Décentralisation des enseignements artistiques (Question orale avec débat)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle une question orale avec débat de Mme Morin-Desailly à M. le ministre de la culture sur la décentralisation des enseignements artistiques.

M. Legendre, président de la commission, qui assiste en ce moment à des obsèques, m'a demandé d'excuser son absence.

Mme Catherine Morin-Desailly, auteur de la question.  - Le groupe centriste accorde une grande importance à la décentralisation des enseignements artistiques, outil de démocratisation culturelle. Cette politique publique atteint aujourd'hui un point charnière. L'éducation artistique est confiée aux établissements scolaires afin que tous les élèves aient accès à des connaissances et à une pratique artistique ; l'enseignement artistique, lui, est dispensé dans les conservatoires et les écoles de musique, danse ou théâtre, réseau qui s'est développé d'abord à l'initiative de l'État, puis des collectivités territoriales, en particulier les communes. L'impulsion a été donnée en 1967 par André Malraux et son directeur de la musique, Marcel Landowski ; le réseau est devenu sans équivalent en Europe. Le plan en faveur de l'enseignement musical accompagnait le mouvement de décentralisation culturelle et de démocratisation de l'accès à la culture. Cette forte volonté de l'État, qui s'est appuyée sur les structures municipales existantes, s'est traduite dans un soutien financier sans précédent.

Le réseau a pour mission à la fois de former les futurs musiciens professionnels et de développer la pratique amateur. Seuls 2 % des élèves font de la musique, de la danse ou du théâtre leur métier ; mais pour tous les autres, quel bénéfice dans leur vie d'adulte, pour pratiquer un art en liberté, y trouver une source d'épanouissement et pour devenir un spectateur exigeant et averti ! La commission de la culture a adopté, il y a quinze mois, mon rapport sur la décentralisation des enseignements artistiques, liée à la réforme prévue par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Je constatais que la réforme était au milieu du gué et bien difficile à orchestrer. J'avais avancé des préconisations pour sortir de l'impasse. L'heure est venue de faire le point.

La loi de 2004 n'a pas opéré un nouveau transfert de compétences mais a clarifié le rôle de chaque niveau de collectivités publiques. Elle a confié aux communes et à leurs groupements l'organisation et le financement de l'enseignement initial et l'éducation artistique dispensée par les établissements spécialisés. Les départements ont mission d'élaborer un schéma départemental de développement des enseignements artistiques destiné à en améliorer les conditions d'accès. Les régions organisent et financent le cycle d'enseignement professionnel initial (Cepi), désormais sanctionné par un diplôme national d'orientation professionnelle (Dnop) et intégré au plan régional de développement des formations professionnelles (Prof). Enfin, l'État conserve ses prérogatives, classement et contrôle pédagogique des établissements, définition des qualifications des enseignants et tutelle des établissements d'enseignement supérieur artistique. Cette répartition n'a pas été imposée mais résulte d'un travail de fond engagé depuis des années. La loi a prévu le transfert aux départements et régions des crédits que l'État apporte à ces établissements. L'objectif était de rééquilibrer une charge financière pesant à près de 80 % sur les communes.

Cette loi, qui traduisait une ambition louable en faveur des enseignements artistiques, a suscité de très fortes attentes. Hélas, cinq ans après, sa mise en oeuvre est toujours en panne. Mal engagée, la réforme a souffert, au-delà des problèmes financiers, d'un évident déficit de méthodologie. Derrière ses aspects techniques, le sujet est éminemment politique et je regrette l'intérêt trop limité que lui portent nombre d'élus, laissant aux milieux passionnés des professionnels le soin de mettre en musique une politique pas toujours clairement définie ni assumée. Il y va pourtant de la démocratisation culturelle et du développement de nos territoires ! Où en sommes-nous, quinze mois après l'adoption de notre rapport d'information ? Tous les acteurs concernés ont partagé mon diagnostic et la plupart ont soutenu mes propositions. Pour autant, nous ne sommes pas dans le meilleur des mondes ! La concertation s'est poursuivie entre l'État et les différents niveaux de collectivités territoriales, mais le blocage a persisté. Je dois dire, sans esprit de polémique, que la position évolutive, et parfois sibylline, de l'Association des régions de France a entretenu la confusion. Je me réjouis néanmoins que tout le monde souhaite une sortie par le haut et je salue l'esprit constructif et équilibré qui anime la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), laquelle représente toutes les sensibilités politiques et tous les échelons territoriaux.

Nos concitoyens ne doivent pas être les otages de cette difficulté à parvenir à un accord. Ils attendent de leurs élus, nationaux et locaux, qu'ils prennent en considération l'intérêt général. C'est pourquoi j'ai déposé une proposition de loi en juillet 2009, prenant en compte les hypothèses de travail avancées par les associations d'élus et les travaux conduits par des professionnels -je pense notamment au rapport de M. René Rizzardo. Un premier point de convergence consiste à reconnaître le rôle de l'échelon régional en matière d'aménagement du territoire et de planification : élaboration d'un schéma régional des formations artistiques à vocation professionnelle, création d'une commission régionale des enseignements artistiques, qui réunirait l'État et toutes les collectivités concernées. Elle veillerait à encourager les partenariats y compris avec le privé et elle prendrait en considération toutes les formes de chaque discipline, je pense par exemple aux musiques actuelles. Un « chef de filat » régional ne saurait être perçu comme une prééminence mais plutôt comme une force d'impulsion et de coordination, de cohérence dans l'offre de formation, voire de mutualisation des moyens.

Il paraît nécessaire également de préciser les modalités d'application de la loi. Si les communes doivent assumer seules le financement de l'enseignement professionnel initial, elles se désengageront, estimant ne pas avoir à supporter la charge d'un enseignement qui bénéficie à une population implantée sur un plus vaste territoire que le leur.

Certaines menaces ont vu le jour, ainsi pour le conservatoire de Versailles ou les Beaux-Arts de Rueil-Malmaison : pourquoi ces villes assureraient-elles seules des formations de troisième cycle ?

La très grande hétérogénéité des situations régionales complique la donne, même si la plupart des régions comprennent que la formation des jeunes artistes, plus précoce, relève de leur compétence. Certaines sont historiquement plus impliquées. L'Association des régions de France s'est exprimée en faveur d'un engagement facultatif, ce qui n'exclut pas le pilotage du réseau. Cela suppose une contribution des communes, qui gardent vocation à financer l'éducation artistique des jeunes et les actions de sensibilisation. Ont-elles pour autant vocation à financer tous les échelons de la formation ?

Les récentes concertations ont permis d'évaluer avec plus de précision le cycle d'orientation professionnelle. Comme je le supposais, le surcoût induit par le Dnop, sur la base de l'expérimentation dans certaines régions, se limite à 5 % alors qu'on avait parlé de 400 %.

La question des transferts de crédits reste en suspens en raison d'une situation de blocage. Quelle collectivité, de la commune ou de la région, en sera-t-elle bénéficiaire ? La logique et l'ambition semblent conduire à la première solution, à charge pour les régions de les reverser aux communes gestionnaires -il faudra revoir ma proposition de loi pour le garantir. Les régions s'impliqueront ensuite à leur rythme. Tel était l'esprit de la loi de 2004, et tel doit rester le cas pour éviter un retour en arrière. Si l'on ne peut trancher rapidement la question, laissons à l'État le soin de verser les 5 à 10 % de crédits destinés aux écoles spécialisées plutôt que de les apporter aux communes comme l'a envisagé la direction de la musique : ce serait un retour en arrière en théorie et, en pratique, le maintien du statu quo.

