Comités de protection des personnes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, sur la proposition de loi relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes.

La Conférence des Présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du Règlement du Sénat.

Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.

Explications de vote

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Cette proposition de loi répond à un enjeu important : renforcer l'efficacité du tirage au sort des membres des comités de protection des personnes (CPP). Le texte, auquel la ministre Buzyn a donné un avis favorable en première lecture à l'Assemblée nationale, contribue à une priorité du Gouvernement : renforcer l'attractivité de la France en matière de recherche clinique tout en préservant la sécurité des personnes qui s'y prêtent. C'était une préconisation des sénateurs Daudigny, Deroche et Guillotin dans leur rapport sur les médicaments innovants.

Notre pays est l'un des trois pays européens les plus attractifs pour les recherches avec l'Allemagne et le Royaume-Uni mais accuse un retard pour les essais de phase 1. Lors du huitième conseil stratégique des industries de santé, qui s'est tenu en juillet dernier, le Premier ministre a fixé pour ambition de faire de la France le premier pays européen en recherche clinique d'ici cinq ans. Il a souhaité abaisser, dès 2019, les délais à 45 jours pour l'Agence nationale de sécurité du médicament et à 60 jours pour les comités de protection des personnes - c'est l'objet de cette proposition de loi.

Mme Buzyn l'a dit, ce texte maintient une exigence déontologique forte tout en répondant à la volonté des malades d'accéder plus rapidement aux traitements innovants. Il s'agit bien d'améliorer le tirage au sort, non de le mettre en cause par une spécialisation des CPP.

Pour rendre le tirage au sort plus efficace, l'Assemblée nationale a ajouté deux critères : celui de disponibilité, afin d'éviter l'engorgement des comités et de lisser l'activité entre les CPP ; celui de compétence, pour résoudre la question du défaut d'expertise de certains CPP, étant entendu que l'ensemble des CPP gardera une compétence générale.

Le Gouvernement s'est engagé à améliorer les conditions d'exercice des CPP ; notamment, en établissant une grille commune d'évaluation des dossiers.

Le Gouvernement est satisfait de voir les deux chambres s'accorder dès la première lecture sur ce texte utile. Il l'est d'autant plus que les nouveaux règlements européens sur les essais cliniques de médicaments et sur les dispositifs médicaux, qui entreront en vigueur respectivement en 2020 et en 2022, feront de l'absence de réponse d'un CPP dans les délais qui lui sont impartis un avis favorable.

M. Jean Sol, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - La commission des affaires sociales a adopté ce texte le 25 septembre en procédure de législation en commission. La concurrence internationale s'intensifiant, le rang de notre pays dans la recherche clinique est en jeu. S'il continue de faire partie des cinq pays de tête dans ce domaine, avec les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l'Allemagne, l'Espagne et la Belgique tirent leur épingle du jeu.

Pour autant, la question ne doit pas être examinée sous le seul prisme de l'attractivité. La sécurité des volontaires doit demeurer notre première préoccupation, à l'heure où les esprits restent marqués par le souvenir de l'affaire Biotrial en 2016.

Le tirage au sort allonge-t-il les délais d'examen des projets de recherche ? D'après les enquêtes, les délais moyens sont supérieurs à l'objectif de délai maximal de 60 jours. En réalité, le tirage au sort met en lumière des inégalités qui lui préexistaient. Certains CPP n'étaient pas préparés à traiter un flux continu de dossiers, d'autres éprouvent des difficultés à mobiliser des spécialistes. En 2017, trois CPP manquaient d'un pédiatre ; sept, d'experts des essais de phase 1 ; onze, d'experts en radioprotection. Autres spécialités où les CPP peinent à trouver des experts : l'oncologie, l'oncohématologie, la virologie et l'ophtalmologie.

Il y va de l'accès des patients aux thérapies innovantes, en particulier en oncologie et en oncohématologie, domaines dans lesquels les essais de phase 1 se concentrent en France. D'où les propositions du rapport Deroche-Guillotin-Daudigny de modifier les règles du tirage au sort que cette proposition de loi module selon la disponibilité et les compétences des CPP.

En commission, Madame la Ministre, vous avez dit que le critère de compétences sera apprécié souverainement par le CPP. Nous plaidons pour la mise en place d'un réseau national d'experts mobilisables et d'un programme de formation des CPP et de leur secrétariat ; l'objectif est que plus aucun CPP ne se déclare incompétent.

Outre le tirage au sort, les déclarations publiques de liens d'intérêts des membres des CPP et le fonctionnement collégial des comités sont une garantie puissante d'indépendance.

