Intervention en Irak

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat suivi d'un vote sur la demande du Gouvernement d'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en Irak, en application du troisième alinéa de l'article 35 de la Constitution.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international .  - Par coïncidence, c'est le même jour que le Sénat est appelé à débattre des attaques terroristes et de notre intervention en Irak.

Le 19 septembre dernier, le président de la République a décidé de faire intervenir nos forces armées en Irak, à la demande des autorités irakiennes, confrontées à l'organisation terroriste Daesh. Le 24 septembre, j'avais exposé devant vous les objectifs de cette intervention dans le cadre d'une coalition internationale.

Depuis la chute de Mossoul, Daesh a réussi à contrôler près du tiers du territoire irakien, maîtrisait les principaux axes de communication et menaçait Bagdad. La stabilité, l'existence même de l'Irak étaient menacées, avec à la clé une déstabilisation de la région et de l'Europe. Daesh révélait alors son véritable visage, celui d'une organisation criminelle, sectaire et barbare -décapitations, viols, meurtres, traque des chiites, des chrétiens, des yazidis... Nous devions agir pour affaiblir Daesh et permettre aux Irakiens de restaurer la souveraineté de leur pays. Nous devions agir là-bas pour nous protéger ici. (M. Aymeri de Montesquiou approuve) C'est une illusion de penser qu'il y a des frontières, c'est une illusion de penser que c'est parce que nous sommes là-bas qu'il y a du terrorisme ici. C'est le contraire.

Des coups majeurs ont été portés à Daesh, mais notre oeuvre n'est pas achevée. C'est pourquoi le Gouvernement vous demande, en application de l'article 35 de la Constitution, d'autoriser la prolongation de notre intervention en Irak. L'offensive de Daesh a été stoppée, des territoires conquis ont été repris. Ces résultats, nous les devons à une large coalition réunissant plus de soixante nations, sous l'égide des États-Unis d'Amérique, dont une trentaine ont engagé des moyens militaires.

Je salue nos soldats, ainsi que ceux des pays européens et arabes qui combattent à leurs côtés. Après quatre mois d'opérations, le rapport de forces sur le terrain a été modifié ; il faut l'inverser durablement. La menace que Daesh fait peser à l'ouest de Bagdad demeure préoccupante.

Notre dispositif est monté en puissance. Aujourd'hui, nous déployons quinze avions Rafale et Mirage 2000, ainsi que des moyens de ravitaillement en vol, de détection et de renseignement. Depuis le mois de septembre, nos avions ont effectué plus de 300 missions ; 34 frappes ont affaibli le potentiel des terroristes et permis d'obtenir des renseignements sur les combattants venus de l'étranger.

Nous participons aussi à l'armement, au conseil et à la formation des combattants kurdes. Au total, une centaine de formateurs français seront sur place, un millier si l'on prend en compte les pays voisins.

La France est l'un des pays les plus impliqués, après les États-Unis.

Les militaires français vont participer à la formation de l'armée irakienne et le porte-avions Charles de Gaulle, en tournée vers l'Inde, pourrait être présent dans le golfe arabo-persique.

La stabilité de la région ne requiert pas seulement des moyens militaires mais une stratégie d'ensemble. En Irak, la situation politique s'est stabilisée grâce à un gouvernement ouvert à toutes les composantes politiques et ethniques. Modernisation de l'appareil de sécurité, lutte contre la corruption, mise en place d'un cadre fédéral garantissant l'unité de l'Irak, reconstruction économique : les chantiers sont immenses. Le président de la République a dit au Premier ministre irakien notre soutien. La France, comme le Royaume-Uni, a choisi de ne pas mener de frappes aériennes en Syrie. Nous soutenons en revanche l'opposition modérée. La situation à Kobané, à Alep, ne laisse personne indifférent. « Ni Bachar, ni Daesh » disait le Premier ministre : ce serait une illusion que de prétendre lutter contre Daesh en maintenant au pouvoir M. Bachar el-Assad. Je rappelle que c'est ce dernier qui a fait sortir les terroristes des prisons ! Ces deux factions se combattent mais s'épaulent aussi.

La situation politique passe par l'inclusion de certains éléments du régime -faute de quoi l'État s'effondrerait comme on l'a vu en Irak- mais aussi de l'opposition, pour que toutes les fractions de la population soient représentées. C'est évidemment très difficile mais nous continuons à y travailler. Il n'est pas question de se précipiter dans les bras de Bachar el-Assad, comme je l'entends dire.

Nous devons aussi nous mobiliser sur le plan humanitaire. Les pays de la région consentent à des sacrifices énormes pour accueillir des réfugiés syriens : au Liban, ces derniers représentent l'équivalent de 20 millions de personnes en France !

