Débat préalable au Conseil européen

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat préalable au Conseil européen des 17 et 18 juin 2010.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - La construction européenne traverse une passe difficile. La solidarité entre les États membres est en question. L'axe franco-allemand prend dès lors une importance singulière. Une fois de plus les deux pays ont des responsabilités particulières. On entend beaucoup de commentaires inquiétants sur leur relation, le simple report d'un dîner fait dire que leur amitié n'est plus que de façade. Un peu de recul ne nuirait pas. Je faisais partie d'une délégation qui s'est rendue à Berlin le mois passé. J'ai constaté que le couple franco-allemand est soudé, même si des divergences existent. Lorsque nous parvenons à une position unique, elle a un effet d'entraînement indéniable.

Lorsque nous entrerons dans le cadre financier de l'Union, s'il n'y a pas une approche commune franco-allemande, nous irons dans les pires difficultés. Nous ne sommes plus au temps de la guerre froide : l'Allemagne a retrouvé son unité et sa pleine indépendance ; elle est aujourd'hui au coeur de l'Union. Ses efforts passés expliquent ses réticences lors de la crise grecque. Reste que la France doit être un partenaire crédible et pour cela restaurer, elle aussi, sa compétitivité et mettre de l'ordre dans ses finances publiques.

Si nous parvenons à une approche commune pour sortir de la crise tout en assainissant nos comptes publics, l'effet d'entraînement sera considérable -nos deux pays représentent presque la moitié du PIB européen. Je me refuse à désespérer du couple franco-allemand car ce serait désespérer de l'Union. Cet après-midi, les commissions des affaires européennes des deux chambres -une première- ont entendu votre homologue, monsieur le ministre, et vous-même ; nous avons constaté que la volonté de s'entendre était bien là. La PAC a toujours été un point de désaccord entre nos deux pays ; mais les positions se rapprochent.

La question de la gouvernance économique européenne sera au centre du Conseil européen, sujet sur lequel un rapprochement est difficile ; l'Allemagne est allée au bout des réformes, notamment pour les retraites, et elle n'a pas envie de payer deux fois et avoir à soutenir les États qui n'ont pas fait les mêmes efforts qu'elle. Nous devons poursuivre nos réformes et les mener à bien. Il n'y a pas d'obstacles insurmontables à une communauté de vues. Le bon échelon de la gouvernance économique est-il l'Europe à 27 ou la seule zone euro ? Ne nous laissons pas enfermer dans un débat un peu artificiel : il faut la renforcer aux deux niveaux. Si l'on organise mieux la zone euro, presque tous les États pourront la rejoindre comme le prévoient les traités.

J'ai confiance dans le couple franco-allemand, dans la capacité de la France à se réformer, dans celle de l'Union à définir une discipline intelligente qui ne compromette pas la reprise. L'histoire n'a pas toujours donné raison aux pessimistes, sinon nous ne serions pas là pour débattre de l'Europe. (Applaudissements à droite)

M. François Marc.  - Dans deux jours, un Conseil européen se tiendra à Bruxelles. L'ordre du jour est chargé. Il s'agira une nouvelle fois d'un Conseil de crise. La question de la gouvernance économique est loin d'être réglée. S'agissant de la régulation financière, j'ai déjà formulé avec mon groupe de nombreuses propositions. Nous voulons une régulation accrue, l'encadrement de la spéculation, tant dans notre pays qu'au niveau international, une taxe bancaire, la taxation des transactions financières. Mais elles ont jusqu'ici été accueillies avec scepticisme par le Gouvernement. Certes, le discours de celui-ci a changé, mais dans les faits, rien, ou si peu, n'a changé depuis le discours de Toulon du Président de la République sur la moralisation du capitalisme...

De nombreux chantiers restent en suspens. Or, il faut agir sans délai pour mieux contrôler le système financier. Le 29 octobre, notre proposition de résolution européenne a été rejetée par le Sénat.

Nous ne devons pas laisser les marchés retourner à leurs mauvaises habitudes. Les ventes à découvert à nu ont été interdites par l'Allemagne, la France s'est ralliée à cette initiative après s'y être refusée. Cela va dans le bon sens. Mais Bruxelles ne décidera pas d'une telle interdiction au niveau européen ; cet arbitrage laisse perplexe...

La taxation des banques n'a toujours pas vu le jour. En privilégiant à Pusan la consolidation budgétaire, les États et les banquiers centraux ont vidé l'ordre du jour du prochain G20 ! Et légitimé par avance les plans de rigueur. On cherche vainement la réforme du capitalisme mondial ! Quant à la réforme du Pacte de stabilité et de croissance, elle oublie... la croissance, que la rigueur risque de tuer dans l'oeuf.

