Lecture d'une déclaration de politique générale du Gouvernement relative à la politique étrangère

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la lecture d'une déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère. Cette déclaration, sur laquelle le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa premier de la Constitution, est actuellement prononcée à la tribune du Palais-Bourbon par M. François Fillon. Elle va être lue à notre tribune par M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. La parole est à M. le ministre d'État. (Applaudissements sur les bancs UMP ; M. Pierre Fauchon applaudit aussi)

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.  - Durant ces derniers mois, notre politique étrangère et de défense a fait l'objet de plusieurs débats au sein de cette assemblée. Nous avons débattu à plusieurs reprises de la question afghane, et vous avez dû, pour la première fois sous la Ve République, vous prononcer sur la prolongation de nos opérations militaires extérieures.

Sous l'impulsion du Président de la République, le domaine autrefois réservé est devenu plus ouvert et plus partagé. Nous l'avons voulu ainsi parce que les frontières entre les affaires intérieures et extérieures sont de plus en plus imbriquées. Je rappelle à l'opposition que par le passé, le pouvoir régalien du Président s'affirmait pleinement, et François Mitterrand l'utilisa sans réserve. De son soutien à l'installation des missiles Pershing américains en RFA à l'interruption brutale de nos essais nucléaires en 1992, de l'intervention au Tchad en 1983 à celle en ex-Yougoslavie en 1992, jamais le vote du Parlement ne fut sollicité.

Seul notre engagement en Irak, en 1990, fit l'objet d'un vote de confiance à l'Assemblée nationale, mais il intervint alors même que les hostilités étaient déjà engagées. Ce bref rappel du passé nous dispense des leçons de démocratie que certains se plaisent à nous donner aujourd'hui. Parce que notre politique étrangère et de défense est l'affaire de la Nation, le Gouvernement a décidé de solliciter la confiance de la majorité à l'Assemblée nationale pour servir une certaine idée de la France dans le monde. Car ce débat ne peut se résumer à la seule question de l'Otan, qui ne constitue qu'un des volets de notre diplomatie et de notre sécurité.

Si l'Alliance atlantique était autrefois une réponse des démocraties face à la menace soviétique, et de ce fait l'un des symboles idéologiques et militaires de la guerre froide, elle n'est désormais qu'une structure parmi d'autres. Elle n'est plus et elle n'est pas l'expression d'une politique globale ! En 1966, en plein coeur des tensions Est-Ouest, notre retrait de l'organisation constitua un choc. En 2009, notre retour ne constitue qu'un ajustement qui, de ce fait, ne provoque aucun émoi dans le concert international. Notre pleine participation aux structures de l'Alliance n'est qu'un moyen parmi d'autres de permettre à notre pays de répondre aux défis de son temps.

La France n'est grande que lorsqu'elle est grande pour le monde. Notre Nation se sent investie d'une responsabilité universelle, et les circonstances géopolitiques en élargissent les horizons. L'interdépendance des enjeux sécuritaires, économiques, écologiques constitue la césure historique du XXe siècle. Elle est la conséquence de la disparition de la bipolarité d'hier, de l'extension de l'économie de marché et du développement accéléré des technologies de l'information et de la communication. Elle signe la fin du monopole de la puissance et du progrès si longtemps détenu par les seuls Occidentaux. La spectaculaire émergence de la Chine et de l'Inde est le point saillant de ce rééquilibrage politique et économique.

Ce monde globalisé et complexe ne rend que plus légitime et nécessaire notre vocation internationale. Pour elle, nous croyons à l'égale dignité des nations et à la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes. Face aux tyrannies, nous sommes l'avocat des droits de l'homme. Devant l'uniformité rampante, nous défendons de Dakar à Québec la diversité des héritages culturels et linguistiques. Face aux tentations hégémoniques, nous opposons la légalité internationale et le multilatéralisme. Devant les grands enjeux actuels, nous militons en faveur d'une mondialisation réorganisée, plus équitable et mieux maîtrisée.

Cet universalisme français prolonge la défense de nos intérêts nationaux. N'en déplaise aux esprits angéliques qui négligent les rapports de forces et aux idéalistes qui prophétisent la fin des nations, la France demeure une puissance qui a des objectifs propres. Nous les orchestrons de façon collective. Nos intérêts se conjuguent avec ceux de l'Europe, ils s'articulent avec ceux de nos alliés les plus fidèles, dont font partie les États-Unis, mais aussi avec ceux de nos partenaires qui entretiennent des relations de confiance avec nous. Au Maghreb, au Proche et au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie, en Russie, il y a là des grands peuples avec lesquels nous partageons une estime réciproque qui s'enracine dans les profondeurs de nos mémoires et de notre Histoire.

