Débat : Bilan de la loi de 2005 sur le handicap

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « Dix ans après le vote de la loi du 11 février 2015, bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap ».

M. Dominique Watrin, pour le groupe CRC .  - Je me réjouis de ce débat sur le handicap, trop souvent négligé. Débat important parce qu'il renvoie aux valeurs républicaines, à notre capacité à faire vivre ces valeurs, la liberté de circuler, l'égalité de tout citoyen de s'éduquer, de travailler, la fraternité entre tous.

L'expression « personne en situation de handicap » n'est pas anodine : au-delà de la déficience, c'est bien l'environnement qui crée le handicap - un exemple simple : une mère bloquée avec sa poussette parce que l'ascenseur est en panne. Je regrette que la loi de 2005 n'ait pas retenu cette définition de l'ONU. Pas moins de six millions de personnes, soit la moitié de la population d'Ile-de-France, sont concernés par une limitation physique, dont 594 000 en fauteuil roulant, qui sont restées un jour au bas d'un ascenseur en panne - sans même parler de l'ascenseur social. Au-delà des malentendants, malvoyants et des 2,4 millions de personnes touchées par un handicap mental avec lesquelles nous savons trop peu interagir, il faut y inclure les femmes enceintes, les personnes qui se déplacent avec une poussette et les personnes âgées - la France compte 9 % de personnes de plus de 75 ans.

La loi de 2005 avait suscité un immense espoir. Il s'agissait de construire le vivre ensemble. Malheureusement, les moyens ont manqué et des milliers d'adultes handicapés ont été contraints de s'exiler en Belgique.

La loi de 2005 a créé les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) distribuant la prestation de compensation du handicap (PCH), l'allocation aux adultes handicapés (AAH), l'allocation enfant handicapé et des aides extralégales pour couvrir le reste à charge. Dès 2005, nous signalions un risque de conflit d'intérêts pour le conseil général, qui à la fois évalue et finance. Les MDPH sont saturées. Le nombre de bénéficiaires potentiels a considérablement augmenté, ce qui pèse sur les délais, qui peuvent aller jusqu'à six mois, même dans des situations d'urgence. Les conditions d'accueil sont dégradées, alors que ces maisons devaient être des lieux d'échange. Les décisions concernant l'octroi de la PCH par la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapés sont prises à la chaîne, souvent sans même rencontrer la personne intéressée. Madame la ministre, qu'allez-vous faire pour garantir le maintien et le meilleur fonctionnement des MDPH ?

La PCH est un droit à compensation ; elle n'est pas liée au revenu de la personne handicapée, mais à ses besoins, à son projet de vie. Elle est calculée à partir d'une grille forfaitaire. Ainsi, une personne handicapée a droit à six heures d'aide humaine par jour au maximum. Ce qu'elle reçoit correspond à ce paiement d'heures mais les prestataires peuvent pratiquer des tarifs différents de ce qui est pris en compte par la MDPH si bien que la personne handicapée devra financer le solde avec ses propres revenus. Les associations constatent ainsi un reste à charge élevé.

La loi de 2005 permettait le cumul de l'AAH avec un revenu d'activité, tandis que les associations défendaient l'idée d'un revenu d'existence équivalent au smic. Nous en sommes loin : sur les 8,6 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, 2 millions sont des personnes en situation de handicap. Le montant moyen de l'AAH, principale source de revenu pour les personnes handicapées ne pouvant travailler, s'élève à 693 euros.

La loi du 13 février 2005 privilégiait pour les élèves handicapés une situation en classe ordinaire. De fait, le nombre d'élèves concernés a augmenté d'un tiers. Sur la qualification professionnelle des accompagnants, faute de moyens, les contrats d'auxiliaires de vie scolaire peinent à se transformer en véritables contrats d'accompagnants. Le droit à l'éducation pour tous proclamé par le code de l'éducation sonne bien creux face aux réalités vécues par les familles et leurs enfants.

Trop d'établissements d'enseignement supérieur sont encore inaccessibles. Il demeure des incohérences : un handicap de la parole peut justifier une dispense d'enseignement de l'épreuve de langue, il n'exonère pas du passage de l'examen dans cette discipline !