Nous continuerons à accueillir, au titre de l'asile, des familles syriennes et irakiennes appartenant aux minorités pourchassées. C'est l'honneur de la France.

Ces interventions militaires ne sauraient avoir d'effet immédiat. Réduire Daesh prendra du temps. Quitter nos partenaires aujourd'hui, ce serait abandonner l'Irak aux terroristes.

Le drame de Toulouse s'est produit à un moment où la France n'était présente ni au Mali ni en Irak. Pas de faux arguments, donc.

Daesh a un programme : répandre la terreur dans le monde. Parce que les terroristes continuent de tuer, de déstabiliser la région et de nous menacer nous-mêmes, nous devons poursuivre notre tâche.

Nous la poursuivrons aussi au Sahel. Le sud de la Libye devient un repaire pour les terroristes. Au Nigéria, au Cameroun, dans les pays voisins, Boko Haram continue de commettre des crimes effroyables. Je veux saluer nos forces présentes sur place.

Le Premier ministre et le ministre de l'intérieur l'ont dit : 400 ressortissants français combattent sur place, en Syrie, avec les terroristes, 67 sont morts au combat. Face à cette menace, nous entendons adapter nos moyens.

Ce qui importe le plus, c'est la détermination du peuple français à défendre ses valeurs de liberté, d'égalité et de laïcité. Les attaques que nous venons de vivre doivent nous rendre plus forts. En voyant dimanche, à nos côtés, le quart des dirigeants de la planète dire que la France est la patrie de la liberté, nous avons tous été émus. Nous avons aussi fait la preuve qu'un grand pays, c'est un pays uni.

L'unité de la République, voilà la meilleure réponse à apporter aux terroristes. Nous vous demandons de juger, avec nous, que la prolongation de notre intervention en Irak est nécessaire, au service de la démocratie et de la liberté. (Applaudissements)

M. Robert Hue .  - Ce débat intervient quelques jours après les attentats terroristes tragiques qui ont coûté la vie à dix-sept de nos concitoyens. Nos pensées vont à leurs proches. Dimanche, la France a offert au monde et à elle-même l'image de l'unité et de la détermination. Après le temps de l'émotion vient celui de la réflexion et de l'action.

La lutte contre le terrorisme se mène aussi hors de nos frontières, aux côtés d'États fragilisés. Le dernier Livre blanc de la défense nationale le rappelait : que des territoires échappent durablement au contrôle des États est un risque stratégique majeur pour l'Europe. Nous y sommes !

C'est pourquoi, face à la menace d'établissement du califat de Daesh, le président de la République a répondu à la demande des autorités irakiennes en engageant l'opération Chammel. La France a tenu son rang. Face à la progression rapide de Daesh, qui veut réussir là où Ben Laden avait échoué, il fallait agir vite.

J'ai dit, il y a quatre mois, que nos alliés européens devaient s'engager plus fortement. Quatre mois, c'est bien court pour apprécier l'efficacité d'une intervention. Nos forces accomplissent parfaitement chacune de leurs missions, sans que l'Irak ait retrouvé son intégrité territoriale. Nous avons contenu Daesh sans l'avoir fait reculer.

Ce sera donc un conflit de longue durée. En avons-nous les moyens, alors que nos soldats sont engagés au Sahel, en Centrafrique, alors que 10 000 soldats vont être déployés en France même pour parer à d'éventuels attentats ?

Les forces aériennes ne suffiront pas à déloger Daesh. Or, les Américains eux-mêmes rechignent à intervenir au sol -alors qu'ils sont largement responsables de la situation actuelle, par leur « guerre préventive » de 2003. Je salue encore une fois la clairvoyance du président Chirac, dont la décision s'est, a posteriori, révélée être la bonne.

Il faut resserrer nos relations diplomatiques et politiques avec des pays incontournables dans la région, tels la Turquie, l'Iran, le Qatar, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, qui doivent sortir de l'ambiguïté. La Russie est aussi un partenaire indispensable.

Nous devons poursuivre nos frappes aériennes pour le moment mais nous devons aussi soutenir les acteurs de la région en lutte contre les groupes terroristes en leur permettant de s'emparer d'un conflit qui les concerne et aider les populations qui sont les premières victimes de la barbarie. Attention à ne pas confondre la responsabilité de protéger les populations avec le changement de régime -voyez les conséquences désastreuses de l'intervention en Libye...

Le groupe RDSE votera unanimement et en responsabilité en faveur de la prolongation de l'intervention de nos forces armées en Irak. (Applaudissements)

M. Stéphane Ravier .  - Je veux, pour commencer, saluer la mémoire d'un jeune de 16 ans, Mikaël Asaturyan, sauvagement poignardé à la sortie de son lycée à Marseille.

