Accord fiscal France - Bahamas

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Commonwealth des Bahamas relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.  - Je vous prie d'excuser l'absence de Mme Lagarde et de M. Baroin, retenus.

Mme Nicole Bricq.  - Il y a urgence !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement se félicite du caractère exceptionnel de la procédure retenue, qui me donne l'occasion d'insister sur les conditions de notre lutte contre les paradis fiscaux.

Depuis 2008, la France mène la lutte dans toute la communauté internationale contre les États non coopératifs. Le G20 s'est saisi de la question des paradis fiscaux et a établi deux listes d'États, une noire de 4 États qui n'ont pas adopté les interdits internationaux et une grise des 38 États qui ne les ont pas mis en oeuvre. Les 4 États de la liste noire ont désormais rejoint une liste grise réduite à 14 États. La transparence, la levée du secret bancaire sont donc désormais universellement reconnues comme valeurs.

De nombreux pays ont accepté les évolutions que nous demandions. La Suisse opposait le secret bancaire depuis les années 20 et la directive sur l'évasion fiscale n'avait pu obtenir ce que la procédure Naming and shaming a obtenu ! Le mur du secret bancaire est tombé, comme celui de Berlin.

Mme Nathalie Goulet.  - Et celui de Jéricho ?

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Dès le 3 avril, nous avons proposé aux États ou territoires figurant sur les listes grise et noire de signer des conventions fiscales.

Nous demandions des accords d'échange de renseignements, mais sans contrepartie.

Mme Nicole Bricq.  - Ce qui compte, c'est l'efficacité réelle !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Nous allons vers la signature de tous les États peu coopératifs de la planète. C'est déjà fait pour les Européens, et progresse en Asie. Voilà qui place la France au premier rang de la lutte internationale pour la transparence !

Vous avez inscrit dans la loi française une liste des États non coopératifs et prévu des sanctions très lourdes.

La liste du 12 février dernier comprend tous les États de la liste de fin 2009, et des sanctions fiscales leur sont appliquées.

La ratification qui vous est soumise aujourd'hui n'est qu'une étape. Ceux qui n'ont rien fait au gouvernement, hormis gesticuler, manifestent aujourd'hui leur scepticisme. Nous ne nous en arrêterons pas là. Un mécanisme d'évaluation, présidé par François d'Aubert, a été mis en place pour examiner les lois internes et l'efficacité des échanges d'informations. Bilan pourra en être tiré lors de la présidence française du G20, en 2011.

A ce jour, seuls quelques États subissent des sanctions, ce qui veut dire que la plupart ont accepté de répondre. La loi prévoit que les sanctions s'appliqueront à ceux qui on signé un accord mais ne l'appliquent pas. Ce texte est une étape majeure pour la transparence fiscale ; je vous demande d'en autoriser la ratification. (Applaudissements à droite)

M. Adrien Gouteyron, rapporteur de la commission des finances.  - Mercredi, la commission a adopté 12 projets de loi fiscaux, dont celui avec les Bahamas. Cet examen a été précédé par un cycle d'auditions faisant le point sur l'intense activité conventionnelle en matière fiscale des deux dernières années.

La lutte contre les paradis fiscaux est un enjeu mondial ; la France, qui joue en la matière un rôle leader, a fortement soutenu les listes grise et noire de l'OCDE, qui juge « non coopératifs » -et classe en liste noire- les États n'ayant pas ou peu d'impôts directs, dont le régime fiscal est peu transparent et l'activité économique peu substantielle et dont l'administration fiscale ne transmet pas d'informations aux autres pays.

La France a proposé aux États inscrits sur la liste établie le 2 avril 2009, dont les Bahamas, de signer des accords d'échanges de renseignements fiscaux, sur le modèle élaboré par l'OCDE, qui exclue le secret bancaire et proscrit en contrepartie la « pêche aux renseignements ».

La France applique fidèlement ces accords, dont les normes sont plus rigoureuses que le modèle OCDE. Elle s'est dotée, avec le collectif 2009, d'outils de sanctions. Cette démarche systématique est couronnée de succès : nous avons signé 25 accords en neuf mois, dont celui avec les Bahamas le 7 décembre 2009. Les relations de la France avec l'archipel sont ténues : un stock d'investissements de 419 millions d'euros.

