Débat sur les inondations dans le Var et le sud-est

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les inondations qui se sont produites dans le Var et, plus largement dans le sud-est de la France, au mois de novembre 2011.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur de la mission commune d'information .  - Le Var a vécu en juin 2010 et novembre 2011 deux catastrophes majeures. La première a entraîné 23 morts, deux disparus, 1,2 milliard d'euros de dégâts ; la seconde, qui a touché plusieurs départements du sud-est de la France, quatre morts, 500 à 800 millions d'euros de dégâts.

Ces événements régionaux nous ont appelés à réinterroger notre politique en matière d'inondations, seule manière de comprendre son efficacité réelle dans certains domaines et ses maigres résultats dans d'autres. Le rapport est épais et s'il glisse des spécificités varoises, méditerranéennes ou cévenoles à des préconisations générales, c'est en raison d'une accumulation de surprises. Si certaines de nos conclusions fleurent l'hérésie, je vous prie de nous en absoudre.

Globalement, le dispositif de crise fonctionne de façon satisfaisante. Il faut donc que la collectivité y mette le prix : 5,7 milliards d'euros pour la protection civile, dont 4,7 milliards à la charge des collectivités territoriales.

En revanche, nous avons été surpris de constater qu'il y avait deux sortes de crises : celle que l'on attend et... les autres.

L'inondation de 2010 a été brutale et imprévisible, bien loin du schéma de gestion de crise pilotée par le préfet et ses services. Il a fallu réagir dans l'urgence, sans communication, l'essentiel des moyens étant sous l'eau. Dix-huit mois plus tard, la nature a eu le bon goût de respecter ce qui avait été prévu par le règlement. Faut-il se contenter de ces deux types de crises ? Certes non. Sans remettre en cause le rôle du préfet, il faut associer les élus locaux à la gestion des crises, mais aussi les organisations de volontaires, comme cela se fait en Italie et comme cela s'est fait spontanément dans le Var en 2010. Sans remettre en cause le rôle du préfet, spécificité française, il faut diffuser la culture du risque. Pour le reste, l'effort doit porter sur l'équipement des départements en stations de mesure et de surveillance, sur le renforcement de la coordination et de la communication. L'amélioration de la fiabilité et de la qualité des messages est également nécessaire. S'appuyer sur le seul téléphone portable est un peu léger... Plus la prévision est sûre, moins elle est précise : savoir que l'on est en alerte orange ne vous avance guère.

Améliorer la gestion de l'immédiate après-crise est indispensable. Les critiques révèlent un déficit de communication. Une fois la crise passée, les choses reprennent leur cours, le tempo de l'administration éternelle se remet à battre. Nous proposons de créer des comités de suivi post-inondation, de les réunir régulièrement et de renforcer le système d'indemnisation, essentiellement assurantiel et complété notamment par le Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA), le programme 122, le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac)...

Le régime « catnat », c'est 530 millions d'euros d'indemnisation par an et 775 millions de cotisations. Le programme 122, c'est 15 millions d'euros au projet de loi de finances 2012. Il convient d'améliorer la situation des collectivités sinistrées en rendant automatique le remboursement anticipé de la TVA pour les travaux de reconstruction.

Ce soir, les communes du Var inondées en 2011 ne savent même pas comment elles seront indemnisées ! Nous proposons de responsabiliser davantage les assurés et les assureurs. Pour le détail, je vous renvoie au rapport.

J'en viens à la prévention : elle est inexistante. On ne peut appeler politique un amas de mesures ponctuelles, aléatoirement financées, qui parfois se neutralisent. Les piles de rapports de retour d'expérience qui suivent les catastrophes disent tout. Sans catastrophe majeure, pas de prévention. La première raison est financière. La prévention active coûte 250 à 300 millions d'euros, à comparer aux chiffres que j'ai cités plus haut. Elle est prise en charge aux deux tiers par les collectivités locales et leurs établissements publics. La contribution de l'Etat est financée pour un tiers par les assurés et pour un autre tiers par les agences de l'eau, c'est-à-dire le consommateur : bel exercice de camouflage !

Les plans de prévention du risque inondation (PPRI), c'est beaucoup de papiers administratifs, de réglementations et peu d'aménagements.

La deuxième raison, c'est l'absence de visibilité des élus et des services de l'État sur leurs responsabilités. Les propriétaires riverains se défaussent sur les collectivités. Le bon sens voudrait qu'il y ait une définition légale de la force majeure, comme aux Pays-Bas, et que la loi donne une définition du cours d'eau.

