Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'agence de financement des infrastructures de transports.

Discussion générale

Mme Mireille Schurch, auteur de la proposition de loi .  - Avec 11 000 kilomètres, notre réseau autoroutier est le second d'Europe, le quatrième au monde. Il constitue d'abord un patrimoine national. Dès les années 1950, il a été considéré comme un levier de développement économique, de désenclavement territorial et de sécurité. Les déplacements ont été considérés comme le moyen, pour une société, de valoriser son territoire. Une politique de grands travaux routiers, autoroutiers et ferroviaires a été conduite pour désenclaver le Languedoc Roussillon ou l'Auvergne... Patrimoine de tous les Français, nous pouvons, nous, législateurs, définir le système autoroutier comme un service public, au sens où l'entendait Léon Duguit, et l'imposer aux juges. De là, nous pourrions faire valoir le préambule de 1946 dans lequel on peut lire : « Tout service public national doit être propriété de la Nation ». De plus, l'autoroute est un monopole national, les usagers sont captifs.

En 2010, il y avait cinq fois moins de probabilités de se tuer sur une autoroute que sur une route départementale et six fois moins que sur une route nationale. Faute politique, la privatisation des autoroutes en 2005 constitue également une faute économique qui a entraîné un manque à gagner de près de dix millions pour l'État, dont nous aurions bien eu besoin pour financer de nouvelles infrastructures.

Ces sociétés, si elles sont privées, doivent continuer d'assurer un service public. Or l'État s'est révélé incapable d'imposer ses vues : des calculs opaques, dénoncés par la Cour des comptes, aboutissent à des hausses tarifaires grâce auxquelles les sociétés peuvent distribuer de juteux dividendes à leurs actionnaires.

Entre 2005 et 2010, les tarifs de péage ont augmenté de 8 % à 11 %. Et cette évolution se poursuit. Le rapport de juillet 2013 de la Cour des comptes le montre.

L'Assemblée nationale, dans un récent rapport, observe que « le cadre tarifaire et le modèle financier n'offrent pas de protection suffisante pour les usagers ». L'État renonce pourtant à exercer ce qu'il lui reste de pouvoir réglementaire, aux dépens des usagers.

Le marché de dupes de 2005 fut également une faute sociale : les sociétés ont réduit leur masse salariale de 14 %.

Alors que les tensions se multiplient, nous vous proposons de rééquilibrer le rapport de forces entre l'État, les usagers et les sociétés concessionnaires. Deux options existaient. Plutôt que d'augmenter les redevances, comme cela avait été envisagé dans la loi de finances pour 2009, nous proposons une nationalisation. Cela serait mettre la réalité en conformité avec l'article 4 de la loi du 18 avril 1955.

M. Teston évoque le coût de 50 milliards pour une telle option, un chiffre que nous récusons. Ne reproduisons pas l'erreur commise avec le contrat Ecomouv : on nous disait qu'on ne pouvait rien faire, que l'État devait verser 20 millions par an à cette société alors qu'il y avait de bons arguments juridiques à opposer. Puisque nous sommes tous d'accord sur le scandale de la privatisation et que la nationalisation est juridiquement faisable, prenons le temps de l'évaluation. Nos concitoyens ne comprendront pas que l'intérêt des actionnaires prime sur celui des usagers ! (Applaudissements sur les bancs CRC)

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

Mme Évelyne Didier, rapporteure de la commission du développement durable .  - Le groupe CRC a déposé cette proposition de loi le 25 octobre 2011 ; son texte, court et circonscrit, poursuit un seul objectif : nationaliser les concessions d'autoroute.

Revenons sur les faits : l'AFITF a été créée en novembre 2004 pour porter la participation de l'État dans les grands projets d'infrastructures, autrefois noyée dans la grande universalité budgétaire. Elle devait être alimentée par la redevance domaniale due par toutes les sociétés d'autoroutes et par les dividendes perçus par l'État et son établissement public, Autoroutes de France. Ces derniers, d'un montant de 332 millions en 2005, étaient promis à un fort dynamisme.

