SÉANCE

du mardi 15 mai 2018

82e séance de la session ordinaire 2017-2018

présidence de M. Philippe Dallier, vice-président

Secrétaires : Mme Françoise Gatel, M. Michel Raison.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Les infrastructures routières après le rapport du conseil d'orientation des infrastructures du 1er février 2018

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur « les infrastructures routières à la suite de la présentation du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures du 1er février 2018 », sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des présidents.

L'auteur du débat disposera d'un temps de parole de 8 minutes, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande disposera d'un droit de conclusion pour une durée de 5 minutes.

M. Benoît Huré, pour le groupe Les Républicains .  - Le groupe Les Républicains a souhaité l'inscription de ce débat à l'ordre du jour, pour rappeler notre attachement à notre réseau routier exceptionnel. Très étendu, il s'accroît et sa longueur est passée de 962 milliers de kilomètres en 1995 à plus d'un million de kilomètres en 2014.

Il est composé de 11 560 kilomètres d'autoroutes dont 8 951 kilomètres d'autoroutes concédées, 9 645 kilomètres de routes nationales, 378 973 kilomètres de routes départementales et 673 290 kilomètres de routes communales.

Ce réseau est un atout formidable pour nos territoires à condition d'être bien entretenu. Or la détérioration de ce patrimoine a provoqué l'augmentation de son coût d'entretien.

Alors que plus de 85 % des chaussées étaient jugées correctes de 2010 à 2012, avec une note de 12/20, elles n'étaient plus que 83,3 % à l'être en 2015.

Cette dégradation se traduit sur le terrain par la multiplication des limitations de vitesse temporaires ou des restrictions de circulation.

Les crédits dédiés à l'exploitation et à l'entretien, en baisse, ne sont pas suffisants. Ceux de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) ont vocation à financer des opérations de régénération, de mise en sécurité des tunnels, des aménagements de sécurité, des équipements dynamiques et des aménagements de services et d'aires de repos.

Malheureusement, la politique des gouvernements précédents a entraîné une inadéquation entre les ressources et les dépenses de l'Afitf. Le report puis l'abandon de l'écotaxe, décidé fin 2014, ont été lourds de conséquences. Du fait de la diminution de la subvention de l'État dès 2013, les ressources de l'agence sont passées de 1,9 milliard d'euros en 2012 à 1,6 milliard en 2013 et 1,7 milliard en 2014.

Le paiement des frais de la résiliation du contrat avec la société Ecomouv', chargée de la collecte de l'écotaxe, a atteint 528 millions d'euros en 2015, sur un milliard d'euros au total, échelonné sur plusieurs années.

En 2017, alors que les besoins de financement de l'agence étaient estimés à 2,5 milliards d'euros par son ancien président, Philippe Duron, son budget s'est élevé à 2,2 milliards d'euros.

Les sociétés concessionnaires ont l'obligation d'assurer la qualité du réseau autoroutier sous le contrôle de l'État cependant, qui définit des indicateurs à cette fin. Si la proportion des autoroutes en très bon état de surface est restée stable à 65 % ; celle des autoroutes en bon état a diminué, passant de 31 % à 18 % en 2013 et celle des autoroutes dont l'état est plus ou moins dégradé est passée de 5 % à 16 %. Cette dégradation du réseau autoroutier n'est pas acceptable.

Dans son rapport de juillet 2013, la Cour des comptes relevait le fait que l'État n'utilisait pas suffisamment les outils à sa disposition pour contraindre les sociétés concessionnaires à remplir leurs obligations.

Ce débat concerne aussi l'aménagement du territoire. Que seraient devenues la Bretagne, la Vendée, les vallées alpines par exemple, sans les investissements de l'État dans les infrastructures routières ? (On approuve sur plusieurs bancs au centre et à droite.)

Je suis élu des Ardennes, département enclavé, ce « pays où l'on n'arrive jamais » selon André Dhôtel, qu'un préfet en fin de carrière a qualifié moins poétiquement, à la fin des années 1990, de « réduit ardennais ».

Dès lors, le conseil général des Ardennes a convaincu l'État et la région d'investir et de construire avec lui une liaison autoroutière permettant à la fois d'arrimer les Ardennes au réseau français et à partir de juillet de cette année au réseau autoroutier Nord européen. Il en aura coûté au budget départemental, entre 2002 et 2018, plus de 235 millions d'euros, soit plus que la totalité de sa dette actuelle.

