matière d'expulsion, vous cherchez d'abord à faire du chiffre. Cette pratique sinistre aboutit à la chasse aux sans-papiers dans la rue, parfois dans les écoles et jusqu'à leur domicile. Vous contraignez les préfets et les policiers à des tâches auxquelles beaucoup répugnent, pendant que les missions de sécurité publique sont compromises.

J'ajouterai un mot touchant au droit d'asile, pour exprimer à nouveau notre opposition aux audiences organisées à l'intérieur des zones d'attente, via des liaisons audiovisuelles avec un magistrat, qui resterait au sein du tribunal administratif. En un domaine aussi douloureux, l'échange direct entre deux personnes est irremplaçable. Voici encore une réforme qui déshumanise davantage de justice, comme la loi sur la récidive qui transforme les juges en distributeurs automates de peines.

Nous sommes invités à voter un projet dont l'objet presque exclusif est de tarir l'immigration familiale. Sous des dehors contournés, alambiqués et hypocrites, les nouveaux mécanismes visent d'abord à compliquer les regroupements familiaux. Ainsi, vous proposez d'organiser des stages de formation linguistique et de sensibilisation aux valeurs républicaines, en sachant que les moyens ne seront pas au rendez-vous. Mais votre fatras législatif et réglementaire portera un nouveau coup au droit constitutionnel de vivre en famille.

Enfin, alors que vous étiez obligés de vous plier au jugement de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme, votre chapitre sur le droit d'asile rendra son exercice encore plus aléatoire.

Toutes ces dispositions vont grossir l'immigration clandestine, avec son lot de souffrances. C'est pourquoi nous voterons contre ce texte, révélateur de ce qu'est cet étrange ministère dit « de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement »... et pourquoi pas « des tests ADN ». Nous invitons donc tous nos collègues à refuser cette nouvelle atteinte aux droits de l'homme et aux intérêts de la France ! (Applaudissement à gauche)

La séance, suspendue à 19 h 20, reprend à 19 h 30.

Mme Bariza Khiari. - Bien que l'article sur l'hébergement d'urgence ait été retiré en CMP sous la pression des associations, le texte de loi reste inacceptable, car le maintien des tests ADN est emblématique d'une volonté stigmatisante envers ceux qui immigrent pour des raisons familiales. Certes, le Sénat a encadré le recours à ces tests et je salue les efforts déployés en ce sens par notre commission des lois, son rapporteur et son président. Je remercie également les collègues de la majorité pour avoir repoussé la version de l'Assemblée nationale. Mais il reste que, après la « racaille », le « nettoyage au Kärcher » et « les moutons égorgés dans la baignoire », la disposition scandaleuse instituant des tests ADN est là pour flatter un certain électorat.

C'est une disposition inacceptable, qui viole les principes fondamentaux de notre droit de la filiation. Au détour d'un amendement parlementaire que vous défendez, monsieur le ministre, avec acharnement, vous remettez à l'ordre du jour la loi du sang par le biais de la biologie. Si rupture il y a, c'est avec l'universalisme républicain et les grandes traditions spirituelles et religieuses. Non, la famille, pas plus que la société, ne peut se résumer aux liens du sang. Cette philosophie de l'attache biologique, de l'entre-nous rassurant, nous ramène avant le jugement de Salomon, avant même la civilisation, comme le disait récemment l'évêque de Clermont, une référence qui ne m'est pas familière... Cette disposition est dangereuse, car elle s'inscrit dans une tendance inquiétante, que récusent tous les généticiens sérieux, à expliquer les comportements humains par la génétique. Ainsi, certain ministre de l'intérieur proposait-il y a peu de dépister les comportements pré-délinquants chez les enfants à partir de 3 ans. Ainsi, certain candidat à l'élection présidentielle affirmait-il dans un entretien avec un philosophe connu que la pédophilie et le suicide étaient inscrits dans les gènes. Ce biologisme est contraire au principe d'égalité, au fondement de notre philosophie politique. En imposant aux hommes des déterminants hérités, il est également contraire à l'idée même de liberté, dont pourtant beaucoup se revendiquent dans cette majorité.

La pratique de tests ADN ternira durablement l'image de notre pays dans le monde et pèsera lourdement sur nos relations avec les pays d'origine, notamment en Afrique francophone où beaucoup de dirigeants et de nombreuses voix dans les sociétés civiles ont déjà exprimé leur vive émotion. Mais l'émotion de l'Afrique vous préoccupe-t-elle ? En revanche, nul doute que vous serez intéressé par les réactions que provoque ce texte outre-Atlantique. Un éditorial du New York Times du dimanche 21 octobre qualifie votre texte de « loi hideuse » qui, par l'effet d'une « bigoterie pseudo-scientifique », justifie l'humiliation infligée aux étrangers par la modernité de la technologie employée. Oubliez-vous donc les conséquences funestes du biologisme dans notre histoire récente ? Hier, nous avons tous salué la mémoire du jeune militant communiste Guy Môquet, qui nous rappelle que l'esprit de résistance doit avant tout se conjuguer au présent. Nous ne pouvons revendiquer une mémoire en reniant tous les idéaux de liberté et d'égalité qu'elle portait. Alors, pourquoi maintenir cette mesure ? Pourquoi s'entêter malgré les appels de la société civile, des Églises, des intellectuels, malgré les rassemblements populaires ? Où vous voyez un gage de fermeté, je ne vois que déraison.