Or, à peine six mois après la création de l'AFITF, le Premier ministre Dominique de Villepin annonçait la cession des participations de l'État dans les concessions d'autoroutes. Le produit des cessions a servi à réduire la dette plutôt qu'à financer l'agence : 4 milliards sur les 14,8 milliards issus de la vente.

Dans cette affaire, l'État s'est privé d'une manne importante. Ces sociétés ont enregistré des gains importants : de 2006 à 2012, le résultat d'ASF a augmenté de 15 %, celui de la Sanef de 8 % et celui d'APRR de 5 %.

Deuxièmement, l'État a fait appel à une seule banque conseil pour les opérations d'ouverture de capital, se privant de la possibilité d'avoir recours à plusieurs avis ; une situation dénoncée par la Cour des comptes, de même que le taux d'actualisation excessivement élevé qui a interdit à l'État de valoriser la durée des concessions.

Troisièmement, l'État n'a rien fait pour éviter l'émergence d'une rente tarifaire. Les tarifs du péage n'ont cessé de progresser. Cela ne peut continuer quand le Gouvernement est en train de négocier avec les sociétés autoroutières un plan de relance autoroutier qui pourrait allonger la durée des concessions ad vitam aeternam.

C'est pourquoi l'article premier propose la nationalisation de l'ensemble des sociétés d'autoroutes -douze en tout.

La commission des affaires économiques ne veut pas de cette proposition de loi pour des raisons financières essentiellement. Elle sera vigilante sur la hausse des tarifs des péages et le financement de l'AFITF, fragilisée par la suspension de l'écotaxe. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Merci de vos interpellations et de vos questions, je m'efforcerai d'y répondre.

La nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroute vise à capter des profits jugés excessifs pour financer l'AFITF, en situation délicate à cause de la suspension de l'écotaxe -je ne cesse de le répéter; je note que les esprits progressent.

Inutile de faire durer le suspense : le Gouvernement n'invitera pas à voter ce texte. Il partage, cependant, votre analyse : oui, la cession des sociétés d'autoroutes fut une erreur patrimoniale ; elle se déroula dans des conditions que nous avons dénoncées ; une erreur, encore, parce que, la Cour des comptes l'a souligné à plusieurs reprises, les contrats, d'une autre époque, rendaient difficile l'exploitation des autoroutes après la cession. Ils ligotaient l'État. Il eût été bon de renégocier ces contrats auparavant. Pour autant, faut-il en arriver à la nationalisation ? Derrière se profile la question de l'avenir de ces autoroutes, question ô combien légitime. Les contrats de concession arriveront à terme en 2027-2032. Dépenser 40 à 45 milliards, selon l'estimation de la Cour des comptes, paraît déraisonnable en ces temps de maîtrise de la dépense publique. Il y a le coût de l'opération, mais aussi celui du financement de l'entretien du réseau.

La question n'est pas tant de savoir s'il faut nationaliser mais de trouver comment gérer la période jusqu'à la fin des concessions et de travailler à un nouveau modèle de financement des infrastructures de transport.

Pour explorer les différentes voies, juridiques et financières, j'ai lancé une mission de réflexion dès mon arrivée au ministère.

Il est nécessaire de réajuster un certain nombre de taxes car les sociétés concessionnaires d'autoroutes doivent effectivement participer le plus largement possible au financement des infrastructures de transport.

La taxe d'aménagement du territoire, qui rapporte 150 millions à l'AFITF, est finalement acquittée par les usagers. Tournons-nous plutôt vers la redevance domaniale. Je l'ai augmentée de 50 % dès 2013, de 200 millions à 300 millions. Ce ne fut pas chose aisée. Il en résulta un contentieux : le Conseil d'État jugea confiscatoire ma proposition de hausse de 100 %.

Deuxième axe, la modération des tarifs. Nous pouvons les renégocier dans le cadre des nouveaux contrats, sachant que nous avons déjà tiré les leçons du rapport de la Cour des comptes sur les années 2009 à 2013. Les tarifs pour les véhicules légers, qui avaient augmenté de 2,24 % en 2011 et 2,45 % en 2012, n'ont augmenté que de 2 % en 2013 et ne dépasseront pas 1,15 % en 2014.Le contrat de plan sera discuté de manière plus rigoureuse que par le passé : à l'avenir, le taux de rentabilité interne ne pourra pas excéder 7,8 %. En outre, j'ai demandé à mes services de s'assurer de la réalité des projets d'investissements. Tel a été le cas dans le contrat passé avec ASF en 2013.