La France est en guerre contre le terrorisme islamiste, qui vient de frapper notre pays en plein coeur. La peur doit changer de camp. Nul ne peut nier que la menace soit devenue intérieure.

Vos responsabilités et celles de vos prédécesseurs de l'UMP sont écrasantes. Qui a fait de la France une place forte djihadiste en abolissant nos frontières, en laissant les imams extrémistes fomenter la haine dans nos quartiers ? C'est vous ! Qui a défilé aux côtés de représentants des pays du Golfe qui abritent les sponsors du terrorisme mondial, de la Turquie d'Erdogan alliée de l'État islamique contre les Kurdes ? C'est vous !...

M. Jeanny Lorgeoux.  - C'est le peuple de France !

M. Stéphane Ravier.  - Qui a fait le lit de l'islamisme en déstabilisant le Proche-Orient, à l'appel de pseudo-prophètes cheveux au vent ? C'est vous ! Nous l'avions dit, avec Marine Le Pen : votre stratégie attentiste, fondée sur des changements de régimes dits printemps arabes a débouché sur l'hiver islamiste. Les régimes autoritaires précédents n'étaient pas parfaits mais ils étaient préférables à la violence fanatique. (M. Daniel Raoul s'exclame)

C'est à partir de la Syrie, où vous l'avez épargné contre le régime en place, que l'État islamique a mis la main sur des pans de l'Irak. Ces terroristes pratiquent le génocide des chrétiens d'Orient et d'autres minorités. Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.

La France est la deuxième contributrice à la coalition, avec les Britanniques qui, en intervenant en 2003 aux côtés des Américains, portent une lourde responsabilité dans la situation actuelle.

Nous voterons pour la prolongation de l'intervention mais, pour remplir notre vocation multiséculaire de défenseurs des chrétiens d'Orient et protéger les Français, il faudra aller plus loin pour éradiquer le cancer de l'islamisme et ses métastases et permettre aux populations déplacées de retourner vivre chez elles en paix. Cessez de priver de moyens nos armées ! Avec le déploiement de 10 000 hommes, la France devient notre premier théâtre d'opérations. Exigez de la Turquie un engagement clair contre Daesh ! Rétablissez le dialogue avec le régime syrien sans le sanctifier ni l'absoudre, pour combattre notre ennemi commun. Cessez de vouloir dupliquer nos institutions et faites preuve de réalisme dans des pays qui n'ont pas nos traditions politiques.

Il faut poursuivre notre intervention en Irak et agir en Syrie jusqu'à ce que cette région ne puisse plus servir de camp d'entraînement pour les djihadistes qui nous ont frappés dans notre chair.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

M. Aymeri de Montesquiou .  - Comment 200 000 km² d'Irak et de Syrie ont-ils pu être conquis en quelques jours ? Mossoul prise en quelques heures ? Personne n'imaginait une telle montée en puissance : la carence de nos services de renseignement est inquiétante.

Il faut détruire Daesh pour faire cesser le massacre des minorités, les viols et le commerce de petites filles, mais aussi pour des raisons de sécurité intérieure. On évalue entre 1 000 et 1 500 le nombre de djihadistes français de Daesh. Ils sont en fait sans doute plus... Selon un sondage, 25 % des 18-25 ans éprouveraient de la sympathie pour Daesh !

Impossible d'éradiquer cette organisation sans troupes au sol. Or on a constaté à Mossoul la piètre qualité des forces irakiennes. Les Sunnites d'Arabie Saoudite n'interviendront pas contre d'autres Sunnites. Les États-Unis ne veulent pas répéter l'erreur de 2003, les Britanniques sont épuisés. Nous-mêmes sommes déjà engagés en Afrique.

C'est la garde présidentielle, appuyée par le PKK et les frappes aériennes de la coalition, qui ont mis fin à la progression de Daesh. Le PKK est la force la plus importante localement, or nous ne coopérons avec lui que clandestinement car il est considéré comme un groupe terroriste...

Encourageons la reprise du dialogue entre Kurdes et Turcs. N'oublions pas que la frontière entre terroristes et résistants s'estompe parfois avec le temps, que Begin et Arafat ont chacun reçu le Prix Nobel de la paix.

Nous avons hérité de relations exécrables avec l'Iran. Or, pour éradiquer Daesh, quelle autre solution que de se coordonner avec l'Iran ? Notre diplomatie doit être pragmatique et courageuse, comme elle le fut en 1964, quand le général de Gaulle reconnut la Chine en pleine guerre du Vietnam, ou en 2003, quand le président Chirac a refusé l'intervention en Irak.

