Déclaration de politique générale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration de politique générale du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 49, quatrième alinéa, de la Constitution.

Monsieur le Premier ministre, au nom de l'ensemble des sénateurs, je vous souhaite la bienvenue dans notre hémicycle où vous allez, pour la deuxième fois, solliciter du Sénat l'approbation d'une déclaration de politique générale.

Depuis le début de la Ve République, c'est la dix-septième fois que le Sénat est amené à se prononcer sur une telle déclaration et la quinzième qu'il le fait parallèlement à l'Assemblée nationale. La Constitution assure une place particulière au Sénat ; c'est pourquoi elle a prévu que vous puissiez vous exprimer de façon spécifique devant nous.

Vous faites ainsi vivre notre bicamérisme différencié et vous illustrez la pleine part que prend le Sénat à la définition de l'avenir de notre pays. Nous sommes sensibles à la marque de considération qu'exprime votre démarche. Nos travaux traduisent souvent un autre regard que d'aucuns disent sage sur l'action politique.

Je salue également les nombreux ministres et secrétaires d'État qui nous font l'honneur et le plaisir d'être présents parmi nous. Chacun comprendra que j'aie une pensée particulière pour M. Richert, notre ancien collègue qui vient de faire son entrée au Gouvernement, et que je tienne à saluer la nomination de M. Michel Mercier, comme garde des sceaux et celle de M. Henri de Raincourt, comme ministre chargé de la coopération. (Applaudissements au centre et à droite)

Soyez assuré de notre volonté de bien travailler ensemble, dans un esprit sénatorial d'écoute, de compréhension, de recherche constante de l'intérêt général. Les relations nouvelles entre le Parlement et le Gouvernement, instituées par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, sont de nature à faciliter ce travail en commun.

Acceptez enfin tous mes voeux de réussite pour le Gouvernement que vous venez de constituer. (Applaudissement à droite et sur certains bancs du centre)

M. François Fillon, Premier ministre.  - Je vous remercie pour les encouragements que vous avez adressés au Gouvernement.

Au côté du Président de la République, nous avons pris le parti de la persévérance. Cohérence, clarté, responsabilité : le général de Gaulle voyait dans ces qualités la raison d'être du gouvernement. Nous considérons comme lui qu'il doit obéir « à l'intérêt national et non à la dernière passion qu'il a subie. »

Ce nouveau gouvernement est investi d'une double mission : la première est de prolonger l'oeuvre de modernisation engagée en 2007; la seconde est de gérer les rebondissements d'une crise économique internationale que nous avons reçue en partage malgré nous.

Moderniser la France, maîtriser la crise et accompagner sa sortie : c'est la ligne stratégique du Gouvernement. Et c'est là que se trouve la continuité de l'action des gouvernements que j'ai dirigés.

Si la récession est derrière nous, la crise n'est pas terminée. (On le confirme à gauche)

Les déficits et la dette se sont creusés, sans parler des conséquences sur l'emploi.

Cette crise inédite continue à muter, s'attaquant désormais aux dettes souveraines et aux banques centrales.

Nous avons donc le devoir de combattre les dangers auxquels elle nous expose, avec les valeurs et les principes de la France qui sont ceux de la coopération internationale et de la cohésion nationale.

A la tête du G 20, pendant un an, notre pays continuera à faire avancer les solutions coopératives, afin d'éviter les guerres commerciales et monétaires, afin aussi de donner des institutions et des règles stables à l'économie mondialisée qui en a bien besoin.

Nous continuerons de même, en coordination avec l'Allemagne, à renforcer la gouvernance de l'Union européenne et de la zone euro. Chaque jour qui passe montre que nous avons besoin d'une véritable politique économique européenne et d'une coordination dans la zone euro.

Enfin, au plan national, nous continuerons avec votre aide à cicatriser les plaies creusées par la récession.

Notre politique économique est équilibrée : c'est l'investissement, c'est la discipline budgétaire, et c'est l'emploi.