Mais cette polémique sur les tests ADN, aussi importante soit-elle, ne doit pas faire oublier le reste de ce texte. Et ici, vous ne pourrez vous décharger de votre responsabilité derrière l'initiative parlementaire. Non, le Gouvernement est pleinement responsable de cette nouvelle atteinte aux droits fondamentaux des étrangers, de cette nouvelle stigmatisation de l'immigration. Voilà une énième loi d'affichage sur l'immigration, nouveau gage donné aux électeurs d'extrême-droite qui ont apporté leurs suffrages au candidat Sarkozy. Peu importent à vos yeux ses conséquences sur la vie de milliers de personnes. Peu importe qu'elle soit contraire à notre droit et à nos principes. Le Conseil constitutionnel, espérons-le, veillera. Au fil de vos textes, vous avez vidé le droit au regroupement familial de toute substance. Aujourd'hui, vous prétendez encore une fois en durcir les conditions, en imposant aux étrangers ce que nul n'aurait l'idée d'imposer aux Français. Vous avez sciemment répandu dans l'opinion l'idée fallacieuse selon laquelle l'immigration familiale serait une immigration subie, à laquelle il faudrait préférer une immigration économique, choisie en fonction des besoins de main d'oeuvre. Doctrine est parfaitement mensongère. L'immigration choisie, loin d'être, comme vous le prétendez, une immigration hautement qualifiée, doit alimenter les secteurs aujourd'hui sous tension, comme l'hôtellerie-restauration et le bâtiment. L'amendement Lefebvre, que je soutiens, en témoigne. Mais pour assurer la transparence du dispositif, il conviendrait de prévoir la création d'une commission d'examen des dossiers réservant une place aux associations comme le GISTI, France terre d'asile, SOS Racisme et la CIMADE. L'opposition que vous entretenez à dessein entre immigration familiale et immigration économique est une ineptie : les bénéficiaires du regroupement familial travaillent dans leur grande majorité, vous le savez. À moins que vous n'entendiez ouvrir l'ère de l'immigré sans famille ? Vous ne clarifiez en rien le droit des étrangers. Au contraire, vous le rendez plus complexe encore, plus illisible, plus arbitraire. C'est la figure imposée de tous les populismes : quand la question sociale devient trop pressante, on agite le spectre de l'immigration. Il y a d'ailleurs fort à parier, monsieur le ministre, que, durant les quatre prochaines années, nous vous verrons tous les ans présenter devant nous un nouveau projet de réforme. Le prochain est déjà en préparation. Il s'agira cette fois de mettre en place des quotas pour l'immigration de travail, fixés annuellement par le Parlement. On imagine déjà notre Assemblée, transformée en vaste marché aux esclaves, discutant des mérites comparés de la nounou congolaise, de l'ouvrière chinoise ou du maçon égyptien.

Autre idée dangereuse sur laquelle repose ce texte, celle qui veut que la faillite de notre modèle d'intégration soit due à l'immigration familiale. Vous osez parler d'intégration à des jeunes qui sont le plus souvent Français de naissance et depuis plusieurs générations ! Car plutôt que d'engager une réelle politique de lutte contre les discriminations, vous préférez encore une fois les stigmatiser, les renvoyer à des origines qui leur sont étrangères. Et que vient faire le terme d'« intégration » dans l'intitulé de ce projet ? Que proposez-vous en la matière ? Absolument rien, sinon d'élargir l'autorisation de mener des études statistiques pour « la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration ». Ainsi, au détour d'un amendement suspect, qui a toutes les caractéristiques, M. Mermaz l'a rappelé, d'un cavalier, vous introduisez la variable ethnique en statistique. Qu'a-t-elle à voir avec la lutte contre les discriminations ? Ces études pourront être menées pour mesurer « l'intégration des personnes » : on perçoit immédiatement quels usages politiques pourront en être faits. Ce tour de passe-passe, sachant combien les statistiques construisent notre représentation de la société, ne vise à rien d'autre qu'à faire oublier la dimension sociale et à substituer une fausse explication raciale aux véritables causes des inégalités : taux de chômage, ségrégation urbaine, pénurie de services publics... Les statistiques ethniques sont une diversion qui ne parvient pas à masquer votre refus de mettre en place des mesures efficaces pour lutter contre les discriminations. Il est d'ailleurs symptomatique d'inscrire dans un projet de loi sur l'immigration une procédure censée aider à lutter contre les discriminations. Nous n'avons pas besoin de statistiques ethniques pour lutter contre les discriminations, mais d'outils innovants pour assurer l'égalité républicaine. Certains sont connus et ont même été adoptés par cette Assemblée à une large majorité. C'est le cas du CV anonyme. Mais ce gouvernement, comme le précédent, se refuse toujours à prendre les décrets d'application. Votre texte, inutile et dangereux, illustre bien votre conception de l'immigration. Quand cesserez-vous de politiser à outrance ce débat ? L'immigration, si elle reste une question politique, ne doit pas devenir un filon électoral qu'il suffirait d'exploiter régulièrement. Le journaliste du New York Times observait encore : « les questions d'immigration font ressortir les pires instincts des hommes politiques français, qui devraient être plus raisonnables ». Les mesures que vous proposez tendent, de fait, à criminaliser l'immigration, à faire de tout immigrant un délinquant potentiel, comme le prouve l'extension des tests ADN jusque là réservés aux délinquants sexuels...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'est faux !

M. Adrien Gouteyron. - Archifaux !

M. Josselin de Rohan. - On ne peut pas dire n'importe quoi !

Mme Bariza Khiari. - ... dans le seul but de cristalliser les voix de l'extrême-droite. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Muller. - La Commission mixte paritaire a eu une lourde tâche : présenter un texte de consensus sur des points de divergences fondamentaux entre l'Assemblée nationale et le Sénat. La seule chose dont on puisse se réjouir, monsieur le ministre, c'est qu'au contraire de ce que souhaitait le Gouvernement, l'Assemblée nationale n'a pas eu le dernier mot... Vous avez pu mesurer l'implication énergique et déterminée des sénateurs pour rendre ce texte, marqué du sceau de l'inégalité et de la discrimination, moins inacceptable, plus humain, et tenter d'en extraire les dispositions les plus discriminatoires.

