Industrie du tourisme (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l'industrie du tourisme à M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Merci à M. le ministre de sa présence.

Mme Françoise Laborde .  - Le tourisme mondial est en pleine expansion. La France est la première destination mondiale, ce qui assure des emplois non délocalisables et une valorisation de notre patrimoine et de nos territoires. La demande touristique mondiale explose, l'offre évolue, avec de nouveaux acteurs. Nous examinerons samedi l'article non rattaché 44 bis du projet de loi de finances, qui porte sur la taxe de séjour temporaire. C'est une réelle avancée, avec plusieurs fourchettes de taux selon les catégories d'hébergement -les communes gardant le pouvoir de les fixer- et un relèvement du plafond pour les palaces. L'efficacité du recouvrement est améliorée par la création d'une plate-forme en ligne. Mais les gîtes ruraux s'inquiètent ; le tourisme n'est pas le même à Paris et dans les zones rurales. Or l'article 44 bis issu de l'Assemblée nationale place dans les mêmes catégories les hôtels 4 étoiles et les gîtes 4 épis.

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Françoise Laborde.  - Ils n'ont pas à être assujettis au même plafond. Les plates-formes de réservation posent également problème. Le texte de l'Assemblée nationale vise les grandes plates-formes en ligne, mais quid des plus petites, régionales, qui n'ont pas la même capacité de collecte de la taxe ?

M. le président.  - Vous avez consommé votre temps de réplique.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international .  - Il faut le redire : le tourisme est un secteur majeur, qui crée des emplois non délocalisables.

Une réforme de la taxe de séjour était nécessaire et souhaitée. La formule retenue initialement était sans doute excessive. Après concertation, nous aboutissons à une solution raisonnable, en ayant relevé la taxe sur les séjours dans les 5 étoiles et palaces. S'agissant des plates-formes de réservation, la taxe de séjour sera étendue, selon des modalités de prélèvement à définir, afin que la concurrence joue normalement.

La question des gîtes demande une attention particulière. Là aussi, il y aura concertation. Vous dites que la France est première destination touristique au monde : en nombre de visiteurs, oui, mais nous sommes seulement au troisième rang pour les recettes ; il y a un gros effort à faire.

Mme Françoise Laborde.  - Merci pour cette réponse.

M. Michel Le Scouarnec .  - Pour beaucoup, le tourisme, c'est les vacances, l'impatience du départ, un moment de bonheur. Mais derrière, il y a une vraie industrie qui représente 6,5 % du PIB et 900 000 emplois directs. Dans ce secteur, les salaires sont faibles, les emplois saisonniers nombreux, la précarité et les atteintes au droit du travail fréquentes. Les métiers ont évolué. En Bretagne, une formation originale à destination des professionnels de l'hôtellerie en plein air a été mise en place, avec comme objectif l'obtention à la fois d'un diplôme et d'un contrat de travail, ce qui pérennise des emplois qualifiés. Pourrez-vous développer ailleurs de telles offres de formation ?

Les dotations des offices de tourisme baissent et la régionalisation de la compétence touristique pose de nombreuses questions. Comment percevez-vous les perspectives de la réforme territoriale pour le secteur ?

M. Laurent Fabius, ministre.  - Si l'on veut un tourisme actif, efficace, il faut que les salariés soient bien formés et vivent et travaillent dans des conditions correctes.

En matière de formation, nous avons des progrès à faire ; nous souhaitons mettre l'accent sur ce sujet. Le secteur est particulier, avec des contraintes spécifiques, horaires et durée du travail par exemple. Il convient de trouver un équilibre, nous y travaillons.

Quant à la réforme administrative, le Gouvernement a souhaité confier aux régions la compétence tourisme ; des offices existent aussi au niveau local, il faudra trouver une bonne articulation, donner une assise régionale à cette activité, sans perdre la vitalité locale.

M. Michel Le Scouarnec.  - Sur la presqu'île de Quiberon, une formation a été initiée par l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa). Il faudrait l'étendre. Attention aussi à préserver les colonies de vacances : les collectivités ont fait beaucoup mais ces séjours sont à présent en recul, et trop d'enfants ne peuvent pas partir en vacances. (Mme Corinne Bouchoux applaudit)

M. Joël Labbé .  - La France dispose de nombreuses richesses qui en font une destination touristique privilégiée. Les défis sont toutefois nombreux, à commencer par la concentration touristique, qui menace l'environnement notamment sur le littoral, les îles, les zones de montagne.

