Statut de l'élu local (Question orale avec débat)

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n°9 de M. Jean Puech à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur la création d'un véritable statut de l'élu local.

M. Jean Puech, auteur de la question.  - Lorsqu'ils sont interrogés, les Français soulignent leur attachement pour les élus locaux, ces élus de terrain qu'ils côtoient, qui savent prêter l'oreille à leurs souhaits, qui dialoguent et débattent. Le comble serait que la République les oublie !

Dans le contexte des réformes institutionnelles voulues par le Président de la République, il est donc temps de les doter d'un véritable statut de l'élu local. La population souhaite les évolutions rapides que les élus attendent avec impatience. L'Observatoire sénatorial de la décentralisation le rappelle quotidiennement.

Ce débat permettra aussi de faire le point sur les suggestions de l'observatoire dans un domaine qui conditionne largement la vie de notre démocratie.

À la demande de l'observatoire, l'institut TNS-Sofres a interrogé cinq cents représentants des exécutifs locaux sur la décentralisation et les relations entre l'État et les collectivités territoriales. Les conclusions sont claires : l'adhésion massive à la décentralisation s'accompagne d'une crise de légitimité s'ajoutant à la crise de confiance envers l'État ainsi que d'une grande inquiétude quant au financement à venir des collectivités locales. Près de 80 % des élus sont attachés à la décentralisation mais profondément insatisfaits de leur protection sociale, de leur responsabilité pénale, de leurs conditions de travail et de leur reconnaissance. Aujourd'hui, le seul statut est constitué par l'absence de tout statut !

En élaborant son rapport sur l'émancipation de la démocratie locale, l'observatoire a pris la mesure du retard français en la matière. Les expériences européennes et les contacts directs noués sur place avec des élus allemands, italiens ou espagnols ont montré la route fort longue qui reste à parcourir, à la mesure du temps qu'il a fallu à la France pour ratifier la Charte européenne de l'autonomie locale.

Je rappelle que j'ai dû intervenir à plusieurs reprises au nom de l'observatoire pour obtenir cette ratification en mai 2007, un an après la loi du 10 juillet 2006 qui l'autorisait, alors que notre signature du traité date du 15 octobre 1985 ! Il aura fallu 22 ans ! À qui cette charte faisait-elle si peur ? Les tenants du jacobinisme ne veulent décidément rien lâcher. Signée par presque tous les États représentés au Conseil de l'Europe, la charte indique notamment que l'autonomie locale est « le droit et la capacité effective pour les collectivités de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité, et au profit de leur population, une part importante des affaires publiques. » En outre, ces responsabilités doivent être « exercées par des conseils ou des assemblées, composées de membres élus au suffrage libre, secret, direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux. » Qu'il ait fallu 22 ans pour l'accepter montre l'ampleur des réticences face à ces principes fondamentaux.

Nous avons les outils, un état des lieux et les expériences comparées : le moment est venu de réformer. Je rappellerai donc quelques propositions formulées par l'observatoire sénatorial.

La première consiste à clarifier les compétences des collectivités territoriales, car il n'est pas toujours facile pour les élus ni a fortiori pour nos concitoyens -qui pataugent dans le maquis des administrations- de répondre à la question : « qui fait quoi ? ». Il est indispensable que les citoyens puissent identifier le rôle de chaque exécutif, ce qui suppose une stricte limitation des financements croisés, sources de confusion. Ces incertitudes brouillent l'image et affaiblissent la légitimité des élus.

Or, il faut conforter cette légitimité avec une désignation plus directe des exécutifs locaux, qui exercent de lourdes responsabilités et assument les risques avec courage face à une opinion publique prompte à réagir, souvent sans connaître les difficultés de l'élu confronté à un État aujourd'hui enclin au contrôle plus qu'à l'accompagnement. Alors que la Ve République repose largement sur l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, les exécutifs locaux restent désignés selon des modalités qui rappellent la IVe République voire la IIIe.

Sur le terrain de l'administration locale, la France a une République de retard Elle risque, du coup, de ne plus être en phase avec le pays réel.

Si une telle réforme était envisagée, il s'agirait, comme en Allemagne et en Italie, bientôt en Espagne et dans la plupart des pays de l'Union européenne d'élire les exécutifs locaux au suffrage universel direct, comme le Président de la République. Les électeurs seraient ainsi amenés à voter deux fois : une fois pour élire l'exécutif et une autre fois pour élire les conseillers de l'assemblée délibérante. Une telle distinction entre les modalités d'élection de l'exécutif local et des membres du conseil élu pourrait constituer la première étape d'une séparation des fonctions exécutive et délibérative. Le président du conseil général et le président du conseil régional, élus au scrutin uninominal, pourraient être désignés selon ce mode direct, le canton restant le cadre de l'élection des conseillers généraux.

Une autre solution consisterait à préserver notre tradition de scrutin de liste aux élections municipales et régionales en prévoyant, comme dans certains pays, que la tête de liste gagnante devient automatiquement maire ou président du conseil régional. Pour n'avoir pas à refaire une élection en cas de démission de l'exécutif, il serait utile, dans cette logique, de prévoir que le chef de l'exécutif local démissionnaire soit remplacé par le suivant de la liste. On éviterait ainsi ce qu'on a vu à Toulouse, à Montpellier, à Bordeaux : y a-t-on consulté les électeurs quand le maire s'est retiré ?

Les Français sont de plus en plus conscients qu'il n'est pas possible pour une même personne d'assumer deux charges aussi importantes que celle de membre du Gouvernement et celle d'une importante fonction exécutive locale. Voilà pourquoi ce cumul devrait être interdit. Je propose donc de revenir sur la pratique du cumul entre des fonctions exécutives qui requièrent une mobilisation à temps plein.

Les progrès de la décentralisation ont radicalement changé la nature même de la mission des exécutifs locaux. Il ne s'agit pas de transformer les parlementaires en élus « hors sol » : il est bon qu'un sénateur ou un député ait l'expérience du mandat local, municipal, général ou régional. En revanche, il ne me semble plus possible de cumuler les mandats nationaux ou européens avec des fonctions exécutives locales qui doivent être exercées maintenant à temps plein.

Les choses ont beaucoup changé en vingt-cinq ans. Décentralisation après décentralisation, les collectivités territoriales ont pris du poids. Tout cela, je l'ai personnellement vécu. Quand j'ai été élu président de mon petit Aveyron...(On se récrie)

M. Jean-Pierre Raffarin.  - « Petit », allons donc ! (Sourires)

M. Jean Puech.  - Je n'en attendais pas moins de vous !

... j'avais dû implorer le préfet pour obtenir un seul collaborateur. Il y a désormais mille huit cents personnes dans les services. D'autres départements en emploient cinq mille. Moi, je ne sais pas tenir deux pleins temps. Les journées ont vingt-quatre heures, nous ne bénéficions pas d'inflation horaire. Nous sommes tous fabriqués avec la même pâte humaine. Tirons-en les conclusions.

Il faut donc éviter tout cumul entre une fonction exécutive locale et un mandat parlementaire. Ce nouveau régime pourrait s'appliquer dès les élections régionales de 2010 à l'ensemble des parlementaires.

Trop souvent, le cumul des mandats apparaît comme une réponse à la précarité des élus. Cette situation n'est plus adaptée à une démocratie moderne. On pourrait créer un régime statutaire plus adapté pour les maires, les présidents de conseil général et les présidents de conseil régional, pour aller vers une véritable professionnalisation de la fonction de l'élu. L'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales prévoit encore que « les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites » ; il pourrait tout de même être modifié ! D'autant que les Français croient qu'il l'a déjà été et que les élus locaux s'enrichissent.

Conforter la démocratie territoriale, c'est aussi garantir l'avenir de notre démocratie territoriale et donc susciter des vocations, en particulier dans la jeunesse, dans les divers milieux professionnels. Le rôle des associations d'élus apparaît incontournable. On prétend qu'à l'occasion des prochaines élections municipales et cantonales de mars prochain, nous assisterons à un très important renouvellement. Or les informations qui nous parviennent du terrain traduisent, dans de très nombreuses communes, la difficulté à trouver des candidats représentatifs.

Il convient de renforcer les passerelles entre les trois fonctions publiques, pour permettre la valorisation des métiers, la mobilité et la promotion des agents tout au long de leur carrière. Une période de mobilité entre les trois fonctions publiques pourrait être rendue obligatoire dans tous les statuts et pour toutes les catégories. L'École nationale d'administration et l'Institut national des études territoriales pourraient avoir un tronc commun avec des spécialisations distinctes. Le rapprochement des fonctions publiques conditionne aussi le succès de la réforme de l'État et de la décentralisation.