Si je salue les trop rares avancées de ce texte, notamment la mise en place d'une carte de résident permanent ou la mise en place d'un recours suspensif de plein droit contre les décisions de refus d'asile à la frontière, c'est sans faire preuve d'angélisme. Loin d'être un texte d'équilibre, respectueux du principe d'égalité de tous devant la loi, conforme à l'histoire de la politique migratoire de la France et aux principes qui ont concouru à son élaboration, votre projet de loi, monsieur le ministre, est un texte de rupture. Car il rompt avec des principes qui ont jusqu'à présent concouru à faire de la France une terre d'accueil. Il rompt avec les principes élémentaires qui fondent notre droit : droit de vivre en famille, principe constitutionnel d'égalité, droit au respect de la dignité. Il rompt avec les engagements internationaux de la France, et notamment l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme ou les règles de droit international privé. Il rompt, enfin, avec la politique française de coopération et de co-développement que vous prétendez pourtant promouvoir. Une politique mise à mal par les restrictions successives que lui a imposées votre majorité, et aujourd'hui vouée à disparaître, et avec laquelle vous affichez votre volonté de rupture.

Le discours colonialiste du Président de la République à Dakar est l'illustration oratoire de cette rupture, dont ce projet de loi est l'illustration législative.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Quelle méconnaissance !

M. Jacques Muller. - Ce texte a été et reste un acte de défiance : non seulement à l'égard des étrangers, mais également à l'égard des Etats étrangers. Ce mauvais projet de loi fait de l'immigré un être suspect, un délinquant en puissance, une persona non grata incapable et profiteuse. Vous ne mesurez pas l'image négative que ce texte donne de la France à l'étranger. Vous ne mesurez pas le choc que ce texte provoque dans la conscience de nos concitoyens, notamment dans les associations familiales.

Vos objectifs demeurent identiques : l'arithmétique froide l'emporte sur l'humanisme dont s'honorait jusqu'à présent notre pays. Seule la forme a changé. Il y a, bien sûr, le test ADN, dont on a parlé à l'envi. Je ne reviendrai pas sur les raisons qui rendent cet article détestable et contraire à l'esprit de la République, mais certains problèmes d'ordre technique méritent d'être rappelés car je suis plus que sceptique quant à la mise en oeuvre concrète de l'article 5 bis. Ainsi, un enfant africain, en brousse, à des kilomètres du premier poste consulaire, devra, pour rejoindre ses parents, braver l'impossible. Il faudra qu'il prouve qu'il est le fils de sa mère. Vous nous dites que le test est facultatif. Soit, mais personne n'invoquera la possession d'état auprès d'une administration suspicieuse. Personne ne se bornera à prouver sa filiation avec des documents administratifs, sur la seule foi de leur établissement, comme d'ailleurs le prévoit le code civil. L'étranger qui ne demandera pas de test passera pour celui qui a quelque chose à cacher. Voilà les conclusions auxquelles parviendront les autorités consulaires.

M. Pierre Fauchon. - Qu'en savez-vous ?

M. Jacques Muller. - Les autorités consulaires n'admettront pas que des considérations éthiques puissent pousser des étrangers à refuser ce test. « S'ils le refusent, c'est qu'ils fraudent... » se diront--elles. Admettons que la mère et l'enfant acceptent ce test. L'enfant devra alors attendre que les autorités administratives françaises à l'étranger demandent au tribunal de Nantes de statuer sur l'opportunité du recours au test ADN. Combien de temps se passera-t-il pour que la requête soit inscrite au rôle d'un tribunal déjà surchargé ? Ensuite, il faudra attendre que ce tribunal mène les « investigations utiles ». Le juge nantais ira-t-il dans la brousse africaine pour fonder son jugement ? Se contentera-t-il de conclure de manière systématique à la nécessité du test ? Pourquoi recourir au juge si la réponse est connue d'avance ? La réponse est simple : cet article s'écartait du dispositif prévu dans les lois bioéthiques que nous nous sommes engagés à ne réviser qu'en 2009. En réglant ce « détail » au Sénat, le Président Hyest a cru résoudre la question, mais il n'a fait que la compliquer.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il faut savoir ce que vous voulez ! On ne peut pas tout dire et son contraire !

M. Jacques Muller. - Le texte évoque un « débat contradictoire » : comment un enfant, dans la brousse africaine, pourra-t-il faire valoir ses droits devant le tribunal à Nantes ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - En matière civile, on est représenté !

M. Jacques Muller. - Sera-t-il représenté par un avocat africain en France ? Disposera-t-il d'un avocat commis d'office ?

En outre, il me paraît extrêmement dangereux d'associer dans un même texte fichage ADN et fichier ethniques. Cette association de mots et de dispositifs dans une seule et même loi, complétée par la suppression pure et simple de la référence aux discriminations subies par les étrangers établis en France dans le rapport pluriannuel sur l'immigration, en dit long sur la tournure que prend la conception française de la politique migratoire. Avec ce projet de loi, vous institutionnalisez l'obsession du fichage : après le fichage des enfants d'immigrés sans papiers inscrits dans les écoles publiques, celui des décisions rendues par les juges impliquant un immigré, celui des fonctionnaires de police par la voie de test ADN récemment révélé par la presse, c'est aux étrangers pas même entrés en France que vous vous attaquez. Cette démarche est inappropriée, vexatoire et honteuse !

Un point avait été acquis lors de notre examen, mais il a été supprimé par la CMP. A l'initiative de ma collègue Boumediene-Thiery, un amendement des Verts avait été adopté qui dispensait les personnes âgées bénéficiant de l'allocation de solidarité, du revenu minimum fixé par ce projet de loi. Il nous est en effet apparu impérieux de permettre à des personnes âgées, vulnérables et seules, de bénéficier du regroupement familial même si elles ne peuvent justifier de revenus égaux au SMIC. Le rapporteur avait été défavorable mais le Gouvernement s'en était remis à la sagesse de la Haute assemblée qui l'avait voté.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'était une bêtise !