Notre commission a adopté cette proposition de loi sans modification, j'invite le Sénat à en faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Michel Amiel .  - Sujet technique s'il en est... Cette proposition de loi a beau être simple et courte, elle est porteuse d'espoir. En bref, les CPP s'assurent de la qualité éthique d'un projet de recherche impliquant la personne humaine. Leur « randomisation » ou tirage au sort trouve sa source dans la loi Jardé de 2012.

La commission des affaires sociales a réaffirmé son attachement à la désignation aléatoire qui réduit mécaniquement les risques de conflits d'intérêts. La situation est toutefois préoccupante : la moyenne du traitement des dossiers est de 71 jours, soit 11 de plus que le délai légal. D'où cette proposition de loi pour répartir le travail entre les 39 CPP de façon optimale, issue d'une proposition du rapport Deroche-Guillotin-Daudigny.

Le groupe LaREM la votera, en insistant, comme l'a fait le rapporteur, sur la nécessité de mettre au point un réseau d'experts et de renforcer l'expertise de tous les CPP.

Espérons que ce texte facilitera les avancées thérapeutiques et confortera la place de l'industrie pharmaceutique française par rapport à celle d'autres pays peut-être moins sensibilisés aux questions éthiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants)

Mme Laurence Cohen .  - Les délais d'examen des CPP, trop longs, nuiraient à la recherche médicale en France. C'est vrai, et certains CPP manquent d'experts compétents. En revanche, la solution retenue est une fausse bonne idée qui pourrait aggraver la situation.

Les CPP manquent en réalité de moyens et d'accès aux experts. En cause, entre autres, le peu d'attractivité de la fonction de rapporteur, faiblement indemnisée. Cette proposition de loi n'y remédie pas ; en réduisant le nombre de CPP où le tirage au sort sera effectué, elle ouvre la porte à la collusion entre les CPP et les porteurs de projets - les industriels ont tout intérêt à ce que leur projet soit accepté le plus vite possible. J'ajoute que les garanties démocratiques ne sont pas suffisantes quand la mise en relation entre comités et promoteurs des projets s'effectuera au moyen d'algorithmes. La solution, pour nous, est de donner des moyens suffisants aux comités.

Renforcer l'attractivité de la recherche française est un but légitime puisque la recherche concourt au progrès médical mais vous donnez, avec ce texte, le sentiment de donner priorité aux considérations économiques. Le marché du médicament dépasse les 1 000 milliards d'euros au niveau mondial, il est temps de soustraire la recherche à la loi du marché. C'est le sens de notre proposition d'un pôle public du médicament en France et en Europe.

Le groupe CRCE ne votera pas ce texte.

M. Bernard Jomier .  - Il y a consensus sur les difficultés des CPP, pas sur les moyens de remédier au problème. Les ressources financières des CPP ont fondu de 200 000 euros depuis leur création tandis que leur activité n'a cessé de croître. Un seul ETP de secrétariat quand le nombre de dossiers est passé de trois-quatre à neuf-dix par mois. Quand les bénévoles que sont les membres des CPP peuvent-ils trouver le temps d'étudier tous ces projets ?

Faut-il toucher par une proposition de loi, donc sans étude d'impact, à la loi Jardé ? J'en doute, d'autant que nous sommes à quelques mois d'une révision des lois bioéthiques et d'une modification du cadre européen qui permettra de passer d'une logique de compétition entre États membres à une logique de compétitivité européenne. D'ailleurs, la France se prépare déjà à ce changement, l'ANSM s'est fixée pour objectif, en 2018, d'instruire la moitié des demandes selon les futures exigences européennes.

L'article qu'il est question de modifier, l'article 1123-6, consacre le principe de désignation aléatoire, pensé par le député Jardé contre les potentiels conflits d'intérêts. Les conditions de la désignation aléatoire relèvent d'un autre article, le L.1123-14, qui renvoie à un décret en Conseil d'État. Nul besoin de toucher à la loi !

L'introduction du critère de compétence à l'article L.1123-6 est plus problématique. Comment s'assurer que suffisamment de CPP se déclarent compétents sur une aire thérapeutique ? Devons-nous déterminer un seuil minimum de candidats pour sécuriser le caractère aléatoire de la désignation ? Et comment fixer ce seuil ? D'autres pistes existent, comme la constitution de listes d'experts dans chaque domaine. Les associations de patients y sont favorables. Pourtant, elles n'ont toujours pas été établies.

Notre groupe s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Le 6 juin dernier, j'apportais mon soutien à la proposition de loi Milon autorisant les analyses génétiques sur les personnes décédées. L'ambition de ce texte est identique : prise en charge précoce des patients et meilleur accès à l'innovation. Je me réjouis du soutien du Gouvernement.

