Matériels de guerre (Deuxième lecture)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l'Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité.

Discussion générale

M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération.  - Je vous prie d'excuser M. Longuet, qui se trouve à Bruxelles, dans le cadre d'une réunion de l'Otan, ce qui me vaut le privilège insigne de défendre ce projet de loi. (Sourires)

Dans un monde toujours plus imprévisible, l'Europe doit développer sa politique de défense commune. Le texte d'aujourd'hui permet de nombreuses avancées : actuellement, le marché européen des produits liés à la défense est fragmenté en 27 régimes nationaux qui sont autant d'obstacles à l'émergence d'un marché européen. Nous pouvons aujourd'hui mettre fin à cette mosaïque.

L'Assemblée nationale a repris toutes les préconisations du Sénat, notamment l'instauration d'une quasi-préférence communautaire.

Les modifications apportées aux transferts intracommunautaires (TIC) sont essentiellement rédactionnelles.

S'agissant du volet « marchés de défense et de sécurité » (MDS), l'Assemblée nationale a apporté deux compléments utiles au texte issu du Sénat, qui vont dans le sens d'un renforcement du principe de fermeture des MDS aux opérateurs de pays tiers à l'Union européenne, que vous appeliez de vos voeux.

Votre commission ayant accepté les modifications de l'Assemblée nationale, je recommande l'adoption conforme du texte. Si nous demandons au Parlement une accélération de ses travaux, nous nous sommes également mis en situation de pouvoir publier sans tarder les décrets d'application dont la préparation est déjà bien avancée.

En transposant ces deux directives, nous avons eu à coeur de préserver à la fois les intérêts de l'État et de nos armées et ceux des entreprises de défense et de sécurité de l'Union européenne. Nous sommes parvenus à établir un texte équilibré : je vous invite donc à l'adopter conforme pour contribuer à bâtir l'industrie française et européenne de défense de demain et pour répondre aux besoins de nos forces armées. (Applaudissements à droite)

M. Josselin de Rohan, rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - La directive simplifiant les conditions des transferts intracommunautaires de produits de défense (TIC) simplifie les transferts intra-européens, la directive relative aux marchés publics de défense et de sécurité (MPDS) simplifie le régime des marchés de défense. Le droit français, en ce domaine, n'avait guère évolué depuis 1955.

Bien qu'harmonisé, le régime des autorisations restera une compétence nationale. L'actualité récente a montré la nécessité d'adapter le régime d'autorisation en fonction de la conjoncture. Je salue, en ce domaine, les décisions prises à propos de la Libye et de la Syrie.

Désormais, un contrôle a posteriori s'ajoutera aux vérifications a priori.

En accord avec mon homologue de l'Assemblée nationale, j'approuve le principe de la modernisation juridique, tout en m'interrogeant sur les modalités pratiques de la mise en oeuvre.

Votre commission approuve les modifications rédactionnelles introduites par l'Assemblée nationale.

J'en viens aux marchés : en première lecture, nous avons introduit une préférence communautaire souple, réservant en principe les appels d'offres français aux seuls opérateurs économiques européens. Seuls des motifs limitativement énumérés peuvent autoriser d'autres opérateurs à concourir ; l'Assemblée nationale a voulu y ajouter « l'obtention d'avantages mutuels », conformément à la directive : je n'y vois pas d'inconvénients. Pour qu'une offre soit recevable, nous avions introduit la condition d'une production sur le territoire européen, ce que les députés ont accepté en ajoutant une clause environnementale et sociale conforme à la directive.

Compte tenu du très bon travail fait à l'Assemblée nationale, la commission a adopté conforme le texte qui nous est soumis. (Applaudissements à droite)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Loin d'être purement technique, ce texte a pour objectif de doter l'Europe d'une véritable politique de défense. Les récentes convulsions sur les rives de la Méditerranée ont démontré la nécessité de la coordination des politiques étrangères et la mise en place d'une défense européenne.

Le credo libéral de la Commission, « ouvrir d'abord, contrôler ensuite », va à l'encontre de la souveraineté nationale dans un domaine par essence régalien mais renforce-t-il, pour autant, une hypothétique défense européenne ?

M. Juppé, lorsqu'il était ministre de la défense, estimait que « sans volonté politique, l'ouverture des marchés ne suffira pas à relancer l'Europe de la défense ». Cette volonté politique commence-t-elle à exister ? La France, en tous cas, fait preuve de diligence dans la transposition des deux directives d'aujourd'hui, élaborées sous présidence française. Une fois n'est pas coutume, notre pays devrait les transposer à temps.

