Accord international de 2006 sur les bois tropicaux

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord international de 2006 sur les bois tropicaux.

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie.  - L'accord international de 2006 sur les bois est déterminant pour l'avenir de notre planète. Les forêts abritent plus de la moitié des espèces animales et végétales : elles jouent donc un rôle essentiel dans la protection de la biodiversité. L'ONU évalue à 1,5 milliard le nombre de personnes qui dépendent de la forêt pour survivre.

Or 13 millions d'hectares de forêts disparaissent chaque année dans le monde, ce qui représente presque la surface totale des forêts de France métropolitaine. Les deux causes principales de ce phénomène sont connues : la conversion des forêts en terres agricoles et la surexploitation des forêts pour le bois de chauffe. Or l'exploitation des forêts n'est pas toujours encadrée par des règles précises. Au-delà de l'impact financier estimé à 10 milliards de dollars par an, ces pratiques entraînent la dégradation, voire la destruction des forêts.

L'accord international sur les bois tropicaux qui vous est aujourd'hui soumis a été adopté le 27 janvier 2006 dans le cadre de la Conférence des Nations unies. Il a vocation à remplacer l'accord signé à Genève le 26 juin 1994, qui découlait lui-même de l'accord de 1983. Il clarifie les objectifs et le mode de fonctionnement de l'Organisation internationale et du Conseil international des bois tropicaux ainsi que les procédures de vote en leur sein et le mode d'élection de leurs dirigeants. L'Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT), dont le siège est à Yokohama au Japon, compte actuellement 59 membres qui assurent 95 % du commerce mondial des bois tropicaux et détiennent 80 % des forêts tropicales de la planète. Les contributions financières obligatoires sont calculées en fonction du nombre de votes détenus par chaque membre. Au sein de l'Union européenne, le Royaume-Uni et la France détiennent le plus grand nombre de votes : 33 chacun. Les contributions volontaires alimentent le compte spécial et le Fonds pour le partenariat de Bali, destiné à encourager une gestion durable des forêts productrices de bois tropicaux. Le texte favorise le reboisement et la restauration des terres forestières dégradées en lien avec les communautés locales et prévoit une labellisation des produits forestiers. Enfin, il vise à promouvoir la diversification du commerce international des bois tropicaux. Deux exigences fortes sont énoncées : une exploitation légale et une gestion durable de la forêt.

Avec l'instrument international non contraignant relatif à tous les types de forêts adopté lors du Forum des Nations unies sur les forêts en avril 2007, l'accord international sur les bois tropicaux de 2006 est le seul texte de portée universelle spécifiquement consacré aux forêts et aux bois. La participation de la France au nouvel accord se justifie par trois raisons principales : la lutte contre le déboisement illégal, qui a fait l'objet de discussions approfondies lors du Grenelle de l'environnement ; le fait que les bois tropicaux constituent une ressource essentielle pour de nombreux pays d'Afrique francophone avec lesquels la France entretient des relations étroites et anciennes ; et enfin l'existence d'environ 8 millions d'hectares de forêts tropicales dans nos départements d'outre mer, soit près du tiers des forêts françaises. Cet accord a été conclu pour une durée de dix ans, qui pourra être portée jusqu'à dix-huit ans à compter de son entrée en vigueur. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)

M. René Beaumont, rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - Les forêts contribuent à la préservation du sol, au maintien des nappes phréatiques, à la régulation du climat et à la protection de la biodiversité. Par son ampleur, le déboisement devient une menace pour la population mondiale et pour le climat.

La protection des espaces forestiers constitue une source de conflits entre pays en développement et pays développés. On estime qu'entre 1980 et 1990, la surface des forêts tropicales a diminué de 3,6 %, celle des forêts tempérées augmenté de 0,1 %. Mais même nos forêts sont aujourd'hui menacées par l'extension de l'urbanisation : un récent rapport de l'Office national des forêts a souligné que la forêt française avait régressé en 2008 pour la première fois depuis un siècle, alors qu'elle avait progressé de 17 % au cours du siècle précédent.

Quant aux forêts de bois tropicaux, elles cèdent à l'extension des cultures d'exportation : palmier à huile et canne à sucre transformables en agro-carburants, céréales et soja destinés à l'alimentation humaine et animale. En outre, les forêts sont exploitées de manière anarchique parce que les producteurs cherchent à réduire les coûts ou parce qu'ils ignorent tout des méthodes de gestion foncière.

Dès 1983, la communauté internationale a conclu un accord sur les bois tropicaux afin d'encourager une gestion plus durable des forêts humides. Ce texte a été actualisé en 1994. Un nouvel accord a été signé le 27 janvier 2006, pour une durée de dix ans, dans le cadre de la Conférence des Nations unies. Ce texte favorise une gestion durable des forêts tropicales, qui continuent de régresser au rythme de 15 millions d'hectares par an.