L'innovation en santé est une chance pour les patients mais aussi pour notre vitalité économique. Il faut être capable d'adapter nos procédures, sans remettre en cause nos exigences éthiques. J'ai la conviction que l'équilibre est préservé dans le texte.

Pour certains patients, la rapidité d'accès au traitement innovant est une question de vie ou de mort. Avec Yves Daudigny et Catherine Deroche, nous avons proposé un renforcement des CPP et de leur expertise. Il faut préserver le tirage au sort mais en atténuer les limites : certains CPP tirés au sort n'ayant pas les compétences requises, ils font appel à des compétences extérieures, ce qui allonge les délais. Il faut donc l'adapter de manière à ce que le tirage au sort se pratique entre les CPP compétents.

Dès 2020, faute d'adaptation de notre dispositif, le droit européen fera peser un risque sur la sécurité des personnes, puisque l'avis du CPP sera réputé favorable en l'absence d'avis rendu dans le délai fixé.

Comme notre rapporteur, je veux conclure sur la nécessaire montée en compétences de tous les CPP. La liste de leurs expertises ne doit pas rester figée dans le temps, sous peine de voir ressurgir les risques de conflit d'intérêts. Dans notre rapport, nous avons également souligné l'importance de l'harmonisation des procédures d'évaluation et, bien entendu, du renforcement des moyens administratifs des comités.

Espérons que la prochaine loi de financement de la sécurité sociale et la stratégie de transformation de notre système de santé seront à la hauteur. En attendant, le groupe RDSE votera cette proposition de loi.

M. Jean-Marie Mizzon .  - Les 39 CPP s'assurent que les droits, la santé, le bien-être des participants à des études pharmaceutiques sont préservés. L'allongement des délais de traitement, pointé dans l'excellent rapport de notre collègue Jean Sol, pourrait compromettre le déploiement des projets les plus innovants, d'autant plus avec la réglementation européenne à venir. Cette proposition de loi pourrait conserver à la France sa compétitivité.

Le manque de moyens des CPP est patent. Leur secrétariat étant assuré par un seul ETP, les périodes de congés paralysent leur activité. La rémunération des fonctions de rapporteur est insuffisante : de 67 euros bruts le dossier ! Le niveau d'expertise élevé épuise la disponibilité des spécialistes.

Une fois tiré au sort, un CPP ne peut se dessaisir ; il doit actuellement attendre l'expiration du délai qui équivaut à un rejet. L'article unique de cette proposition de loi assure que les CPP tirés au sort sont disponibles et compétents pour se prononcer, ce qui contribuera à réduire les délais de traitement. Cette proposition de loi mérite d'être soutenue, il est urgent de doter les CPP d'un soutien financier et administratif plus important. Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Daniel Chasseing .  - La loi Jardé a amélioré le régime des essais cliniques en l'unifiant et en l'encadrant. Les CPP y jouent un rôle essentiel, ils se prononcent sur la protection des personnes participantes et la qualité méthodologique. Tous leurs membres sont soumis à une déclaration publique d'intérêts afin que nul ne puisse remettre en cause leur indépendance.

Cet édifice juridique est cependant biaisé. En effet, la composition des CPP varie d'un territoire à l'autre, au point que certains CPP n'ont pas l'expertise nécessaire à l'évaluation des projets de recherche. Il fallait remédier à cette situation, ce que fait ce texte de bon sens que le groupe Les Indépendants votera. (M. Michel Amiel et Mme Mireille Jouve applaudissent.)

Mme Catherine Deroche .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Merci au groupe Les Républicains et à son président Retailleau d'avoir inscrit cette proposition de loi dans son espace réservé. Dans notre rapport présenté en juin dernier sur les médicaments innovants, notre attention a été attirée sur les difficultés que rencontrent les CPP en dépit du dévouement de leurs membres. Il faut éviter les effets de cliquets, qui écartent de la France les essais pour lesquels la phase 1 ne s'y est pas déroulée. Merci à M. le rapporteur Sol pour son travail. Si le tirage au sort des CPP n'est effectif que depuis novembre 2016, les équipes de recherche clinique d'excellence s'en inquiétaient bien avant. Le président Larcher avait été alerté, lors de sa visite à l'Institut Gustave Roussy à Villejuif en septembre 2015. Présidente du groupe Cancer, j'ai relayé ces inquiétudes dès 2016 au ministère de la santé. Un seul exemple : l'essai AcSé-ESMART aurait subi un retard majeur, voire un refus, avec la procédure actuelle de tirage au sort.

La route est encore longue pour un accès précoce des patients aux innovations médicales, espérons que le Gouvernement saura relever le défi. Le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte. (M. Bruno Sido et Mme Véronique Guillotin applaudissent.)

La proposition de loi est adoptée définitivement.

(Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE)