Lutte contre la piraterie (Suite)

M. le président.  - Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.  - Je répondrai aux interrogations formulées ce matin quant à la coopération avec la Somalie et d'autres pays de la région : l'accord avec les Seychelles est en vigueur ; le Kenya, en revanche, ne peut faire face et il a donc dénoncé l'accord qu'il avait signé.

L'Union européenne envisage de conclure des accords avec la Tanzanie, l'Ouganda, le Mozambique, l'ile Maurice et l'Afrique du sud.

La France participe à la formation des policiers et des garde-côtes du gouvernement de transition somalien.

Les premiers jalons sont donc posés pour aider la Somalie à construire des institutions stables, condition du développement économique.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article 2

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Boulaud et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après l'alinéa 20

Insérer trois alinéas ainsi rédigés :

« Toutefois, la remise aux autorités d'un autre Etat est interdite :

« 1° Lorsque le fait est puni par la législation de cet Etat d'une peine ou d'une mesure de sûreté contraire à l'ordre public français ;

« 2° Lorsque la personne serait jugée dans cet Etat par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense.

M. Robert Badinter.  - Les progrès de la lutte contre la piraterie internationale me réjouissent, mais je suis revenu surpris d'un périple dans la Corne de l'Afrique.

Lorsque des pirates sont arrêtés par un État membre de l'Union européenne, ils sont confiés à des pays comme le Kenya, les Seychelles ou la Somalie, plus précisément dans ce dernier cas aux autorités du Puntland. Or, l'Union européenne n'a pas conclu d'accord avec la Somalie, ni avec le Puntland, car il n'y a pas d'État de droit sur place. La peine de mort s'y applique et les standards internationaux en matière d'État de droit ne sont pas respectés.

Je ne comprends pas le refus de notre amendement...

Au nom de quoi sous-traitons-nous l'obligation internationale de faire juger et condamner les pirates dans le respect de certains principes ?

Espérons que le Gouvernement se contentera des accords passés... En Somalie, la jeune Aïcha, âgée de 13 ans, a été lapidée pour adultère en octobre dernier !

M. André Dulait, rapporteur.  - Je comprends votre préoccupation mais la France ne remettra pas de pirates à un État pratiquant la peine de mort. Si le Puntland l'applique, il faudra en tirer les conséquences.

Ne pouvant tous les faire venir en France, nous devons bien remettre les pirates à un pays, même si ses prisons ne sont pas des trois étoiles...

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.  - Le Gouvernement aussi comprend les préoccupations des auteurs de l'amendement, mais les conventions internationales ratifiées par la France doivent être appliquées.

Notre pays n'a pas conclu d'accord global avec le Puntland. Nous procédons cas par cas. Un échange verbal systématique avec le gouvernement fédéral nous permet de vérifier que la peine de mort, ni un traitement dégradant ne seront appliqués..

En 2008, 2009 et 2010, les 83 pirates qui ont été remis aux autorités du Puntland, ont été condamnés à des peines de cinq à quinze ans de prison..

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

Les articles 2 bis, 3, 4 et 5 sont adoptés.

Article 6

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par M. Boulaud et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Alinéa 14

Compléter cet alinéa par les mots :

sans dépasser un délai maximal de trente deux jours

M. Didier Boulaud.  - Un délai maximal pour la rétention à bord des personnes appréhendées doit concilier les fortes contraintes opérationnelles de l'action en mer et le nécessaire respect des libertés individuelles.

La loi fixe un délai maximal de 32 jours en matière de rétention des étrangers en situation irrégulière. Par ailleurs, la Belgique a adopté, le 30 septembre 2009, une loi sur la lutte contre la piraterie, avec ce même délai maximal d'un mois pour la rétention à bord.

Le rapporteur a proposé un transfèrement des suspects par voie aérienne.

M. André Dulait, rapporteur.  - Aucun délai n'existe actuellement, mais le juge de la rétention et des libertés se prononcera tous les cinq jours. Cette solution est préférable.

M. Henri de Raincourt, ministre.  - M. Boulaud s'est inspiré de la loi belge du 30 décembre 2009 mais ce projet de loi est plus complet puisque l'autorité judiciaire intervient après 48 heures, puis tous les cinq jours.

Ce dispositif est conforme à l'arrêt Medvedyev de la Cour européenne des droits de l'Homme.

M. Robert Badinter.  - Cet arrêt a mis en évidence un vide juridique.

La solution retenue dans le projet de loi comporte cependant une grave lacune : l'absence totale de l'avocat. Il ne peut certes pas se présenter sur un bateau mais le juge et le procureur non plus !