En outre, le dispositif est autobloquant. L'inondation est traitée comme un risque aléatoire et secondaire, alors qu'elle concerne plus de la moitié des communes françaises, 40 % de l'emploi et provoque un milliard d'euros de dégâts par an. Il n'y a pas de responsabilité unique au sein de l'État, ce qui explique sans doute le nombre de bâtiments publics en zone inondable... Autobloquant aussi, car les administrations s'opposent les unes aux autres, les PPRI ne sont pas toujours élaborés et mis en place. Le préfet parle prévention et responsabilité, les élus opposent à ces risques le développement économique, le logement et l'emploi...

Dans le meilleur des cas, on assiste à des compromis entre diverses demandes -qui n'est pas satisfaisant.

Il n'y a, en théorie, aucune opposition entre la police de l'eau et les responsables chargés de la prévention. Le moulin à prières répète qu'empêcher d'intervenir dans le lit des cours d'eau est le meilleur moyen d'empêcher les inondations. La réalité est tout autre. Lorsqu'il y a accord, cela a demandé beaucoup de temps, mais, en général, l'affrontement entre les deux domine.

Dispositif autobloquant aussi car sa gouvernance locale et nationale est évanescente.

Comment sortir de cette situation ? Une politique d'aménagement territoriale doit être définie, comme cela existe aux Pays-Bas, ou à Sommières, en France -qui vit depuis le Moyen Âge dans le lit majeur du Vidourle, mais aussi dans les cités de Nantes métropole ou d'Ajaccio : protéger pour mieux habiter, plutôt qu'empêcher d'habiter pour protéger.

La lutte contre l'inondation doit être une priorité et être intégrée dans une politique plus vaste de développement économique. Il s'agit de définir un niveau d'aléa clair : il faut créer un établissement public par bassin versant, responsable des inondations. La région devrait jouer le rôle de chef de file.

Le suivi du financement de la politique de prévention est indispensable.

Les PPRI doivent pouvoir évoluer, en associant davantage les élus et la population. Les collectivités territoriales ne sauraient accepter des compétences nouvelles sans les moyens juridiques, financiers et humains correspondants.

Ne serait-il pas temps de cesser de se renvoyer la balle ? Les Néerlandais ont mis au point un système particulièrement performant, en définissant par voie législative le niveau de sécurité de leur population, pour 2 000 à 10 000 ans, alors qu'à Paris, c'est 100 ans. La compétitivité passe aussi par la sécurité.

Alors, la suite à la prochaine catastrophe, à moins que... (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Louis Nègre, président de la mission commune d'information sur les inondations dans le Var.   - Je me félicite du travail constructif que nous avons réalisé avec le rapporteur. Nos convictions politiques sont différentes, mais nous avons fait primer l'intérêt général, et le rapport a été approuvé à l'unanimité.

Les inondations sont un phénomène météorologique aléatoire, dangereux et coûteux. La mission a constaté que les inondations étaient plus importantes sur un territoire donné que l'inconscient collectif ne le croit. En juin 2010, les inondations ont pourtant fait 23 morts et ont coûté plus d'un milliard d'euros.

Les surprises de ce dossier ? Nous avons découvert que, malgré l'existence d'inondations récurrentes, il existe une amnésie collective. Entre 1948 et 1969, il y a eu plus de treize inondations significatives dans le Var. Ni la mémoire collective, ni les pouvoirs publics n'ont intégré cette occurrence. C'est étonnant.

En 1637, Descartes écrivait que l'homme peut se rendre « comme maître et possesseur de la nature ». Cet orgueil démesuré, nous le retrouvons dans un discours de Napoléon III, qui déclarait en 1857 : « Je tiens en honneur qu'en France, les fleuves restent dans leur lit ».

Dès 1989, le rapport du conseil général des Ponts-et-Chaussées indiquait que la catastrophe de Nîmes pouvait se reproduire ailleurs et citait que Vaison-la-Romaine et Draguignan étaient particulièrement exposés. On connaît la suite : inondation dramatique à Vaison-la-Romaine en 1992, à Draguignan en 2010.