M. Jacques Muller. - Or, la CMP a supprimé cet amendement. M. Hyest estime en effet qu'une telle disposition instituerait une discrimination entre les personnes âgées bénéficiant d'une pension modeste et celles bénéficiant de l'allocation de solidarité.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Eh oui !

M. Jacques Muller. - Mais toute personne âgée qui ne bénéficie pas d'une pension suffisante ne bénéficie-t-elle pas de plein droit de l'allocation de solidarité ? Cette discrimination vous choque ? Mais pourquoi ne pas dénoncer celles que ce projet de loi met en place ? Discriminations entre conjoints étrangers de Français établis en France et conjoints de Français établis à l'étranger, discrimination entre enfants d'étrangers qui doivent respecter une obligation de scolarité et enfants de Français tenus à la seule obligation d'instruction, discrimination entre familles étrangères et familles françaises dans la fixation du revenu minimum nécessaire pour vivre en famille. Comment nous opposer le principe d'égalité quand tout ce texte repose sur sa violation ?

En définitive, ce projet de loi est une compilation d'obstacles procéduraux visant à dissuader les étrangers de venir en France. La CMP est parvenue non à un équilibre, mais à un faux compromis. En voulant maintenir ces dispositions tout en les rendant compatibles avec la Constitution, vous êtes parvenus à une véritable aberration procédurale, qui se révélera inapplicable sur le terrain.

Ce projet de loi n'est qu'un nouvel instrument de la politique spectacle conduite de main de maître depuis plusieurs mois, un gadget électoraliste pour braconner sur les terres du Front National, un nouvel artifice destiné à détourner l'attention de nos concitoyens des vrais problèmes. Les sénatrices et les sénateurs Verts voteront contre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Pierre Fauchon. - Lorsque cette affaire du test ADN est arrivée en première lecture, je me suis dit qu'il n'était pas besoin de m'inscrire dans la discussion générale. Quelle illusion ! Le Sénat a adopté une nouvelle version de l'article 5 bis pour mettre bon ordre aux inquiétudes, légitimes, soulevées par la rédaction de l'Assemblée nationale. Il n'y avait dès lors plus lieu d'exagérer l'importance de cet article. Mais depuis, saisis par je ne sais quels fantasmes, la gauche a fait toutes sortes de déclarations d'autant plus volontiers qu'elle a évité de rappeler la raison de l'existence de cet article. A ses yeux, cela n'avait d'ailleurs aucune importance !

M. David Assouline. - C'est pour avoir les voix du Front national !

M. Pierre Fauchon. - Grâce à vos imprécations, vous avez réussi à faire du bruit.

Il se trouve que certains journaux m'ont prêté à l'occasion de la CMP le souhait de déposer un texte qui aurait encore restreint l'étendue du dispositif. Je remercie M. le rapporteur de l'avoir rappelé, je ne voulais pas limiter ce texte. En fait, je cherchais à clarifier une rédaction qui aurait alors été moins élégante mais qui aurait rendu les affabulations auxquelles nous avons assisté plus difficiles. (Exclamations à gauche)

M. Jean-Patrick Courtois. - Très bien !

M. Pierre Fauchon. - Vous tenez à ces affabulations, à ces fantasmes et je ne veux pas vous en priver. Pour ma part, je m'en tiens à la réalité, que personne, dans vos rangs, n'a voulu rappeler, tout en la connaissant, et sur laquelle nous nous sommes longuement penchés : comment accepter les regroupements familiaux dans des pays où l'état civil n'existe pas ou n'est pas crédible ? Contestez-vous que certains pays soient dans ce cas ? (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs) Je comprends votre embarras : si vous acceptiez cette réalité, vous seriez contraints de reconnaître avec nous que l'on se heurte à un problème de preuve, en cas de regroupement familial. (Les exclamations couvrent la voix de l'orateur) Écoutez-moi au lieu de m'interrompre sans cesse !

M. Guy Fischer. - C'est ce qu'on fait et c'est insupportable.

M. le président. - Laissez parler l'orateur.

M. Pierre Fauchon. - Qu'auriez-vous dit si nous avions décidé que, lorsque l'état-civil d'un Etat n'était pas crédible, il ne pouvait y avoir de regroupement familial ? Au lieu de cela, nous avons cherché des solutions. Celle prônée par l'Assemblée nationale était contestable, et j'ai été l'un des premiers à le dire à M. le ministre lorsqu'il est venu devant notre commission. Nous nous inspirons des solutions du droit civil interne.

Nous avons dit : lorsque l'état civil est défaillant, la bonne solution, c'est de prouver la situation familiale effective, affective, par la possession d'état, qui se prouve, elle, par tout moyen, témoignages, attestations et autres. M. Muller a mis en doute la capacité ou la volonté des consulats d'accueillir de telles preuves... Je me demande bien ce qui lui permet de l'affirmer... Dans les pays musulmans, que je connais bien, les attestations des cadis sont des documents fiables et reconnus ; ils feront foi.

Si la possession d'état ne peut être prouvée, songez aux familles éclatées au Darfour ou ailleurs, hypothèse très rare au demeurant -raison de plus pour ne pas en faire toute une histoire- nous offrons à la mère le seul moyen disponible pour faire la preuve demandée, soit l'empreinte génétique. Direz-vous à cette femme que c'est scandaleux, abominable ? Nous, nous disons, après avoir encadré le dispositif, peut-être de façon un peu forte...

M. Jean-Pierre Sueur. - C'est inapplicable !

M. Pierre Fauchon. - ... il faudra sans doute faire appel à d'autres tribunaux que celui de Nantes, nous disons, nous, que c'est le bon, et qu'il est expérimental et gradué, pour tout dire humaniste.

