Agriculture et filière agroalimentaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire, présentée par M. Jean-Claude Lenoir et plusieurs de ses collègues (demande du groupe Les Républicains).

Discussion générale

M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi .  - Le Sénat conscient de la gravité de la crise, suit avec beaucoup d'attention l'évolution de l'agriculture et en particulier de l'élevage. C'est pourquoi certaines initiatives ont été prises, avec le soutien actif du président Gérard Larcher. Le 16 juillet, il a réuni tous les acteurs de la filière. Vous vous êtes joint, monsieur le ministre, à cette table ronde, qui a souligné que le problème majeur était celui de la compétitivité.

Pendant l'été, les éleveurs ont crié leur détresse. Le 3 septembre, dès potron-minet, des agriculteurs ont manifesté dans la capitale. Nous les avons entendus et avons organisé un débat dans cet hémicycle le 6 octobre. Le 8 octobre, nous avons auditionné le commissaire européen, M. Phil Hogan.

À la suite de ces réflexions, nous avons été nombreux à déposer une proposition de loi le 16 octobre, dont je ne suis que le premier signataire. Outre le concours actif et constant du président du Sénat, je salue l'implication du président de notre commission des affaires européennes, Jean Bizet. M. Gremillet, rapporteur, en détaillera le contenu.

Cette proposition de loi comporte trois volets : la compétitivité prix tout d'abord, l'allègement des charges et les aides à l'industrie ; la compétitivité hors prix ensuite ; l'aide à l'emprunt enfin.

Le rapport « Agriculture innovation 2025 », recommande la création d'un observatoire sur le sujet. Bonne idée. Quand sera-t-elle mise en oeuvre ?

M. Jean Bizet.  - Nous attendons !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Les prix ne sont pas fixés par le Gouvernement, ni même par le ministre, mais par le marché et le marché est mondial. L'essentiel de notre politique agricole, de plus, est décidé à Bruxelles, dans le cadre de la politique agricole commune.

La majeure partie des agriculteurs considère que les mesures conjoncturelles ne suffisent plus. Nous proposons des mesures structurelles. Ils en ont aussi assez de l'empilement des normes. (Applaudissements à droite)

Vous venez d'ailleurs d'en rajouter encore...

La situation est grave, et tous les indicateurs montrent qu'elle risque d'empirer. Les prix continuent à baisser.

Monsieur le ministre, on vous dit irrité, on vous a vu quelque peu agacé, par les orientations sénatoriales. Pourtant le Sénat, représentant des territoires, est dans son rôle. Nous proposons des mesures de rassemblement, dans le respect de nos prérogatives constitutionnelles.

Toutefois, je tiens à remercier le Gouvernement qui a repris dans le projet de loi de finances rectificative pour 2015 certaines de nos propositions.

M. Charles Revet.  - Parce qu'elles étaient bonnes !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Je suis heureux que vous ne considériez plus le suramortissement des bâtiments d'élevage, la déduction pour aléas comme inutiles ! (Rires à droite)

Nous ne sommes pas des adversaires, monsieur le ministre ; poussons les feux ensemble. J'espère que nous parviendrons à mettre en oeuvre une politique efficace et raisonnée en faveur de l'agriculture. (Applaudissements à droite)

M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements à droite) Les perspectives de la filière de l'élevage sont bien sombres : baisse des prix du lait, développement de concurrence mondiale, fermeture des débouchés, embargo russe... Le prix du porc ne cesse de baisser sur le marché de Plérin, où le cadran a été suspendu cet été : moins d'un euro le kilo désormais ! C'est indécent !

La filière catarrhale ovine et le retour de la peste aviaire auront des effets désastreux...

M. Jean-Louis Carrère.  - Eh oui !

M. Daniel Gremillet, rapporteur.  - C'est dans ce contexte que Jean-Claude Lenoir et Jean Bizet ont déposé cette proposition de loi.

Notre balance commerciale, hors vins et spiritueux, est juste à l'équilibre. Notre autosuffisance alimentaire est menacée à terme, alors que nos partenaires européens se sont dotés d'une vraie stratégie : porcine en Espagne, laitière en Allemagne... La stratégie de compétitivité est déjà mise en oeuvre, dit-on.

Certes, les agriculteurs bénéficient du CICE ou des baisses de charges. Mais il faut aller plus loin. Est-ce le moment, un an après la loi d'avenir ? Oui. La crise ne passera pas toute seule !