L'État doit respecter les nouveaux domaines d'attribution des collectivités territoriales. Alors que les réformes engagées dans de nombreux pays européens ont eu pour effet de limiter drastiquement ses compétences au plan local, de réduire ses moyens d'action et, souvent, de supprimer son pouvoir de tutelle, il faudrait qu'en France aussi l'État tire toutes les conséquences des lois de décentralisation. Il doit réussir sa déconcentration pour donner la possibilité aux élus locaux d'avoir en face d'eux le représentant qualifié pour dialoguer et décider. La décentralisation, ce n'est pas la déconcentration, ce n'est pas non plus une simple délégation de compétence sur le mode : « Je décide et tu payes ».

La mise en place d'un nouveau statut pour les élus est indissociable d'une relance de la démocratie locale, base de notre système républicain et de son esprit citoyen. Les possibilités offertes par la réforme constitutionnelle de 2003 sont loin d'avoir été toutes utilisées. Cette timidité témoigne de la persistance d'une culture politique encore bien ancrée dans notre pays. Elle est fondée sur l'idée que l'État, en définitive, doit s'occuper de tout et décider de tout.

Pourtant, les potentialités ouvertes à la démocratie locale depuis 2003 sont importantes. De grands espoirs sont nés à la suite du nouvel élan donné au mouvement de décentralisation sous l'impulsion et avec une vraie volonté de mise en oeuvre, de Jean-Pierre Raffarin, fort de sa grande expérience du terrain. Je suis heureux de l'en féliciter.

Nous pensions qu'un processus irréversible était engagé mais l'actuelle conjoncture montre que la décentralisation est loin d'être acquise une fois pour toutes. La culture jacobine, les pesanteurs administratives et les réflexes centralisateurs regagnent vite du terrain lorsque la volonté politique semble s'éloigner. La décentralisation n'a pas été au centre de la campagne de 2007 pour l'élection présidentielle. La volonté de réforme et de rupture des Français s'est pourtant affirmée à cette occasion. Notre République décentralisée devrait profiter de ce contexte réformateur pour approfondir son processus de décentralisation. Ne serait-ce que parce que la décentralisation est un gage d'efficacité dans la gestion des fonds publics et pour la relance de la démocratie locale.

La France décentralisée ne peut plus s'en remettre à des commissions d'experts parmi lesquels ne figure d'ailleurs aucun élu du suffrage universel.

M. Éric Doligé.  - Mais tant d'étrangers !

M. Jean Puech.  - Les propositions de la commission Attali de supprimer les départements et un certain nombre de communes sont totalement déconnectées des réalités. Loin d'incarner la modernité, elles ne font que reprendre de vieilles lunes et ont été qualifiées de loufoques par un ancien Premier ministre. Elles ont été aussi, semble-t-il, enterrées par l'actuel.

Elles témoignent d'une époque que nous pensions révolue. Je serai donc sévère à l'égard de ces mandarins, issus de la haute fonction publique et vivant à huis clos entre le sixième et le septième arrondissement de Paris ! Ils n'ont pas confiance en la démocratie locale, ignorent tout de la province et semblent frappés d'hémiplégie ! (Sourires) Autant dire qu'ils sont redoutables...

Madame la ministre, vous connaissez le proverbe : les ministres passent, les concierges restent. C'est nous, élus du suffrage universel -au niveau national comme au niveau local- qui devons nous faire respecter, et, à travers nous, faire respecter le mandat confié par nos concitoyens qui sont très attachés aux collectivités locales car ils en connaissent l'importance dans leur vie quotidienne. Prétendre à la réussite d'une politique de proximité en supprimant un échelon, c'est une illusion !

M. Charles Revet.  - Eh oui !

M. Jean Puech.  - Développer une vraie démocratie locale, toujours plus performante et entretenant un lien fort avec les citoyens, c'est là qu'est la modernité. Pour cela, il convient d'élaborer un statut de l'élu et de réformer notre mode de gouvernance. Qui mieux que nous pourrait se saisir de ces questions, qui seraient à traiter dans un acte III de la décentralisation à rédiger de toute urgence ? Pour cela, il faut tenir compte de la réalité du terrain. Or, nous en sommes issus, nous, et nous remettons notre mandat en jeu, ce qui n'est pas le cas des « conseilleurs » ! Il en va des principes fondamentaux de la République, que nous devons défendre ardemment. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs socialistes)

M. Patrice Gélard.  - Ce sujet est d'une actualité permanente. Mais, bien que le débat ressurgisse à chaque élection, les choses n'avancent guère ! Comme l'a dit Jean Puech, nous avons une République de retard. Nous ne pourrons modifier les choses en profondeur si nous en restons à l'idée que les fonctions sont gratuites, comme si tous les élus locaux étaient des bénévoles. La réalité et un souci de transparence exigent que l'on reconnaisse que cela est faux, au moins dans le cas des maires et des responsables d'exécutifs départementaux ou régionaux.

Le remarquable rapport de Jean Puech fait au nom de l'Observatoire de la décentralisation contient notamment des comparaisons avec les situations des pays de l'Union européenne ; j'y ajouterai qu'en Roumanie et en Bulgarie existe aussi le modèle d'une séparation entre l'exécutif et le délibératif local.

Ce rapport met également en lumière le caractère hétérogène des situations des élus locaux ; certaines des règles qui leur sont applicables sont mal connues des intéressés eux-mêmes. On trouve également dans ce rapport les résultats de l'enquête d'opinion sur le degré de satisfaction des élus dans différents pays d'Europe : les élus locaux ne sont pas satisfaits de leur sort. Madame la ministre, je vous suggère d'engager une concertation avec vos collègues européens pour revaloriser l'image de l'élu.

Un effort de transparence mettrait fin à certains errements dont on peut lire le récit jusque dans la presse people. Je partage le point de vue de Jean Puech : il est impossible d'élaborer un statut sans repenser nos structures territoriales, de façon à clarifier le processus de décentralisation. Il est également important d'établir des distinctions selon les origines socioprofessionnelles des élus : un élu fonctionnaire n'est pas « aussi égal » qu'un élu exerçant une profession libérale, agriculteur ou retraité. Récemment, un maire me confiait son soulagement d'avoir des retraitées dans son conseil municipal, sans lesquelles il aurait peiné à trouver des adjoints ! Et comment fait une jeune mère famille élue locale si elle ne réussit pas à faire garder ses enfants ? Nous devons viser à une égalité pour tous devant les fonctions et les responsabilités locales.

En ce qui concerne les élus au suffrage universel direct dans les exécutifs locaux, presque tous les pays européens ont choisi de séparer la fonction délibérative et l'exécutif. On a connu cela autrefois en France, lorsque le préfet était le véritable détenteur de la fonction exécutive dans les départements. Mais la fonction des maires ou des conseillers généraux n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était en 1945 et encore moins avec l'esprit des lois de 1871 et 1884 : les charges se sont considérablement alourdies. Par ailleurs, le système peut avoir un effet pervers : lorsque l'on choisira le chef de l'exécutif municipal, départemental ou régional - appellerons-nous d'ailleurs ce dernier « gouverneur », malgré les abus dont ce nom fait l'objet dans certains pays ?- (sourires) il lui faudra une équipe, constituée non pas d'élus mais de professionnels, un peu comme le sont nos assistants parlementaires. Nous devons y réfléchir.

Un autre problème n'a pas été abordé par Jean Puech : l'élection au suffrage universel direct des intercommunalités, serpent de mer dont on discute beaucoup, mais qui pose des obstacles tels qu'ils n'ont toujours pas été surmontés.

Le changement de président d'un exécutif local fait aussi question. Si un président est nommé ministre, son remplacement sera automatique puisque s'appliquera, en vertu de la parité, la règle de l'alternance homme-femme, ce qui ne répond pas forcément aux souhaits du président sortant. Mieux vaudrait un système de parité globale...

En France, nous avons cinq cent mille élus -et le chiffre devrait être porté à six cent mille si l'on appliquait la règle d'un élu pour cent habitants- qui constituent un élément essentiel de notre démocratie : c'est grâce à cet extraordinaire maillage et grâce au dévouement de tous ces élus anonymes que notre démocratie peut vivre. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs socialistes))

Mme Nathalie Goulet. - Il est difficile de prendre la parole après le président Gélard ! (Sourires)

Voilà sept ans presque jour pour jour -c'était le 18 janvier 2001- nous débattions ici même de différentes propositions de loi sur le statut de l'élu, sur un excellent rapport de Jean-Paul Delevoye alors président de l'Association des maires de France. Qu'avons-nous réglé depuis ? Je ne le sais pas exactement mais si j'en juge par la désaffection de nos compatriotes pour le scrutin municipal, je pense qu'il est grand temps de redorer le statut de l'élu.

