Modernisation des institutions de la Ve République (Suite)

M. le président.  - Nous reprenons la discussion des articles du projet de loi constitutionnelle, modifié par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.

Discussion des articles (Suite)

M. le président.  - Je rappelle que nous allons examiner par priorité les articles additionnels après l'article 14 et les amendements à l'article 11 relatifs aux charges financières.

Articles additionnels après l'article 14

M. le président.  - Amendement n°146, présenté par M. Arthuis.

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 40 de la Constitution est abrogé.

M. Jean Arthuis.  - Cet amendement s'efforce de tirer les conséquences de la philosophie du projet de modernisation des institutions. Son objet est en effet de responsabiliser le Parlement, de lui donner les moyens d'assumer pleinement ses prérogatives. Or l'article 40 est souvent vécu par les auteurs d'amendements comme une contrainte parfois difficile à supporter. Depuis le 1er juillet 2007, nous l'appliquons dans la rigueur de sa rédaction.

M. Michel Charasse.  - Comme à l'Assemblée.

M. Jean Arthuis.  - Nous y avons été invités par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Avec une grande fermeté, il avait déclaré que si le Sénat n'assumait pas ses responsabilités, il se substituerait à lui pour y mettre bon ordre. Nous l'appliquons depuis avec rigueur et j'ai présenté il y a deux semaines à la Conférence des Présidents, un bilan de la pratique nouvelle, qui vous sera bientôt communiqué.

Nous avons rempli nos obligations et la commission des finances déclare irrecevables les amendements qui ont pour effet de diminuer les ressources publiques ou d'augmenter une charge publique. Sur un total de 4 000 amendements, 3 % ont été déclarés irrecevables. La commission des finances s'est efforcée d'être le conseil des auteurs d'amendements pour leur permettre d'échapper à l'irrecevabilité.

L'article 40 est présenté comme un garde-fou contre la tentation de laisser filer les dépenses publiques mais, du vote bloqué ou de l'article 49-3 à la seconde délibération, le Gouvernement dispose d'une large palette de procédures pour prévenir les dérives. J'observe d'ailleurs que l'article 40 n'a pas empêché les dépenses d'augmenter et la dette publique d'atteindre 1 200 milliards. Certaines dispositions restent virtuelles : il suffit de gager une dépense par une augmentation des droits sur le tabac. Des gages...

M. Michel Charasse.  - Bidons !

M. Jean Arthuis.  - En effet, des gages virtuels : c'est une véritable fiction.

Les parlementaires sont des sages de la rigueur budgétaire, nous en faisons la démonstration depuis le 1er juillet 2007. Or la réforme constitutionnelle va apporter deux novations importantes. D'abord, le texte sur lequel nous débattrons ne sera plus celui qui aura été adopté en conseil des ministres ou à l'Assemblée nationale mais, comme pour les propositions de loi, celui de la commission saisie au fond. Il sera difficile d'appliquer l'article 40 dans ces conditions.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean Arthuis.  - Nous ne l'appliquons pas sur les propositions de loi. Or, comme l'ordre du jour sera plus largement à notre disposition, nous pourrons en examiner davantage.

Dans ces conditions, l'application de l'article 40 sera particulièrement malaisée.

M. le président.  - Veuillez conclure !

M. Jean Arthuis.  - Voilà donc ce qui motive mon amendement.

M. le président.  - Amendement identique n°200, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - L'article 40 est une des armes laissées à la libre disposition du Gouvernement et de la majorité parlementaire...

M. Michel Charasse.  - Et de tout sénateur !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - ... pour mettre en question le droit d'amendement. Comme l'a rappelé le président de la commission des finances, qui en a pourtant usé et abusé depuis juillet 2007, il est devenu un outil de procédure sans doute exorbitant. A l'entendre, moins de 4 % des amendements ont été déclarés irrecevables au titre de cet article. Les statistiques sont un peu différentes.

Sur la loi relative au pouvoir d'achat, 141 amendements ont été déposés, et douze, tous issus de la minorité, ont été déclarés irrecevables avant même leur diffusion ; 474 ont été déposés sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, et 74 déclarés irrecevables, soit quatre du rapporteur du texte, seize de parlementaires de la majorité et 54 de parlementaires de la minorité ; 591 amendements ont été déposés sur le projet de loi de finances pour 2008, dix ont été déclarés irrecevables en première partie et dix en seconde. On le voit, l'irrecevabilité financière varie au gré des circonstances. La palme revient au texte sur les retraites de 2003, lors de l'examen duquel toutes les armes de la procédure ont été utilisées. Plus de 20 % des 1 153 amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 et 247 rejetés par application de règles diverses à l'initiative du Gouvernement et de la commission des affaires sociales. Au total, un débat tronqué et plus de 40 % des amendements passés à la trappe. Je n'aurai garde d'oublier les motions d'ordre qui ont conduit à rejeter en fin de discussion une grande partie des articles additionnels. Il n'est pas anodin de noter que seule la partie relative aux fonds de pension et à l'épargne retraite a été épargnée...

La suppression de l'article 40 serait une grande avancée pour le Parlement et éviterait toutes ces dérives.

M. le président.  - Amendement identique n°467, présenté par M. Frimat et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Mme Nicole Bricq.  - L'objet de cette réforme constitutionnelle est, nous dit-on, de revaloriser le Parlement ; le moment est venu de le vérifier.

La suppression de l'article 40 lèverait une hypocrisie qui dure depuis cinquante ans. Loin d'être un garde-fou, comme l'a dit M. Karoutchi à l'Assemblée nationale, cet article peine à masquer l'inflation des dépenses ; c'est particulièrement vrai ces cinq dernières années avec l'explosion de la dépense fiscale -dont nous parlerons tout à l'heure à l'occasion d'un amendement Lambert-Marini. La suppression de l'article 40 accroîtrait la responsabilité déjà offerte aux parlementaires par la possibilité qu'ils ont de déplacer d'un programme à l'autre les crédits d'une même mission.

M. Arthuis a fait dans un rapport le bilan de l'application de l'article 40 depuis le 1er juillet 2007. Si on ne peut pas dire que celle-ci a contraint le droit d'amendement, elle est mal vécue par les auteurs des amendements concernés. Ne vaudrait-il pas mieux faire confiance aux parlementaires ? Cela nous éviterait bien des faux débats, alors qu'il en existe suffisamment de vrais entre majorité et opposition. Le moment est venu de supprimer l'article 40.

M. le président.  - Amendement n°46 rectifié, présenté par M. Cointat, Mme Kammermann et M. Duvernois.

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans l'article 40 de la Constitution, les mots : « d'une charge publique » sont remplacés par les mots : « des charges publiques ».

M. Christian Cointat.  - Dans le contexte d'un accroissement des pouvoirs du Parlement, l'existence de l'article 40 pose à l'évidence un problème. Je ne suis pas favorable à sa suppression, j'en accepte l'esprit qui évite bien des dérapages. Mais l'interprétation qui est faite de sa lettre est contestable ; son application est de plus en plus drastique, au point qu'on peut se demander si nous pourrons un jour déposer un seul amendement concernant nos concitoyens -il ya presque toujours une dépense à la clé. L'article 40 devient dangereux ; et je ne parle pas de la dérive inquiétante du Conseil constitutionnel quant au rôle du Parlement.

J'ai été frappé par la brillante démonstration du président Arthuis sur la nécessité pour le Sénat de se montrer très strict dans l'application de l'article 40. Si je l'ai bien compris, « un singulier n'est pas un pluriel ; c'est pourquoi ce pluriel est singulier. » Mon amendement apporte la souplesse nécessaire.

M. le président.  - Amendement n°47 rectifié, présenté par M. Cointat et Mme Kammermann.

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans l'article 40 de la Constitution, après le mot : « aggravation » est inséré le mot : « directes ».