Dans les régions qui sont allées de l'avant, et ce sont les plus nombreuses, les attentes des professionnels sont fortes. Il convient de poursuivre la structuration intercommunale des établissements grâce à l'adoption du statut d'établissement public de coopération culturelle. L'intercommunalité constitue en effet l'échelle de référence et elle offre les moyens de la mutualisation. Des primes régionales à l'intercommunalité pourraient aider les établissements ressources, de même qu'un coup de pouce financier de l'État serait le bienvenu pour soutenir les efforts des départements. Je tiens à souligner leur implication : ils se sont dotés de schémas départementaux des enseignements artistiques avec le concours de professionnels de grande qualité.

Il est urgent de trouver une issue. Les professionnels, les enfants et leurs parents attendent des réponses claires. Ne laissons plus peser la menace que résume le fait qu'on ne sait plus comment appeler le troisième cycle.

C'est pourquoi j'avais déposé cette proposition de loi en juillet dernier. Mes récentes consultations me laissent supposer que rien ne s'oppose à son adoption sous réserve de certaines amodiations. Les professionnels du secteur soutiennent la pertinence d'une telle répartition des missions. Elle s'inscrit en outre dans le projet de réforme de collectivités territoriales qui valorise le couple communes-intercommunalités et respecte le principe de la clause générale de compétences. L'examen de ce projet a conduit à demander l'organisation de ce débat mais rien ne s'opposerait à l'inscription de ma proposition à l'ordre du jour si un consensus se dégageait rapidement.

Quelle est votre analyse, monsieur le ministre, et quelle est votre stratégie pour sortir de l'impasse ? Le sujet est essentiel car la demande sociale est très forte : la musique rythme la vie de cinq millions de Français ! Réjouissons-nous du renouveau des pratiques amateurs et affirmons une volonté politique.

L'une des ambitions affichées de la réforme du lycée est que la série L forme aussi aux métiers des arts et de la culture. Il serait donc utile de lier les deux réformes, comme mon rapport le préconisait. Il est dommage que les établissements scolaires s'appuient aussi peu sur les pôles ressources qui devraient être leurs référents naturels. La mission d'information du Sénat et le Gouvernement ont pourtant insisté sur la nécessaire ouverture. Rapprochez-vous, monsieur le ministre, de votre homologue de l'éducation nationale pour jouer cette partition commune au service d'une telle ambition. Donnons aux jeunes les meilleures chances d'accéder à ces métiers nobles et exigeants tout en développant la sensibilisation.

Il faut clarifier rapidement le paysage des enseignements artistiques et informer les acteurs des critères selon lesquels les dossiers seront instruits. Je vous remercie de nous apporter des réponses claires, précises et porteuses d'une vraie ambition. Je veux croire que vous souscrivez à ce propos de M. Sefcovic, le commissaire européen à l'éducation : «  le renforcement des arts doit constituer l'élément moteur de toute politique d'éducation visant à améliorer la compétitivité économique, la cohésion et le bien-être ». Je forme le voeu qu'il soit entendu. (Applaudissements)

M. Laurent Béteille.  - Je remercie et félicite Mme Morin-Desailly. Un an après le rapport qu'elle avait présenté au nom de la commission des affaires culturelles, sa question nous permet de faire le point des responsabilités de l'État et des collectivités territoriales dans le domaine des enseignements artistiques.

L'éducation artistique et culturelle est une composante essentielle de la formation des jeunes. Contribuant au développement de leur personnalité, de leur sensibilité et de leur compréhension du monde, elle doit permettre une véritable démocratisation de l'accès à la culture.

Historiquement, elle s'est développée par l'action des communes et forme aujourd'hui le réseau le plus dense en Europe. La loi de décentralisation de 1983 a confié la responsabilité de ces établissements aux communes, aux départements et aux régions, mais il est difficile d'identifier les prérogatives de chacune et les financements croisés accentuent la complexité. La loi du 13 août 2004 a organisé les responsabilités de chaque niveau : les communes ou leurs groupements organisent et financent les établissements initiaux ; les départements établissent des schémas et participent au financement des établissements ; les régions organisent et financent les cycles d'enseignement professionnel initial ; l'État conserve le classement, le contrôle et le suivi des établissements ainsi que la responsabilité et l'initiative de l'enseignement supérieur professionnel.

En bref, un parfait jardin à la française comme nous les aimons... jusqu'à la caricature. Les objectifs des schémas départementaux sont de corriger les déséquilibres territoriaux, d'assurer une meilleure répartition des différentes disciplines et de démocratiser l'accès aux enseignements, aujourd'hui plus aisé aux jeunes des milieux favorisés qu'aux autres.

M. Alain Gournac.  - C'est vrai !

M. Laurent Béteille.  - Cette clarification s'accompagne d'une réorganisation des financements, l'article 101 prévoyant le transfert aux départements et aux régions des concours antérieurement accordés par l'État aux communes.

Comme l'a relevé le rapport d'information, la réforme est en panne. Le contenu des schémas départementaux est inégal et les régions se sont plus ou moins impliquées, plutôt moins que plus d'ailleurs. Le lancement des nouveaux cycles d'enseignement professionnel est suspendu. Les élus craignent l'impact financier de la réforme ; le transfert des crédits est reporté, freinant la dynamique du terrain et suscitant l'inquiétude des directeurs de conservatoires. Tandis que les élus dénoncent un déficit méthodologique et d'accompagnement de la part de l'État, les agents de celui-ci regrettent leur faible mobilisation. La concertation se poursuit. Où en est-on, monsieur le ministre ?

J'aimerais également avoir votre sentiment sur certaines propositions du rapport d'information, notamment l'idée d'une expérimentation dans les régions volontaires, la gouvernance du dispositif, le développement de coopérations aux niveaux régional et intercommunal, les partenariats.

Je veux enfin évoquer la place de l'enseignement artistique dans l'éducation nationale. Le 14 octobre, le Président de la République a présenté les lignes directrices de la réforme du lycée, où l'enseignement de disciplines artistiques retrouve toute sa place. Il a évoqué un enseignement transversal de l'histoire de l'art évalué au baccalauréat et la désignation au sein de chaque établissement d'un référent « culture ». Il faut, a-t-il dit, modifier nos manières de penser et considérer l'enseignement artistique et culturel comme une des missions fondamentales de l'éducation nationale, et non comme un corpus de disciplines relégué à la marge des emplois du temps. Je me réjouis que cet enseignement soit enfin considéré comme une nécessité pour nos enfants, tous nos enfants. L'État comme les collectivités locales ont le devoir de permettre son essor. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Ivan Renar.  - Enseignement artistique, éducation artistique, tout est dans tout et le reste dans Télémaque... (On apprécie) L'enseignement artistique est essentiel à la vie culturelle et sociale, c'est une des clés de voûte de la nécessaire relance de la démocratisation culturelle. Si la première mission du réseau des conservatoires et des écoles de musique, de théâtre et de danse est de former les amateurs, il ne faut pas oublier leur rôle d'éducation culturelle et artistique. D'où la nécessité de passerelles entre ces écoles spécialisées et les établissements scolaires pour remédier à l'insuffisante démocratisation des enseignements artistiques. Le non-partage de l'art est comme une bombe anti-personnel, la cause de mutilations terribles. L'art est le champ de tous les possibles : chaque enfant doit disposer d'une piste d'envol pour développer ses potentialités.

