Allocution du président d'âge

M. le président.  - Je salue et félicite ceux qui ont été élus ou réélus dans notre assemblée.

Si je peux m'adresser à vous, c'est au nom du seul privilège qu'on ne peut abolir : celui de l'âge. (Sourires) Et le faire une deuxième fois est un privilège très rare.

Comment faire le choix entre l'action dans l'immédiat et l'action pour l'avenir ? L'action pour faire face aux conséquences économiques, sociales et politiques d'une crise qui dure déjà depuis plus de huit ans et dont on ne voit pas la fin ; l'action pour faire face aux redoutables défis déjà posés pour l'ensemble de la planète. On se trouvait déjà, il y a trois ans, devant le même choix. Depuis, les éléments se sont amplifiés, aggravés.

Nous vivons un siècle qui apparaîtra dans l'Histoire comme l'un des plus importants de l'Humanité.

Des rendez-vous historiques de notre siècle s'annoncent, des changements durables à l'échelle de la planète. La première dynamique, souvent sous-estimée, est celle de la transition démographique mondiale. Les démographes annoncent une population mondiale de 7 milliards d'habitants en 2013 et l'ont estimée à 9,5 milliards en 2050. Or 2,5 milliards de plus, c'est l'équivalent de toute la population mondiale en 1950. Autant dire que le nombre d'êtres humains a été multiplié par 2,8 entre 1950 et 2013, sachant que la progression sera encore de 2,5 milliards d'ici 2050.

Ce phénomène exceptionnel va de pair avec ce qui a fait l'objet de la conférence de Washington, il y a quelques semaines, et qui sera au centre du rendez-vous l'année prochaine à Paris : la conférence sur le climat. Là encore, les dates sont évoquées pour le siècle : 2020, 2030, 2050 et 2100.

Le réchauffement climatique a d'ores et déjà des conséquences dans tous les domaines pour la vie humaine : climat, santé, vie économique, sociale et politique, environnement terrestre, aérien et maritime. Rien n'est acquis, tout est à faire. L'enjeu est une nouvelle civilisation planétaire.

Ces deux dynamiques planétaires et durables agissent alors que progressent à un rythme accéléré la recherche, la découverte, l'innovation et leur mise en valeur.

Revenons à l'immédiat : que faire dans cette crise ? Soit la mise en application du capitalisme, à son stade ultime de développement, ce qu'on appelle la mondialisation. Ce système remet en cause l'existant : le marché national ou régional, l'expansion économique, sociale, financière et politique. Cette remise en cause provoque des réactions de contestation ou d'alignement. Tous ces phénomènes -démographiques, climatiques, révolutions scientifiques et techniques, mise en place du marché mondial- interagissent avec des conséquences de plus en plus importantes.

Voilà ce qui marquera toute notre mandature, quels que soient le domaine de l'action et l'objectif poursuivi.

Permettez-moi d'évoquer la situation de l'île de La Réunion. Une île dans le sud-ouest de l'océan Indien, inhabitée, montagneuse, tropicale, de taille modeste, de très grande diversité végétale et animale. Un vrai paradis, un véritable laboratoire. Trois siècles et demi après son peuplement, sa population est passée de 240 000 habitants en 1946 à 840 000 en 2014 et atteindra un million dans quinze ans. Parallèlement, la population de Madagascar, estimée à 4 millions en 1947, s'élève à plus de 23 millions en 2013 et sera de 55,5 millions en 2050, demain. Dans une génération, un quart de la population mondiale vivra en Afrique.

Avec la mondialisation, le pilier séculaire canne-sucre est menacé de disparition. On compte près de 30 % de chômeurs, dont près de 50 % pour les jeunes, 46 % de la population sous le seuil de pauvreté, 240 000 personnes vivant des minimas sociaux. Le Gouvernement a décidé, dès le 1er janvier 1947, une sur-rémunération de 53 %, au nom du coût de la vie, pour la seule fonction publique d'État.

Avec le réchauffement climatique, l'île est frappée par une très grave sécheresse et un déficit en eau dans tous les bassins. Dans un pays tropical, et de cyclones dévastateurs, le littoral est menacé à terme par l'élévation du niveau de l'océan. Et c'est là qu'est projeté un grand chantier sur la mer !

Si j'ai cité l'exemple d'une île de l'océan Indien, à 10 000 kilomètres de l'Europe, c'est pour montrer combien sont lourdes les conséquences de l'action des grandes forces durables sur le plan mondial, pour tout pays, pour toute région.

À l'aube de ce nouveau mandat, j'ai conscience de la responsabilité de chacun siégeant sur ces bancs, devant la complexité, la difficulté et l'urgence des défis à relever.

Que la question soit locale, nationale, européenne ou mondiale, elle est portée dans une perspective globale, donc solidaire, soulignant par là que, pour la première fois, l'Humanité a conscience que toute la population mondiale partage un destin commun.

C'est en cela que les destins des uns et des autres sont de plus en plus liés et solidaires, faisant apparaître notre conviction et notre espérance commune de voir la fin des luttes du XXIe siècle ouvrir la nouvelle ère à la nouvelle civilisation qui s'annonce.

Jean Jaurès déclarait : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, mais une confiance inébranlable pour l'avenir ». Que cette nouvelle ère illustre la volonté de voir enfin se réaliser pour le monde la devise de notre République : Liberté, Égalité, Fraternité. (Applaudissements nourris et prolongés)