Il faut aider l'Iran à retrouver sa place dans le concert international. Cela aidera à faire respecter les libertés civiles dans ce pays (M. Jean-Yves Leconte approuve) Agissons aussi en Syrie. Il n'y a pas de domaine où il faille être plus pragmatique que la guerre, qui est un art tout d'éxécution.

Le groupe UDI-UC votera la prolongation demandée. (Applaudissements)

M. Bruno Retailleau .  - Je veux rendre hommage à nos soldats engagés en Irak et sur d'autres théâtres d'opération, ainsi que nos diplomates qui, à leur façon, sont aussi des « soldats de l'idéal ».

La demande du Gouvernement soulève deux questions. Des éléments remettent-ils aujourd'hui en cause le bien-fondé de notre intervention, d'abord ? Les attentats de la semaine dernière sont dans tous les esprits. J'ai été l'un des premiers parlementaires à me rendre en Irak au mois d'août, j'ai vu, à Erbil, s'entasser par milliers des enfants, des vieillards, des hommes et des femmes, dans des églises, des appartements en construction, des terrains vagues, la peur au ventre. J'ai vu l'effroi sur leur visage et j'ai compris que nous faisions face à une radicalité absolue, une forme d'islamo-fascisme, de totalitarisme, à la haine de l'autre. Et j'ai acquis la conviction que la France, pays des libertés, devait contribuer à l'éradication de Daesh, au nom de la défense des minorités, chrétiennes ou yazidies, mais aussi de nous-mêmes et de nos valeurs -non des valeurs occidentales mais des valeurs universelles, celles de toute l'humanité.

Comment admettre de voir se constituer, à quelques heures de Paris, une base terroriste appuyée sur un quasi-État ? Notre combat en Irak est le prolongement de celui que nous menons en France contre le terrorisme et c'est pourquoi le groupe UMP votera la prolongation de notre intervention.

Il fallait empêcher Daesh de s'emparer de Bagdad et d'Erbil. Désormais, l'objectif est de l'éradiquer.

Or, la seconde question est celle-ci : nos moyens suffisent-ils ? Les frappes aériennes, seules, sont impuissantes. Il faudra donc soutenir, au sol, les Peshmergas et l'armée irakienne.

Pour la première fois, le Sénat n'a pas voté les crédits militaires. Le budget de la défense n'est pas à la hauteur de ce que vous exigez de nos soldats. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Il n'est pas de victoire militaire sans victoire politique préalable. Le nouveau Premier ministre irakien poursuit une indispensable politique d'unité nationale. C'est ainsi que l'Irak libre se lèvera, comme un seul homme, contre l'inhumanité de Daesh.

Notre diplomatie devra aussi sortir de l'ambiguïté. En Syrie, sans légitimer Bachar el-Assad, il faudra déterminer nos priorités. Il faut aussi combattre Daesh sur le territoire syrien. Nous devons également travailler avec la Russie et l'Iran. La raison le commande, sans qu'il faille brader nos exigences.

Quant à la Turquie, elle interdit encore à nos avions de la coalition -dont elle fait pourtant partie- de décoller de ses bases. Or, les Kurdes ne peuvent être mis au même niveau que les terroristes de Daesh ! Il faut avancer, monsieur le ministre. La vie de nos soldats en dépend.

Un mot sur la question humanitaire, qui me tient tout particulièrement à coeur. Dans quelques semaines, les agences onusiennes n'auront plus les moyens de subvenir aux besoins des 2 millions de déplacés alors que le froid gagne l'Irak.

Au nom de la France, j'ai vu la lumière s'allumer dans le regard de certains réfugiés, terrorisés. Elle représente pour eux un espoir. Soyons à la hauteur de cette attente. Où est l'Europe dans cette affaire ? Obtenons au moins de l'Union européenne les moyens nécessaires pour faire face à l'urgence humanitaire. (Applaudissements) Dans quelques semaines, il pourrait être trop tard. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Daniel Reiner .  - Les 7, 8 et 9 janvier, la France a été victime d'attaques terroristes inédites par leur ampleur et leur portée. En s'attaquant à ceux qui font appliquer les lois, à ceux qui s'expriment librement, à ceux qui ont d'autres croyances qu'eux, les terroristes ont voulu atteindre notre âme. Le peuple français a exprimé, dimanche, son attachement à ses valeurs.

Avec Serval, nous avons atteint nos objectifs : la sauvegarde de l'intégrité territoriale du Mali et la relance d'un processus politique.