M. Éric Bocquet.  - Absolument !

M. Dominique Watrin.  - Allez comprendre ! Il est urgent d'agir pour mettre fin à toutes ces discriminations, face à l'emploi en particulier. Le projet de loi Macron prévoit d'autoriser les employeurs à s'exonérer à bon compte de leurs obligations d'employer des personnes handicapées en faisant appel à des stagiaires et à des travailleurs indépendants handicapés, qui ne sont donc pas salariés.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État.  - C'est une demande des associations !

M. Dominique Watrin, pour le groupe CRC.  - En 2005, le calendrier de l'accessibilité apparaissait déjà trop large pour des personnes qui attendaient depuis trente ans. Faute de volonté politique, sous la pression des lobbys et surtout à cause des difficultés budgétaires des collectivités territoriales, il n'a pas été tenu et la liste des dérogations prévues dans l'ordonnance du 26 septembre 2014 est bien longue.

Il faut remettre au premier plan la solidarité pour un meilleur vivre ensemble. Imaginons notre territoire de demain, innovons pour garantir l'égalité de traitement qui devait être assurée par la loi de 2005 !

Est-il acceptable que les fonds départementaux de compensation varient autant d'un territoire à un autre ? Il faut une prise en compte globale du handicap et de l'autonomie. Avec le courage, la solidarité et la justice sociale peuvent transformer ce défi en pari gagnant ! (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

M. Olivier Cadic .  - Seulement 15 % des personnes handicapées le sont de naissance ou avant l'âge de 16 ans. Qui parmi nous peut prétendre être à l'abri ? « Nous sommes tous handicapés » clame Theodore Zeldin. Et d'ajouter : ceux qui n'en ont pas conscience sont les plus handicapés !

L'accessibilité en France, est un rêve. Philippe Croizon, amputé des quatre membres, qui oeuvre pour une association, rêve qu'il fait les courses, va au cinéma, ...alors que pour plusieurs millions de compatriotes, la ville est un parcours d'obstacles.

Il y a dix ans Jacques Chirac a fait adopter cette loi qui traduisait l'ambition d'accessibilité dans tous les domaines de la vie publique et sociale. Et voilà que le gouvernement socialiste veut s'exonérer de ses obligations, sentant qu'il n'y arriverait pas : ainsi est né l'agenda d'accessibilité programmée.

Philippe Croizon lançait une campagne il y a un an, sur le thème : l'accessibilité ne peut encore attendre dix ans. Des dizaines de milliers de personnes en fauteuil roulant ont manifesté début février, en brandissant des pancartes : « Accéder, c'est exister ».

Sur l'accessibilité, la loi de 2005 est un échec. Le bilan est calamiteux : plus de 80 % des établissements recevant du public sont toujours inaccessibles !

Sur les autres volets de la loi, le bilan est décevant. Madame la ministre, vous avez annoncé un amendement du gouvernement au projet de loi de santé sur les MDPH. Pouvez-vous nous en dire plus ? La PCH demeure un problème. Elle n'est pas étendue aux personnes devenues handicapées depuis 60 ans. Face à la dégradation des finances départementales, comment assurer cette charge dans la durée ?

Le trop faible niveau des qualifications obère l'insertion professionnelle des personnes handicapées, dont le taux de chômage est double de la moyenne nationale.

Nous parlons de la loi, mais c'est la société tout entière qui fera disparaître le handicap, pas l'État. Tétraplégique à la suite d'une chute de cheval, notre consul général à Londres explique qu'il estimait le retard français à trente-cinq ans, mais qu'il pouvait l'évaluer à cinquante ans, soulignant que « l'État Providence est moins efficace que le pragmatisme anglo-saxon ». Faisons vivre l'espoir exprimé dans Intouchables par Philippe Pozzo di Borgo ! (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)

M. Cyril Pellevat .  - La loi de 2005 a été une grande loi, une grande avancée pour tous les citoyens en situation de handicap, temporaire ou permanent, comme le souligne le rapport réalisé par Isabelle Debré et Claire-Lise Campion.

Le nombre d'AVS et les moyens consacrés à l'accompagnement des élèves, la revalorisation de l'AAH, l'accès accru à la culture, le guichet unique, les MDPH, le lancement du plan Autisme sont des progrès, apportés par les gouvernements précédents. Reste un bémol : en matière d'accès aux transports publics et aux ERP, est battu en brèche l'objectif, trop ambitieux, d'accessibilité universelle en 2015.