Au-delà d'un seuil limite de fréquentation d'un territoire apparaissent des problèmes de saturation des infrastructures et de destruction de l'environnement. Le projet d'avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur le tourisme et le développement durable en France évoquent des alternatives au tourisme de masse, qui pourraient irriguer l'ensemble du territoire, exploitant les atouts gastronomiques, artistiques, culturels, environnementaux. Mais elles se heurtent à la pression des opérateurs privés qui veulent développer des projets de grande envergure sur des sites privilégiés.

Quelle est la stratégie du Gouvernement en matière de tourisme durable ? Une réglementation nationale sur les capacités de charges des territoires est-elle dans les intentions du Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)

M. Laurent Fabius, ministre.  - Il y a une évolution dans la demande des touristes. On veut visiter Paris, Versailles, le Mont Saint-Michel, bien sûr, mais il existe aussi une demande pour un tourisme que je ne sais comment qualifier, doux, lent, durable, plus individualisé. Nous travaillons, avec M. Thomas Fekl, à constituer un pôle dans ce domaine. Si nous voulons accueillir 100 millions de touristes, il faut diversifier l'offre et les sites. Le tourisme de masse entraîne des risques de déséquilibre, qui pourraient se retourner contre le tourisme lui-même.

M. Joël Labbé.  - Les opérateurs privés ciblent des espaces privilégiés qu'ils développent avec des projets de tourisme de masse, avec tout ce qu'il implique, immenses parcs de stationnement, destruction d'espaces forestiers,... Le tourisme durable, c'est celui qui protégera les sites, afin que le tourisme perdure en 2080 ou 3000.

M. Luc Carvounas .  - Placer le numérique au coeur de la promotion touristique est une des cinq priorités du Gouvernement. L'essor du e-tourisme est partout : en 2013, 62 % des voyageurs français ont planifié leur voyage en ligne ; 30 % ont fait une réservation sur leur smartphone. En 2015, le tourisme en ligne représentera un marché de 23 milliards d'euros en France, soit 18 % du marché européen. Le tourisme fait partie de la diplomatie économique qui vous est chère, monsieur le ministre. Pour être efficace, il doit capter de nouvelles clientèles sur internet. Oui au développement du m-tourisme sur le téléphone mobile, aux clusters, aux stratégies de marque. Que compte faire le Gouvernement dans le cadre de la Stratégie nationale Horizon 2020, pour faire de la France un leader du e-tourisme ?

M. Laurent Fabius, ministre.  - Je sais que vous êtes un spécialiste. Aujourd'hui, le client tapote sur son clavier avant même de savoir quelle sera sa destination. Toute la question est de savoir qui contrôle l'offre. Aujourd'hui, ce sont des plates-formes américaines. Pour être recensés, les hôteliers doivent payer... il faut donc être excellent en matière de e-tourisme.

J'ai demandé à Mme Faugère et au fondateur d'Easy Voyage de se pencher sur la question. Nous devons défendre nos marques, ce qui exige d'être très performants en matière numérique. (M. Jean-Louis Carrère applaudit)

M. Luc Carvounas.  - Merci. L'industrie française du tourisme entre dans le XXIe siècle par le bon angle, celui du e-tourisme.

M. Jean-Jacques Lasserre .  - Le développement de notre industrie touristique passe par la gouvernance des opérateurs publics au niveau local. La question de la compétence touristique est au coeur du projet de loi NOTRe. La notion de destination phare vous est chère, monsieur le ministre, pour la visibilité qu'elle donne à la destination France. Les acteurs locaux, eux, mettent en avant la notion de produits territorialisés. Cela suppose une vraie concertation. Pour nous, les conseils généraux sont les mieux placés pour définir et appliquer la politique de produit territorialisé. Qu'en pense le Gouvernement ? Est-il possible de conforter le rôle des conseils généraux ? (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)

M. Laurent Fabius, ministre.  - Pour attirer les touristes, il faut des marques -en nombre raisonnable, certainement pas 500-, qui parlent, qui disent quelque chose.