Cette attitude de déni du risque ne permet pas de mettre en oeuvre une politique réaliste pour lutter contre les inondations. Il existe aujourd'hui des contre-exemples qui montrent que l'on peut bâtir des politiques de grande efficacité. En France, à Sommières, on voit l'efficacité d'un plan d'intervention gradué. Aucune victime n'y est à déplorer depuis 1933, alors qu'il y a une inondation importante tous les quatre ans et demi. Aux Pays-Bas, la politique de lutte contre les inondations a fait une place majeure à la politique de prévention avec un horizon de 10 000 ans, alors que chez nous, il est de dix à cent ans. Cette démarche repose sur une vision d'ensemble. L'État a dégagé les moyens nécessaires pour éviter que la catastrophe de 1953, qui avait tué 1 800 personnes, ne se reproduise.

Nous avons donc défini cinq orientations principales, deux propositions concrètes et 100 recommandations. Je ne retiendrai ici que trois préconisations particulièrement importantes pour une politique plus efficace face aux inondations. D'abord, il faut développer la culture du risque en associant la population et les maires, comme cela se fait à Sommières, et en améliorant parallèlement le dispositif de prévention et d'alerte. Des indicateurs de crues doivent être installés sur les bâtiments publics. Ma ville de Cagnes-sur-Mer est jumelée avec Passau, en Bavière, où sont indiquées les crues du Danube depuis le XVIe siècle sur la façade même de l'hôtel de ville.

Ensuite, les pouvoirs publics, donc le Parlement, doivent définir une véritable politique de lutte contre les inondations, reposant sur un financement adéquat, à l'image du modèle néerlandais.

Enfin, il convient de créer des Établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) et des Établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (Epage), que nous proposons de rendre obligatoires, à l'initiative des collectivités locales ou du préfet, dans un délai de trois ans sur tous les bassins versants, afin de mettre en place des mesures de lutte contre les inondations.

Je souhaite que ces propositions soient mises en place par le Gouvernement pour donner une suite tangible à ce rapport. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Jacques Berthou .  - Le Sénat débat ce soir des inondations qui se sont produites dans le sud-est. Ces événements, d'exceptionnels, deviennent récurrents. Je salue la qualité du travail de la mission commune d'information. Après les événements de 2010 et 2011, le Sénat devait tirer les conséquences de ces catastrophes. La mission a auditionné 64 acteurs et établi avec précision les faits : les deux inondations ne sont pas comparables. La violence des inondations de juin 2010 était imprévisible, contrairement à celle de novembre 2011. La gestion de l'immédiate après-crise a retenu toute notre attention. Il faut une véritable politique d'aménagement du territoire, assortie de moyens financiers et d'une vraie gouvernance. Comment améliorer le dispositif d'alerte lors d'une inondation ? Le rapport propose plusieurs pistes. Des radars, des stations de surveillance. Comme le rapporteur, je pense qu'il faut une logique globale pour mener une politique cohérente. L'exemple des Pays-Bas, qui a consacré 1 % de son PIB à la prévention des inondations, montre qu'il est possible de lutter efficacement contre celles-ci.

Près de 25 ans après les inondations de Nîmes, les travaux d'aménagement viennent enfin de s'achever...

Un territoire doit avoir subi une inondation pour mettre en oeuvre une politique efficace. Mon territoire, le département de l'Ain, a connu des pluies torrentielles occasionnant en une heure des dégâts considérables.

Les dédommagements doivent retenir toute notre attention : ils sont trop faibles et surtout trop lents. Le remboursement du FCTVA doit intervenir très rapidement, il en va du pacte de confiance entre l'État et les collectivités. La recommandation de la mission à cet égard est bonne.

Je regrette le désengagement de l'État en matière de prévention, car la lutte contre les inondations impose la mobilisation de tous.

Les travaux devront être réalisés selon un échéancier pluriannuel, du fait de l'ampleur des crédits nécessaires.

La population, enfin, doit être mobilisée et associée, en toute transparence.

Les catastrophes naturelles touchent toutes les classes sociales, elles sont inscrites dans notre mémoire collective. Nous avons tous en tête les images des inondations du Var, de l'Aude, de Nîmes et de Vaison-la-Romaine.

Je salue les recommandations du rapport qui contribuent à refonder la politique menée en la matière, en la rendant plus cohérente, plus transparente, plus concertée et plus efficace. (Applaudissements)

Mme Isabelle Pasquet .  - Le Var est régulièrement victime d'inondations qui tuent. J'y ai habité et je peux en témoigner. Je partage l'analyse de M. Nègre sur l'amnésie collective de notre population et de l'administration face à ce mal chronique.