La promotion de nos valeurs et de nos intérêts constitue notre permanence politique, servie par notre indépendance. Notre Nation ne reçoit d'ordres de personne ! Elle doit être libre de décider par elle-même et pour elle-même. L'autonomie de notre politique est complète sur le plan stratégique avec notre force de dissuasion nucléaire, qui protège nos intérêts vitaux. Elle l'est aussi sur le plan diplomatique. De notre engagement armé en Yougoslavie à celui en Afghanistan, de notre refus catégorique de nous associer à la seconde guerre en Irak à l'initiative franco-égyptienne en faveur de Gaza, la France agit et agira toujours selon ses convictions. Lorsque nous relançons le dialogue avec la Syrie ou la Libye, lorsque nous demandons, avant la conférence de Bali, des engagements contraignants de réduction du CO2, lorsque nous prenons l'initiative d'intervenir dans la crise russo-géorgienne, nous décidons et oeuvrons selon nos vues.

Cette indépendance de ton et d'action s'inscrit dans notre choix résolu de la solidarité. Solidarité d'abord avec l'Union européenne, pour laquelle tous les Présidents de la République se sont engagés de façon continue, avec un objectif identique : faire de l'Europe non seulement un espace économique, mais une force politique. Sous la conduite de Nicolas Sarkozy, la présidence française de l'Union a révélé l'Europe sous un jour nouveau. Oui, l'Europe a le pouvoir d'influer et de peser sur les affaires du monde ! Elle a un destin singulier dès lors qu'elle s'en saisit avec courage. Elle mérite, avec le traité de Lisbonne, une organisation institutionnelle plus stable. La France a la conviction que l'Europe ne peut être un géant économique sans prétendre au premier rang diplomatique et militaire.

Solidarité ensuite avec nos alliés, notamment américains. De la crise de Cuba à la première guerre en Irak, de la crise des euromissiles au 11 septembre 2001, la France ne s'est jamais départie de son amitié à l'égard du peuple américain. Alliée mais pas vassale, fidèle mais insoumise, toujours fraternelle mais jamais subordonnée : voilà la nature de notre relation avec l'Amérique. L'Amérique est une puissance globale, et la sagesse comme les réalités géopolitiques nous commandent de juger sa diplomatie sur ses actes et non sur ses intentions. L'amitié ne se confond pas avec la naïveté ! L'élection de Barack Obama ouvre pourtant des perspectives que nous devons saisir. La gauche a applaudi à tout rompre cette élection américaine, mais n'hésite pas à marquer sa défiance vis-à-vis de l'Amérique dès lors que l'on évoque l'Alliance atlantique. Entre fascination et appréhension, il existe pourtant une voie pragmatique pour renouveler les instruments et les objectifs de la relation franco-américaine et euro-américaine.

Plusieurs sujets cruciaux réclament une nouvelle dynamique commune. En premier lieu, l'Iran. Notre devoir absolu est d'éviter la contagion nucléaire et, pour cela, il nous faut défendre le régime international de non-prolifération. Nous avons renforcé les sanctions du Conseil de sécurité et poursuivi nos offres de dialogue avec Téhéran. Les États-Unis nous rejoignent aujourd'hui sur cette approche ferme mais ouverte, et sur l'idée que nous défendons depuis longtemps d'un dialogue franc et direct avec Téhéran. Avec la Corée du Nord, la crise iranienne a fait ressurgir la question nucléaire, aggravée par le développement des missiles balistiques de moyenne portée.

La question nucléaire doit être résolue par le partage encadré du nucléaire civil ainsi que par une attitude responsable de la part de ceux qui détiennent la dissuasion. Dans cet esprit, nous demandons aux États-Unis comme à la Chine de ratifier le traité d'interdiction complète des essais nucléaires comme nous l'avons fait nous-mêmes il y a onze ans. Nous soutenons la relance d'une négociation entre les États-Unis et la Russie afin d'aboutir, de part et d'autre, à une dissuasion strictement minimale. Nous souhaitons enfin l'ouverture sans délai de la négociation d'un traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires.