En tant que rapporteur, j'ai écouté tous les acteurs, dans un esprit de réalisme : cette proposition de loi ne règlera pas tout. La Politique agricole commune (PAC) ne cessera pas de s'appliquer, même si nous devons l'infléchir.

Le premier volet vise à améliorer les relations entre filières, à travers la contractualisation, l'utilisation d'indices publics, pour éviter les conflits de répartition.

Deuxième volet : la valorisation des produits français : le consommateur a le droit d'être informé de l'origine des produits.

L'article 4 permet de reporter ses remboursements en période de crise. À l'article 6, la déduction pour aléas est remplacée par une réserve spéciale d'exploitation agricole, d'emploi plus facile, avec un plafond relevé. J'ai fait voter un article 6 bis obligeant les jeunes agriculteurs à souscrire une assurance contre les risques climatiques.

L'article 5 crée un livret vert pour drainer l'épargne vers l'investissement agricole. À l'article 7, le suramortissement Macron est étendu à l'agriculture, coopératives comprises.

Nous baissons aussi les charges qui pèsent sur les exploitations. Il est temps de revenir sur les surtranspositions des directives, notamment relatives aux normes ICPE - c'est l'objet de l'article 8.

De même, nous prévoyons à l'article 12 un plan de simplification des normes.

Cette proposition de loi contient aussi un allègement des charges sur les salaires agricoles. Les agriculteurs bénéficiaires du CICE ne doivent pas être pénalisés non plus.

L'addition de ces mesures pourra peut-être enclencher une nouvelle dynamique en faveur de la compétitivité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe UDI-UC)

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement .  - Je n'ai jamais été offusqué...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Les apparences sont trompeuses !

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - ...par les initiatives du Sénat. M. Lenoir a été objectif : il y a la PAC et le marché. En 2008-2009, nous avons connu une crise laitière sans précédent. J'étais alors député européen et j'ai toujours veillé à éviter de verser de l'huile sur le feu. 40 centimes le litre, c'est impossible...

Ces prix remettent en cause les structures de certaines filières. La crise de la production porcine ne date pas d'hier. La filière bovine est la victime collatérale de la crise de la filière laitière et de la faiblesse de la consommation. Quant au marché du lait, il est mondialisé. Nous avons plusieurs grandes entreprises laitières, dont les choix industriels - lait, poudre ou beurre - ont un impact sur les prix versés aux agriculteurs.

En outre l'organisation des filières est insuffisante : il n'y a plus d'interprofession laitière, celle du secteur bovin connaît de grandes difficultés, plus d'interprofession pour la volaille... Cela est dommageable. De même, il faut penser à l'avenir. La France a beaucoup de potentiel pour assurer son autonomie fourragère. En Russie il neige le 15 octobre, chez nous, le fourrage continue de pousser.

Face à la crise, le Gouvernement a débloqué 700 millions d'euros, qui s'ajoutent aux 63 millions débloqués par l'Europe, prélevés sur le montant des pénalités acquittées par les États membres en surproduction. Cela soulagera la trésorerie des agriculteurs endettés, allègera les charges sociales, à hauteur de 180 millions, grâce à la MSA qui, heureusement, se débrouille très bien, beaucoup mieux que le RSI.

Les crédits d'urgence - pour 10 millions d'euros - ont été mobilisés sur la promotion. Au total, cela correspond à un renforcement de 350 millions d'argent public pour soutenir l'investissement dans notre agriculture et obtenir le fameux effet levier d'un milliard réclamé par les agriculteurs.

Sur la méthanisation, on a retenu une fiscalité incitative. La déduction pour aléas climatiques ? Très important ! Nous sommes d'accord avec votre proposition de loi. C'est dans la loi de finances rectificative. La réforme de la fiscalité sur le forfait agricole ? C'est fait.

Tous ces éléments ont nécessité la mise en place de cellules d'urgence dans les départements, et je veux saluer la mobilisation des services décentrés et des chambres d'agriculture pour traiter les dossiers. Sur un total de 40 000, 20 000 ont été clos ; 10 000 dossiers prioritaires seront payés d'ici la fin de l'année. C'est particulièrement important dans la filière porcine.

Reste le travail de long terme, sur la contractualisation, la restructuration, la tarification. Le marché de Plérin voit passer 10 000 porcs par semaine : fixer un prix y devient difficile. Je ferai des propositions la semaine prochaine.