M. Christian Cointat.  - L'aggravation des charges publiques doit être directe et non indirecte.

M. le président.  - Amendement n°48 rectifié, présenté par M. Cointat et Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann.

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 40 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi de cette irrecevabilité ou s'en saisir d'office que si cette question a été soulevée devant la première assemblée ayant adopté le texte en cause. »

M. Christian Cointat.  - Lorsqu'aucune irrecevabilité n'a été soulevée dans une assemblée, elle ne peut être invoquée dans l'autre.

Accroître les pouvoirs du Parlement, c'est reconnaître ses responsabilités. En France -ce n'est pas le cas dans d'autres pays- le budget n'est pas exécutoire, il est une simple autorisation de dépenses. Dès lors que le Gouvernement peut ne pas dépenser les crédits, une souplesse similaire doit valoir pour les parlementaires.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Lorsqu'on sait quelles fonctions le président Arthuis a exercé il n'y a pas si longtemps et celles qu'il exerce aujourd'hui...

M. Jean Arthuis.  - Je respecte la Constitution !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - ... on ne peut s'empêcher de penser qu'il a le goût du paradoxe... Faisons un peu d'histoire. L'article 40 est né...

M. Michel Charasse.  - En juin 1956 !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - ... d'un décret du 19 juin 1956. Chacun sait qui était alors Président du Conseil...

M. Gérard Longuet.  - Guy Mollet !

Mme Nicole Bricq.  - Nous savons tout cela !

M. Jean-Jacques Hyest.  - Selon la révision de 1958, était frappé d'irrecevabilité tout amendement ayant pour conséquence une diminution des recettes ou l'augmentation d'une charge publique -au singulier.

Tout parlementaire est un jour confronté à cet article. Depuis la décision du Conseil constitutionnel du 14 décembre 2006, la procédure de contrôle du Sénat s'est alignée sur celle de l'Assemblée nationale : des amendements qui étaient jusqu'alors discutés en séance ne le sont plus. Plutôt que de supprimer l'article 40, mieux vaut l'appliquer de façon à préserver le droit d'amendement des parlementaires. Je sais que le président Arthuis y veille.

Seuls 3,8 % des amendements au Sénat et 8 % à l'Assemblée nationale sont déclarés irrecevables. La suppression de cet outil de régulation risquerait d'entraîner une multiplication préjudiciable des amendements de portée financière. La commission des lois y est donc défavorable, d'autant que la Lolf permet désormais de transférer des crédits entre programmes d'une même mission.

L'amendement n°46 rectifié, qui reprend une proposition du comité Balladur, entraînerait une extension du droit d'amendement en matière financière dont l'effet ne peut être mesuré : avis défavorable.

M. Philippe Marini.  - Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - L'amendement n°47 rectifié, qui rend recevables les amendements ayant pour effet indirect l'aggravation d'une charge publique, résoudrait-il les difficultés rencontrées sur certains sujets, comme l'application à l'outre-mer de dispositions pénales ? Quel est l'avis du Gouvernement ?

L'amendement n°48 rectifié revient à la règle du préalable parlementaire, qu'appliquait le Sénat avant juillet 2007. Un tel système se heurterait peut-être à l'hostilité de l'Assemblée nationale, qui pourrait toutefois maintenir son système propre. Sagesse.

M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.  - Le Gouvernement n'est pas favorable aux amendements de suppression. La situation de nos finances publiques exige une maîtrise sans faille des dépenses publiques. Nous voulons un État plus rigoureux : il serait paradoxal de relâcher cette discipline lors du débat budgétaire ! Nous voulons mieux contrôler les dépenses fiscales. Supprimer l'article 40, c'est ouvrir la porte au moment où l'on ferme les fenêtres !

La multiplication d'amendements de portée financière nuirait à la qualité des débats. Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision de 1975, l'article 40 vise à éviter que des dispositions particulières ayant une incidence financière directe puissent être votées sans qu'il soit tenu compte des conséquences sur les finances publiques. Il permet également d'éviter l'encombrement de la discussion. Le faible nombre d'amendements déclarés irrecevables montre par ailleurs que cet article induit une nécessaire autodiscipline. Je demande donc le retrait des trois amendements de suppression ; à défaut, rejet.

L'amendement n°46 rectifié revient à permettre de gager une augmentation de charge. La Lolf a introduit une souplesse bienvenue dans le débat budgétaire : aller au-delà risquerait d'aggraver la charge publique. Avis défavorable, comme à l'amendement n°47 rectifié : les commissions des finances des deux chambres interprètent avec sagesse l'article 40 en acceptant des amendements qui contribuent parfois à la création de charges indirectes...

Enfin, l'amendement n°48 rectifié, qui restaure la règle du préalable parlementaire, revient à interdire au Conseil constitutionnel de se prononcer sur un amendement anticonstitutionnel. Avis défavorable.

M. Philippe Marini.  - Je demande la parole contre les amendements de suppression.

M. Bernard Frimat.  - Ce n'est pas une motion !

M. Philippe Marini.  - Le président Arthuis a raison de rappeler que la Constitution n'est pas tout. Il est des constitutions parfaites qui ne garantissent ni la gouvernance optimale, ni le bonheur des peuples. La constitution la plus parfaite, que l'on commentait au temps où j'étais étudiant, était celle de l'Union soviétique. (Mme Nicole Bricq s'exclame) Rédigée par d'admirables juristes, elle prévoyait tout, mais était très loin de la réalité de la société !

L'essentiel en matière de prévision et de gestion des finances publiques, c'est la volonté partagée d'un gouvernement et d'une majorité parlementaire.

M. Gérard Delfau.  - D'un gouvernement, oui !

M. Philippe Marini.  - L'article 40 peut être vécu comme une discipline artificielle, comme un rideau de bambou que l'on déploie selon sa convenance ; M. Arthuis a le mérite de le rappeler.

Cependant, même si l'article 40 n'a pas garanti la vertu budgétaire, il n'en reste pas moins positif, d'un point de vue pédagogique, de demander aux parlementaires d'être vertueux, de faire travailler leur imagination dans tous les domaines, sauf pour détériorer le solde des finances publiques ! C'était vrai en 1958, c'est toujours une évidence. Nous sommes aujourd'hui en mesure d'appliquer l'article 40 de façon plus transparente qu'autrefois. Notre commission des finances a élaboré un document définissant les règles du jeu et les conditions d'interprétation de cette discipline.

Vu les défis auxquels nous sommes confrontés et la difficulté que nous aurons à respecter les critères de convergence vers 2012, de grâce, conservons les procédures qui, dans le droit fil de la volonté des fondateurs de la Ve République, incitent le législateur à faire preuve du sens de la responsabilité ! Les marges d'amélioration budgétaires sont considérables dans tous les domaines, si bien qu'il faut bien peu d'imagination pour demander des dépenses supplémentaires. Quant à la vertu du Gouvernement lui-même, l'article 40 ne la garantit pas, mais les débats sur les projets de loi dépensiers qui nous seront présentés nous permettront, monsieur le ministre, de dialoguer avec vous pour trouver les bonnes règles obligeant le Gouvernement à s'appliquer à lui-même l'autodiscipline demandée au Parlement. (M. Roger Romani applaudit)

M. le président.  - Je rappelle qu'en vertu de l'article 49, alinéa 6 de notre Règlement, sur chaque amendement, sous réserve des explications de vote, ne peuvent être entendus que le signataire, le Gouvernement, le rapporteur et un sénateur d'opinion contraire. Nous allons entendre maintenant les explications de vote.