En Afghanistan, le Gouvernement a défendu la nécessité de l'engagement de la France dans un pays qui fut la base arrière du terrorisme international. Je veux ici saluer la mémoire du caporal Belda, du 27e bataillon de chasseurs alpins, qui a trouvé la mort samedi dernier au cours d'un accrochage dans la province de Kapisa. Le courage et le professionnalisme de nos soldats font l'honneur de la France. Sécuriser le pays, reconstruire ses infrastructures, réconcilier le peuple afghan, transmettre aux autorités légitimes les moyens d'exercer la pleine souveraineté de cet État : voilà notre stratégie. Pour tout cela, nous voulons rompre avec une gestion exclusivement militaire de la crise afghane. Une approche politique d'ensemble s'impose et il semble que les États-Unis y soient désormais sensibles.

Se pose enfin, avec nos partenaires américains, la question centrale de la lutte contre le changement climatique. Sous l'impulsion de la France, l'Europe est parvenue à un accord ambitieux, mais elle ne peut agir seule. Les États-Unis semblent enfin prendre la mesure de leurs responsabilités vis-à-vis des prochaines générations.

Avec le sommet de décembre 2009, il va falloir maintenant passer aux décisions et aux actes.

La solidarité de la France s'exprime aussi avec l'espace méditerranéen. Le projet de l'Union pour la Méditerranée marque notre ambition de dessiner les contours d'une étroite collaboration euro-méditerranéenne. Nous entendons désavouer et désarmer ceux qui appellent au choc des civilisations. Nous refusons la logique des fanatiques. Nous refusons de nous laisser enfermer dans des schémas manichéens. Entre l'Occident et l'Orient, la France est et restera une médiatrice. En toute indépendance, et malgré les critiques, elle a pris le risque de renouer avec Damas, dans la conviction que la Syrie peut apporter une importante contribution à la paix dans la région : elle l'a montré au Liban, avec l'accord de Doha ; elle peut nous aider à convaincre le Hamas de faire le choix de la raison, celui de la réconciliation inter-palestinienne et de la négociation avec Israël. Dès le premier jour de la crise de Gaza, le Président de la République a cherché une issue au conflit dans un esprit d'équilibre et de justice. Cette crise, et son bilan dramatique, montrent qu'il n'y aura pas de solution militaire. La France affirme qu'Israël doit pouvoir vivre en paix à l'intérieur de frontières reconnues et que la Palestine doit pouvoir vivre libre, en jouissant de sa pleine souveraineté. Dans cette région, seul le courage des compromis politiques permettra de sortir de l'impasse. Le Président de la République a proposé la tenue, au printemps, d'un sommet de relance du processus de paix.

Solidarité aussi de la France avec l'Afrique. Nous croyons en l'avenir de cet immense continent, et c'est pourquoi nous demeurons l'un des principaux pourvoyeurs d'aide publique au développement. Nous nous sommes engagés au Darfour en sécurisant les camps à l'est du Tchad. Nous avons amené nos partenaires européens à nous appuyer dans la mise en oeuvre de l'Eufor, la plus grande opération militaire de l'Union européenne. Signe de son succès, les Nations Unies viennent de prendre le relais de cette force européenne.

Solidarité enfin avec l'Organisation des Nations Unies. Pour la France, le droit international est l'expression d'une morale universelle. Il est la source d'un ordre légal face à la violence. En l'espace d'un demi-siècle, les interventions successives de l'ONU ont couvert les échecs de la SDN.

Pour autant, la France estime que la gouvernance internationale, issue de l'après-guerre, ne répond que partiellement aux enjeux d'aujourd'hui. Nous soutenons le processus de réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies et militons en faveur de son élargissement. Nous avons proposé l'extension du G8 en G14. Nous avons joué un rôle moteur dans la réforme des droits de vote au sein du FMI. Enfin, nous nous sommes fait les inlassables avocats d'une meilleure représentation de l'Afrique au FMI et à la Banque mondiale.

Avec l'Union européenne, la France a pris la tête des efforts pour bâtir une véritable régulation financière internationale. Nous voulons corriger les causes de la crise actuelle. Le Conseil européen du 19 mars définira une position européenne pour le sommet du G20, à Londres, le 2 avril. La France exigera des changements clairs en matière financière : régulation des hedge funds et des agences de notation ; encadrement des rémunérations ; réforme des normes comptables ; lutte contre les centres offshore. Pour nous, l'économie mondiale n'est pas un vaste casino sans règles et sans éthique qui ne peut que sombrer dans la catastrophe.