La fiscalité aux Bahamas est inexistante, si l'on excepte les droits de mutation à titre onéreux. Près de 45 000 compagnies internationales y sont recensées et 136 banques off shore. L'archipel a signé 21 accords d'échanges de renseignements depuis 2009, certes avec certains paradis fiscaux comme Monaco ou Saint-Marin mais les autres l'ont été avec les États-Unis, les Pays-Bas, l'Espagne ou la Chine. Pour l'instant, les Bahamas ont joué le jeu, ce qui les a fait inscrire dans la liste blanche de l'OCDE.

L'accord France-Bahamas fait partie de la deuxième vague de négociation conduit en 2009, avec certaines améliorations au modèle OCDE.

On doit se féliciter que les éventuels frais extraordinaires occasionnés par une demande française ne seront pas nécessairement remboursés.

Les renseignements échangés peuvent être de toute nature. Les Bahamas disposeront de 90 jours pour fournir l'information demandée, avec des réserves protégeant l'ordre public, interdisant les discriminations ou protégeant les droits des contribuables. La commission des finances sera vigilante quant à la réalité des échanges de renseignements fiscaux. En cas de besoin, elle veillera aux sanctions.

Je vous propose d'adopter sans réserve le présent accord. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Nicole Bricq.  - Le groupe de travail députés-sénateurs dénommé « G24 », constitué après la crise financière, a émis des recommandations avant même le G20 de Washington.

Nous avions alors relevé qu'il ne saurait y avoir de remise à plat du système financier international sans traiter la question des paradis fiscaux. Au niveau mondial, les ministres des finances français et allemand ont relancé la lutte en ce sens.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - C'est vrai.

Mme Nicole Bricq.  - Nous regrettions aussi que la directive Épargne de 2003 n'ait pas été révisée et faisions des propositions pour renforcer la lutte contre les territoires non coopératifs. Nous en avons fait d'autres lors du G20 de Londres ; au même moment, la liste noire de l'OCDE a disparu -pour en être exclu, il suffisait de signer douze accords bilatéraux... Sur 500 accords signés au plan mondial, 50 l'ont été entre paradis fiscaux...

Le sommet de Pittsburgh a relancé la lutte contre les paradis fiscaux, mais en s'en remettant aux États, contrairement aux proclamations antérieures en faveur d'un instrument multilatéral.

Comme d'autres États, la France a adopté sa propre liste. La question aujourd'hui est de voir si elle se donne les moyens d'agir. Est-elle une championne en ce domaine ? Elle s'est dotée d'organisations et de procédures intéressantes, dont la cellule auprès du ministère de l'intérieur qui préfigure une véritable police fiscale ; elle a aussi prévu des sanctions financières pouvant aller jusqu'à une retenue à la source de 50 %. MaislLes États-Unis ont voté en mars des sanctions dirigées contre les pratiques non coopératives, avec un dispositif moins sévère mais sans doute plus efficace parce qu'ils se sont donné les moyens d'agir.

Grâce à la loi de finances rectificative de décembre 2009, nous pouvons suivre dans la durée le sort des conventions. Vu la faiblesse des critères de l'OCDE, il sera sans doute plus expédient de se procurer des listes de comptes... La convention avec la Suisse est soumise à référendum.

La meilleure des conventions est celle conclue avec l'Allemagne, car elle est la plus précise : souvent, la notion de trust reste floue. Lors de l'examen de la loi de finances rectificative de 2009, nous avions souhaité, soutenue en cela par MM. Arthuis et Marini, que la commission des finances fût régulièrement informée ; le ministre Woerth, que nous soutenions dans son combat contre la fraude tout en le mettant en garde contre la surexposition médiatique -c'était l'époque de la fameuse liste des 3 000-, avait beaucoup insisté pour que retirions notre amendement. Six mois après, nous n'avons reçu aucune information...

Ayant lu le rapport de l'IGF dans une affaire qui ne nous occupe pas aujourd'hui, j'observe qu'il aurait suffi de collecter les rapports de la direction générale des finances publiques pour aboutir aux mêmes conclusions. La question qui se pose encore et toujours est celle des moyens mis à la disposition des services. La liste des 3 000 a donné lieu à des enquêtes : quelles sont été leurs conclusions ? Quid du bilan de la cellule de régularisation ? Au lieu d'être exceptionnelle, la transaction devient le droit commun. Le rapport de l'IGF s'interroge sur l'existence au sein du cabinet du ministre d'une équipe dédiée au traitement des situations fiscales individuelles, pour relever qu'elle nourrit la suspicion... Je le répète, ce qui nous intéresse, c'est l'adéquation des moyens dont dispose notre administration, car notre habitude n'est pas d'évoquer tel ou tel.