M. Bernard Frimat.  - Je n'ai pas d'affection particulière pour les professeurs de vertu et je suis frappé par l'inanité des arguments en faveur du maintien de cet article 40. Premier argument vain : on peut le garder puisqu'il n'est pas beaucoup utilisé. Deuxième argument : il serait efficace pour maîtriser les dépenses. Cet article 40, brandi comme un bouclier par les professeurs de vertu, nous a tellement protégés contre tout déficit que l'Europe entière nous l'envie ! J'ai lu dans la presse une tribune de deux personnes de qualité indiscutable, les présidents des commissions des finances de l'Assemblée et du Sénat, qui éprouvaient le besoin d'écrire ensemble pour demander qu'on permette aux parlementaires d'être responsables et qu'on arrête de les traiter comme des enfants sur les doigts desquels vient s'abattre la règle de bois de l'article 40. Pourquoi ne pas supprimer un article inefficace, inutile et qui ne sert qu'à se donner les apparences de la vertu ? Entre la contrainte et la responsabilité, je préfère la responsabilité, pour les parlementaires comme pour le Gouvernement.

M. Michel Charasse.  - L'article 40 paraît anachronique et même insupportable à certains car nous avons tous en mémoire la première assemblée de 1789 pour laquelle le vote de l'impôt, des ressources et des dépenses était vécu comme une formidable liberté conquise par le peuple et ses représentants. Cette discipline de l'article 40, introduite par décret par Guy Mollet en 1956 a été reprise dans la Constitution de 1958 mais sa rigueur était tellement absolue qu'il a fallu lui apporter quelques assouplissements sans lesquels, par exemple, il aurait été impossible de diminuer les amendes pénales. Il a rendu obligatoire la pratique du gage. En recettes, il s'agit souvent de faux gages et, en dépense, les gages inventés ont été des plus fantaisistes.

M. Arthuis nous dit que le Gouvernement dispose des moyens d'écarter les amendements dépensiers. Quels moyens, en dehors du vote bloqué et de l'examen des amendements avant la séance ? Lâcher sur cet article 40 ce serait donner un mauvais signal au moment où la France doit déployer de colossaux efforts pour entrer dans les clous des critères de Maastrich. D'autant que, pour la première fois de leur histoire, les Français devront payer leurs dettes au lieu de compter sur l'inflation ou sur l'épargne des grands-mères. J'ajoute que l'habitude récemment prise par les parlementaires -surtout de l'autre assemblée, il est vrai- de suivre systématiquement les cortèges de rue, ne me rend pas optimiste.

A mon grand regret, je ne voterai pas cette mesure apparemment séduisante de suppression de l'article 40 : il n'a pas empêché d'accumuler les déficits, c'est vrai, mais c'est un article de discipline. Le vrai problème, c'est le monopole exclusif du pouvoir exécutif dans l'initiative des dépenses, mais c'est un autre débat.

M. Richard Yung.  - Moi aussi j'ai subi le couperet de l'article 40. Cela m'a fait penser à la Sublime Porte qui vous couvrait de bonnes paroles et de décorations avant de vous étrangler avec un lacet. Le lacet, c'est le courriel qui vous annonce la décision de la commission des finances. L'autre aspect, c'est la courtoisie du président Arthuis qui vous explique longuement les méandres du raisonnement qui a conduit à cette décision.

J'ai toujours pensé que les critères d'application de cet article 40 étaient à géométrie variable. On a dit aussi qu'il était peu efficace. Son contournement par les gages affaiblit le dispositif, d'autant que les gages, le tabac par exemple, ne sont pas très sérieux.

Si les parlementaires ne peuvent rien proposer qui ait des conséquences financières, ils sont privés de toute possibilité d'élaborer des politiques alternatives...

M. Philippe Marini.  - Proposez des recettes !

M. Richard Yung.  - Comment sauter en hauteur avec une jambe attachée ? L'article 40 nous interdit ce qui fait pourtant le coeur de notre travail. Ne demeurent que nos fonctions de gestionnaires et de contrôleurs. Il faut rendre au Parlement ses responsabilités pleines et entières.

Mme Nicole Bricq.  - Nous préférons tous, au terme de « vertueux », celui de « responsable ». Les parlementaires ne le sont pas moins que les ministres ! Et s'il n'y a pas de prime à donner à tel gouvernement plutôt qu'à tel autre, (M. Michel Charasse renchérit) tout récemment, vous avez procédé à des baisses d'impôts ciblées et avez comprimé la dépense publique, créant finalement de nouvelles niches fiscales. Fin mai encore, le Président de la République a promis un crédit d'impôt aux entreprises qui développent l'intéressement ; or, le lendemain même, son Premier ministre présidait la conférence nationale des finances publiques, qui a pour but de promouvoir la vertu budgétaire.

Alors de grâce, n'accusez pas les parlementaires de manquer de sens des responsabilités ! M. Arthuis vient de montrer que c'est tout le contraire.

M. Karoutchi et Mme Dati clament à l'envi qu'ils veulent revaloriser le Parlement. C'est ce soir et sur cette question qu'il faut le faire, ou bien on ne le fera jamais. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit)

M. Jean-François Voguet.  - Personne n'est dupe : l'article 40 n'a aucune efficacité, sinon pour brider l'initiative parlementaire. Sur les 900 amendements au projet de loi sur l'égalité des chances, 160 ont été déclarés irrecevables -dont 151 issus de l'opposition. La réforme de l'école a suscité 663 amendements, 21 ont été déclarés irrecevables. L'article 40 est utilisé pour couper court à la controverse parlementaire. On peut pourtant s'en passer : dans l'examen du texte sur le développement des territoires ruraux, seuls 4 amendements sur 967 ont été écartés au moyen de l'article 40 -et aucun des 450, en seconde lecture, n'a subi ce sort.

L'article 40, c'est le bâton, l'arme pour bâillonner l'opposition tandis que les autres groupes s'expriment sans contrainte. Détourné de son sens, il est utilisé de façon tactique et circonstancielle.

M. Christian Cointat.  - Je ne suis guère étonné de la réponse du ministre. Dès que l'on touche aux questions financières, les financiers font bloc. C'est dommage, car la souplesse en souffrira.

Moins l'article 40 servira, plus il sera un bon garde-fou : je suis attaché à un article 40 employé avec discernement. M. Arthuis a fait une proposition reprise par le comité Balladur : tous deux furent ministres des finances, mais ils ne le sont plus et voient à présent les choses autrement... Quant aux propos de M. Marini, ils sont intéressants mais ils montrent aussi que certains sont maîtres de la connaissance financière, au contraire des autres.

M. Philippe Marini.  - Les maîtres de l'international sont beaucoup plus puissants !

M. Christian Cointat.  - Je retire l'amendement n°46 rectifié puisque l'on me dit qu'il est facteur de dépense -de compensation, en réalité. Le n°47 rectifié est une aggravation indirecte de la dépense, soit, je le retire. Je maintiens en revanche le n°48 rectifié qui ne touche pas au domaine financier. Pendant quarante-huit ans, jusqu'au 14 décembre 2006, on a appliqué une jurisprudence relative à l'article 40 qui n'a mis personne en péril. Mais voilà que le Conseil constitutionnel change de cap ! Faut-il s'incliner ? Je ne le crois pas. Votons cet amendement de bon sens, raisonnable. Du reste, la commission s'en remet à la sagesse...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Effectivement, le Conseil constitutionnel a mis le feu aux poudres -au Sénat, puisque l'Assemblée nationale avait déjà changé les modalités de mise en oeuvre. La révision tend, dites-vous, à donner plus de responsabilités aux parlementaires : c'est l'occasion ou jamais de leur donner plus de latitude en matière de dépenses et de recettes publiques ! Le refus opposé aux amendements montre bien que la réforme n'a pas ce but.

M. Arthuis a expliqué de quelle large palette le Gouvernement dispose pour s'opposer à une initiative inopportune -je mentionnerai également la Lolf ! Il a montré que l'article 40 n'a pas empêché une hausse des déficits publics.

Nous n'avons pas de leçons à recevoir à cet égard de ceux dont la seule préoccupation, sitôt aux affaires, a été de baisser les impôts des plus riches, puis de baisser la dépense publique, celle qui est utile à la population. Pas de leçons à recevoir de ceux qui bradent le patrimoine immobilier de l'État, telle l'Imprimerie nationale vendue pour quatre sous à des fonds de pension américain et rachetée ensuite au prix fort !