S'il est une leçon que nous devons retenir du Général de Gaulle, c'est bien celle qui exhorte à ne jamais regarder l'avenir avec les yeux du passé. (Marques d'approbation à droite) La politique étrangère, c'est une action régie vers un idéal à travers des réalités changeantes : dès lors, rien n'est plus contreproductif et plus dangereux que de sacraliser le statu quo. Nous ne devons jamais hésiter à rénover nos politiques dès lors que les faits et nos buts nous le recommandent. A cet égard, la gauche a l'art d'être en retard d'une révolution stratégique. (On le confirme à droite)

En 1966, elle s'opposa violemment à la décision du Général de Gaulle de nous retirer des structures intégrées de l'Otan. Cette décision trahissait aux yeux de l'opposition d'alors « une position hargneuse à l'égard de nos alliés américains... et une sorte de poujadisme aux dimensions de l'univers ». (On s'amuse à droite) Ce prétendu poujadisme d'hier est devenu votre code de bienséance d'aujourd'hui ! (On apprécie à droite)

Puis la gauche s'opposa frontalement à notre force de frappe, et ce n'est qu'en 1978 que les socialistes acceptèrent du bout des lèvres notre dissuasion nucléaire, après même le parti communiste ! Enfin, comment ne pas citer les terribles hésitations de certains de nos hauts responsables devant la chute du mur de Berlin et la réunification allemande ? A cet instant, l'Europe échappait à l'ordre binaire auquel ils s'étaient accoutumés, mais auquel de Gaulle n'avait pu, lui, se résoudre.

Il est toujours piquant de voir l'opposition faire appel aux mânes du Général, elle qui le combattit sans relâche !

Quarante ans après les faits, la gauche célèbre un héritage qu'elle a tant contesté : épilogue heureux mais au fond assez conformiste. Atlantiste quant il fallait être gaulliste, attentiste lorsqu'il convenait d'être réactif, nostalgique lorsqu'il s'agit d'être pragmatique : la gauche ne s'est jamais distinguée par son audace stratégique. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre ; M. Gilbert Barbier applaudit aussi)

Il y a dix-huit ans de cela, le Premier ministre publiait dans un journal du soir une tribune provocante en faveur du retour de la France dans l'Otan. Avec la chute du mur de Berlin, il estimait que nous devions profiter de l'occasion pour rééquilibrer l'Alliance au profit de l'Europe et convaincre nos partenaires de renoncer à la tutelle américaine. A la lecture de cette tribune, le Président Mitterrand l'invita à venir s'entretenir avec lui de ce sujet. Il garde en mémoire son verdict : « Vous voyez, lui dit-il, nous avons eu tellement de mal à faire venir les Américains en Europe, qu'il ne faut rien faire qui puisse les en faire partir ». A l'évidence, François Mitterrand ne voulait pas d'une initiative qui aurait risqué d'entraîner le désengagement des américains.

Il ne nous appartient pas de juger de l'analyse d'un homme dont la pensée reflétait toute une époque, mais aussi toutes les ambivalences d'une posture oscillant entre indépendance et alliance, défiance et attirance vis-à-vis des États-Unis. Mais il nous revient, en revanche, de souligner que les termes du débat ont radicalement changé.

Notre sécurité ne se joue plus à nos frontières et le spectre de la destruction mutuelle assurée ne pèse plus sur notre continent. La bipolarité d'antan a laissé place à la multiplicité des acteurs et à la dissémination des risques. La France et l'Europe ne sont plus menacées d'envahissement. Leur sécurité n'est pas pour autant acquise. De nouvelles menaces exacerbées par les conflits en cours au Proche et Moyen-Orient ont surgi : le terrorisme global qui instrumentalise et détourne l'islam, la prolifération des armes de destruction massive.

L'URSS est devenue la Russie et s'est ralliée à l'économie de marché. L'empire soviétique disloqué, ses États satellites se sont libérés et ont rejoint l'Union européenne et pour certains d'entre eux l'Alliance atlantique. Les États-Unis ont retiré 80 % de leurs forces de notre continent qu'ils ne jugent plus comme une priorité au regard des intérêts que recouvrent l'Asie et le Moyen-Orient. L'ONU s'est renforcée et l'Europe s'est affermie.

A la lisière de toutes ces transformations, l'Otan n'est plus l'organisation dont certains parlent. Il y a quarante ans, le général de Gaulle se retirait d'une organisation compacte, dressée face au pacte de Varsovie, et exclusivement dirigée par les États-Unis. Depuis, c'est la notion de coalition d'États volontaires à participation variable qui s'est imposée au détriment des schémas rigides de la guerre froide.

En 1966, la logique des blocs réglait la géopolitique mondiale. Rester dans les structures intégrées de l'Otan, c'était aliéner les choix politiques de la France à cette logique binaire que le général de Gaulle voulait transcender. En 1966, les États-Unis imposaient la doctrine de la riposte graduée à l'Otan et ils n'y prévoyaient aucun partage des responsabilités. Rester dans les structures intégrées, c'était prendre le risque de nous retrouver engagés dans des conflits qui n'étaient pas les nôtres. En 1966, il y avait 26 000 soldats américains sur le sol français, et aucune perspective de réorganisation de l'Alliance. En 1966, la France disposait, depuis deux ans, d'armes nucléaires opérationnelles et notre stratégie de dissuasion et d'action nous portait à repenser les termes de notre autonomie.

Cette autonomie ne fut cependant jamais conçue comme une marque de neutralité ou de défiance vis-à-vis de l'Alliance atlantique dont nous sommes toujours restés membres. A peine le retrait décidé, nous confirmons par plusieurs accords notre volonté de continuer à travailler avec l'Otan : l'accord Ailleret-Lemnitzer, en 1967, l'accord Valentin-Ferber, en 1974. En 1983, se tient à Paris un Conseil atlantique, une première depuis 1966. En 1991, la France participe à la rédaction du nouveau concept stratégique de l'Alliance. Dans les années 1990, nous sommes de toutes les opérations en Bosnie, où la France, pour la première fois, participe à une opération de l'Otan. A partir de 1993, toujours sur décision de François Mitterrand, le chef d'état-major des armées est autorisé à intervenir au comité militaire de l'Otan, sur les questions de maintien de la paix. Il l'est, à partir de 1994, sur l'adaptation des structures de l'Alliance, la coopération avec l'Est et la non-prolifération. En 2004, plus d'une centaine de Français sont affectés aux commandements de Mons et Norfolk. Aujourd'hui, nos troupes sont engagées avec l'Otan au Kosovo et en Afghanistan. Nous sommes le quatrième contributeur de l'Otan en termes de forces. Nous sommes présents dans quasiment tous les comités de l'Otan.

Insensiblement, les faits et la volonté politique recréaient donc notre participation croissante aux structures de l'Otan. Il s'agit aujourd'hui de franchir une dernière marche. Cette dernière marche, prétend l'opposition, affaiblira notre indépendance, ce qui est naturellement faux. Il faut avoir peu confiance en la France pour penser un instant qu'elle puisse être ligotée par sa présence dans un comité. Et c'est au surplus bien mal connaître le fonctionnement de l'Otan. Depuis la déclaration d'Ottawa de 1974, rien ni personne ne vient contester l'autonomie de notre stratégie nucléaire, qui n'est pas négociable. Chacun sait que la participation à l'Otan n'entraîne aucune automaticité politique et que les décisions du Conseil atlantique sont prises à l'unanimité. Devons-nous rappeler que l'Allemagne a refusé de s'engager en Irak aux côtés des Américains et que la Turquie a refusé de servir de base arrière ? Devons-nous souligner que même dans le cadre de l'article 5 de la charte -qui prévoit la défense collective en cas d'agression d'un de ses membres- chaque nation décide des moyens qu'elle entend employer. Nous conserverons l'indépendance de notre dissuasion nucléaire et notre liberté d'appréciation sur l'envoi de nos troupes. Nous ne placerons pas de contingent en permanence sous commandement allié en temps de paix. Ces trois principes sont posés par le Livre blanc, et personne au sein de l'Alliance n'y voit rien à redire.

Nous invitons l'opposition, qui joue sur la corde nationale, à aller dire, les yeux dans les yeux, à Angela Merkel, Gordon Brown ou José Luis Zapatero, que leurs nations ne sont pas souveraines dans leurs choix !

La question de l'indépendance et de l'autonomie qu'agite l'opposition n'en est pas une. La vraie question est : pourquoi prendre cette décision maintenant et pour quoi faire ?