La gouvernance institutionnelle européenne en situation de crise reste à créer. L'Europe est à la peine et affronte la crise en ordre dispersé. La coordination intergouvernementale ne suffit plus, les marchés l'ont montré. La France s'est alignée hier sur la position allemande : il n'y aura pas de gouvernement économique de la zone euro mais une gouvernance économique à 27.

La surveillance des finances publiques doit prendre en considération davantage de critères : les déficits structurels, la compétitivité, l'emploi, les politiques salariales, la pauvreté, l'éducation, les investissements dans la recherche.

Une agence publique de type Cour des comptes européenne pourrait évaluer l'efficacité de la dépense fiscale, tandis qu'une agence européenne de la dette pourrait intervenir pour soulager le service de la dette des États. L'évaluation des budgets nationaux lors du semestre européen devra fonder sa légitimité sur l'association des parlements nationaux.

Le sommet européen de jeudi devra faire la lumière sur la réforme de la gouvernance. La légitimité démocratique est indispensable à toute forme de gouvernement économique européen, celui-ci devra être responsable devant les citoyens européens. Les moyens d'actions de l'Europe sont trop modestes. Le budget européen reste un nain : il n'est que de l'ordre de grandeur du déficit national français. L'Union ne s'est toujours pas dotée d'un système de supervision économique et financière, de garde-fous contre les dérives du capitalisme. Une intégration plus poussée permettrait d'agir plus vite et plus efficacement. Il est temps que des instruments d'ensemble soient conçus afin de construire la véritable union que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; M. Pierre Fauchon applaudit aussi)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Le Monde de ce soir prête à François Mitterrand cette maxime : « On ne dit pas non au chancelier de l'Allemagne ». Je ne lui ai jamais entendu dire ces mots. C'est l'intérêt de la France qui doit guider nos dirigeants, un intérêt inséparable de l'intérêt européen, avec le souci du compromis -notamment avec notre grand voisin allemand. Or hier à Berlin, M. Sarkozy a fait deux concessions majeures : la suspension du droit de vote aux pays considérés comme laxistes, en contradiction avec les traités, et une coordination économique et budgétaire qui se fera à 27 et non à 16 -mais les pays hors zone euro peuvent procéder aux ajustements monétaires qu'ils souhaitent.

Qu'il est loin le temps où le général de Gaulle disait que la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille. La pression des marchés financiers est là ! Quel échec ! L'erreur initiale de la monnaie unique a été de faire comme si les nations, les différences entre elles n'existaient pas. La souveraineté monétaire a été transférée à une instance déconnectée du suffrage universel, sans qu'ait été mis en place un gouvernement économique de la zone euro. La notion de gouvernement économique semble aujourd'hui acceptée, mais quel en sera le contenu ?

Le Fonds européen de stabilité financière ne remédiera pas à la crise de l'euro. Le refus de la solidarité financière est une grave erreur. Le mécanisme sera inévitablement déstabilisateur.

En outre, l'Allemagne a lancé un plan de rigueur de 80 milliards d'euros sur quatre ans. Or, c'était sans doute le seul pays qui pouvait en faire l'économie ! Ajouté aux autres plans européens, il rendra la sortie de crise plus difficile. Seule la croissance permettra d'en sortir. Or les différentiels de croissance sont tels entre l'Europe et les pays émergents que les délocalisations vont s'accélérer puisque les entreprises iront là où est la croissance. Les mesures envisagées au Conseil des 17 et 18 juin n'apportent aucune perspective, sinon la lancinante incitation à une réforme structurelle du marché du travail -en d?autre termes, toujours plus de précarité.

Sous la pression des marchés financiers, le Président de la République veut introduire dans la Constitution une clause pour interdire les déficits budgétaires. Cette clause ressemble à un couteau sans manche auquel manquerait la lame (Sourires).

Il faut donner des gages aux Allemands, a dit M. Copé ; c'est chose faite depuis hier... Le retrait du droit de vote des pays laxistes est contraire à la démocratie et aux traités. Le Président de la République agite un sabre de bois !

En interdisant aux parlements de se prononcer en premier sur le budget, on prive les représentations nationales de leur rôle. Certes, M. van Rompuy est revenu un peu sur cette disposition, mais c'est encore trop. La coordination indispensable doit-elle se faire dans la zone euro ou dans l'Europe des 27 ? Bien évidemment, c'est la première solution. Or, c'est la deuxième qui a été retenue hier ! La répression ne peut être confondue avec la prévention, tous les ministres de l'intérieur vous le diront... (Sourires)

Quant au pacte de stabilité, il a montré ses limites avec le cas de l'Espagne, qui satisfaisait à tous les critères de Maastricht. Le Conseil européen devrait approuver un cadre macroéconomique, et les parlements nationaux délibéreraient sur la programmation budgétaire.