En tant que maire, l'agenda d'accessibilité programmée m'apparaît raisonnable et pragmatique : il fallait un peu de souplesse pour être plus efficace, face à la réduction drastique et sans précédent des dotations de l'État aux collectivités.

Le coût moyen par ERP s'élève à 70 000 euros pour les départements, plus de 200 000 euros pour les régions. Les communes doivent assumer sans cesse des charges supplémentaires, celles qui découlent de la réforme des rythmes scolaires, par exemple.

Nous comprenons la colère des associations représentatives et saluons leur rôle dans l'application de la loi de 2005. Quels moyens le gouvernement compte-t-il mettre en oeuvre pour assurer, enfin, l'accessibilité universelle ? (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Claire-Lise Campion .  - Trente ans après la loi fondatrice de 1975, la loi de 2005 a incontestablement fait avancer la cause des personnes handicapées. Elle définit pour la première fois toutes les facettes du handicap. Elle est ambitieuse, couvrant tous les aspects de la vie sociale. Les mentalités ont évolué : le regard change, lentement, trop lentement. Mais les résultats ne sont pas à la hauteur des espoirs, déçus, des personnes handicapées. Chaque personne, chaque association, m'en fait part. Je le comprends : c'est intolérable et notre responsabilité est engagée.

Je salue le travail, la mobilisation du gouvernement depuis 2012 qui tranche avec le manque de volonté politique sous le quinquennat précédent.

La loi du 11 février 2005 a introduit le concept « d'accessibilité universelle ». Malgré de réels progrès, l'objectif du 1er janvier 2015 n'a pas été atteint. La loi n'a pas été portée politiquement, comme nous l'avions souligné dans le rapport réalisé avec Isabelle Debré en juillet 2012.

Le gouvernement a constaté dès son arrivée en 2012 que nous étions dans une impasse. Il n'était pas imaginable de revenir en arrière : nous ne renonçons à rien, nous donnons un temps pour atteindre l'objectif. Tel est le sens des agendas d'accessibilité programmés.

Les obligations des employeurs sont précisées et les MDPH ont été chargées d'évaluer l'employabilité des personnes handicapées. Des progrès ont été accomplis, en premier lieu par la fonction publique territoriale avec un taux d'emploi des personnes handicapées de 5,97 %. Mais il demeure insuffisant. La crise économique a frappé de plein fouet ces personnes vulnérables : le taux de chômage des personnes handicapées est deux fois supérieur à celui de la population générale. Je le redis : le chemin à parcourir est long.

Derrière le chômage, il y a le problème de la formation. On peut atteindre des progrès avec la hausse de la scolarisation des enfants et des jeunes en situation de handicap.

L'accès aux soins est un droit fondamental face auquel nous ne sommes pas tous égaux. Pour une fraction de la population, se rendre chez le médecin de son choix relève du parcours du combattant du fait du handicap lui-même, du manque de formation des professionnels de santé à l'accueil des personnes handicapées et, on l'oublie trop souvent, à cause du manque d'accessibilité des locaux.

Je salue la signature par plus de trente organisations de la « Charte Romain Jacob » pour l'accès aux soins. Mme Neuville a fait des propositions à cet égard, que nous soutenons.

?uvrons en solidarité pour que notre société permette à chacun de vivre avec ses singularités. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Mme Aline Archimbaud .  - Merci au groupe CRC d'avoir proposé ce débat. La loi de 2005 a changé le regard sur le handicap. Fini la logique d'assistanat, la loi garantissait l'égalité de tous les citoyens et mettait en avant la nécessité d'accompagner les personnes handicapées dans leur quotidien, pour qu'elles puissent avoir un parcours de vie comme tout un chacun. Droit à l'éducation pour tous les enfants, accès aux droits fondamentaux reconnu et simplifié grâce à la création des MDPH, objectif d'accessibilité universelle dans dix ans ont soulevé de tels espoirs !

Dix ans après, oui, il y a eu des avancées mais tant de retards. Près d'une personne sur deux estime que sa formation ne s'est pas améliorée, une sur quatre qu'elle s'est dégradée. Il y a de quoi fissurer la République et alimenter la méfiance envers le politique.