M. André Trillard.  - C'est fait !

Mme Nicole Bricq.  - En 2009, nous avons apporté notre soutien total au ministre du budget dans sa volonté de lutter efficacement contre les paradis fiscaux, ces trous noirs de la finance mondiale qui affaiblissent les États et réduisent à néant toute tentative de régulation.

Nous exigeons un juste retour de notre engagement d'alors et demandons que la commission des finances soit informée. Dans cette attente, nous nous abstiendrons. (Applaudissements à gauche)

M. Yvon Collin.  - Une fois n'est pas coutume, l'autorisation d'un accord fiscal suscite un vrai débat en séance publique. C'est significatif dans le contexte actuel de crise économique et de turbulences politiques.

Les Bahamas sont l'une des destinations préférées de ceux qui veulent faire fructifier leur capital dans un environnement paradisiaque. Elles sont le paradis fiscal le plus riche des Caraïbes, riche surtout de son activité bancaire et économique off shore.

Dans le contexte de la crise financière mondiale, le G20 s'est efforcé de moraliser les marchés et de mettre fin à la concurrence déloyale des paradis fiscaux. Pour être efficace, l'effort doit être poursuivi ; il y faut une ferme volonté politique sur le long terme. Il est temps d'en finir avec l'économie souterraine et ces blanchisseries d'argent sale que sont les territoires non coopératifs.

En avril 2009, le G20 de Londres a dressé une liste noire des paradis fiscaux et prévu des sanctions. Mais l'enfer est pavé de bonnes intentions... En septembre 2009, le G20 a été érigé en instance de pilotage mondiale et des listes ont été établies. J'avais alors déposé une proposition de loi pour taxer certaines transactions financières, avec un taux modulé selon le degré de coopération des territoires visés. Le 26 juin, notre proposition de loi a été débattue ici... mais il était trop tôt, paraît-il. Je suis sûr que lors du G20 de Paris, le Président Sarkozy trouvera l'idée excellente... Plusieurs pays ont déjà franchi le pas.

L'accord dont le Gouvernement nous propose d'autoriser la ratification n'apporte aucune garantie d'efficacité ; tout repose sur la bonne volonté des Bahamas. La majorité du RDSE s'abstiendra donc. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Thierry Foucaud.  - L'examen de ces conventions fiscales est l'occasion de s'intéresser aux paradis fiscaux -ces lieux tranquilles et délicieux pour qui veut voir ses revenus échapper au fisc. Aucun d'eux n'a plus de 90 000 résidents et leur administration fiscale n'est guère surchargée : on y encaisse surtout des droits d'enregistrement et des droits de douane sur les produits de consommation : il n'y a ni impôt sur le revenu ni impôt sur les sociétés, ni évidemment sur la fortune.

Les Bahamas ne font pas exception à la règle... mais ils accueillent un pavillon de complaisance et immatriculent 46,5 millions de tonneaux : plus qu'à Chypre ou Malte. Mais l'archipel partage avec d'autres le privilège d'accueillir les International business compagnies (IBC) assurant les transferts internes aux grands groupes internationaux : on en compte 160 000 ; aux Iles Vierges, 250 000 -pour des frais d'enregistrement de... 1 350 dollars ! La société gestionnaire de la boîte de nuit de Johnny Hallyday était implantée aux Iles Caïmans, alors que l'établissement se situe au pied de la tour Montparnasse.

Plus de la moitié du PIB de Jersey est lié à l'activité financière locale, 47 banques y ont 200 milliards de livres en dépôt, 1 450 fonds d'investissement y gèrent 215 milliards. A Guernesey, le quart des emplois relève de ces mêmes activités.

A vrai dire, nous aurions pu demander un débat sur chaque convention, dont les dispositions nous laissent sceptiques : quelles informations pourrons-nous obtenir de pays dépourvus de tout rôle d'imposition ? Les conventions ont-elles un objet autre que l'attribution d'un vernis de respectabilité à des opérations de pure optimisation fiscale, qui vont continuer sans vergogne ? Les questions se perdront-elles dans le triangle des Bermudes ?

L'intense spéculation financière pollue la vie économique de la planète, sans faire le bonheur des peuples -le PIB par habitant des Bahamas est dix fois plus faible que celui des États européens. Pour que la recherche des profits se poursuive, il importe aujourd'hui de tenir le langage de la normalisation. Avec ces conventions, rien ne changera. Il se peut toutefois qu'un pétrolier off shore vienne encore une fois polluer nos côtes.

