Éloge funèbre de René Teulade

M. Jean-Pierre Bel, président du Sénat .  - (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie se lèvent) L'annonce de la brutale disparition de notre collègue René Teulade le 13 février dernier a plongé chacun de nous sur ces bancs dans une profonde tristesse.

C'est avec émotion que je rends aujourd'hui hommage, au nom de l'ensemble des sénatrices et des sénateurs de la République, au parlementaire respecté et talentueux qu'il était et à l'ami que nous avons perdu.

René Teulade, victime d'un malaise cardiaque, a été brutalement emporté le 13 février dernier.

Un émouvant hommage lui a été rendu le 18 février dernier, en présence du président de la République et devant plus d'un millier de personnes, dans sa chère ville d'Argentat dont il aura été le premier magistrat durant vingt-cinq années.

Au milieu de ses proches et de ceux qui lui étaient chers, le président de la République a prononcé l'éloge funèbre de notre collègue et exprimé notre profonde et commune tristesse.

Cette cérémonie fut à son image, simple et digne. J'y conduisais la délégation sénatoriale.

Avant de représenter le Sénat à l'hommage national qui va être rendu à Dominique Baudis, un autre grand humaniste, attaché à son terroir, il m'appartient aujourd'hui, en votre nom, de prolonger cet adieu en terre de Corrèze au palais du Luxembourg, dans notre hémicycle, en présence de sa famille rassemblée dans nos tribunes.

René Teulade faisait partie de ces hommes dont les convictions guident les actes. Humaniste, il avait su donner à ce mot une réalité concrète, par son engagement déterminé, quotidien, pour faire avancer le progrès et la justice sociale, tant sur le terrain en Corrèze, que dans nos assemblées à Paris.

Il avait fait sien l'un des plus beaux combats : celui de la protection sociale. Un combat pour le modèle fondé à la Libération, dont il faut rappeler que les objectifs étaient doubles. Il ne s'agissait pas seulement d'assurer à chacun et chacune « les moyens d'une existence décente, ou à tout le moins d'un minimum vital » pour reprendre les mots du fondateur de la sécurité sociale Pierre Laroque.

Il s'agissait aussi, toujours selon Pierre Laroque de « débarrasser les travailleurs de la hantise du lendemain, de cette hantise qui crée chez eux un constant complexe d'infériorité, qui arrête leurs possibilités d'expansion et la distinction injustifiable des classes entre les possédants qui sont sûrs d'eux-mêmes et de leur avenir et les non-possédants, constamment sous la menace de la misère. »

Comme les fondateurs de notre modèle social, René Teulade avait viscéralement en lui ce désir de changer la vie, en garantissant pour tous, des « jours heureux ».

Quelques jours avant sa disparition, le 4 février, René Teulade était encore ici à la tribune, pour défendre, avec toute l'éloquence et la force de conviction qui le caractérisaient, sa vision humaniste de l'économie et de la République.

C'était à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi visant à« reconquérir l'économie réelle » et à lutter contre la désindustrialisation de notre pays.

Comme beaucoup de mes collègues je crois, je me souviens de lui au cours de ce débat qui devait être son dernier. Sa fougue et sa ténacité étaient intactes. Ses mots résonnaient avec la force et la solennité que donne l'expérience.

Comment « rester muet et inactif devant le mur des inégalités érigé en plein milieu de notre République » lançait-il à ses collègues ? « Ne pas s'évertuer à essayer de le détruire, c'est insulter l'humanité ». Ses mots étaient toujours empreints d'une infatigable passion.

René Teulade avait rejoint les bancs de notre assemblée depuis septembre 2008, date où il fut élu sénateur de la Corrèze, après une longue carrière politique d'élu de proximité.

Né à Monceaux-sur-Dordogne dans ce département de la Corrèze qui lui était si cher, René savait ce que l'ancrage territorial voulait dire. Ce port d'attache le rendait heureux. L'engageait. L'obligeait.

Orphelin dès l'âge de 12 ans, il n'en comprit que mieux le sens de la transmission. Il devint instituteur puis professeur des collèges et enfin principal du collège de son enfance.

Très tôt, René Teulade milite dans les syndicats enseignants, au Syndicat national des instituteurs et à la Fédération de l'éducation nationale.

Mais c'est dans le monde mutualiste que René Teulade s'investit avec passion. Il y consacre l'essentiel de son engagement et y exerce les responsabilités les plus éminentes.