Le principe des agendas programmés est bien sûr le progrès et pourtant les associations nous alertent -  avec colère  - sur les difficultés persistantes. L'accessibilité ne doit pas être une cause, une contrainte, un coût, elle doit faire l'objet d'une priorité, ce choix doit aller de soi ! Ces travaux ne doivent pas passer systématiquement après d'autres investissements, jugés, eux, prioritaires.

L'égalité de tous les citoyens ne l'est-elle pas ? La France est régulièrement montrée du doigt. En 2003, la Cour européenne des droits de l'homme l'a condamnée pour le traitement infligé à un détenu handicapé. Le Conseil de l'Europe a encore une fois épinglé la France sur l'insuffisance de la scolarisation des enfants handicapés, en particulier des enfants autistes.

Le droit à l'éducation est d'autant plus mis à mal que les écoles ne sont pas accessibles, même pour un quart de celles qui ont été construites après 2008. La proportion est bien plus grande pour les établissements d'enseignement supérieur. Comment se fait-il que le statut des AVS s'améliore si lentement ? Les personnes handicapées sont moins diplômées : 51 % n'ont pas de diplôme plus élevé que le brevet des collèges, contre 31 % dans la population générale, leur taux de chômage a augmenté de 75 % en cinq ans.

Quant à l'égalité d'accès aux droits fondamentaux, le temps me manque pour souligner combien la situation des personnes handicapées est difficile. Pourquoi ne pas harmoniser AAH et CMU-c ? Les personnes handicapées sont celles qui ont le plus besoin de se soigner.

Rattrapons le retard par des actes dans la loi d'adaptation de la société au vieillissement et la loi de santé, que nous examinerons prochainement. L'égalité ne peut pas, ne doit pas, être sans cesse remise à plus tard. (Applaudissements à gauche)

Mme Annie David .  - Comme Dominique Watrin, je constate que des pas ont été franchis mais que le chemin à parcourir reste immense.

Pour l'accès à l'emploi, le bilan est mauvais : 22 % des personnes handicapées sont au chômage, deux fois plus que l'ensemble de la population. Leur précarité croît. Elles ne veulent plus demeurer des citoyens de seconde zone.

La loi est pourtant claire : tout employeur, privé ou public, de plus de 20 personnes, doit employer 6 % de personnes en situation de handicap. Nous en sommes loin : 4,6 % dans le secteur public, 3,1 % dans le secteur privé. Se pose avec acuité la question des statuts, des conditions d'emploi. Le projet de loi Macron accroît la marge de manoeuvre des employeurs pour se soustraire à leurs obligations, dans son scandaleux article 93 bis par exemple. Les « stages de découverte » des élèves de cinquième et terminale entreraient ainsi dans le cadre de cette obligation !

Plus de 258 000 jeunes en situation de handicap étaient scolarisés à la rentrée 2014 ; plus un tiers en dix ans, c'est positif mais il s'agit souvent d'une scolarité a minima. La situation des AVS, peu formés, n'est guère satisfaisante. Là encore, la loi de 2005 a ouvert un droit sans le financer. Sur les projets personnalisés de scolarisation (PPS), l'équipe éducative est rarement mobilisée en permanence, et les envisage sous un angle uniquement administratif. Une classe accueillant des élèves en inclusion ne devrait pas compter plus de quinze élèves au total pour que cette scolarisation soit réussie.

Il faudrait renforcer le lien entre l'Éducation nationale et les MDPH, qui ont l'avantage de suivre les personnes en situation de handicap à tous les âges de la vie. Mais elles souffrent, elles aussi, de difficultés. J'espère que vous nous rassurerez sur leur avenir, madame la ministre.

Je regrette l'absence de réflexion sur la professionnalisation dans le cadre des classes Ulis (Unités localisées pour l'inclusion scolaire). On devrait envisager des classes Ulis-pro en lycée ; je souhaite aussi un renforcement de l'encadrement dans les sections d'enseignement général et professionnel adapté.

Le bilan de la loi de 2005 n'est pas négatif. Elle a ouvert le chemin. Empêchons maintenant que le poids des contraintes économiques n'entraîne de graves reculs. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

M. Gilbert Barbier .  - « Une société se juge à l'attention qu'elle porte aux plus fragiles » C'est ainsi que le président Chirac a exposé les motifs de la loi de 2005. Je salue le travail important accompli par notre rapporteur de l'époque, Paul Blanc.

