Débat sur la crise financière internationale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat, à la demande du groupe CRC-SPG, sur la crise financière internationale et ses conséquences économiques.

M. Bernard Vera.  - La crise financière est loin d'être terminée. Elle trouve son prolongement dans le champ de l'activité économique et des réalités sociales de notre pays, comme des autres pays d'Europe.

Ce débat, organisé à notre initiative, doit permettre de faire un point précis sur la situation et son interprétation.

Le sommet de Londres, qui a réuni le G20, devait, aux dires de l'Élysée, « tout changer ». Mais si l'opinion publique avait manifesté bien des attentes, grand a été son scepticisme à la suite des discussions qui y ont été menées. Malgré le battage médiatique, il est clair que les décisions prises au cours de ce sommet ne modifieront rien dans la situation économique.

L'objectif était précis : comment permettre aux pays occidentaux et au Japon, embourbés dans la crise systémique des marchés financiers, de solliciter auprès des économies émergentes les moyens de renflouer les caisses de leurs établissements financiers en difficulté ? Pour masquer le véritable enjeu, c'est-à-dire le maintien coûte que coûte de l'ordre actuel des choses, on a agité quelques pistes de réflexion secondaires, qui ne sont que des leurres.

Sur les paradis fiscaux, on a publié une liste noire comprenant quatre pays -essentiels !- sur l'échiquier des transactions financières internationales -Costa Rica, Philippines, Uruguay et Malaisie. Pas trace, en revanche, des territoires situés sur le périmètre même de l'Union européenne ou dans sa périphérie comme Jersey, Guernesey, Andorre, Monaco ou le Liechtenstein. Le déclassement rapide des pays placés sur la liste noire et la montée en charge d'une « liste grise » où se sont discrètement intégrés des pays comme Malte, Chypre, l'Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, tous membres de l'Union européenne, sont autant de signes qu'on ne souhaite pas vraiment s'attaquer au problème. Demain, le canton de Zoug pourra continuer sans trop de risques à exempter largement de toute fiscalité entreprises et gros revenus ; demain, l'État de Delaware pourra jouer au dumping fiscal avec l'État de New York ou celui du Connecticut et le Nevada recycler dans ses casinos l'argent du jeu et la retraite des pensionnés ; demain l'Irlande pourra continuer de s'en sortir en écrasant le taux de l'impôt sur les sociétés et Arcelor Mittal restera une société de droit néerlandais, alors que l'usine de Gandrange ferme et que la moitié de Florange est à l'arrêt. Sans parler de la facilité avec laquelle la City de Londres ou les services juridiques belges accueillent les entreprises soucieuses de bénéficier de délocalisations le plus souvent immatérielles mais fort rentables en termes d'exemption fiscale.

En prétendant lutter contre les paradis fiscaux exotiques, on laisse de côté ce que M. Daniel Lebègue appelle les « trous noirs » de la finance, ces lessiveuses d'argent pas toujours honnêtement gagné, qui fonctionnent au coeur même des pays les plus développés. La lutte contre les paradis fiscaux ne dépasse pas le stade de la proclamation.

Sur les agences de notation, qui ont failli en gratifiant d'une bonne note certains établissements financiers en déroute, l'étonnement de certains a de quoi surprendre. Les agences ne notent que quelques entités économiques, celles qui font appel public à l'épargne ou qui sont cotées en Bourse. Qu'attend-on pour confier aux banques centrales, autorités indépendantes des marchés financiers, une mission de notation de toutes les entreprises et de tous les établissements financiers, mission de service public garantissant la transparence sur la situation réelle des entreprises ? Mais on en reste aux déclarations d'intention.

Quant à la rémunération des traders, qui est le plus coupable dans l'affaire Kerviel ? Les traders ne sont que les opérateurs de stratégies bancaires et financières définies par leur employeur. Et si la Société Générale a préféré un temps les produits dérivés au lieu d'aider au développement des entreprises françaises, elle est directement responsable de ses difficultés. Mais on a fait des traders les boucs émissaires bien commodes d'une crise du capitalisme que l'on cherche à présenter comme passagère.

