Particules fines

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la proposition de loi relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines d'oxydes d'azote et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles.

Discussion générale

Mme Aline Archimbaud, auteur de la proposition de loi .  - La mobilité est un besoin, un droit à protéger -mais pas à n'importe quel prix et surtout pas au prix de notre santé. S'il y a plusieurs manières de circuler, il n'y en a qu'une de respirer.

J'ai déposé en septembre une nouvelle version de notre proposition de loi, remaniée à la lumière des échanges que nous avons eus. J'ai déposé, en outre, deux amendements réécrivant les articles premier et 3. Preuve que notre groupe est à l'écoute et tout sauf intransigeant. Ce qui nous importe, ce ne sont pas les moyens mais la fin : lutter contre le drame sanitaire des particules fines émises notamment par les moteurs diesel.

Longtemps, on s'est demandé si le diesel était ou non dangereux. Fin 1988, l'OMS ne classait les particules fines que parmi les « cancérigènes probables ». Mais en 2012, le Centre international de recherche sur le cancer les a classées dans la première catégorie des substances cancérigènes certaines pour l'homme. Le nombre de morts prématurées est évalué entre 15 000 et 42 000 -15 000 morts, c'est quatre fois plus que de victimes d'accidents de la route, et le chiffre est sous-évalué. Cancer du poumon, asthme grave, pneumopathies sont causés par ces particules très fines qui favorisent aussi la survenue d'accidents vasculaires cérébraux.

On nous oppose que les moteurs diesel ne sont pas les seuls à émettre des particules fines. C'est vrai mais dans les grandes agglomérations, la part du trafic routier est prépondérante dans les émissions de particules fines : 51 % en Ile-de-France.

Les normes européennes nous protégeraient ? La valeur limite est fixée à 50 mg par mètre cube d'air, qui ne doit pas être dépassée plus de 35 jours par an. Or, dans certaines zones d'Ile-de-France, cette limite est dépassée de plus de 200 jours par an. C'est la pollution de fond... Une étude a conclu à une espérance de vie, à 30 ans, réduite de 3,6 à 5,7 mois pour les habitants des grandes villes françaises.

Les nouveaux filtres à particules ? Certes, mieux vaut en avoir un mais les véhicules équipés émettent davantage d'oxyde d'azote, tout aussi nocif ; en outre, les tests d'homologation ne rendent pas compte de la réalité des cycles de conduite. Ces filtres n'arrêtent pas les particules les plus fines, qui sont les plus dangereuses, non plus que les composés organiques volatiles qui s'agrègent dans l'air pour former de nouvelles particules plusieurs mètres derrière le véhicule. Or, ces particules secondaires ne sont pas prises en compte par les tests. La recherche devra objectiver les choses. Or, qui est en charge de cette recherche ? Les constructeurs automobiles eux-mêmes ! Il suffit de consulter le site de l'Utac pour s'en apercevoir... Comment être juge et partie ?

On nous oppose que s'en prendre au diesel, c'est s'en prendre aux classes populaires. Or, les moteurs diesel sont plus chers à l'achat et à l'entretien, et ne sont rentables qu'après une longue période, grâce à la subvention, celle-ci étant, in fine, payée par le contribuable.

Écologie punitive ? Curieuse tournure d'esprit... Les personnes qui conduisent ou travaillent sur les routes ont le droit d'être protégées. C'est l'absence d'action qui est punitive, pour les personnes âgées et les enfants. Jocelyne Just, chef de service à l'hôpital Trousseau, constate que ceux-ci sont particulièrement exposés parce qu'ils sont plus près du sol, respirent plus vite et ont un appareil respiratoire encore incomplètement formé. Ils peuvent être marqués à vie, dit ce médecin, qui constate des troubles de plus en plus nombreux et de plus en plus graves. Est-ce punitif de s'indigner de cette situation, qui frappe les plus modestes, ceux qui habitent près des grands axes ?

Le diesel coûte très cher à nos finances publiques. Outre la niche fiscale à 7 milliards d'euros, Mme Batho évaluait l'impact de l'importation du gasoil sur la balance commerciale à 13 milliards. Sans parler du coût pour la santé -évalué par un rapport du Commissariat général au développement durable à 20/30 milliards par an. Le diesel s'apparente à une filière sous perfusion plutôt qu'à une filière d'excellence. Sa part de marché est en baisse tendancielle en raison notamment des progrès des véhicules essence en matière de consommation. Investissons plutôt l'argent public pour favoriser la mutation de notre industrie.

Comment agir ? Ce texte n'est pas parfait, l'initiative parlementaire est très encadrée. Nous n'avons pas, par exemple, la possibilité de voter la création d'un fonds pour aider les propriétaires de vieux véhicules diesel, souvent modestes, à les remplacer. Le Gouvernement, lui, peut le faire ; Mme Royal l'a envisagé.

Nos propositions ne vont pas contre la filière automobile, contre l'action du Gouvernement, contre la qualité de vie des ménages.

L'article premier, complètement réécrit, propose désormais de revoir les critères du malus automobile qui ne visent aujourd'hui que les émissions de CO2. La réglementation n'est pas complexifiée mais enrichie. Le bonus-malus est un dispositif moins brutal que la taxe que nous proposions initialement.

L'article 2 demande un rapport au Gouvernement sur l'indépendance de l'expertise, l'article 3 propose un diagnostic d'éco-entretien lors de la cession des véhicules.

Je crois aux petits pas. Dans un pays en pleine crise politique, sociale, économique, morale, montrons que nos paroles sont suivies d'actes. Je demande au Gouvernement de respecter l'initiative parlementaire ; elle vise à nourrir le débat, à contribuer à changer les mentalités, à converger avec l'action du Gouvernement. Merci à ceux qui ont déposé des amendements, je les soutiendrai presque tous.

Enfin, j'en appelle à la responsabilité de chacun. Assez de drames sanitaires ! Nous avons trop attendu pour interdire l'amiante, qui aura fait 100 000 morts en 2050. Ne reproduisons pas cette erreur, nous pouvons agir et nous rassembler. (Applaudissements sur les bancs écologistes ; Mme Chantal Jouanno applaudit aussi)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteure de la commission des finances .  - L'esprit de cette proposition de loi rejoint des initiatives précédentes de ses auteurs. La proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé, déposée en mai 2014, visait à instituer une taxe additionnelle de 500 euros, revalorisée de 10 % chaque année, sur les certificats d'immatriculation de véhicules diesel. La commission des finances avait rejeté son article unique en raison de sa focalisation sur les seuls véhicules diesel et du risque de décourager l'achat de véhicules neufs moins polluants...

En août 2014, Mme Archimbaud et M. Miquel avaient déposé des amendements pour créer une taxe additionnelle « particules fines » au malus CO2. Gouvernement et commission en avait demandé le retrait au motif que cette taxe alourdissait la charge sur les automobilistes. Le groupe écologiste présente cette fois un dispositif plus complet.

La commission des finances ne conteste pas le diagnostic. Plusieurs travaux de l'OMS ont montré la nocivité de la pollution par les particules fines et son impact sur l'espérance de vie ; elle serait responsable de 6 % des décès, dont la moitié imputable au trafic routier. Les auteurs de la proposition de loi mettent en avant un vrai enjeu de santé publique.

M. Jean Desessard.  - Bravo, madame !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteure.  - La commission des finances est en outre sensible à l'aspect financier. La France est en effet sous le coup d'une menace d'amende pour non-respect des règles européennes en la matière. Le contentieux devant la Cour de justice de l'Union européenne pourrait aboutir à des pénalités de 100 millions par an...

M. Jean Desessard.  - Eh oui !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteure.  - Mme Archimbaud a donc raison de nous pousser à agir.

M. Jean Desessard.  - Voilà !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteure.  - Pour autant, la commission des finances n'a pas adopté les trois articles de cette proposition de loi. Elle alourdirait la fiscalité pesant sur les automobilistes et s'ajouterait à la taxe sur le diesel prévue à l'article 20 du projet de loi de finances pour 2015. En outre, elle inciterait les propriétaires de véhicules les plus anciens, qui sont les plus polluants, à ne pas les remplacer. Un seul véhicule aux normes des années 2000-2005 émet deux cents fois plus de particules qu'un véhicule aux normes 2011. Il n'y a pas photo...

En outre, la constitutionnalité de l'article premier n'est pas assurée, en ce qu'il renvoie la fixation du barème à un décret -ce qui n'épuise pas la compétence du législateur. Une idée serait d'introduire une composante « particules fines » dans le malus CO2, en diminuant celui-ci à concurrence du poids de celle-là. Un véhicule émettant peu de CO2 mais beaucoup de particules fines devrait, selon moi, être frappé par le malus. C'est une piste à creuser.

Dans l'immédiat, cette proposition de loi alourdit sans compensation la fiscalité des seuls véhicules frappés par le malus CO2.

L'article 2 prévoit un rapport au Parlement sur l'indépendance de l'expertise technique relative à la mesure des émissions. Sans avoir d'opposition de principe, la commission des finances, hostile aux deux autres articles, n'a pas jugé opportun d'envoyer à l'Assemblée nationale un texte réduit à une demande de rapport.

Enfin, l'article 3 tend à créer un certificat de diagnostic d'éco-entretien lors de la cession des véhicules diesel de plus de quatre ans. Une mesure semblable est déjà prévue à l'article 17 bis du projet de loi de transition énergétique. Évitons de faire circuler dans deux navettes des dispositions similaires.

La commission des finances propose au Sénat de ne pas adopter les trois articles de cette proposition de loi. Si nous partageons le diagnostic de Mme Archimbaud, sa proposition de loi ne nous paraît pas répondre au problème posé par les émissions de particules fines.

Mme Odette Herviaux, rapporteure pour avis de la commission du développement durable .  - Nous examinons enfin la proposition de loi du groupe écologiste sur les particules fines -la première, rejetée par la commission des finances et celle du développement durable, n'ayant pu, faute de temps, être examinée en séance publique. Je salue la persévérance de nos collègues.