La question est de savoir si l'Allemagne infléchira sa politique. En 2000, le Chancelier Schroeder a fait en sorte que les travailleurs allemands acceptent de travailler plus longtemps pour le même salaire. La cohérence franco-allemande est nécessaire, mais elle ne peut se résumer à l'alignement d'un pays sur l'autre. L'Europe a besoin de l'Allemagne mais elle doit aussi la protéger. Un grand patron allemand a dit que l'Allemagne devait prendre les Français comme ils sont et réciproquement -ce qu'il n'a pas dit, c'est que l'excédent commercial allemand se faisait à 60 % avec la zone euro.

L'Allemagne défend ses intérêts, comme il est normal. La baisse de l'euro contribuera à sa compétitivité à elle aussi. L'euro n'est pas seulement la monnaie de l'Allemagne, mais aussi de quinze autres pays, qui profitent ensemble de ses avantages. Un remodelage de la zone euro, comme notre voisin semble le souhaiter, en en excluant les pays du sud est inacceptable pour la France comme pour l'Europe.

L'Europe doit être une grande ambition partagée ; j'ai confiance dans le dialogue entre les peuples. Les règles de jeu de la monnaie unique doivent être revues et l'ouvrir non pas au fédéralisme, mais à une meilleure coordination entre les nations, qui restent le lieu irremplaçable de la souveraineté populaire. Le réalisme servira mieux l'amitié franco-allemande et l'Europe. La purge ne fait pas une stratégie. La France et l'Europe ont besoin d'un projet mobilisateur. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, de la commission et sur quelques bancs socialistes)

M. Michel Billout.  - Dans cet hémicycle clairsemé...

Mme Annie David.  - Comme d'habitude !

M. Michel Billout.  - ...nous sommes amenés à débattre. Le prochain conseil entérinera de nouvelles décisions censées faire face à la crise actuelle. L'Union traverse une zone de turbulences, de confusion et de cacophonie où chacun se replie sur ses intérêts économiques.

M. Barnier estime que l'industrie financière imagine des produits financiers dérivés tellement sophistiqués qu'elle ne s'y retrouve plus elle-même ; et que 80 % des 600 000 milliards de dollars échappent à toute transparence et à tout contrôle. Le Président de la République a bien du mal à faire entendre la voix de la France dans une Union si peu solidaire. Nos relations avec l'Allemagne se sont distendues. Et ce n'est pas le dîner d'hier soir qui changera notre sentiment. Nicolas Sarkozy a dû renoncer à institutionnaliser le rendez-vous des seize chefs de gouvernement de la zone euro.

Il a été question de priver certains États « laxistes » de leur droit de vote. Drôle de lecture du traité de Lisbonne ! Le Président de la République souhaite que le G20 instaure une taxe sur les transactions financières et sur les banques. Mais il n'en sera rien car les États ne souhaitent pas aller contre les exigences des marchés financiers.

La semaine dernière, plusieurs réunions à 16 et à 27 des ministres de l'économie ont eu lieu. Des plans de rigueur ont été annoncés. La palme va à la France, qui a prévu de réduire en trois ans son déficit de 100 milliards et de supprimer 100 000 postes de fonctionnaires -l'Allemagne n'en supprime que 15 000. Pour contrer la contagion grecque, les ministres des finances ont créé le Fonds européen de stabilité financière pour venir en aide aux pays qui en ont besoin. Le pacte de stabilité et de croissance a également été renforcé. Mais tout ceci sera contreproductif. Les plans d'austérité budgétaire risquent d'asphyxier les économies européennes.

Nombre d'économistes vous alertent : ils estiment que l'austérité nous fait courir à la catastrophe. La révision constitutionnelle voulue par le Président de la République lierait les mains des gouvernements futurs est-ce vraiment un progrès démocratique ?

Les projets de budgets nationaux pourront être présentés à la Commission européenne avant même d'être débattus par les parlements nationaux. Ce serait contraire à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme !

Enfin, ce qu'il est convenu d'appeler la modération salariale est à l'honneur ! Notre groupe estime que le futur gouvernement économique européen serait contraire aux intérêts des peuples européens. A l'inverse de la concurrence effrénée il faut définir une véritable politique industrielle et de recherche. La BCE devrait aider directement les États, plutôt que d'être au service du système bancaire. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG et du RDSE)

M. Pierre Fauchon.  - Avec Maastricht, nous avions le sentiment d'avoir passé un cap avec la monnaie unique, avec Schengen et le PSCE, cela fait trois piliers : un véritable temple ! (Sourires) Nous n'avons pas su trouver la formule pour régler les relations entre les États de la zone euro et les autres. Nous le payons aujourd'hui au prix fort.

Quelques pays ont avancé -voir Schengen- et ils ont été rejoints par d'autres. On comprend qu'en matière de politique extérieure et de défense, l'évolution soit lente. Mais il est inacceptable que les choses trainent en matière de sécurité et de liberté. Comment s'étonner de l'abstention aux européennes ?

On peine à se retrouver dans le traité de Lisbonne comme dans un dédale où il n'y aurait pas de Minotaure. Et voici que le Minotaure arrive : c'est la crise. Ou bien nous avons le courage de Thésée et nous allons plus loin dans l'intégration, ou bien l'Europe se dissoudra. Notre fil d'Ariane, ce doit être l'acceptation d'un certain degré de différenciation.

L'Eurogroupe devra avoir plus de pouvoirs. On ne va pas remettre en chantier les traités, mais il faut en venir à des pratiques nouvelles. Nous ne devons pas craindre que la Commission analyse les budgets nationaux. Cette phase préparatoire doit être le fait d'un organisme technique indépendant des États.

Ou bien nous résistons ensemble à la crise, ou bien nous n'en sortirons pas. Si nous en sortons, ce sera grâce à une intégration -appelons les choses par leur nom- de type fédéral ou confédéral, car il n'est évidemment pas question d'abolir les nations.

Des mécanismes plus simples que ceux prévus dans le traité de Lisbonne devront être élaborés. Le couple franco-allemand a été marqué par tant de malentendus qu'il faut le refonder. Finissons-en avec les petits arrangements, les hésitations, les malentendus. Ne restons pas suspendus à l'agenda gastronomique de Mme Merkel et de M. Sarkozy. Faisons de l'Europe un bateau de haute mer. Un traité particulier devra être signé entre les plus volontaires. N'oublions pas qu'il existe une pierre d'attente, celle posée il y a quelques lustres par nos amis allemands Lammers et Schauble ; nous n'avons pas su construire sur elle.

Lors du prochain Conseil européen, la France devra aborder de façon constructive les futures réformes. Avec la crise, le Minotaure est là, il frappe à notre porte. Nous ne le chasserons pas avec des livres verts ou des agendas 2020 ou 2040 ! Il faut nous mettre en ordre de bataille. Si nous le faisons, nous retrouverons notre crédibilité. Sinon, l'Europe sortira de l'histoire et deviendra un musée d'une civilisation qui aura cessé d'être vivante. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Pierre Bernard-Reymond.  - Le prochain conseil devra étudier un nouveau programme destiné à prendre la suite du processus de Barcelone, qui a été un échec. La réussite ne viendra pas de la pertinence d'un tel programme dont le contenu ne devrait pas soulever beaucoup d'objections. Le fond du problème n'est pas là, mais dans l'absence de gouvernement économique. Qui gouverne l'Europe ? Qui parle pour elle ? Qui la symbolise ? La confusion n'est pas que formelle ; elle traduit une hésitation fondamentale qui est là depuis les premiers élargissements, entre une Europe intergouvernementale fondée sur le libre échange et une Europe intégrée. On s'est laissé aller vers l'intergouvernemental, et voici qu'avec la crise, la notion de gouvernement commun reparaît dans la bouche de ceux qui ne l'avaient guère défendue.

Cette crise montre qu'avec l'euro, certains pays ont choisi la voix de l'intégration, sans toutefois en tirer toutes les conséquences. L'euro désormais est là, et moins d'Europe serait plus dangereux que plus d'Europe. Il faut donc progresser vers l'intégration.

Tous n'y sont pas prêts ? Avançons avec ceux qui y sont disposés, à 27 si possible, en observant en tout cas les réactions. Le couple franco-allemand apparaît derechef comme le moteur de l'Union. Il faut trouver sans se lasser les voies du rapprochement entre nos deux peuples. Je suis heureux de la réunion que nous avons eue tout à l'heure, avec vous, monsieur le ministre et avec votre homologue allemand.

Les efforts sont partagés. L'Europe tout entière a participé à la réunification de l'Allemagne qui exporte principalement à l'intérieur de la zone euro.

Celle-ci doit renforcer sa cohésion et aller vers un futur gouvernement économique. La BCE ne doit pas être acculée à sortir de son orthodoxie. Il est utopique d'espérer que les objectifs de 2020 puissent être atteints avec les méthodes actuelles.