Or, la crise financière et économique internationale n'est pas simple affaire de dérèglement des marchés financiers, dont une plus grande régulation, ou un renforcement du contrôle administratif seraient susceptibles de venir à bout. Ce que l'on a présenté comme les « avancées » du G20 ne peuvent masquer l'essentiel. Car les deux dispositions principales décidées au sommet de Londres consistent précisément à encourager la poursuite des pratiques anciennes. Ainsi annonce-t-on un renforcement des moyens du Fonds monétaire international et des autres institutions financières internationales, à hauteur de 1 000 milliards de dollars, qui devraient être largement ponctionnés sur les disponibilités des pays émergents. Pour quelles politiques ? Dans la mesure où rien ne figure dans les conclusions de Londres sur l'aide au développement des pays du Sud, l'accès à l'eau, par exemple, il est à craindre que les ressources du FMI soient mobilisées au secours de la crise financière.

Ainsi, si l'on mobilise 19 milliards de dollars pour subventionner des investissements dans les pays les plus pauvres, ce sont 70 milliards de dollars que le gouvernement américain est prêt à engager pour sauver de la faillite la seule compagnie d'assurance AIG, dont les pertes sont supérieures au PIB de 150 des pays de la planète !

En réalité, le G20, loin de mettre en place une nouvelle organisation économique internationale, a surtout permis à chaque puissance de valoriser son plan national de sortie de crise. Ainsi en est-il du plan Geithner, qui applique le vieux principe, « socialisation des pertes, privatisation des profits ». La décote appliquée aux créances douteuses des établissements financiers et des compagnies d'assurance va en effet être supportée, pour l'essentiel, par le Trésor américain, donc par le contribuable. Et, au-delà, par l'émission de nouveaux titres de dette publique sur les marchés financiers. Le plan Geithner, c'est en effet 66 % de la valeur d'une créance en contrepartie d'un engagement du Trésor.

Les désaccords persistants sur la convergence des politiques économiques des gouvernements du G20 témoignent que la règle du chacun pour soi prime sur toute autre. D'aucuns se félicitaient lundi encore que le nombre des chômeurs, dans notre pays, progresse moins vite qu'en Espagne ou aux États-Unis. Mais faut-il rappeler que le droit du travail, dans notre pays, malgré ses pesanteurs, permet de protéger les salariés du licenciement à effet immédiat ?

Et chez nous le chômage partiel et l'exercice du droit à la formation préservent parfois du chômage total !

Les mauvaises habitudes n'ont pas été oubliées. Malgré les louables efforts de René Ricol et de ses collaborateurs, les banques de notre pays continuent de snober la demande de crédit des PME et TPE, trop occupées sans doute à attribuer à leurs dirigeants parachutes dorés, stock-options et autres retraites chapeaux ! Avec celle de Daniel Bouton, il y avait de quoi sauver quelques-unes des PME qui ont déposé leur bilan ou ont été placées en redressement judiciaire depuis l'automne...

Le capitalisme n'est pas à refonder, en se contentant de mesures temporaires avant de reprendre les pratiques anciennes. L'ordre des choses, économique et social, au plan national, européen ou international, doit être profondément modifié. Une véritable sortie de crise, c'est autre chose que le sommet du G20 !

Au niveau national, le Gouvernement doit constituer un pôle public financier, destiné à faciliter l'accès au crédit des PME et TPE et à allouer la ressource disponible à l'activité créatrice de richesses et d'emplois. Évidemment, il faut revenir sur la privatisation des établissements financiers, privatisation qui ne se comprend plus quand l'État se déclare prêt à engager 360 milliards pour recapitaliser les établissements de crédit... Et la révélation d'un nouveau trou de 5 milliards à la Société Générale montre la gravité de la situation.

Que faire au niveau européen ? La question est d'actualité, au moment où l'on lockoute le débat à un mois du renouvellement du Parlement. La Banque centrale (BCE) doit cesser d'être la gardienne d'une orthodoxie monétariste et libérale qui a failli : ce sont les choix de Maastricht, de Nice, de Lisbonne qui sont en cause ! La Banque centrale doit donc devenir l'instrument d'un financement de l'économie valorisant le potentiel de chaque pays membre, favorisant les coopérations transfrontalières, générant richesses et emplois, développant formation et promotion professionnelle des salariés. Tournons le dos aux politiques d'allégement du coût du travail et de dumping fiscal, tournons le dos à la directive Bolkestein et à ses avatars. L'Europe sociale, c'est d'abord une BCE recentrée sur l'aide à l'économie.

Au niveau international, nous ne pouvons nous contenter des conclusions d'un G20, où les plus riches tentent désespérément de maintenir leurs positions dominantes. Quitte à s'affronter, il faut profondément transformer les conditions d'intervention du FMI, en réduisant le poids excessif du droit de vote des États-Unis et en développant les droits de tirages spéciaux, lesquels doivent devenir l'alternative à la suprématie d'un dollar sans cesse dévalué mais toujours prédominant. Les puissances occidentales ne peuvent plus ignorer la place de nouvelles économies dans le concert des nations : le FMI, dans sa composition, dans ses interventions, doit en tenir compte. Que dire du peu de place accordée au Sud par le sommet de Londres ? Et nos réflexions sur le FMI valent aussi pour l'OMC. Le libéralisme appliqué à la mondialisation a fait son temps. Ici, en Europe, comme dans le monde. (Applaudissements à gauche)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Il y a un an, les carnets de commandes étaient pleins, les bourses mondiales au plus haut. Aujourd'hui, toutes ont plongé, les carnets de commandes sont vides et les nouveaux chômeurs se comptent par centaines de milliers dans le monde. Les dirigeants économiques et politiques sont totalement pris au dépourvu devant une crise qu'ils n'avaient pas anticipée. John Galbraith avait raison d'énoncer que la prévision économique est aussi fiable que l'astrologie est proche de la science. Néanmoins, la politique étant l'art du possible, nous devons vouloir concrétiser les espoirs qu'a pu faire naître le G20 de Londres.

Tout passe par la mise en place de nouvelles règles de fonctionnement du système financier international. Cette crise doit être l'occasion de redéfinir les relations entre les banques et l'économie réelle afin de débloquer l'accès au crédit. Nous avons besoin d'une éthique financière : cette affirmation qui, il y a encore un an, aurait prêté à sourire, s'impose aujourd'hui comme le principal enseignement d'une crise qui est, avant tout, une crise de l'avidité, des excès de la finance et des défaillances des autorités de régulation. Nous devons peser avec nos alliés européens sur l'organisation financière internationale.

La crise nous montre que les marchés sont incapables d'éviter, seuls, les effets systémiques. Leur fonctionnement doit relever d'une responsabilité publique et donc politique. Il faut par conséquent institutionnaliser la surveillance et l'organisation des marchés nationaux et mondiaux par l'instauration d'organes appropriés.

Il est indispensable de revoir les priorités de la régulation financière à travers la mission et le statut des régulateurs. La protection des épargnants non professionnels, le bon fonctionnement des marchés, la lutte contre les abus et les manipulations constituent ces priorités ; il faudra désormais y ajouter l'encadrement du risque.

Aujourd'hui, la seule transparence des marchés financiers ne suffit plus, il faut créer des outils de régulation et de contrôle qui pourraient reposer sur des principes simples mais efficaces : la standardisation internationale par le retour aux normes comptables antérieures et la responsabilisation des autorités de marché. La règle Mark-to-Market imposant une évaluation des actifs à la valeur du marché et les normes IFRS doivent être reconsidérées. Il est urgent de redonner du sens aux transactions financières afin qu'elles ne soient plus uniquement des opérations spéculatives complexes, désordonnées et déconnectées du réel. Il nous faut maîtriser l'ensemble du processus de chacune des opérations des marchés. Cela suppose de renforcer le pouvoir de contrôle et de sanction des sociétés de cotation par une autorité supérieure, sur la base de normes internationales et uniformes. Aucun pays ne pourra efficacement fixer ses propres règles normatives si celles-ci ne sont pas reconnues par tous les autres.

La liquidité, indispensable au bon fonctionnement du système international, est, en dernier ressort, assurée par les banques centrales dont le rôle est majeur tant dans la supervision des établissements financiers que dans la structuration du marché. Il serait donc judicieux de responsabiliser les agences de notation : en demandant qu'elles s'enregistrent par zone monétaire d'intervention ; en organisant la reconnaissance mutuelle entre leurs régulateurs ; en différenciant les échelles de notation entre les produits financiers et les entités ; en donnant toute indication sur la liquidité des marchés des produits notés par les agences.

La crise de 29 entraîna une réorganisation du secteur bancaire, à la demande du législateur américain. Le Congrès adopta le 16 juillet 1933 le Glass-Steagall Act qui instaura une séparation stricte des activités des banques commerciales gérant les dépôts et crédits consentis aux particuliers, de celles des banques d'investissement qui émettent des actions ou des obligations sur le marché boursier. Cette disposition, qui reprend aujourd'hui tout son sens, a perduré dans la législation américaine jusqu'en 1999, et a été abrogée par le Congrès sans que le Président Clinton n'y mette son veto. L'abrogation à caractère protectionniste du Glass-Steagall Act devait permettre aux banques américaines de faire face à la concurrence internationale. Elle a surtout ouvert la porte aux subprimes et autres produits dérivés. Si bien que, dix ans plus tard, cette compétition biaisée entre banques commerciales et banques d'investissement a tourné très largement à l'avantage des premières qui bénéficient des fonds propres de leurs déposants. C'est pourquoi, des banques d'investissement comme Bear Stearns, Lehman Brothers ou encore Merryl Lynch ont pris des risques, au point que, pour 1 dollar de fonds propres, elles en investissaient jusqu'à plus de 30 dans des opérations à haut risque. Aujourd'hui, ces banques ont tout simplement disparu. Aussi, le groupe du RDSE regrette-t-il que le G20 de Londres n'ait pas pris la principale mesure qui pourtant s'imposait : instaurer un Glass-Steagall Act à l'échelle mondiale. (M. Joël Bourdin applaudit)

Mme Nicole Bricq.  - La réforme constitutionnelle institue chaque mois quinze jours de débat et de contrôle du Parlement. Nous ne l'avons pas votée et, pourtant, nos rangs sont singulièrement plus fournis que ceux de la droite qui l'a votée.

M. Charles Gautier.  - Ils ne sont pas là !

M. Joël Bourdin.  - Il y a les meilleurs...

Mme Nicole Bricq.  - Il faut dire que la commission des finances a inscrit à son ordre du jour de demain matin un débat sur la crise financière ! C'est incohérent ! Il faut revoir tout cela, sous peine de palabrer devant un hémicycle dégarni, surtout à droite...

M. Charles Gautier.  - C'est du cinéma !

Mme Nicole Bricq.  - Avec François Marc et Bernard Véra, j'appartiens au « G24 » qui a décidé de travailler, sérieusement, sur la crise financière, et dont on a beaucoup parlé ces derniers jours, pas toujours pour de bonnes raisons...

Avant le G20 de Washington, nous avions établi un diagnostic partagé : déformation du partage capital-travail, développement irresponsable du crédit aux États-Unis, taux de rentabilité à deux chiffres sans rapport avec l'économie réelle, hypertrophie des marchés financiers et pratiques financières à risque, règles comptables inadaptées. Il en découlait des propositions de réforme.

Ce modèle a perduré pendant trente ans sans que l'on s'interroge sur sa fin, sur ses fins.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.  - Vous non plus !

Mme Nicole Bricq.  - Aucun gouvernement ne s'est plus interrogé sur son impuissance alors qu'il transposait des directives européennes technocratiques et sans légitimité politique.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Y compris les vôtres...

Mme Nicole Bricq.  - Je parle du groupe de travail, monsieur le ministre : vous retrouverez mon propos mot pour mot dans le texte remis au Président de la République.

Avec la crise, l'État saura-t-il s'opposer à la toute-puissance du marché ? Tout l'intérêt du travail parlementaire est de poser ces questions sans gommer nos divergences sur la place de l'État, le niveau de la relance ou les contreparties à exiger. Et, puisque le débat a été initié par nos collègues du groupe CRC-SPG, on permettra aux socialistes, qui reconnaissent l'économie de marché, de souligner qu'il n'est pas question de revenir aux Trente Glorieuses, trop souvent présentées comme un monde enchanté malgré la brutalité de leurs inégalités. Dans cette crise qui, contrairement à celle de 1929, a un caractère mondial, nous voulons une juste reconnaissance du travail et de la finitude des ressources naturelles ainsi qu'une allocation de ressources à ceux qui ont besoin de la solidarité nationale.

Lors de la mission que la commission des finances a effectuée la semaine dernière aux États-Unis, nous avons rencontré des opérateurs, des banquiers, des agences de notation, des membres de think tanks démocrates et républicains et tutti quanti. Nous avons mesuré combien les libéraux -car il en reste, comme en France- craignent que le président Obama applique ses mesures pour la santé et l'éducation dans son plan de relance car, dans cette rude bataille pour les crédits, ils considèrent qu'il s'agit en priorité de repartir comme avant, comme pour une simple purge du système financier.

La confrontation des modèles de société n'a pas lieu en France de la même manière. Toutefois, lorsque nous nous opposons à une mesure fiscale ou que nous débattons de l'ampleur de la relance, c'est bien au nom de conceptions différentes. Cette crise constitue un révélateur qui nous oblige à développer nos propositions pour la société que nous voulons pour le XXIe siècle. -j'y reviendrai demain. Finalement, de même que le XXe n'avait commencé qu'en 1914, celui-ci a commencé en 1989 avec la chute du mur de Berlin qui a acté la mondialisation. La crise de 2008 se situe dans cette continuité : elle traduit la globalisation financière. Et nous tenons qu'il ne peut y avoir de globalisation sans organisation financière, économique et sociale. (Applaudissements à gauche)

M. Thierry Foucaud.  - Nous partageons les propos liminaires de Mme Bricq quant à la tenue du débat.

Il doit être replacé dans la perspective d'une remise en question de la marche actuelle de l'économie. La crise systémique des marchés financiers n'est en effet que la queue de la comète. A écouter certains, on pourrait croire qu'il n'y a pas eu de crise avant l'été 2008, comme si quelques pays émergents, tigres et dragons, faisaient le compte. Cette version est trompeuse car la tempête financière de l'automne a été précédée de bien d'autres depuis quarante ans que nous sommes entrés dans un cycle de crises économiques et financières. Depuis que le président Nixon a décidé de payer en dollars dévalués l'addition de l'aventure vietnamienne, on a connu bien des récessions, on a vécu la libéralisation des marchés financiers, les ajustements structurels imposés par le FMI aux pays en voie de développement, le renforcement de la compétition entre l'Europe, les États-Unis et le Japon -les auteurs des traités européens portent donc leur part de responsabilité de la crise. On a connu le chômage de masse, la réduction du coût du travail, les privatisations des établissements financiers, y compris de ceux qui avaient été nationalisés en 1945, le dumping fiscal, la réduction des dépenses publiques. Nous comptons officiellement plus de deux millions de chômeurs. Plus tous les autres... Et l'on voudrait nous faire croire que la crise a débuté à l'automne, qu'elle ne serait qu'un effet de celle de l'été ? Mais l'an prochain, malgré toutes les radiations, les Pôle emploi, comptera-t-on entre deux millions et demi et trois millions ou entre trois et quatre millions de chômeurs ?

On s'étonne que les banques soient en difficulté alors qu'elles sont en délicatesse avec leur métier naturel qui est de financer l'économie et que leurs dirigeants font assaut d'imagination pour se rémunérer grassement. Le secteur bancaire français a été privatisé de 1986 à 1997 : si la Société Générale était restée publique, aurait-elle connu une affaire Kerviel, une affaire Bouton ? La crise financière a des origines lointaines et si l'on regarde l'échelle de Richter des séismes financiers, on retrouve la décision de laisser flotter le dollar, la récession de 1975, l'éclatement des bulles immobilière et internet... Aujourd'hui, cependant, c'est le coeur du système financier qui est frappé, à Wall Street comme à La City.

Alors s'agit-il seulement de savoir comment s'en sortir pour faire comme si rien ne s'était passé ? A l'instar des groupes américains en France, chacun essaie de sauver sa position quel qu'en soit le coût social. Les Caterpillar et les Molex, les ex-Motorola et les ex-General Motors rapatrient les brevets et licencient. L'emploi sert de variable d'ajustement car il faut faire très vite. Les entreprises ferment et l'on fait appel à la bourse mais la stratégie la plus utilisée consiste à faire appel aux fonds publics pour combler des trous béants.

Tout laisse penser que demain les engagements du Fonds stratégique d'investissement serviront, au motif de soutenir l'industrie française, à accompagner des plans de suppressions d'emplois et des restructurations. Il ne faut pas compter sur les parlementaires du groupe CRC-SPG pour accepter des opérations financières qui se traduiraient par la destruction de centaines ou de milliers d'emplois.