Plusieurs régions françaises restent enclavées et les terrains restent criants. L'Espagne, le sillon rhodanien et le sud du Massif central constituent un premier axe ; un second relie l'Atlantique Ouest à Strasbourg et à l'Allemagne. Un troisième axe stratégique s'étend de la Normandie et relie Le Havre à Charleville-Mézières, continuant jusqu'au Luxembourg et Giessen en Allemagne, irriguant sur son passage la Picardie, la Thiérache axonaise et le Nord-Est de la France.

Les territoires traversés doivent pouvoir moderniser leur réseau routier départemental pour que 90 % de la population de notre pays ait accès à un échangeur autoroutier en moins de dix minutes...

M. le président. - Veuillez conclure...

M. Benoît Huré.  - Enfin, la création d'un établissement public, financé par le transport routier, pour mener la rénovation du réseau national et la construction de nouvelles infrastructures routières et autoroutières serait bienvenue. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - (Applaudissements des bancs du groupe RDSE jusqu'aux bancs à droite) C'est avec plaisir que j'interviens à nouveau à cette tribune pour poursuivre nos échanges sur le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) après avoir débattu avec vous le 13 mars dernier des grands principes de la politique globale de mobilité et le 28 mars de l'avenir des lignes à grande vitesse et de l'aménagement du territoire.

Notre objectif est de bâtir une société de mobilité inclusive dont chaque territoire, chaque citoyen puisse tirer parti. La route y a toute sa place.

Pas moins de 90 % du transport des marchandises et des voyageurs prennent la route. Dans le cadre de notre politique de lutte contre le changement climatique, développer les mobilités alternatives est une priorité fondamentale.

La France compte un million de kilomètres de maillage extrêmement fin.

La route du XXIe siècle n'aura que peu à voir avec celle cartographiée et développée par Daniel Charles Trudaine au XVIIIe siècle. Demain, la route sera encore plus propre, innovante, connectée et sûre. Elle devra favoriser la circulation des véhicules électriques, autonomes, du vélo, des transports en commun innovants à faible émission, le covoiturage et la multimodalité.

Le président de la République a fixé des objectifs clairs dans son discours de Rennes. Les besoins de nos concitoyens ont beaucoup évolué. La route du futur devra être plus sobre, ce qui implique que nous révisions nos modes d'actions. Votre Haute Assemblée appelle ces changements de ses voeux depuis longtemps. Je comprends votre impatience.

Faire de la route un vecteur d'inclusion est l'un des grands défis de demain. Gérard Cornu a dénoncé les « annonces et la fuite en avant ». Le COI présidé par Philippe Duron a fait des propositions, dans son rapport qui m'a été remis le 1er février dernier. Je salue la participation du président Maurey, de MM. les sénateurs Gérard Cornu et Michel Dagbert à ce travail considérable qui propose une véritable stratégie d'investissement pour les deux décennies qui viennent selon trois scénarios : le premier à ressources constantes permet juste d'entretenir le patrimoine existant ; le deuxième affichant des moyens en hausse de 600 millions d'euros par an ; le troisième nécessitant 80 milliards d'euros sur vingt ans, soit un doublement du budget de 2012-2016 pendant au moins dix ans.

Quel que soit le scénario retenu, certaines priorités se dégagent : la première concerne l'entretien, la régénération et la modernisation du fonctionnement du réseau national non concédé, en état critique pour l'instant. Pas moins de 50 % des chaussées sont à renouveler. Un pont sur dix est en mauvais état. Dans son rapport de 2017, le président Maurey tirait déjà la sonnette d'alarme. Au rythme actuel, il faudrait deux décennies pour remettre en état ce patrimoine.

Je suis très attachée à la desserte routière de nos territoires. On repousse les travaux de contrat de plan en contrat de plan, de décennie en décennie. Il est temps d'agir.

L'État doit développer et diffuser des techniques adaptées à des routes sobres et peu coûteuses. À nous de phaser les projets pour résoudre les problèmes de confection. Le rapport du COI ouvre une nouvelle phase. Le Gouvernement s'inspirera de ces recommandations pour élaborer la future loi sur les mobilités dont je présenterai le projet avant l'été. Nos priorités seront de préserver et moderniser le réseau national, de désenclaver les territoires mal desservis mais aussi...