Ou bien la dissolution vers des États ou bien une Europe puissante ! Hier, le Président de la République et la Chancelière n'ont pas trouvé d'accord. Ce n'est pas grave, si ce n'est pas une divergence de fond sur ce que doit être l'Europe.

Le programme annoncé pour le G20 montre l'écart des situations entre les différentes parties du monde. Les questions de déficit budgétaire ne semblent pas y occuper partout une grande place. Le conseil des ministres devrait prendre en compte la situation actuelle pour avancer pragmatiquement mais sans perdre de vue l'objectif : bâtir une puissance mondiale au service des idéaux de paix, de liberté et de démocratie.

Ou bien être une puissance mondiale, ou bien n'être plus qu'une poussière d'États insignifiants sans croissance, sans pouvoirs et sans avenir. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - Je remercie les six orateurs qui viennent d'illustrer toute la gamme des sensibilités que connaît notre pays face à l'Europe. Peut-être serait-il préférable de commencer par une brève déclaration du Gouvernement puis de répondre aux orateurs, que de procéder au « débat interactif » qui est prévu.

M. le président.  - Je ferai part de votre observation à la Conférence des Présidents. Tous les débats se déroulent ainsi...

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - Ce n'était en aucun cas une remontrance, juste une suggestion.

L'agenda de jeudi est particulièrement chargé, à la veille du G20 de Toronto, et sous les yeux des marchés, c'est-à-dire de ceux qui spéculent et des fonds de pension.

Je veux croire que ce Conseil marquera un vrai retour de l'Europe. Ce qui a été fait il y a un mois était un plan d'ampleur historique ; il sera question jeudi de le compléter.

Le Conseil traitera aussi du climat et de la taxe carbone routière, de l'Islande, de l'Iran, de la perspective d'entrée dans l'euro de l'Estonie, de convoquer une commission intergouvernementale pour désigner dix-huit membres supplémentaires au Parlement européen, dont deux Français.

J'insiste à mon tour sur l'importance stratégique du couple franco-allemand, d'une exceptionnelle qualité, d'une grande difficulté aussi puisqu'il s'agit de transcender nos différences pour formuler une politique commune.

C'est entre le Président de la République et la Chancelière qu'a été conçu le plan du 7 mai pour sauver l'euro, sur la base de l'article 122-2. Le second volet de ce plan consistait à créer une faculté de soutien, avec des concours, votés par les parlements. La moitié des crédits en jeu sont allemands et français. Il faut y ajouter les 250 milliards du FMI ; enfin, la BCE a décidé d'acheter de la dette souveraine sur le marché secondaire.

Autre exemple de l'importance de notre relation : l'accord d'hier soir.

Soixante-dix ans après le 15 juin 1940, un ministre allemand et un ministre français étaient ici avec vous. Nous avons visité l'Agence spatiale européenne qui, elle aussi, est principalement franco-allemande.

Le nécessaire retour à l'équilibre des finances publiques n'est pas une « purge » mais nous devons rester crédibles sur la scène mondiale. Nous maintenons les investissements du grand emprunt mais le déficit ne peut rester à son niveau de sortie de crise sans devenir une menace pour le futur. La situation de l'an dernier imposait des plans de soutien ; il faut maintenant envisager la sortie de crise, mais en prenant garde à nos dépenses et en faisant des économies.

Ces sujets doivent être mieux gérés, avec sens des responsabilités. Il n'est pas question de continuer à donner des statistiques fausses et de laisser filer les déficits en espérant que d'autres paieront, en comptant sur une carte bancaire magique...

Le Président de la République a évoqué l'idée d'inscrire une règle dans la Constitution afin de fixer un cadre. M. Chevènement à comparé cela à un couteau sans lame auquel manque le manche. En fait, nous nous contentons de tracer une ligne jaune continue sur une route. Si vous enlevez la ligne jaune, cela devient du stock-car ! Je résisterai à la tentation de refaire le débat sur Maastricht, monsieur Chevènement.

La France sera au rendez-vous de ses obligations européennes, qui lui imposent de ramener le déficit à 6 % du PIB en 2011, 4,6 % en 2012 et 3 % en 2013. Le Gouvernement refuse de tuer le malade pour le guérir ; il n'augmentera donc par les impôts ; il se contentera de maîtriser les dépenses et de réduire les niches fiscales. Avec une remontée des recettes, nous espérons atteindre l'objectif de 100 milliards en 2013. La Commission a considéré que nos efforts allaient dans le bon sens. Il est vrai, comme l'a dit M. Marc, qu'une accumulation de plus de rigueur sans coordination serait très dangereuse pour la croissance. Nous avons un pilotage très fin à opérer.