La crise actuelle clôt le long cycle de libéralisme commencé il y a quarante ans ; tout ce qui le prolongera conduira immanquablement à des désordres encore plus graves pour le devenir des peuples. Une autre vision nous anime : coopération et solidarité, dialogue économique avec le sud, développement des potentiels de la planète, recherche d'un développement respectueux des besoins sociaux et de l'environnement. Cette voie est difficile mais nécessaire ; c'est celle que nous appelons de nos voeux avec les salariés de France et d'Europe, avec les peuples d'Afrique et d'Amérique du sud qui veulent se libérer du libéralisme. (Applaudissements à gauche)

M. Joël Bourdin.  - (On moque à gauche le peu de soutien dont dispose l'orateur dans l'hémicycle) Je m'en tiendrai au cas européen, même si je n'oublie pas que la crise actuelle est née outre-Atlantique de l'insouciance de la gouvernance financière américaine. Cette crise soumet l'Union européenne à rude épreuve et met en avant les faiblesses de son dispositif économique, financier et monétaire. Si, grâce à la présidence française, l'Union a pris la mesure des problèmes et réfléchi aux moyens de les surmonter, imperfections, divergences et fractures naissantes demeurent.

Les imperfections tiennent aux écarts de réactivité des États et aux dispositifs conjoncturels qu'ils ont improvisés. Les différents plans de relance traduisent en effet des analyses divergentes. Tandis que la France a privilégié l'investissement, la Grande-Bretagne a surtout cherché à stimuler la consommation. Tout le monde s'est cependant retrouvé dans une politique actionnant ces deux leviers, ce qui semble aller dans le bon sens. Mais les divergences de fond des politiques économiques n'en sont pas moins réelles.

Dans la zone euro, l'Allemagne -ce n'est pas une nouveauté- fonde sa stratégie sur la déflation compétitive et la compression de la masse salariale, ce qui lui permet de dégager d'importants excédents commerciaux. L'inflation y est une des plus faibles d'Europe. Son influence sur l'euro est plutôt à la hausse. L'Espagne compte en revanche sur la consommation pour effectuer son rattrapage. Les salaires y ont eu tendance à augmenter au-delà de la productivité, l'inflation a accompagné le mouvement : sa balance commerciale s'est détériorée. Son influence sur l'euro est plutôt à la baisse. La France est entre les deux modèles. Comme l'Allemagne, mais en moins bien, elle ajuste ses salaires à l'évolution de la productivité, elle est plutôt un bon élève de l'inflation. Mais comme l'Espagne, elle connaît un commerce extérieur déficitaire.

Ces différents modèles en réalité se contrarient, l'Allemagne accaparant des parts de marché dans la zone euro et hors d'elle. Ce qui n'est pas sans incidence financière et monétaire. Une union monétaire n'est en effet viable que s'il existe entre les États une convergence de points de vue et une solidarité financière. Si celle-ci existe formellement, celle-là est loin d'être évidente. La Banque centrale ne peut ainsi avoir une politique qui satisfasse simultanément tous les États. Si ces disparités ne sont pas à l'origine de la crise actuelle, elles en préparent d'autres : plus elles seront grandes, plus le concept de politique monétaire unique en Europe sera vain.

Les divergences de politiques économiques conduisent à des situations financières malsaines et inquiétantes. La Grèce par exemple, dont l'état est très dégradé, emprunte aujourd'hui à 2,5 % au-dessus du taux concédé à l'Allemagne, qui est le pays référent. Cet écart, qui vaut aussi pour d'autres pays, est appelé à se creuser au fur et à mesure que la crise s'approfondira, ce qui soumettra les pays concernés à un enfer financier.

Tout cela n'est pas encourageant, notamment pour les investisseurs étrangers. Je crains que ce phénomène cumulatif ne produise une grave crise financière en Europe ; la solidarité financière est en effet vouée à l'échec en cas de déséquilibres structurels permanents, surtout si ces déséquilibres touchent plusieurs pays, comme c'est le cas aujourd'hui avec l'Irlande, le Portugal, l'Espagne et la Grèce.

J'appelle le Gouvernement à ne pas relâcher les efforts accomplis sous la présidence française. Les trajectoires divergentes doivent être corrigées, il y va de la survie de l'euro après la crise.