Nous allons investir 35 milliards sur les secteurs d'avenir, suivant les recommandations de MM. Rocard et Juppé.

Nous allons réduire les déficits par deux d'ici 2013, parce qu'ils menacent notre croissance et notre indépendance.

Nous allons renforcer nos actions sur l'emploi des jeunes et des seniors en tendant la main aux partenaires sociaux, car après le temps de l'affrontement, le temps du dialogue social est revenu. Pour moi, la réforme des retraites ne se solde pas par des vainqueurs et des vaincus, car aucun de nos concitoyens n'est coupable d'avoir des convictions.

Il n'y a pas un peuple de droite et un peuple de gauche.

Il n'y a que des Français (applaudissements à droite), avec leurs doutes, que je ne sous-estime pas, avec leurs espoirs, si difficiles parfois à combler, des Français plongés dans une période d'immenses bouleversements : le basculement du centre de gravité du capitalisme vers l'Asie, la diversité et le vieillissement de nos sociétés où vont cohabiter cinq générations au lieu de trois. C'est en rassemblant nos concitoyens, c'est en les mobilisant, sans démagogie, que nous parviendrons à faire en sorte qu'émerge au bout de cette crise une France plus forte, réconciliée avec l'Europe et avec la société ouverte du XXIe siècle.

Et pour cela, la réforme reste nécessaire.

On a souvent dit qu'elle était impossible, chez nous, à cause de notre histoire, à cause de la crise, à cause de la proximité des élections.

Eh bien, cette réforme, nous l'avons faite et nous la poursuivrons ensemble.

Ce n'est pas maintenant que nous allons nous excuser où nous repentir de faire tout simplement notre devoir.

M. Roland du Luart.  - Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Nous allons ouvrir le chantier de la fiscalité.

Nous allons dégager des solutions face au problème de la dépendance, mais aussi des problèmes de financement des conseils généraux. (Applaudissements à droite)

M. Yannick Bodin.  - On peut craindre le pire !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Nous allons moderniser le fonctionnement de la justice.

Comme toujours dans les périodes de tourmentes historiques, les Français se tournent vers l'État. Ils attendent de lui qu'il fixe un cap et qu'il construise un espoir.

Notre cap, c'est la République et ses valeurs. La France n'a pas cédé à la panique sous le choc de la crise. Elle ne s'est pas laissée séduire par les extrémistes.

A l'heure où les spectres du protectionnisme, du populisme, de la xénophobie ressurgissent ici ou là en Europe, la France s'est tenue au dessus de ces ornières boueuses.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Les Roms !

M. François Fillon Premier ministre.  - Cette maturité nationale nous commande, plus que jamais, de conforter les deux piliers de la République: l'autorité de l'État face à la violence, l'égalité des chances par l'éducation et la formation.

Quant à notre espoir, il est que dans un monde chaotique, peuplé de 6 milliards d'habitants assoiffés de réussite, les 65 millions de Français continuent de faire entendre leur voix, sans renoncer à la spécificité de leur modèle social. L'honneur des gouvernements que j'ai conduits, épaulés par la majorité à laquelle je veux rendre hommage, c'est de ne pas avoir trompé notre peuple sur cette réalité mondiale.

M. Roland du Luart.  - Exact !

M. François Fillon, Premier ministre.  - C'est de ne pas avoir renié l'élan de 2007, de ne pas avoir tremblé devant les résistances, de ne pas s'être égarés dans les moments décisifs où l'équilibre international et européen tenait à un fil.

La force d'une nation repose sur sa capacité à regarder la vérité en face, c'est pourquoi, cet honneur, je veux le partager avec les Français, qui ont fait preuve de responsabilité.

La conjugaison de nos actions et de leurs efforts n'a pas été vaine.

Notre taux de croissance en 2010 sera supérieur à 1,5 % alors que nos prévisions étaient inférieures et la cible des 2 % en 2011 est atteignable. Notre économie recommence à créer des emplois depuis le début de l'année.

M. David Assouline.  - Ce n'est pas vrai !

M. François Fillon Premier ministre.  - Ce n'est pas maintenant qu'il faut mettre le pied sur le frein. Il n'y aura pas de pause, parce que cette année n'est pas pour nous une année préélectorale, mais une année de plus pour servir la France. (Applaudissements à droite) Pour mener cette nouvelle étape de notre action, le Gouvernement doit pouvoir s'appuyer sur l'expérience et la mobilisation des élus des collectivités territoriales.

En posant la question de confiance à l'Assemblée nationale, en sollicitant l'approbation de la Haute assemblée aujourd'hui, il ne s'agit pas de réécrire le quinquennat à coups d'annonces intempestives (on ironise à gauche), il ne s'agit pas d'improviser une nouvelle politique, il ne s'agit pas -au désespoir, je le sais, de certains observateurs politiques- d'assouvir les prétentions de je ne sais quel « hyper Premier ministre » qui n'existe pas dans nos institutions.

Il s'agit d'assumer ensemble, et cela jusqu'au terme de notre mandat, l'élan de la réforme et de la modernisation de la France.

Loin de la politique spectacle, loin des embardées médiatiques, il s'agit de donner au principe de la continuité politique ses lettres de noblesse. Pour cela, j'ai besoin de votre soutien.

C'est ainsi que, conformément à l'article 49, alinéa 4, de notre Constitution, je me tourne vers celles et ceux qui, parmi vous, sont décidés à donner à la France la volonté et la durée pour se moderniser et se redresser.

(Mmes et MM. les sénateurs de droite, ainsi que certains sénateurs du centre, se lèvent et applaudissent longuement)

M. Jean-Pierre Bel.  - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Nous avons écouté avec attention vos discours hier et aujourd'hui.

Comment ne pas voir le décalage entre votre vision et la réalité ? On ne peut faire l'impasse sur le chômage, notamment celui des jeunes. Là-dessus, comme sur l'insécurité, les Français ne ressentent pas les choses comme vous. Pour eux, la rigueur est synonyme de disparition des services publics. Quand vous dites « réforme », ils entendent injustice ; « modernisation », ils voient régression. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Vous dites que l'insécurité a diminué. Pas pour les Français. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Rien ne s'est amélioré. Les chiffres officiels le prouvent. Vous avez fait l'éloge du pacte républicain. Mais quid des mauvais coups incessants du Président de la République ? (« Oh ! » à droite ; applaudissements sur les bancs socialistes) Nous ne doutons pas de vous mais comment accepter la stigmatisation de certaines populations et la remise en cause de la laïcité ?

Nos concitoyens souffrent et craignent pour demain. Vous dites vouloir poursuivre la réforme jusqu'au dernier jour et vous semblez considérer que tous les opposant refuseraient le progrès. Où est le courage dans la suppression de l'ISF ? Alors que le déficit a explosé, vous prétendez ne pas augmenter les impôts. Chacun verra bientôt que telle n'est pas la réalité. Seuls les plus riches, les amis du Président ont bénéficié de cadeaux (applaudissements sur les bancs socialistes et les bancs CRC) sans aucune contrepartie pour l'économie et l'emploi.

En outre, si vous nous faites croire à la stabilisation des impôts, c'est grâce aux transferts de charges sans compensation aux collectivités. (On entend quelques huées à gauche) De grandes annonces, par exemple sur la dépendance, doivent être suivies de grands moyens. Tel n'est pas le cas. Les disparités entre collectivités s'accroissent. Avec la réforme territoriale mal engagée qui tourne le dos à la solidarité, les choses vont empirer.

Là où vous ponctionnez les HLM de 350 millions, nous proposons une véritable politique du logement. Pour financer ce projet, une nouvelle politique fiscale est nécessaire.

Le bouclier fiscal est immoral ; il est devenu de surcroît anachronique, par rapport au cycle économique. Nous refusons les promesses fallacieuses sur la fiscalité. Il faut une grande réforme sur les revenus, sur le patrimoine et dans les collectivités. Le remaniement est l'occasion, pour le Président de la République, de resserrer le dispositif autour de sa garde rapprochée. Ce sont vos affaires.

Vous allez garder le cap ? Nous nous battrons pour la défense des grands principes de notre République. Nous mettrons tout en oeuvre pour que notre assemblée bafouée retrouve toute sa place. Nous allons travailler à un autre projet pour les Français, un projet crédible et juste. Les défis auxquels la France doit faire face sont nombreux. Votre politique n'est pas la bonne. Il nous revient de redonner confiance aux Français. (Applaudissements prolongés à gauche)

M. Nicolas About.  - (Applaudissements au centre et sur certains bancs à droite) Selon la tradition, la nomination d'un nouveau gouvernement inaugure une nouvelle phase. Les Français doivent être capables de se retrouver dans une France moderne pour rayonner dans le monde par son économie et son message humaniste.

Les centristes sont attachés à la réforme fiscale : vos propos nous inspirent un seul mot : enfin !

La réforme de la fiscalité du patrimoine ressemble tellement à ce que nous avons répété vouloir que nous nous en félicitons. Suppression du bouclier fiscal et de l'ISF. Très bien ! Il faut une juste répartition de l'effort pour redresser le pays. La légitimité de l'impôt repose sur le juste partage de l'effort. Les plus fortunés doivent participer à due concurrence à l'effort.

La justice sociale nous amène au cinquième risque.

M. David Assouline.  - Et les handicapés ?

M. Nicolas About.  - En 2002, nous avons voté en faveur du maintien à domicile. Mais de nombreux problèmes restent à résoudre. Le nombre de places en établissement doit augmenter ; il manque de personnel médical et paramédical pour les personnes dépendantes.

Il faut permettre de déléguer certains actes de soin ; sans porter atteinte à certaines professions, on permettra à celles et ceux qui le souhaitent de pouvoir continuer à vivre à domicile.

Un cinquième risque ne peut se résumer à un toilettage des dispositions actuelles. Il faudra un financement juste et équilibré.

Je suis hostile au recours sur succession. C'est une sorte de double peine. Il en est de même pour les handicapés. Il faudra donc définir un plafond raisonnable pour ne pas interdire toute transmission de patrimoine.

J'en viens à la solidarité entre les générations : la politique en faveur des jeunes doit viser leur plein emploi. En 1968, on parlait de la pauvreté des vieux ; ce sont aujourd'hui les jeunes sans attache familiale qui sont pauvres. C'est la première fois dans l'histoire de notre pays, en période de paix.

Il faut sortir des catégories d'âges et aménager la transition fragile entre les études et la vie active. Nous avons appliqué des politiques contraires à l'intérêt des jeunes, par exemple dans le domaine de la santé.

Au-delà des contrats d'engagement de service public, le numerus clausus médical doit être revu. (Applaudissements à droite) Nombre de territoires vont devenir des déserts médicaux...

M. Jean-Louis Carrère.  - La faute aux socialistes, sans doute ?

M. Nicolas About.  - La réforme de la justice est indispensable. L'introduction des jurés populaires doit être traitée avec prudence. Les magistrats ne doivent pas y voir une marque de défiance. Nous comptons sur le garde des sceaux pour mener la concertation.

Le Parlement doit jour tout son rôle. Le groupe UC souhaite que vive le dialogue au sein de la majorité. Ce n'est pas une organisation unique mais la réunion de personnalités et de partis aux opinions différentes.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ils votent toujours pour le Gouvernement.

M. Nicolas About.  - Nous nous rejoignons sur l'essentiel.

Nous voulons adapter le pays au XXIe siècle, concilier changements technologiques et développement durable.