La loi de 2005 a créé la PCH pour faciliter la vie quotidienne des personnes handicapées. Le budget qui lui est consacré a doublé en dix ans, pour atteindre 1,5 milliard d'euros. Certes, des améliorations peuvent être apportées pour une plus grande aide dans la vie domestique et une plus grande équité. Nous suivons vos propositions avec attention, madame la ministre.

La création des MDPH, guichet unique pour les prestataires, doit également être saluée. Beaucoup dénoncent les inégalités d'un département à l'autre, toutefois. Elles sont beaucoup trop absorbées par leurs tâches administratives, au détriment du suivi individualisé des personnes.

La loi 2005 a donné une véritable impulsion à la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire. Ce bilan globalement positif est lui aussi à nuancer, comme l'a montré une enquête du Défenseur des droits et un rapport du commissaire aux droits du Conseil de l'Europe. Quelque 20 000 enfants handicapés ne sont pas scolarisés en France. Pour améliorer la situation, il faut embaucher plus d'AVS et mieux former les enseignants au handicap.

Le délai de dix ans pour l'accessibilité était très ambitieux et peu réaliste. J'avais alerté le ministre de l'époque sur le coût pour les collectivités territoriales. Je comprends que les personnes handicapées ne puissent se satisfaire du report de la mise en accessibilité, mais, avec des budgets de plus en plus contraints, il est difficile, surtout pour les petites communes, de se mettre en conformité avec la loi.

Oui, l'état d'une société s'apprécie à sa capacité à accueillir les différences et à permettre à chacun d'être un acteur de la cité. (Applaudissements)

M. Jean-Louis Tourenne .  - La politique en faveur des 9,6 millions de personnes handicapées représente près de 38 milliards d'euros en 2013, dont 14 pour l'État, 15,8 pour la sécurité sociale et 6,3 pour les départements. Malgré les fortes tensions qui pèsent sur les finances publiques, depuis 2008, elles ont nettement progressé.

La loi 2005 fut une belle avancée sociale. La loi de 1975 n'était plus adaptée. Il fallait garantir à toute personne l'accès aux droits fondamentaux, sur le principe de l'accessibilité universelle. Cependant, la mise en oeuvre eut lieu dans la précipitation, avec des décrets d'application pris en décembre 2005 pour entrée en vigueur dès janvier 2006. La réactivité des départements fut très grande, mais les résultats demeurent en-deçà des espoirs.

Il resterait treize décrets à prendre.

La loi du 11 février 2005 a introduit le droit à compensation. La participation de la CNSA ne représente plus qu'un tiers de son financement. Les départements l'ont versée à 178 000 personnes en 2014, contre 89 000 en 2006. Mais d'un endroit à l'autre, l'aide varie ; on constate des embolies de certaines MDPH en raison de la hausse du nombre des sollicitations, des lourdeurs administratives, de la transformation du droit à être reçu en obligation de se faire recevoir.

La MDPH d'Ille-et-Vilaine a dû porter ses effectifs de 35  à 61 ETP. Mme la ministre a choisi de recentrer ses maisons sur leur mission essentielle, l'accompagnement global des personnes handicapées et de leur famille, c'est bien.

Autre point fort, la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire. Elle a progressé : 258 710 enfants scolarisés en 2014 contre 151 000 en 2005.

Le nombre d'AVS a certes doublé mais leur formation reste largement insuffisante. Ils reçoivent une simple sensibilisation au handicap. La scolarisation en milieu ordinaire a pourtant ses limites : que dire des enfants scolarisés en Ulis dans le secondaire, renvoyés les mains vides à 16 ans dans leurs familles, où l'un des parents doit arrêter de travailler pour les accompagner ? Et que dire aussi des surprimes demandées par les banques pour prêter aux personnes handicapées qui veulent créer une entreprise ?

La loi de 2005 a sorti la question du handicap du domaine de la santé. Il reste beaucoup à faire et nous savons pouvoir compter sur votre action, madame la ministre, pour que le vivre ensemble soit une réalité vécue par tous les membres de la société. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion .  - Merci au groupe communiste d'avoir organisé ce débat sur un sujet d'actualité, le handicap, dix ans après la loi de 2005.