Le texte encourage les États à développer des activités de reboisement, de remise en état des terres forestières dégradées, en tenant compte des intérêts des communautés locales, et à promouvoir la certification.

L'OIBT accueille 33 pays producteurs et 26 pays consommateurs et représente 90 % du commerce mondial de bois tropicaux. Le présent accord clarifie les objectifs, le mode de fonctionnement de l'organisation et du conseil international des bois tropicaux, leurs procédures de vote et le mode d'élection de leurs dirigeants. Il précise le contenu du rapport annuel de l'OIBT ainsi que les obligations de ses membres.

Cet accord se heurte à deux limites : l'OIBT ne dispose pas d'instruments contraignants pour faire respecter ses recommandations et, surtout, les surfaces forestières tropicales sont davantage menacées par l'extension des cultures que par l'abattage illégal. Sous le bénéfice de ces observations, la commission vous recommande l'adoption de cet accord. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Etienne Antoinette.  - Si l'on ne peut qu'approuver une convention visant à concilier le commerce des bois tropicaux avec la préservation des forêts, la réalité doit nous inciter à la fois à une certaine humilité et à plus de volontarisme, d'autant que la France est à la fois pays consommateur et producteur de bois tropicaux -le seul de l'Union européenne, grâce à la Guyane.

Les intérêts économiques des pays du nord se heurtent aux enjeux écologiques -on l'a vu à Copenhague. Pour éviter aux pays industrialisés de changer leurs pratiques, on enjoint aux pays du sud d'épargner leurs ressources, au détriment de leur croissance. Insupportable servitude, l'Afrique doit aujourd'hui reboiser pour limiter les dégâts causés par la culture extensive -au bénéfice des pays industrialisés ! Quant au marché international de CO2, il est utilisé par certains comme un « droit de polluer », perpétuant la perversion des rapports nord-sud.

Nous devons à la fois légiférer avec rigueur et aider les pays concernés. Cet accord instaure un fonds pour financer des projets forestiers durables. Le Parlement européen a demandé aux États d'augmenter le financement de l'exploitation écologiquement responsable des forêts tropicales, mais l'alimentation de ce fonds de même que l'aide au développement restent aléatoires en temps de crise.

Sur le terrain, les situations sont complexes. Ainsi, les grumes du Brésil sont exportées en Chine pour être transformées, puis en Europe sous forme de produits finis ! Certains pays peinent à répondre aux exigences d'une gestion durable des forêts ou d'une chaîne de production complète du bois. Au Ghana, surcapacité, surendettement des petits exploitants ; au Congo, panique lorsque l'exportation de bois illégal fut interdite... II ne suffit pas d'imposer des labels et des certifications, de contraindre les marchés publics, d'inciter à la transformation sur place des grumes ! J'approuve cet accord, dès lors qu'il est assorti d'un accompagnement des pays producteurs. Il faut en finir avec la production illégale, avec en perspective la seconde étape du protocole de Kyoto.

On lit dans le compte rendu de la commission du 3 février que « la forêt guyanaise est de faible qualité, difficile à exploiter, ce qui n'empêche pas sa dévastation par les clandestins brésiliens ». Ces propos sont d'un autre temps, monsieur le rapporteur ! Ces préjugés sont nuisibles pour la Guyane. Selon le Centre international de recherche en agronomie pour le développement (Cirad) de Guyane, que j'ai interrogé, « la forêt guyanaise est bien supérieure à n'importe laquelle des forêts tempérées » et son exploitation « n'est ni plus ni moins difficile que celle des autres forêts tropicales ». D'ailleurs, pourquoi la forêt guyanaise serait-elle la seule à être de « faible qualité », alors qu'elle partage les caractéristiques de celles du Brésil, du Surinam, du Guyana, du Venezuela ?

Selon le Cirad, la gestion de la forêt guyanaise est exemplaire. L'ONF, en charge de 5,5 millions d'hectares sur les 8 millions du département, travaille sur les deux certifications forestières existantes, PEFC et FSC. Le prélèvement est de deux à trois arbres par hectare, en deçà des limites pour un renouvellement naturel de la forêt ; les rotations sont longues, la pause au minimum de soixante cinq ans. Les zones d'exploitation sont sélectionnées avec soin, d'importantes zones sont protégées. En revanche, la destruction de la forêt est bien réelle, non pas à cause d'une exploitation illégale du bois mais de l'orpaillage clandestin...