Le Gouvernement est mal placé pour donner des leçons de gestion au Parlement ! Faites confiance aux élus, y compris à la majorité, et faites ce que vous prétendez faire : renforcez les pouvoirs du Parlement !

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Dans ce débat que j'entends depuis déjà trente ans, deux idées erronées reviennent sans cesse. D'abord, celle que la réforme passerait nécessairement par moins de recettes ou plus de dépenses ; on peut aussi gagner en productivité, réaménager les moyens, modifier les procédures ! Ensuite, l'idée que l'article 40 serait inutile, parce qu'on ne s'en sert pas ; mais si l'on ne s'en sert pas, c'est parce qu'il existe ! Qu'il disparaisse et nous subirons une marée d'amendements destinés à réduire les recettes ou à aggraver les dépenses ! (Approbations à droite, protestations à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Le Parlement votera, c'est son rôle !

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Certes, mais ne revenons pas aux travers du passé !

Enfin, à l'heure où nos partenaires européens critiquent notre déficit budgétaire, il ne serait pas du meilleur effet de leur annoncer que, pour réduire le déficit, nous supprimons l'un des outils de la discipline budgétaire ! Je voterai contre la suppression de l'article 40.

M. Michel Mercier.  - Plutôt que d'en rester à la technique financière, dont je ne suis pas un spécialiste (rires à droite), je crois qu'il faut replacer cet amendement dans le cadre de la réforme constitutionnelle.

L'article 40, rêvé par André Tardieu et mis en place par Guy Mollet, est un des éléments les plus raffinés du parlementarisme rationalisé, parfaitement légitime à une époque où régnaient l'indiscipline budgétaire et le laxisme. On l'a oublié, mais les parlementaires avaient toute liberté d'agir sur les recettes et les dépenses, il n'y avait aucun délai pour l'examen du budget, on arrêtait la pendule.

M. Michel Charasse.  - Les douzièmes provisoires !

M. Michel Mercier.  - Il fallait des règles : l'interdiction de diminuer les recettes ou d'augmenter les dépenses était un progrès en 1956, que le constituant a consacré en 1958.

Cet article est-il encore pertinent ? Du point de vue financier, certains nous expliquent que l'article 40 est indispensable, puisqu'on ne s'en sert pas : c'est un peu facile. On nous dit que les Européens verraient d'un mauvais oeil qu'on supprime un article qui n'empêche en rien notre déficit de se creuser. Ce sera difficile à leur faire avaler !

Du point de vue constitutionnel, maintenant, toute cette réforme tend à « sortir du parlementarisme rationalisé », c'est ce qu'écrit le rapport Balladur dans ses toutes premières pages. Le processus législatif va changer, on ne débattra plus que du texte adopté en commission, sauf pour les lois de finances et de financement, où c'est le texte du Gouvernement qui continuera à être encadré : la discipline essentielle est maintenue ! Qui plus est, le Gouvernement disposera toujours de l'article 44, de l'article 49, il continuera de maîtriser les dépenses et les recettes.

L'article 40 est donc inutile, il n'est plus que le symbole d'un temps révolu. Si le Gouvernement veut sortir du parlementarisme rationalisé, il faut qu'il aille jusqu'au bout, en supprimant l'article 40 !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Ce serait le retour du parlementarisme irrationnel !

M. Michel Mercier.  - Je vous connais suffisamment pour savoir que vous pensez comme moi !

M. Jean Arthuis.  - Mon amendement exprime une conviction, je me réjouis qu'il ait provoqué ce débat. Il faut cesser de regarder le Parlement comme une source d'augmentation systématique des dépenses publiques. Je parie plutôt sur la responsabilité des parlementaires. Ce qui nous a égarés longtemps, c'est le manque de sincérité des comptes publics, ce sont toutes ces astuces de présentation, qui ont fait la réputation du budget ! Il faut des comptes sincères, qui ne cachent rien de la situation réelle des finances publiques : la Lolf est l'outil de cette sincérité, de cette responsabilité, je me réjouis qu'elle soit venue du Parlement !

Monsieur Cointat, si le Conseil constitutionnel a pris une telle décision sur la loi de financement pour 2007, c'est parce qu'une étrange pratique s'était développée : des ministres qui n'avaient pas obtenu d'arbitrage favorable trouvaient la complicité de parlementaires pour déposer des amendements auxquels ils n'opposaient pas d'irrecevabilité ; une fois votés, ces amendements augmentaient la dépense publique. Mais ce n'est plus possible depuis le 1er juillet 2007, et je m'efforce d'appliquer l'esprit et la lettre de l'article 40 à la recevabilité des amendements !

L'équilibre des finances publiques n'est pas l'affaire de l'article 40, mais une affaire de responsabilité politique ! (Approbation au centre et sur divers autres bancs)

M. Eric Woerth, ministre.  - Ce débat est intéressant, plusieurs voix très autorisées se sont prononcées dans un sens contraire. Pour le Gouvernement, l'article 40 est sage, utile à la qualité du débat, à l'équilibre des finances publiques, au respect de nos engagements internationaux. Sur un sujet d'une telle importance, je souhaite un scrutin public.

A la demande du Gouvernement, les amendements identiques n°s146, 200 et 467 sont mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 326
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 155
Contre 171

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Michel Charasse.  - L'amendement de M. Cointat n'est pas si hérétique qu'on pourrait le penser, puisqu'il reprend une jurisprudence ancienne du Conseil constitutionnel. Jusque dans les années 1985-1990, le Conseil constitutionnel considérait que quand l'article 40 n'avait pas été soulevé en séance, il ne pouvait plus être invoqué. Il n'a changé de jurisprudence qu'il y a quelques années. Au Gouvernement et à l'Assemblée de faire respecter la discipline. Je voterai cet amendement.

M. Christian Cointat.  - J'ai été invité au retrait. Je ne veux pas, en contraignant à aller au scrutin public, créer un problème quand il n'y en a pas. Nous nous sommes tous élevés contre la décision du Conseil constitutionnel, parce qu'en 48 ans, aucun problème ne s'était posé. Mais puisqu'il semble que mon amendement crée des problèmes collatéraux, je le retire. (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP)

M. Gérard Delfau.  - Je le reprends.

M. le président.  - Ce sera donc l'amendement n°48 rectifié bis.

M. Eric Woerth, ministre.  - Je remercie M. Cointat de la qualité de sa contribution. Il est vrai que cet amendement est très délicat. Il reviendrait à considérer que le Conseil constitutionnel ne peut pas porter un avis sur la constitutionnalité d'un texte au regard de l'article 40. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame) Je demande un scrutin public.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Je rappelle à M. le ministre que nous sommes en train de réviser la Constitution : nous sommes le constituant ! Nous pouvons donc aller contre l'avis du Conseil constitutionnel.

M. Gérard Delfau.  - Ce débat n'est pas ordinaire. Il a été voulu au plus haut sommet de l'État comme un acte fondateur du quinquennat. Nous sommes un certain nombre à avoir pris cette proposition au mot et à souhaiter que l'issue de cette discussion soit une réappropriation par le Parlement de son rôle souverain, dans une Ve République qui a tout fait pour l'abaisser. Ce serait une bonne chose pour lui, pour les pouvoirs publics, pour la démocratie. Si nous y parvenions, ce serait un signe de vitalité : le parlementarisme retrouverait ses marques.

Les parlementaires respectent infiniment le rôle du Conseil constitutionnel. Mais nous sommes un certain nombre, j'espère une majorité, pour penser que le juge constitutionnel tend à prendre le pas sur les représentants du peuple. L'amendement de M. Cointat est, finalement, symbolique, et il est justifié puisqu'il reprend, comme l'a rappelé M. Charasse, une jurisprudence ancienne. Il offre à l'ensemble du Sénat l'occasion de mettre en pratique la philosophie de ce texte : rééquilibrer les pouvoirs du Parlement et, en lui redonnant confiance, rendre confiance à nos concitoyens.