Il n'est donc pas étonnant que dans mon département, l'Orne - deux cent quatre-vingt treize mille habitants, cinq cent cinq communes dont beaucoup ont entre cinquante et deux cents habitants-, on trouve peu de candidats pour les prochaines élections municipales et que 30 % des maires ne briguent pas un autre mandat en mars prochain. C'est compréhensible.

Quelques pistes en vrac, déjà proposées par Daniel Goulet, ici même, et adoptées, le 18 janvier 2001 -nous avons de la suite dans les idées dans la famille... Nous avions proposé d'instituer une protection du candidat, sur le type de celle des candidats aux élections professionnelles dans les entreprises, afin que le candidat à un mandat local ne soit pas pénalisé, par son employeur par exemple. Cela favoriserait la diversification des candidats, l'ouverture à la société civile et, donc, la démocratie. Et il y aurait moins de cumuls de mandats !

Vu le nombre et la complexité des procédures et des instances, le Centre de formation des élus qui existe sur le papier semble bien inaccessible. Nous avions proposé il y a sept ans une formation « volante » par intercommunalités par exemple. Comment les maires ruraux pourraient-ils suivre l'actualité juridique ? Depuis les dernières élections municipales, 133 décrets ont été adoptés opérant 2 399 mouvements sur la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales. Dans le même temps, 163 textes législatifs ont été votés opérant 3 210 mouvements sur la partie législative du même code, dont 778 articles organiques. Il y a eu 1 956 ajouts pour 418 abrogations. Comment les élus ruraux s'y retrouveraient-ils dans ce maquis réglementaire et législatif qui se complexifie chaque jour à cause du mille-feuille des compétences ? Une meilleure formation éviterait aux jeunes élus de compréhensibles angoisses, favoriserait les vocations, et limiterait leur dépendance vis-à-vis d'une administration territoriale compétente mais surchargée.

Il faudra aussi repenser la couverture des risques. Là encore, l'évolution législative et réglementaire provoque un strabisme divergeant entre compétences et responsabilités. Le maire a de moins en moins de pouvoirs, rognés par l'intercommunalité, mais sa responsabilité reste la même du moins aux yeux de ses concitoyens. C'est pourquoi j'ai toujours été hostile à la compétence scolaire pour les intercommunalités, car en cas d'accident c'est le maire qui est responsable.

Si nous voulons redynamiser la démocratie locale, il est urgent de remettre en chantier le texte voté en 2001. Sinon, nous découragerons les courageux -en général retraités et célibataires, vu le caractère chronophage des mandats et de la réunionite galopante. Et nous favoriserons le cumul des mandats, frein aux réformes et encouragement aux féodalités bien vivaces surtout dans nos territoires ruraux. Quel est le kamikaze qui dans cette maison va applaudir à la suggestion de Jacques Attali de supprimer les départements ? Et pourtant...

Dans le mille-feuille des compétences dont je parlais et qui est la cause de bien des problèmes se pose depuis longtemps déjà la question de l'échelon cantonal. J'avais communiqué à l'actuel Président de la République quand il occupait vos fonctions, et ensuite à Thierry Breton, une étude simple : six cent soixante-douze cantons en France élisent un conseiller général alors qu'ils comptent moins de quatre mille habitants. Très franchement, ne peut-on envisager un redécoupage à l'heure de la rationalisation des politiques publiques et des économies d'échelle, alors que la France est couverte à pratiquement 100 % par l'intercommunalité ? Trente conseillers généraux dans le beau département de l'Orne pour deux centre quatre-vingt treize mille habitants dont beaucoup de résidents secondaires, pourraient sans doute faire aussi bien que les quarante en place à l'heure actuelle, réalisant ainsi sur un mandat une économie de plus d'un million d'euros qui seraient sûrement mieux employés à rechercher des infirmières, à assurer les soins à domicile d'une population vieillissante -au bon air de Normandie, certes, mais néanmoins vieillissante- ou à aider les entreprises. Puisque nous supprimons les services publics et les tribunaux, pourquoi hésiter à revoir cette organisation pesante et dispendieuse qui remonte à 1790 ? La loi du 11 décembre 1990 qui prévoyait un redécoupage électoral des cantons attend encore ses décrets d'application ! Je ne mentionne que pour mémoire la rupture d'égalité entre les candidats aux élections cantonales au regard du seuil de neuf mille habitants.

Une vraie réflexion doit être engagée : c'est à ce prix que nous redynamiserons la démocratie locale. « Victoire de l'optimisme sur l'expérience » comme disait Henri VIII à son sixième mariage, mais enfin.... Si nous voulons garder une démocratie de proximité vivante et ouverte il faut adopter un vrai statut de l'élu local, dans un système allégé et modernisé. Madame le ministre, si vous décidez de réunir un groupe de travail sur ce sujet, vous pourrez compter sur mon soutien indéfectible. Et si vous ne le faites pas, vous l'aurez aussi. (Applaudissements mesurés à droite, au centre et sur les bancs socialistes).

M. Jean Boyer.  - Cher Jean Puech, vos responsabilités d'élu d'un département rural vous ont justement inspiré cette question qui concerne un grand nombre d'entre nous. La ruralité doit être prise en compte dans la mise en place d'un statut propre aux élus car elle concerne non seulement des hommes mais aussi des territoires. Votre engagement dans votre Aveyron natal nous amène ce soir à nous interroger sur un véritable statut de l'élu local, longtemps promis, toujours repoussé malgré des avancées certaines. La Haute assemblée, expression de toutes les collectivités locales, souhaite plus qu'une autre apporter une contribution constructive dans l'obtention de ce statut. Notre débat doit aboutir à ce que des hommes de bonne volonté continuent à assurer un service de proximité irremplaçable, celui de relayer les habitants. Demain, y aura-t-il toujours des hommes engagés dans les trente six mille six cents communes de notre pays ? Pour préserver cette richesse humaine, administrative et collective, il faut agir avant qu'il ne soit trop tard. Oui, nous avons la chance de bénéficier de ce formidable maillage où la République est présente, partout, y compris dans la France profonde que j'aime souvent appeler le coeur de la France. Aujourd'hui, il n'y a pas de commune sans élu. Mais demain n'y aura-t--il pas des territoires sans hommes, sans responsables engagés ? Nos mairies sont, chacune à leur niveau, le coeur d'un territoire, l'âme d'un pays, la raison d'être d'une commune. Ce sont les archives des actes forts de la vie d'un homme : l'acte de naissance, de mariage et, malheureusement, celui du décès. C'est aussi tout cela la vie d'un élu, en particulier dans le monde rural où les hommes vivent et souffrent ensemble. La mairie, c'est aussi le lieu où ceux qui ont reçu la confiance des électeurs font tout ce qu'ils peuvent pour apporter de la vie mais aussi les équipements nécessaires à toute société du XXIème siècle. Être élu aujourd'hui, ce n'est plus un titre, c'est une mission. II faut être homme de bonne volonté pour s'y engager, sachant qu'il y a des satisfactions mais parfois aussi l'ingratitude individuelle ou collective. Mais nous avons choisi. II faut savoir répondre présent. « L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare » comme disait le philosophe Maurice Blondel. Les élus savent anticiper, questionner, écouter avant d'agir. Il y a encore quelques années, le maire d'une commune rurale était souvent un agriculteur ou un artisan. Aujourd'hui, l'un et l'autre peuvent difficilement assurer ce mandat car l'exigence d'une exploitation agricole ou d'une entreprise artisanale laisse peu de disponibilité. II ne faudrait pas, demain, fonctionnariser cette belle mission. C'est pourquoi un vrai statut de l'élu est indispensable, un statut protecteur, permettant de concilier vie professionnelle et vie municipale. Nous devons éviter de réserver les mandats locaux aux seules personnes disponibles, souvent en fin d'activité professionnelle.

La tâche d'un maire ne se résume pas à présider un conseil municipal ou à décider d'un projet communal. Elle demande présence, écoute, compréhension. Le maire est un associé permanent. En cas de difficulté, c'est aussi le responsable trop facilement désigné. La mission de l'élu rural n'est pas facile, car il n'y a pas de filtre, pas de barrière, il est directement livré aux observations, aux demandes, voire aux critiques de citoyens dont certains sont devenus excessivement exigeants. Le citoyen a des droits, mais il a aussi des devoirs de civisme, le civisme communal. Civisme... Un mot qui se dilue, qui se dégrade. On regarde son intérêt personnel, pas assez l'intérêt collectif. On n'attache pas suffisamment d'importance à la sauvegarde d'un service public, d'une école ou d'un équipement si on préfère, pour soi-même, trouver une solution ailleurs.