En 1974, il devint président de la Mutualité des retraites des instituteurs et fonctionnaires de l'éducation nationale, devenue Mutualité des retraites de la fonction publique, fonction qu'il occupera jusqu'en 1992.

René Teulade dirige aussi de 1979 à 1992 l'importante Fédération nationale mutualiste française, devenant en quelque sorte le garant de la protection sociale de quelque 2,5 millions de Français.

La mutualité était l'illustration quotidienne de son humanisme et de son dévouement pour ses concitoyens. « Pour moi, disait-il, la mutualité, c'est le symbole de la main tendue entre les hommes ».

Ses compétences le conduisirent à siéger au Conseil économique et social de 1980 à 1992, où il présida le groupe de la mutualité et la section des affaires sociales.

Le militantisme mutualiste et les solides convictions de René Teulade se sont rapidement conjugués avec un engagement politique. II fut président du Comité économique, social et culturel, instance de réflexion du parti socialiste et, durant un quart de siècle, un élu local, puis national, estimé et influent.

À Argentat, dont il était le maire depuis 1989, il consacra vingt-cinq années d'un engagement quotidien qui le rendait heureux et fier.

Il était enthousiaste, dynamique. Il avait l'esprit d'équipe du brillant demi de mêlée qu'il avait été dans son jeune âge. Comme il aimait à le dire à ses proches, « tu es sur le terrain ce qui tu es dans la vie ». Beaucoup parmi vous savent qu'il affectionnait aussi les troisièmes mi-temps passées avec ses administrés. Avec ses amis.

Beaucoup lui décrivaient aussi une « force tranquille » qui lui permettait d'aller toujours de l'avant et de surmonter les difficultés de la vie.

Trois ans après son accession à la mairie d'Argentat, René Teulade avait été élu, en mars 1992, conseiller général de la Corrèze. Il se consacra là aussi avec enthousiasme à ce mandat départemental, durant près de vingt ans.

« Je suis un pur produit de l'élevage local » se plaisait-il à dire.

Il joua un rôle majeur dans la victoire des idées qu'il défendait aux élections cantonales de mars 2008 à l'issue desquelles il devient premier vice-président du conseil général, aux côtés du président François Hollande.

Du 2 avril 1992 au 29 mars 1993, il occupa les lourdes fonctions de ministre des affaires sociales et de l'intégration dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy.

Même dans cette période, il n'oublia pas son port d'attache. Il racontait d'ailleurs que pendant ces mois passés au gouvernement, il cultivait toutes les semaines son jardin, semant échalotes et poireaux.

Tout au long de cette année-Ià, il se battit avec ténacité pour faire adopter une loi sur la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, qui constitue encore aujourd'hui une référence.

Cette loi fondatrice a profondément modernisé la gestion de notre système d'assurance maladie.

Quelques années plus tard, après avoir été le suppléant du député François Hollande, René Teulade devint sénateur le 25 septembre 2008, aux côtés de notre amie Bernadette Bourzai, et en ayant comme suppléante Patricia Bordas qui aura la lourde tâche de lui succéder au palais du Luxembourg.

Au Sénat, René Teulade rejoignit naturellement la commission des affaires sociales et se consacra plus particulièrement à la sécurité sociale et aux retraites.

Faisant toujours preuve d'une grande hauteur de vue, il soulignait que le problème des retraites ne se limitait pas à un simple débat financier, mais constituait un véritable choix de société.

Pour ses jeunes collègues de la commission, ii était en quelque sorte la mémoire de notre histoire sociale.

Je me souviens aussi que René Teulade était un homme d'une grande culture, notamment historique, qu'il mettait au service de sa réflexion politique.

Le 4 février encore, il nous donnait à réfléchir, en rappelant ses convictions à la tribune du Sénat en ces termes : « la France est une République indivisible. Mais comment parler d'indivisibilité de la République quand les réalités vécues sur le territoire divergent autant ? Bien sûr, la France est administrativement et juridiquement indivisible, mais elle est socialement fracturée, en rupture, parfois même en détresse (...)

« Le terme de République ne sert pas uniquement à décrire froidement un régime politique, la République est également une philosophie. La République est méritocratique, elle résonne avec l'égalité des chances (..). La République, c'est aussi un caractère, un état d'esprit. La tolérance, la tempérance, le refus de l'excès sont constitutifs de ses vertus. » Ces mots, si forts et si justes, trouvent en chacun d'entre nous un écho et doivent continuer de nous inspirer.