L'enseignement artistique reste le parent pauvre des politiques publiques. L'article de la loi de 2004 relatif à l'enseignement artistique spécialisé est le seul qui n'ait pas été appliqué. La concertation avec les collectivités locales n'ayant pas abouti, la réforme est en panne, comme l'a relevé Mme Morin-Desailly. Comment s'en étonner dès lors qu'on demande aux collectivités d'assumer une charge que l'État n'a pas financée ? Les crédits d'État dédiés aux enseignements artistiques n'ont cessé de régresser ces dernières années ; aujourd'hui, les communes assurent 80 % du fonctionnement et sont bien seules pour financer les investissements dans les écoles de musique, de théâtre et de danse. Les grandes villes ont tendance à réduire les charges de centralité qu'elles supportent pour les cycles préprofessionnels afin de continuer à financer l'enseignement initial et les actions d'éducation artistique. Le transfert du financement des écoles supérieures d'art plastique vers les communes est d'autant plus désagréable que l'enseignement supérieur relève de l'État.

Il est logique de donner à la région un rôle majeur dans l'organisation du schéma régional des formations artistiques mais je comprends l'Association des régions de France qui rechigne à un transfert dépourvu des financements appropriés -qui plus est dans un contexte marqué par la suppression de la taxe professionnelle, la perte de l'autonomie fiscale et le poids des transferts non compensés. L'État est de plus incapable d'évaluer le coût du cycle d'enseignement professionnel initial (Cepi) ; procéder à une évaluation concertée aurait été bienvenu. On ne peut reprocher aux élus régionaux de ne pas s'être aventurés dans une réforme dont ils ignoraient l'impact financier ; et il est normal qu'ils veuillent définir eux-mêmes la hauteur de leur engagement, même si j'ai la conviction que le financement de l'art et de la culture est un investissement d'avenir.

La situation actuelle pénalise les régions les plus volontaristes, comme le Nord-Pas-de-Calais, la seule à avoir expérimenté le protocole de décentralisation sur les enseignements artistiques. Directeurs et enseignants ont la fervente volonté d'apporter le meilleur pour tous et les agents de l'État ont fait un excellent travail malgré le manque de crédits.

Parallèlement au Cepi, il faut veiller à ce que les élèves qui ne souhaitent pas s'engager dans la voie de la professionnalisation puissent continuer à s'épanouir. Les amateurs sont essentiels à la vie musicale. Si solfège et technique sont importants, le plaisir de la pratique l'est tout autant et doit être valorisé dès l'enfance. Il est à cet égard fondamental de promouvoir les pratiques collectives très gratifiantes mais trop souvent délaissées. Le plaisir de jouer ensemble, l'écoute de l'autre et le partage sont de puissantes motivations ; pouvoir se produire face à un public est le meilleur des encouragements. Il importe aussi de développer les disciplines insuffisamment représentées, musiques actuelles, musiques improvisées ou non européennes. Il est crucial d'élever le niveau de qualification des enseignants et d'ouvrir davantage les conservatoires et écoles sur la vie de la cité, les associations, la diffusion du spectacle vivant, les établissements scolaires ; de favoriser aussi les rencontres entre amateurs et professionnels.

Le rôle des « dumistes » est encore méconnu. Recrutés par les communes ou leur groupement, possédant un diplôme universitaire de musicien intervenant, les « dumistes » -je préside le centre de formation de Lille III- permettent chaque année à plus de 2 millions d'enfants de s'ouvrir à la musique, à la pratique instrumentale ou au chant. « Les enfants, là est la clé du trésor ! » disait André Malraux. La mission des « dumistes » doit être davantage valorisée auprès des écoles maternelles et primaires -ce qui suppose un engagement plus résolu de l'éducation nationale. Il faut permettre aux enfants de vivre une expérience où la pratique artistique s'allie à une approche culturelle ; c'est pourquoi la formation artistique et culturelle devrait être dispensée dans le cadre scolaire par des maîtres spécialisés, comme c'est le cas dans de nombreux pays étrangers. Chez nous, l'éducation artistique et culturelle semble condamnée à n'être que la variable d'ajustement des politiques éducatives, alors qu'elle est au centre de la vie et de l'humain. L'enseignement de la danse et de l'art dramatique est souvent inexistant alors qu'il existe une forte demande. Les départements souhaitent des mesures de rattrapage de l'État.

Le processus de Bologne impose un alignement de l'enseignement artistique supérieur sur le cursus universitaire européen licence-mastère-doctorat. Cette convergence des diplômes facilitera la reconversion des artistes ; mais prenons garde à ce qu'elle ne conduise pas à une uniformisation. Les écoles supérieures d'art ont chacune une histoire singulière ; véritables laboratoires, elles ne doivent pas perdre leur âme dans ce processus. La pratique artistique est une recherche permanente : ces écoles et les universités peuvent s'enrichir mutuellement. Les écoles supérieures d'art plastique jouent un rôle majeur dans la diffusion de l'art contemporain et la sensibilisation, qui permettent à chacun de s'approprier la création contemporaine. L'apprentissage du sensible ne doit plus être considéré comme facultatif et secondaire, c'est au contraire l'une des plus belles aventures humaines. L'enjeu de la démocratisation culturelle ne peut être abandonné au seul marché ; le rôle du service public de la culture est déterminant pour former sans formater. Il faut également relancer l'éducation populaire, alors que tant de nos concitoyens s'adonnent à une pratique artistique en amateur.

Si ce débat est bienvenu, il est en décalage avec la réforme territoriale qu'on nous annonce.

Comment ne pas relayer l'inquiétude des élus et du monde de la culture face à la mise en cause des cofinancements et de la clause de compétence générale des collectivités ?

Comme les Droits de l'Homme, la culture doit demeurer une responsabilité partagée. C'est bien l'engagement des collectivités locales qui a transformé le paysage artistique et culturel du pays en rapprochant partout l'offre du citoyen.

Cela dit, la démocratisation culturelle suppose l'éducation. Il est donc urgent que les deux ministères agissent de concert ! C'est une question de justice sociale, d'égalité des citoyens et de droit à la culture pour tous. Repris par la Constitution de 1958, le Préambule de 1946 proclamait déjà : « La nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation et à la culture. » L'enjeu de la culture pour tous est celui de la démocratie.

Plus que jamais, face à la montée des intégrismes, nous devons combattre tous les analphabétismes. Il faut apprendre l'art comme on apprend à lire et à compter. L'enseignement artistique et culturel ne doit pas être optionnel si l'on souhaite n'écarter personne. C'est à l'épreuve du feu qu'on se brûle, c'est à l'épreuve de l'art que l'on suscite le désir.

Trop tôt disparu, l'auteur et metteur en scène Jean-Luc Lagarce avait rappelé qu'une civilisation qui renonce à l'art, que la fainéantise inavouée et le recul sur soi poussent à s'endormir sur elle-même en renonçant au patrimoine en devenir pour se contenter bêtement des valeurs qu'elle croit s'être forgées et dont elle se contenta hériter, cette société-là oublie par avance de se construire un avenir et ne dit plus rien aux autres ni à elle-même. Les enseignements artistiques constituent le passage de témoin de la mémoire pour mieux inventer demain.