M. Joël Guerriau.  - Produit en Bretagne ?

M. Laurent Fabius, ministre.  - Par exemple. Ou en Normandie !

Le Gouvernement propose de donner l'essentiel de la compétence à la région ; cela ne veut pas dire que le reste disparaît. Notamment pour prendre en compte les spécificités de certains territoires comme la montagne. Les départements n'ont pas vocation à disparaître. (Exclamations satisfaites à droite)

M. Roger Karoutchi.  - Ah bon ?

M. Laurent Fabius, ministre.  - J'écoute ce que dit le Gouvernement... (Rires et applaudissements à droite) Il faut cependant une masse critique, d'où le choix de la région. Ce qui va de pair avec une adaptation à la réalité des territoires.

M. Jean-Jacques Lasserre.  - Les touristes ne décident pas en fonction du découpage administratif : ils ne vont pas en Aquitaine, mais à Lascaux, ou dans le pays basque. Les conseils généraux sont les mieux placés pour la communication, les marques régionales sont plus impersonnelles.

M. le président.  - Rendez-vous le 16 décembre !

Mme Élisabeth Lamure .  - Ma question porte sur la simplification administrative. (On s'en réjouit à droite) Les hôteliers sont confrontés aux conséquences de la crise mais aussi à la hausse de la TVA, passée de 5,5 % à 7 % en 2012 et à 10 % en 2014. Pour chaque mesure de simplification, combien de nouvelles charges pour nos entreprises ? L'hôtellerie de plein air est particulièrement touchée et les normes s'accumulent, les professionnels y consacrent beaucoup de temps, au détriment de leurs missions essentielles d'accueil et de divertissement de leurs clients.

Le président de la République a érigé, en 2013, le tourisme en grande cause nationale. Que compte faire le Gouvernement pour redonner de l'air au secteur et alléger les contraintes ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Laurent Fabius, ministre.  - J'étais récemment à Nancy, pour le congrès de l'Union des métiers et industries de l'hôtellerie. Son président a fait un discours très responsable et a évoqué cette question des normes. Le Sénat a examiné une loi d'habilitation en matière de simplification qui touche plusieurs sujets les concernant, urbanisme, équipements. L'article 31 bis vise explicitement le secteur touristique. Nous allons, dans le cadre des ordonnances, travailler avec vous et avec la profession pour chercher à simplifier. Les hôteliers doivent consacrer leur temps à faire leur métier, pas à remplir des papiers. (On approuve à droite)

Mme Élisabeth Lamure.  - Je partage votre constat. Mais précisément ! L'article 31 bis du projet de loi d'habilitation comprend aussi la création d'un cadre réglementaire supplémentaire pour les aires de camping-car. Où est la simplification ?

M. Laurent Fabius, ministre.  - Le Gouvernement a pris acte de la suppression par le Sénat de cette disposition et ne déposera pas d'amendement visant à la rétablir. (Applaudissements à droite)

M. Yannick Vaugrenard .  - Aujourd'hui, il y a un milliard de touristes à travers le monde chaque année ; dans dix ans, ils seront douze milliards. Il faut se préparer à y faire face. Développons l'offre de tourisme industriel et artisanal. En Loire-Atlantique, les chantiers navals de Saint-Nazaire construisent les plus grands paquebots du monde. Outre les retombées économiques des visites, c'est le moyen de créer un lien privilégié entre la population et les entreprises et, éventuellement, de susciter des vocations.

Je sais que le Gouvernement s'attache au développement du tourisme industriel. De quelle manière les pôles d'excellence mis en place par l'Institut Français du Tourisme travaillent au développement du tourisme industriel ? Comment renforcer les liens entre les entreprises et les collectivités pour oeuvrer au rayonnement et à l'attractivité des territoires ? (M. Jean-Pierre Sueur applaudit)

M. Laurent Fabius, ministre.  - Tourisme industriel, tourisme des savoir-faire, c'est une dimension très importante. EDF fait visiter ses barrages, Veolia, la RATP, les bonbons Haribo font visiter leurs usines.

Me rendant récemment au Mont-Saint-Michel, j'en ai profité pour visiter l'entreprise Saint-James, qui fait des marinières et des chandails. Je n'en porte pas aujourd'hui (sourires) mais leur savoir-faire est magnifique. Ces visites, qui se soldent généralement par un achat, sont positives pour tout le monde.

J'ai demandé au patron de Saint-James, Luc Lesénécal, de prendre la tête d'un pôle d'excellence des savoir-faire. Cela va dans votre sens.

