Convention sur les armes à sous-munitions (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de la convention sur les armes à sous-munitions.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.  - J'ai l'honneur de vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet de loi autorisant la ratification de la convention sur les armes à sous-munitions. J'en suis d'autant plus fier que j'ai signé, au nom de la France, cette convention le 3 décembre dernier à Oslo et d'autant plus ému que je me suis beaucoup engagé pour cette cause, ayant été témoin des effets dévastateurs, destructeurs et scandaleux de ces armes sur les populations civiles.

Cette convention trace un chemin qui mène à leur éradication, partout dans le monde : l'espoir est donc là. Ce texte marque une nouvelle victoire contre l'inhumanité et la barbarie, dont nous avons le plus grand besoin ; une victoire du droit international humanitaire, une victoire du désarmement que nous avons remportée grâce à de nombreuses associations, notamment Handicap international, je veux leur en rendre hommage ; une victoire contre ces armes qui frappent lâchement et aveuglement, des semaines, des mois, parfois des années après leur dispersion.

Selon l'Onu, plus d'un million de ces armes seraient actuellement disséminées dans le monde et tuent ou blessent à jamais, chaque jour, dans une trentaine de pays. Elles ont, comme les mines antipersonnel, pour principales victimes les civils, à plus de 98 % ; et 40 % de ces victimes ont moins de 18 ans. Que d'injustice pour ces enfants et leur famille ! Nous avons tous en mémoire le regard bouleversant de ces enfants du Cambodge, du Laos, d'Afghanistan ou d'Angola qui continuent à grandir dans l'angoisse et la peur parfois des décennies après que les armes se sont tues, de ces enfants mutilés...

M. Aymeri de Montesquiou.  - Et le Liban !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Tout à fait ! Et dans bien d'autres pays encore...

Victimes hier de la violence et de la terreur des combats, victimes aujourd'hui et demain d'armes cachées alors qu'il n'existe plus d'objectifs militaires : voilà la terrible malédiction de ces populations à laquelle nous devons mettre fin.

Je tiens donc à remercier votre assemblée, en particulier le président de Rohan, d'avoir accepté d'inscrire rapidement ce texte à l'ordre du jour de la session extraordinaire, malgré un programme très dense. Je rends également hommage à tous les parlementaires engagés dans ce combat, notamment Mme Gariaud-Maylam et M. Plancade.

A ce jour, dix-sept États ont ratifié la convention. J'espère déposer notre instrument de ratification dans les prochains jours lors de l'assemblée générale des Nations Unies. Ce serait un beau symbole !

Les armes à sous-munitions sont des vestiges de la guerre froide. Destinées à saturer les champs de bataille, notamment contre les regroupements de forces blindées, elles devaient couvrir l'équivalent d'un terrain de foot, avec plusieurs dizaines d'explosifs placées à l'intérieur d'un même conteneur. Or, vingt ans après la chute du mur de Berlin, les conflits relèvent davantage du terrorisme ou de la guérilla -nous venons, hélas !, d'en avoir encore la preuve aujourd'hui-, rendant caduc l'intérêt militaire des ces armes.

Pourtant, elles restent tapies sur le terrain et, plus grave, demeurent, pour 90 % du stock mondial, dans les arsenaux de plus d'une trentaine de nations parmi lesquelles les principales puissances militaires.

Voici plus de trente ans que l'ONU s'est lancée dans cette bataille. Après la signature de la première convention en vue d'interdire certaines armes classiques, notamment les armes à effets traumatiques excessifs ou frappant sans discrimination -telle était alors la définition des armes à sous-munitions- le 10 octobre 1980, il a fallu attendre novembre 2006 pour que son protocole V relatif aux munitions non explosées, entre en vigueur. A cette date, un petit nombre de pays -la Norvège, l'lrlande, l'Autriche, le Saint-Siège, rejoints par la Nouvelle-Zélande, le Mexique et le Pérou- que je salue, s'est donné pour objectif d'aller plus loin en interdisant définitivement les armes à sous-munitions. Une quarantaine de pays, dont la France, les ont rapidement ralliés pour aboutir à une déclaration en février 2008 à Wellington, puis à une convention en mai 2008 à Dublin. Ainsi, ces États pionniers, portés par une opinion publique choquée par les souffrances des civils, ont réussi, en moins de deux ans, à faire adopter cette convention par 98 États et la France peut être fière d'avoir pris sa part. Preuve que le droit international humanitaire et le droit du désarmement, lorsqu'il y a une véritable volonté politique, peuvent avancer vite et loin pour aboutir à un texte fort, ce dont tous les spécialistes conviennent. Fort, ce texte l'est parce qu'il consacre l'interdiction de l'emploi, de la mise au point, de la production, de l'acquisition, du stockage, de la conservation et du transfert des armes à sous-munitions définies comme telles. Fort, parce qu'il impose la destruction des stocks existants dans un délai de huit ans ; délai qui ne peut être prolongé que par accord de la totalité de l'assemblée des États parties pour seulement huit années supplémentaires. Fort, enfin, parce qu'il fixe une obligation de dépollution et de destruction des restes d'explosifs, de nettoyage des territoires contaminés dans un délai de dix ans et d'aide aux victimes par la fourniture d'une assistance médicale et psychologique.

Notre pays a été exemplaire. La France a procédé très tôt à un désarmement unilatéral. Nous avons utilisé ces armes à sous-munitions ; ce temps est révolu depuis la guerre du Golfe de 1991. Nous avons fabriqué ces armes ; ce temps est révolu depuis 2002. Entre 1996 et 2002, la France a en outre retiré de ses stocks tous les systèmes d'armes concernés.

Tout au long des négociations menant à la conférence de Dublin, dont elle était vice-présidente, la France a fait le pont entre la Norvège, à la tête des pays précurseurs, et les grands États possesseurs d'armes à sous-munitions. Elle a joué les facilitateurs entre pays industrialisés et pays en développement, gouvernements et ONG, et entre les principales nations européennes.

Il nous reste à inscrire dans notre droit pénal l'interdiction de la fabrication et de l'utilisation des armes à sous-munitions. La rédaction du projet de loi d'application de la convention est actuellement en cours, sous l'égide du ministère de la défense, que je tiens à remercier.

Si l'élan est donné, la tâche reste immense. La convention est certes signée par 98 États mais une quarantaine de puissances militaires manquent à l'appel : les deux anciennes superpuissances, les principaux pays émergents, les pays proliférateurs. L'effort de ratification et d'universalisation doit donc se poursuivre. Parallèlement, les négociations doivent continuer à Genève, dans le cadre de la convention de 1980, afin d'aboutir à un accord, compatible avec Oslo, englobant les États-Unis, la Russie, l'Inde et la Chine. Le France fera tout pour que ces deux processus complémentaires finissent par se rejoindre.

Votre vote aujourd'hui protégera des enfants qui, demain, au Liban, en Irak, en Afghanistan ou au Tchad pourront jouer sans craindre de voir leur jambe, leur main ou leur vie emportées pour avoir ramassé ce qu'ils auraient pris pour une bouteille colorée ou un jouet. Cette convention mérite votre soutien unanime. (Applaudissements)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - Les armes à sous-munitions ont provoqué des dommages humanitaires disproportionnés au regard de leur justification militaire. Elles ont laissé sur les zones de conflits des millions de sous-munitions non explosées, source d'accidents graves et souvent mortels pour les populations civiles, et notamment les enfants, des années après la fin des hostilités.

En dépit de la mobilisation croissante de l'opinion publique et de nombreux États, les armes à sous-munitions ont fait de nouvelles victimes, en Irak, au Liban, en Géorgie. L'adoption de cette convention constitue donc un pas important pour le renforcement du droit international humanitaire.

Il y a trois ans, notre commission avait confié à Jean-Pierre Plancade et à moi-même le premier rapport d'information parlementaire consacré aux armes à sous-munitions, qui demeure le seul à ce jour. Témoin des conséquences dramatiques de ces armes ignobles, je tire une grande satisfaction de l'aboutissement de cette convention, dont j'ai suivi les étapes.

Il fallait un instrument international spécifique sur les armes à sous-munitions. Depuis plusieurs années, et en dépit des efforts de pays comme la France, les enceintes internationales demeuraient paralysées par les divergences entre États. Le processus d'Oslo a su dépasser ces blocages et parvenir à un texte qui constitue déjà une norme de référence et a enclenché une dynamique internationale positive. Je salue le rôle moteur joué par les organisations humanitaires internationales dans le lancement de ce processus et son aboutissement, notamment ICBL et Handicap International -dont certains responsables se trouvent dans nos tribunes.

Les États signataires se sont accordés sur une définition commune des armes devant être prohibées. Ce n'était pas chose facile. Cette définition couvre toutes les armes qui font courir un grave danger aux populations civiles. La convention impose une interdiction immédiate de la production, de la détention, des transferts et de l'emploi de ces armes. L'obligation de destruction dans un délai de huit ans garantit que ces armes ne pourront alimenter des circuits parallèles. Enfin, la convention pose le principe de l'assistance internationale aux pays touchés. La France a été un acteur important de sa conclusion.

Notre rapport d'information dressait un état des lieux de la politique française en matière d'armes à sous-munitions, qu'il s'agisse de la production, de l'acquisition, de l'emploi de ces armes ou de leur exportation. Il constatait, pour le passé, une grande retenue et relevait qu'aucun armement de ce type n'était en production ou en projet. En ratifiant la convention d'Oslo, la France devra renoncer au lance-roquette multiple, dont le remplacement est prévu par la loi de programmation militaire, ainsi qu'à l'obus d'artillerie OGR. Apache et Bonus sont en revanche conformes à la convention. Les opérations de destruction coûteront entre 30 et 60 millions d'euros.

Je voudrais rendre hommage au rôle de la France, au Président de la République, qui avait pris position dès avant son élection, au Gouvernement et, monsieur le ministre, à votre implication personnelle, votre volontarisme, votre détermination dans l'élaboration de la convention. Ce fut un plaisir et un honneur d'être à vos côtés lors de sa signature à Oslo.

La France est traditionnellement très attachée au respect du droit international humanitaire. Dans cette négociation, sa crédibilité tenait également à son poids militaire, à ses responsabilités internationales et son engagement sur de nombreux théâtres d'opérations. Notre pays a ainsi pu favoriser un large consensus autour d'un texte équilibré et démontrer que l'on pouvait concilier obligations de défense et exigences humanitaires.

Cette convention est une avancée majeure pour le droit international humanitaire. Toutefois, une quarantaine de pays militairement importants ne l'ont pas signée. C'est le cas des États-Unis, mais aussi de la Russie, de la Chine, de l'Inde, du Pakistan, de la Turquie, de plusieurs pays d'Asie, d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, ainsi que de huit États de l'Union européenne. Il ne faudra ménager aucun effort pour les convaincre de s'y rallier. Je sais que notre diplomatie s'y emploiera. Nous agirons dans le même sens dans le cadre d'enceintes telles que l'Assemblée parlementaire de l'Otan. Comme la convention d'Ottawa pour les mines antipersonnel, Oslo constituera néanmoins une norme de référence qui devrait dissuader des États non signataires de recourir aux armes à sous-munitions.

Du fait de la lenteur et du coût des opérations de dépollution, des menaces continuent de planer sur les populations civiles dans de nombreuses zones. Le traitement et la réinsertion des victimes représentent également une lourde charge. La mobilisation internationale ne peut se limiter à la condamnation des armes : elle doit aussi promouvoir l'assistance et la coopération.

Plus largement, il ne faut pas oublier toutes les circonstances dans lesquelles les populations civiles sont victimes de conflits armés. Il y a là aussi matière à élaborer de nouveaux instruments au niveau international.

En conclusion, je me félicite de la ratification rapide de la convention d'Oslo. Déposé au mois de juin, le projet de loi a été adopté par l'Assemblée nationale le 20 juillet et figure à l'ordre du jour du Sénat dès le début de cette session extraordinaire. Si nous l'approuvons aujourd'hui, la France pourra déposer dès la fin septembre son instrument de ratification auprès du secrétaire général des Nations Unies et contribuer ainsi à l'entrée en vigueur rapide de la convention.

La commission unanime approuve la convention et vous demande d'adopter ce projet de loi. (Applaudissements)

Mme Catherine Tasca.  - Je salue le choix du Gouvernement de nous soumettre ce projet de loi de ratification moins de dix mois après la signature de la convention à Oslo, étape majeure dans la lutte contre la production et l'utilisation des armes conventionnelles et pour la protection des populations civiles. L'utilisation massive d'armes à sous-munitions au Liban à l'été 2006 a suscité une véritable prise de conscience. Leur emploi dans des zones habitées provoque un nombre de victimes civiles très élevé ; et les dysfonctionnements étant fréquents, il n'est pas rare que ces engins atterrissent sans exploser, constituant pendant de longues années une menace quotidienne intolérable pour les populations civiles.

Une telle convention devenait urgente. La convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques du 10 octobre 1980 et son protocole V en effet ne prévoient aucune interdiction de production ou d'utilisation des armes à sous-munitions. La convention d'Ottawa sur l'interdiction des mines antipersonnel constitue un modèle d'instrument juridique international contraignant. Je salue le choix de Lionel Jospin dès 1997 d'inscrire notre pays dans cette dynamique internationale pour le désarmement que la reprise des essais nucléaires en 1994-1995 avait stoppée. En oeuvrant pour la signature de la convention d'Ottawa et en faisant procéder à sa ratification le 8 juillet 1998, le gouvernement français avait alors relancé le processus de désarmement.

Notre groupe, fidèle à ces engagements en matière de désarmement, souscrit sans réserve à la convention d'Oslo et votera le projet de loi de ratification. Je conserve cependant deux regrets. Le principe d'interopérabilité qui figure dans le texte autorise les États signataires à participer à des actions militaires conjointes avec des États qui utiliseraient des bombes à sous-munitions. Disposition réaliste, les États-Unis, la Chine ou la Russie n'ayant pas signé cette convention, mais qui réduit considérablement la portée de la convention ! Quelle lecture en fera la France ? A défaut de ne pas s'interdire des opérations militaires avec des États non parties à la convention -notre pays est présent en Afghanistan aux côtés des États-Unis- j'espère que la France n'acceptera pas de prendre part à des opérations militaires où seraient employées des armes à sous-munitions. A l'Assemblée nationale, le secrétaire d'État aux relations européennes, M. Pierre Lellouche, s'est borné à affirmer qu'en cas d'opérations conjointes avec des pays non signataires, la France les encouragerait à ratifier la convention. Refuser d'exclure une coopération militaire avec des pays utilisant des armes à sous-munitions, c'est prendre une distance avec l'esprit de la convention, qui n'incitera guère les États non signataires à se rallier à la convention ! Monsieur le ministre, levez cette ambiguïté !

Autre regret, la convention ne fixe pas de seuil quantitatif pour le stock d'armes à sous-munitions pouvant être conservé ou acquis à fin de formation à la détection, à l'enlèvement ou la destruction de ces armes. La convention se borne à indiquer que ce nombre doit être « limité ». Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner des éléments chiffrés pour la France ? A Dublin, notre pays avait annoncé 50 000 sous-munitions au titre de l'article 3, alinéa 6 de la convention. Certaines ONG jugent ce stock excessif. Que leur répondez-vous ?

Les réserves que j'exprime ne visent pas à amoindrir la portée du texte, il constitue un pas important vers le désarmement. Mais nous voulons que son esprit soit respecté et sa portée garantie.

Bien du chemin reste à parcourir. Il importera d'augmenter le nombre des signataires afin de parvenir à un texte universel. Objectif difficile à atteindre, de nombreux États étant hostiles à une interdiction globale de production et d'utilisation. Je salue l'engagement personnel de notre rapporteur, Mme Garriaud-Maylam, qui ne lâchera pas prise. Un groupe d'États a décidé de contourner ces oppositions qui bloquaient les discussions à l'ONU. L'initiative de la Norvège a finalement rassemblé 111 États, parmi lesquels la France, à la conférence de Dublin, qui a débouché sur la convention d'Oslo, instrument international de référence mais de portée limitée faute de signataires. Il y a blocage. Pour le dénouer, il faut que l'Union européenne agisse. La Commission européenne a élaboré une stratégie contre les mines antipersonnel pour la période 2008-2013 : assistance aux pays en voie de développement pour la mise en oeuvre de la convention d'Ottawa, opérations de déminage au Cambodge, en Afghanistan, au Liban, etc. L'Europe est le premier donateur d'aides contre les mines antipersonnel. La coopération européenne en matière de désarmement est possible et utile. Je regrette donc que ni le Conseil, ni la Commission n'ait élaboré une stratégie commune. En outre, nombre d'États-membres doivent encore ratifier la convention d'Oslo...

Il faut aussi poursuivre les discussions sous l'égide des Nations Unies, au sein de la Conférence des examens de la convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques (Clac). Il n'y a pas, je crois, à opposer la convention de 1980 et la convention d'Oslo, travaillons à la complémentarité. Une réunion d'experts s'est tenue au mois d'août dans ce cadre. A Carthagène aura lieu en novembre une conférence de suivi et de révision de la convention d'Ottawa sur les mines antipersonnel. La France entend-elle se saisir de cette opportunité pour relancer la dynamique de la convention d'Oslo ?

Autre défi, celui de la mise en oeuvre de la convention par la France. Le stock des armes à sous-munitions doit être détruit dans un délai de huit ans, renouvelable une fois. L'étude d'impact en évalue le coût entre 30 et 60 millions d'euros, le ministère de la défense finançant le démantèlement sur son budget. Le délai sera-t-il respecté ? La France ne dispose pas des capacités industrielles nécessaires : le recours à nos partenaires européens est-il la voie privilégiée par le Gouvernement ? J'espère que le Gouvernement présentera rapidement un projet de loi visant à inscrire l'interdiction de la production et de l'utilisation des armes à sous-munitions en droit pénal. La France doit être exemplaire. Et quelle part la France prendra-t-elle à la dépollution des restes d'armes à sous-munitions ? Au Cambodge, pays qui m'est cher, on évalue entre 2 et 6 millions le nombre d'armes à sous-munitions n'ayant pas explosé à l'impact, tuant et mutilant chaque année des adultes et des enfants. La France a déjà apporté son concours pour des opérations de dépollution et d'assistance aux populations. Monsieur le ministre, les parlementaires resteront vigilants sur les conditions de mise en oeuvre de la convention. Notre groupe votera ce projet de loi de ratification. (Applaudissements)

M. Robert Hue.  - Nous sommes invités aujourd'hui à ratifier une convention historique, exemplaire à bien des égards. J'apprécie particulièrement que nous en débattions solennellement en séance publique, contrairement au fâcheux usage de la procédure simplifiée.

Premier texte international interdisant formellement les armes à sous-munitions, cette convention marque une avancée décisive du désarmement et du droit humanitaire. Elle illustre le rôle déterminant que peuvent jouer des organisations non gouvernementales (ONG) comme la Croix-Rouge ou Handicap International pour sensibiliser les opinions publiques et influencer les gouvernements. Certains collègues ont pu s'émouvoir du rôle joué par les ONG ; voilà un exemple probant de leur utilité ! En l'espèce, la volonté politique de certains États, dont la France, et le volontarisme tenace d'ONG et de la société civile aboutissent à ce texte d'une grande portée.

Sur le plan humain, qui devrait d'ailleurs guider toute action politique, il devenait urgent qu'un nombre significatif d'États montre l'exemple, ce que 98 ont fait à ce jour. Mais beaucoup manquent encore à l'appel, et non des moindres, comme les États-Unis, la Russie, la Chine, le Brésil, l'Inde, le Pakistan, Israël et nombre de pays appelés « émergents ». C'est dire le chemin qui reste à parcourir !

Ce texte est l'aboutissement inachevé d'un long processus, puisque dès les années 2000, des ONG et certains États ont pris conscience que ces armes contrevenaient au droit international humanitaire, fondé principalement sur la distinction entre populations civiles et combattants.

En effet, initialement conçues pour détruire des regroupements de blindés ou rendre impraticables des pistes d'atterrissage, ces armes ont été de plus en plus utilisées contre des zones habitées suspectées d'abriter des combattants. Tout le monde a en mémoire la guerre israélo-libanaise de 2006.

Ajoutons qu'environ 30 % de ces munitions n'explosent pas à l'impact et deviennent ainsi des « résidus explosifs de guerre » à l'origine d'accidents parfois mortels dont les enfants sont les premières victimes.

Plus largement, les conflits actuels tendent à frapper plus lourdement les civils que les combattants. L'Irak, l'Afghanistan et le récent rapport de l'ONU sur l'intervention israélienne à Gaza montrent qu'il n'y a ni guerre propre ni frappe « chirurgicale ».

Dans les années 2000, les bombes à sous-munitions n'étaient pas interdites car elles n'entraient pas dans le champ d'application de la convention d'Ottawa de 1997 sur les mines antipersonnel. Elles faisaient l'objet d'un débat récurrent suscité par les ONG souhaitant définir une mine par ses effets, non par sa conception.

Bien qu'il ait cessé d'utiliser ces armes depuis 1991 et qu'il n'en produise plus depuis 2002, notre pays s'est accommodé du statu quo international sur le sujet, qu'il estimait couvert par les négociations spécifiques dans le cadre de la convention de Genève sur certaines armes classiques.

Pour sortir de cet imbroglio, et parce qu'il était frappé par le drame de la guerre du Liban, un petit groupe d'États aiguillonnés par des ONG lança, en 2006, le « processus d'Oslo », un cycle parallèle de négociations ayant abouti au texte que nous examinons aujourd'hui.

Je me félicite que le Gouvernement se soit intégré à ce processus et qu'il ait montré l'exemple en annonçant l'année dernière le retrait de 90 % des stocks de bombes à sous-munitions.

J'ai souligné d'emblée le progrès considérable du droit humanitaire inscrit dans la convention d'Oslo, qui tend aussi à faire nettoyer les zones polluées de munitions non explosées et qui ajoute une obligation d'assistance aux victimes. Certes, il faut être réaliste en se rappelant que seuls 40 % des États producteurs et 20 % des États utilisateurs ont adhéré à cette convention. Les parlementaires de notre groupe soutiendront de façon exigeante notre diplomatie lorsqu'elle prendra des initiatives destinées à ce que toute la communauté internationale signe le texte.

Comme Handicap International nous y invite, nous devrons aussi être vigilants quant à l'assistance aux victimes, car les engagements internationaux analogues relatifs aux mines antipersonnel ne sont guère appliqués.

Enfin, je souhaite que M. le ministre précise l'échéancier permettant de transposer cette convention dans notre droit pénal. Il faudrait notamment étendre aux armes à sous-munitions la compétence de la Commission pour l'élimination des mines antipersonnel (Cnema), ce qui figurait dans une proposition de loi déposée en 2006 par le groupe CRC.

Pour notre groupe et pour tous les communistes, le désarmement et le respect du droit humanitaire font l'objet d'un combat de longue date conforme à notre idéal d'émancipation humaine.

Le groupe CRC-SPG votera avec enthousiasme cette avancée historique ! (Applaudissements)

M. Aymeri de Montesquiou.  - « Il est rare que se présente l'occasion de prévenir d'indicibles souffrances humaines. » : M. Kellenberg, président du Comité international de la Croix-Rouge s'est exprimé ainsi en février 2008, année conclue par la signature en décembre de la convention d'Oslo, dont les conséquences humaines seront considérables.

En effet, ce texte emblématique marque une étape importante dans la lutte contre les atteintes à la dignité humaine, puisqu'il protège des populations civiles, devenues les principales victimes pendant les conflits et, surtout, après.

Les médias nous ont transformés en témoins impuissants et révoltés de souffrances infligées aux populations civiles par des moyens militaires mal maîtrisés. N'est-il pas insupportable et paradoxal que les zones comportant des sous-munitions préservent souvent la sécurité des militaires tout en étant mortelles pour les civils ? Qui n'a souhaité de nouvelles règles internationales au vu des opérations militaires dans la bande de Gaza ? Il ne s'agit pas de prendre parti entre deux camps mais de protéger les civils.

La convention que nous sommes invités à ratifier interdit à ses signataires de fabriquer, vendre ou utiliser des armes à sous-munitions, qui sèment pendant des dizaines d'années la mort parmi les civils. Elles font encore des victimes au Laos, quarante ans après la fin de la guerre !

Nous avons tous ou presque lutté depuis de nombreuses années contre l'utilisation de ces armes et soutenu les ONG telles que la Croix-Rouge et Handicap International dans leur action contre l'horreur de la guerre dans ses aspects les plus cruels et injustes.

Ces armes avaient été mises au point afin de rendre plus efficace la lutte contre les unités blindées. Hormis quelques spécialistes, peu d'entre nous avaient imaginé le désastre humanitaire qu'allaient provoquer des armes mises au point à la fin des années 80 pour mieux combattre des unités blindées mais qui risquent d'exploser bien après leur dispersion et dont le rayon d'action peut atteindre 30 000 m².

Massivement employées par l'armée israélienne à Gaza, elles provoquent encore des dommages parmi les hommes, les femmes et surtout les enfants. Marqué par ce drame humanitaire, un petit groupe d'États, dont la France, a lancé un débat international tendant à une interdiction totale.

Ce cycle de négociations a permis, lors de la conférence diplomatique de Dublin de mai 2008, d'aboutir à un texte recueillant l'approbation de plus de 90 pays et sa signature officielle a eu lieu le 4 décembre 2008 à Oslo. A la même époque notre pays retirait plus de 80 % de ses stocks d'armes à sous-munitions, ce dont nous nous félicitons.

Néanmoins, même si cette convention représente une avancée décisive dans le domaine du désarmement, de la dépollution, de la neutralisation desdites armes et de la prise en charge des populations civiles touchées par ce fléau, il n'en demeure pas moins que son efficacité risque d'être fort limitée. En effet, des pays producteurs et utilisateurs d'armes à sous-munitions n'ont pas voulu participer à ce processus, comme les États-Unis, la Russie, Israël et la Serbie, pays qui avaient déjà refusé de ratifier le traité d'Ottawa de 1997 relatif aux mines antipersonnel.

Aujourd'hui, seuls 40 % des États producteurs et 20 % des États utilisateurs ont adhéré à la convention. En outre, des États comme l'Inde, le Pakistan, la Corée du Nord, la Géorgie ou le Soudan ont refusé d'y adhérer. Or, ces pays sont des zones d'affrontements armés actuels ou potentiels. Dès lors, il serait irréaliste d'affirmer que la convention d'Oslo deviendra rapidement une source du droit international s'imposant à tous, y compris aux États non parties à celle-ci. Il faudra du temps pour qu'elle s'applique à ces derniers comme une coutume internationale ayant acquis force de droit par sa pratique étendue, représentative et uniforme.

Nous devrons donc rester vigilants car le combat pour l'éradication de ces armes est loin d'être achevé. Gardons toujours à l'esprit le principe formulé par la commission militaire internationale de Saint-Pétersbourg, il y a déjà 140 ans, selon lequel « pour certaines armes, les nécessités de la guerre doivent s'arrêter devant les exigences de l'humanité ». La France s'honorera en promouvant et en ratifiant cette convention. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Jacques Gautier.  - Les conséquences de ce texte sur la scène internationale seront majeures pour les populations civiles victimes de ce type d'arme mais aussi pour notre pays qui s'est engagé en faveur du désarmement et du respect du droit humanitaire.

Avant tout, je veux rendre hommage au travail de la commission et je tiens à remercier notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam pour son excellent rapport qui, depuis 2006, avec Jean-Pierre Plancade, s'était déjà saisie de ce grave sujet. Je me réjouis du chemin accompli entre ce rapport d'information parlementaire et le projet de loi que nous examinons. Je me félicite aussi que ce texte puisse être adopté sans doute à l'unanimité moins d'un an après la signature par la France, à Oslo, du texte initial.

Les armes à sous-munitions, initialement conçues pour détruire des concentrations de véhicules blindés, permettent d'atteindre des cibles sur des surfaces étendues. Composées d'une munition mère, ces bombes dispersent plusieurs munitions destinées à exploser à l'impact. Ce système d'arme a été largement utilisé et l'est encore dans de nombreux conflits depuis la guerre du Vietnam. La caractéristique même de ces armes étant leur large spectre de dissémination et leur utilisation ne s'étant pas limitée aux seules cibles militaires, elles sont à l'origine de drames humanitaires pendant les conflits. Mais surtout, c'est leur taux de dysfonctionnement très élevé qui est en cause. Le nombre de sous-munitions n'ayant pas explosé provoquent les mêmes dommages que les mines antipersonnel, qui continuent de mutiler les populations des années après la fin d'un conflit. Les bombes à sous-munitions présentent des conséquences traumatiques excessives par rapport aux objectifs militaires et sont donc obsolètes.

La multitude de rapports de l'Unicef, d'Handicap International ou encore de la Croix Rouge ont alerté la communauté internationale sur les ravages à long terme des « restes explosifs » de ces armes sur les populations et sur leurs territoires.

Vous avez tous longuement rappelé dans cet hémicycle le long processus diplomatique de cette interdiction, qui remonte à 1983. Si ce texte constitue une avancée majeure en faveur du désarmement, je tiens, au nom du groupe UMP, à rappeler que la ratification par la France de cette convention, est aussi une preuve de cohérence et la concrétisation d'une politique engagée dès 1996, date à laquelle notre pays a amorcé le retrait et la destruction des lance-grenades BLG 66 dans ses arsenaux.

En outre, grâce à la loi de programmation militaire 2009-2014 que nous avons votée en juillet, les roquettes M26 qui équipent les lance-roquettes multiples seront supprimées et remplacées par des lance-roquettes unitaires, de même que pour les obus à grenades de 155 mm. La France parle, signe et agit !

En autorisant la ratification de cette convention, notre pays adresse un message aussi fort que symbolique aux autres puissances militaires. Il démontre qu'il est possible d'être une puissance militaire, de mener une réelle politique de défense et d'être, en amont des négociations, favorable au désarmement international.

M. Alain Gournac.  - Très bien !

M. Jacques Gautier.  - C'est pourquoi notre groupe votera ce projet de loi. Si la France a joué un rôle moteur avec la Norvège, l'Irlande, l'Autriche et la Nouvelle-Zélande, il est capital que nous poursuivions une action diplomatique ferme, et en premier lieu auprès de nos partenaires européens, notamment la Grèce, la Pologne et la Roumanie, et auprès de pays tels que la Russie, les États-Unis, le Pakistan, la Chine qui produisent, stockent ou utilisent encore ce type d'armement. Nous savons pouvoir compter sur vous, monsieur le ministre !

Lors de conflits asymétriques, l'objectif prioritaire n'est plus de gagner la guerre mais la paix, ce qui passe par la coopération en matière de déminage et par une assistance aux victimes de guerres. Notre pays participe déjà à ces opérations depuis de nombreuses années et continuera bien sûr à le faire en ratifiant cette convention qui est un exemple pour le monde humanisé. Je souhaite que notre vote unanime montre à tous les pays qu'il est possible de rester une puissance majeure tout en se battant pour l'humanitaire. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Nicolas About.  - La conclusion de la convention d'Oslo sur les armes à sous-munitions marque une étape importante dans la protection des civils durant les conflits armés. Les conséquences humanitaires de l'utilisation de ces armes au moment des frappes, mais aussi à long terme, sont sans commune mesure avec leur utilité militaire réelle. Les affrontements qui ont eu lieu au Sud Liban durant l'été 2006 ou, plus récemment, en Géorgie, l'ont illustré de manière dramatique.