M. Charles Revet.  - Il y a urgence !

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - La traçabilité a fait des progrès. Sur ce sujet, les propositions du Sénat sont bienvenues. Je veux que les étiquettes « Viande de France » soient fondées sur un contrat qui impose que l'animal soit né, élevé, abattu et transformé en France. Certains de nos voisins ne font pas de naissance ni d'élevage.

Nous promouvons le « consommer local », et depuis longtemps. Nous n'avons aucune leçon à recevoir sur ce point de candidats qui n'appartiennent pas à l'arc républicain. Des guides et stratégies d'achat sont développés et distribués partout à cette fin.

J'ai demandé une mesure plus fine de la compétitivité. Dans la volaille, notre taux de couverture import/export est passé de 130 % à 35 % ; dans le porc, la tendance est la même, même si nous restons au-dessus de 100 %. D'où les abaissements de charges et le CICE, de l'ordre de 4 milliards d'euros, soit l'équivalent du budget de l'agriculture ! On peut certes toujours faire plus, mais cela reste inédit. Simultanément, l'Allemagne augmente ses salaires et met en place un salaire minimum ; le redressement de notre compétitivité est donc à notre portée.

Nous ne pouvons continuer à laisser nos agriculteurs distribuer leurs gains de productivité. Le machinisme agricole fait du résultat et les agriculteurs sont en difficulté, ce n'est pas normal. D'où notre politique de réduction de leurs charges opérationnelles. C'est là que l'économie de l'agriculture et l'environnement se rejoignent.

Je n'ai procédé à aucune surtransposition. Sur la qualité des eaux, nous avons travaillé sur la redéfinition des zones, les terrains en pente, la possibilité de stocker en plein champ les effluents d'élevage, sans construire de bâtiments spéciaux. Nous n'avons, en aucun cas, durci les contraintes européennes. Simplifier ? Oui, bien sûr ! Nous avons montré en Bretagne que cela fonctionne : 95 projets y ont été menés à bien sans qu'aucun recours n'ait été déposé. Nous travaillons à réduire les délais d'instruction des dossiers.

Si tout débat est utile, une seule question importe : assurer une agriculture de production, une agriculture d'environnement avec des agriculteurs vivant de leurs revenus sur tout notre territoire car, nous le savons tous, nous avons besoin de l'agriculture pour faire vivre la ruralité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-François Husson.  - Pour faire vivre la France !

M. Jacques Mézard .  - Le 6 octobre, nous avons tous fait le constat de la détresse du monde agricole, qui a culminé à Paris le 3 septembre. Notre agriculture, riche de nombreux atouts, connaît des difficultés persistantes, en dépit des réformes. La compétition mondiale s'exacerbe et la diminution des crédits européens pénalise nos agriculteurs face à des concurrents soumis à des standards moins élevés. Sans parler des embargos, catastrophes climatiques et autres fièvres catarrhales...

Il faut un grand plan de relance de la compétitivité de notre agriculture. Le présent texte allège charges et normes, tout en promouvant une meilleure contractualisation entre les acteurs. Comment s'y opposer ?

L'agriculture française accuse un déficit de compétitivité indiscutable ; sa part de marché en Europe est passée de 17 % en 2000 à 12 % en 2013. Les agriculteurs sont aussi des agents économiques qu'il faut aider dans la mondialisation, et soutenir dans leurs adaptations aux mutations de la société.

Monsieur le ministre, vous avez apporté d'heureuses solutions à la crise de l'élevage. Cette proposition de loi complète votre action, et rejoint les mesures fiscales du projet de loi de finances rectificative pour 2015, entre autres sur le suramortissement des bâtiments d'élevage.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Exact !

M. Jacques Mézard.  - Quelles que soient les sensibilités, nous allons dans le même sens. Si certains considèrent cette proposition de loi opportuniste, la majorité du groupe RDSE la considère opportune. L'agriculture ne connaît pas les clivages partisans. Ce qui est en jeu, ce sont des emplois et l'équilibre de nos territoires.

Nous soutenons votre action, monsieur le ministre ; regroupons les énergies allant dans le bons sens : votons cette proposition de loi.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bien ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Le Scouarnec .  - Aucune politique ne s'attaque au vrai problème : quinze points de valeur ajoutée ont été transférés des producteurs vers les distributeurs. La baisse durable des prix d'achat touche surtout la viande et le lait. En 2014, la France est passée sous la barre des 300 000 exploitations, alors qu'elles étaient 25 % plus nombreuses il y a dix ans seulement. D'où l'angoisse du lendemain que vivent des milliers de familles d'exploitants, après des années de dérégulation et d'ouverture des marchés mondiaux.

L'orientation de la PAC vers les marchés, prise en 1992, n'a cessé de s'accentuer. Les filets de sécurité et les mécanismes de régulation disparaissent, fin des quotas laitiers et bientôt des quotas sucriers. Or la stabilité des prix conditionne l'investissement, l'innovation et la productivité, objectifs oubliés de la PAC

Cette proposition constate la domination des groupes de distribution sur les filières, dont attestent les résultats nets annuels des grands groupes : 1,2 milliard pour Carrefour, 574 millions pour Auchan, 556 millions pour Casino... Cette domination sans partage sur la valeur ajoutée a été renforcée par la loi Chatel et la loi de modernisation de l'économie qui ont consacré le principe de la libre négociation des prix, renforcée aussi par la création de super centrales d'achat.

Cependant, je ne partage pas la philosophie de cette proposition de loi qui consacre une agriculture fondue dans le moule de la compétition mondiale aux dépens de notre souveraineté alimentaire, de notre protection sociale, des revenus de nos agriculteurs et des normes environnementales. Les accords temporaires de modération des marges ne suffiront pas !

Tous, que ce soit la FNSEA, les jeunes agriculteurs, la coordination rurale, le Modef, souhaitent une politique ambitieuse sur les prix d'achat et la répartition de la valeur ajoutée. D'où mes amendements rétablissant un prix plancher d'achat, instaurant un étiquetage obligatoire pour tous les produits. Nous saluons l'idée d'un livret vert mais désapprouvons celle d'une assurance obligatoire, qui ne profitera qu'aux assureurs. Le coût du travail n'est pas un frein à la compétitivité ; à celui de la financiarisation, sans doute !

Nous réclamons enfin l'adoption de clauses de sauvegarde et le principe d'une préférence communautaire.

Bref, ce texte, s'il dresse un bon constat, n'en tire pas les bonnes conséquences. (Applaudissements à gauche)

M. Henri Cabanel .  - Nous sommes à nouveau réunis pour parler de la compétitivité de notre industrie agricole. Je salue l'engagement constant de M. Gremillet (Applaudissements à droite) mais suis choqué par la méthode. (On manifeste sa déception sur les mêmes bancs) Comment penser qu'une proposition de loi règlera des problèmes qui ne datent pas de l'arrivée des socialistes au pouvoir ? Par le calendrier, ensuite. Après cinq ans d'inaction au pouvoir, la majorité sénatoriale dépose un texte entre les deux tours des régionales. Fixer des prix est impossible dans une économie de marché, faut-il le rappeler à des partisans de l'ultralibéralisme ?

J'ai pour ma part toujours préconisé un encadrement du marché, quand vous souteniez le libéralisme de mise à Bruxelles.

Dans l'Hérault, j'ai auditionné une dizaine de représentants de nos filières sur cette proposition de loi. Leur avis est unanime : la compétitivité est la clé ; le monde a changé, l'agriculture doit suivre en s'adaptant à des marchés segmentés. Il n'y a donc pas une mais des solutions.

Dans la restauration collective, je reste surpris que l'on ne promeuve pas davantage les productions françaises.

M. Martial Bourquin.  - Bravo !

M. Henri Cabanel.  - Nous étions une soixantaine de sénateurs invités à petit déjeuner au restaurant du Sénat par M. Xavier Beulin et la FNSEA. On nous a servi du lait allemand !

Au total, plus de 3 milliards d'euros ont été investis dans l'agriculture en trois ans. Il faut accentuer les efforts sur l'agroécologie car c'est dans la qualité que réside la compétitivité, pas dans la baisse perpétuelle des charges qui suscitent toujours autant de jérémiades.

À nouveau, je regrette la méthode ; il est urgent de prendre son temps pour bâtir une agriculture d'avenir, filière par filière, sans parti pris idéologique. Comme a su le faire la filière viticole en Languedoc, il faudra du temps et accompagner les agriculteurs pour réussir cette mutation inéluctable. (Applaudissements à gauche)

M. Martial Bourquin.  - Voilà du solide !

M. Joël Labbé .  - La loi d'avenir pour l'agriculture produit à peine ses premiers effets que le ministre enchaîne les plans d'urgence... et la majorité sénatoriale choisit de déposer entre les deux tours des régionales, une proposition de loi écrite avec la FNSEA qui s'autoproclame porte-parole de l'agriculture.