En 1962, Pierre Pflimlin répondait à la déclaration de politique générale de Georges Pompidou que les centristes placent au-dessus de toute référence idéologique l'intérêt national. C'est dans le même esprit, monsieur le Premier ministre, que nous approuvons votre déclaration de politique générale. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Gérard Longuet.  - (Applaudissements à droite) Monsieur le Premier ministre, nous vous soutenions à la veille de votre démission. Nous vous soutenons tout autant aujourd'hui. (Applaudissements à droite) Je veux avoir une pensée amicale pour nos trois collègues : Michel Mercier, Philippe Richert et Henri de Raincourt. (Applaudissements à droite) Nous verrons avec plaisir revenir Mme Létard, MM. Falco et Bockel.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Sur les bancs de la droite...

M. Gérard Longuet.  - Nous avons l'habitude de travailler ensemble pour soutenir l'action que vous menez depuis quarante deux mois, avec un sens de la responsabilité et une passion de la France que vous exprimez avec pudeur mais en usant de mots qui nous touchent. (Applaudissements à droite)

Le mot principal, c'est la continuité. Il faut adapter notre « cher et vieux pays » à un monde qui se transforme, en renonçant à nos facilités.

Vous dites que la réforme est indispensable et qu'elle ne doit pas remettre en péril le redressement de l'Europe et de l'Union Européenne. Nous devons mener ensemble des réformes d'autant plus difficiles qu'elles sont nécessaires.

M. David Assouline.  - Quel creux...

M. Gérard Longuet.  - Je m'arrêterai sur la méthode. Que votre Gouvernement respecte la pratique parlementaire de coopération. (« Ah ? » à gauche) Au Sénat, la majorité est au service du Gouvernement dès lors qu'il s'appuie sur cette richesse. La presse annonçait impossible les réformes que nous avons votées, alors qu'il n'y a pas de majorité absolue au Sénat, ce dont nous sommes fiers car nous avons la culture de l'ouverture, du dialogue pour convaincre. (Applaudissements à droite)

Sur la dépendance et la fiscalité, vous aurez besoin du Sénat. Enfin, il faudra offrir plus de travail à nos concitoyens. Pendant longtemps, la France est le pays d'Europe où l'on a le moins travaillé.

M. David Assouline.  - C'est faux !

M. Gérard Longuet.  - Le Gouvernement a eu le courage de prendre les décisions qui s'imposaient ; un pays n'est riche que du travail de ses concitoyens. (Applaudissements à droite)

La valeur ajoutée du Sénat permettra d'améliorer ces trois futurs textes. Nous tenons à des idées simples comme l'équilibre des finances publiques et le respect des libertés individuelles. Il y a parfois des troubles appelant des réponses rapides : adossez-vous sur cette culture de la liberté individuelle, monsieur le garde des sceaux !

Il y a enfin notre République décentralisée. N'hésitez pas à l'utiliser.

Mon deuxième voeu : faire comprendre à nos compatriotes que quand nous réformons, ce n'est pas pour complaire aux agences de notation ni aux marchés. (On ironise à gauche)

Après un demi-siècle de construction européenne, il y a une immense richesse partagée par la plupart des pays européens : la monnaie commune pour un projet commun.

La réforme fiscale se fera sur la solidarité franco-allemande. Que pourra-t-on offrir aux pays européens qui n'ont pas la chance de faire partie de cette Lotharingie industrielle que les géographes appellent « banane bleue » ? Il faut construire notre convergence et offrir une place à nos autres partenaires.

Nous avons l'expérience de la construction collective après avoir suivi pendant tant de siècles la logique de l'affrontement. Nous voulons dialoguer, bien sûr, une vision de la France au sein de l'Europe. Mais nous devons cultiver en commun votre passion de la France. Vous dites que la France est une miraculeuse affirmation de volontés, une succession de rêves aboutis ; faisons en sorte que notre génération apporte sa pierre à l'édifice. (Les sénateurs UMP se lèvent et applaudissent longuement)

M. Jean-Pierre Sueur.  - M. Longuet a fait l'éloge du Premier ministre sans citer une seule fois le Président de la République !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - (Applaudissements sur les bancs CRC ; un grand nombre de sénateurs UMP quittent l'hémicycle) Voilà la correction des sénateurs de la majorité ! (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Christian Cointat.  - Nous sommes là, madame !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous avez le pouvoir et vous voulez le garder. Depuis 2002, les riches s'enrichissent et les pauvres s'appauvrissent et sont de plus en plus nombreux. Nos concitoyens ont soutenu avec force la mobilisation contre la réforme des retraites. Vous vous obstinez. Quelle injustice ! Vous continuez à répéter, comme le faisait M. Woerth, que votre politique est la seule possible.