M. Loïc Hervé.  - Oui ! C'est très important.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - ... d'améliorer les itinéraires. Cette programmation s'appuiera sur des ressources solides et pérennes : nous privilégierons le paiement par l'usager ou le bénéficiaire final. Il faut enfin en terminer avec les promesses non tenues parce qu'intenables : réhabiliter la parole publique passe par davantage de sincérité, budgétaire en particulier. C'est raisonnable et possible...

M. le président. - Veuillez conclure.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je compte sur votre exigence pour nous accompagner dans cette louable entreprise. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes RDSE et UC)

M. le président.  - Dans la suite du débat, chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente. Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Étant rapporteur du budget des routes pour 2018, mon intervention portera sur le réseau national non concédé. Je me félicite de la nomination du nouveau président de l'Afitf. Le rapport qui vous a été remis début mars n'est toujours pas accessible. Il semble que les moyens du réseau non concédé soient réduits. Peut-on connaître les résultats de l'audit ? Quelles ressources nouvelles l'État compte-t-il mobiliser au regard des 300 millions annuels préconisés par le rapport ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La loi propose d'amplifier l'effort en matière de modernisation de nos infrastructures. Le rapport souligne l'état critique des chaussées dont 40 % sont à renouveler et des ouvrages d'art avec 30 % des ponts à réparer.

Nous devrons porter progressivement à un milliard d'euros le budget alloué au renouvellement et à la modernisation des infrastructures. Nous agissons ainsi en faveur de la sécurité des usagers.

M. Jean-Pierre Corbisez.  - Les membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable souhaitent travailler sur cet audit. Certains territoires risquent de subir une sorte de double peine en devant payer pour la réparation des ouvrages d'art.

M. Arnaud Bazin .  - Des grandes infrastructures circumparisiennes, aucune ne débouche vers le Val d'Oise, seul département de la couronne parisienne non relié au périphérique.

Si la liaison vers l'est de Cergy à Poissy a été réalisée, à l'initiative du conseil départemental et avec le soutien de la région, le bouclage vers l'ouest par le prolongement de Méry-sur-Oise jusqu'à Orgeval reste une ardente nécessité.

L'A15 débouche sur une zone à deux voies sans cesse encombrée. Le Val d'Oise est un cul-de-sac de la Francilienne. L'État avait retenu un tracé en 2006, mais le bouclage de l'A104 est depuis passé dans les secondes priorités et renvoyé par le rapport Duron « vers » 2030, soit aux calendes grecques. Que deviendrait dans ces conditions le projet de grand anneau de la ville monde que veut et pourrait être le Grand Paris ? Serait-il renvoyé à 2050, au plus « tôt » ? Que devient le port Seine Métropole Ouest à Achères ? Quid du développement du bassin de vie de la confluence Seine Oise?

Quel est votre objectif en matière de réalisation de ces infrastructures ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je suis tout à fait consciente de ces enjeux. L'amélioration de la desserte du nord-ouest de l'Île-de-France est essentielle. Les contraintes budgétaires sont lourdes : il faut dégager trois milliards d'euros, pour lesquels aucun plan de financement crédible n'a encore été présenté. Ce projet pose aussi des difficultés importantes d'insertion dans les Yvelines.

Le COI a mis en avant les difficultés environnementales et la priorité à donner aux solutions alternatives à la route.

Nous devons optimiser le réseau existant et favoriser le report des usagers sur les transports collectifs ; car à court terme l'A104 n'est pas la solution.

M. Antoine Karam .  - Il est temps de sortir de décennies de promesses non financées, avez-vous dit. Président de la région Guyane pendant dix-huit ans, je peux en témoigner. La commune de Maripasoula est inaccessible par la route. Une simple bouteille d'eau ou de gaz y coûte trois fois plus cher que sur le littoral. En 2009, un premier tronçon de route de 54 kilomètres a été construit par les collectivités, sans aucune aide de l'État ni de l'Union européenne, mais il n'est pas achevé.

Quel est votre sentiment sur le développement des infrastructures routières pour un véritable désenclavement des territoires, en particulier outre-mer ? On ne peut pas compter uniquement sur le fluvial et l'aérien.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Conformément à un engagement de campagne du président de la République, le Gouvernement a lancé des assises de l'outre-mer à l'automne dernier. Je suis très attachée au désenclavement de ces territoires.

Le plan d'urgence outre-mer de 2017 est très ambitieux. Il propose 300 millions d'euros d'investissements pour les deux routes nationales existantes, mais la desserte route de Maripasoula n'y est pas. Le Gouvernement tiendra ses engagements en Guyane.