Je souhaite donc un engagement financier plus résolu de l'État non « pour diriger l'art mais pour mieux le servir » comme l'a si bien formulé André Malraux. Il importe que l'enseignement artistique soit diffusé sur l'ensemble du territoire à une époque où la culture conditionne la civilisation. N'oublions pas que l'intelligence est la première ressource de notre planète ! (Applaudissements à gauche et au centre)

Mme Françoise Cartron.  - Je remercie Mme Morin-Desailly pour la grande qualité de son rapport d'information et pour sa proposition de loi destinée à sortir les enseignements artistiques de l'impasse où ils se trouvent actuellement. Faute d'engagement clair de l'État, il était indispensable d'engager le débat.

Je m'interroge cependant sur le sort de sa proposition de loi, qui n'est toujours pas inscrite à l'ordre du jour. Nous ne pouvons accepter le statu quo. Le législateur doit se pencher à nouveau sur l'organisation des enseignements artistiques. Sous une apparence technique se cache un enjeu politique majeur. Sur le plan national, nous devons définir l'enseignement dont bénéficieront nos enfants. Au niveau local, il faut ouvrir la voie à l'aménagement culturel du territoire et organiser ces enseignements pour qu'ils assurent l'émancipation culturelle et le lien social, pour qu'ils s'ouvrent à tous et sortent de l'élitisme où ils sont trop souvent confinés.

Le rapport d'information a montré que les réponses dépendaient bien souvent de l'État, mais je crois que la démocratisation des enseignements et leur inscription dans un projet territorial cohérent est insuffisamment abordée.

D'accord avec Mme Morin-Desailly, je constate l'échec de la loi du 13 août 2004, qui attribua aux régions l'organisation du cycle d'enseignement professionnel initial (Cepi). Les articles 101 et 102 de la loi sur les libertés et responsabilités locales ont attribué à chaque niveau de collectivité une compétence spécifique pour les enseignements artistiques. Les lois de 1983 avaient déjà transféré les compétences en ce domaine, sans préciser de répartition. En pratique, les écoles et conservatoires ont pour l'essentiel été pris en charge par les communes. La loi de 2004 a amorcé des projets territoriaux cohérents, dépassant l'horizon communal pour organiser des espaces de projets à l'échelle départementale ou régionale.

Ainsi, les départements devaient mettre en place dans les deux ans des schémas départementaux des enseignements artistiques. La nomenclature des établissements a été modifiée en conséquence, avec la création de conservatoires à rayonnement régional, départemental et communal. Cette réorganisation était accompagnée par un projet pédagogique ambitieux.

En effet, la loi confie aux régions la mission d'organiser et de financer les Cepi, sanctionnés par un diplôme national d'orientation professionnelle. Substitué aux anciens diplômés d'écoles, ce dispositif a une vocation nationale et pré-professionnalisante. Ainsi, l'État conserve le contrôle des enseignements, la définition du cursus et des cahiers des charge, enfin la labellisation des établissements. Le nouveau diplôme national ouvre l'accès aux centres d'études supérieures et permet de se présenter à certains concours de la fonction publique territoriale. Enfin, les régions percevront désormais en lieu et place des communes les crédits versés par l'État au titre de cette compétence.

Le blocage de la décentralisation des Cepi provient précisément de l'ambition pédagogique du cycle, puisque tout en renforçant les exigences et les coûts des formations, l'État n'a pas compensé la charge supplémentaire. D'où la réticence des régions, dont la grande majorité estime que l'État s'est indûment déchargé sur elles. Résultat : seulement deux d'entre elles ont mis en place des Cepi. La Commission consultative d'évaluation des charges a été saisie à plusieurs reprises mais l'État resté figé sur sa position malgré le coût induit par ses exigences pédagogiques.

Les régions ont fait un pas en avant, puisque l'ARF accepte de participer à l'organisation de ces cycles, notamment sur la base du conventionnement. Toutefois, elles demandent que les crédits alloués à ce titre continuent à être versés aux communes et aux groupements intercommunaux. La rédaction de Mme Morin-Desailly devrait satisfaire cette demande légitime puisque son article premier dispose que les régions organisent les Cepi et contribuent à leur financement. En outre, il dote les régions d'un outil de pilotage, avec la création d'une commission régionale des enseignements artistiques, lieu de concertation entre l'État et l'ensemble des collectivités territoriales, le rôle de chef de file revenant à la région qui devrait établir le schéma régional des enseignements professionnels. Cet outil de pilotage essentiel mettrait fin à une aberration : les départements élaborent un schéma sans le financer alors que la région finance sans pouvoir influencer la cohérence des enseignements artistiques sur son territoire. Il faudrait toutefois préciser le rôle et le fonctionnement de cette commission régionale.

La proposition de notre collègue reste en revanche imparfaite en matière de financement car les régions redoutent que les communes ne se désengagent totalement des Cepi, ce qui laisserait à la charge exclusive des régions la mise aux normes des conservatoires à rayonnement régional et départemental. Suggérant, à l'article 2, que les crédits soient versés aux régions conformément à l'article 102 de la loi de 2004, la proposition de notre collègue ignore la position de l'ARF, qui plaide pour un financement régional complétant la participation des communes et intercommunalités. Surtout, cette proposition de loi n'apporte rien quant à la compensation financière par l'État de ses ambitions pédagogiques.

L'incertitude totale sur les compétences et le financement des collectivités territoriales explique peut-être l'inscription à l'ordre du jour de la question orale au lieu de la discussion de la proposition de loi.

Enfin, il est paradoxal que l'État confie cette compétence coûteuse à des collectivités dont les dépenses sont déjà excessives à en croire le Président de la République.

La proposition de loi est digne d'intérêt mais il faut aller plus loin car l'excessive ambition du projet pédagogique ayant inspiré la loi de 2004 est au coeur du blocage actuel. Il faut donc s'interroger sur l'utilité des Cepi. On peut y voir un prolongement des études qui retarderaient de deux à trois ans l'entrée dans le métier des candidats à même de le faire. Pour les amateurs, l'intérêt du cycle reste à démontrer.

En outre, le diplôme délivré est purement franco-français, loin du standard LMD qui s'impose en Europe. Depuis la rentrée 2008, l'université publique développe des véritables diplômes professionnels au sein des pôles universitaires en musique-danse-théâtre. Pourquoi conditionner l'entrée dans ses pôles à l'obtention d'un diplôme intermédiaire extrêmement coûteux pour les collectivités mais dont la valeur serait exclusivement hexagonale ?

Réaliser le projet pédagogique des Cepi suppose de mobiliser des moyens humains. En 2004, le ministère de la culture n'a nullement pris en compte la situation précaire des enseignants dans les conservatoires et écoles de musique : ils sont trop souvent des vacataires perpétuels dont l'activité pourtant régulière est assurée par une succession de contrats à durée déterminée.

De nombreux enseignants sont contraints à être itinérants pour pouvoir gagner un salaire décent. Ce morcellement du travail, parfois entre deux départements, nuit à l'efficacité des enseignants et fait obstacle à leur implication. A cette précarité s'ajoute l'absence d'une formation continue de qualité, tant pour les enseignants que pour les directeurs d'établissements. Il arrive qu'on demande à des personnes formées sur le tas, qui n'ont reçu aucune formation pédagogique, de mettre en oeuvre un projet très exigeant.

Le projet pédagogique des Cepi a ceci de bon qu'il fait sortir les conservatoires d'une culture de la médaille d'or, qui privilégie la formation d'excellents praticiens au détriment de la transmission et du développement culturel par les arts pour le plus grand nombre. Enseigner les arts, ce ne doit pas être former des petits prodiges, c'est former de futurs médiateurs, des amateurs de haut niveau, qui formeront demain le terreau de la vie culturelle locale. Il faut donc sortir de cette culture du don et du talent que cultivent trop souvent nos conservatoires.

Toutefois, les Cepi n'apportent pas de réponse satisfaisante au manque de démocratisation des enseignements culturels. Avant de créer ces cycles intermédiaires, la loi de 2004 aurait dû renforcer les obligations de l'État et des collectivités en matière d'éducation artistique pour tous. La sensibilisation de tous les enfants aux différentes formes d'art est en effet le meilleur facteur de démocratisation des pratiques artistiques. Les crédits alloués par l'État et les collectivités aux enseignements artistiques méritent d'être réévalués à la hausse, mais pas uniquement pour créer des Cepi. L'enseignement musical reste un luxe, financier et aussi culturel, même si les communes prennent un charge une partie de la dépense. Vous avez évoqué l'expérience vénézuélienne ; j'ai pensé à ce que j'avais vu au Chili pour faciliter l'accès des jeunes aux pratiques artistiques.

La question de l'irrigation de nos territoires ruraux en enseignements artistiques de qualité a été trop mal abordée par la loi de 2004 et elle est absente de la proposition de loi de notre collègue. Nous devrons impérativement traiter ces problèmes et mettre en place des incitations réelles, sans quoi certains territoires resteront des déserts culturels. La décentralisation des enseignements artistiques est un enjeu politique majeur pour le développement culturel de nos territoires, un enjeu d'égalité des chances avec la démocratisation de cette transmission de la culture ; un enjeu économique enfin, puisque de très nombreux emplois, souvent précaires, sont concernés.

La proposition de notre collègue est un premier pas, qu'il faudra prolonger par d'autres, afin de mieux définir le rôle de l'État et de créer davantage de liens entre les différentes formations supérieures artistiques. Pour sortir réellement de l'impasse, il faut remettre tout l'ouvrage sur le métier, et repenser l'organisation de ces enseignements, en concertation avec les collectivités. C'est justement cette absence de concertation préalable, qui a été la cause de l'échec, à la fois administratif et pédagogique de la loi de 2004. Ne renouvelons pas cette erreur, si nous voulons être les conquérants de la culture dont parlait Malraux. (Applaudissements à gauche)

Mme Françoise Laborde.  - Les enseignements artistiques participent de l'aménagement du territoire. Ils contribuent à la richesse de l'offre d'accès à la culture. Les bases de la réforme ont été lancées par la loi de 2004, qui en confiait la responsabilité aux collectivités territoriales sans pour autant en définir précisément les tenants et les aboutissants. Collectivités locales, régions, associations, professionnels ont fait part de leur vive inquiétude à propos de la définition du périmètre des compétences et des destinataires des crédits de l'État.

La réforme de l'organisation des collectivités territoriales est au coeur de nos préoccupations et avec elle, la problématique des transferts de compétences. Les transferts de crédits sont malheureusement rarement proportionnés aux besoins, il en est de même dans le secteur des enseignements artistiques. Depuis 2004, de l'eau a coulé sous les ponts, sans que la situation se clarifie ou que les décrets soient publiés. Seules deux régions ont procédé à des expérimentations. Les autres ont réalisé des études d'impact, exprimé haut et fort leur refus de financer en totalité le Cepi et surtout demandé une concertation préalable avec l'État. En vain.

Cela a motivé le rapport d'information de notre collègue Catherine Morin-Desailly, publié en juillet 2008. Pour tracer des pistes de sortie de crise, les raisons du blocage y sont exposées sans périphrase et l'exigence que l'État donne un coup de pouce financier est réaffirmée. L'éducation et les enseignements artistiques y sont présentés dans toute leur noblesse en termes de choix de société et d'aménagement territorial. Les objectifs de ce bilan d'étape sont louables : démocratiser la culture à titre amateur autant que professionnel, en valorisant l'orientation vers les métiers de la culture et en favorisant le partenariat entre collectivités publiques et acteurs privés.

Les conditions du succès de la réforme envisagée sont essentiellement d'ordre financier et méthodologique : expérimentations régionales, clarification des débouchés professionnels des formations artistiques, gouvernance régionale des enseignements, coopération intercommunale.

J'insiste sur la nécessaire coordination des actions artistiques et culturelles au sein de nos territoires. Respecter les équilibres entre privé et public, c'est renforcer les partenariats entre conservatoires et secteur associatif, multiplier l'effort de formation et assurer la représentation des acteurs du secteur privé dans la commission régionale des enseignements artistiques.

Depuis 2008, les questions du pilotage et du transfert des crédits restent sans réponse. Qui, des régions ou des communes, exercera la compétence en matière d'enseignement artistique ? L'Association des régions de France accepte un pilotage au niveau régional, avec un transfert de la mise en oeuvre aux communes et aux EPCI. C'est pour trancher cette question, madame Morin-Dessailly, que vous avez déposé votre proposition de loi, laquelle mérite mieux que les réticences du Gouvernement.

Vos recommandations sur l'éducation artistique et l'orientation professionnelle sont précieuses. La question de l'orientation est fondamentale pour la formation des futurs artistes et enseignants. Jusqu'à présent, seuls les élèves les plus doués ou bénéficiant d'un environnement familial favorable, pouvaient envisager de faire profession de leur passion et de leur talent. Demain, chacun aura droit d'être orienté dans son parcours artistique et de choisir en connaissance de cause entre la pratique en amateur et le cadre professionnel. Poser la question de l'orientation, c'est aussi s'intéresser aux métiers culturels dans toute leur diversité, rompant ainsi avec le mythe du jeune virtuose. Pourquoi un jeune pianiste ne pourrait-il pas se réaliser professionnellement en tant que programmateur de festival, disquaire ou administrateur d'orchestre ?

L'harmonisation des diplômes pourrait contribuer à rétablir l'égalité des chances, dans un secteur qui se complaît trop souvent dans l'élitisme. Actuellement, chaque conservatoire classé par l'État délivre son propre diplôme, dont la valeur est principalement liée à la réputation de l'établissement. Chacun sait qu'il vaut mieux apprendre la musique à Lyon qu'à Toulouse ! A quoi bon restructurer l'enseignement artistique supérieur si l'on ne crée pas un diplôme ouvrant la voie aux nouveaux cursus ?

La création d'une commission régionale des enseignements artistiques doit absolument être cadrée par la loi. Dans la négociation pour déterminer l'organisation du COP, l'État réapparaît comme acteur, alors que dans le texte initial, les régions devaient s'arranger seules. Il reste assurément le mieux placé pour prendre les initiatives de certifications.

Pour les départements, les communes et les EPCI, la proposition de loi de notre collègue ne présente que des avantages. Pour les régions, même si la transformation du Cepi en COP est susceptible de simplifier les choses, il faudra être vigilant quant à l'augmentation des volumes horaires prévus initialement. L'actuelle évaluation des coûts devra être ajustée pour que les crédits transférés couvrent effectivement les dépenses nécessitées par le pilotage et l'organisation du diplôme. L'inquiétude des régions est d'autant plus justifiée que cette réforme est une fausse décentralisation, l'État n'ayant jamais exercé cette compétence : s'il contrôle les schémas pédagogiques et le classement des conservatoires, ce sont bien les collectivités gestionnaires qui en assurent la bonne marche et en supportent l'essentiel des dépenses.