Madame la ministre, votre forte personnalité, votre classe, votre détermination rassurent les élus. Merci de votre présence, de votre action appréciée de tous. Un maire ne sera jamais un responsable comme les autres. Il ne doit pas être exclusivement un homme de papiers, de dossiers. Il ne doit pas être seulement un gestionnaire, ni même seulement un bâtisseur. Il doit être un « associé viager » pour ceux qui vivent dans sa commune ou, pour un conseiller général, dans son canton. Nous ne sommes pas et nous ne devons pas être des spécialistes. Nous sommes avant tout des généralistes qui compensons parfois notre manque de connaissance par une forte volonté d'apporter des réponses. Nous les apportons souvent avec le langage du bon sens.

La finesse de l'élu local, son intelligence, sa bonne connaissance du terrain ne s'apprennent pas dans les livres mais se forgent dans les contacts au quotidien. Oui, il faut avancer sur le statut de l'élu. Nous passons notre temps en réunions ; la répartition des compétences est un vrai labyrinthe. Un maire ou conseiller général doit souvent aussi être membre d'une communauté de communes ou d'agglomérations. Cela exige un fort investissement personnel. Les élus en sont conscients, qui savent, avec Saint-Exupéry, que l'on ne peut « se sentir à la fois responsable et désespéré ».

« Il est un temps pour tout », dit l'Ecclésiaste. Il est un temps pour bâtir et un temps pour regarder ce que l'on a bâti. Bien des maires engagés depuis plusieurs décennies, date à laquelle les indemnités de fonction étaient très faibles, s'apprêtent à quitter leurs fonctions. Ils ont droit à la reconnaissance de la Nation.

Dans quelques semaines, d'autres devront subir la loi des urnes. Jules Claretie disait que tout homme, qui fait quelque chose a contre lui ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui font le contraire et surtout la grande armée de ceux qui ne font rien du tout. Vous ne m'y trouverez pas, monsieur le président du conseil général de l'Aveyron, car je salue votre initiative et vous en remercie. Nous voulons, avec vous, un statut pour les hommes de bonne volonté. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs socialistes)

M. Pierre-Yves Collombat.  - Je remercie M. Puech de sa question, dans laquelle il a osé parler de statut, terme qui a fait reculer tous les gouvernements, même si la guerre de tranchées menée par les élus a permis de s'en rapprocher.

Il aura fallu attendre la loi du 24 juillet 1952 pour obtenir un premier mais miséreux régime indemnitaire, et vingt ans de plus, avec la loi du 23 décembre 1972, pour une maigre retraite d'agent non titulaire des collectivités. Malgré le rapport Debarge et la loi fondatrice de mars 1982, il aura fallu patienter vingt ans encore pour enregistrer, avec la loi du 3 février 1992, quelques nouveaux progrès en matière de disponibilité, de couverture sociale et de formation ; dix ans encore avant que la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité organise le régime des autorisations d'absence, des crédits d'heures et des congés pour élections ; celui des remboursements de frais et indemnités, néanmoins fiscalisées ; celui de la formation ; de la couverture sociale et facilite le retour à la profession en fin de mandat, mais seulement pour les maires et adjoints des communes d'au moins vingt mille habitants.

Le métronome de la réforme semblant réglé sur dix à vingt ans, faudra-t-il attendre 2012 ou 2022 pour voir naître enfin un véritable statut de l'élu local ?

Au chapitre des obligations, la loi du 5 avril 2000 a réduit les possibilités de cumul des mandats, mais en excluant les présidences de conseils d'administration, les mandats intercommunaux et celui de maire d'une commune de moins de trois mille cinq cents habitants hors de son champ d'application, permettant ainsi bien des accommodements avec le principe.

Cet ensemble de mesures disparates constitue-t-il pour autant un statut ? Évidemment, non. Les textes successifs évitent même soigneusement le terme. Dans le projet Galland, inabouti, il n'était question que d'une charte ; dans la loi de 1992, de « conditions d'exercice des mandats locaux », dans la loi relative à la démocratie de proximité de « démocratisation des mandats locaux ». Ces palinodies sémantiques ne sont pas innocentes. Elles trahissent l'absence d'une définition claire du statut juridique des collectivités locales, sans laquelle il ne peut être de statut de leurs élus. Car telle est bien la question : les collectivités locales, à commencer par les communes, sont-elles de simples organes administratifs ou les cellules de base de la démocratie, donc des entités politiques ?

M. Charles Revet.  - Bien sûr, au sens noble du terme !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Car c'est alors seulement que la reconnaissance de l'autonomie locale, qui aura mis vingt-deux ans à être assumée, et que le statut de l'élu prennent un sens. Dans le cas contraire, le problème est purement fonctionnel et la décentralisation n'est que le synonyme de déconcentration, quelle que soit la gymnastique intellectuelle à laquelle on se livre.

Nul n'ignore que depuis leur création par la Révolution, les communes sont des entités politiques, et chacun a en mémoire ces mots de Tocqueville : « C'est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir. Sans institutions communales une Nation peut se donner un gouvernement libre, elle n'a pas l'esprit de la liberté »

On en reste pourtant à un jacobinisme de stricte observance, issu d'une conception absolutiste de la souveraineté. Ne pas le reconnaître, c'est s'interdire de régler les questions essentielles. Car si l'on a affaire à une simple entité administrative, l'élu ne peut recevoir l'indemnité qui doit lui permettre de se consacrer à son mandat sans devenir une sorte de fonctionnaire ou de contractuel. C'est ainsi que l'entendaient et le rapport Mauroy et Michel Giraud, alors président de l'AMF : « Qui dit statut dit fonctionnarisation. » Et le code général des collectivités territoriales le confirme qui dispose que « les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites ». Certaines sont pourtant indemnisées, sans que l'on sache clairement en contrepartie de quoi et, pour ajouter à la confusion, ces indemnités sont fiscalisées, signe qu'elles sont bien un revenu.

Ces contradictions juridiques peuvent se révéler gênantes. Car en refusant de reconnaître la fonction éminemment politique de l'élu local, on s'interdit de lui réserver le statut pénal correspondant à sa situation réelle. Alors que l'on prend en compte la spécificité de ses fonctions pour aggraver les peines qu'il encourt en cas de délit intentionnel en rapport avec sa fonction, on oublie qu'il agit au nom de la collectivité en cas de délit non intentionnel pour des fautes non détachables du service. Le maire, responsable de tout est traité comme un simple citoyen, responsable de lui seul.

La loi qui créera enfin un statut devra trancher ce point. Je vous livre ici les trois principes auxquels tiennent particulièrement les plus maltraités des élus, les élus ruraux.

Le principe de disponibilité, tout d'abord, qui conditionne la possibilité de l'action et l'autonomie de décision de l'élu. Il suppose l'existence d'une indemnité suffisante, quelle que soit la taille de la commune. Au contraire de M. Puech, j'estime qu'elle ne doit pas dépendre de la population, sauf à admettre une démocratie à plusieurs vitesses. L'argument de la proportionnalité des charges ne tient pas : si la charge est proportionnelle à la taille de la commune, elle est inversement proportionnelle aux moyens dont dispose le maire pour y faire face. Il conviendrait donc de définir un seuil minimum de moyens en même temps que de faire de l'indemnité une dépense obligatoire au lieu de la laisser à l'appréciation des conseils. Indexer l'indemnité sur celle des parlementaires, comme le proposait le rapport Debarge serait aussi un moyen symbolique de distinguer les élus du personnel administratif. La création d'une indemnité compensatrice ou d'un crédit d'impôt pour charges de familles faciliterait, enfin, l'accès des femmes aux fonctions électives.

Il est plus facile de libérer du temps pour les fonctionnaires ou les salariés de grandes entreprises que pour les cadres des petites entreprises ou les artisans. Deux volets sont complémentaires. D'une part, la création d'un crédit d'heures et le financement des pertes de revenu résultant de la réduction d'activité, de l'autre, la limitation du cumul des mandats pour assurer la disponibilité de l'élu. Le bon sens voudrait que le mandat de parlementaire ne soit pas compatible avec celui de maire, d'adjoint, à partir d'un certain seuil ou de président d'EPCI à partir d'une certaine taille. La participation des parlementaires aux assemblées locales, pour rester en prise avec le terrain, devrait en revanche être encouragée.

Deuxième principe, la sécurité à assurer aux élus en cas de cessation de mandat, de départ en retraite ou de reprise d'activité.

Il convient, par-dessus tout, de réaffirmer que l'élu n'agit pas personnellement mais au nom de la collectivité. C'est la collectivité, et non l'élu, sauf en cas de faute grave, qui devrait être tenue pour responsable en cas de délit non intentionnels et non détachables du service.