Le rapport estime -non sans ambigüité- qu'il faut se donner les moyens de ses ambitions. Quelles ambitions ? Faut-il toujours plus dépenser ? Améliorer les prévisions, donner des moyens à la recherche, former les élus... Tout le monde est d'accord, mais les moyens financiers sont limités et les territoires sont toujours aussi vulnérables.

Certes, les indemnisations doivent être rapidement versées, mais la préconisation de la mission de créer un malus sur les primes d'assurance ne me paraît pas pertinente : certains pourraient être pénalisés à tort. À l'inverse, le bonus inciterait aux comportements vertueux. Surveiller les réseaux sociaux pour lutter contre les rumeurs serait un exercice coûteux et compliqué. Ils peuvent être utilisés, en revanche, pour atteindre des populations insuffisamment touchées par les médias traditionnels.

La proposition de loi adoptée par le Sénat à la suite de la tempête Xynthia n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Créer une commission chargée de donner un avis sur les arrêtés de catastrophes naturelles, un comité de suivi post-inondation, un Epage par bassin versant et un EPTB pour les coordonner me semblent discutable. Je ne suis en effet pas convaincue qu'il faille généraliser ces instances, inspirées des lacunes constatées en région Paca, au territoire national. En revanche, la création d'un observatoire national des risques naturels me semble pertinente. Oui à la pédagogie ; les programmes scolaires doivent aborder cette question.

Pour le reste, il faut insister sur la prévention, d'autant que les populations nouvelles de ces territoires ne sont guère conscientes des dangers. Protection de l'environnement et gestion des risques doivent aller de pair. L'assouplissement de la loi littoral, l'étalement urbain portent une part de responsabilité.

L'État doit garantir la sécurité des biens et des personnes, mais ce sont les collectivités territoriales qui sont chargées, dans les faits, de le faire. C'est une charge de plus qui, avec l'agonie de l'ingénierie publique, contribue à leur étranglement financier. La future loi de décentralisation devra définir les compétences des uns et des autres.

Il serait bon d'impliquer certains concessionnaires, comme la Compagnie nationale du Rhône (CNR), dans la prévention. Sa concession ne devant être révisée que dans onze ans, l'État devrait fixer les règles dès aujourd'hui.

Nous partageons la douleur des victimes, mais il n'est pas nécessaire d'ajouter des normes aux normes sous le coup de l'émotion. Commençons par appliquer la législation actuelle. L'invulnérabilité est un mythe, qui nous expose et tue chaque année. (Applaudissements)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - Je suis élu d'une ville qui attend la crue centennale, suspendue au-dessus de la tête des Franciliens comme une épée de Damoclès. Il faut penser la prévention, notamment en matière d'inondation. Les deux inondations du Var ont coûté fort cher. Le risque inondation dans le Var est de même ampleur qu'en région Île-de-France. On voit encore les traces de la crue de 1910, elles sont indiquées sur l'édifice du Palais Bourbon.

Nous connaissons tous les évaluations : la catastrophe à venir coûterait 15 milliards d'euros et toucherait 850 000 personnes en Île-de-France ; 508 communes seraient sous les eaux, dont 31 pour plus de la moitié de leur territoire.

À Paris, comme dans le Var, la question de la prévention est centrale. Or les infrastructures ne sont pas à la hauteur.

La surveillance du bassin méditerranéen est essentielle. Parallèlement, la politique de prévention en Île-de-France n'a connu aucune amélioration substantielle. Chaque année, Paris repousse les investissements nécessaires, alors que le projet de la Bassée, porté par les Grands Lacs de Seine, prévoit dix gigantesques casiers en amont, capables de stocker 55 millions de mètres cubes, ce qui permettrait de réduire la crue de 50 centimètres. Or, faute de financement, il n'est envisagé qu'un réservoir permettant de réduire la crue de... 5 centimètres !

Ce projet ne doit pas rester dans les limbes, sous prétexte de contexte budgétaire tendu. J'interpelle donc ce soir le Gouvernement, comme je l'ai fait, en vain, au Conseil de Paris, pour l'appeler à investir dans ce projet. Paris n'est pas le Var, mais les problèmes sont identiques ! (Applaudissements)

M. Ronan Dantec .  - « Nos ancêtres construisaient de manière concentrée en zone non inondable » ...

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur.  - C'est faux !