M. André Trillard.  - Vous vous autoproclamez bien porte-parole des lanceurs d'alerte !

M. Joël Labbé.  - La FNSEA tient un autre discours dans les départements. Dans le mien, elle écrit que l'État n'a toujours pas compris ce qui se passe dans les campagnes, que l'État promet des milliards dans le cadre de la COP21. Et de s'interroger : la France est-elle partie pour sacrifier son agriculture ? Mélanger agriculture et politique est, de la part d'un partenaire officiel, scandaleux.

M. André Trillard.  - Et Notre-Dame-des-Landes ?

M. Jean-Louis Carrère.  - Arrêtez de faire les zouaves !

M. Joël Labbé.  - Industrialiser nos productions n'est pas la solution. C'est vers la qualité qu'il faut se tourner. Exporter n'est pas la solution lorsqu'on le fait à perte.

Nous défendons l'information des consommateurs, d'où nos amendements sur l'étiquetage de tous les produits et la mention de présence éventuelle d'OGM - que contiennent 80 % du soja sud-américain. Il est temps que les terres d'Amérique du sud puissent nourrir les Sud-Américains et que l'on préserve la forêt équatoriale.

Comme moi, vous avez été interpellés par des agriculteurs sous statut de cotisant solitaire, non couverts en cas de maladie ou de chômage : d'où mon amendement sur la remise d'un rapport sur la protection sociale des agriculteurs. Je remercie la commission de s'en être remise à la sagesse, ce qui est un bon présage d'adoption.

M. Jean Bizet.  - Ce n?est pas sûr !

M. Joël Labbé.  - Vandana Shiva, auteure Indienne respectée partout, a relevé l'incapacité simultanée à relever les défis alimentaires et environnementaux. Nous pouvons le faire en consommant local. Cela passe par le maintien d'une agriculture familiale et paysanne. Votre proposition de loi n'en prend malheureusement pas le chemin. (Applaudissements sur certains bancs de la gauche)

M. Daniel Dubois .  - J'ai cosigné cette proposition de loi très attendue par la profession, qui reconnaît le déficit de compétitivité de notre agriculture. Le Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole devra, aux termes de l'article 12, produire un plan d'allègement des normes. L'article 8 fixe le seuil d'autorisation pour les élevages bovins à 800 animaux ; en deçà, c'est la procédure d'enregistrement, plus souple, qui sera engagée. Nous revenons ainsi opportunément sur des surtranspositions de directives. Notre agriculture doit prendre en compte les pratiques des autres pays européens.

Le groupe centriste a déposé deux amendements : le premier prévoit de supprimer une norme à chaque création de norme nouvelle ; le second limite dans le temps leur application, à titre expérimental.

Sous réserve qu'ils soient adoptés, ce texte constituera une avancée importante. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bien !

M. Jean Bizet .  - Nous débattons une nouvelle fois de notre agriculture et de sa compétitivité. À nouveau dans l'urgence, après la crise de l'élevage de cet été que la Sénat a su entendre.

Notre agriculture manque de confiance d'abord. Alors qu'elle a tout pour réussir, le climat, la terre, l'eau, les savoir-faire, l'histoire... Pourtant, notre agriculture va mal, préoccupée qu'elle est par les changements réglementaires, la pression concurrentielle, les statistiques, les attaques pernicieuses de petites phrases en slogans...

M. Gérard Longuet.  - C'est vrai...

M. Jean Bizet.  - ...que l'on retrouve au sein même des manuels scolaires. Ensuite, notre agriculture manque d'une vraie stratégie. L'Allemagne, elle, a traité son agriculture comme son industrie avec seul objectif : la compétitivité. Elle y a réussi depuis longtemps dans le porc, c'est désormais le cas pour le lait. Chez nous, où est la stratégie ?

M. Gérard Longuet.  - Elle est dispersée...

M. Jean Bizet.  - Nous n'avons qu'un catalogue hétéroclite. Notre stratégie doit être redéfinie avec l'État, les producteurs, les régions aussi, récipiendaires des 4 milliards du deuxième pilier de la politique agricole commune. Nous avons soutenu l'approche contractuelle que les producteurs ne voient pas tous d'un bon oeil.

C'est pourtant une nécessité : il faut atteindre des tailles critiques, pour atteindre un pouvoir de renégociation suffisant, ainsi que nous y incite la Commission européenne elle-même, en dépit des réticences des industries transformatrices, mais aussi renforcer les interprofessions, Chacun doit faire un effort : les éleveurs se regrouper, les transformateurs l'accepter. L'organisation professionnelle est une force de proposition, non de confrontation.