Il faudra désormais relever le défi libyen. Au Niger, à Adama, au plus près de la frontière libyenne, nous avons pris la mesure de son immensité. Je rends hommage à nos militaires engagés sur place.

L'opération Chammal s'inscrit dans la lutte contre le terrorisme international. Nourri à une idéologie salafiste sommaire, Daesh est à l'opposé de toutes nos valeurs. Ses atrocités sont d'une inhumanité inqualifiable. Né en Syrie, il est devenu l'ELIL. Il contrôle 200 000 km², 10 millions de personnes, des ressources financières considérables et dispose de plusieurs dizaines de millions de combattants. Il se constitue dans la durée, avec pour but de déstabiliser tout le Proche-Orient. La mondialisation nous apporte beaucoup mais elle sert aussi ces organisations qui propagent leur idéologie rétrograde.

La notion de théâtre d'opération enfermé dans des limites géographiques strictes a perdu de sa pertinence. La défense de l'avant et la sécurité de l'arrière -c'est-à-dire du territoire national- sont de plus en plus liés. La guerre contre ces organisations sera longue ; aucun désengagement n'est possible.

La France a une stratégie cohérente et souple, fondée sur la résolution 2170 des Nations unies et sur l'appel des autorités irakiennes. Elle a pris ses responsabilités et tient son rang. Il s'agit de stabiliser le Proche-Orient, de protéger les minorités de la région. Il s'agit aussi de sécuriser notre propre territoire, de dissuader les combattants susceptibles de partir pour le djihad avant de revenir commettre des attentats... Soutenir les peshmergas kurdes, les organisations syriennes modérées. Tels sont nos objectifs. Faire coopérer des États aux stratégies différentes, tel est le défi. Soutenir les tribus sunnites, trouver des partenaires syriens, réduire les ressources financières de Daesh, autant de points essentiels.

Avec Chammal, nous avons déployé des moyens adaptés à nos capacités. La coopération entre la France et les États-Unis est excellente ; nous sommes la deuxième puissance contributrice à la coalition, loin devant les Britanniques. La stratégie et les décisions ont élaborées en collaboration avec nos partenaires ; la France garde son autonomie stratégique.

La France ne frappe pas en Syrie ; elle prône une solution politique, avec un gouvernement d'union nationale inclusif, sans Bachar el-Assad. L'Iran ne pourra participer aux négociations qu'une fois la question nucléaire réglée.

Bagdad a été sécurisée, Daesh aurait perdu 2 000 combattants depuis l'été, les cibles, dont les raffineries, ont été atteintes. L'opération Chammal est un succès. Mais il ne nous appartient pas d'intervenir au sol : nous formons et équipons les armées des pays concernés.

Ne fixons pas de calendrier : ce serait dans l'intérêt de nos adversaires. Ce combat relève du temps long. L'échelle est inédite, c'est une lutte globale, de l'Afghanistan au Mali, au Yémen, en Somalie, en Irak, peut-être demain en Lybie, voire au Nigeria. Nos forces doivent s'adapter à un nomadisme stratégique, comme le prévoyaient les deux derniers livres blancs. Issu d'une idéologie totalisante, déshumanisante et régressive, Daesh prospère sur les ruines des printemps arabes.

Les chefs d'État présents à Paris dimanche dernier ont pu prendre la mesure de la menace terroriste. Pays des droits de l'homme, la France doit livrer ce combat pour défendre sa vision du monde qui est l'universalisme. Les attentats subis renforcent notre détermination à le poursuivre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Leila Aïchi .  - Après la tristesse et l'effroi, à mon tour d'exprimer notre indignation, notre incompréhension, notre émotion. Nous ferions injure à la mémoire des victimes par notre inaction. Ce qui doit nous guider, c'est la sécurité des Français, en France et à l'étranger. L'heure est à la mobilisation et à l'unité nationale. J'étais, comme vous tous, dans une des manifestations de ce week-end. Je suis fière de ce sursaut républicain. C'est ce message que la France doit porter dans le monde.

Le groupe écologiste a soutenu les interventions au Mali et en République centrafricaine. Personnellement, j'ai toutefois émis de grandes réserves contre le projet de frappes aériennes en Syrie, en l'absence de bases légales et parce qu'un soutien militaire à l'opposition syrienne n'était pas de nature à assurer la protection des minorités. Le vote des Communes en Angleterre, le choix du président Obama nous ont évité de nous lancer dans une aventure : on ne peut agir sans mandat de l'ONU et sans l'Europe. L'absence de défense européenne est un manque criant et une chance pour le terrorisme.

Daesh n'est pas un État, c'est une organisation de fanatiques criminels. Il faut neutraliser cet obscurantisme. Cette tâche incombe tout d'abord aux Irakiens, que nous devons aider. Évitons de nous enfermer dans une approche de court-terme. La stratégie de sortie de crise peine à se dessiner. Il faut articuler intervention militaire et règlement politique. Tirons les leçons des erreurs du passé, en Libye, en Irak. Nous devons agir sur le plan diplomatique, en Turquie comme en Syrie.

Faisons preuve de pragmatisme, de realpolitik. Disons à nos alliés du Golfe que toute ambiguïté est inacceptable. Attaquons-nous aux ressources de Daesh : d'où vient son armement ? D'où vient son financement ? Qui sont les intermédiaires ? Qui sont ses clients ?

M. Alain Fouché.  - Bonnes questions !

Mme Leila Aïchi.  - Le risque de nouveaux attentats sur notre sol ne doit pas justifier un Patriot Act à la française. Nos services ont surtout besoin de moyens humains et matériels. C'est en période de crise que l'on voit la force de nos principes. Soyons unis contre la barbarie, la violence, les extrémismes politiques et religieux. Je forme le voeu que cette assemblée ne légifère jamais en divisant la France ; je forme le voeu d'un monde sans corruption ni pillage ; je forme le voeu d'un monde de justice où aucun peuple ne pourra en avilir ou en soumettre un autre.

Après un vif débat, le groupe écologiste a décidé de voter en faveur de la prolongation de notre intervention en Irak. (Applaudissements)

Mme Michelle Demessine .  - Les effroyables attentats de la semaine dernière donne une dimension toute particulière à notre débat. Les dix-sept morts de ce carnage ont été les cibles d'individus fanatisés, qui combattent les valeurs républicaines. L'heure est au rassemblement et à l'unité de la Nation pour défendre nos valeurs : liberté, égalité et fraternité. La démocratie n'est pas le consensus mou ; les divergences d'appréciation sur l'opportunité ou la forme des interventions militaires à l'étranger sont légitimes.

Cette année, les violences en Irak ont coûté la vie à 15 000 personnes, soit deux fois plus qu'en 2013 ; en Syrie, on compte 76 000 morts.

D'un côté, l'avancée de Daesh a été freinée par les frappes de la coalition, sous l'égide des États-Unis ; de l'autre, celle-ci se montre impuissante sur le front diplomatique. La nébuleuse terroriste voit sans cesse grossir ses rangs. Face à ces fanatiques, le silence et l'inaction ne pourront être de mise. Mais c'est aux forces nationales de résistance de reconquérir leur territoire ; or les forces irakiennes manquent de moyens. L'attitude des Turcs est incompréhensible : ils vont rechercher les combattants kurdes sur leur lit d'hôpital pour les mettre en garde à vue !

Réaffirmons nos principes face à la décision de l'exécutif d'engager nos forces sous un commandement américain. La France doit retrouver son autonomie, comme en 2003. Rappelons que Daesh est né du chaos provoquée par l'intervention anglo-américaine en Irak, liée aux intérêts des pétromonarchies.

Le peuple malien n'a pas cessé de payer le prix de cette folle idée d'imposer par la force le modèle américain qui a nourri le choc des civilisations cher à Georges Bush...

Cette guerre, menée au nom de la lutte contre le terrorisme, a fait naître un nouveau foyer de terrorisme international. Pour y remédier, la solution sera politique ou ne sera pas.

La réponse au défi lancé par Daesh est politique avant d'être militaire. La coalition doit peser sur les pays du Golfe et sur la Turquie pour priver Daesh de ses ressources. La vente du pétrole lui rapporte pas moins de 3 millions de dollars par jour et 1 milliard de subventions lui seront versées chaque année par des milliardaires des pays du Golfe...

Notre diplomatie doit rompre avec la tolérance actuelle vis-à-vis des régimes autocratiques, dictationnaire dans le développement du terrorisme.

Le drame qui a frappé la France doit susciter des réponses innovantes. Redonnons sa puissance à l'ONU. Menons la guerre à l'ignorance, au fanatisme et à l'obscurantisme. Les seules armes sont l'éducation, la culture, la négociation. La paix est l'immense chantier. La France doit y consacrer toutes ses forces. Le groupe CRC estime que la stratégie américaine est sans issue : il s'abstiendra donc. (Applaudissements sur les bancs du CRC)

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères .  - Les Français ont tragiquement mesuré que nous sommes en guerre contre le terrorisme. Devons-nous poursuivre cette guerre ? À cette question, les Français ont répondu dimanche en envoyant un message pour la liberté. Le peuple de France a montré en grandeur, soyons à sa hauteur.