Troisième axe, l'État doit s'assurer de l'entretien des réseaux. Les sociétés concessionnaires investissent 2 milliards sur les réseaux, 50 % pour le maintien, 50 % pour les nouvelles opérations. Le ministère a adressé 70 mises en demeure chaque année aux sociétés d'autoroutes depuis mon arrivée, des mises en demeure qui s'accompagnent de sanctions financières.

Nous vérifions aussi que les sociétés respectent leurs obligations de concessionnaires. En 2013, pour la première fois, 1,5 million de pénalités ont été réclamées et payées. C'est dire que la faiblesse du ministre des transports, dénoncée par la Cour des comptes, n'est plus d'actualité. Les contrôles sont plus réguliers, plus formalisés.

Nous travaillons tous les jours, vous l'aurez compris, pour obtenir une bonne exécution des contrats. Ce débat, qui plonge dans le passé, intéresse aussi l'avenir. Vous êtes dans l'exigence, moi aussi. Là où il y a une volonté politique, il y a un chemin.

Le plan de relance autoroutier n'est pas un cadeau fait aux sociétés. Il y aurait de quoi s'inquiéter si nous n'étions pas exigeants ; ce n'est pas le cas. Enfin, une infrastructure vit ; il faut l'adapter, y compris en aménageant, par exemple, des aires de covoiturage. Il est envisagé de consacrer environ 3 milliards à ces opérations.

Il y a là des gisements d'emplois. Nous veillerons à une bonne et saine concurrence pour nos ETI et nos PMI. Nous travaillons sous le regard attentif de la Commission européenne, qui recevra dans quelques jours une notification.

À nous d'être attentifs à notre patrimoine national, c'est une impérieuse nécessité ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Ronan Dantec .  - Voici une proposition de loi qui tombe à point nommé ! Nous la soutenons : la décision de privatisation en 2005 était scandaleuse. L'État aurait pu empocher 37 milliards de dividendes, contre les 14,8 milliards obtenus lors de la vente, dont l'essentiel est allé à la résorption de la dette.

Il y a urgence à mettre en oeuvre l'écotaxe, elle devait financer le report modal. La suspension a entraîné une perte de 800 millions pour l'AFITF, mais aussi de 150 millions pour les collectivités territoriales. Il faut récupérer de l'argent, par exemple sur le report de trafic sur les autoroutes qui en résultera.

L'État manquant d'argent, la tentation est grande de privilégier les partenariats public-privé.

Un plan de relance autoroutier est en préparation. Contre 3,5 milliards d'investissements supplémentaires, les concessions seraient prolongées de trois ans. Nous nous y opposons : cela priverait l'État de ressources financières considérables pendant trois ans supplémentaires. On ne peut pas y être favorable et regretter la privatisation de 2005 !

Toutes les opérations prévues seraient utiles ? Nous pouvons nous interroger, à l'aveuglette car le Parlement n'est pas informé. Il est question de prolonger l'A 40 de 8 kilomètres vers Thonon ; qu'en est-il exactement ? La tourbière de Lossy sera-t-elle préservée ? Voilà une question précise ! (Sourires)

L'objet de ce plan de relance est de susciter des investissements supplémentaires. Un financement de ces travaux par une hausse des péages serait envisageable, tout comme une baisse des frais de fonctionnement de ces sociétés. Les 44 tonnes à cinq essieux, qui causent une usure prématurée des chaussées, pourraient être surtaxés. En matière de transport, l'État doit adopter une approche globale, à laquelle la privatisation des autoroutes fait entrave. (Applaudissements sur les bancs écologistes et CRC)

Mme la présidente.  - Nous atteignons la fin du temps alloué au CRC. La Conférence des présidents inscrira la suite de l'examen de ce texte à l'ordre du jour d'une séance ultérieure.