Notre rêve de progrès humains traduirait nos vieux démons. Pourtant, c'est de haute lutte, depuis le XIXe siècle, que tous les progrès ont été arrachés, qui ont fait de la France un pays compétitif et de haute culture.(Applaudissements sur les bancs CRC)

Le chômage a augmenté avant et après la crise : 145 000 emplois supprimés en 2010 et 255 000 en 2009. 13 % de la population vivent avec moins de 1 000 euros par mois. Pendant ce temps, le nombre de personnes vivant avec plus de 500 000 euros a augmenté de 70 %. Les niches fiscales se sont multipliées, le bouclier fiscal a été voté, les déficits se sont creusés. Voilà votre bilan ! (Applaudissements à gauche)

Les marchés financiers n'ont pas de frontières. Le FMI a tout fait pour que tout continue comme avant. Vous avez volé au secours des banques sans contrepartie. Leurs bénéfices se sont envolés, tandis qu'elles supprimaient 40 000 emplois !

Les mêmes recettes provoquent les mêmes dégâts partout en Europe : Grèce, Irlande, Portugal ! Recul des salaires, des services publics et augmentation des impôts et du chômage.

M. Guy Fischer.  - Voilà la vérité !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Renault met 3 000 salariés en préretraite. Est-ce votre vision de la politique industrielle ?

Comment croire que les difficultés financières des collectivités ne vont pas avoir des répercussions sur nos concitoyens ? Comment croire au dialogue social après votre réforme des retraites. En 2007, le Président de la République a fait campagne sur le thème de la rupture. Le « travailler plus pour gagner plus » a fait long feu ! Mme Parisot, qui se targue d'avoir imposé ses vues au Gouvernement avec son petit livre Besoin d'air, s'est félicitée de votre reconduction à la tête du Gouvernement.

Aujourd'hui, la violence augmente, le pacte social se délite. Le fossé se creuse entre le peuple et les institutions. Quand on mène une politique contre le peuple, on n'est pas légitime.

Nous proposons sans complexe de revenir à un partage capital-travail plus favorable à ce dernier. Il faut recruter des enseignants et favoriser les crédits productifs qui créent de la richesse et des emplois. La taxation des gros patrimoines est nécessaire.

La France doit se donner une justice indépendante du pouvoir politique. Nous proposons que la délinquance financière soit sévèrement sanctionnée. Les droits des migrants doivent être respectés. Partout en Europe, les victimes des marchés financiers sont en colère. Vous continuez droit dans vos bottes à pratiquer la politique du pire. Bien évidemment, nous voterons contre. (Applaudissements à gauche)

M. Yvon Collin.  - Le remaniement sans cesse annoncé et repoussé devait être synonyme de renouveau. La déception est grande. Le Président de la République a réussi à jeter le mécontentement au sein même de son propre camp. Nos concitoyens attendent toujours que leurs difficultés deviennent la seule préoccupation du Gouvernement.

Je vous ai écouté, hier comme aujourd'hui, monsieur le Premier ministre. Je reconnais que votre déclaration est volontariste et ambitieuse. Délivrer le pays de la peur du changement, moderniser notre économie, réformer la fiscalité pour la rendre plus juste, renforcer l'unité de la Nation : nous partageons le même dessein. Mais comment oublier la politique de votre précédent gouvernement, qui a creusé les déficits et les inégalités, mis le pays au bord de l'implosion sociale ? Votre programme est résumé ce matin dans la presse en deux mots : rigueur et austérité. La continuité prime sur le changement.

Vous appelez les Français à la lucidité ; j'en appelle à la vôtre. Entendez les justes doléances de nos concitoyens, l'inquiétude d'un pays où l'on craint le déclassement social, un pays où une crise morale double la crise économique.

Un libéralisme sans scrupule a conduit certains États de l'Union européenne à la cessation de paiement, au risque de faire exploser l'euro. L'Irlande a obtenu 100 milliards pour sauver quatre banques ; la France a-t-elle exigé qu'elle relève le taux de son impôt sur les sociétés ? Plus de régulation, plus de redistribution, moins d'égoïsme des États et des individus, tel est le credo du groupe du RDSE unanime qui plaide pour la taxation des transactions financières.

La responsabilité d'un dirigeant est de dire la vérité au peuple : la dette ne pourra baisser à partir de 2012 sans augmentation des prélèvements obligatoires. La justice fiscale commande une remise à plat, l'instauration d'une vraie progressivité pour une vraie redistribution. Voilà les mots que nous aurions aimé entendre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Comment ne pas évoquer une réforme de la justice ? Au nom d'une politique obsessionnelle du chiffre, on multiplie les gardes à vue. Et votre réforme pénale vient d'être tuée dans l'oeuf par la Cour de Strasbourg. Au lieu d'en tenir compte, c'est la fuite en avant.

La dépendance sera une de vos priorités. Nous en prenons acte et participerons aux débats dans un esprit constructif, mais en refusant toute tentative de privatisation. J'espère que vous ne ferez pas preuve de la même surdité que lors de la réforme des retraites, illustration la plus récente d'une méthode de gouvernement que nous réprouvons avec force.

Lors de la réforme des collectivités territoriales, le Gouvernement a affiché son mépris pour le Sénat et l'ensemble des élus locaux. Territoires ruraux, aménagement du territoire, voilà des mots que vous n'employez pas. Ce n'est pas pratiquer la concertation que passer en force et qualifier de brouhaha la voix de l'opposition.

C'est de dialogue, d'écoute et d'espoir, que les Français ont besoin. Il ne suffira pas de ce remaniement pour redonner espoir au pays. « Quand on veut justifier une mauvaise action, on trouve toujours de bons arguments », disait André Maurois. Les sociétés européennes méritent une autre politique. Ayez le courage de vous attaquer à l'injustice et à l'affairisme, vous ferez que les citoyens retrouveront l'espoir en l'idéal républicain. Nombreux sont ceux, au sein du RDSE -et pas seulement de sa composante radicale de gauche-, qui n'approuveront pas votre déclaration de politique générale. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et socialistes)

M. Philippe Adnot.  - Les non-inscrits ne prennent pas de position collective. J'ai envisagé de m'abstenir à cause de la réforme des collectivités, que je désapprouve, mais comme je ne juge pas la politique de la France à partir d'un seul dossier, si important soit-il à mes yeux, je voterai la confiance. (Applaudissements sur divers bancs à droite)

Mme Marie-Christine Blandin.  - C'est sur la continuité que vous avez été nommé car, dites-vous, les allers et retours fragilisent l'action publique. Après le grand spectacle du Grenelle, nous avons entendu le Président de la République juger au salon de l'agriculture que « l'environnement, ça commence à bien faire ! » et nous vous avons entendu M. le Premier ministre, au salon de l'automobile, revenir sur la taxe carbone. Vous ne joignez pas les actes à la parole ! La suppression de l'ISF, la réforme des retraites n'ont pas été annoncées aux Français. La promesse d'une clause de revoyure pour les finances des collectivités ? Oubliée ! L'expertise indépendante ? Une réforme s'imposait, à preuve les scandales du Médiator et la gestion de la grippe H1N1 et ses 2,6 milliards dépensés en vain. Vous ne la faites pas. Curieuse démocratie qui ne met pas en oeuvre les mesures votées par le Parlement... Il reste une écologie mercantile de toilettage.