M. Yannick Vaugrenard.  - Il faudra éviter les doublons entre assemblées régionales, assemblées départementales et intercommunalités et faire émerger des complémentarités intelligentes. Dans une situation économique très difficile, une famille sur deux ne part pas en vacances, notre collègue a raison : il faudra aussi évoquer la question du tourisme social. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Magras .  - La ministre des outre-mer a annoncé un plan de relance du tourisme outre-mer, secteur qui représente 7 % du PIB en Guadeloupe ou en Martinique, 9 % des salariés en Guadeloupe, 3 % à La Réunion. Leurs ressources sont pourtant inépuisables. Le problème est celui de la compétitivité : la Guadeloupe reçoit 450 000 visiteurs quand Saint-Domingue en accueille 4 millions. La mise aux normes des équipements hôteliers est indispensable. La suppression du dispositif fiscal d'aide à la réhabilitation hôtelière n'est acceptable que si celui-ci est remplacé par un dispositif plus efficace. Il faut une approche par les coûts, incluant les charges sociales, élevées, mais aussi une approche culturelle et sociale. La Cour des comptes appelle à un sursaut. Quelles sont les orientations de ce plan de relance ? (Applaudissements à droite)

M. Laurent Fabius, ministre.  - Question très intéressante, qui a donné lieu à moult rapports qui décrivent tous une situation très difficile outre-mer, avec une baisse du tourisme. Les causes sont multiples ; il faut les regarder avec lucidité : piètre rapport qualité-prix par rapport aux concurrents, qualité de service laissant parfois à désirer, instruments de promotion pas toujours au point ; les dessertes régionales et internationales, également, sont déterminantes ; or ce n'est pas l'aspect le plus facile à modifier. Nous avons pourtant un joyau entre les mains, avec un vrai potentiel. Il faut bien sûr accroître la qualité de l'offre et de l'accueil. Parmi les pistes nouvelles, les croisières, le nautisme, la petite et moyenne hôtellerie, le tourisme de gîte.

La question de la desserte aérienne est primordiale. J'ai demandé au Conseil de promotion du tourisme de travailler plus particulièrement sur l'outre-mer. Nous rendrons nos conclusions au printemps, avec des propositions précises, qui déboucheront sur le plan d'action.

M. Michel Magras.  - Merci. Le plus difficile n'est pas de faire venir les touristes, mais de les faire revenir. Nous avons sans doute trop tardé à accompagner les professionnels. J'espère que l'outre-mer pourra compter sur votre soutien car le chemin reste long. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. David Rachline .  - S'il est un domaine où la France est encore leader, c'est bien le tourisme, grâce à nos paysages et à notre histoire.

Sur le site du Quai d'Orsay, on voit que l'une de vos actions est de promouvoir la marque France. Je m'étonne de votre silence lorsque le parc du Puy du Fou a reçu l'Applause Award, prix d'envergure mondiale, en l'emportant parmi 700 parcs à thème du monde entier. Certes, les remises de prix sont nombreuses et quotidiennes, mais les raisons de célébrer l'excellence française ne sont pas légion en ce moment.

Malgré la réglementation à tout va, certains professionnels ont su attirer par l'excellence. Comment comptez-vous promouvoir ces sites si vous ne travaillez pas avec ceux qui les gèrent ? Je n'ose penser que les considérations politiciennes sont la cause de votre silence...

M. Laurent Fabius, ministre.  - Je n'ose penser qu'elles sont la cause de votre question ! C'est la deuxième fois que le Puy du Fou reçoit ce prix. Merci de souligner l'excellence de ce site. Nous sommes toujours heureux de vous entendre vanter l'excellence française !

Le tourisme c'est 2,2 millions d'emplois potentiels, non délocalisables, des perspectives immenses. Preuve qu'il est très important pour la France d'être ouverte sur l'extérieur. Pour être attrayante, elle doit garder cette belle tradition d'ouverture et de qualité.

Chaque site de nos ambassades renverra aux sites et activités touristiques. Chacun doit contribuer à la promotion du tourisme français. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. David Rachline.  - Je souscris à vos propos, mais je m'inquiète de votre politique qui étouffe nos petits commerçants et nos entreprises.

M. le président.  - Merci encore à M. le ministre pour cette session qui a été fort intéressante.

La séance est suspendue à 15 h 50.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

La séance reprend à 16 heures.