Toute guerre est haïssable, bien sûr, mais la sécurité est un bien précieux. Sur le plan intérieur, nous devons tirer les leçons du drame, sans esprit partisan : les moyens du renseignement interne doivent être renforcés ; la délégation parlementaire au renseignement s'est prononcée sur ce point. Nous avons un sujet Réseaux sociaux, un sujet Efficacité du suivi des télécommunications, des passagers aériens, un sujet Code Schengen, qu'il faut adapter à la menace. Il faut expertiser ces sujets graves dans le calme. Entre sécurité et liberté, avons-nous placé le curseur au bon endroit ? Nos commissions d'enquête participeront au débat, nous devons faire vivre l'unité nationale en soutenant des initiatives législatives.

L'intervention militaire de la France contre le terrorisme en Irak est légitime et doit être poursuivie. On ne peut pas ne rien faire contre l'armée de la terreur, le califat de la barbarie, pour reprendre vos propres termes, monsieur le ministre. La stabilité régionale est menacée, le Liban, la Jordanie, l'Israël sont en danger. La défense de l'avant et la sécurité de l'arrière -notre territoire national- sont plus que jamais liés.

Le tout aérien s'explique surtout par le traumatisme de l'expérience de 2003... Il faudra une bataille de Mossoul, d'Alep, mais qui conduire la coopération au sol ?

Ancien Premier ministre de Jacques Chirac, je ne regrette en rien sa décision sur l'Irak. L'action sans condition pose la question de notre autonomie stratégique. N'oublions pas que nous dépendons du renseignement américain...

Le dialogue sunnite-chiite est-il possible sans l'Iran ? Le risque est réel de conforter Bachar el-Assad en Syrie... Faut-il nous résigner à reporter sa chute ? Ce nouveau « ni-ni » gouvernemental, ni Daesh ni Bachar, c'est la réponse de circonstances, mais il faut réfléchir aux étapes suivantes.

On voit bien les périls de l'exercice, monsieur le ministre, la difficulté à faire coopérer les soixante pays de la coalition. Il faudra bien trouver une solution politique. Nous partons sur une stratégie de moyen terme.

La France déploie 8 500 militaires dans une vingtaine d'Opex. C'est un effort considérable. Dix-huit de nos soldats y ont laissé la vie ces deux dernières années ; je leur rends à mon tour un hommage appuyé. Le surcoût des Opex a dépassé le milliard d'euros en 2014, pour la deuxième année consécutive. Parallèlement, nous connaissons la fragilité de la trajectoire financière de nos armées, ce qui a conduit le Sénat à rejeter les crédits de la mission Défense. Plus d'opérations, moins de dépenses, quel paradoxe ! Bercy n'est pas innocent de la guerre ; la sécurité doit être exemptée des restrictions budgétaires. (Applaudissements à droite et au centre ; Mme Bariza Khiari applaudit aussi)

Notre effort est-il soutenable ? Nous aurons une revue annuelle sur l'ensemble des Opex ; ce sera l'occasion d'interroger le Gouvernement, sur le problème libyen notamment. Le problème est devant nous ; il appelle une solution politique comme militaire. Quelles alliances, quels partenaires ? L'autorisation de prolongation en Irak que nous allons voter s'inscrit dans un contexte lourd. Nos armées peuvent compter sur notre soutien mais nous serons vigilants, avec pour obsession d'être à la hauteur de la grandeur que le peuple nous impose. (Applaudissements)

M. Laurent Fabius, ministre .  - Merci à M. Hue pour son soutien. On ne peut séparer nos ambitions légitimes en matière de lutte contre le terrorisme des moyens financiers pour le faire. C'est un des points que je retiens de ce débat, et je transmettrai votre message.

L'intervenant qui s'exprimait au nom du Front national a développé une pensée que nous connaissons : j'ai cru comprendre qu'il soutenait Bachar el-Assad - c'est l'une des grandes différences entre nous. L'accueil réservé par le Sénat à son discours est la meilleure réponse que l'on pouvait lui faire...

Notre indépendance ? Nous faisons partie d'une coalition, madame Demessine. Ce serait une erreur de céder à un réflexe anti-américain. Nous nous déterminons en fonction des intérêts de la France et du monde. En 2003, avec le soutien de l'opposition d'alors, le président Chirac avait refusé d'engager la France dans l'aventure irakienne. Mais ne pas prendre notre part au combat contre Daesh -sans que cela implique d'être le laquais ou le suiveur de qui que ce soit- aurait été une faute.