J'en viens aux fractures, déjà bien visibles et douloureuses dans les pays émergents d'Europe. Les pays de l'est qui espèrent l'euro connaissent une véritable débâcle. Dopés par la perspective de rattraper le niveau de vie des pays occidentaux et peu habitués à gérer les variables monétaires, ils ont laissé aller leur endettement, un endettement libellé qui plus est en devises. Dans les pays baltes, 80 % de la dette des ménages et des entreprises est libellé en euros ou en couronnes suédoises. Ce niveau d'endettement appelle des mesures drastiques ; tandis qu'une dévaluation de leur monnaie aggraverait leur situation, certains États se sont lancés, tels la Lettonie, dans une politique déflationniste qui comprime brutalement la dépense publique et même les salaires... Politique qui n'est guère soutenable sans effet sur les autres États de l'Union et sur l'euro lui-même, certaines banques de la zone euro, autrichiennes et allemandes notamment, étant fortement engagées dans ces pays. Tout défaut de paiement d'importance ne serait pas sans conséquence... Au vu de la conjoncture, on peut se demander si le pire n'est pas devant nous. Quel est le sentiment du Gouvernement sur cette question, monsieur le ministre ?

Mon propos peut sembler pessimiste ; il se veut au contraire encourageant. L'Europe est une affaire sérieuse, il faut examiner sans complexe les problèmes qu'elle connaît.

Je sais que nous sommes capables de mettre fin au désordre économique européen, et je fais confiance au Gouvernement qui a su, l'an dernier, redonner des couleurs à l'Europe trop longtemps engoncée dans ses procédures administratives. (Applaudissements à droite)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.  - Devant la crise financière qui s'est abattue soudainement sur le monde, le Président de la République et le Gouvernement ont fait preuve de réactivité et d'une forte capacité d'entraînement en Europe.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ils ont surtout fait preuve d'agitation !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - La dernière réunion du G20 fut l'occasion de prendre des décisions très importantes ; je m'étonne que certains d'entre vous le contestent.

Mme Nicole Bricq.  - Vous comprendrez demain matin !

M. Jean-Louis Carrère.  - Pardonnez-nous d'être dans l'opposition !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Il ne me gêne nullement que vous y demeuriez...

Dès le 12 octobre 2008 le Président de la République a réuni les chefs d'État et de gouvernement de l'Eurogroupe et du Royaume-Uni pour apporter une réponse coordonnée à la crise bancaire. Mme la ministre de l'économie a beaucoup oeuvré, au niveau européen et dans le cadre du G7, pour faire adopter un cadre commun de relance.

Je ne m'attarderai pas sur les mesures de financement de l'économie et d'aide aux PME. Au niveau international, la France a cherché à promouvoir une réforme du système financier. Nous sommes parvenus lors du G20 à des résultats importants, unanimement salués dans le monde. Régulation, transparence, connaissance et contrôle : tels furent les maîtres-mots de cette réunion.

S'agissant des « paradis fiscaux », la liste noire de l'OCDE n'existe plus : les quatre pays qui y figuraient -le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l'Uruguay- se sont engagés à respecter les conventions internationales.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ils tremblent encore ! C'est un gag, ce débat !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Les pays de la « liste grise », qui ont pris des engagements mais ne les respectent pas, doivent être surveillés et accompagnés dans leurs efforts.

L'action engagée contre les juridictions non coopératives doit être étendue aux domaines de la supervision prudentielle et du blanchiment. Nous veillerons au respect des standards internationaux et n'hésiterons pas à faire inscrire sur la « liste noire » les États qui n'auront pas respecté leurs engagements.

Le G20 a également demandé aux institutions financières internationales d'élaborer une « boîte à outils » de sanctions d'ici septembre et d'établir un rapport sur les liens qu'elles entretiennent avec les juridictions non coopératives, qui doivent être rompus.

On n'a pas beaucoup entendu parler des hedge funds, qui sont pourtant au coeur de la crise.

Mme Nicole Bricq.  - Demain !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Le G20 a décidé de leur imposer une régulation spécifique : immatriculation obligatoire, transparence dans la gestion, contrôle des engagements des banques. La France a demandé à la Commission européenne de décliner ces principes au niveau européen dans une directive. La nouvelle réglementation devra mieux protéger les investisseurs.