Les services de l'État y sont pleinement mobilisés, notamment pour les RN1 et 2 de sortie de Cayenne, congestionnées.

M. Antoine Karam.  - La Guyane compte 84 000 kilomètres carrés pour 407 kilomètres de routes dont seulement sept kilomètres de voie rapide. Je vous ferai parvenir une vidéo de six minutes révélatrice de la situation.

Mme Éliane Assassi .  - Ce débat est une bonne chose. Mais les autoroutes concédées en sont les grandes absentes. Abordons le sujet de leur renationalisation.

Les concessions sont un scandale d'État, une captation par le privé de revenus financés par les impôts, tandis que le rendement est garanti pour les actionnaires.

Le rapport Duron dit qu'il faut s'atteler dès à présent à ce sujet.

Il suffit de dénoncer les concessions et de dédommager les concessionnaires. Nous avons fait une proposition de loi dans ce sens.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - J'en profite pour dire qu'il n'a jamais été question de privatiser la SNCF, Mobilités et Réseau. La loi affirmera désormais que les titres sont intégralement détenus par l'État, ce qui est en soi une meilleure protection que leur incessibilité, mais nous en reparlerons ici lors du prochain débat sur la loi ferroviaire. (Mme Éliane Assassi le confirme.)

Un rapport parlementaire a été rendu en 2015 sur les concessions autoroutières. Le besoin de financement serait de plusieurs dizaines de milliards d'euros. Nos concitoyens souhaitent-ils les payer ?

Les contrats de concession ont été modifiés pour plafonner les revenus des concessionnaires. L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) dispose désormais d'un pouvoir de contrôle et de sanction sur les concessionnaires.

M. Jean-Claude Luche .  - Le 6 mars dernier, je vous rencontrais avec les élus aveyronnais, parlementaires, président du conseil départemental et représentante de la région Occitanie, pour plaider le passage à deux fois deux voies de la RN88 qui relie Toulouse à Lyon, dans sa partie aveyronnaise, entre Rodez et Séverac-le-Château.

Le conseil départemental de l'Aveyron a proposé d'assurer la maîtrise d'ouvrage déléguée entre Rodez et le Causse Comtal. Qu'en est-il ?

Il devient urgent de renforcer la sécurité de cet axe majeur pour notre département où l'on dénombre trois décès depuis le début de l'année.

Faudra-t-il attendre que les cinquante collégiens aveyronnais de Baraqueville présents dans nos tribunes parviennent à la retraite (Sourires) pour que la route soit correctement aménagée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Vous connaissez mon engagement pour le désenclavement des territoires et pour la sécurité des routes.

Le projet a avancé près de Toulouse. La mise en service est prévue mi-2020 et 13 millions d'euros sont programmés en 2018 à cet effet.

Quelque 350 millions d'euros seraient nécessaires pour la mise à deux fois deux voies sur la totalité du tracé sur lequel vous m'interrogez. Un phasage s'impose donc. J'ai demandé au préfet d'y travailler.

Afin de disposer de tous les éléments concernant le raccordement de Rodez à l'A75, je vous propose de refaire le point d'ici mi-juin.

M. Jean-Claude Luche.  - Les collectivités territoriales se saigneront pour accompagner l'État alors que c'est de sa responsabilité. Elles sont prêtes à fournir la moitié de l'investissement que vous évoquez, laissant à la charge de l'État seulement 150 millions à 170 millions d'euros. Le phasage n'est pas difficile. Une solution est urgente et prioritaire pour relier Rodez et Séverac-le-Château.

M. Joël Bigot .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) La lutte contre la congestion routière et la pollution est l'une des priorités du rapport du COI.

Je souhaite appeler votre attention sur l'impact du numérique. Le trafic poids lourds est dévié sur les routes secondaires par les applications de gestion du trafic fondées sur des algorithmes visant le trajet le plus court ou le moins cher, entraînant des nuisances pour les riverains et des dégradations des voieries locales.

La recrudescence des véhicules utilitaires légers (VUL) sur nos routes, liée à l'explosion de la vente par Internet, renforce ce surplus de trafic.

L'efficacité du transport routier ne peut se faire au mépris des conditions de vie de nos concitoyens et de l'état des infrastructures financées par nos collectivités. Les élus locaux tentent de couper le trafic à coup d'arrêtés d'interdictions de circulation. Mais ceux-ci entraînent de nouveaux reports et ne règlent pas le problème à la racine.

Quelles mesures concrètes pour conserver un niveau satisfaisant de service et contrer ce trafic, très loin d'être virtuel ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Les évolutions technologiques et l'émergence de systèmes de communication tels Coyote et Waze ont en effet modifié la situation.

Il est bénéfique pour tous d'aller vers un plus grand partage de données. C'est le cas sur le site du ministère pour le portail mis en place depuis le 1er septembre 2016 afin d'informer de l'état des chaussées du réseau.

Il faut aussi limiter les effets secondaires de l'utilisation de plus en plus massive de ces données. Nous pouvons travailler avec les opérateurs sur les informations et les collectivités territoriales sur les interdictions ou restrictions de trafic.

Évitons le dumping qui consiste à privilégier les véhicules utilitaires légers, pénalisant pour l'environnement et la sécurité routière. Le rapport du député Damien Pichereau est éloquent à ce sujet.

M. Alain Fouché .  - Les besoins d'entretien des routes françaises sont bien connus. Le rapport du COI appelle à financer la rénovation des routes.

L'état des routes est encore très convenable mais les dépenses des collectivités locales consacrées à la voirie ont baissé de 2013 à 2015, selon plusieurs rapports. Ainsi, le financement des routes par les collectivités territoriales a chuté de 19 % soit 15 milliards d'euros, ou 0,6 % de la valeur du patrimoine routier national : à ce rythme, il faudrait 160 années pour le renouveler !

L'ouverture du transport ferroviaire de voyageurs à la concurrence va modifier la carte de France des mobilités locales. N'oublions pas cependant que la France est un réseau de 36 000 communes qui communiquent entre elles. Le déploiement de routes locales est complémentaire, pour assurer la vitalité du territoire.

Comment envisagez-vous la cohésion des politiques d'infrastructures routières et ferroviaires ? Quels investissements souhaitez-vous mettre en place pour développer les infrastructures locales ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Il n'est pas question que l'ouverture à la concurrence se traduise par une moindre desserte ferroviaire des territoires.

C'est bien l'ouverture à la concurrence qui a redynamisé des itinéraires ferroviaires peu fréquentés, chez nos voisins allemands, où les lignes jadis fréquentées par quelques centaines de voyageurs l'ont été, à la suite de cette ouverture, par 10 000 voyageurs.

Les engagements de l'État dans les contrats de plan seront tenus.

Cette politique ferroviaire sera d'autant plus efficace qu'elle sera articulée avec les autres modes de mobilité. Nous avons en effet une vision d'ensemble de la mobilité dont le ferroviaire est la colonne vertébrale.

M. Alain Fouché.  - Madame la Ministre, faites passer au Premier ministre, très attaché aux 80 kilomètres-heure et aux amendes, notre message : deux millions de personnes sont aujourd'hui flashées par les radars embarqués de la police ; ce serait 12 millions de flashs avec des radars confiés à des entreprises.

Eh bien, les Français veulent que tout cet argent des amendes aille uniquement à la sécurité routière, et diminue ainsi les dépenses de santé.

M. Patrick Chaize .  - Le contournement de Lyon par l'Ouest, pour un périphérique lyonnais, a longtemps été évoqué.

Gérard Collomb a récemment dit que ça ne se ferait jamais. Avec le tunnel de Fourvière, toujours congestionné, Lyon sera encore pour longtemps la grande capitale du bouchon (sourires)...

Le grand contournement a des conséquences lourdes pour le département de l'Ain. Quelles sont les dispositions prévues par le Gouvernement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je suis consciente des nuisances générées par le trafic de transit, de plus de 90 000 véhicules par jour.

Le contournement par l'Est mobiliserait moins de financement ; il est donc privilégié. Il ne capterait pas le trafic de transit puisqu'il ajouterait 35 kilomètres à l'itinéraire Nord-Sud.

Dans la concertation, nous étudierons et élaborerons une stratégie de long terme.

M. Philippe Bonnecarrère .  - Je vous souhaite, Madame la Ministre, de trouver une issue favorable aux sujets nationaux de votre responsabilité qui sont au coeur de l'actualité.