A la demande du Gouvernement, l'amendement n°48 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 324
Nombre de suffrages exprimés 323
Majorité absolue des suffrages exprimés 162
Pour l'adoption 134
Contre 189

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°310 rectifié, présenté par MM. Lambert et Marini.

Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 40 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Les dispositions fiscales dérogatoires qui ont pour conséquence une diminution des ressources publiques ou l'aggravation d'une charge publique sont abrogées dans un délai de trois ans à compter de leur entrée en application, à défaut de la présentation par le gouvernement au Parlement d'une évaluation de leur coût et de leur efficacité. »

M. Philippe Marini.  - Puisque l'article 40 est maintenu, il faut le compléter.

M. Gérard Delfau.  - Vous allez le durcir un peu. (Sourires)

M. Philippe Marini.  - Il convient en effet d'obliger le Gouvernement à présenter au Parlement une étude d'impact sur toutes les dispositions fiscales dérogatoires, faute de quoi ces dispositions seraient caduques à l'issue d'un délai de trois ans. Nous souhaitons moderniser notre législation fiscale pour éviter la multiplication des incitations, imputations et dégrèvements de toute nature à laquelle nous assistons depuis quelques années. Pour encadrer, pour réduire, pour supprimer un grand nombre de niches fiscales, la meilleure solution serait d'évaluer leur efficacité et de veiller à ce qu'elles ne s'appliquent qu'un temps donné. C'est pourquoi nous souhaitons qu'elles soient automatiquement abrogées, sauf si le Gouvernement apporte la preuve que leur maintien est justifié.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Vous avez bien raison de souligner que la prolifération des niches fiscales pose un problème aux finances publiques. Pour autant, il n'est pas conforme à notre tradition juridique d'abroger automatiquement des mesures à l'issue d'un délai déterminé. Votre commission sollicite donc l'avis du Gouvernement.

M. Eric Woerth, ministre.  - Nous avons souvent eu ce débat ici et nous sommes favorables à l'encadrement des niches fiscales et hostiles à leur prolifération. Il s'agit là d'un sujet d'actualité dont la presse se fait l'écho. Le Gouvernement est donc favorable à votre amendement sous réserve de quelques rectifications. La durée de trois ans est trop brève pour évaluer l'efficacité d'une mesure : cinq ans seraient préférables. En outre, plutôt que de définir les modalités d'application de cette mesure dans le texte constitutionnel, il serait préférable de prévoir qu'une loi organique en fixera les modalités d'application.

Je vous propose donc la rédaction suivante :

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 40 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Les dispositions fiscales dérogatoires qui ont pour conséquence une diminution des ressources publiques cessent de s'appliquer le 31 décembre de la cinquième année suivant leur entrée en vigueur, dans les conditions et sous les réserves fixées par une loi organique. »

M. Philippe Marini.  - J'accepte cette rectification.

M. le président.  - Il s'agit donc de l'amendement n°310 rectifié bis.

M. Alain Vasselle.  - Nos collègues Lambert et Marini auraient été bien inspirés d'associer aux mesures fiscales celles qui sont prises au plan social car les problèmes sont les mêmes. Les gouvernements successifs ont eu la plus grande difficulté à honorer les compensations d'exonérations de cotisations sociales qu'ils décidaient et si des études d'impact avaient été présentées, le Parlement aurait été mieux éclairé sur les incidences de ces allègements sur le budget de la sécurité sociale. Puisque le Gouvernement est favorable à l'amendement de M. Marini, pourquoi ne pas profiter de la navette parlementaire pour introduire dans cette rédaction les dispositions sociales ? La commission des finances ne peut pas se désintéresser des mesures sociales qui auront des incidences sur la loi de financement de la sécurité sociale.

D'ailleurs, nous examinerons tout à l'heure un amendement n°301 rectifié déposé par les commissions des finances et des affaires sociales sur les exonérations qui sont décidées au fil de l'eau dans les différents textes : les études d'impact valent autant pour les dépenses sociales que pour les dépenses fiscales.

M. Philippe Marini.  - Tout à fait !

M. Michel Charasse.  - Je comprends la démarche de MM. Lambert et Marini mais je ne suis pas convaincu que la disposition qu'ils proposent ait sa place dans la Constitution.

En outre, que faut-il entendre par mesures dérogatoires ? Qui va les énumérer ? Est-ce le Conseil constitutionnel qui va interpréter cet article ou bien la loi organique va-t-elle dresser une liste exhaustive ? Si toutes les mesures dérogatoires sont concernées, est-ce à dire par exemple que le quotient familial risque de disparaître ?

M. Gérard Longuet.  - Eh oui, c'est dérogatoire !

M. Michel Charasse.  - Je ne crois pas que cet amendement ait toute sa place dans un texte aussi noble que la Constitution. A mon grand regret, je ne le voterai donc pas mais je le ferais avec plaisir s'il nous était soumis dans quinze jours dans la loi de règlement.

M. Philippe Marini.  - J'ai le regret de vous dire, mon cher collègue, que vos propos sont contradictoires. Nous sommes dans la Constitution et c'est pourquoi nous en restons aux formulations de principe. Une disposition dérogatoire contrevient à la législation de droit commun et nous renvoyons à la loi organique le soin de définir exactement quelles sont les mesures dérogatoires : nous aurons ce débat à ce moment-là. Ainsi, il me paraît évident que lorsqu'un matériel déterminé pour une profession précise bénéficie d'un amortissement qui n'est pas de droit commun, il s'agit là d'une dérogation. Quand une profession bénéficie pour le calcul de son impôt sur le revenu d'un coefficient de réfaction, il s'agit, là encore, d'une dérogation. A l'inverse, le crédit d'impôt recherche n'est en rien dérogatoire car il s'applique à tous les sujets fiscaux de manière horizontale. De même, les modalités de calcul du quotient familial ne s'apparentent pas à un régime dérogatoire. Mais la Constitution n'a pas à entrer dans ces détails qui sont du ressort de la loi organique. En revanche, inscrivons dans notre texte fondamental le principe de l'égalité de tous devant l'impôt, principe cher au Conseil constitutionnel. Ainsi, toute dérogation devra être mesurée au trébuchet de l'équité et de l'efficacité.

Mme Nicole Bricq.  - Je suis très étonnée de la rapidité avec laquelle cette question est traitée. Nous avons débattu pendant deux heures de l'article 40 et le Gouvernement a dû résister à de fortes pressions d'une bonne partie du Sénat quand, soudainement, en dix minutes, l'amendement de M. Marini est présenté, modifié par le Gouvernement, et en passe d'être adopté. L'amendement rectifié vient de nous être distribué et je constate d'ailleurs que son objet ne correspond plus au texte même de l'amendement.

Sur le fond, je suppose qu'il y a eu des discussions entre le Gouvernement et les auteurs pour parvenir à cette rédaction, mais la question des niches fiscales, que M. Marini évoque régulièrement à l'occasion des lois de finances, vient d'être examinée par nos collègues députés qui ont rendu un rapport sur le sujet. Ils ont fait des propositions pour les plafonner, et je ne parle pas seulement des trois mesures prévues dans le rapport de Mme Lagarde. Le débat vient donc d'être ouvert. Or, en votant cet amendement, nous le refermerions.

Il veut fixer une norme de dépense fiscale. Et en dix minutes, on interromprait un débat qui ne fait que commencer ? Quel piège ! Nous ne sommes pas d'accord : ce serait trop facile.