La notion même de gouvernement économique était totalement refusée il y a quelques mois. Le principe en est aujourd'hui admis par l'Allemagne.

A seize ou à vingt-sept ? L'eurogroupe en tant que tel n'existe pas dans les traités, qui ne connaissent que les vingt-sept. Cependant, rien n'interdit qu'on se réunisse à seize quand nécessaire.

Je doute fort que nos partenaires extérieurs à la zone euro puissent être tentés de laisser filer leur monnaie. Leur intérêt est au contraire d'en rester proches.

Faut-il des sanctions ? Ajouter une pénalité financière à quelqu'un qui est en faillite n'a pas grand sens... Il faut ouvrir le débat sur les sanctions politiques. Certains mettent des garanties sur la table ; c'est pour qu'elles ne soient pas utilisées ! Quand on donne sa caution, on demande à l'autre de se conduire de façon responsable.

Surveiller les niveaux d'endettement et les budgets nationaux ? M. Billout et M. Bernard-Reymond ont adopté les deux positions extrêmes. Fidèles lecteurs de Molière, nous cherchons le juste milieu. Nous disons que les orientations budgétaires sont élaborées par les États et adoptés par les parlements nationaux, mais il faut bien une coopération. Cela reviendrait, sinon, à dire que les coffres sont grand ouverts !

Que voulons-nous faire, nous Français et Allemands ? Reconnaître la contribution aux stratégies européennes de toutes les politiques connues, y compris la PAC. Nous voulons en plus que cet agenda 20-20 stimule la croissance. D'où notre visite ce matin à l'Agence spatiale européenne. Ce combat n'est pas encore gagné ! On en reste pour l'instant aux déclarations générales, « Apple pie and motherhood », comme disent les Américains... Qui peut être contre ? »

Il faut aussi que la stratégie 20-20 s'intéresse au reste du monde. Ce n'est pas le cas, même à l'OMC ! Que la Commission cesse de considérer que la concurrence doit être seulement interne : On doit se mettre à construire des champions européens ! Même les plus libéraux en viennent à admettre la nécessité d'une politique industrielle européenne.

La France et l'Allemagne portent ensemble toute une série de mesures de contrôle des marchés financiers. Lors de la dernière réunion des ministres des finances du G20, nous nous sommes heurtés à d'autres pays comme le Brésil ou le Canada, mais France et Allemagne sont sur la même ligne.

La politique du climat ? L'objectif de 20 % de réduction de l'effet de serre ne passe pas à 30 %. Bonne nouvelle : après des mois d'efforts, la Commission a reconnu que l'idée d'une taxe carbone aux frontières n'était pas absurde. Que voulons-nous ? Cesser d'exporter des emplois et d'importer du carbone ! J'ai demandé à l'Agence de l'environnement européenne de faire l'expertise nécessaire secteur par secteur. M. Lamy ne s'est pas déclaré hostile à une telle taxe, au nom de l'OMC.

L'Islande a un contentieux avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas ; son système financier est corrompu. L'assainissement est mené en profondeur. La négociation va pouvoir commencer.

Il était convenu en décembre que le Conseil européen demanderait des mesures accompagnant la résolution 1929 du Conseil de sécurité à propos de l'Iran. Le Conseil des affaires étrangères du 14 juin a fait part de son soutien à cette résolution. Nous restons fidèles à la double approche : dialogue et fermeté.

Le 16 septembre, le prochain Conseil, convoqué par M. Von Rompuy, sera consacré aux relations avec la Chine et l'Inde. Celui d'octobre évoquera la recherche et l'innovation. Début 2011, une réunion informelle sera consacrée à la politique énergétique. Bref, le navire à 27 va dans la bonne direction.

Je remercie tous ceux qui y concourent. Nous sortons par le haut de l'épreuve de ces derniers mois ; depuis hier soir, je regarde l'avenir avec beaucoup d'espoir. Nous bâtissons un ensemble institutionnel démocratique, transparent et concerté ; ce n'est pas parfait, mais comment le serait-ce à 27 ? (Applaudissements au centre et à droite)

M. le président.  - Nous allons maintenant ouvrir le débat interactif et spontané prévu par la Conférence des Présidents.

M. Jacques Blanc.  - Dans le projet Europe 2020, la PAC est inscrite, mais pas la cohésion territoriale. La France va-t-elle se mobiliser en ce sens, qui est un acquis du traité de Lisbonne ? Quid de l'Union méditerranéenne ?