Si cette proposition de loi est mise à l'ordre du jour du Sénat et adoptée, elle lèvera les blocages, dans la mesure où les régions ne seront plus contraintes à l'action mais engagées à piloter la concertation et à conventionner avec les autres collectivités. Une ombre au tableau persistera pourtant : seules les régions volontaires avanceront et financeront au-delà des crédits transférés. Les autres pourront se contenter de reverser ces crédits aux conservatoires. De fait, les collectivités gestionnaires continueront d'agir selon leurs possibilités et les disparités territoriales que la loi était censée résoudre subsisteront. Restons optimistes...

Le statu quo conduirait à une profonde régression et mettrait les collectivités en grande difficulté face à l'opinion publique. Passer en force pour imposer une réforme à des collectivités récalcitrantes accentuerait le gâchis. La sortie de crise est attendue depuis cinq ans. Le rapport a été rendu il y a quinze mois... Après avril 2010, la proposition de loi de Mme Morin-Desailly pourra être étudiée par le Parlement pour ce qu'elle est et non pas exploitée à des fins politiciennes voire électoralistes.

Monsieur le ministre, pouvez-vous en prendre l'engagement devant nous ? (Applaudissements au centre)

Mme Maryvonne Blondin.  - La loi de 2004 relative aux libertés et responsabilités locales posait, dans ses articles 101 et 102, les principes de la répartition des responsabilités en matière d'enseignements artistiques, mais elle est restée au milieu du gué, ce qui a entraîné les blocages que l'on sait et c'est pourquoi je remercie Mme Morin-Desailly d'avoir relancé le débat. Je voudrais illustrer les rôles respectifs de l'État et des collectivités locales en ce domaine avec l'exemple de mon département, le Finistère, et de ma région, la Bretagne.

L'éducation nationale est le premier acteur concerné. A cet égard, je citerai -je ne le fais pas souvent- le Président de la République...

Mme Françoise Laborde.  - Surprenant ! (MM. Jean-Luc Fichet et Jacky Le Menn le confirment)

Mme Maryvonne Blondin.  - ...dans son discours sur la réforme des lycées. « Dans le lycée de demain, l'art et la culture feront partie de la vie quotidienne des élèves (...) La part faite aux enseignements culturels et artistiques est scandaleuse. Nous accordons très peu de considération à ces matières enseignées la plupart du temps en fin de journée ». Il a par ailleurs souhaité la désignation dans chaque lycée « d'un référent culture » choisi parmi les professeurs et chargé des relations de l'établissement avec le monde culturel environnant. On ne peut qu'approuver ces engagements, mais qu'en est-il des moyens qui y sont liés ? Comment créer de nouvelles responsabilités au sein du lycée, si le nombre d'enseignants diminue constamment ? L'éducation nationale subit en effet, à chaque rentrée, suppressions de postes et diminutions de places au Capes.

Pour étayer mes craintes, je continue de citer le Président qui, prenant appui sur son ministre de l'éducation nationale, Luc Châtel, précise que l'État financera les projections de films dans les lycées professionnels « s'il le faut ». C'est ce « s'il le faut » qui m'inquiète. Il n'est pas concevable de se contenter d'une telle approximation ! D'autant plus que le projet de loi de finances prévoit une baisse, de 50 % dans le premier degré et de 14 % dans le second, des moyens destinés aux actions pédagogiques et partenariats dans les domaines artistique et culturel.

Mais « ce n'est pas une affaire, d'argent, on va donner le matériel à tout le monde, c'est une affaire de volonté ». Les paroles sont belles mais l'air est trop connu et la chanson est bien triste... Or cette question est capitale car c'est en milieu scolaire que les inégalités sociales face à l'accès à la culture doivent être corrigées. Nous venons de travailler sur un rapport d'information établi dans le cadre de la mission jeunes qui fait apparaître la nécessité « de prendre en compte toutes les compétences des élèves pour mettre un terme aux sorties du système éducatif sans aucun diplôme, certification ou attestation ». Or, l'éducation artistique fait partie de ces compétences capables de révéler des élèves qui ne s'illustrent pas dans les cours traditionnels. Il faut sortir de la culture du diplôme et permettre aux élèves les moins scolaires d'acquérir d'autres compétences. Ce point a d'ailleurs été largement repris dans l'allocution du Président de la République, le 13 octobre, où il demande de valoriser non seulement les savoirs mais aussi les savoir-faire et le savoir-être. « C'est l'éducation culturelle qui apprend à travailler efficacement ensemble dans le respect et la compréhension. L'éducation artistique donne aux jeunes le courage de franchir les frontières et de développer pleinement leur personnalité et pas seulement leurs talents intellectuels ». Ce n'est pas un ministre de l'éducation ni un chef d'État qui dit cela mais une femme, chef d'entreprise, directrice de Technologies Austria : Monika Kirschner Kohl. Dans le rapport de juillet 2009 établi par la commission Culture du Conseil de l'Europe, Christine Muttonen rappelle que « les établissements d'enseignement doivent mettre sur pied des projets internationaux de coopération dans le domaine de l'éducation culturelle. Les États membres doivent soutenir les établissements dans ces projets par des actions de sensibilisation ou l'octroi de financements ». La recommandation au Pisa -Programme international de suivi des acquis élèves mené par l'OCDE- demande d'inclure « le sens civique et les compétences créatives » dans le champ d'évaluation des élèves.

La mission d'éducation culturelle et artistique relève de la responsabilité de l'État mais l'efficacité de son action sera d'autant mieux garantie qu'il pourra compter sur le relais des collectivités territoriales dont la proximité est un atout. Mais ce relais ne peut s'effectuer que si les moyens adéquats sont alloués. Les collectivités territoriales s'impliquent fortement dans l'enseignement artistique, comme le souligne notre collègue : « la politique nationale est relayée et portée par les collectivités territoriales (...) ce sont les communes ou leurs groupements qui assument une part prépondérante du financement ». Il est donc incompréhensible que la loi de 2004 se soit contentée d'affirmer le rôle respectif des régions, des départements et des communes sans préciser les clés de répartition des financements entre collectivités.

Le Finistère a choisi de s'impliquer fortement dans ce domaine de compétence -non obligatoire pour un département. Mais, par sa connaissance du territoire, par sa proximité, il est seul à même d'assurer la cohérence d'une pratique culturelle adaptée et de garantir l'accès de tous à la culture. Cette cohérence, c'est l'ambition même du schéma de développement des enseignements artistiques mis en place dans le Finistère. Un état des lieux des enseignements artistiques a été réalisé en 2007 et une définition des différents niveaux d'écoles établie avec, bien entendu, des modalités d'attribution financières spécifiques et des primes données au regroupement intercommunal. Trois niveaux ont été distingués : écoles de musique et de danse de rayonnement local, de rayonnement intercommunal, introduction du volet art dramatique et arts du cirque. Ce schéma, bien accepté, commence à remplir son objectif : garantir l'accessibilité des enseignements artistiques au plus grand nombre, en améliorant la complémentarité des offres, en dynamisant le secteur et en fédérant l'ensemble des acteurs locaux. Avec ce schéma, le département a aussi l'ambition de confirmer le rôle des pratiques artistiques amateurs dans le développement culturel et local. L'enjeu est important car il s'agit de toucher le public le plus large possible et de favoriser les passerelles entre les pratiques amateurs et l'enseignement académique. En décembre 2008, alors que de nombreuses associations s'inquiétaient d'un projet de réglementation des pratiques amateurs au regard du code du travail, j'ai interpellé la ministre de la culture sur les risques d'une telle mesure ! J'ai rappelé l'importance de notre culture bretonne, dont les pratiques amateurs sont le terreau. Pour le seul secteur musique, chant et danse de Bretagne, 40 à 50 000 personnes se mobilisent régulièrement, professionnels et amateurs bénévoles mélangés ! La ministre m'a répondu qu'une réglementation par voie législative n'apparaissait pas adaptée à la diversité des situations et que ce sont des pistes alternatives, de nature contractuelle, qui seront explorées en concertation avec les collectivités territoriales, les professionnels et les artistes amateurs. Donc j'attends !

Pour donner la mesure de l'enjeu, je citerai les deux grandes fédérations de la culture bretonne qui assurent, par convention avec le conseil général, des actions de sensibilisation ou qui accompagnent la création, la diffusion et la transmission des savoirs par la formation dispensée aux jeunes aux quatre coins du département. De plus, « Musique et danse en Finistère » propose un plan de formation continue non diplômante, à destination des enseignants, artistes amateurs et animateurs culturels.

Voilà un exemple de collaboration réussie, fruit de l'initiative locale. Maintenant, permettez-moi d'évoquer le niveau de quatre écoles d'art plastique à rayonnement régional, dont deux dans le Finistère. Elles ont décidé, à titre expérimental, de se réunir en un seul établissement public de coopération culturelle (EPCC), représenté par quatre pôles. Nous en sommes à la mise en place de la structure. Le décret fixant les conditions dans lesquelles les établissements d'enseignement supérieur d'arts plastiques sont autorisés à délivrer les diplômes nationaux étant toujours en préparation, ces établissements, lassés d'attendre, ont pris les devants. Le projet est soutenu par la Drac mais aussi par le conseil régional qui avait déjà affiché sa volonté de considérer les écoles supérieures d'art de Bretagne comme une des priorités de la politique culturelle régionale. Cet EPCC prendra en charge, avec l'appui des ministères de la culture et de l'enseignement supérieur, les cycles d'enseignement supérieur licence-maîtrise-doctorat. Le projet pédagogique retenu par l'établissement de coopération repose ainsi sur le travail en réseau mené depuis plusieurs années par les directeurs de chacune des écoles. La réforme de l'enseignement supérieur amène tous les établissements d'enseignement supérieur artistique et culturel à acquérir leur autonomie juridique. La coopération entre collectivités territoriales a constitué, avec l'appui de l'État, la seule solution envisageable pour la survie des filières culturelles et artistiques supérieures dans les territoires où elles sont implantées. La région apparaît ici comme un échelon de coordination pertinent car c'est sur le libre arbitre de chaque collectivité que s'articule le projet. Une région « chef de file » me paraît tout à fait concevable dans ces circonstances.

Le débat d'aujourd'hui va se heurter, comme tant de projets de loi, à la réforme des collectivités et de la fiscalité locale. Qui, demain, aura la compétence dans ce domaine ? Tout ce réseau de coopération, de formation et de transmission risque de s'écrouler comme un château de cartes si les différentes collectivités ne sont plus en mesure de le financer. Leur capacité financière étant dramatiquement réduite par la suppression de la taxe professionnelle, apparaîtra alors le recentrage sur les compétences qui leur seront exclusivement dévolues. Nous espérons, monsieur le ministre, que les transferts seront correctement compensés. (Applaudissements à gauche)

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.  - « Tu me dis, j'oublie. Tu m'enseignes, je me souviens. Tu m'impliques, j'apprends » : cette maxime de Benjamin Franklin me semble emblématique de la question qui nous occupe aujourd'hui, celle des enseignements artistiques dispensés dans nos conservatoires, sur tous nos territoires.

Tout art nécessite une initiation pour être saisi dans ses beautés, ses nuances, sa profondeur, mais aussi pour être pratiqué dans les règles de l'art. C'est sur cette évidence qui, comme toute évidence, a besoin d'être répétée, ou en tout cas rajeunie, que je fonde ma volonté de faire de la transmission une priorité de mon action. L'idéal de la transmission doit devenir une réalité non seulement pour l'accès aux oeuvres et la mise en perspective historique, mais aussi pour l'initiation aux pratiques artistiques. Ces trois exigences de l'accès aux oeuvres, de la culture générale et de la pratique artistique sont étroitement liées car la pratique, pour reprendre le mot de Benjamin Franklin, est sans doute ce qui implique le mieux l'élève. Quand bien même celui-ci ne deviendra pas un Mozart ou un Gérard Philipe, elle est le premier pas vers la connaissance. La pratique est un peu, toutes choses égales, à l'image des approches comportementales prônées par certains psychologues, une manière d'entrer pleinement dans un sujet. Après le célèbre « mettez-vous à genoux et vous croirez » de Pascal, j'ai envie de dire « pratiquez un art et vous deviendrez un amateur respectueux des vrais talents ». L'initiation à la danse, à la musique ou encore au jeu scénique, outre qu'elle est la garantie d'un épanouissement personnel, élève le niveau d'attention aux arts de toute la société. Cette disponibilité aux arts est indissociable de la santé d'une démocratie parce que les arts aident chacun à se ménager un espace de réflexion et, donc, de liberté. Loin d'une société du spectacle fondée sur un consumérisme passif, les arts et leur pratique nous aident à bâtir une démocratie ouverte et civilisée, une République dont l'un des piliers, moins visible que d'autres mais tout aussi nécessaire, est la culture, littéralement le fait de ne pas laisser ses talents en friche. Ces principes répondent à la volonté du Président de la République d'accorder une nouvelle place à la culture, notamment dans le cadre de la réforme du lycée présentée le 13 octobre, qui se traduira par la mise en place ambitieuse et tellement attendue d'une histoire des arts à l'école, à laquelle je travaille assidûment avec M. Chatel.

Aujourd'hui, le débat porte sur l'apprentissage des pratiques artistiques dans les conservatoires à la suite des travaux si judicieux de Mme Morin-Desailly. Ma politique de transmission doit reposer sur un partenariat solide et clarifié avec les collectivités territoriales. Vous connaissez, en effet, l'importance acquise par ce réseau depuis l'impulsion donnée par Marcel Landowski en 1967. Aujourd'hui, 150 000 élèves sont accueillis dans quelque 500 établissements, dont 283 conservatoires à rayonnement communal ou intercommunal, 106 conservatoires à rayonnement départemental et 42 conservatoires à rayonnement régional. Ce réseau témoigne de l'ambition de l'État et des collectivités de favoriser l'accès du plus grand nombre à une pratique artistique, notamment musicale. Plus de vingt ans après la loi de 1983 qui a transféré l'enseignement artistique aux collectivités, de nouveaux besoins se sont fait sentir. Tout d'abord, une clarification d'un système devenu trop complexe. Ensuite, la volonté d'une meilleure répartition d'un service. Enfin, la nécessité d'assurer la transition entre la pratique amateur et la formation professionnelle et de distinguer les cursus selon les finalités. Il s'agit tout à la fois de maintenir un enseignement pour amateurs tout au long de la vie et de dessiner une voie sinon royale, du moins praticable, pour les futurs professionnels. La loi du 13 août 2004 cherchait à répondre à ces besoins avec la configuration suivante. Tout d'abord, les communes se chargeraient du gros oeuvre de l'initiation et des pratiques amateurs, travail forcément très variable mis en cohérence au sein des schémas départementaux de développement des enseignements artistiques. L'État, pour sa part, devait se charger de l'enseignement supérieur -soit des établissements tels que le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et celui de Lyon- et du contrôle pédagogique de l'ensemble des établissements. Enfin, les régions, désormais pourvues de la compétence de la formation professionnelle, prenaient en charge le chaînon manquant entre la simple initiation et la carrière professionnelle : le cycle d'enseignement professionnel initial ou Cepi, cycle de deux ans au cours duquel la motivation et les qualités artistiques des élèves sont mises à l'épreuve avant le grand saut dans la carrière professionnelle. Tel était le schéma idéal dessiné par la loi. Or les plus belles constructions de l'esprit, de La république de Platon au Télémaque de Fénelon, ne trouvent pas toujours une parfaite application dans la réalité... En l'occurrence, les régions ont parfois hésité à se saisir pleinement de cette nouvelle compétence, la situation a connu une forme indéniable de blocage. Et, enfin !, Mme Catherine Morin-Desailly vint...