M. Christian Cointat.  - La question est loin d'être anodine. Sur la forme, ce n'est pas le lieu pour une telle disposition. Elle a des conséquences que nous ne mesurons pas. Il serait dangereux de l'adopter ainsi et tout Gouvernement pourrait se retrouver dans une situation très difficile. Il y a des dérogations pour plusieurs professions, des accords professionnels. Attention, ne mettons pas le doigt dans l'engrenage d'une opération que nous ne maîtriserions plus. Mettons cela dans la loi, et pas dans la Constitution.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Je suis de plus en plus inquiet. Je suis tout à fait d'accord avec la proposition du Gouvernement, mais si la Constitution devient que sais-je ?...

M. Michel Charasse.  - Un arrêté municipal ! (Rires)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Il faut respecter la hiérarchie des normes : on peut inscrire cette disposition dans la loi organique sur les lois de finances. La Constitution va devenir un tissu incompréhensible.

M. Christian Cointat.  - Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Il faut énoncer à ce stade des principes que l'on déclinera ensuite. J'aurais envie de dire la même chose sur plusieurs des amendements suivants qui n'ont pas leur place dans la Constitution même si nous aurons à revisiter les lois organiques.

M. Eric Woerth, ministre.  - Je ne suis pas juriste et je m'interroge : la loi organique peut-elle fixer ces délais, ou le principe doit-il en être affirmé par un texte plus élevé dans la hiérarchie des normes ?

M. Nicolas Alfonsi.  - Malgré toute l'amitié que je porte habituellement à M. Marini, je ne peux pas voter cet amendement. Si, demain, un constitutionnaliste se demandait pourquoi nous avons fait entrer cette disposition dans la Constitution, il serait atterré. Les niches fiscales ? Le Gouvernement peut s'y attaquer autrement ! La loi fondamentale pose des principes généraux, elle ne fixe pas des délais pour des dérogations.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - C'est trop beau pour être honnête -l'amendement est d'ailleurs devenu tout d'un coup très général. On vise les niches mais on ne traite pas de la politique fiscale. Pourra-t-on remettre en cause l'exonération de redevance télévisuelle pour les vieux ? Débattons plutôt de l'efficacité de la politique fiscale !

M. Philippe Marini.  - Les choses ne sont pas mûres car nous sommes attachés à notre clientélisme, à nos dérogations, à nos dégrèvements, aux cas particuliers et que l'on crée sans aucun complexe des trous dans les assiettes fiscales. Continuons de faire des cadeaux...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - L'arroseur arrosé !

M. Philippe Marini.  - ... et refusons ce minimum de discipline, de méthode !

Alain Lambert a fort opportunément rédigé cet amendement et je m'y suis associé, parce qu'il est utile et vertueux. Vous pouvez rire parce qu'un parlementaire arrive de temps en temps à faire passer un amendement, mais ne venez pas me dire dans d'autres débats que vous respectez les finances publiques (mouvements divers sur plusieurs bancs), car l'on se bornait ici à une règle de péremption en cinq ans -c'est long, cinq ans !- des règles dérogatoires, en se contraignant à les réexaminer. C'est un principe général et un principe d'égalité. Mais le jeu conjugué de tous les conservatismes, de tous les clientélismes, de toutes les provinces, de toutes les professions est tel qu'on ne peut faire voter un tel amendement : il est retiré. (M. Laurent Béteille applaudit ; rires sur les bancs CRC)

L'amendement n°310 rectifié bis est retiré.

Article 11

L'article 34 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est supprimé ;

2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sauf motif déterminant d'intérêt général, la loi ne dispose que pour l'avenir. » ;

3° Dans le cinquième alinéa, après les mots : « l'amnistie ; », sont insérés les mots : « la répartition des contentieux entre les ordres juridictionnels, sous réserve de l'article 66 ; »

4° Après le onzième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales. » ;

5° L'avant-dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État.

« Des lois de programmation définissent les orientations pluriannuelles des finances publiques. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. »

M. le président.  - Amendement n°302 rectifié, présenté par MM. Arthuis, Marini, Badré, de Montesquiou, Gaillard et Bourdin, Mme Keller et MM. Charasse, Dallier, Dassault, Doligé, Ferrand, Fréville, Girod, C. Gaudin, Gouteyron, Jégou, Longuet et Guené.

Après le 4° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Avant l'antépénultième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions relatives aux recettes des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale font l'objet d'un projet de loi de finances publiques. Une loi organique précise l'allocation de ces ressources. » ;

M. Jean Arthuis.  - Cet amendement vise à aider le Parlement en allant jusqu'au bout de la démarche de MM. Migaud et Lambert, qui ont souligné l'opportunité d'apprécier globalement les prélèvements obligatoires : nous voulons regrouper en un document unique les ressources du budget de l'État, celles de la sécurité sociale, celles qui sont affectées à l'Europe et celles des collectivités territoriales. Les ressources de la protection sociale sont aujourd'hui de plus en plus de nature fiscale et de moins en moins composées de cotisations ; les ressources fiscales représentent le tiers du budget du régime général et je prédis qu'à échéance rapprochée il faudra aller bien au-delà pour retrouver la compétitivité.

Je ne suis pas sûr que le texte de l'amendement soit totalement achevé mais, sans prendre le risque d'ouvrir un large débat, je souhaiterais connaître l'avis du rapporteur et du ministre.

M. le président.  - Amendement n°312 rectifié, présenté par MM. Lambert et Charasse.

Avant le 5° de cet article, insérer les cinq alinéas suivants :

...° Les dix-neuvième et vingtième alinéas de l'article 34 de la Constitution sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique, les lois de finances :

« - déterminent les ressources et les charges de l'État ;

« - déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent le plafond global de ses dépenses.

« Les lois de financement de la sécurité sociale, compte tenu des conditions générales de l'équilibre financier déterminé par les lois de finances, fixent ses objectifs de dépenses dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. »

M. Michel Charasse.  - J'ai cosigné cet amendement parce que M. Lambert ne pouvait être là ce soir et parce qu'il reprend celui que M. Migaud avait déposé à l'Assemblée nationale.

Mme Nicole Bricq.  - Pas tout à fait.

M. Michel Charasse.  - L'article 34 de la Constitution n'a pas tiré toutes les conséquences de la création des lois de financement de la sécurité sociale. Alain Lambert et Didier Migaud, co-auteurs de la nouvelle loi organique, proposent simplement de préciser que les lois de finances fixent les conditions générales de l'équilibre financier. Elles envisageront ainsi l'ensemble des ressources de l'État et du régime général.

M. le président.  - Amendement identique n°451, présenté par M. Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Mme Nicole Bricq.  - La lecture distincte du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale empêche le Parlement de jouer pleinement son rôle de contrôle. Elle permet au Gouvernement, de changements de périmètre en créations de niches fiscales non compensées, de donner toute la mesure de son inventivité. D'où notre amendement, qui ne modifie pas les compétences respectives du Gouvernement, du Parlement et de ses commissions des affaires sociales.

Reste la question des dépenses et de leur adéquation aux recettes ; c'est là que notre amendement diffère du précédent. Nous préférons faire mention d'objectifs de dépenses plutôt que de plafond de dépenses. On peut considérer que les dépenses d'assurance maladie sont de la pure consommation médicale, qu'on ne peut reporter sur les générations futures ; mais interdire tout déficit revient à les bloquer à un niveau dont l'optimum est très difficile à estimer. Tant que la question n'est pas posée clairement aux Français, nous considérons que l'augmentation des dépenses de santé relève de leur choix collectif.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - La fusion des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale peut apparaître comme une clarification. Mais les deux textes répondent à des logiques différentes d'affectation des dépenses. La commission s'en remettra à l'avis du Gouvernement sur cette question importante pour nos finances publiques.

M. Eric Woerth, ministre.  - Le format actuel des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale est récent. S'il faut coordonner, il m'apparaît opportun de conserver deux textes séparés.