Il faudra aussi revenir sur les notions de délit formel et de prise illégale d'intérêt lorsque celui-ci est moral ; améliorer la couverture sociale et le régime de retraite obligatoire, au moins pour les indemnités les plus basses ; étendre les dispositions facilitant le retour à la vie professionnelle.

Troisième principe : le principe de responsabilité. Son corollaire est le renforcement des obligations de formation, de transparence, de démocratie. La meilleure façon de combattre l'idée fausse selon laquelle la démocratie participative perfectionnerait la démocratie représentative (« ah ! » à droite), de renforcer la démocratie locale est de créer les conditions d'un débat démocratique au sein des assemblée locales. La discussion des orientations budgétaires partait d'un bon sentiment, mais l'objectif n'a pas été atteint. La présentation de documents plus lisibles est une absolue nécessité...

M. Charles Revet. - C'est un peu dur pour les élus !

M. Pierre-Yves Collombat. - De la vitalité de l'opposition dépend celle de la démocratie locale ; tout ce qui permet son expression et des débats transparents va dans le bon sens. Ne serait-il pas utile en outre d'étendre certains des droits dont bénéficient les titulaires d'une fonction élective aux représentants des groupes d'élus ? C'est au sein des assemblées que doivent fonctionner les contrepouvoirs sans lesquels le mot « démocratie » est vide de sens. Ce point est plus important que le mode de désignation des exécutifs locaux ou la disparition des départements, ces marronniers pour feuilletonistes politiques.

Les plus petites collectivités locales n'auront pas les moyens d'assumer tout cela seules ; sauf à les laisser sur le bord du chemin, il faudra sans doute créer un fonds alimenté par l'État, les collectivités locales en fonction de leur richesse et les organismes qui sollicitent régulièrement leur concours, comme certaines chambres consulaires.

Ce ne sont ni les problèmes, ni les propositions qui manquent. Je remercie M. Puech d'avoir permis ce débat, en espérant que nous nous retrouverons avant dix ans. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Raymond Couderc. - Au nom du groupe UMP du Sénat, je me félicite de l'organisation de ce débat, et surtout de la manière dont la question du statut de l'élu a été abordée par M. Puech dans le rapport qu'il a présenté le 7 novembre dernier au nom de l'Observatoire de la décentralisation qu'il préside avec beaucoup de compétence. Ce rapport, qui ne se limite pas aux questions statutaires, souligne la montée en puissance des responsabilités des exécutifs locaux et pose le problème en termes de gouvernance et d'autonomie locales, sans oublier la réforme de l'État qui en est l'indispensable corollaire.

Cette problématique est européenne, mais chaque pays a cherché à la résoudre à sa façon. En France, elle est indissociable de la décentralisation et de la réforme de l'État. Les deux vagues de décentralisation ont modifié en profondeur l'organisation de notre pays : les collectivités territoriales disposent aujourd'hui de compétences importantes dans des domaines essentiels. Si cette plus grande proximité répond à leurs attentes, nombre d'élus locaux sont inquiets, voire découragés, par l'ampleur et la complexité des missions qui leur ont été confiées, préoccupés aussi par les modalités, notamment financières, de la décentralisation.

La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 et la loi organique du 29 juillet 2004 ont garanti l'autonomie financière des collectivités territoriales ; elles visent à éviter de nouvelles diminutions de la part de leurs ressources propres et précisent que tout transfert de compétences de l'État doit s'accompagner de l'attribution de ressources équivalentes. Nous avons ouvert ainsi une nouvelle ère dans les relations entre des collectivités locales mieux respectées et un État plus attentif à leurs préoccupations.

Les élus ont en outre le sentiment que leurs marges de manoeuvre se réduisent de jour en jour avec la multiplication de normes et de procédures juridiques de plus en plus contraignantes. Le groupe UMP se félicite de la création, le 4 octobre dernier, de la Conférence nationale des exécutifs, lieu de concertation privilégié qui permettra aux collectivités locales d'être mieux associées à l'élaboration des normes qui les concernent.

Enfin, et surtout, les élus locaux doivent faire face à une charge de travail croissante, liée à l'inflation normative, mais aussi à l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les différents échelons de collectivités locales, et entre ces derniers. Cette confusion des responsabilités est source d'augmentation de la dépense publique et de perte de temps.

Si nous n'avons pas réellement à redouter une crise des vocations pour l'exercice des mandats électifs, nous devons nous attaquer sérieusement à ce problème. De moins en moins d'actifs ont la disponibilité nécessaire pour exercer leur mandat, ce qui risque de couper les conseils municipaux de la vie active. Les élus sont surchargés par la multiplication des réunions avec les services déconcentrés de l'État qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ne cessent d'intervenir dans le processus de décision locale. Ils doivent aussi participer à une foule de structures de concertation qui, si elles permettent d'être davantage à l'écoute des administrés, sont chronophages ; il n'y a plus guère que les retraités pour être suffisamment disponibles. La démocratie est dévoreuse de temps.

Dans son rapport, M. Puech relève qu'un véritable statut de l'élu local « devrait permettre de concilier l'exercice d'une activité professionnelle et un mandat local, en donnant à l'élu salarié le temps nécessaire à l'accomplissement des tâches liées à son mandat, sans porter préjudice à sa vie professionnelle ». Soulignant les aménagements positifs apportés par le législateur, il reconnaît cependant qu'ils n'intéressent que les salariés ou les personnels de la fonction publique ; aucun mécanisme de compensation n'est par exemple prévu en faveur des membres des professions indépendantes. Je souhaiterais que vous puissiez nous dire, madame le ministre, où en est votre réflexion sur cette question qui conditionne l'accès de tous les citoyens à la fonction d'élu et une représentation socioprofessionnelle équilibrée dans les assemblées délibérantes.

Cette question du temps est étroitement liée à celle des compétences. L'un des meilleurs moyens d'optimiser le temps de travail des élus est en effet de limiter les doublons institutionnels et de simplifier les processus de décision. La suppression d'un niveau institutionnel, en l'occurrence des départements, que propose le rapport Attali, ne correspond ni à la réalité sur le terrain ni aux attentes de nos concitoyens. Nous devons raisonner avant tout à partir des politiques publiques, comme le suggère M. Lambert dans le rapport qu'il a remis au Premier ministre, le 7 décembre dernier. Au niveau local, les collectivités territoriales doivent s'adapter à l'évolution de leurs missions, prendre en compte le développement de l'intercommunalité et rechercher les moyens de rationnaliser leurs interventions respectives. L'État, de son côté, doit cesser d'intervenir dans des domaines qui ne relèvent plus de sa compétence.

La création d'un régime statutaire spécifique nécessite ainsi une clarification préalable des responsabilités : avant de décider quoi faire pour qui, nous devons savoir qui fait quoi. La clarification des compétences, la simplification des procédures et le renforcement de l'autonomie financière sont les clés d'une plus grande efficacité des politiques publiques et d'une plus grande responsabilisation de tous.

C'est dans cet esprit que le groupe UMP soutient les réformes structurelles engagées par le Gouvernement, et en particulier la réforme de l'État, afin notamment que les élus locaux puissent exercer leurs compétences plus librement, plus efficacement, plus simplement, au plus près des attentes de nos compatriotes. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - La question du statut de l'élu local est récurrente à la veille d'élections municipales et cantonales. Si elle n'a pas trouvé de réponse, ce n'est pas faute d'initiatives parlementaires ; les élus communistes s'en préoccupent depuis une vingtaine d'années, notre groupe ayant déposé, dès 1989, une proposition de loi sur les fonctions électives. Nous l'avons présentée depuis à plusieurs reprises, ici comme à l'Assemblée nationale, afin de rendre notre dispositif plus conforme aux attentes des élus et des citoyens.

L'esquisse d'un statut de l'élu a été dessinée par la loi du 3 février 1992, qui a permis aux élus locaux d'acquérir un certain nombre de droits. Nos propositions vont plus loin. En janvier et février 2001, nous avons examiné une proposition de loi sur le statut de l'élu et celle de Mme Fraysse sur les fonctions électives locales. Aucun de ces textes n'a abouti.

La loi relative à la démocratie de proximité a en partie répondu à nos attentes.

Mais elle n'a pas créé un véritable statut.

Parce que le problème subsiste, nous avons fait des propositions lors du débat sur la parité en décembre 2006. Le lien n'est pas innocent car des mesures quantitatives sont insuffisantes et méprisantes. La loi de décembre 2006 fait dépendre l'accès des femmes aux mandats électoraux de mesures législatives mais si la fonction d'élu local suscite de moins en moins de vocations, c'est aussi parce que la mise en cause de leur responsabilité et les conséquences financières de la loi Raffarin ainsi que la disparition des services publics n'aident pas les élus à satisfaire les demandes de nos concitoyens. Pas étonnant alors que le sondage TNS Sofres dise leur lassitude et leur découragement.