M. Robert Tropeano.  - En effet !

M. Ronan Dantec.  - « Il n'y a que nous pour avoir, bêtise absolue, construit dans la vallée du Var », a dit le préfet Carenco.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur.  - Il a tort ! Je le lui ai dit !

M. Ronan Dantec.  - Zut...

Les inondations de 2010 et 2011 ont rappelé notre vulnérabilité. Il faut créer une culture du risque, difficile challenge. Fidèle à ses habitudes, le Sénat a pris le temps du travail de fond. Nous approuvons globalement les préconisations de la mission commune d'information. Les crues intenses et rapides sont sorties de la mémoire collective, mais ont été répertoriées dans les archives varoises depuis 1378. Cela rappelle Fukushima, où le niveau des tsunamis était indiqué sur les collines... M. Nègre a eu raison de dénoncer notre orgueil démesuré et coupable.

Pour les écologistes, le principe de prévention doit primer. Point de politique de prévention sans clarification et simplification des compétences. Le rapport prône la création obligatoire d'un Epage ou d'un EPTB. Il est logique de lier préservation du milieu naturel -amortisseur des crues- et gestion du risque. Les nouveaux établissements publics devront être financés par des ressources fiscales pérennes. La question du budget de l'eau est toujours délicate...Le comité national de l'eau se réunit prochainement.

À quelques jours de la conférence de Doha, je tiens à rappeler que la lutte contre le dérèglement climatique doit être la première des politiques de prévention. Or on y consacre moins de moyens que ce que coûtent les réparations : Sandy aura ainsi occasionné 20 milliards de dollars de dégâts...

La maîtrise financière est un enjeu important. Le Var est une zone attractive : la population a augmenté de 43 %...

M. Alain Néri.  - Et la surface des toits ! (M. François Fortassin s'exclame)

M. Ronan Dantec.  - En plus du défaut d'entretien des cours d'eau, le ruissellement urbain et l'imperméabilisation des sols accroissent le risque. Il faut lutter contre l'étalement urbain et l'artificialisation. Actuellement, les maires, en première ligne, manquent de moyens et gèrent seuls la pression foncière. C'est pourquoi nous préconisons le transfert des compétences d'urbanisme au niveau intercommunal.

L'aménagement des zones inondables appelle toute notre vigilance. Il doit être abordé au niveau régional, avec les schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire (Sradt). Clarifier les compétences entre l'État et les collectivités locales et assurer à chaque niveau les ressources nécessaires à l'exercice de ses compétences, voilà la préconisation majeure du rapport. Nous y veillerons, dans la prochaine loi d'aménagement territorial. (Applaudissements)

M. François Trucy .  - Vous dites « MCI », je dis enquête. C'est une initiative parlementaire utile, bien menée. Les prérogatives des commissaires donnent à leurs travaux beaucoup de force et d'efficacité. L'exercice était difficile. Il fallait rappeler que le contrôle parlementaire est une partie essentielle de notre mission, même si nos concitoyens ne le savent pas toujours.

Cette enquête était indispensable, vu les conséquences dramatiques des événements en question. En tant que Varois, je félicite le président Nègre et son équipe. J'ai apprécié les échanges musclés de Pierre-Yves Collombat avec des personnes haut placées mais enfermées dans leurs certitudes. Madame la ministre, vous assistez ici à la conclusion d'un très beau travail. (Applaudissements)

M. Robert Tropeano .  - Les inondations de 2010 et 2011 nous rappellent que personne n'est à l'abri d'une catastrophe naturelle. La vie locale a été balayée. En dépit de la rapidité des secours, des bénévoles qu'il faut saluer, les inondations ont entraîné des drames.

Le rapport de la mission commune d'information vise à empêcher l'amnésie collective.

Ma commune, Saint-Chinian, a connu le 13 décembre 1875 une terrible inondation : 97 victimes, 149 maisons détruites, 200 familles condamnées à vivre dans la misère par la perte de leur emploi. Le simple fait d'indiquer le niveau de la crue sur les bâtiments publics permet de garder ce drame en mémoire. Seule la culture du risque épargnera la répétition des mêmes erreurs. Il faut tirer les leçons de la politique des inondations. Or l'action préventive n'est pas à la hauteur des enjeux, alors que le changement climatique rend ces événements plus fréquents.