Le marché de défense et de sécurité européen ne bénéficie pas d'une préférence communautaire comparable au Buy American Act, très protectionniste. Le marché européen doit, sous peine de voir disparaître une industrie de l'armement toujours très éclatée, se donner le temps de se structurer et donc, aujourd'hui encore, de se protéger. Notre commission a donc introduit une clause souple de préférence communautaire, purement indicative dans la directive. La Cour de justice de l'Union européenne s'en tiendra sans doute au texte de la directive, mais de nombreux partenaires accepteront sans doute des importations d'outre-Atlantique. Il faut leur rappeler les impératifs d'une défense commune !

Nos industriels sont nettement spécialisés, avec des compétences complémentaires. Il leur reste à chasser en meute : comme disait le directeur général de l'armement, « l'esprit rugby est à développer ».

L'Union européenne représente 30 % des parts du marché mondial, contre 52 % aux États-Unis ; la Grande-Bretagne et la France sont à la pointe des initiatives européennes en matière de défense.

Quel sera le rôle de l'Agence européenne de la défense, présidée par Mme Ashton ? La double responsabilité de celle-ci souligne bien que politique extérieure et défense sont indissociables.

Monsieur le ministre, refusons que l'Union européenne ne devienne une immense Suisse mélancolique et résignée devant les événements du monde, osons la défense européenne ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Guy Fischer.  - Sur le volet qui libéralise encore un peu plus en Europe les marchés de défense, les députés ont légèrement renforcé la préférence communautaire proposée par notre assemblée pour tenter de limiter l'ouverture des marchés nationaux de l'armement. En revanche, concernant les « transferts communautaires », autrement dit le contrôle des exportations, nos deux assemblées se satisfont du dispositif proposé.

Mon appréciation négative persiste donc. Je continue de penser que la transposition de la directive visant à harmoniser les règles de procédure de passation des marchés publics des États membres est dangereuse pour la pérennité de nos industries de défense.

Les entreprises européennes de l'armement sont menacées par le dogme de la concurrence, ouverte même hors de l'espace européen. Cette ouverture débridée profitera surtout aux productions américaines, toujours bien protégées.

Comme en première lecture, je critique la prétendue simplification des ventes d'armes au sein de l'Union européenne. En effet, la licence unique s'appliquera aussi aux opérateurs extra-européens.

En autorisant les industries de l'armement à négocier librement avec leurs clients, le nouveau régime leur permettra d'exercer un chantage à l'emploi.

M. de Rohan a eu raison...

Voix à droite.  - Comme toujours !

M. Guy Fischer.  - ...de souligner que le système de contrôle en vigueur a jusqu'ici bien fonctionné pour éviter une utilisation détournée des armes fournies.

Les contrôles postérieurs à l'exportation seront insuffisants, alors qu'il aurait fallu exiger des certificats de non-réexportation. Il faut une législation contraignante pour éviter que des armes françaises ne servent à piétiner les droits humains ou à entraver le développement.

C'est enfin sur le terrain de la transparence que cette nouvelle législation sera très nettement insuffisante. L'opinion publique devrait avoir le droit d'être régulièrement informée de ce qui a été exporté et de ce que l'on a interdit d'exporter : les Britanniques publient bien la liste des licences accordées ou refusées !

Comme en première lecture, le groupe CRC-SPG ne pourra voter ce texte.

M. Daniel Reiner.  - Pour l'essentiel, ce projet transpose les deux directives du paquet défense. Il a fait l'objet d'un dialogue constructif entre l'Assemblée nationale et le Sénat, entre l'opposition et la majorité.

Notre groupe confirmera son vote de première lecture, en faveur d'un texte qui ouvre certaines perspectives.

Dommage toutefois que manque une véritable clause de préférence communautaire, indispensable ici comme elle le fut pour la politique agricole commune. Il est vrai que nous étions alors moins nombreux et plus allants...

Ainsi, la base de défense industrielle américaine restera solidement protégée, tandis que l'Europe sera ouverte à tous les vents.

Le libre-échange ? Peut-être, mais pas la naïveté ! En matière de commerce international, je crois aux rapports de force et à la réciprocité. Devant cette cécité idéologique, j'en viens même à me demander si la Commission et le Parlement européens n'ont pas voulu favoriser une base de défense tournée vers l'Otan.