La personne et l'action de René Teulade furent pendant toute sa vie tournées vers une valeur essentielle : la solidarité.

Il était une figure locale aimée, un parlementaire estimé, une personnalité attachante et un ami fidèle.

J'exprime en cet instant à Mme Bernadette Teulade, à leurs enfants Dominique et Marie-Paule, et à tous leurs proches, aujourd'hui dans la douleur, les condoléances sincères et émues du Sénat de la République, ainsi que ma profonde tristesse personnelle.

René Teulade restera présent dans nos mémoires et nous aurons à coeur de faire vivre les valeurs qui l'animaient, car ce sont celles de la République : la solidarité, l'altruisme, la foi indissoluble en l'intérêt général.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie .  - La République rend aujourd'hui hommage à un homme qui l'a servie tout au long de sa vie avec passion et gentillesse. C'est avec une émotion toute particulière que je prononce ces mots. Je siégeais à ses côtés, sur ces bancs. René Teulade a consacré son existence à la justice sociale et au souci des autres. C'était un homme de combats, partisan infatigable de la lutte pour la solidarité et contre les inégalités. Fils de la République, il pensait que la société doit donner le moyen à chacun de s'émanciper. Il était animé de la conviction inébranlable que le projet collectif devait servir à tous et protéger les plus faibles. Toute sa vie, il s'est battu pour faire avancer la protection sociale des Français, qui disait-il n'est pas seulement un amortisseur de crise mais un investissement. Instituteur passionné il s'était tourné vers la mutualité, complémentaire de l'idéal républicain. Il avait cette capacité à faire comprendre les objectifs et fédérer les énergies. En bon instituteur, il était un grand pédagogue de l'intérêt général. « La mutualité est un humanisme » aimait-il à dire. Grâce à sa personnalité et parce qu'il aimait profondément les gens, il a su fédérer autour de lui à la FNMF, sans sous-estimer les difficultés. La mutualité est exigence de résultats, disait-il encore. La retraite, disait-il, doit être un moment où l'homme prend le plus conscience de sa liberté. René Teulade était un homme de valeur et de valeurs, inspirées par la force de principes républicains. Dans la période difficile de l'après-guerre, orphelin très jeune, il avait compris que le travail et le mérite seraient la clé de son ascension. Il travailla dur pour devenir instituteur puis professeur de mathématiques. Il était de ces enseignants qui n'étaient plus de la génération des hussards noirs mais qui avaient conservé leur ferveur et leur intransigeance. Il croyait profondément en l'école de la République, en ce beau métier d'instituteur, de professeur, transmettant avec passion à ses élèves les valeurs et les principes auxquels il croyait, en premier lieu, la laïcité, condition première de la vie en société.

Dans cette terre de Corrèze, dure et verdoyante, dont il tenait une pointe d'accent chaleureuse, passionné de rugby, il apprit la confiance en l'autre, la simplicité, la droiture, la fidélité. L'attention portée à chacun était une exigence pour lui. Il fut le maire d'Argentat pendant vingt-cinq ans. Il a su transformer sa commune et son canton. Ce sont ses qualités qui conduisirent François Hollande à faire de lui le vice-président du conseil général de Corrèze. Il fut élu sénateur en 2008 et il fut très apprécié, à la commission des affaires sociales, pour son sens de l'analyse et sa connaissance des dossiers. C'était un homme attaché au dialogue, comme il le montra au Sénat, après avoir été ministre et membre du Conseil économique et social où son rapport sur la réforme des retraites obtint l'accord de tous les partenaires sociaux. Ministre des affaires sociales et de l'intégration de François Mitterrand, travailleur et déterminé, son principal projet portait sur la maîtrise de l'évolution des dépenses publiques ; il prit à bras-le-corps la question de la défense de l'hôpital public et des droits des malades.

René Teulade était un homme aimé ; sa mort brutale a été un choc. La République perd un élu exemplaire. J'adresse, au nom du Gouvernement, mes condoléances les plus sincères à son épouse, à ses enfants, à sa famille et à ses proches.

(Mme la secrétaire d'État et Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence)

présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président

La séance, suspendue à 14 h 50, reprend à 15 h 10.