Le rapport de la Cour des comptes est éloquent : malgré les dangers de l'artificialisation des sols, la pression démographique a favorisé l'étalement urbain. Les PPRI ne s'imposent qu'en théorie, les pressions locales conduisent à les ignorer. J'ai récemment refusé un permis de construire en zone inondable ; le solliciteur dépose un recours devant le tribunal administratif ! En l'absence de PPRI, les assurances relèvent les franchises. La Cour des comptes recommande de rendre contraignante l'actualisation des documents d'urbanisme.

La mission commune d'information a constaté l'implantation de services départementaux d'incendie et de secours en zone inondable. L'entretien des infrastructures de protection est indispensable, mais coûteuse. La police de l'eau ne dit pas interdire le curage des cours d'eau non domaniaux. Les collectivités locales se substituent aux propriétaires, alors qu'elles manquent de moyens.

Le risque inondation a certes un coût élevé pour les finances publiques mais il est toujours plus économique de financer la prévention. Il faut clarifier la responsabilité de chacun des acteurs : État, collectivités locales et compagnies d'assurance. (Applaudissements)

M. Alain Dufaut .  - À mon tour de féliciter MM. Nègre et Collombat pour leur excellent travail. J'ai participé aux déplacements dans le Vaucluse et le Gard, et peux témoigner du sérieux des investigations.

Les inondations sont toujours un traumatisme terrible pour les populations qui voient leurs biens, leurs souvenirs, et parfois des êtres chers, disparaître dans les flots. J'ai vécu les inondations de Vaison-la-Romaine en 1992, avec les 40 victimes de l'Ouvèze. L'île de la Barthelasse sur le Rhône, la plus grande île fluviale d'Europe, est très vulnérable. Avignon est aussi victime des crues du Rhône : 2,5 mètres en 2003. Élu du Vaucluse, je connais les attentes de la population.

Le fameux plan Rhône a été préparé pendant cinq ans. J'ai participé aux réunions, comités, etc. qui ont régulièrement réuni les parlementaires, les élus, les maires, les syndicats riverains. Or le 24 janvier dernier, le préfet de bassin annonçait que le projet ne serait pas mis entre oeuvre entre Viviers et Beaucaire. Cinq ans de réunions pour rien, sinon le confortement des digues de Camargue ! Aucune mesure préventive, comme le dragage du Rhône, la vidange préventive des barrages de la CNR, les transferts de zones d'expansion de crues.

Il est désormais quasi impossible d'amender les PPRI, qui devaient être évolutifs. Nous organisons des débats, nous nourrissons les espoirs, pour au final ne rien faire. Comme si les riverains n'avaient qu'à déménager ou assumer les risques ! Laisser des territoires peuplés être inondés fréquemment pour éviter des crues me paraît inconcevable quand des zones agricoles inhabitées sont, elles, protégées.

Il faudra légiférer sur la base de certaines préconisations de la mission commune d'information. Nous y sommes prêts. (Applaudissements)

Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie .  - La mission commune d'information du Sénat a rendu un rapport dense et précis. Au nom du Gouvernement, je remercie le Sénat pour ce travail important et utile, au moment où l'État est en train d'élaborer une stratégie nationale de prévention. Je remercie MM. Collombat et Nègre.

Un mot me vient à l'esprit : celui de responsabilité. La prévention des risques naturels majeurs est une mission essentielle de mon ministère. Je pense d'abord aux victimes, aux 23 morts de juin 2010, aux quatre morts de novembre 2011, aux deux étudiants qui, fin octobre, ont perdu la vie à la suite d'une montée des eaux de ruissellement... Le Gouvernement travaille à ce que les mêmes causes n'entraînent pas les mêmes effets. C'est un chantier difficile, mais nous sommes déterminés.

Ces crises ne se ressemblent pas, vous l'avez dit. En 2011, les conséquences des inondations ont été limitées ; je salue l'action des agents des services de secours, des pompiers, des agents de l'État, des élus locaux.

Culture du risque ? La France est en effet soumise à un risque inondation important : si seulement 5 % du territoire est inondable, 17 millions de Français y sont exposés, et le nombre de logements en zone inondable a augmenté de 8 % de 1999 à 2006. En outre, 9 millions d'emplois sont en zone inondable et risquent d'être paralysés. Le coût des inondations représente 650 à 800 millions d'euros par an ; la prévention de ce risque coûte, elle, 250 millions.