L'autoroute Castres-Toulouse est un engagement datant de plusieurs années. Le principe de délégation a été retenu, même si, dans le meilleur des mondes, ce n'est pas forcément ce que vous auriez souhaité. Aucune autre solution n'a été proposée. L'enjeu est essentiel car 150 000 habitants sont concernés. Le rapport Duron a retenu le caractère prioritaire de ce projet en le classant dans le scénario 2. Madame la Ministre, pouvez-vous le confirmer ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Vous connaissez mon attachement à la desserte du bassin d'emploi de Castres et Mazamet et au territoire de l'est toulousain. Jeudi, je vous rencontrerai à Toulouse avec les élus locaux. Le désenclavement du sud du Tarn est un objectif ancien pour une meilleure structuration de l'aire métropolitaine avec un développement en étoile de villes moyennes autour de Toulouse.

La commission d'enquête a rendu un avis favorable et je vous confirme que les engagements pris seront tenus. La déclaration d'utilité publique pour le doublement de la bretelle de l'A680 a été actée, et la concertation avec les acteurs locaux se poursuit. Nous débattrons de ces sujets dans le volet programmation de la loi d'orientation des mobilités.

M. Philippe Bonnecarrère.  - Merci, Madame la Ministre, d'être attentive au respect des engagements pris envers les Tarnais.

M. Jean-Michel Houllegatte .  - Depuis les années 2000, les autoroutes françaises sont majoritairement régies par des partenariats public-privé sous la forme de concessions ou, plus rarement, de marchés de partenariat.

En dix ans, les tarifs des péages ont augmenté de 20 %, et encore de 1 % à 4 % au 1er février dernier. C'est difficilement acceptable, quand la rentabilité des sociétés privées autoroutières atteint 20 % à 24 % - ce que l'Arafer juge peu conforme aux risques supportés. Sur l'A28, cela coûte 23,70 euros pour faire 161 kilomètres entre Rouen et Alençon !

Le nouveau plan d'investissement autoroutier devrait être l'occasion d'encadrer les tarifs des péages. Sans compter que l'accord du 9 avril 2015 entre l'État et les sociétés d'autoroutes n'a toujours pas été communiqué, malgré l'avis de la Commission d'accès aux documents administratifs et l'injonction du tribunal administratif.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le système de concession a permis de développer 9 000 kilomètres d'autoroutes de grande qualité, c'est un actif de 150 milliards d'euros qui a vocation à revenir in fine à l'État. Ces infrastructures présentent un meilleur niveau de sécurité que le réseau secondaire, sont très bien entretenues et avec des emplois à la clé. Le réseau concédé représente 75 % du réseau autoroutier français.

Le risque de trafic est supporté par le partenaire privé et la rémunération est liée à ce risque. Lorsque ces concessions arriveront à leur terme, on pourra toutefois se demander si d'autres modèles ne seraient pas préférables, pour éviter de rémunérer un risque inexistant.

La loi Croissance et activité de 2015 a donné de nouveaux outils à l'Arafer pour contrôler les sociétés concessionnaires.

M. Alain Dufaut .  - Ce débat était plus que nécessaire, tant les conclusions du COI sont arbitraires et prises sans concertation avec les élus locaux.

L'État revient sur ses engagements en supprimant des opérations pour lesquelles il avait déjà contractualisé avec les collectivités. Cela porte un coup fatal à sa crédibilité. Le projet de liaison est-ouest au sud d'Avignon (LEO) a ainsi été retoqué et reporté à 2037 ! Son principe avait été lancé en 1987...

Seul le premier tronçon de la DUP a été inauguré - mais il ne débouche sur rien !

Le 28 septembre 2016, le contrat de plan actait la réalisation d'une partie de la tranche 2, soit 1,5 kilomètre ... ce que le Comité remet aujourd'hui en question.

Vous imaginez la réaction des élus locaux. Les députés d'Avignon et de Châteaurenard ont rencontré votre directeur de cabinet, puis une imposante délégation est montée à Matignon saisir le Premier ministre. Il faut vite réaliser en totalité la tranche 2 de la LEO pour mettre fin à l'enfer quotidien des riverains de la rocade d'Avignon : 44 000 véhicules par jour, dont 3 000 poids lourds !

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Alain Dufaut.  - Il faut aussi réaliser la tranche 3, avec le viaduc sur le Rhône, en la finançant par une concession ou un PPP.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le COI, ce n'est pas l'État. C'est une commission associant des sénateurs - dont le président Maurey - des députés, des élus locaux et des experts. Ils ont multiplié les réunions de concertation et les visites sur le terrain.