La Guyane, c'est 8 millions d'hectares de forêt primaire, d'un seul tenant, 1 200 espèces d'arbustes recensées, un potentiel de prélèvement de 5 tonnes de bois par hectare. La gestion forestière y est irréprochable sur le plan écologique. En revanche, son exploitation ne suffit même pas à couvrir les besoins locaux : elle se heurte à des obstacles financiers et réglementaires et au manque de formations adaptées. La filière représente 7 à 800 emplois et produit 65 000 mètres cubes de bois par an. Or on pourrait viser 10 000 emplois d'ici 2030 et 700 000 tonnes de bois par an !

Sur le plan réglementaire, le bois de Guyane répond à l'exigence du marquage CE. II est cependant handicapé par le non-référencement de certaines essences et la non-adaptation des normes de construction aux conditions climatiques locales. Reste que ces bois répondent mieux aux exigences européennes que les bois tropicaux étrangers.

Dans le cadre des négociations sur le climat pour l'après 2012, la Commission européenne ambitionne de stopper la diminution de la couverture forestière en 2030 et de réduire la déforestation tropicale de 50 % d'ici 2020. II faudra prendre en compte la forêt guyanaise. Les bois guyanais doivent non seulement couvrir les besoins internes mais trouver des débouchés naturels dans les DOM, l'Hexagone ou l'Europe...

La France ne peut pas faire moins pour sa propre forêt tropicale que pour les bois tropicaux étrangers ! Quel avenir espérer pour la filière ? Quelles mesures seront prises pour favoriser ce développement responsable qui peut faire de la France un exemple pour la planète ?

M. René Beaumont, rapporteur.  - En commission, j'ai été interrogé sur la situation de la forêt guyanaise, non des autres forêts tropicales. Je reconnais que les qualificatifs employés étaient peut-être un peu outranciers... Je ne prétends pas connaître la forêt guyanaise mieux que vous mais je m'y suis rendu à de nombreuses reprises et suis élu de l'un des premiers départements forestiers de France. Le fait est que les importateurs de bois tropicaux se servent très peu de bois guyanais. Les forêts amazoniennes sont souvent exploitées illégalement mais l'exploitation économique est quasiment absente !

Le bois guyanais ne suffit même pas à la population du département. C'est donc qu'il y a un réel problème d'exploitation. Mes propos ont peut-être été excessifs mais ils voulaient attirer l'attention sur le problème de ces bois qui ne parviennent pas jusqu'en France du fait de la consommation locale.

Cette forêt est domaniale, c'est donc à l'État de prendre une décision : je cède la parole au ministre.

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État.  - Bien entendu, l'État accorde la plus grande importance à la forêt guyanaise, comme d'ailleurs à toutes les forêts françaises. Je remercie le rapporteur de son travail et je confirme, pour en avoir discuté avec lui, qu'il connaît bien la question de la forêt.

Monsieur Antoinette, votre question s'adressait sans doute davantage au ministre de l'agriculture qu'à moi mais je peux cependant vous apporter certains éléments de réponse.

La gestion de la forêt guyanaise est assurée par l'ONF, lequel a engagé un processus de certification des forêts. Il existe actuellement deux principaux labels d'écocertification : le PEFC -en français, programme de reconnaissance des certifications forestières-, principalement utilisé en Europe, et le FSC -conseil de gestion forestière- pour les bois tropicaux. La labellisation PEFC pourrait être accordée en avril ou mai, donc très prochainement. Pour le FSC, ce sera plus long parce que la labellisation se fait forêt par forêt. Les travaux sont bien engagés pour les 500 000 hectares du massif de Régina-Saint-Georges et le domaine forestier guyanais sera bientôt labellisé à 100 %, dès 2010 pour le PEFC.

La filière bois occupe un millier de personnes et leur nombre a crû rapidement ces derniers temps avec la demande de constructions en bois. Mais quatre essences seulement représentent 80 % des volumes exploités, ce qui constitue un handicap économique et environnemental. Pour y remédier, la chambre de commerce a entrepris un travail de classification afin d'introduire une plus grande variété dans les commandes, notamment de la part des donneurs d'ordre des commandes publiques.

Les produits non ligneux ne font pas encore l'objet d'une exploitation industrielle. Il nous faut surveiller de très près toute autorisation de recherche d'origine étrangère. Des projets de développement harmonieux pour l'utilisation d'essences de bois sont mis au point par l'université de Cayenne et des entreprises locales. La forêt guyanaise joue un rôle dans la lutte contre le changement climatique.

Sous réserve des compléments qu'apporterait mon collègue de l'agriculture, je vous confirme que cette forêt fait l'objet d'une gestion rigoureuse dans une logique de développement économique responsable et durable.

L'article unique constituant le projet de loi est adopté.