Il est urgent de remettre le statut de l'élu sur le métier, mais pas au détour d'une question orale : on n'avancera pas en le repoussant sans cesse. Comment renouveler et diversifier les origines socioprofessionnelles ? Malgré les incitations pour les salariés, fonctionnaires et retraités forment une large majorité des élus et que dire des professions indépendantes ? Il est toujours difficile de concilier statut professionnel et mandat électoral -je ne parle même pas des femmes.

La loi reconnaît des droits aux élus, leur accorde des autorisations d'absence, des crédits d'heures, une formation, des indemnités, mais sans sécuriser les élus ni susciter des candidats. Les fonctionnaires sont plus nombreux parce que le rapport de force reste défavorable aux salariés toujours menacés d'un licenciement ou d'une mise au placard : la loi de 2002 n'est pas allée assez loin.

Notre groupe a déjà formulé de nombreuses propositions : absences autorisées, remboursement des frais de garde, reconnaissance de la compétence acquise, maintien d'indemnités pendant six mois en cas de chômage... Le financement de ces mesures ne saurait reposer sur les seules collectivités. Nous avions en 2001 proposé de créer un fonds alimenté par les entreprises. Il serait opportun de réviser la dotation de l'indemnité élu local, trop faible (2 167 euros) et trop restreinte (les communes de moins de mille habitants).

L'État a sa part de responsabilité dans la démocratisation de la vie locale. Un statut de l'élu est une exigence démocratique car tout citoyen doit pouvoir être candidat dans la sécurité avec un statut clair. Le mécontentement constaté par M. Puech appelle des réformes, afin que tous, hommes et femmes, puissent se faire élire, que tous les élus puissent exercer correctement leur mandat mais la situation actuelle risque de s'aggraver en raison des transferts de compétences non compensés et de l'augmentation de la responsabilité des élus vis-à-vis des administrés. Nous annoncerez-vous un statut de l'élu ? (Applaudissements à gauche)

La séance est suspendue à 20 h 10.

présidence de Mme Michèle André,vice-présidente

La séance reprend à 22 h 15.

M. Jean-Léonce Dupont. - Malaise, insatisfaction, inquiétude : c'est par ces termes que les enquêtes d'opinion qualifient l'état d'esprit des élus locaux. Selon l'Ifop, 45 % des maires seraient peu enclins à se représenter aux prochaines élections. Sur les sept cent cinq communes du Calvados, un tiers des maires seraient dans ce cas, exprimant un ras-le-bol face à des responsabilités toujours plus grandes et ingrates, pour des concitoyens toujours plus exigeants et souvent peu reconnaissants. Le constat vaut pour les conseils généraux, où les candidatures ne sont pas légion. Selon l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, 58 % des élus locaux seraient mécontents de leurs conditions de travail. La situation s'est certes améliorée, avec les lois de 1992, 1999 et 2002, mais les élus manquent toujours d'un véritable statut, qui améliore leur condition avant, pendant et après leur mandat électif.

Avant l'élection, se pose la question de l'égal accès aux mandats. La loi de 2002 a certes introduit un droit au congé électif, mais seulement pour les communes d'au moins trois mille cinq cents habitants et les dix jours qu'il propose au candidat ne sont pas rémunérés. Les salariés du privé disposent de garanties très inférieures à celles des fonctionnaires, qui peuvent être mis à disposition pour exercer leur mandat et donc retrouver leur emploi après. Les catégories socioprofessionnelles des élus traduisent cette inégalité : 29 % sont des retraités, 18 % des agriculteurs et 15 % des fonctionnaires -parmi les maires agriculteurs, 99 % sont élus de communes de moins de trois mille cinq cents habitants. Les élus locaux demeurent cependant plus représentatifs que les élus nationaux.

Grâce aux règles relatives à la parité, les femmes représentent 47,5 % des conseillers municipaux des communes d'au moins trois mille cinq cents habitants, 11 % pour l'ensemble des communes, 10,5 % des conseillers généraux et 47,5 % des conseillers régionaux. L'accès des femmes aux fonctions exécutives doit être amélioré, en particulier par des dispositifs d'aide à la garde d'enfants.

Pendant le mandat, un véritable statut devrait mieux garantir les élus locaux en matière de responsabilité civile, administrative et pénale. La grande majorité des maires s'estiment insuffisamment protégés, il faut parfaire la loi Fauchon de juillet 2000 relative aux délits non intentionnels. Quant aux moyens matériels, ils sont insatisfaisants pour deux élus sur trois : une réflexion d'ensemble s'impose, qui porte également sur la nécessaire réforme de la fiscalité locale.

Après le mandat, un véritable statut devrait améliorer la reconversion des élus venus du privé et leur réinsertion professionnelle. La loi de 1992 a prévu un droit de réintégration, pour un mandat seulement dans une commune d'au moins vingt mille habitants et à condition que l'entreprise existe encore à l'issue du mandat. Rien n'est prévu pour les professions libérales. La loi de 2002 a créé une allocation différentielle de fin de mandat, elle aussi limitée aux communes d'au moins vingt mille habitants et pour six mois seulement. On comprend que 58 % des élus se déclarent insatisfaits de l'aide à leur réinsertion !

A l'heure de la « flexsécurité à la française », il faut tenter de supprimer les inégalités entre élus, cela passe par une réflexion globale, qui traite de la démocratie locale et des moyens que la société lui accorde. Vous avez évoqué la possibilité d'accueillir d'anciens élus dans la fonction publique, c'est une piste intéressante. Cette réflexion, cette réforme d'ensemble est nécessaire à une démocratie apaisée ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Éric Doligé. - La question du statut de l'élu local n'est pas nouvelle, mais les réponses n'ont été que très parcellaires, comme c'est malheureusement une habitude dans notre pays. Rien n'a été réglé des problèmes de fond, ni l'inégalité d'accès entre les fonctionnaires et les salariés du privé, ni l'absence d'indemnité pour les élus des petites communes, ni le cumul des mandats -c'est une richesse pour notre démocratie, mais on l'utilise contre les élus, en caricaturant leur situation-, ni le cumul des indemnités, ni la protection sociale, ni les responsabilités civile, administrative et pénale d'élus exposés à la vindicte médiatique et au zèle des juges... La République n'est pas toujours très reconnaissante avec ses serviteurs et participe même parfois à la dévalorisation de leurs fonctions !

Le rapport dit Attali en est un bon exemple. Il devrait être communiqué au Président de la République demain mais il semble que tout le monde l'ait déjà lu -sauf les élus. Madame le ministre, il faudrait bannir cette habitude détestable des gouvernements, de n'informer les élus qu'en dernier, comme on l'a encore vu avec les OGM !

Le président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale en a été informé au dernier moment, par sms.

La question a été bien posée à la commission Attali. Mais si l'on avait dépêché, plus modestement, un émissaire ailleurs que dans la capitale, on aurait obtenu des réponses pertinentes -certes pas trois cents propositions ni huit ambitions...

Prenons la septième : une nouvelle gouvernance au service de la croissance. La commission estime que de nombreuses institutions sont fossilisées et coûtent trop cher : la résolution 259 propose donc de faire disparaître l'échelon départemental, source de gaspillage. Pauvre département ! Se faire agitateur pour faire avancer les idées, fort bien, mais comment admettre des attaques infondées ? Quel manque d'égards envers des élus locaux à deux mois du renouvellement cantonal ! Tous, de tous bords, en sont scandalisés et je n'ose vous répéter ce que j'ai pu entendre sur l'intelligentsia parisienne qui vit en vase clos mais prétend faire le bonheur des pauvres provinciaux. La commission Attali ne comprenait que deux élus : un Allemand et un Italien, lequel aurait trouvé l'idée. Je me suis rendu avec M. Puech en Italie : jamais il ne nous serait venu à l'esprit de nous y immiscer dans ces questions.

Les élus locaux sont donc jugés indésirables, défaillants, gaspilleurs. Les départements seraient usés par les ans -ils ont été créés en 1790. Mais ils sont devenus collectivité locale de plein exercice en 1981 seulement ; et les régions, en 1982. Faut-il rappeler que les départements consentent huit fois plus d'efforts à l'égard des collèges que l'Etat avant le transfert de cette compétence ! L'Etat sollicite aussi les collectivités pour tenir ses engagements et financer les universités, la recherche, l'innovation,... Empêtré dans sa complexité et son centralisme, il a confié au département le RMI, l'APA, le handicap, les routes,... et il continue à transférer les responsabilités aux élus locaux. Madame la ministre, dites aux « experts » que la France ne s'arrête pas aux boulevards des maréchaux et qu'au-delà, il existe une vie et des élus consciencieux, sérieux.