Reste que le Comité n'avait peut-être pas à se prononcer sur le projet LEO, qui a vocation à se réaliser dans le cadre des contrats de plan. J'ai conscience des problèmes de congestion et de la nécessité de délester la rocade actuelle.

La première tranche a été mise en service en octobre 2010. Les engagements pris dans le contrat de plan pour la première phase de la deuxième tranche seront honorés. La deuxième phase a vocation à figurer dans le prochain contrat de plan. Quant à la tranche 3, qui est un nouveau pont d'Avignon, elle représente un coût important et pourra se faire sous forme de concession.

Mme Nicole Bonnefoy .  - En mars 2017, un avenant au contrat de plan État-Région Nouvelle Aquitaine prévoyait une augmentation de 25 millions d'euros pour l'aménagement de la RN141 entre Angoulême et Limoges et la mise à deux fois deux voies de la section Chasseneuil-sur-Bonnieure et Exideuil-sur-Vienne.

Étant donné l'état calamiteux de la ligne ferroviaire Angoulême- Limoges, peut-on espérer que la RN141 bénéficiera de moyens supplémentaires de la part de l'État, et une accélération des travaux ? La Charente a un besoin urgent de l'un comme de l'autre.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je suis consciente des enjeux : fiabilisation des temps de parcours, sécurité routière, qualité de vie des riverains. La RN141 est la section ouest de la route Centre-Europe Atlantique, elle relie la façade atlantique au sillon rhodanien. Elle a vocation à être progressivement aménagée en deux fois deux voies. C'est déjà le cas de Royan à Limoges. Pour la suite, 150 millions d'euros ont été inscrits dans l'actuel contrat de plan, dont 80 millions de l'État. Sur le tronçon allant de La Vigerie à Villesèche, les travaux ont commencé en octobre 2016. Sur Chasseneuil-Exideuil, le dernier tronçon de la RN sur 20 kilomètres, plus de 10 millions d'euros ont été inscrits en 2018, malgré les contraintes budgétaires, preuve de la volonté de l'État. Cet aménagement a vocation à être poursuivi dans le cadre du plan de désenclavement que comportera la future loi de programmation des infrastructures.

M. Gérard Longuet .  - La RN135 n'est qu'un petit bout de route entre la RN4 et la coquette préfecture de la Meuse, Bar-le-Duc. Elle a toutefois une dimension nationale, et je veux attirer votre attention, ainsi que celle de vos collègues MM. Hulot et Le Cornu, sur cette bretelle qui permettra l'accès au projet Cigéo de stockage souterrain des déchets nucléaires.

Au-delà de l'accord signé en 2017, le Gouvernement doit s'engager à ne pas reporter à début 2021 le début des travaux et à intégrer la réflexion sur cette route à une réflexion d'ensemble sur la desserte du site Cigéo.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - En effet, la RN135 voit passer 10 000 véhicules par jour sur la section centrale, 14 000 à ses extrémités. L'État a anticipé, avec le contournement de Bar-le-Duc et la déviation de Longeville-en-Barrois. La déviation de Velaines est inscrite au contrat de plan pour 48 millions d'euros, dont 27 millions venant de l'État. Les travaux préparatoires pourraient commencer en 2019.

Nous devons disposer d'un diagnostic global pour anticiper les améliorations à apporter afin de garantir la qualité de service sur cet axe.

M. Gérard Longuet.  - Merci de prendre en compte la cohérence de l'action gouvernementale entre votre secteur et celui de l'énergie : il ne faudrait pas que ce chantier gênât les riverains et les habitants de Ligny-en-Barrois.

M. Didier Mandelli .  - Après ce tour de France des routes, passons au Grand Ouest. Après l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, M. Rol-Tanguy a été chargé d'étudier les alternatives pour améliorer la desserte de ce territoire.

Le projet d'autoroute A831 entre Fontenay-le-Comte et Rochefort, en Vendée, a été abandonné par Ségolène Royal - dont vous étiez directrice de cabinet - mais sans qu'émerge un projet alternatif consensuel. Où en sont les réflexions ? J'ai demandé à être reçu par M. Rol-Tanguy, sans succès à ce stade...

Quid de la proposition, émise par le COI, d'étendre les concessions aux voies express ? Quelle est la position du Gouvernement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je sais les élus vendéens et charentais attachés au projet d'A831. Depuis que la déclaration d'utilité publique est tombée en 2015, des scénarios alternatifs ont été explorés autour du réaménagement du réseau départemental existant - mais n'ont pas reçu l'aval des élus locaux, qui tiennent à une autoroute.