Pourquoi maintenant ? Nous sommes là au coeur d'un des principes clés de la politique étrangère : l'art d'utiliser les circonstances.

Quatre événements nous poussent à réinvestir l'Otan.

Premièrement, la présidence française de l'Union européenne a redonné du sens à l'action politique et à l'autonomie diplomatique de l'Europe, comme l'a montré la crise géorgienne. Deuxièmement, l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne doit servir de levier pour accentuer l'efficacité et le rayonnement de l'Union européenne. Troisièmement, l'arrivée d'une nouvelle administration américaine dont il faut saisir au plus vite les potentialités, avant que les habitudes ne reprennent le dessus. Quatrièmement, la redéfinition du concept stratégique de l'Otan, qui date de 1999.

Voilà les circonstances qui militent en faveur d'une initiative française.

Que voulons-nous faire dans l'Otan et que voulons-nous faire de l'Otan ? C'est la seconde question qui importe.

Notre Nation entend faire partager ses convictions. Pour la France, l'Otan doit d'abord être un instrument de défense destiné à la protection de ses membres. Elle doit être avant tout une alliance militaire, fondée sur des valeurs communes, et non une sorte de fer de lance occidental agissant partout et sur tout. En dehors de cela, elle est au service du droit international et ne peut être l'outil d'un interventionnisme unilatéral. Nous voulons défendre la règle du consensus au Conseil atlantique, dont dépend la prise en compte de nos positions. Nous voulons alléger et simplifier les structures actuelles. Nous voulons, dans le cadre des accords « Berlin plus », donner à l'Union européenne le pouvoir d'utiliser réellement les moyens de l'Alliance. Nous voulons, en réinvestissant l'Otan, permettre à notre pays d'influer plus largement sur la définition des stratégies et la conduite des opérations. Nous voulons que la Russie soit traitée en partenaire.

C'est à Paris, en mai 1997, que fut signé, à l'initiative de la France et de l'Allemagne, l'acte fondateur sur la coopération et la sécurité mutuelles entre l'Otan et la Russie. La France, avec son partenaire allemand, croit à la nécessité de respecter la Russie. Cette grande nation européenne doit être amenée à contribuer aux équilibres du monde. Depuis le XVIIIe siècle, ce pays immense a toujours été au centre des équilibres européens. Comme avec les États-Unis, nous avons des liens particuliers avec le peuple russe qui, par deux fois, en août 1914 et en 1944, contribua à sauver la France.

Le dialogue et la collaboration avec Moscou sont parfois difficiles mais indispensables. Ils ne peuvent se limiter à un face à face avec les États-Unis. L'Europe doit y avoir sa place. Nos relations avec la Russie ne doivent pas être bousculées par des élargissements précipités de l'Alliance atlantique. En retour, la Russie doit respecter l'indépendance des pays qu'elle a elle-même acceptée. Nous avons en partage la stabilité et la sécurité de notre continent. Nous sommes communément menacés par les risques de dissémination nucléaire et le développement des armes balistiques de moyenne portée. Face à cette menace potentielle, c'est ensemble que nous pourrions imaginer un système de défense anti-missile compatible, étant entendu que pour la France ceci ne peut être qu'un complément à la dissuasion sans s'y substituer. De l'Atlantique à l'Oural, c'est ensemble que nous devons définir un nouveau pacte de sécurité continental !

La France rejoint l'Otan pour donner à l'Europe de la défense sa véritable dimension. Pourquoi l'Europe reste-t-elle encore en ce domaine, et malgré les progrès accomplis, en deçà de ce qu'elle devrait être ?

La raison en est simple et elle n'est pas nouvelle : pour nos principaux partenaires européens, un pas de plus vers l'Europe de la défense fut longtemps considéré comme un pas en arrière dans l'Otan. Cette crainte inhibe les initiatives. Nous voulons la dissiper. Nous voulons stopper ce jeu à somme nulle qui consistait à monter l'Europe de la défense contre l'Otan et l'Otan contre l'Europe de la défense. Nous voulons sortir l'Europe de cette impasse en allant convaincre nos partenaires là où ils sont, c'est-à-dire à l'Otan. Voilà le sens de l'initiative du Président de la République.

Pour audacieuse qu'elle soit, cette initiative n'est pas totalement inédite. En 1990, alors que le débat sur l'architecture européenne post guerre froide battait son plein, François Mitterrand s'interrogea sur la façon de résoudre la triple équation que nous avons décidé de trancher. Comment réconcilier le statut particulier de la France et sa participation croissante dans les nombreuses activités de l'Alliance ? Comment peser sur les évolutions de l'institution atlantique ? Et enfin, comment du même coup, faire émerger une défense européenne digne de ce nom ?

Le Président Mitterrand tenta de résoudre cette équation, sans y parvenir. Entre 1995 et 1997, Jaques Chirac lança, très officiellement, une initiative destinée à replacer la France dans l'Otan avec, pour contrepartie, l'attribution du commandement de la zone sud et le renforcement du pilier européen de défense. L'initiative, on le sait, échoua.

Aujourd'hui, le Président de la République renouvelle les termes de cette ambition, avec la conviction que les conditions s'y prêtent et qu'il faut agir maintenant. Elles s'y prêtent car les États-Unis reconnaissent enfin l'utilité et la légitimité d'une Europe de la défense plus solide. Elles s'y prêtent, car l'Europe prend chaque jour un peu plus ses responsabilités.

Sous la présidence française de l'Union européenne, plusieurs décisions ont été actées. Une direction de la planification civile et militaire sera créée au mois de juin prochain. Elle disposera d'une composante déployable. Des projets capacitaires à géométrie variable, tels que la création d'une flotte de transport aérien stratégique et le lancement d'un programme de satellites d'observation militaire, sont lancés. Les 23 opérations civiles ou militaires prouvent que l'Europe est en mesure de faire entendre sa voix et sa force.

C'est le cas dans le Golfe d'Aden face aux pirates. C'est le cas au Tchad où nous avons permis le retour de 40 000 réfugiés. C'est le cas en Géorgie où l'Europe surveille la situation. Ce pourrait être enfin le cas pour sécuriser les frontières de Gaza. Au coeur de toutes ces opérations, il y a la France, bien décidée à donner à l'Union européenne l'audace qui lui fit, par le passé, trop souvent défaut.

Nous connaissons les critiques de l'opposition. Et nous les croyons peu convaincantes. Notre indépendance et notre autonomie, dit-elle, seront réduites. Nous avons répondu à cette contrevérité qui ignore le fonctionnement de l'Alliance atlantique. En toute hypothèse, le destin de la France ne se décide pas dans des comités ! D'autres, dans l'opposition, prétendent que notre réintégration -dont ils conviennent qu'elle est déjà très largement engagée- est inutile. Mais si elle est inutile comme ils le disent, notre pleine participation à l'Otan n'a donc pas la gravité qu'ils tentent par ailleurs de démontrer ! Nous avons répondu qu'il fallait sortir du statu quo pour provoquer au sein de l'Alliance et de l'Europe une nouvelle donne.

En mal d'arguments solides, l'opposition évoque enfin la question du symbole. C'est un argument que nous ne balayons pas d'un revers de main. Notre histoire est traversée de symboles. Quarante ans après la décision de 1966, que nous soyons encore là à évoquer l'héritage du général de Gaulle, cela soulève en nous une fierté et une immense gratitude pour l'homme du 18 juin. Mais, toute sa vie, le Général s'est défié des situations acquises. Les circonstances dictent les actes. Les actes doivent anticiper les situations de demain et non reproduire celles d'hier. Seuls comptent le rang et l'intérêt de la France. Or rien n'est plus contraire à notre rayonnement que la nostalgie. La donne géopolitique a changé, nous prenons l'initiative ! Nous la prenons en Europe, à l'ONU, au G20, dans l'Alliance atlantique. Nous sommes en mouvement, l'opposition est à l'arrêt. Nous regardons le monde, l'opposition s'observe. Nous tentons de saisir le cours de l'Histoire, l'opposition tente vainement de la freiner.

Pour tous les peuples qui se font une certaine idée de notre République, la France reste la France ! Les circonstances évoluent, les structures changent, mais notre axe demeure : c'est celui de la grandeur. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre ; M. Gilbert Barbier applaudit aussi)

M. le président.  - Acte est donné de la déclaration du Gouvernement sur la politique étrangère de la France dont il vient d'être donné lecture au Sénat.

La séance, suspendue à 17 h 10, reprend à 17 h 15.

présidence de Mme Catherine Tasca,vice-présidente