La France a choisi des contrats de cinq ans. Associer plus étroitement la grande distribution serait utile. Inclure dans les contrats des références aux grands paramètres et coûts de production également.

Une PAC qui ne serait ni politique ni agricole ni commune n'aurait plus guère de légitimité. C'est un enjeu de demain, de 2020, c'est-à-dire de maintenant. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques.  - Très bien !

M. Jackie Pierre .  - Sur le front de la guerre des prix, accentué par la rivalité entre États membres, l'embargo russe et la fin des quotas laitiers, les éleveurs ont choisi d'augmenter leur production et leur cheptel. Sans succès. Les prix se sont effondrés et la survie des exploitations risque d'être directement menacée. Quelque 30 000 d'entre elles sont au bord du dépôt de bilan, près de 80 000 emplois directs sont aussi compromis.

Dès début juillet, le président Larcher s'est saisi du dossier, et décidait, avec Jean-Claude Lenoir et Jean Bizet, de réunir une conférence agricole pour évoquer avec les représentants de tous les acteurs des filières porcine, bovine et laitière les questions conjoncturelles mais aussi structurelles.

Peu après, la commission des affaires économiques créait un groupe de travail. La prolongation de l'embargo russe a assombri les perspectives de nos agriculteurs qui défilaient en septembre. Ils ont obtenu une « année blanche » du Gouvernement et une aide exceptionnelle de l'Europe de 500 millions d'euros.

L'enjeu n'est pas de critiquer les plans d'urgence du Gouvernement, ils étaient nécessaires. L'enjeu est de soutenir, en votant cette proposition de loi, notre agriculture. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Jacques Lasserre .  - Toutes les filières sont en difficulté, les prix mondiaux sont très médiocres. Merci au rapporteur, il a effectué un travail de très grande qualité durant les auditions. (On renchérit à droite)

L'origine du produit n'est pas en soi un gage de qualité. L'étiquetage doit être plus complet. Il doit contenir des indications techniques sur les modes de production utilisés. Seules les interprofessions peuvent définir son contenu.

Les déductions pour amortissement et les déductions pour investissement sont des mécanismes intéressants. Pour autant, ils ne sont pas exclusifs de la logique assurantielle que je défends. Nous connaissons les limites au développement de l'assurance : le coût élevé des contrats et l'impossibilité pour les assureurs de se réassurer.

J'ai déposé un amendement, et je ne comprends toujours pas pourquoi il a été censuré au titre de l'article 40 par la commission des finances, alors qu'il fléchait une partie du Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) vers les aides au développement de l'assurance.

Comme mes collègues m'y invitent, je m'emploierai néanmoins à proposer une initiative parlementaire en ce sens. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Franck Montaugé .  - « Nous voulons vivre de notre travail ! Ce ne sont pas des primes que nous demandons, c'est une juste rémunération du travail de qualité que nous faisons au service des consommateurs ». Ainsi s'expriment, à juste raison, les paysans de France et les jeunes agriculteurs en particulier...

MM. Roland Courteau et Yannick Vaugrenard.  - Très bien !

M. Franck Montaugé.  - Si le rapporteur Gremillet a accompli un excellent travail, l'on ne trouve rien sur la volatilité des prix dans ce texte.

À mon sens, les réponses à apporter à la crise de l'agriculture sont plus affaire de volonté que de loi. Nous avons ainsi sauvé l'abattoir départemental d'Auch, voué, il y a peu, à la fermeture.

La sécurisation des revenus des agriculteurs ? Vous avez souhaité la fin des quotas laitiers et la fin de la polyculture. Pesez donc de tout votre poids politique sur le très libéral Phil Hogan et la majorité du Parlement européen qui est de votre couleur partisane !

Quelques mesures méritent d'être soutenues, parmi lesquelles l'extension du dispositif de suramortissement de l'article 142 de la loi Macron aux coopératives. Mais je ne vois rien non plus dans ce texte qui ressemble à une réforme structurelle, contrairement à la loi d'orientation qui soutient clairement Gaec, Cuma, GIEE et coopératives.

Alors pourquoi cette proposition de loi ? Pourquoi se précipiter ? Quelques semaines, quelques mois de plus eussent été nécessaires, pour traiter au fond les difficultés structurelles de notre agriculture, afin d'assurer son avenir, et d'améliorer sa compétitivité.

« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » : oui, le groupe socialiste préfère suivre Boileau. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et communiste républicain et citoyen)

M. Gérard Bailly .  - Chute des revenus déjà modestes, fermeture d'un tiers des exploitations d'élevage d'ici 2020... Tout le monde a décrit la situation de l'agriculture. Et pourtant, on continue de montrer du doigt les agriculteurs pollueurs et les ruminants accusés pour leurs flatulences ! (Mouvements divers)

Demandez à nos grands chefs : eux, ils sont heureux de cuisiner nos produits !

M. Bruno Sido.  - Très bien ! (Applaudissements à droite)

M. Gérard Bailly.  - Arrêtons-en avec cette image négative de l'agriculture que véhiculent les écologistes et certains journalistes. Préparons-nous à mieux affronter les vices et les aléas climatiques avec la réserve spéciale pour exploitation agricole (RSEA) et à mieux accompagner nos jeunes agriculteurs en votant cette proposition de loi.

Notre agriculture alimente la population en produits sains, est source d'énergies renouvelables, participe du tourisme vert et de l'entretien de nos paysages.

L'environnement ? Les paysans sont en première ligne. Les pâturages limitent l'érosion, les avalanches et les incendies. Imaginez-vous les pentes du Massif central sans ses broutards et ses ruminants ?

L'année 2016 ne s'annonce pas meilleure que 2015. Je rêvais hier soir d'un soutien unanime à ce texte pour rendre espoir à nos agriculteurs ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi .  - Merci de ces interventions, dont certaines étaient décalées par rapport à celle du ministre, mais nous y reviendrons au cours du débat. Un mot de l'incident survenu au restaurant du Sénat : c'est le président Beulin qui a identifié, lors d'un petit-déjeuner de travail avec la FNSEA, une mention d'origine allemande sur l'étiquette de l'un des produits servis.

J'ai, usant de la faculté qui sera ouverte à l'article 3 de ce texte, écrit au directeur du restaurant du Sénat, géré par une entreprise privée. Il m'a répondu que cet ingrédient, des petites peaux de lait, venaient bien d'Allemagne, que le tir serait corrigé car à présent, m'a-t-il confirmé, la quasi-totalité des produits servis dans son établissement, sinon certains fruits exotiques et les épices, proviennent de notre pays. (Exclamations) Bref, les sénateurs aiment le lait et les épices ! (Bonne humeur générale)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

M. le président.  - Amendement n°21, présenté par M. Le Scouarnec et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La France promeut au niveau communautaire la mise en oeuvre de toutes les mesures permettant de garantir des prix rémunérateurs aux producteurs : mise en place d'un prix minimum européen pour chaque production prenant en compte les spécificités des différentes zones de production, activation de dispositions visant à appliquer le principe de préférence communautaire, mise en oeuvre de clauses de sauvegarde ou tout autre mécanisme concourant à cet objectif.

M. Michel Le Scouarnec.  - Seul un prix minimum européen garantira partout en Europe les mêmes normes sociales et environnementales. Nous demandons également l'application de la préférence communautaire et une clause de sauvegarde pour protéger nos exploitations.

M. André Trillard.  - Attendez que Marine Le Pen passe !

M. Daniel Gremillet, rapporteur.  - Notre commission a créé un groupe de travail sur la PAC. Votre amendement relève plutôt d'une proposition de résolution européenne. Avis défavorable.

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Le système de prix minimal a existé quand l'Europe était constituée de six à neuf membres. Il serait difficile aujourd'hui de fixer un prix qui convienne à vingt-huit États. Si nous y revenions avec un principe de préférence communautaire, nous ne pourrions plus exporter. Or, pour ne prendre qu'un exemple, nous vendons à l'étranger 10 milliards des 22 milliards de litres de lait produits en France, sous quelque forme que ce soit - lait en poudre, fromage et j'en passe.

Mieux vaut trouver un mécanisme de lissage pour éviter une répercussion brutale des baisses de prix sur les producteurs et parier sur la qualité comme l'ont fait les viticulteurs du Languedoc-Roussillon. Avis défavorable.

L'amendement n°21 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°22, présenté par M. Le Scouarnec et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La France défend au niveau communautaire la mise en oeuvre de mécanismes de régulation, notamment le maintien ou la création de quotas pour certaines productions, et l'activation d'outils de stockage public de productions agricoles et alimentaires.

M. Michel Le Scouarnec.  - Dans la droite ligne de l'amendement précédent, nous invitons la France à défendre une PAC renouant avec une régulation par les quotas. L'agriculture n'est pas un secteur comme un autre : elle est essentielle aux paysages. Cela justifie pleinement de la soustraire à la spéculation des marchés.