Le président Chirac a joué un rôle fondamental dans l'élaboration de cette loi qui voulait résolument rompre avec la logique de l'assistanat, en changeant le regard posé sur le handicap. Il y a bien un avant et un après cette loi avec le droit à la compensation par la solidarité nationale, la proclamation de l'accessibilité universelle, la création des MDPH comme guichet unique.

La ratification par la France de la Convention des Nations-Unies sur les personnes handicapées en 2010 nous oblige ; elle nous impose de suivre une logique inclusive, de faire prévaloir une approche intégrée du handicap.

Après avoir salué l'excellent rapport de Mmes Debré et Campion de juillet 2012, quelques chiffres : les dépenses pour handicap ont crû de plus de 32 % entre 2005 et 2010.

Le montant de l'AAH, qui a franchi le million de bénéficiaires en octobre 2014 et dépassé 8,5 milliards d'euros, a été revalorisé de 25 % entre 2008 et 2012. La PCH représente une dépense de 1,3 milliard d'euros et atteint 800 euros mensuels, soit plus que l'allocation compensatrice pour tierce personne qui l'a précédée.

La création de places se poursuit avec un objectif de 12 500 places pour les enfants et de 29 000 pour les adultes.

Nous prévoyons 4 500 places supplémentaires en 2015 et 6 000 places les deux années suivantes. Le plan Autisme comporte la création de 3 400 places, 1 900 pour les enfants et 1 500 pour les adultes. Au total, tous types de handicaps et d'établissements confondus, il existe 157 751 places pour les enfants et 334 536 places pour les adultes dans notre pays.

On le sait, le rendez-vous du 1er janvier 2015 a été manqué pour l'accessibilité universelle. Le mérite des agendas d'accessibilité programmée proposés par Mme Campion est de maintenir l'objectif. Nous en rediscuterons lors de l'adoption de l'ordonnance du 26 septembre 2014, qui pourra être améliorée.

L'accessibilité s'est déclinée à l'Éducation nationale avec le recours aux AVS et les projets individualisés. Avec le plan Autisme, nous avons créé 29 unités d'enseignement ouvertes à la rentrée 2014 et l'ouverture de 71 nouvelles unités est programmée pour les rentrées 2015 et 2016.

L'accessibilité, c'est aussi le travail. Après la loi de 1996 qui a imposé l'emploi de 6 % de travailleurs handicapés, et la loi de 2005 qui a étendu cette obligation au secteur public, le décret du 20 novembre 2014 rend obligatoire le plan de maintien dans l'emploi et renforce les obligations des employeurs à l'égard des travailleurs handicapés.

La formation, dont il a beaucoup été question, s'améliore également avec la loi du 5 mars 2014 qui comporte des dispositions générales, comme le compte personnel de formation, l'entretien annuel personnalisé, mais aussi des mesures spécifiques, la possibilité de se former durant un congé maladie pour les personnes handicapées.

Le nombre d'entreprises adaptées a crû depuis 2005 : 614 en 2008, 702 en 2013, pour un budget de 290 millions d'euros en 2013, à quoi s'ajoutent 40 millions de subventions spécifiques.

Les Établissements et services d'aide par le travail (Esat) ont accueilli 120 000 personnes en 2013, contre 103 000 en 2006.

Cependant, il reste beaucoup à faire pour l'emploi, le taux de chômage des personnes handicapées étant, en effet, deux fois supérieur à celui de la population générale.

Les MDPH ont représenté, pour les personnes handicapées et leur famille, la fin du parcours du combattant. Elles sont toutefois beaucoup trop absorbées par leurs tâches administratives aux dépens du suivi des personnes. Elles emploient en moyenne 55 ETP. Pas de conflit d'intérêts, le département n'est pas juge et partie. Il s'agit de groupements d'intérêt public où siègent les associations et les services de l'État.

Lors de la conférence de décembre 2014, le président de la République a fixé trois objectifs : construire une société inclusive, apporter une réponse adaptée à chacun et faciliter la vie quotidienne de tous : pas de compassion insultante mais une insertion accompagnée. Le handicap doit être pris en compte dans toutes les politiques publiques de droit commun. Ainsi, à l'école, la professionnalisation des 28 000 AVS est prévue ; 5 000 d'entre eux dès la rentrée 2014-2015 ont vu leur CDD transformé en CDI ; pour leur formation, un diplôme d'État est en cours de fabrication par mes services qui sera ouvert dès la rentrée 2015.

Pour les autistes, l'objectif est l'ouverture de 100 classes relocalisées dès la rentrée 2015 dans les établissements ordinaires, parmi les autres élèves. Pour les enfants sourds, la qualité de l'apprentissage sera renforcée par la formation des enseignants en langue des signes et en langage complété. C'est ainsi que changera le regard sur le handicap, par la présence des enfants en classe, à la cantine et dans la cour de récréation. En outre, chaque école devra comprendre dans son projet un volet sur le handicap. Nous engagerons le même effort pour les activités périscolaires et extrascolaires, grâce à un financement de la Cnaf dès la prochaine rentrée. Dans trois ans, toutes les universités devront avoir adopté un schéma d'accessibilité.

L'accessibilité dans le logement, nous y travaillons avec l'Union sociale de l'habitat ; la loi de finances pour 2015 a prolongé le crédit d'impôt pour l'installation ou le remplacement d'équipements destinés aux handicapés.

L'accessibilité, c'est aussi le droit à la culture, au livre, à l'audiovisuel. Après l'accord avec le CSA, reste à ouvrir le chantier compliqué de l'audiodescription sur les chaînes et d'une solution en langue des signes à la demande.

Un point qui me tient particulièrement à coeur : le numérique. C'est un enjeu de citoyenneté - l'accès à la propagande électorale, aux sites administratifs  - et de meilleur accès à la consommation - un accord est en cours de finalisation avec la Fédération de la vente à distance.

Le gouvernement signera bientôt une convention avec l'Institut national de la consommation. Vous l'aurez compris, le gouvernement ne veut pas prendre du retard.

Les personnes en situation de handicap psychique doivent bénéficier d'un accompagnement adapté, qui ne soit pas ponctuel.

L'emploi, maintenant. Il faut mieux articuler le passage entre emploi adapté et milieu ordinaire. Le président de la République a annoncé que l'État devait rendre les accords portant sur l'accueil des travailleurs handicapés en entreprises plus incitatifs. Le gouvernement veut aussi encourager les travailleurs handicapés indépendants en leur délivrant une aide de l'Agefiph. La proposition a été faite à l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi Macron qui viendra prochainement au Sénat. La découverte des métiers sera facilitée pour des stagiaires jusqu'à 30 ans, le financement sera assuré par l'Agefiph et le Fiphfp, là encore c'est une nouveauté.

Le projet de loi de santé comprendra des mesures volontaristes pour les personnes handicapées : amélioration de l'accueil des personnes handicapées dans les maisons pluridisciplinaires de santé, déploiement de consultations spécialisées à l'hôpital dès 2015, la signature de la charte Romain Jacob, et surtout la prise en compte du volet handicap dans la certification - eh oui, cela peut paraître étonnant, mais elle n'existait pas encore.

Les mesures de simplification pour les MDPH sont nécessaires, cela leur libérera du temps. Par exemple, la durée d'attribution de l'AAH avec un taux d'incapacité entre 50 et 79 % - soit l'AAHR  - pourra être étendue à cinq ans, contre deux ans actuellement. Nous faciliterons également la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. J'ai demandé à la Cnsa une étude sur les disparités dans l'attribution de la PCH et un rapport du gouvernement sera rendu sous six mois, concernant la limite d'âge. Dans le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement, un amendement permettra aux départements de mettre en place un tiers payant pour les aides techniques, afin que les personnes handicapées n'aient pas à avancer les frais.

Je n'ai pas eu le temps de répondre à toutes vos questions mais nous aurons l'occasion de nous revoir. Je peux d'ores et déjà vous dire que nous avons signé une convention avec la Caisse des dépôts et consignations et BPI France mettra à disposition des collectivités territoriales et des entreprises des prêts bonifiés pour les travaux d'accessibilité.

Oui, le chemin est long ; mais notre volonté est intacte, chaque petite avancée nous rapproche de l'idéal, puisque comme le disait Jaurès : « le courage, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel ! » (Applaudissements sur les bancs socialistes ; Mme Annie David applaudit aussi)