Il est vrai que la situation n'est pas tout à fait aussi simple. Ainsi, les États-Unis ont autorisé EADS à participer au marché des avions ravitailleurs MRTT pour faire pression sur Boeing. Le contribuable américain a réalisé, grâce à cette « vraie-fausse » mise en concurrence, une économie de 7 milliards de dollars. Peut-on espérer qu'il saura renvoyer la politesse au contribuable européen ?

Et n'oublions pas que de nombreuses entreprises sont largement implantées outre-Atlantique. Il ne faut pas pour autant les écarter de nos appels d'offres. D'où le régime de la préférence européenne souple.

Nous avons choisi de jouer la carte européenne plutôt que la carte atlantiste. Qui, en Europe, pourrait nous le reprocher ? C'est une manière pour nous de tracer une ligne rouge. La souveraineté, c'est, pour un État, la faculté de pouvoir ouvrir ses offres quand il le veut, comme il le veut et à qui il veut.

Notre industrie ayant raté la révolution des drones, il faut pouvoir acquérir des drones américains, jusqu'à l'émergence d'une véritable production européenne.

Pour construire une base européenne de défense, il faut bien sûr une politique de l'offre, mais aussi une politique de la demande et le renforcement des budgets militaires. L'industrie américaine bénéficie d'un vaste marché homogène : nul besoin de concevoir des blindés pour le Texas et d'autres pour la Californie ! En Europe, nous avons dix-sept programmes de blindés...

Tant que l'Europe ne sera pas capable d'harmoniser la demande, de mettre fin à la segmentation de ses industries de l'armement ou d'organiser une coopération efficace entre ses entreprises de défense, la lutte demeurera inégale.

Il n'y aura pas d'Europe de la défense sans une volonté politique forte et partagée. Le reste est littérature.

Je souhaite que des coopérations renforcées fassent progresser la politique de défense et de sécurité commune. Nous devons nous battre pour l'Europe de la défense, « recoller les morceaux » avec les Allemands, resserrer les liens avec l'Italie, consolider la coopération navale avec l'Espagne, sans oublier les Pays-Bas. Au lieu de donner des leçons, nous devons convaincre pour construire une Europe de la défense faisant respecter nos valeurs dans le monde.

Tout cela est long, difficile, ingrat, compliqué et bien souvent plus cher. Mais tout cela est nécessaire car divisés, nous serons vassaux, ensemble, nous demeurerons souverains.

Cette noble ambition justifie tous nos efforts. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - Nous devons accepter l'assouplissement intra-européen mais refuser l'ouverture inconditionnelle aux tiers.

Monsieur Fischer, le régime actuel n'a pas évité la segmentation des marchés, donc la multiplication irrationnelle des programmes. C'est pourquoi la normalisation des marchés publics est importante. Idem pour les transferts intra-communautaires.

M. Reiner a raison : il faut des coopérations renforcées. Ce que nous faisons avec les Britanniques doit servir d'exemple ! Je souhaite que d'autres pays nous rejoignent. Tel est le sens d'un courrier adressé à la Commission européenne par la France, l'Allemagne et la Pologne. Nous refusons l'ouverture à tout va de nos importations car les États-Unis ont une législation protectionniste à l'extrême.

Les clauses introduites sont équilibrées, bien que minimales. Il reste que l'Europe de la défense est tributaire d'une décision politique : souhaitons que tous comprennent l'impossibilité de faire assurer notre défense par un tiers. Un jour, nous y serons contraints par le désengagement américain. (Applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté, ainsi que les articles 2, 3, 4, 5 et 8.

Intervention sur l'ensemble

M. Robert del Picchia.  - Je salue le travail du rapporteur sur la transposition des deux directives européennes. Ce n'était pas chose aisée.

L'industrie de la défense représente 165 000 emplois directs et autant d'indirects.

Devons-nous être des bâtisseurs de l'Europe de la défense, en contribuant à une production européenne en pointe ? Oui, mais nous ne disposons pas d'une législation analogue à celle en vigueur aux États-Unis !

Je me réjouis des avancées de ce texte, qui favorise notamment la mise en place d'une préférence communautaire « raisonnable » et introduit plus de transparence et plus de rigueur. Le commerce des armes n'est pas un commerce comme les autres ; les soubresauts au sud de la Méditerranée viennent de nous le rappeler.

Sur les transferts intracommunautaires, le projet de loi jette les bases d'un régime rénové, tout en maintenant un contrôle strict. Ce texte rend possible une politique étrangère et de sécurité commune (Pesc) effective. (Applaudissements à droite)

Le projet de loi est définitivement adopté.