L'immense travail que Mme Morin-Desailly a conduit sur le terrain, sans oeillères et sans préjugés, a abouti à un rapport remis le 24 juillet 2008. Ce texte d'une grande sagacité pose les bases d'une nouvelle réflexion entre tous les acteurs. Pour répondre à la demande des collectivités, l'État, dès le 10 juillet 2008, a mis en place un groupe de travail consacré aux enseignements artistiques au sein du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel. Le rapport sans concession de Mme Morin-Desailly met en évidence ce qui manquait à la loi de 2004 : un consensus autour du caractère prioritaire des enseignements artistiques en France et une implication des élus dans une réforme fortement portée par les professionnels. Les travaux du Conseil des collectivités et notre débat d'aujourd'hui montrent que le message a été entendu. A nous de faire en sorte que cette prise de conscience se traduise par des décisions.

L'enjeu, Mme Morin-Desailly l'a rappelé, est de briser la glace de l'intimidation sociale -thème cher à mon coeur- qui éloigne encore trop souvent nos concitoyens des arts et de la culture. Le développement de la pratique amateur doit être clairement la première mission des conservatoires. Le débat sur les Cepi a confirmé, s'il en était besoin, que la tendance naturelle de ces établissements est de se concentrer sur le repérage des futurs professionnels, qui ne représentent qu'une minorité des élèves. L'objectif des conservatoires doit être d'accueillir le maximum d'élèves, notamment les plus éloignés de la culture, d'aider à l'avènement de cette « culture pour chacun » que j'appelle de mes voeux. Nous devons sortir de ce mal français de la voie royale dont l'étroitesse étouffe trop de vocations et empêche l'épanouissement artistique et culturel.

Catherine Morin-Desailly souhaite à juste titre que l'on passe d'un système pyramidal, fondé sur l'idée d'une destination professionnelle obligée, à une logique d'aiguillage -de la pensée unique de la professionnalisation à la liberté et à la souplesse de l'orientation. Cette exigence est d'ailleurs plus généralement celle du Gouvernement en matière d'enseignement et elle correspond aux compétences professionnelles des régions. Le Cepi sera changé en COP : il ne s'agit pas d'argot américain mais simplement d'un « cycle d'orientation professionnelle ». Cela répond à une préoccupation essentielle et à une responsabilité collective, celle de mieux maîtriser le flux des jeunes qui se dirigent vers les métiers du spectacle et de mieux former ceux qui choisissent ces parcours d'exception.

Catherine Morin-Desailly a indiqué les principales causes du blocage, dont l'estimation erronée des coûts de la réforme. Les expérimentations menées dans le Nord-Pas-de-Calais et en Poitou-Charentes ont permis de rectifier les erreurs et de dépassionner le débat. Beaucoup de points ont fait l'objet d'un accord, notamment au Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel. Toutefois, une question cruciale reste en suspens : les crédits de fonctionnement, d'environ 30 millions d'euros, soit 9 % du budget global des enseignements artistiques spécialisés que l'État verse aux communes pour les conservatoires. Alors que l'État n'est plus compétent dans ce domaine depuis plus de vingt cinq ans, il détient encore les crédits correspondants, qui ne sont pas directement mis à la disposition des collectivités territoriales compétentes.

La loi de 2004 prévoyait un transfert de ces crédits aux régions et aux départements, selon des clés de répartition fixées par les Drac. D'après le rapport de Catherine Morin-Desailly et les débats du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, une solution plus simple et plus lisible est préférable. Aucun consensus n'a toutefois pu se dégager sur ce sujet. Trois possibilités s'offrent à nous. Tout d'abord, nous pouvons élargir aux communes la liste des collectivités attributaires des crédits de l'État qui transitent par les Drac, et ainsi mettre fin à une situation où la loi n'est pas appliquée car trop restrictive. Chaque Drac attribuerait les crédits de l'État aux différentes collectivités en fonction de leur implication réelle. Ensuite, nous pouvons transférer l'ensemble de ces crédits aux communes, qui créent et financent les conservatoires. Enfin, nous pouvons faire bénéficier les régions de ce transfert, dans l'esprit de loi de 2004, et ainsi accompagner la mise en place des COP. Dans ces deux derniers cas, les départements recevraient une contribution unique et forfaitaire correspondant à l'élaboration des schémas départementaux.

La première solution présente l'avantage d'une grande souplesse mais elle risque de créer des inégalités entre nos territoires. Le transfert aux communes s'adapterait à l'existant et renforcerait les opérateurs mais il serait sans doute moins efficace pour maîtriser le développement des COP. L'Association des régions de France (ARF) s'est prononcée pour cette solution par une lettre adressée au ministre de la culture le 30 juin dernier. Quant au transfert aux régions, plus ambitieux, il est défendu par la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), par l'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF) et par Catherine Morin-Desailly. Il permettrait de mieux répartir et coordonner l'offre et correspond aux compétences des régions en matière de formation professionnelle et d'emploi.

Quelle que soit l'issue de cette réforme, nous serons passés d'une vision pyramidale de l'enseignement spécialisé, de l'amateur au grand interprète, aux parcours diversifiés des amateurs, pour qui la pratique d'un art est un vecteur d'épanouissement, et des artistes, dont il faut accompagner l'entrée dans une carrière difficile et exigeante. Grâce à ce travail de décryptage, nous pouvons clairement envisager les trois solutions possibles. Elles impliquent une modification législative, et parfois une modification de la répartition des compétences des collectivités territoriales par rapport à la loi de 2004. Elles ne peuvent être isolées du chantier de réforme des collectivités territoriales qui nous attend, dont un premier projet a été présenté au conseil des ministres le 21 octobre. Nous devons tenir compte de la mutation prochaine de la carte des territoires avant de choisir une des solutions proposées. Le temps de l'harmonisation et de l'ajustement s'impose -et ce n'est en aucune manière un procédé dilatoire. Il peut être employé à débattre de cette alternative complexe et à tirer le meilleur parti du travail remarquable de Catherine Morin-Desailly.

Soyez assurés de ma volonté de régler ces questions, en lien étroit avec Brice Hortefeux, dans le cadre de la réflexion d'ensemble sur les compétences des collectivités territoriales. Je souhaite que nous trouvions rapidement la solution la plus adaptée, sans perdre l'acquis des travaux et des échanges qui se sont tenus durant ces derniers mois. Dans cette attente, l'État continuera à verser ces crédits aux établissements en 2010. A brève échéance, nous mettrons en place un système d'enseignement spécialisé satisfaisant pour les amateurs comme pour les professionnels, et respectueux des prérogatives et des ambitions des collectivités territoriales. Pour cela, nous aurons besoin de la sagesse pragmatique de Franklin, c'est-à-dire de savoir impliquer et nous impliquer. (Applaudissements à droite et au centre)

La séance, suspendue à 16 h 55, reprend à 17 heures.