L'amélioration de la desserte de ce territoire n'est pas abandonnée, et le Gouvernement est prêt à reprendre les discussions avec les élus pour faciliter les déplacements entre Nantes et La Rochelle.

J'ai échangé avec le président Retailleau et la présidente du conseil régional, le 4 mai dernier. Le Gouvernement travaille avec les régions pour un pacte d'amélioration des mobilités. La liaison entre Vendée et Charente-Maritime ne sera pas oubliée. Nous travaillons aux outils de financement.

M. Rémy Pointereau .  - Le maillage routier est un levier d'attractivité pour nos territoires, notamment ruraux. Dans le Cher, nous subissons la double peine : abandon du ferroviaire sur les lignes principales comme secondaires, mais aussi abandon ou report de projets d'infrastructures routières, pourtant indispensables au désenclavement de notre département et de ses voisins. Je pense au projet de liaison Bourges-Auxerre-Troyes, cher à Jean-Pierre Soisson, ou à la RN151 - propriété de l'État - reliant Bourges à Châteauroux et Poitiers.

Le COI constate que le réseau routier n'a pas évolué ces dernières années. Pour autant, le rapport Duron n'a pas arrêté la liste des routes qui bénéficieront d'un programme de rénovation. Ma question est simple : le Cher figurera-t-il sur cette liste ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Les enjeux de désenclavement des territoires seront au coeur de la future loi de programmation des mobilités.

Beaucoup de nos territoires souffrent du rythme insuffisant de réalisation des projets prévus de longue date dans les contrats de plan - je pense aux RN2, 88 ou 161. Il faut donner un coup d'accélérateur pour mettre à niveau notre réseau routier national. C'est essentiel au développement des territoires : si nous n'offrons pas de liaisons satisfaisantes avec les métropoles et les grands axes, les entreprises risquent de quitter nos villes moyennes.

La RN151 joue un rôle majeur dans la desserte de Bourges et des zones rurales du Cher. Le contrat de plan prévoit plusieurs aménagements pour améliorer la sécurité et fluidifier la circulation ; l'enjeu, c'est de se donner une échéance crédible et acceptable.

M. Rémy Pointereau.  - Merci de cette réponse ; nous verrons comment les projets évolueront. Ces projets sont très attendus. Au-delà du Cher, c'est aussi la transversalité entre l'A10, l'A71 et l'A6 qui manque.

M. Michel Raison, pour le groupe Les Républicains .  - Je me réjouis de la tenue de ce débat. Les conclusions sont aisées à tirer.

Première remarque : depuis de trop nombreuses années - vous n'en êtes pas la cause - beaucoup de promesses, beaucoup de communications ont été faites sans aboutir.

L'échec de l'écotaxe, qui abondait l'Afitf, ne fait qu'aggraver le manque de moyens.

Nos routes sont un patrimoine national, or le réseau est moins bien entretenu qu'avant. L'exemple du chemin de fer inquiète... Il va falloir rattraper le retard sur les bordures, les panneaux, les bandes.

Il faut aussi améliorer ce patrimoine et développer le réseau, car les infrastructures routières relèvent de l'aménagement du territoire. Un délégué interministériel à l'aménagement du territoire aurait davantage de poids qu'un simple ministre des transports. Trop souvent, les décisions sont prises en fonction du nombre de véhicules, et non en tenant compte de l'aménagement du territoire. Résultat, les populations sont de plus en plus concentrées dans les métropoles - pendant que le reste du pays se meurt.

La mobilité, c'est aussi un enjeu de sécurité : plus nous aurons de deux fois deux voies, plus il y aura de l'entretien, et plus la sécurité routière sera assurée.

Les territoires qui souffrent se contenteraient d'être reliés à de modestes capitales régionales - et voilà qu'on leur inflige, de manière uniforme, une limitation de la vitesse à 80 kilomètres-heure, pour des motifs de sécurité ! L'entretien des routes et la mise à deux fois deux voies sont autrement plus efficaces...

Les 2 milliards d'euros d'amendes serviront-ils à financer la sécurité routière et l'investissement routier ? Je ne sais pas. Mais, à l'hôpital, il est trop tard : l'accident a eu lieu. Mettons plutôt l'argent dans la prévention, en amont ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; Mme Nicole Bonnefoy applaudit également.)

La séance est suspendue à 16 h 5.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 16 h 45.