Usage contrôlé du cannabis (Suite)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi relative à l'usage contrôlé du cannabis, commencée le 4 février 2015.

Discussion générale (Suite)

Mme Françoise Gatel .  - Ce débat est pertinent sur un sujet complexe qui touche à la santé publique, à l'économie souterraine, à la prévention comme à la répression et à la sécurité publique. La réponse proposée l'est-elle ? L'usage régulier du cannabis peut aggraver des troubles psychiatriques, altérer les capacités de mémorisation et d'apprentissage, provoquer des troubles de la coordination ; en 2011, la consommation de cannabis aurait provoqué 455 accidents de la route mortels et ses effets sont démultipliés si elle est couplée à celle de l'alcool. Sans parler de l'absorption de gaz carbonique : fumer du cannabis serait vingt fois plus dangereux à dose égale que fumer du tabac. Les effets sont particulièrement dramatiques chez les jeunes, alors que 42 % des adolescents de 17 ans en ont consommé au moins une fois.

Comment imaginer que l'État, garant de la santé publique, puisse autoriser l'usage et la production d'un produit dangereux, brouillant le message sur sa nocivité ? On sait aussi que le cannabis a un effet sur l'assiduité, les résultats et le décrochage scolaires... Et l'autoriser pour les adultes, ce serait ignorer que les adolescents recherchent la transgression. L'interdiction des lieux de vente à proximité des établissements scolaires n'a pas empêché le développement du binge drinking... La consommation d'alcool et de drogues n'est pas sans rapport avec le mal-être de la société, qui favorise la recherche de paradis artificiels.

Mon groupe regrette la faiblesse de la proposition de loi en matière de prévention. Aujourd'hui, l'information reste trop cloisonnée entre la police, les associations, la communauté éducative...

Le rapporteur souligne ce qu'il appelle la faillite du système de répression. Mais il ne peut y avoir de société sans règles, donc sans répression. Les auteurs de cette proposition de loi considèrent en outre que la légalisation du cannabis assécherait les trafics, mais elle ne vaudrait que pour les adultes ; les jeunes continueront à faire appel à l'économie souterraine. Un jour se posera le problème de la légalisation de l'ecstasy ou de l'héroïne. Et comment fixer le prix d'un cannabis légalisé ? S'il est trop élevé, aucun effet n'est à attendre sur l'économie souterraine ; s'il est trop faible, la consommation augmentera.

On avance aussi que l'État comblerait son déficit par une taxe sur les produits dangereux. Mais quand il existe un risque sanitaire sur un produit alimentaire, l'État diligente à juste titre une enquête et peut aller jusqu'à faire fermer une ligne de production... Et l'argent récolté servirait à couvrir les frais de santé publique dus à la hausse de la consommation.

Ce texte a le mérite de soulever un vrai problème de santé publique. L'usage thérapeutique du cannabis est désormais autorisé : ses effets ont été démontrés sur les patients souffrant de sclérose en plaque, de la maladie de Parkinson, du sida, de dépression. Il faudrait dresser le bilan de cette autorisation.

Le groupe UDI-UC reconnaît l'intérêt de ce texte mais considère qu'il apporte une réponse trop simple à une question complexe. Penser que la légalisation règle la question, c'est cacher la poussière sous le tapis. (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Godefroy .  - Plusieurs rapports parlementaires ont été publiés sur ce sujet. Dans leur rapport de 2011, Gilbert Barbier et Françoise Branget ont rejeté la légalisation. Dans celui de la mission d'information de l'Assemblée nationale de novembre 2014, les rapporteurs, s'ils s'accordent sur l'échec de la politique de prohibition, divergent sur les solutions, l'un plaidant pour une contravention pour usage, l'autre pour la légalisation dans l'espace privé.

Le plan de lutte contre les drogues, lancé par le Gouvernement, est intéressant mais insuffisant. Alors que la France dispose de la législation la plus répressive, les Français sont parmi les plus gros consommateurs de cannabis.

Sur le plan sanitaire, les dangers du cannabis sont démontrés, notamment chez les jeunes. À court terme, la baisse des performances intellectuelles, les troubles cognitifs, un développement de l'anxiété... À long terme, un risque de cancer accru, l'isolement social, l'aggravation ou la survenue de certains troubles psychotiques graves, comme la schizophrénie. Et je ne parle ni de la concentration de THC, qui a très fortement augmenté, ni des produits naturellement toxiques utilisés pour améliorer la présentation du cannabis : colles, huiles de vidange, sables, talc, plomb...

Sur le plan de l'ordre public, l'usage de cannabis expose aujourd'hui à une amende de 3 750 euros et un an d'emprisonnement, mais un Français sur cinq en a déjà fumé et on compte 1,2 million de fumeurs réguliers... Quelle contradiction ! Les peines prévues, parmi les plus sévères en Europe, ne sont pas dissuasives. L'action publique, souvent, n'est pas engagée. Quant aux petits revendeurs, les envoyer en prison, c'est risquer de fragiliser encore ces personnes en mal d'insertion.

L'Uruguay expérimente depuis 2013 la régulation de la production et de la vente du cannabis ; les personnes majeures peuvent même en faire pousser six plants chez elles. Il faut encore attendre pour en mesurer les résultats. Au Colorado, le produit des taxes perçues sur le cannabis est tellement élevé que l'État doit en reverser une partie à l'État fédéral et aux contribuables... Mais qu'en est-il de la santé publique ?

La légalisation pose des questions délicates, modalités de mise oeuvre, canaux de production et de distribution, tarifs... Ce sont les individus qu'il faut informer des dangers du cannabis, dès le collège. Cette proposition de loi, inaboutie, doit cependant être saluée parce qu'elle ouvre un débat nécessaire. Le groupe socialiste ne la votera pas.

Mme Brigitte Micouleau .  - Je regrette que le débat ait été interrompu en février. L'exposé des motifs de cette proposition de loi soulève des questions essentielles, concernant l'inefficacité de nos politiques de prévention et de lutte contre le cannabis et les effets de celui-ci sur la santé.

Malgré une législation très répressive, la France compte 700 000 consommateurs réguliers et quotidiens, contre 500 000 il y a quatre ans, et dans tous les milieux ; 41,7 % des jeunes de 17 ans déclarent en avoir fumé au cours de leur vie, un sur cinq au cours du dernier mois.

Or, la consommation régulière de cannabis peut entraîner une dépendance psychique et des problèmes relationnels, scolaires, professionnels. Elle altère la mémoire, les capacités de concentration et de raisonnement, les facultés motrices. Elle potentialise les effets de l'alcool. Le nombre de conducteurs arrêtés sous l'emprise de cannabis est en constante augmentation alors que la consommation de cette substance est à l'origine de nombreux accidents. Le cannabis représente 90 % des interpellations pour usage de stupéfiants : 15 300 en 2010, en hausse de 70 % depuis 2000...

La dépénalisation serait un moyen de mettre fin aux trafics, dites-vous. Pourtant, selon Stéphane Quéré, criminologue spécialiste de la question, elle n'a pas endigué le crime organisé dans d'autres pays : aux Pays-Bas, les trafiquants ont pris pied dans les Coffee shops, la légalité du tabac en France n'empêche pas les trafics de cigarettes, je l'observe à Toulouse...

En cas de légalisation, on peut craindre de voir se développer un marché parallèle, pour du cannabis plus puissant et plus dangereux. Enfin, quel signal enverrions-nous à la société ?

Cette proposition de loi apporte de fausses solutions. Le groupe UMP votera contre. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Forissier .  - Le sujet n'est pas nouveau et fait souvent l'objet de débats passionnels. Légaliser le cannabis, c'est lui donner un cadre juridique qui pourrait prendre les formes les plus strictes ou les plus libérales.

En autorisant le cannabis, l'État veut-il se charger de contrôler sa production, sa distribution ? Ce serait envoyer un mauvais signal, repousser les limites d'une société déjà ébranlée, en manque de repères. Ce serait aussi prendre le risque d'augmenter le nombre de consommateurs d'un produit dont on connaît les effets sur la santé.

Selon les experts, la consommation des drogues licites est huit fois supérieure à celle des drogues illicites. Il n'existe d'ailleurs aucun lien automatique entre la fin de la prohibition et celle des trafics. Si la prohibition de la consommation est une utopie, sa légalisation est tout aussi irréaliste.

Cette proposition de loi comporte cependant des aspects intéressants. C'est sous l'angle de la prévention qu'il faut aborder le problème, en donnant aux adolescents de bonnes raisons de ne pas prendre de drogues, en évitant qu'ils ne se retrouvent en situation dangereuse et en leur donnant l'exemple.

La société française a besoin d'affirmer les limites qui sont les siennes, conformes à ses valeurs. L'interdiction de l'usage du cannabis est, selon moi, un principe essentiel. (Mme Françoise Gatel applaudit)

M. Jean Desessard .  - Merci aux intervenants de leurs propos mesurés.

Mme Micouleau l'a dit : la France est un pays de forte répression, et aussi de forte consommation. C'est qu'il y a un problème ! Oui, la prévention fait aujourd'hui défaut. Chez les jeunes, c'est vrai, même une faible consommation peut entraver leur développement cérébral.

En revanche, Madame Gatel, la dépendance au cannabis n'est pas plus élevée que la dépendance à l'alcool.

Mme Françoise Gatel.  - Il n'en demeure pas moins qu'elle existe !

M. Jean Desessard.  - M. Godefroy appelle à attendre le bilan des expérimentations menées en Uruguay et au Colorado. Il y aurait trop de recettes ? Je comprends mal l'argument...

Une question de santé publique ? Elle se pose aujourd'hui ! Et le coût du déploiement des forces de police, des frais de justice doit aussi être mis en débat.

Aux Pays-Bas, les mafias se sont déplacées ailleurs, dit Mme Micouleau. C'est que les Néerlandais ont légalisé la distribution, non la production : cela reste un secteur gris.

Merci à M. Forissier d'avoir mentionné l'usage récréatif du cannabis. Pour les adultes, comme pour l'alcool, c'est l'abus qui est dangereux. Si on a consommé de l'alcool et qu'on est contrôlé trois heures plus tard, on est positif. Dans le cas du cannabis, on peut être positif si on en a fumé trois jours plus tôt ! Il faut revoir ces tests.

Le climat général n'est pas à l'adoption du texte, je le constate. (Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État, s'amuse) Mais le débat, j'en suis sûr, n'est pas clos.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Desessard, au nom de la commission.

I. - Alinéa 6

Remplacer les mots :

par les dispositions du

par le mot :

au

II. - Alinéa 8

Après les mots :

plantes et

insérer le mot :

des

III. - Alinéa 14

Après les mots :

plantes et

insérer le mot :

des

IV. - Alinéa 15, première phrase

Après les mots :

plantes et

insérer les mots :

de ces

V. - Alinéa 17

Remplacer les mots :

, fixée par décret en Conseil d'État, dont la détention est autorisée

par les mots :

dont la détention est autorisée par décret en Conseil d'État

VI. - Alinéa 19

Après les mots :

plantes et

insérer le mot :

des

VII. - Alinéa 20

Remplacer les mots :

doivent être

par le mot :

sont

VIII. - Alinéa 21

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Est interdite toute opération de parrainage qui, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque ou de tout autre signe distinctif, rappelle les plantes et les produits mentionnés à l'article L. 3431-1.

IX. - Alinéa 22

1° Après les mots :

plantes et

insérer le mot :

les

2° Remplacer le mot :

définis

par le mot :

mentionnés

X. - Alinéa 31

1° Après les mots :

céder ou d'offrir des plantes ou

insérer le mot :

des

2° Remplacer les mots :

revendre ou d'offrir des plantes ou

par les mots :

revendre ou d'offrir ces plantes ou ces

XI. - Alinéa 32

1° Après les mots :

les plantes ou

insérer le mot :

les

2° Après les mots :

ces plantes ou

insérer les mots :

de ces

XII. - Alinéa 33, première phrase

Après les mots :

les plantes et

insérer le mot :

les

XIII. - Alinéa 35

Après les mots :

plantes ou

insérer le mot :

des

XIV. - Alinéa 36

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 3432-4.  -  Le fait de contrevenir aux dispositions de l'article L. 3431-6 est puni d'une amende de 100 000 €. »

M. Jean Desessard.  - Amendement rédactionnel.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes.  - Avis favorable, même si le Gouvernement est défavorable au texte.

L'amendement n°1 est adopté.

Mme Esther Benbassa.  - Merci à tous les sénateurs présents aujourd'hui malgré l'élection des présidents de conseils départementaux, pour leurs interventions. Le débat est lancé, je m'en réjouis. J'en suis certaine, dans quelques années, nous légaliserons à notre tour l'usage contrôlé du cannabis, qui a fait ses preuves. Nous ne pourrons ignorer une réalité sociale en expansion : les derniers chiffres de l'office français de lutte contre les toxicomanies sont édifiants. Nous avons le devoir de répondre aux enjeux sanitaires et sécuritaires, le devoir d'élaborer une véritable politique de santé publique, pragmatique, notamment à l'égard des adolescents et jeunes adultes.

L'objectif premier de cette proposition de loi a été atteint : sensibiliser chacun à ce sujet. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

À la demande des groupes UMP et écologiste, l'article premier, modifié, est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°117 :

Nombre de votants 327
Nombre de suffrages exprimés 302
Pour l'adoption 13
Contre 289

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 2 n'est pas adopté.

ARTICLE 3

Mme la présidente.  - Si l'article 3 n'est pas adopté, il n'y aura pas lieu de voter sur l'ensemble.

M. Olivier Cadic .  - Comme beaucoup, je réprouve sans réserve la consommation de cannabis, dont les dangers sont démontrés. Cela dit, la politique de répression est en échec absolu. La réponse de la société ne fonctionne pas. Faut-il être plus répressif ? Face à un échec, nous avons la tentation de toujours faire la même chose... Je pense, comme M. Desessard, qu'il faut faire autrement.

Fumer du cannabis est un vice ; l'État doit encadrer les vices, comme il l'a fait pour les jeux en ligne, le tabac et l'alcool. Aux États-Unis, la prohibition du cannabis n'a pas plus de succès que, jadis, celle de l'alcool : le pays a dépensé 1 000 milliards depuis 1971 pour lutter contre les drogues. En vain. En 2001, le Portugal a décriminalisé l'usage personnel de toutes les drogues et substitué les soins à la prison ; cinq ans plus tard, leur usage a régressé chez les adolescents et le nombre de morts liées aux drogues a été réduit de moitié... Les jeunes cherchent toujours à transgresser les interdictions - interdictions qui font la fortune des réseaux mafieux. Interdire n'empêche pas les gens de fumer, seulement de respecter la loi.

C'est pourquoi j'ai voté pour l'article premier. (Applaudissements sur plusieurs bancs au centre)

M. Éric Bocquet .  - La législation actuelle, qui date de 1970, considère le consommateur de drogue comme une personne dangereuse, qu'il faut enfermer. On chasse le consommateur au lieu de lutter contre les trafiquants. Ce débat est donc bienvenu.

Le groupe CRC est favorable à la dépénalisation plus qu'à la légalisation de la consommation de cannabis, ce qui permettrait de concentrer les forces de l'ordre sur l'essentiel. Il faut surtout renforcer la prévention, faire un travail en profondeur auprès de la population, développer la formation alors qu'il n'existe aujourd'hui aucune chaire de médecine préventive. Le sujet mérite mieux qu'un débat partiel. D'où notre abstention.

L'article 3 n'est pas adopté.

En conséquence, il n'y a plus de texte ;

la proposition de loi n'est pas adoptée.