Ces derniers sont élaborés en pleine cohérence, par des équipes coordonnées ; ils sont défendus par le même ministre, bâtis sur les mêmes hypothèses macroéconomiques ; le débat d'orientation budgétaire en traite simultanément. En dépenses, la cohérence est assurée par les annexes, qui retracent notamment les mécanismes de compensation des exonérations de charges sociales. Fusionner leurs parties « recettes » remettrait en cause la saisine obligatoire des partenaires sociaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

J'ajoute que le cadrage annuel des finances publiques est réalisé de manière globale et qu'un prochain texte prévoira une programmation pluriannuelle des finances publiques, qui assurera la cohérence entre budget de l'État et budgets sociaux. Il importe de conserver à chacun des deux textes sa spécificité.

M. Alain Vasselle.  - Très bien !

M. Jean Arthuis.  - C'est vous, monsieur le ministre des comptes publics, qui nous avez encouragés ! Mais je peux comprendre que les dispositions pratiques ne soient pas encore tout à fait au point. Sans doute une loi pluriannuelle des finances publiques permettra-t-elle de procéder à la nécessaire consolidation. S'agissant des recettes, l'exercice est à portée de main. Je retire mon amendement.

L'amendement n°302 rectifié est retiré.

M. Eric Woerth, ministre.  - Cette consolidation apparaîtra si la future loi de programmation pluriannuelle des finances publiques est votée par le Parlement.

M. Michel Charasse.  - Vous avez la chance, monsieur le ministre -c'est une conquête importante mais au devenir aléatoire- d'être en charge des comptes publics et d'avoir, grâce à cela, une vision globale. Tel n'est pas notre cas. Or le dialogue entre le Gouvernement et le Parlement, surtout au moment où la France doit faire des efforts considérables de gestion de ses finances publiques, doit être cohérent. Je me crois autorisé à retirer l'amendement de M. Lambert.

L'amendement n°312 rectifié est retiré.

Mme Nicole Bricq.  - Je constate que les efforts que j'ai déployés pour rassurer M. Vasselle ont été vains. Je constate aussi, je le dis sans colère, que l'affaire n'est pas mûre. Après avoir entendu le Gouvernement et l'annonce d'une loi de programmation pluriannuelle, je retire mon amendement.

L'amendement n°451 est retiré.

M. Alain Vasselle.  - Grande sagesse !

M. le président.  - Amendement n°301 rectifié bis, présenté par MM. Arthuis, About, Marini, Vasselle, Badré, de Montesquiou, Gaillard, Bourdin, Charasse, Dallier, Dassault, Doligé, Ferrand, Fréville, Girod, C. Gaudin, Jégou, Lambert, Longuet, du Luart et Guené.

Après le 4° de cet article, insérer trois alinéas ainsi rédigés :

...° Après l'antépénultième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures entrent en vigueur lorsqu'elles sont validées par une loi de finances.

« Les mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions concourant au financement de la protection sociale ainsi que les mesures de réduction ou d'abattement de l'assiette de ces cotisations et contributions entrent en vigueur lorsqu'elles sont validées par une loi de financement de la sécurité sociale. » ;

M. Jean Arthuis.  - Le moment de la pleine lucidité en matière fiscale et sociale, ce sont le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Or, votre rigueur, monsieur le ministre, qui prive les autres membres du Gouvernement des moyens qu'ils estiment nécessaires pour assurer l'application des lois qu'ils soumettent au Parlement, les fait souvent céder à la tentation de consentir des dépenses fiscales ou sociales, sous la forme d'exonérations, d'abattements, de déductions.

L'idéal eût été de prohiber toute mesure fiscale ou sociale en dehors des lois de finances et de financement de la sécurité sociale. A défaut, nous demandons que les mesures adoptées ne deviennent effectives qu'après avoir été validées en loi de finances ou de financement de la sécurité sociale.

Cette initiative conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des finances vise à ce que le Parlement exerce son vote en pleine connaissance de cause.

M. le président.  - Amendement n°447, présenté par M. Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après le 4° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Après le vingtième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ainsi que celles relatives à l'assiette des cotisations sociales ne peuvent figurer dans d'autres lois que les lois de finances ou de financement de la sécurité sociale, sauf dérogations prévues par une loi organique. » ;

Mme Nicole Bricq.  - Il s'agit de permettre au Parlement de prendre la mesure de toute disposition visant les impositions de toute nature et l'assiette des cotisations sociales dans les véhicules prévus à cet effet, loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale. Nous sommes trop souvent mis devant le fait accompli : ainsi, le plan de cohésion sociale de M. Borloo a augmenté la dotation de solidarité urbaine jusqu'en 2009, mesure certes louable, mais nous avons appris dans le projet de loi de finances ultérieur que c'était au détriment de la dotation globale de fonctionnement ! La pratique n'est pas occasionnelle : le projet de loi de modernisation économique en offre un nouvel exemple...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Cette méthode serait cohérente en effet, mais il est parfois souhaitable de prévoir tout le dispositif dans la loi initiale, a fortiori les dispositifs fiscaux ! Que vaudrait une loi sur les successions sans mesures fiscales ? La rédaction, selon laquelle les règles entrent en vigueur une fois « approuvées » par la loi de finances, peut cependant être améliorée. Enfin, un tel dispositif a-t-il sa place à l'article 34 de la Constitution ? Ne relève-t-il pas plutôt des articles 47 et 47-1 relatifs aux lois de finances et de financement ? Sagesse, en attendant l'avis du Gouvernement.

M. Eric Woerth, ministre.  - L'amendement n°301 rectifié est important. Il y a longtemps que l'on songe à rapatrier en loi de finances les mesures financières votées dans des textes divers. La rédaction du président Arthuis a ma préférence. Nous préférerions toutefois que la validation n'empêche pas la mesure de s'exécuter, ce qui éviterait au Gouvernement de déposer collectif sur collectif... Faute de validation en loi de finances ou de financement, la mesure tomberait. Si vous ne souhaitez pas modifier la rédaction, avis de sagesse.

M. Jean Arthuis.  - Je substitue « valider » à « approuver » dans les deux alinéas. La navette permettra de lever les ambiguïtés éventuelles. Mais le souhait du ministre me laisse perplexe : il sera difficile de remettre en cause en loi de finances une disposition qui aura déjà produit ses premiers effets ! Le Gouvernement, comme le Parlement, a besoin d'autodiscipline. Pourquoi ne pas présenter autant que de besoin des lois de finances rectificatives, qui seront l'occasion de remettre les compteurs à jour et de valider les choix sociaux et fiscaux du législateur ?

M. le président.  - C'est l'amendement n°301 rectifié bis.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Sagesse, comme le Gouvernement...

Mme Nicole Bricq.  - Je me rallie à l'amendement du président Arthuis, et je fais confiance à la navette...

L'amendement n°447 est retiré.

M. Alain Vasselle.  - Je me réjouis de voter cet amendement, dont je suis cosignataire, avec le président About. La commission des affaires sociales n'a jamais été opposée à une approche globale des comptes publics. Désormais, un seul ministre a la responsabilité des comptes de l'État et de la sécurité sociale : c'est un précédent heureux, dont les futurs gouvernements devront s'inspirer. Je regrette toutefois que l'amendement précédent n'ait pas fait l'objet d'une concertation avec la commission des affaires sociales...

J'ai suffisamment dénoncé la non-compensation d'exonérations de cotisations sociales décidées au fil de l'eau, au détriment des comptes sociaux -même si le déficit tend à se résorber dans certaines branches. Cet amendement reprend une initiative adoptée par la Haute assemblée dans la loi organique. A l'époque, le Gouvernement nous avait opposé le risque d'inconstitutionnalité et émis un avis de sagesse... Je rappelle que les exonérations représentent 30 milliards d'euros, et les assiettes, 40 milliards ! La commission des affaires sociales s'est donc associée à la commission des finances sur cet amendement ; j'espère que le Sénat nous suivra.

M. Philippe Marini.  - C'est une avancée importante. La loi de finances comme la loi de financement sont privées d'une partie significative de leur substance si des décisions ayant un impact sur le solde des finances publiques sont prises dans des textes sectoriels ; il faut en apprécier les conséquences en fonction d'une analyse globale des ressources et des charges de l'État et de la sécurité sociale.

Certains auraient voulu aller plus loin. Malgré les propos désagréables qu'ont tenus ses membres à l'égard de mon amendement, je salue l'amendement n°447 du groupe socialiste, qui affirmait encore plus clairement le domaine exclusif de la loi de finances et de la loi de financement. On peut siéger sur des bancs opposés et partager une même vision de l'État !

L'amendement n°301 rectifié bis est un réel progrès. Il clarifie la hiérarchie des textes. Sans rien retirer à l'initiative législative, gouvernementale ou parlementaire, il précise que les grands équilibres sont appréciés lors des rendez-vous annuels que sont la loi de finances et la loi de financement.

On ne devrait valider que ce qui entre dans des buts macroéconomiques.

Je me réjouis, dans mon combat parfois un peu solitaire, de l'accueil fait à cet amendement, de l'avis de sagesse exprimé, avec modération, par le président de la commission des lois et du soutien que le Gouvernement, lui, apporte à cette disposition.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Si je comprends bien, cet amendement rend virtuel tout débat parlementaire en attendant ceux de novembre et décembre. Nous ne le voterons pas.

L'amendement n°301 rectifié bis est adopté.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - J'en appelle à l'esprit de concision de nos collègues. Il nous reste encore beaucoup d'amendements à examiner et nous n'avons voté que 5 des 35 articles de ce texte constitutionnel. Nous ne sommes pas des imbéciles, nous comprenons vite, il est donc inutile de développer à l'excès. (M. Bernard Frimat approuve)

L'amendement n°388 rectifié bis n'est pas défendu.

M. le président.  - Amendement n°18 rectifié bis, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin et A. Boyer.

I. - Au début du deuxième alinéa du 5° de cet article, ajouter les mots :

Sous réserve des lois organiques prévues aux articles 47 et 47-1

II. - Au début du dernier alinéa du même 5°, ajouter les mots :

Sous les mêmes réserves,

M. Michel Charasse.  - Amendement de pure forme qui précise que les lois de programmation doivent respecter le domaine et le contenu des lois organiques sur les lois de finances et sur les lois de financement de la sécurité sociale.

M. le président.  - Amendement n°190, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Supprimer le dernier alinéa de cet article.

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - L'équilibre budgétaire pose la question essentielle des niches fiscales, c'est-à-dire de la politique de défiscalisation compétitive menée depuis des années et jamais évaluée. Les lois de finances successives ont adopté beaucoup de dispositions fiscales dérogatoires qui ont asséché les finances de l'État. Le rapport de l'Assemblée nationale estime cette moins-value fiscale à 23 milliards d'euros, chiffre à comparer au déficit budgétaire de 2007. Dérogations et exonérations fiscales ont été accordées à fonds perdus, sans effet sur la croissance ni sur l''emploi.

Au chapitre des dépenses, on a substitué la contribution de l'État à celle des entreprises exonérées de cotisations sociales, pour un montant de 31 milliards. Ce ne sont pas les 35 heures qui ont coûté cher...Nous rejetons l'article 34 de la Constitution tel que modifié par les députés.

M. le président.  - Amendement identique n°449, présenté par M. Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Mme Nicole Bricq.  - L'Assemblée nationale a ajouté un alinéa qui présente trois défauts. Il arrive inopinément dans la loi fondamentale, alors que le comité Balladur n'avait pas traité ce sujet. Sa rédaction est confuse. L'interprétation qui peut en être faite est dangereuse. En revanche, cet alinéa appelle un vrai débat. Pourquoi notre pays est-il plus affecté que les autres par les déséquilibres budgétaires ? Des règles contraignantes sont-elles efficaces et souhaitables alors que la succession des cycles économiques peut faire varier la politique budgétaire selon les circonstances ? Ce débat nécessaire n'est pas abordé.

M. le président.  - Amendement n°108 rectifié, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois.

Rédiger comme suit le dernier alinéa du 5° de cet article :

« Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. »

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Rédactionnel et je demande la priorité pour cet amendement.

La priorité, acceptée par le Gouvernement, est de droit.

L'amendement n°85 n'est pas défendu, non plus que les amendements n°s309 rectifié, 277 rectifié et 401.

M. le président.  - Amendement n°19 rectifié bis, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin, Laffitte et A. Boyer.

Dans la dernière phrase du dernier alinéa du 5° de cet article, remplacer les mots :

des administrations publiques

par les mots :

des recettes et des dépenses publiques et sociales

M. Michel Charasse.  - La rédaction était trop restrictive pour couvrir l'ensemble des dépenses publiques et sociales.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Avis défavorable à tous ces amendements.

M. Eric Woerth, ministre.  - Avis défavorable à tous ces amendements sauf à celui de la commission.

L'amendement n°108 rectifié est adopté.

En conséquence, les amendements n°s18 rectifié bis, 190, 449 et 19 rectifié bis deviennent sans objet.

M. le président.  - Amendement n°380 rectifié bis, présenté par MM. Lambert, du Luart et Charasse.

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« A compter de l'exercice de l'année 2012, les comptes publics de la France sont exécutés en équilibre, conformément aux engagements pris par la France auprès de ses partenaires de l'Union Européenne. L'application de cette règle tient compte du cycle économique. »

M. Michel Charasse.  - Tout à l'heure, j'ai accepté de suppléer ce soir notre collègue Lambert pour défendre cet amendement. Du point de vue rédactionnel, je pense qu'on aurait pu se dispenser d'écrire « en équilibre » parce que, si un jour le comité Juncker décidait d'apporter quelques assouplissements à la politique budgétaire des États, nous serions alors plus royalistes que le roi.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - S'il faut aller vers l'équilibre des finances publiques, faut-il, pour autant, inscrire dans la Constitution une règle aussi contraignante ? Ce serait dangereux en cas de déficit imposé par un grave retournement de conjoncture. Le budget devrait-il alors être annulé par le Conseil constitutionnel ? Le Parlement serait dessaisi de ses prérogatives. Mieux vaut retenir un cadre pluriannuel des finances publiques, ce que nous venons de faire, et c'est un progrès. Avis défavorable.

Mme Nicole Bricq.  - Non !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Or, le cadre pluriannuel trace des perspectives qui intègrent cet objectif. Par conséquent, avis défavorable.

M. Eric Woerth, ministre.  - Même avis : l'objectif est là, c'est déjà bien !

M. Jean Arthuis.  - Pourquoi ne pas préciser que l'emprunt peut contribuer à l'équilibre ?

M. Michel Charasse.  - Plusieurs amendements ont fait allusion à la notion d'équilibre. Il n'est pas nécessaire de l'inscrire dans la Constitution. Cette notion figure déjà à l'article qui approuve le traité de Maastricht et qui autorise la ratification des traités européens. (Marques d'approbation)

L'amendement n°380 rectifié bis est retiré.

Prochaine séance aujourd'hui, vendredi 20 juin 2008, à 9 h 45.

La séance est levée à minuit quarante-cinq.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du vendredi 20 juin 2008

Séance publique

À 9 HEURES 45, À 15 HEURES ET LE SOIR,

Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 365, 2007-2008), modifié par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Vème République.

Rapport (n° 387, 2007-2008) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

Avis (n° 388, 2007-2008) de M. Josselin de Rohan, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

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DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- M. Philippe Richert un rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles sur le projet de loi instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques pendant le temps scolaire obligatoire (n° 389, 2007-2008) (urgence déclarée).

- M. Serge Dassault un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur la fusion de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et du réseau de l'assurance chômage (Unédic).

- Mme Jacqueline Alquier et M. Claude Biwer un rapport d'information fait au nom de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire sur le niveau d'équipement de la France en infrastructures de transports et ses conséquences sur le désenclavement des régions françaises.