M. Christian Cambon.  - Où sont les avocats des otages ?

M. Robert Badinter.  - Vous avez omis les droits de la défense.

M. André Dulait, rapporteur.  - La phase judiciaire commencera lorsque le suspecté pirate mettra le pied sur le sol français. La situation envisagée est analogue à celle de l'individu transporté dans la voiture de police après avoir été pris en flagrant délit.

M. Henri de Raincourt, ministre.  - La Cour européenne n'exige pas la présence d'un avocat.

M. Robert Badinter.  - Nous verrons...

L'amendement n°1 rectifié bis n'est pas adopté.

L'article 6 est adopté.

Article additionnel

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

I. - Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les enfants dont le père, la mère ou le soutien de famille, de nationalité française, a été victime d'actes de piraterie maritime, peuvent se voir reconnaître la qualité de pupille de la Nation dans les conditions fixées au Titre IV du Livre III du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.

Les présentes dispositions bénéficient aux victimes d'actes de piraterie maritime commis depuis le 10 novembre 2008.

II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigé :

Chapitre ...

Dispositions relatives aux enfants des victimes d'actes de piraterie maritime

M. Henri de Raincourt, ministre.  - La piraterie maritime est un crime pouvant provoquer des morts. C'est pourquoi les enfants de personnes victimes d'actes de piraterie doivent devenir pupilles de la Nation.

M. André Dulait, rapporteur.  - Cet élargissement de la qualité de pupille de la Nation est conforme aux élargissements décidés en 1990 et 1993 respectivement pour les victimes de terrorisme ou d'agressions.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Cet amendement fait suite au décès d'un père de famille tué au cours de la fusillade qui a suivi l'intervention des commandos fusiliers marins.

Nous nous inclinons devant la souffrance de la famille, mais je veux également rendre hommage aux militaires, les premiers à avoir souffert de cet acte. Il ne s'agit pas d'une bavure mais d'une regrettable conséquence de l'intervention qu'ils ont du faire. En la circonstance, le commandant et le chef d'état-major se sont fait parachuter en mer pour conduire l'opération. Enfin, j'atteste que le ministre n'a pas caché la vérité, il a informé la famille dès le départ, je m'en suis assuré puisque ce sont des résidents de mon département. Toutefois, la plus grande discrétion s'est imposée à lui dès lors qu'une instruction judiciaire avait été ouverte. Nous regrettons tous cette affaire mais chacun s'est comporté conformément à son devoir de militaire et de ministre.

Pensons à la victime et espérons que le nouveau pupille de la Nation ait une vie heureuse. (Applaudissements)

M. André Trillard. - Je souhaite que soit modernisée la catégorisation des pupilles de la Nation, certaines références étant aujourd'hui parfaitement obsolètes.

M. Didier Boulaud.  - Nous nous associons aux propos tenus par le président de la commission, qu'il s'agisse des victimes ou des fusiliers marins commandos, qui font preuve d'un grand courage, notamment en Afghanistan.

L'amendement n°3 est adopté et devient article additionnel.

Vote sur l'ensemble

M. Robert del Picchia.  - L'époque des corsaires est révolue, mais la piraterie revient. Notre pays doit donc se doter des moyens juridiques d'agir sans encourir de condamnation par la Cour européenne des droits de l'Homme. Ce texte adresse un message à nos partenaires, mais aussi aux pirates.

Le groupe UMP votera ce texte nécessaire à notre époque.

M. Didier Boulaud.  - Les tergiversations gouvernementales sur la réforme de la procédure pénale et l'impossibilité de faire confiance à une garde des sceaux qui, en son temps avait juré que jamais la gendarmerie ne fusionnerait avec la police, nous conduisent à nous abstenir.

M. Christian Cambon. - Faible argument !

M. Jean-Louis Carrère. - Au moins, nous ne nous contredisons pas !

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Le groupe centriste unanime votera ce texte nécessaire.

J'ai dit ce matin que la piraterie était le résultat d'un désordre sur les causes duquel nous devons nous interroger. Le ministre n'en a dit mot.

M. Henri de Raincourt, ministre.  - Hier, M. Boulaud soutenait ce texte ; 24 heures plus tard, les choses ont changé. Qui se contredit ? Mais il a tort d'évoquer les tergiversations du Gouvernement sur la réforme de la justice, car il n'y a rien de tel. Nous devons conduire à leur terme les concertations nécessaires.

M. Jean-Louis Carrère.  - Arrière toute !

M. Henri de Raincourt, ministre.  - Quoi que nous fassions, rien ne trouve grâce à vos yeux. La vacuité de vos suggestions se réduit à la critique systématique.

L'ensemble du projet de loi est adopté.