L'application de la convention d'Oslo va permettre à la fois de supprimer les armes à sous-munitions des arsenaux des États-parties et d'organiser la coopération pour limiter leurs conséquences à long terme sur les populations civiles. Sa mise en oeuvre permettra notamment de fournir les soins médicaux et l'assistance nécessaire pour sécuriser les territoires qui y ont été exposés. Cette assistance est capitale pour plus d'une trentaine de pays où des restes explosifs sont encore disséminés. C'est particulièrement le cas au Cambodge, au Laos, ou encore en Angola.

Cette convention marque donc une avancée morale car il s'agit du premier instrument de droit international contraignant les États-parties à renoncer à produire et à utiliser ces systèmes d'armes. Elle envoie un signal fort aux nombreux pays qui n'y ont pas encore renoncé. Comme la convention d'Ottawa de 1997 sur l'interdiction des mines antipersonnel, la convention d'Oslo déplace la ligne de démarcation entre l'acceptable et l'inacceptable. Ce glissement du curseur entre ce que l'on tolérait hier et ce que l'on ne tolère plus aujourd'hui témoigne d'une évolution profonde.

Bien évidemment, le groupe de l'Union centriste votera unanimement en faveur de la ratification de la convention d'Oslo. Ce vote nous offre l'occasion de saluer l'impulsion du gouvernement norvégien, à l'origine de cette convention ainsi que le travail de nombreuses organisations non gouvernementales comme Médecins sans frontières, Handicap International, Amnesty International et d'autres organisations de la société civile qui ont fait un travail de plaidoyer remarquable pour alerter les opinions publiques.

J'aimerais saluer notre rapporteur pour son engagement et son travail de grande qualité et rendre hommage à M. le ministre pour son implication personnelle sur ce dossier dès la conférence de Dublin de mai 2008. Le rôle actif de la France a été largement reconnu par la communauté internationale et mérite d'être souligné et poursuivi : l'universalité de l'abolition des armes à sous-munitions est loin d'être acquise, puisque plusieurs des principales puissances militaires de la planète n'ont pas encore renoncé à les produire et à les utiliser.

En encourageant de nouvelles adhésions à la convention d'Oslo ou en participant à l'élaboration d'un nouveau protocole à la convention sur certaines armes classiques, la France peut et doit continuer à jouer un rôle dans l'abolition universelle de ces armes. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Je tiens à remercier tous ceux qui ont travaillé sur ce texte et celles et ceux qui sont intervenus dans cet hémicycle.

Vous avez tous salué ce texte mais vous avez également fait remarquer que la partie était loin d'être terminée : en Europe, huit pays n'ont pas signé. De plus, les plus grandes puissances militaires de ce monde se sont détournées de ce texte. Comptez sur nous pour que nous soyons fidèles à nos engagements. Si nous déposons, grâce à vous, les instruments de ratification la semaine prochaine à l'ONU, ce sera une étape supplémentaire. Ensuite, nous ferons le siège de nos amis et de tous les pays qui refusent encore de signer.

En ce qui concerne l'interopérabilité, je ne peux pas promettre, en cas de conflit, que nos alliés n'utiliseraient pas ce type d'arme, mais nous ferions tout notre possible pour qu'ils ne le fassent pas à nos côtés. Nous allons militer pour que cette triste occasion ne puisse se produire.

Tout a été détruit ou le sera dans les huit prochaines années.

Je salue la façon dont cela s'est passé avec la Défense. Il reste 500 armes à sous-munitions, surtout d'origine étrangère. Elles serviront à l'entraînement des démineurs, ces hommes courageux que j'ai vus du Laos au Liban de même que je connais les ONG, Handicap International et l'organisation anglaise, qui ont travaillé avec eux.

Oui, une réunion est prévue à Ottawa. Nous y participerons et y ferons oeuvre de conviction. Quant à la transposition, la loi de programmation militaire vous sera présentée en janvier, je l'espère.

Nous devrons continuer à convaincre mais je veux vous dire merci à tous et saluer le courage des ONG. Je ne sais rien de plus difficile que la vue d'un enfant qui n'a fait que jouer et se pencher sur ce qui ressemblait à un jouet ; ses mains, ses jambes sont déchiquetées et il faut l'amputer. Je n'oublierai jamais ce spectacle. (Applaudissements sur tous les bancs)

L'article unique est adopté.

(Même mouvement)

Mme Isabelle Debré.  - C'est l'unanimité !

M. le président.  - Elle honore le Sénat.

La séance, suspendue à 17 h 35, reprend à 17 h 45.