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - La cohésion territoriale fait partie des missions mentionnées. Pour 2007-2013, cela représente 330 millions. L'Union pour la Méditerranée a été l'otage de l'affaire de Gaza depuis deux ans. J'ai négocié à Barcelone la question de l'eau ; nous n'avançons pas à cause du blocage entre Israël et les pays arabes.

Cette maison commune entre les deux rives de la Méditerranée est irréversible. Elle a été retardée mais elle se fera.

M. Richard Yung.  - Je reviens sur l'agenda 2020. Dans ce texte mal ficelé, je discerne en filigrane une politique de l'énergie, de la recherche et de la mobilité. Mais rien n'est prévu pour le financement, à un moment où la majorité des États pratique une politique déflationniste. Je crains que cela ne déteigne sur la politique commune, et que l'agenda 2020 n'ait ainsi un sort encore plus fâcheux que la stratégie de Barcelone, ce qui serait désastreux.

Quelle est la position du Gouvernement sur la proposition Lamassoure sur l'articulation entre budgets nationaux et budget communautaire ?

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - Vous mettez le doigt sur un problème essentiel : quel doit être le budget de l'Europe pour 2013 ? Faut-il rester à 1 % du PIB, ou faut-il aller au-delà ? Les Français veulent continuer à parler agriculture, sur une planète de 9 milliards d'hommes, et face à des États-Unis qui subventionnent leur agriculture ; mais une demi-douzaine d'États membres ne veulent pas en entendre parler et ne souhaitent plus donner un sou pour la PAC... Et si l'on veut une politique de recherche ou une défense commune,  il faut payer !

Nous avons beaucoup de mal à financer les programmes de recherche. Si nous perdons l'Iter, cela aura des conséquences catastrophiques.

Or, la commission a beaucoup de mal à gérer des programmes de cette ampleur. Heureusement, pour l'espace, il y a l'ESA. Il faut confier la conduite des grands programmes aux professionnels.

J'ai voulu que les parlementaires rencontrent M. Lamassoure : il est temps que nous décidions, nous Français, combien nous voulons mettre sur la table. Mais M. Lamassoure veut instaurer un impôt européen. Le débat ne pourra pas être tranché ce soir, mais il mérite qu'on y réfléchisse.

M. Yves Pozzo di Borgo.  - On a l'impression que l'Europe fait l'impasse sur les grands continents émergents dans son agenda. Le seul pays extérieur dont il soit fait mention, c'est l'Islande ! Rien sur la Chine, l'Inde, l'Amérique du Sud, ni sur la Russie ou les pays d'Asie centrale. La stratégie 20-20 me semble bien mal partie.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - Le 16 septembre, un Conseil unique sera dédié aux relations avec les grands partenaires. Quant à l'Islande, ce n'est pas anecdotique. Elle ouvre une porte sur l'Arctique qui est stratégique. Dans le sud de la Norvège, nous allons développer l'exploitation du champ de Stockman avec les Norvégiens et les Russes.

Avec la Russie, l'Ukraine, la Biélorussie et les trois pays du Caucase, le système des partenariats privilégiés ne fonctionne pas si mal. Nous travaillons avec les Allemands et les Anglais en Ukraine et ça avance.

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Je parlais de l'Europe !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - Mais il s'agit de l'Europe. Et je pense aussi à l'enclave de Kaliningrad, qui est au coeur de l'Europe. La Russie est un pays ami, nous travaillons avec elle dans de nombreux domaines. Nous sommes prêts à aller très loin, même dans le domaine militaire. Il est question d'une force euro-russe en Transnistrie.

Nous ne sommes pas aveugles, sur ces sujets, monsieur le sénateur. Nous sommes pilotes de cette politique envers la Russie avec les Allemands.

Mme Annie David.  - J'ai bien conscience que la stratégie 20-20 est importante. Mais vous n'avez pas parlé du point 3, la stratégie du millénaire pour le développement. Le conseil des affaires étrangères est en deçà des préconisations de la Commission européenne.

Le Président de la République a prévu d'augmenter l'aide publique au développement. Comptez-vous consacrer 0,7 % du PIB au développement ? Allez-vous nous proposer une loi sur ce sujet ? Soutiendrez-vous l'évaluation de l'aide au développement voulue par la Commission ?

Si les stratégies industrielles impliquent plus de flexibilité et de pression sur les salaires, nous ne pouvons l'accepter. Nous voulons une Europe sociale.

Enfin, je regrette que nous n'ayons pas parlé de l'évaluation du pacte européen sur l'immigration et l'asile.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - J'aurais moi-même aussi aimé que nous parlions d'immigration mais ce n'est pas de ma responsabilité ministérielle.