Monsieur le ministre, quels sont les avoirs d'origine française domiciliés dans les paradis fiscaux ?

M. André Trillard.  - C'est la glasnost !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Merci, monsieur le rapporteur, pour votre soutien.

Il est vrai, madame Bricq, que des accords ont été signés entre paradis fiscaux.

Mme Nicole Bricq.  - Cinquante sur cinq cents.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - En effet : 90 % des accords ne relèvent pas de ce cas. Vous avez observé que la directive Épargne n'a pas été revue. C'est vrai, mais la directive sur l'assistance au recouvrement a été révisée. La Commission a été mandatée pour conclure un accord avec la Suisse et le Liechtenstein. Le Luxembourg et l'Autriche bloquent, mais nous avons bon espoir de faire progresser le dossier sous présidence belge.

Les renseignements visés par les conventions concernent aussi les trusts.

Mme Nicole Bricq.  - Ce n'est pas si clair.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Le bilan de la cellule de régularisation mise en place au ministère des finances n'a pas été négligeable : 4 600 dossiers régularisés pour 7 milliards d'actifs, et 1 milliard d'impôt collecté.

Quelques mots du rapport de l'IGF, dont vous avez dit qu'il n'avait pas à nous occuper mais auquel vous avez consacré la moitié de votre intervention ; l'IGF a analysé chacun des 6 400  dossiers examinés par la cellule fiscale. Vous avez émis des réserves : sachez que le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui n'est pas que je sache membre de l'UMP, a un accès illimité à ces dossiers...

Mme Nicole Bricq.  - Le précédent président de la commission des finances a utilisé ce droit.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - M. Collin a évoqué la taxation des transactions financières. Une taxe de surveillance a été mise en place ainsi qu'une taxe sur les bonus. Un projet européen est en cours d'élaboration, qui verra le jour lors de la loi de finances.

Monsieur Collin, pour apprécier l'efficacité de l'accord, il faut le voter !

Merci, monsieur Foucaud, de m'avoir parfaitement éclairé sur la fiscalité des Bahamas ; vous l'avez étudiée de près. J'en déduis que vous approuverez une meilleure information de notre administration fiscale. Êtes-vous pour ou contre la transparence aux Bahamas ? Vous êtes sceptique ? L'article 5 est précis quant aux obligations des deux parties.

Vous avez exprimé votre scepticisme sur les renseignements à la demande : l'article 5 de la convention est très précis. Mettre en oeuvre cet accord est donc urgent. Je ne doute pas de votre contribution.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Je me félicite que le Gouvernement accélère le processus de ratification : naguère, il prenait deux ou trois ans. Il est de la responsabilité de la commission des finances de veiller à l'effectivité de ces engagements. Dès le 14 septembre, nous entendrons Mme Lagarde et M. Baroin pour faire le point sur les conventions fiscales. Nous avons une obligation d'évaluation et en tirerons les conséquences. Soyons pragmatiques et faisons en sorte que ces pays se dotent d'une législation qui donne du sens aux engagements pris. Je comprends le scepticisme mais il faut soutenir ce processus.

Mme Nicole Bricq.  - Je remercie le ministre pour son engagement de voir aboutir la révision de la directive Épargne, ainsi que pour son bilan chiffré de la cellule de régularisation fiscale, que nous ne connaissions que par bribes, par la presse. Ce qui serait intéressant, c'est de connaître en détail le montant des droits, les intérêts de retard, les pénalités ainsi qu'un bilan d'étape sur les évadés fiscaux.

Je me réjouis qu'enfin, le président Arthuis fixe au 14 septembre le rendez-vous que nous demandions depuis décembre. Je n'ai pas consacré la moitié de mon intervention, monsieur le ministre, au rapport de l'inspection générale des finances mais je me devais de l'évoquer en passant.

Ce qui compte, c'est l'efficacité des conventions ; nous avons plusieurs motifs d'inquiétude : M. Baroin, lors de la discussion d'orientation budgétaire, nous a annoncé que Bercy supprimerait encore 3 127 emplois de fonctionnaires ; comment ainsi opérer tous les contrôles financiers nécessaires ? C'est un motif supplémentaire de nous abstenir.

Enfin, nous ne sommes pas là pour nous inscrire dans le plan de communication du Président de la République qui veut pouvoir dire au G20 : « j'ai fait adopter tant de conventions ». C'est l'efficacité qui importe.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Encore faut-il voter ces conventions !

La convention avec les Bahamas est adoptée.