Nous avons également obtenu des avancées significatives dans le domaine des agences de notation : celles-ci portent une lourde responsabilité dans le déclenchement de cette crise due à une mauvaise appréciation des risques. Elles seront enregistrées ; un code de bonne conduite permettra d'éviter les conflits d'intérêts. Ces principes sont déjà mis en oeuvre au niveau européen : un règlement relatif à l'enregistrement et la réglementation des agences de notation, élaboré par la Commission à la demande de la présidence française, a été adopté le 23 avril par le Parlement européen. Ce résultat fut obtenu en moins d'un an.

Monsieur de Montesquiou, vous proposez de revenir au Glass-Steagall Act, c'est-à-dire à la séparation des banques de dépôt et des banques d'investissement. Cela démontre votre excellente connaissance de l'histoire économique et financière. Mais les banques d'investissement sont indispensables au financement de notre économie, notamment de nos grandes entreprises, et leur adossement aux banques de dépôt est un gage de stabilité. Le système bancaire français s'est d'ailleurs révélé plus solide que les autres au cours des derniers mois. En revanche, je tombe d'accord avec vous sur la nécessité de renforcer les contrôles prudentiels.

D'autres proposent de nationaliser les banques.

M. Thierry Foucaud.  - Ça s'est déjà vu !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Mais les exemples du passé nous montrent que ce n'est ni un gage d'efficacité, ni une assurance contre les risques : rappelez-vous les affaires du Crédit Lyonnais et du Gan. (M. Alain Fouché approuve)

En ce qui concerne les politiques de rémunération, il est évident que si les émoluments des traders sont déconnectés de la rentabilité finale de leurs investissements, cela les encourage à monter des opérations risquées. Le Gouvernement est mobilisé pour faire appliquer les nouvelles règles au plus vite. A l'initiative de Mme Lagarde, la place financière française a proposé de nouvelles normes.

J'en viens aux institutions financières internationales. La crise a montré que certains établissements sont trop grands pour être supervisés efficacement. Il est donc nécessaire d'encourager la coopération entre les collèges de superviseurs au niveau mondial. Nous avons confié cette mission au forum de stabilité financière.

M. de Montesquiou a souhaité que l'on renforce les institutions de contrôle et de surveillance. C'est aussi le voeu du Gouvernement. Le G20 a renforcé les prérogatives du FMI, chargé d'alerter la communauté internationale des risques financiers et des déséquilibres macroéconomiques, mais aussi de venir en aide aux pays émergents et en développement. Un nouveau Conseil de stabilité financière, qui comprend les membres du G20, l'Espagne et la Commission européenne, est venu remplacer le forum de stabilité financière et a été chargé du suivi des mesures de régulation.

Je reconnais, monsieur Vera, qu'il est urgent d'aider les pays les plus pauvres. Il faut augmenter les ressources du FMI qui leur sont destinées. Dans l'immédiat, des lignes de crédit bilatéral seront débloquées pour un total de 250 milliards de dollars ; le Japon a pris des engagements, et la France doit contribuer à cet effort à hauteur de 15 milliards de dollars. Nous devons également débattre de l'élargissement du volume et des participants des nouveaux accords d'emprunt. Si ceux-ci entraient en vigueur avant l'été, ce serait un signe fort adressé à la communauté internationale.

Nous avons également progressé dans nos efforts pour déterminer des normes comptables et prudentielles, même si nous aurions voulu aller plus loin. La nouvelle réglementation devra prévenir la formation de bulles spéculatives et l'émergence de crises, et le cas échéant atténuer leurs effets. Le G20 a posé les fondations pour une révision de ces règles. Mme Bricq les considère comme procycliques, et, pour une fois, je partage son opinion.

La France est à l'initiative pour promouvoir une réforme profonde et ambitieuse du système financier international.

M. Bourdin a donné une analyse très précise de l'origine de la crise -outre-Atlantique- et il a bien marqué l'importance des déséquilibres internes de la zone euro. L'exemple de la prime à la casse montre que l'on ne peut en rester à une approche nationale : instituée à la fois en France et en Allemagne, elle a profité aux constructeurs français des deux côtés du Rhin. C'est pourquoi les travaux du G20 sont tellement essentiels. Il y a une fenêtre d'opportunité pour conduire la communauté internationale vers une réforme d'envergure du système financier international. L'exemple des paradis fiscaux montre que l'inimaginable peut devenir possible.

Le Président de la République et le Gouvernement sont pleinement mobilisés pour être à la hauteur de ce rendez-vous historique que la communauté internationale ne doit pas manquer. (Applaudissements sur les bancs UMP)