Je mets de côté les polémiques politiciennes, même s'il faut bien entendre ce genre de chanson ; et j'en viens aux réflexions de certains de mes amis qui jugent qu'avec ces tests ADN on privilégie la famille génétique. Mais toute l'évolution de notre droit, c'est admettre que l'essentiel, c'est la famille effective, affective...

M. Jean-Pierre Sueur. - Voilà !

M. Pierre Fauchon. - ... sauf que le texte ne privilégie nullement la famille génétique. La possession d'état, tout est là, même si cela ne fait qu'une ligne dans le texte, une seule ligne, mais décisive !

D'autres de mes amis considèrent qu'il y a danger à utiliser les empreintes génétiques. Je respecte leur position doctrinale, morale, philosophique, mais notre droit, je le dis en passant à Mme Khiari, qui a commis en l'espèce une erreur, ne prévoit pas le recours à la génétique que dans les affaires pénales ; on peut y avoir recours en vue de l'établissement ou de la contestation d'une filiation. Ce n'est donc pas nouveau, quoiqu'on en pense.

Tout cela pour dire qu'à un problème que vous refusez de considérer, ce qui d'ailleurs explique vos fantasmes, nous apportons une réponse graduée et humaniste. Le dispositif va s'appliquer : je souhaite que des instructions soient données aux consulats pour l'expliquer. J'ai la conviction qu'on s'apercevra vite qu'il est efficace.

Le mot de la fin restera à Shakespeare : beaucoup de bruit pour rien. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur. - La CMP a été bien inspirée de supprimer la restriction inacceptable à l'hébergement d'urgence des personnes sans papier.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Il n'y avait pas de restriction !

M. Jean-Pierre Sueur. - Comment une telle idée avait-elle bien pu germer ? Il est heureux également, tout particulièrement en ce jour, que la disposition que nous devons à Jacques Pelletier ait été maintenue. Enfin, la possibilité de régularisation des étrangers en situation irrégulière qui travaillent est bienvenue.

Il reste naturellement bien des points préoccupants, dont la restriction, dont on a peu parlé, faite aux personnes qui veulent vivre en famille. Vivre avec son conjoint est un droit imprescriptible. Certaines des dispositions relatives à l'acquisition de la langue ou des valeurs sont excessives ; il suffit d'imaginer la réciproque. Que dirait-on si la Corée du nord, la Birmanie, la Chine imposaient aux conjoints de Français expatriés des stages linguistiques de deux mois et une initiation aux « valeurs » de ces pays ? Qui l'accepterait ?

Et puis il y a cette affaire des tests ADN, qui ne figurait pas dans le texte initial. Vous eussiez sans doute bien vécu sans cela, monsieur le ministre, et je ne suis pas sûr que vous bénissiez celui qui a eu l'idée de cette novation. Pourquoi vous êtes-vous tous acharnés à faire voter envers et contre tout une telle disposition ?

Il y a quelques instants encore, M. Fauchon a déployé des trésors d'éloquence pour justifier le dispositif...

M. Josselin de Rohan. - Il a été convaincant et spirituel !

M. Jean-Pierre Sueur. - Certes, mais son argumentation sentait la défaite. Rassurez-vous, nous a-t-il dit, ce dispositif sera expérimental et soumis à de nombreuses conditions : il faudra notamment que l'état-civil soit déficient et que des recherches en possession d'état soient préalablement effectuées. Par ailleurs, j'ai observé un curieux glissement dans le discours. Le test ADN est présenté comme un cadeau fait à l'étranger. Louée soit la France !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Robert Bret. - Que nous sommes généreux !

M. Jean-Pierre Sueur. - Ces discours embarrassés, vous n'y croyez pas vous-mêmes d'autant que vous savez le dispositif de M. Fauchon inapplicable. Prenons l'exemple d'une personne soumettant une demande de regroupement familial au Burkina Faso, au Mali ou encore en Ethiopie, habitant un village distant de plus de mille kilomètres du premier consulat français, ce qui n'est pas rare. Dans ce village, l'état-civil est déficient. Le consulat dépêche donc des personnes enquêter sur la possession d'Etat...

M. Pierre Fauchon. - Non, c'est le demandeur qui mène l'enquête !

M. Jean-Pierre Sueur. - Monsieur Fauchon, tout le monde n'est pas aussi fin juriste que vous ! Pensez-vous vraiment qu'un étranger sache ce qu'est la possession d'état ? Bien des Français l'ignorent ...

M. Pierre Fauchon. - Les gens sont plus malins que vous ne le croyez !

M. Jean-Pierre Sueur. - Si la filiation ne peut être établie grâce à la recherche en possession d'état, on peut commencer à envisager le recours à un test ADN. Pour cela, les représentants légaux de l'enfant, c'est-à-dire le père et la mère -j'y insiste-, doivent déclarer accepter la procédure devant un représentant du consulat. Le consulat doit ensuite saisir le tribunal de grande instance de Nantes, lequel ne manquera pas d'être vite débordé. D'ailleurs, monsieur Fauchon, si vous considérez que tous les tribunaux de grande instance doivent pouvoir être saisis comme vous le suggériez tout à l'heure, il est encore temps d'amender le texte, à moins d'avoir une attitude irresponsable...

M. Pierre Fauchon. - Vous ne comprenez pas ce que signifie le terme « expérimentation » !

M. Jean-Pierre Sueur. - Les investigations pourront être menées à Nantes ou sur place. Effectuer des recherches à Nantes, cela n'aura aucun sens, mais qui paiera le déplacement en Afrique ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.)

M. Michel Charasse. - Le ministère de la justice !

M. Jean-Pierre Sueur. - Puis viendra la phase du débat contradictoire. La personne sollicitant le regroupement familial devra être représentée par un avocat. Pourra-t-elle bénéficier de l'aide juridictionnelle si elle satisfait aux conditions requises ? De quels moyens disposera l'avocat pour entrer en contact avec son client ? Qui paiera les notes de téléphone et le déplacement, indispensable pour vérifier que l'état-civil est effectivement déficient et que les recherches en possession d'état ont été correctement effectuées ?