M. Retailleau a rendu hommage à nos soldats et à nos diplomates, qui servent notre pays d'une façon extraordinaire. Il a insisté sur la légitimité de notre intervention et posé la question des modalités. Je fais mien son propos sur le fait que nous sommes européens et que nous avons parfois le sentiment que d'autres n'ont font pas autant que la France... La France assume une mission au sein de l'Europe ; il est légitime que le coût financier soit partagé. On nous dit que nous sommes la capitale des libertés, très bien, mais en face, il faut des moyens. Vous avez évoqué, enfin, la situation humanitaire, qui est en effet gravissime, de l'avis même du HCR.

M. Reiner a fait une analyse très fouillée. J'en retiens l'idée que nous défendons, face à l'horreur de Daesh, nos intérêts nationaux.

Nous n'avons pas une vision éthérée ni naïve de l'humanité. La France ne prétend pas faire prévaloir la laïcité, la justice et la fraternité partout dans le monde. Notre priorité, c'est la sécurité des Français. Or, elle se joue en Irak, en Centrafrique, au Sahel. Ce serait folie que de penser que les terroristes s'arrêteront aux frontières : tous ceux qui ne se soumettent pas à eux doivent, selon eux, être tués ! Ne croyons donc pas que nous serions en sécurité si nous restions calfeutrés chez nous. (Applaudissements)

M. Robert del Picchia.  - C'est vrai !

M. Laurent Fabius, ministre.  - Merci à Mme Aïchi de son intervention nuancée. Il n'a pas été facile au groupe écologiste, si j'ai bien compris, de se décider à voter la prolongation de notre intervention. Je l'en remercie. J'ai cependant une autre analyse, madame Aïchi, de ce qui s'est passé en Syrie lorsqu'il a été question d'intervenir dans ce pays après que M. Bachar el-Assad eut employé contre son peuple des armes chimiques : progression dans l'horreur à laquelle la communauté internationale avait promis de réagir. Le Royaume-Uni puis les États-Unis ont finalement renoncé à intervenir. Bachar el-Assad n'a-t-il pas eu alors le sentiment qu'il pouvait agir en toute impunité ? Aux États-Unis, certains soutiens du président Obama partagent cette analyse.

Plusieurs d'entre vous ont dit que le moment était venu de se fixer des priorités et, face au mal absolu qu'est Daesh, de renouer le dialogue avec les régimes syrien et iranien. Nous sommes réalistes. Si l'on devait ne parler qu'avec de parfaits démocrates, ce serait vite le silence ! Nous avons des liens étroits avec les Russes, par exemple, et c'est la France qui oeuvre le plus à une désescalade en Ukraine. J'étais encore à Berlin lundi soir, à y travailler tard dans la nuit. Nous parlons aussi avec Téhéran et je recevrai vendredi mon homologue iranien. Mais les moyens ne doivent pas contredire la fin. Nous restons donc très vigilants face à Bachar el-Assad.

Si l'alternative est entre son régime et Daesh, alors on peut dire qu'ils sont de fait les meilleurs partenaires. Un mouvement s'esquisse en Russie, peut-être en Iran... La solution ne peut être du côté du régime de Bachar el-Assad. Il faut trouver une autre voie pour rétablir l'unité de la Syrie et le respect entre communautés. Avec des éléments de ce régime, peut-être, des soldats alaouites bien sûr, et des représentants des minorités. Mais qui paie les outils du combat en Syrie ? C'est d'abord l'Iran.

Mme Demessine a appelé à casser le terrorisme en s'attaquant au trafic d'armes et à ses autres sources de financement. Oui, Daesh tire une part de ses ressources de la vente de puits de pétrole... à Bachar ! À la Turquie aussi. Il faut mettre les pays voisins au pied du mur.

J'ai beaucoup apprécié l'analyse du président Raffarin, qui a défini notre tâche -veiller à la sécurité extérieure et intérieure- et dressé la liste des problèmes à traiter : contre le djihad et le terrorisme, en France et à l'étranger, nous devons nous doter de tous les moyens nécessaires, y compris financiers.

Merci de la dignité de ce débat. Après les événements de la semaine dernière, les responsables politiques doivent être à la hauteur des attentes de notre peuple. Ce soir, l'Assemblée nationale a été unanime pour approuver la poursuite de notre intervention en Irak. J'ai cru comprendre qu'il en irait de même ici, signe que le Sénat est décidément à la hauteur de ce qu'attend de vous le peuple français. (Applaudissements)

La demande d'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en Irak est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n° :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 327
Pour l'adoption 327
Contre 0

Le Sénat a approuvé.

(Applaudissements sur les mêmes bancs)

M. le président.  - L'Assemblée nationale ayant également approuvé cette demande, je constate que le Parlement autorise la prolongation de l'intervention des forces armées en Irak.