Difficile de savoir comment le changement climatique va influer sur les risques de crues dans un lieu précis, à un moment précis. Les incertitudes ne doivent pas conduire à l'inaction, mais à l'élaboration d'une politique responsable.

La politique de prévention des risques de l'État repose sur plusieurs piliers : connaissance des risques ; prise en compte de l'aménagement, via les PPR ; vigilance et précision des alertes ; réduction de la vulnérabilité avec les digues, les programmes d'action de prévention des inondations (Papi) ; information des populations ; gestion de crise ; retour d'expérience. L'histoire législative a été marquée par l'analyse des catastrophes passées.

J'ai entendu les interpellations adressées à l'État. Il est vrai que les compétences sont partagées. Oui, il faut une stratégie transversale, des moyens financiers et organisationnels adaptés. Cette stratégie nationale doit se décliner au niveau territorial, en s'appuyant sur la directive européenne. Il faut un plan de gestion des risques au niveau des bassins. Cet outil doit être mieux connu qu'il ne l'est actuellement. Le choix des territoires à risques est arrêté ; reste à élaborer les plans. La direction générale de la prévention des risques est mobilisée, pour que cette stratégie nationale soit adoptée d'ici juin. Les préfets aussi sont mobilisés.

Le dispositif de vigilance d'abord : l'État surveille un linéaire de 20 000 kilomètres de cours d'eau. Mais les limites de l'état de l'art de la prévision n'ont pas permis à Météo-France de cibler précisément le phénomène de juin 2010. Les élus seront dorénavant alertés en cas de prévision de fortes précipitations.

En matière d'alerte, les sapeurs-pompiers sont chargés de communiquer avec le préfet, ainsi que les maires.

Il faut aussi connaître l'historique des événements. Des référents départementaux seront la mémoire des crises auprès du préfet. L'alerte reste une priorité : 44,7 millions d'euros sont inscrits dans le projet de loi de finances pour rénover les systèmes de sirènes et mettre au point des alertes par SMS. Ce dispositif suppose un partenariat avec les acteurs. Les maires pourront le déclencher, ils seront acteurs de la gestion de crise. Dans le Var, 64 sirènes seront ainsi installées.

La compétence accordée au maire a tout son sens pour un événement qui touche une seule commune mais, en situation de crise, il faut éviter une rupture dans la direction des actions de secours. Le sous-préfet a là tout son rôle. L'unicité du commandement est le gage de l'efficacité de la réponse. L'accent est mis sur la dimension opérationnelle du plan Orsec.

Dans le Var, le risque incendie était jusqu'à présent beaucoup mieux pris en compte que le risque inondation ; il faut saluer le rôle des bénévoles, qui doivent être mieux reconnus. L'implication des citoyens contribuera à construire une société résiliente.

Le Grenelle II a permis d'élaborer des règles de prévention des risques. Nous en ferons usage. Le plan de prévention des risques naturels prévisibles doit s'inscrire dans une approche plus large, une logique de développement durable du territoire intégrant les inondations non comme une contrainte mais comme un élément de contexte. Ainsi, l'artificialisation des sols doit être mieux prise en compte, vu ses conséquences sur le ruissellement. Plus de 8 000 PPRI ont été approuvés et de grandes agglomérations comme Toulon, Nîmes et Nancy viennent d'en adopter un. Je partage l'objectif d'une meilleure appropriation de ces plans par les élus et les habitants. Les contraintes sont réelles mais proportionnées au risque.

Vous demandez une clarification des compétences en matière de gestion des cours d'eau et de l'entretien. C'est un enjeu clé. Un premier projet de décret sur l'encadrement de la responsabilité des gestionnaires des digues est en cours de discussion. La question est délicate, notamment en matière de financement. Une piste serait de permettre de lever une taxe additionnelle dans la zone protégée par la digue... Notre réflexion s'appuiera sur le rapport sénatorial.

Il faut se pencher plus largement sur la gestion des cours d'eau. La généralisation des Epage et des EPTB mérite d'être versée au débat. Chaque territoire doit trouver l'organisation qui lui convient.

L'État soutiendra les actions contractuelles globales sans attendre les stratégies locales. Le premier projet de programme d'action de prévention des inondations dans le Var sera bientôt présenté. Soyez assurés de la volonté du Gouvernement de travailler avec détermination sur ce sujet. Le rapport du Sénat sera une contribution précieuse, et je serai heureuse de vous présenter la stratégie nationale définie par le Gouvernement. (Applaudissements)