Mme Bariza Khiari. - C'est une usine à gaz !

M. Jean-Pierre Sueur. - Au vrai, ce dispositif est totalement inapplicable et vous le savez. Pourquoi donc avoir tenu à graver les trois lettres magiques A, D, N dans la loi ?

M. Pierre Fauchon. - Ce n'est pas la catastrophe que vous prétendez !

M. Jean-Pierre Sueur. - Pour moi, il y a une seule explication : vous avez voulu donner des gages à un certain électorat qui n'aurait pas accepté le moindre recul (On approuve sur les bancs communistes ; M. Pierre Fauchon et M. Hyest, président de la commission, protestent.) Vous ne vouliez pas céder sur le symbole de l'ADN. Pourtant, comme l'a montré Mme Khiari, le déterminisme génétique a été le fondement du discours le plus conservateur, le plus réactionnaire et le plus pernicieux de l'histoire de notre pays. Après le débat sur le dépistage de la délinquance dès les premières années de l'enfant et la criminalité inscrite dans les gènes, voici venu le temps du débat sur la famille : on est passé insensiblement d'une définition juridique à une définition génétique de la famille, contraire à notre tradition républicaine.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, et M. Pierre Fauchon. - C'est faux !

M. Jean-Pierre Sueur. - Beaucoup à droite ne se reconnaissent pas dans ce discours. Malgré cela, la tradition conservatrice l'a emporté au prétexte qu'il ne fallait pas fâcher une partie de l'électorat...

M. David Assouline. - Monsieur le ministre, ce débat aurait pu être positif si vous aviez rappelé, comme on le fait à la cité de l'immigration, l'apport qu'ont constitué les étrangers pour la France. Comment s'est constituée la fameuse identité nationale, dont vous êtes aujourd'hui le ministre ? Contrairement au Royaume-Uni, nous sommes allés chercher des étrangers pour réussir la révolution industrielle au XIXe siècle et entrer dans la modernité. On s'inquiétait alors, notamment dans cet hémicycle, des dangers que représentaient ces immigrés, que l'on assimilait parfois à des délinquants, pour la cohésion nationale. Un siècle plus tard, tout le monde s'accordait à reconnaître leur contribution.

Qu'aurait-on fait sans les tirailleurs sénégalais que l'on envoyait déminer le terrain avant l'attaque des tranchées durant la première guerre mondiale ? Faut-il rappeler que les premiers résistants étaient des immigrés ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Robert Bret. - Les militants de la MOI !

M. David Assouline. - Et la reconstruction, et les Trente Glorieuses ? Sans les étrangers, rien n'aurait été possible. Notre identité nationale s'est construite lors de ces grandes heures de notre histoire. Monsieur le ministre, c'est ce signal qu'il faut envoyer à nos concitoyens qui ont peur de l'immigration !

Vous avez choisi d'abîmer cette identité nationale qui fait le rayonnement de la France. Chaque peuple a une caractéristique, la nôtre, c'était d'être une terre d'asile et le pays des droits de l'homme.

Aux étrangers vous envoyez un message : « vous n'êtes plus désirés ici ; ceux d'entre vous qui êtes là, on vous accepte parce qu'on a besoin de vous, mais vous n'avez pas le droit de vivre en famille ». Et vous réunissez en un seul ministère et au sein d'une même loi deux réalités qui ont toujours été déconnectées parce qu'elles n'ont rien à voir l'une avec l'autre : l'immigration et l'asile !

En empêchant l'étranger de vivre en famille, en l'humiliant s'il veut venir ici, quel objectif poursuivez-vous ? Un double objectif : restreindre ses droits et faire qu'il ne travaille ici qu'en rasant les murs ; et, ce faisant, mener une permanente campagne électorale. Vous vous vantez d'avoir réduit l'électorat du Front national. Mais vous ne l'avez fait qu'en rendant ses valeurs compatibles avec celles d'un parti républicain, vous avez introduit un poison dans la République ! En France, on vote souvent. Après les municipales, viendront les régionales, les européennes puis, à nouveau la présidentielle. Alors, à chaque fois, vous nous resservirez la sauce sur l'immigration parce que cela a réussi à Nicolas Sarkozy de réunir les électorats de la droite et de l'extrême-droite.

La mondialisation, vous l'acceptez lorsqu'il s'agit d'ouvrir grandes les portes au vent de l'économie libérale, de supprimer toutes les protections et de délocaliser. Mais lorsqu'il s'agit des hommes, vous fermez les portes et vous multipliez les protections.

En aparté, je vous ai demandé combien vous avez provisionné pour financer les tests ADN. Vous m'avez dit : 50 000 euros. Si l'on n'est pas pressé, un test peut coûter de 20 à 80 euros. Si l'on veut aller vite, cela peut coûter 280 euros !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Faux !

M. David Assouline. - Je me mets à la place d'un policier chargé de la sécurité des Français. Les laboratoires sont si encombrés que 80 000 tests, encore en attente, ne sont pas rentrés dans les fichiers des délinquants sexuels. Le retard accumulé est si grand qu'un violeur a récidivé récemment alors que son test ADN, datant de plus d'un an, n'avait même pas encore été enregistré dans les fichiers. Alors, quels tests allez-vous faire traiter en priorité ? Ceux des étrangers? Et dans le cas contraire, devront-ils attendre des années avant de prouver leur filiation ?

Cette mesure est impraticable, donc inefficace, vous le savez bien, mais c'est le symbole que vous avez voulu. Quelques parlementaires courageux de la majorité ont réagi parce que, ici, il ne s'agit pas d'un débat technique, mais d'un débat de société. En maintenant ces tests, vous montrez quelle société vous voulez. A chaque fois que vous nous resservirez une loi sur l'immigration, nous vous rappellerons ce que les étrangers ont apporté et nous vous rappellerons les valeurs de la République. ((Applaudissements à gauche).