Le département n'est pas un frein à la croissance. Il est une collectivité de proximité. La région doit être une collectivité de mission. Le département doit gérer non seulement les collèges mais les lycées, et la région, recevoir des compétences nouvelles et fortes, santé, universités, environnement. Quant à l'Etat, il ne doit plus intervenir dans les domaines déjà couverts par les collectivités, qui les financent souvent à plus de 50 % : le sport, la culture, le social, l'équipement... voire les pompiers.

La région doit être le lieu de cohérence entre les politiques des départements et celles des grandes agglomérations. Et les conseillers régionaux, pour cette raison, doivent être issus des collectivités composant la région, comme pour l'intercommunalité. Revoyons à la baisse le nombre des régions, pour les rendre plus efficaces et concurrentielles par rapport à leurs équivalents en Europe. Les départements doivent pouvoir se regrouper s'ils le souhaitent.

Depuis vingt ans, ce ne sont pas les départements qui ont créé des niveaux supplémentaires mais les régions avec les pays, et les communes avec les EPCI. Laissons les collectivités libres d'agir sur des compétences dynamiques ; et, sur les compétences passives, qu'elles respectent une logique de guichet unique. Les contrats de plan doivent être supprimés, ils sont une tutelle de l'État sur la région, et de la région et l'État sur les autres collectivités. Ils permettent à l'État d'être partout et de maintenir ses structures.

J'ai émis une douzaine de propositions. Ce n'est pas dans la culture du Gouvernement d'écouter les propositions issues de l'expérience locale ; il a une fois de plus préféré les paillettes de la notoriété. Je passe sur les propositions pour en venir à ma conclusion...

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Comment le Gouvernement pourra-t-il entendre vos suggestions, alors ?

M. Éric Doligé.  - Ne jetez pas avec l'eau du bain des élus locaux qui font avec beaucoup de passion la richesse de nos territoires. Ils sont prêts à la réforme, mais si l'Etat n'entre pas lui aussi dans la réforme, s'il n'associe pas les élus locaux, s'il cautionne les provocations attalinesques telles que la proposition 259, alors il y aura bien deux France, celle d'en haut, réduite à quelques penseurs en mal de reconnaissance et de succès en librairie, et celle d'en bas, composée d'élus et de citoyens qui se battent pour faire vivre nos territoires.

Le rapport de Jean Puech et nos interventions à cette tribune contiennent nombre de suggestions sur le statut de l'élu et l'organisation des territoires tout en relançant la croissance. Ne l'ignorez pas ! Mais je sais que je peux avoir confiance en vous. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs UMP, UC-UDF et socialistes)

M. Robert del Picchia.  - Vous connaissez bien les Français de l'étranger, madame la ministre, et vous avez toute leur sympathie. Pourquoi un sénateur représentant les Français de l'étranger prend-il ce soir la parole ? Je veux que les conseillers élus à l'assemblée des Français de l'étranger ne soient pas oubliés : suis-je hors sujet ?

M. Paul Blanc.  - Pas du tout !

M. Robert del Picchia.  - Ne doivent-ils pas être assimilés à des élus locaux ?

M. Paul Blanc.  - Si !

M. Robert del Picchia.  - Ces cent cinquante cinq élus -au suffrage universel direct- forment l'assemblée des Français de l'étranger. Je suis depuis plus de dix ans élu de l'Autriche et des pays de l'Europe de l'est et j'ai de réelles responsabilités à l'égard de mes administrés. Les conseillers participent à diverses instances, réunions, commissions : bourses scolaires, aide sociale, emploi, comités de sécurité que l'ancienne ministre de la défense connaît bien. Les élus agissent sur le terrain -un vaste terrain, parfois périlleux, avec des circonscriptions qui peuvent regrouper plusieurs pays. Ils se réunissent deux fois par an en session plénière à Paris mais siègent aussi en commission sur différents problèmes : un temps souvent pris sur leurs congés. Ils peuvent parrainer un candidat à la présidence de la République et élisent des sénateurs.

Leur indemnité, même si elle a été récemment augmentée, est insuffisante pour exercer un tel mandat. Mais ce qui fait le plus cruellement défaut, c'est un statut. Non seulement pour valoriser un travail difficile, mais aussi comme reconnaissance d'un rôle qui n'est pas toujours bien connu ni compris de l'administration consulaire. On nous voit parfois comme des élus au rabais, oubliant que nous provenons du suffrage universel.

Le statut apporterait une solution à certains problèmes concrets, comme la protection sociale -actuellement, les membres de l'AFE n'en disposent que durant leurs séjours à Paris pour les réunions de l'assemblée, or les risques n'y sont pas si considérables. Ils n'ont rien, en revanche, lorsqu'ils se trouvent dans leur circonscription, parfois dans des conditions dangereuses. Le régime statutaire des élus locaux doit aller jusqu'au bout et comprendre un régime spécifique pour les élus d'outre-frontière. Il faut en effet leur rendre justice : pour les Français de l'étranger non plus il ne saurait y avoir une République de retard ! (Applaudissements sur les bancs UMP, UC-UDF et socialistes)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Je remercie MM. Puech et Gélard de leur présentation exhaustive de la question.

Je les remercie également pour la hauteur de vue dont ils ont fait preuve en abordant cette question, certes d'actualité à quelques semaines des élections municipales, mais surtout au coeur de notre démocratie.

Élue locale en même temps qu'élue nationale, je suis actuellement en charge des collectivités. Je connais donc les exigences inhérentes aux mandats locaux, les risques parfois courus et les attentes des élus. Être à la tête d'un exécutif local, c'est être en première ligne face aux attentes de nos concitoyens.

Les nombreuses dispositions progressivement mises en place aboutissent à un ensemble cohérent et équilibré, mais qui reste à compléter.

Il me semble aussi que l'insatisfaction ressentie par certains élus locaux trouve son origine dans notre paysage institutionnel. Aujourd'hui, de nombreux élus souhaitent clarifier les responsabilités. Je l'ai dit devant l'AMF en rappelant que nous avons tous besoin de savoir qui fait quoi.

Le statut actuel -car, de facto, les règles en vigueur en forment un- assure un compromis entre la protection et la libre administration. Pour tenir compte des charges, le législateur a mis en place des droits et des garanties. De nombreuses dispositions permettent de concilier l'exercice d'un mandat local et d'une activité professionnelle. A-t-on pour autant tout réglé ? Non ! Ainsi, M. Couderc a mentionné les obstacles spécifiques aux élus exerçant une profession libérale, aux commerçants et artisans. Mme Mathon-Poinat a parlé des femmes, notamment des jeunes. Tous deux ont raison, mais quelle réponse apporter ? Il faudrait peut-être améliorer la fin de mandat.

De même, le droit à la formation est pleinement reconnu et le régime indemnitaire a sensiblement progressé, puisque les sommes versées aux maires et présidents d'autres assemblées locales ont augmenté en moyenne de 55 % entre 2002 et 2007. L'insertion professionnelle, abordée par M. Jean-Léonce Dupont, est un enjeu majeur en fin de mandat. Ses difficultés peuvent freiner les vocations, malgré l'allocation de fin de mandat créée en 2002. Mais j'estime que l'on ne va pas assez loin, car l'exercice prolongé d'un mandat d'élu devrait permettre d'accéder à la haute fonction publique locale, à l'instar de ce qu'organise la troisième voie d'accès à l'ENA.

Il serait utile de prolonger la réflexion sur les mesures pouvant faciliter la vie quotidienne des élus.

Je suis réservée lorsqu'on envisage de considérer la fonction d'élu local comme une activité professionnelle à temps plein. En effet, cela ne semble pas raisonnable dans une très petite commune, c'est-à-dire dans l'immense majorité d'entre elles. Par ailleurs, le mandat de maire d'une très grande ville n'est pas toujours plus contraignant que celui d'un maire de ville moyenne, car le premier dispose d'une administration étoffée tandis que le second doit davantage payer de sa personne Je redoute aussi la fonctionnarisation des élus locaux. Certes, les maires sont des fonctionnaires dans un certain nombre de pays. Je suis très favorable à la connaissance de ce qui se passe en dehors de nos frontières, mais je ne souhaite pas considérer les maires comme des fonctionnaires, car je partage l'opinion de M. Jacques Pélissard, président de l'AMF, lorsqu'il déclare que l'on méconnaîtrait les mandats locaux en croyant qu'ils devraient nécessairement être exercés par des professionnels.

Pour la même raison, je ne partage pas le sentiment exprimé par l'Observatoire sénatorial de la décentralisation à propos du cumul des mandats. Pour les Français, ce cumul a pour corollaire celui des avantages et des rémunérations, ce qui est inexact. Je préfère aborder cette question sous l'angle de la complémentarité. Ainsi, je pense qu'être maire apporte beaucoup aux députés et sénateurs. Il ne suffit pas de l'avoir été car la société change, il faut pouvoir rencontrer les gens au quotidien. De même, être conseiller général et conseiller régional peut être utile, d'autant plus que les compétences respectives des deux collectivités ne sont pas toujours bien distinguées. Il faudrait se demander pour quels mandats leur exercice par une même personne représente un avantage. Cela pourrait modifier le regard de nos concitoyens sur ce que nous faisons.

D'autres voies d'amélioration existent. Mme Goulet a cité le Centre de formation des élus locaux. Comme ils ne connaissent pas toujours leurs droits, je ferai remettre un guide à chaque maire nouvellement élu en mars. Je souhaite également engager avec le garde des Sceaux une réflexion sur les risques pénaux des élus, dont il ne faut pas sous-estimer le rôle dans la décision de ne pas se représenter alors que certaines infractions considérées comme intentionnelles devraient recevoir une autre qualification. Je pense notamment au favoritisme et à la prise illégale d'intérêts, souvent involontaires. La judiciarisation croissante de la vie publique incite à multiplier les actions contre les maires en période pré-électorale. Le droit est ainsi instrumentalisé à des fins politiques. Nous devons mettre un terme à cette dérive.

Je pense aussi qu'il faudrait améliorer la représentation de certaines catégories socioprofessionnelles. Pour moi, la question n'est pas la présence de retraités ou de fonctionnaires parmi les élus locaux, mais l'insuffisance des employés et des ouvriers.

Il existe un autre problème : la question n'est pas tant d'écarter certains que de permettre à d'autres, qui ne sont pas élus, de le devenir. Pour cela, il convient de travailler sur la fin du mandat électif, même si la question se pose davantage pour les mandats nationaux que pour les mandats locaux. Que devient l'élu au terme de son mandat ?

Les indemnités ne règlent pas tout. Monsieur Collombat, les situations sont extrêmement diverses selon la taille des communes. À cet égard, une chose me choque, même si elle ne concerne pas directement notre débat : il n'est pas normal que l'indemnité d'un maire soit très inférieure au salaire de son directeur des services, alors que c'est lui qui assume la totalité de la responsabilité -y compris pénale. D'un autre côté, il est vrai qu'une augmentation des indemnités risquerait de créer une charge trop lourde pour certaines communes. J'ai entendu quelques propositions, toutes difficiles à mettre en oeuvre. La Conférence nationale des exécutifs a été créée pour que toutes ces questions y soient débattues, dans un climat de confiance et de bonne foi qui permette d'avancer.

Monsieur del Picchia, je connais les contraintes, les difficultés et les risques que rencontrent -notamment pour les assurances- les élus des Français de l'étranger, dont le rôle est important. Il s'agit d'un vrai sujet et je suis prêt à ce que nous travaillions ensemble à la manière d'améliorer concrètement la situation de ces élus.

La question de la lisibilité des responsabilités locales est également importante, ainsi que l'a souligné Jean Puech. Ma conviction est que nous devons évoluer vers une meilleure lisibilité entre les compétences des différents niveaux d'administration afin de savoir qui fait quoi. Monsieur Doligé, ce problème est crucial : trop de maires se demandent à qui s'adresser. Cela nécessite une pause dans les transferts de compétences, selon le souhait largement majoritaire qui s'est manifesté lors de l'assemblée générale de l'Association des maires de France. Mais cette pause ne doit pas être un temps mort : nous devons la mettre à profit pour parvenir à un consensus sur le diagnostic, sinon sur les solutions. En la matière, l'immobilisme est impossible : des redondances existent et il convient de revoir les attributions de compétences au regard de l'intérêt général.

Beaucoup de rapports ont été écrits sur ces sujets ; certains servent au moins de poil à gratter ! La commission Attali propose de rationnaliser la gestion en distribuant les compétences entre les régions et l'intercommunalité. Je le dis clairement, je ne partage pas cette analyse. (On s'en félicite sur de nombreux bancs)

M. Guy Fischer.  - Voilà un scoop !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Pas du tout, monsieur Fischer, j'ai déjà exprimé cette opinion.

Selon moi, l'intercommunalité et la région sont des réalités rationnelles. Certes, pour faire du travail efficace, notamment en matière d'infrastructures, il est utile de passer par la région. Mais on se sent d'abord de sa commune et de son département. Quand on connaît la réalité du terrain, quand on voit au-delà du périphérique, de l'Adour -ou même de la Nivelle- on sait à quel point cet attachement compte.

D'autres pistes ont été proposées pour rationaliser l'organisation de l'État, notamment par M. Lambert. Sur ce point aussi la Conférence nationale devrait permettre des avancées. D'ailleurs, madame Goulet, avancer sur ce point n'empêche pas de procéder au redécoupage...

Mme Nathalie Goulet.  - Ah !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - ... d'ailleurs souhaité par le Conseil constitutionnel pour les circonscriptions. Nous y procèderons en même temps pour les cantons, car que ferions-nous de cantons à cheval sur deux ou trois circonscriptions ? Nous commencerons à y travailler après les élections du printemps, en concertation avec tous les groupes politiques pour garantir une transparence totale. De plus, le recensement est près d'aboutir, qui donnera une vision non contestée de la démographie.

Il est aussi important de tenir compte, dans notre réflexion, du fait que les situations sont très diverses : nous traitons aussi bien des grandes villes que des communes rurales et plus largement du monde rural, monsieur Boyer. Le service public doit être une réalité outre-mer comme en Ile-de-France, comme dans les montagnes de l'Aveyron ! Mais la complexité tient également au travail administratif. Vous avez raison, monsieur Couderc : l'inflation normative que nous connaissons complexifie la gestion des collectivités locales tout en diminuant son efficacité. J'ai annoncé dès mon arrivée mon souhait que les collectivités puissent fonctionner de façon plus simple, plus efficace et moins coûteuse : une évolution réglementaire et législative doit intervenir. En outre, il faudrait permettre, dans le dialogue, d'adapter l'action publique aux réalités locales. En application du rapport remis par le préfet Laffont, des simplifications des procédures pourront aider les collectivités locales ; la Commission consultative sur l'évaluation des normes, dont vous avez voté le principe, associera les représentants des collectivités à l'élaboration de tous les projets de décrets les concernant. Si ça ce n'est pas du dialogue !

Je compte en outre répondre au sentiment d'isolement, voire de solitude éprouvé par les élus locaux. Souvent, les maires se sentent seuls devant les décisions à prendre, abandonnés par la puissance publique. À cet égard, les services de l'État ont un nouveau rôle à jouer. Quand elles ne disposent pas de services suffisamment étoffés pour obtenir une réponse juridique, les petites communes doivent pouvoir se tourner vers eux.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Ils disparaissent !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Le maillage territorial de l'Etat, à partir des sous-préfectures, doit être au plus près de ceux qui ont besoin de lui.

Monsieur Puech, mieux associer les élus locaux à la réforme de l'État est donc tout à fait dans mes intentions. C'est une attente de nos concitoyens ; notre responsabilité est d'y apporter une réponse dans un climat de confiance, au moins pour établir le diagnostic. La conférence des exécutifs en offrira le cadre.

Soyez sûrs que vous trouverez au ministère l'écoute que vous souhaitez.

L'intercommunalité est aussi susceptible d'aider les élus locaux, de leur apporter des réponses et d'aider à leur coordination. Je pense faire des propositions en ce sens et je souhaite que nous y travaillions ensemble.

Être élu local -je le sais parce que je le suis aussi et depuis longtemps-, c'est un honneur, même aux yeux de ceux qui veulent abandonner, mais c'est aussi une charge et une responsabilité. Contrairement à Patrice Gélard, je ne pense pas que son image soit dévalorisée ; ce sont des histoires de journalistes parisiens qui ne passent jamais le périphérique. Les gens font confiance à leur élu local, c'est lui qui représente la démocratie réelle et concrète. Il est donc du devoir de l'État d'alléger les contraintes qui pèsent inutilement sur lui. La modernisation de notre vie politique doit s'accompagner de la modernisation de notre travail commun : cessons donc de nous regarder en chiens de faïence !

A l'heure des nécessaires innovations, les élus locaux peuvent compter sur mon total soutien car notre volonté commune, c'est de servir nos concitoyens et de servir la France. (Applaudissements à droite et au centre)