Comment préserver notre modèle social ? Malgré la dépression démographique que l'Europe traverse, il nous faut réagir car nous ne faisons plus la course en tête au plan économique.

M. Chevènement refaisant le débat de Maastricht a dit tout à l'heure que la monnaie unique était une erreur. Mais si les Islandais veulent se rattacher à l'euro, ce n'est pas par hasard. La Norvège a beau être riche à millions de ses gisements pétroliers, les Norvégiens savent que leur sort est lié à la zone euro, comme les Anglais d'ailleurs.

Si 320 000 Français, contre 100 000 il y a dix ans, vont travailler en Suisse et au Luxembourg, c'est qu'ils sont payés 1,5 point de plus. Cherchez l'erreur ! Fiscalité et coûts salariaux ! Nous devons harmoniser nos politiques sociales et salariales, mais cela ne veut pas dire à la baisse !

L'Europe, 30 % du PIB mondial, c'est 56 % de l'aide mondiale. Certes, la France n'en est pas encore à 0,7 % de PIB, mais nous ne sommes pas les plus mauvais. L'argent de l'aide au développement est aujourd'hui communautarisé. L'Europe doit avoir la force de frappe de l'aide au développement ,comme en Palestine mais il faut que cette aide ait un sens politique, converge avec sa politique extérieure.

Il faut donc savoir pour quoi faire et qui dépense l'argent.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Je suis surpris d'entendre M. le ministre dire que je voudrais revenir à la monnaie nationale. Je n'ai jamais dit cela ! L'euro est un fait ; il souffre d'un vice de conception : l'hétérogénéité des économies. La zone euro est fragile et il faut envisager toutes les hypothèses. Il faudrait regarder avec humilité votre bilan, au lieu de jouer les donneurs de leçons.

J'ai été surpris d'entendre parler d'augmentation du budget européen au moment où l'on comprime les budgets nationaux. Pour faire quoi et à quel prix ? Vous avez parlé de lancement d'un bouclier antimissiles. Est-ce de la compétence de l'Union ? L'Otan y pousse, certes

La dissuasion remplit son office, on ne peut tout faire à la fois. Ce bouclier coûterait cher, serait contrôlé par les États-Unis et serait, de plus, très aléatoire.

M. le président.  - Veuillez conclure. Je suis contraint de lever la séance avant minuit.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - Je peux vous avoir mal compris. Donc, vous êtes favorable à la monnaie unique. Celui qui a négocié Maastricht s'appelait Bérégovoy. En toute humilité je reprends cet héritage d'un gouvernement de gauche qui plaidait alors pour un gouvernement économique...

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Ce n'est pas dans le traité.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - Non mais relisez le texte des négociations.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Je les connais aussi bien que vous...

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - ...mieux même sans doute. Nous avons dû affronter une crise sans précédent depuis 1929 et nous ne nous en sortons pas si mal. Nous faisons maintenant des efforts pour réduire les déficits.

Sur la compétitivité, il faut reconnaître que l'Allemagne a fait beaucoup d'efforts pour comprimer les coûts du travail tandis qu'avec M. Jospin nous avions les 35 heures.

Mme Annie David.  - Parlez du reste ! Il y a aussi les gains de productivité.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - Si demain l'Europe veut avoir une politique commune de défense, il faudra que nous le décidions. Je ne me suis pas prononcé sur l'opportunité de faire, ou de ne pas faire, de bouclier anti missiles.

M. Jacques Blanc.  - Très bien !

M. Jean Bizet, président de la commission.  - J'avais une question mais que je ne poserai pas pour ne pas dépasser l'heure qui nous est impartie. Je me réjouis de ce débat et je vous remercie d'y avoir participé, monsieur le ministre. S'il avait eu lieu plus tôt, nous aurions été plus nombreux et nous aurions eu le temps de mener le débat à son terme.

Cette journée sera marquée d'une pierre blanche, avec votre visite, et celle de votre homologue allemand que nous avons rencontré à l'Assemblée nationale.

Prochaine séance demain, mercredi 16 juin 2010, à 14 heures 30.

La séance est levée à 23 heures 55.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 16 juin 2010

Séance publique

A 14 HEURES 30,

1. Débat sur les retraites.

A 21 HEURES 30

2. Débat sur les conséquences de la tempête Xynthia.

_____________________________

ERRATUM

A la séance du 10 juin 2010 : page 31, deuxième colonne, cinquième alinéa, bien lire :

Après une épreuve à main levée déclarée douteuse, l'amendement n°117, mis aux voix par assis et levés, est adopté.