Cette proposition de loi est un signal d'alarme. Les véhicules au gazole forment encore 60 % du parc automobile total et la part du gazole dans la consommation de carburant dépasse 80 %. L'OMS a classé les particules fines comme cancérogènes certains. Selon l'Ademe, 56 % des émissions d'oxyde d'azote sont liées au transport ; 7 millions de véhicules seulement sont équipés d'un filtre, 12 millions ne le sont pas. La réduction de l'écart de fiscalité entre l'essence et le gazole est une demande récurrente.

Mais savez-vous que la quantité de particules fines -métaux lourds hautement toxiques- émises au kilomètre parcouru par l'abrasion des plaquettes de frein est six fois supérieure à celle émise par les pots d'échappement ? Il faudrait s'assurer que le futur dispositif tienne compte de cette donnée méconnue.

On connaît l'impact sanitaire des particules fines. Se pose aussi la question du modèle économique de la filière automobile. La diésélisation du parc a conduit les constructeurs à investir dans des techniques de dépollution coûteuses pour se conformer aux exigences européennes. Une taxe sur le diesel aurait déstabilisé la filière.

L'objet de l'actuelle proposition de loi est d'intégrer les émissions de particules atmosphériques dans les critères du malus automobile. Deux amendements ont été déposés pour réécrire les articles premier et 3, preuve que la réflexion mérite d'être approfondie. Poursuivons le débat. L'avis de la commission du développement durable a été unanime : elle a souligné l'importance de l'enjeu de santé publique mais s'est prononcée pour une réforme graduée, sans taxation supplémentaire, proposant un accompagnement pour la filière automobile mais, surtout, pour les ménages modestes. Le vrai enjeu, c'est le parc diesel existant. D'autres modes de transports, y compris le train et le métro, sont générateurs de particules fines par l'abrasion des plaquettes de freins.

Le projet de loi de finances, qui relève la TICPE, et le projet de loi de transition énergétique seront des occasions de poursuivre le débat.

La commission du développement durable a émis un avis défavorable à l'article premier. Elle a donné un avis favorable à l'article 2, qui demande un rapport sur l'indépendance de l'expertise. Je souscris, pour ma part, pleinement à l'article 3 mais la commission lui a donné un avis défavorable car une disposition analogue figure déjà dans le projet de loi de transition énergétique. Quatre amendements de Mme Jouanno sont intéressants mais il faut examiner plus avant leur impact.

Les enjeux soulevés par le groupe écologiste doivent être pris en considération. Le problème doit être abordé de façon globale. La commission du développement durable est vigilante et sera force de proposition afin d'accompagner notre pays sur la voie d'une transition soucieuse à la fois du développement économique, de la protection de la santé et de la préservation de l'environnement. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Les problèmes soulevés par le groupe écologiste sont très pertinents.

M. Jean-Vincent Placé.  - Ça commence bien.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Vous avez rappelé la gravité du sujet, les études qui ont montré la nocivité du diesel pour la santé publique. C'est pourquoi le Gouvernement a pris plusieurs mesures pour réduire les nuisances liées à la consommation de carburants, notamment de diesel : le projet de loi de finances pour 2015 majore de 4 centimes par litre la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur le diesel. S'y ajoute la mise en place d'une composante carbone de la fiscalité via la contribution climat-énergie et l'adaptation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)...

Le malus dont vous parlez a déjà été réformé en 2014 pour accentuer le verdissement du parc automobile français.

En 2015, le Gouvernement souhaite que le bonus soit ciblé sur les seuls véhicules électriques et hybrides : jusqu'à 6 300 euros par véhicule. Une prime sera créée pour compenser la mise au rebut de véhicules polluants.

Le projet de loi de transition énergétique comporte un titre entier consacré aux véhicules propres, contenant de nombreuses mesures. Le retrait de filtres à particules sera notamment sanctionné.

Votre proposition a déjà été examinée à l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014. Elle avait alors reçu un avis défavorable de la commission des finances et du Gouvernement. Cet avis n'a pas changé. Taxer encore davantage l'achat de véhicules diesel serait paradoxal, puisque ces véhicules nouveaux sont moins polluants, et découragerait le remplacement d'anciens véhicules. Les conséquences industrielles ne sauraient être ignorées.

En outre, votre proposition de loi déroge au monopole fiscal des lois de finances. Elle pêche par ce que le Conseil constitutionnel appelle « l'incompétence négative du législateur », cela a été dit. Elle nécessiterait des protocoles et instruments de mesure nouveaux, dont la définition relève du niveau communautaire.

Quant à votre demande de rapport, les experts appliquent une réglementation nationale et européenne qu'il est aujourd'hui question de faire évoluer.

Votre article 3 est satisfait par l'article 17 bis du projet de loi de transition énergétique : vous pouvez proposer, lors de son examen, d'ajouter des particules fines.

Le Gouvernement donnera un avis défavorable à l'article premier et s'en remettra à la sagesse du Sénat sur les articles 2 et 3, sous réserve de la modification de ce dernier article.