Vous justifiez tout par la crise. Mme Lagarde engage une relance bétonneuse tandis qu'on brade l'argent public sans condition. Nous demandions la traçabilité des fonds de sauvetage des banques pour nous assurer que rien ne transite par les paradis fiscaux. On nous l'a refusée. Les restaurateurs ont englouti sans effet la baisse de la TVA. La RGPP a le même effet sur les services publics que les termites sur les charpentes.

Faute d'effectifs à l'école, on gère les élèves par l'autorité et les inégalités par les fichiers et l'évaluation brutale. Mobilisée par la chasse aux sans-papier et des contrôles d'identité encore au faciès, une police aux effectifs en baisse ne peut plus garantir la sécurité de base, sans avoir interrompu les contrôles aux faciès. L'image écornée de notre pays nous vaut la consternation, quand ce n'est pas l'indignation, des autres pays, comme lorsque vous vous en prenez aux Roms ou que vous persistez dans votre attitude internationale bavarde et arrogante. Et vous voulez continuer...

Le monde a changé, monsieur le Premier ministre, mais visiblement pas pour vous !

M. Jacques Blanc.  - Ce n'est pas possible d'entendre cela !

Mme Marie-Christine Blandin.  - Pas un mot pour les pauvres, les chômeurs, les expulsés. Pas un mot pour les classes moyennes, qui voient avec effarement subsister les privilèges des plus riches, ceux qui ne travaillent ni ne se lèvent tôt. Pas un mot de la diversité culturelle. En matière de solidarité, vous privatisez les dispositifs sociaux.

Les écologistes, en accord avec les socialistes, voteront contre votre déclaration de politique générale. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Serge Larcher.  - Ni pour les territoires de la République en général, ni pour ceux des outre-mer en particulier, je n'ai entendu de mots aujourd'hui.

Ce que nous voulons, c'est que vous compreniez l'importance de l'apport spécifique de nos territoires dans la construction du modèle français. Notre identité n'est pas une menace mais un atout pour la Nation française et pour l'Europe. (Applaudissements à gauche)

Pour les outre-mer, le Gouvernement n'a pas de vision, pas de dessein. Nous voulons qu'il définisse avec nous un projet pérenne de développement. (Applaudissements à gauche) Chez nous, les inégalités ne cessent de se creuser. La moitié des foyers ont des revenus mensuels inférieurs de 28 % à la moyenne nationale. Le chômage atteint 60 % chez les jeunes.

La mission commune d'information sur la situation outre-mer a décrit nos difficultés et fait cent propositions. Sommes-nous entendus ? Sans doute. Mais quelle inconstance ! La loi Girardin de 2003 devait valoir pour treize ans ; on la revoit à la baisse. Cinq ans plus tard, le dispositif de défiscalisation est revu à la baisse, rétabli en 2009 et mis à nouveau en cause cette année. C'est du sabotage ! La LBU devait être sanctuarisée. Le logement social devait être une priorité absolue. Quand le Gouvernement mettra-t-il en oeuvre une politique lisible et durable, qui prenne en compte nos spécificités ? Quand tiendra-t-il compte des difficultés de nos collectivités territoriales ?

Nous serons vigilants sur votre capacité à défendre nos productions agricoles face à la mondialisation. La banane, la canne, le rhum sont menacés.

Il n'y a pas grand-chose à espérer de votre politique. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Le Sénat va procéder au vote sur la déclaration de politique générale du Gouvernement. En application de l'article 39, alinéa 2, du Règlement, le scrutin public est de droit.

En application de l'article 60 bis, alinéa 3, du Règlement, il va être procédé à un scrutin public à la tribune, dans les conditions fixées par l'article 56 bis du Règlement.

Le scrutin est ouvert à 16 heures 25.

Le scrutin est clos à 17 heures 15.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 334
Nombre de suffrages exprimés 333
Majorité absolue des suffrages exprimés 167
Pour l'adoption 180
Contre 153

Le Sénat a approuvé.

(Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP se lèvent et applaudissent)

La séance est suspendue à 17 heures 20.

présidence de M. Roland du Luart,vice-président

La séance reprend à 17 heures 25.