M. Daniel Gremillet, rapporteur.  - Avis défavorable comme à l'amendement précédent.

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Parfois, on parvient à rétablir une régulation : voyez les droits de plantation pour le vin en Languedoc. Heureusement pour nos AOP !

Je n'ai rien pu faire, en revanche, sur les quotas sucriers, sans repousser leur fin de 2015 à 2016, le temps de structurer la filière. Ce n'est pas fait, deux grandes coopératives se divisent. Je me battrai jusqu'au bout pour arracher un accord.

M. Jean Bizet.  - Le Sénat sera derrière vous !

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Le prix d'intervention est de 220 euros pour la tonne de lait. Il n'a pas été revalorisé depuis vingt ans pour la viande. À Bruxelles, on estime que ces prix d'intervention ont abouti à ces montagnes de beurre, de lait et de frigos remplis de viande ne trouvant pas consommateur. J'aurais préféré qu'on relève ces prix plutôt qu'un plan de 500 millions d'euros. Heureusement, malgré tout, que cette aide exceptionnelle a été débloquée ! Je reviendrai à la charge à Bruxelles. Retrait ?

L'amendement n°22 est retiré.

ARTICLE PREMIER

M. Michel Raison .  - Monsieur le ministre, vous n'êtes ni la seule cause de cette crise ni son seul remède. Soutenez donc les parlementaires quand ils prennent des initiatives utiles.

Rapporteur de la loi de modernisation agricole, je connais bien le problème de la régulation. Cet article incitera le collecteur, le transformateur, à être plus conscient du prix de revient pour les agriculteurs. Ainsi je le voterai. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains).

L'article premier est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

M. le président.  - Amendement n°37, présenté par M. Gremillet, au nom de la commission.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Le I de l'article L. 631-24 est ainsi modifié :

a) La seconde phrase du huitième alinéa est ainsi rédigée :

« Dès lors que l'acheteur a donné son accord au changement de producteur dans le cadre d'une reprise à un nouveau producteur satisfaisant aux conditions de qualification ou d'expérience professionnelle prévues à l'article L. 331-2 engagé dans la production depuis moins de cinq ans, l'acheteur est tenu de proposer au producteur un contrat d'une durée minimale prévue par le décret mentionné au cinquième alinéa du présent I, dont les conditions sont identiques à celles convenues avec le précédent producteur. » ;

b) Le neuvième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Ce décret peut rendre incessibles les contrats de vente conclus entre producteurs et acheteurs de produits d'une ou de plusieurs productions. » ;

2° Le I de l'article L. 671-9 est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« ...° Le fait, pour tout bailleur, tout preneur sortant, tout exploitant agricole, tout intermédiaire ou tout acheteur de produits agricoles soit, d'avoir, directement ou indirectement obtenu une remise d'argent ou de valeurs en vue de procéder au transfert entre producteurs d'un contrat rendu obligatoire au titre du neuvième alinéa du I de l'article L. 631-24, soit d'imposer ou tenter d'imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci.

« Les sommes indûment perçues sont sujettes à répétition et majorées d'un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux de l'intérêt légal mentionné à l'article L. 313-2 du code monétaire et financier majoré de trois points.

« En cas de reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci, l'action en répétition peut être exercée dès lors que la somme versée a excédé ladite valeur de plus de 10 %.

« L'action en répétition exercée demeure recevable pendant toute la durée du contrat transféré et de ses renouvellements ou reconductions successifs. »

M. Daniel Gremillet, rapporteur.  - Lors des auditions, nous avons découvert que le phénomène des rachats de contrats laitiers prenait de l'ampleur. Cet amendement le découragera en protégeant l'acheteur contre une modification des conditions et en supprimant la possibilité de « marchandiser » le contrat. Cette dernière disposition est calquée sur les dispositions prévues à l'article L. 411-74 du code rural visant les baux ruraux pour exclure les « pas-de-porte ».

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Les quotas laitiers ont été justement supprimés à cause de leur marchandisation des contrats : cela doublait le prix de l'installation : il fallait payer les bâtiments et les contrats. On ne va pas laisser ce phénomène reprendre ; 100 % d'accord avec vous. Cependant, j'ai besoin de temps pour vous proposer une solution juridiquement plus solide.

M. le président.  - La Conférence des présidents devant se réunir, je vais suspendre la séance.

La séance est suspendue à 19 h 20.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

La séance reprend à 21 heures.