Mme Catherine Troendle. - (Applaudissements à droite). Ce texte marque la volonté du Gouvernement de tenir les engagements pris par le Président de la République durant sa campagne. Nous nous approchons concrètement de cette immigration choisie que les Français ont appelée de leurs voeux au printemps dernier. Ce projet de loi équilibré, pragmatique et courageux doit beaucoup, monsieur le ministre, à votre sens du dialogue et au respect du travail du Parlement dont vous avez fait preuve, durant toute la discussion. (Applaudissements à droite). A l'issue de passionnants débats, le texte parvient à concilier les impératifs de la maîtrise des flux migratoires et de l'intégration des immigrés réguliers. L'immigration choisie, par un contrôle rigoureux des entrées est le corollaire nécessaire à une intégration réussie. Les règles sont claires : le candidat à l'immigration doit être autorisé à venir avant même son entrée sur le territoire national. Si l'on désire devenir résident en France, il faut s'engager à connaître et à respecter les lois de la République. Il faut favoriser la venue sur notre territoire de ceux qui peuvent et veulent travailler et, inversement, s'opposer à la venue de ceux qui n'ont aucune perspective d'intégration. Comme le veut le Président de la République, à terme l'immigration économique devra représenter 50 % des installations durables en France. Je me réjouis de l'accord trouvé en commission mixte paritaire qui rétablit à deux mois la durée maximale de formation dispensée dans leur pays d'origine, aux conjoints étrangers de Français. Cette mesure, associée à la condition minimum de ressources, nous conforte dans le choix d'une immigration de travail. L'étranger qui fait une demande de regroupement familial doit disposer de revenus suffisants pour subvenir aux besoins de sa famille sans recourir aux prestations sociales. C'est le bon sens même, la condition d'une intégration réussie.

Le regroupement familial impose de mettre en oeuvre les techniques les plus modernes pour établir la filiation. Le test ADN est, aujourd'hui, parfaitement encadré et on ne pourra y recourir que si les documents d'état-civil et la possession d'état ne permettent pas de fixer le lien de parenté. Le juge judiciaire aura la compétence exclusive d'autoriser la comparaison des empreintes génétiques et les frais d'analyse seront pris en charge par l'État. Et s'il était besoin de garanties supplémentaires, le test ne concernera que la filiation à l'égard de la mère.

Pour la première fois sous la Vème République; est créé un ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement.

Mme Bariza Khiari. - Il n'y a pas de quoi être fier !

Mme Catherine Troendle. - Désormais, le parcours d'un étranger, candidat à l'immigration en France, est suivi en totalité par un seul ministère. Cette réforme ambitieuse témoigne de votre volonté d'appréhender la question de l'immigration dans sa globalité, en lien avec celles de l'intégration et de la coopération. Elle témoigne également de votre détermination à privilégier une immigration choisie et concertée qui est le contraire de l'immigration zéro ou de l'immigration subie. Aussi, c'est sans réserve que le groupe UMP votera ce projet de loi. (Applaudissements à droite).

La discussion générale est close.

M. le président. - Conformément à l'article 42.12 du Règlement, le Sénat va se prononcer par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Interventions sur l'ensemble

M. Michel Mercier. - Je voterai ce projet de loi. On peut partager beaucoup de choses qui ont été dites ici mais il convient de faire du droit positif et de ne pas tout mélanger. Je n'aurais pas voté la version qui nous est parvenue de l'Assemblée nationale en première lecture. Et je félicite notre commission des lois pour ses apports, notamment sur le droit d'asile, comme je félicite le ministre qui a accepté les amendements du Sénat. L'amendement Lefebvre a été adopté par l'Assemblée, permettant la régularisation de sans-papiers...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Incroyable !

M. Michel Mercier. - Le texte méritait d'être élagué, il l'a été. Le débat s'est concentré sur l'article 5 bis. On a reproché au Gouvernement de mettre en place deux droits, l'un pour les Français, l'autre pour les immigrés. Or l'article 310.3 du code civil indique que l'on prouve sa filiation par l'acte de naissance, par la possession d'état, la notoriété ; et si une action est engagée pour faire reconnaître sa filiation, celle-ci se prouve ou se conteste par tous moyens...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Pas besoin de l'inscrire dans une loi sur l'immigration !

M. Michel Mercier. - Mon souci est que les mêmes règles s'appliquent aux familles d'immigrés ; que l'immigré en situation régulière puisse exercer son droit de faire venir sa famille ; et que ses enfants puissent faire établir leur filiation par les mêmes moyens que les Français. Or le texte ne dit pas autre chose !

M. Patrice Gélard. - Exactement !

M. Michel Mercier. - Je sais que le symbole, le discours autour des dispositions sur l'ADN comptent. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas voté en 2004 un texte qui me dérangeait.

A la limite, pour traiter pareillement Français et étrangers, il aurait fallu supprimer pour tous la possibilité de tests génétiques.

M. David Assouline. - Déposons un projet de loi ensemble !

M. Michel Mercier. - Soit. Mais je sais bien que nous ne parviendrions pas à tomber d'accord. En tout cas ce soir, je voterai ce texte qui traite également Français et immigrés. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Pierre-Yves Collombat. - Je ne m'adresse pas à ceux qui exploitent la question de l'immigration pour des raisons électorales mais à ceux qui s'apprêtent à voter en toute bonne foi... Je veux dire l'importance du symbolique dans la société. On ne saurait traiter le sujet uniquement sous l'angle de l'efficacité de la gestion des flux migratoires... Ce qui est nouveau ici dans le recours aux tests génétiques, c'est que ceux-ci soient pratiqués pour répondre à une demande de l'administration. Il y a là une mutation symbolique. Dans la pratique, pas grand-chose ne sera changé. Mais dans les têtes, tout le sera. Les batailles politiques se gagnent d'abord dans les têtes, par les idées. Et quand on les perd sur les idées, on finit un jour par les perdre sur le terrain. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Patrick Courtois. - Les débats ont été riches et denses. L'engagement du Président de la République pour une meilleure intégration des étrangers en situation régulière trouve aujourd'hui sa traduction. Je salue la détermination du ministre pour promouvoir une immigration choisie et concertée, une politique équilibrée, ferme, juste et humaine. La commission a enrichi le texte, sous la houlette du président Hyest. La rédaction de l'article 5 bis est désormais très différente de la version initiale. La procédure est très encadrée. Le juge est placé au coeur du dispositif, c'est une avancée majeure, de nature à apaiser toutes les inquiétudes. Ce soir une dépêche de l'AFP cite un professeur de droit mandaté par l'opposition et qui reconnaît qu'il sera bien difficile au Conseil constitutionnel de trouver des motifs de censure... Le groupe UMP votera le projet de loi en faveur de l'immigration choisie où tout le monde sera gagnant. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Les tests ADN, s'agissant de Français, sont très encadrés. Ce qui est choquant ici, c'est la portée symbolique de leur inscription dans une loi sur l'immigration. Le journal Le Monde, hier, titrait sur la génétique qui « rebat les cartes » de l'industrie pharmaceutique. Vous vous inscrivez en rupture totale avec les lois bio-éthiques qui avaient fait consensus parce qu'elles nous préservaient des utilisations possibles de la génétique, de la marchandisation du corps humain.

Aujourd'hui, mettre la génétique sur le devant de la scène est dangereux du point de vue de la morale, mais aussi de l'égalité que nous devons accorder aux étrangers. On voit bien aussi que vous voulez vous inscrire dans la marchandisation qui existe ailleurs en Europe où l'on autorise les mères porteuses et légalise la prostitution. Nous en reparlerons à l'occasion des prochaines lois de bioéthique ... dans cinq ans ! (Applaudissements à gauche.)

Les conclusions de la commission mixte paritaire sont mises aux voix par scrutin public, à la demande des groupes CRC et socialiste.

M. le président. - Voici les résultats du scrutin.

Votants326

Suffrages exprimés321

Majorité absolue162

Pour185

Contre136

Le Sénat a adopté. (Applaudissements à droite et sur certains bancs au centre)

Prochaine séance mercredi 24 octobre à 17 heures.

La séance est levée à 21 h 5.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 24 octobre 2007

Séance publique

A DIX-SEPT HEURES ET EVENTUELLEMENT LE SOIR

1. Discussion du projet de loi (n° 10, 2007-2008) relatif au parc naturel régional de Camargue.

Rapport (n° 38, 2007-2008) de M. Jean BOYER, fait au nom de la commission des affaires économiques.

2. Discussion du projet de loi (n° 179, 2006-2007) ratifiant l'ordonnance n° 2006-1547 du 7 décembre 2006 relative à la valorisation des produits agricoles, forestiers ou alimentaires et des produits de la mer.

Rapport (n° 39, 2007-2008) de M. Benoît HURÉ, fait au nom de la commission des Affaires économiques.

______________

DÉPÔTS

La Présidence a reçu :

- de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord interne entre les représentants des Gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, relatif au financement des aides de la Communauté au titre du cadre financier pluriannuel pour la période 2008-2013 conformément à l'accord de partenariat ACP-CE et à l'affectation des aides financières destinées aux pays et territoires d'outre-mer auxquels s'appliquent les dispositions de la quatrième partie du traité CE.

- de MM. Adrien Giraud, Nicolas About, Jean-Paul Amoudry, Philippe Arnaud, Jean Arthuis, Denis Badré, Claude Biwer, Didier Borotra, Jean Boyer, Marcel Deneux, Yves Détraigne, Mme Muguette Dini, MM. Daniel Dubois, Jean-Léonce Dupont, Pierre Fauchon, Mme Françoise Férat, M. Christian Gaudin, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Jacques Jégou, Joseph Kerguéris, Jean-Claude Merceron, Michel Mercier, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Philippe Nogrix, Mme Anne-Marie Payet, MM. Yves Pozzo di Borgo, Daniel Soulage, André Vallet, Jean-Marie Vanlerenberghe et François Zocchetto une proposition de loi visant à réintroduire la procédure de la consultation populaire dans le dispositif destiné à l'accession de Mayotte au statut de département et région d'outre-mer.

- de M. Guy Fischer, Mmes Eliane Assassi, Marie-France Beaufils, M. Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Robert Bret, Jean-Claude Danglot, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Evelyne Didier, M. Thierry Foucaud, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mme Odette Terrade, MM. Bernard Vera, Jean-François Voguet, François Autain et Pierre Biarnès une proposition de loi tendant à instituer le 27 mai une journée nationale de la Résistance.

- de Mmes Michelle Demessine, Annie David, M. Guy Fischer, Mmes Eliane Assassi, Marie-France Beaufils, M. Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Robert Bret, Jean-Claude Danglot, Mme Evelyne Didier, M. Thierry Foucaud, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mme Odette Terrade, MM. Bernard Vera, Jean-François Voguet, François Autain et Pierre Biarnès une proposition de loi visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés.

- de M. Charles Revet une proposition de loi relative à l'urbanisme, au logement locatif social et à l'accession à la propriété.

- de Mmes Annie David, Brigitte Gonthier-Maurin, Eliane Assassi, Marie-France Beaufils, M. Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Robert Bret, Jean-Claude Danglot, Mmes Michelle Demessine, Evelyne Didier, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Mme Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mme Odette Terrade, MM. Bernard Vera, Jean-François Voguet, François Autain et Pierre Biarnès une proposition de loi tendant à créer au sein de l'éducation nationale un « service de la psychologie pour l'éducation et l'orientation des élèves ».