Lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes sur la proposition de loi visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues, à la demande de la commission de la culture.

La Conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au Chapitre VII bis du Règlement du Sénat.

Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.

Explications de vote

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - À l'occasion de ma mission sur la formation à l'heure du numérique, j'ai été sensibilisée par plusieurs experts de la santé sur les troubles du développement qu'ils observaient chez un nombre croissant de jeunes enfants et les liens de cause à effet qu'ils constataient entre ces troubles et l'exposition précoce aux écrans de leurs jeunes patients.

J'en suis arrivée aux conclusions suivantes. D'abord, l'exposition aux écrans commence dès la petite enfance et tend à augmenter en raison de la multi-exposition des enfants aux écrans. Nous ne disposons que de peu de statistiques mais de nombreuses enquêtes. Je renvoie aux trois que j'ai déjà citées la semaine dernière : une étude de l'Inserm, une enquête déclarative de l'Association française de pédiatrie ambulatoire et une enquête Ipsos menée en 2017 qui montrent l'ampleur du phénomène.

La deuxième conclusion à laquelle je suis parvenue, et que confirment toutes les études scientifiques, c'est que les interactions qu'un enfant a avec son entourage et son environnement sont la meilleure source de stimulation pour lui. Or plus un enfant passe de temps devant un écran durant une journée, moins il lui en restera pour jouer et interagir avec les autres.

Toujours selon des données scientifiques, une surexposition aux écrans peut avoir de nombreuses conséquences néfastes : ainsi, la surexposition des plus petits risque d'entraîner une attitude passive face au monde qui les entoure.

En dépit de ces signes alarmants, les industriels continuent de mettre sur le marché toute une panoplie de jouets pseudo-éducatifs en direction des enfants en bas âge, contribuant à développer un environnement favorable à l'augmentation du temps passé devant les écrans et à créer l'illusion qu'il est normal pour l'enfant de passer plusieurs heures de sa journée devant un écran.

C'est pourquoi les sénateurs de la commission de la culture ont décidé, à l'unanimité, de renforcer la visibilité des recommandations nationales déjà existantes en exigeant la présence d'un message à caractère sanitaire avertissant des dangers liés à l'exposition des écrans pour le développement des enfants de moins de 3 ans sur tous les outils et jeux numériques disposant d'un écran, mais également sur toutes les publicités les concernant, quel que soit leur support.

Il convient également d'organiser des actions régulières d'information et d'éducation institutionnelles en partenariat avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Cette proposition de loi n'a pas la prétention de régler tous les problèmes. La question de l'extension des messages sanitaires aux sites d'achat en ligne et aux sites qui fournissent des contenus audiovisuels en ligne n'est ainsi pas traitée. Mais face à un sujet qui est en train de devenir un véritable problème de santé publique, nous avons adopté des mesures simples et efficaces pour sensibiliser les parents ainsi que tous ceux qui gravitent dans leur entourage et pour atténuer l'asymétrie d'information dont ils sont les premières victimes.

Aussi, je suis particulièrement étonnée de l'absence de soutien du Gouvernement à cette proposition de loi et surtout des arguments avancés pour justifier ce refus.

La semaine dernière, vous avez estimé que « les données manquent quant à l'ampleur de l'exposition des enfants de moins de 3 ans aux écrans et surtout quant aux effets d'une surexposition des très jeunes enfants aux écrans ». Vous souhaitez attendre les résultats d'une mission donnée au Haut Conseil de la santé publique avant d'élaborer une nouvelle campagne nationale de prévention.

Madame la secrétaire d'État, depuis dix ans, le CSA supervise chaque année une campagne de sensibilisation financée par les chaînes de télévision pour rappeler les bonnes pratiques à adopter en matière d'exposition des enfants aux écrans. Est-ce que cette campagne ne se base pas sur des données scientifiques ?

Le 1er avril 2018, les nouveaux modèles de carnet de santé de l'enfant sont entrés en vigueur. Dans son communiqué de presse du 5 mars, le ministère de la Santé et des Solidarités écrivait : « les principales évolutions de la nouvelle édition concernent les messages de prévention, qui ont été enrichis et actualisés pour tenir compte des évolutions scientifiques et sociétales, de nouvelles recommandations et de l'identification de nouveaux risques ». Il est ensuite dit qu'il faut « éviter de mettre un enfant de moins de 3 ans dans une pièce où la télévision est allumée (même s'il ne la regarde pas) ».

Où est la logique ? Les messages à caractère sanitaire figurant dans le carnet de santé seraient validés scientifiquement, mais les mêmes messages que la proposition de loi souhaite imposer sur les emballages ou au moment des publicités sur des outils ou des jeux numériques comprenant des écrans ne seraient pas légitimes faute de preuves scientifiques suffisantes ! Ce n'est pas sérieux.

Vous avez confié une étude au Haut Conseil de la santé publique alors qu'un comité tripartite rassemblant l'Académie des sciences, l'Académie des technologies et l'Académie de médecine travaille déjà sur le sujet. Cette étude renforcera les faisceaux d'indice mais n'apportera pas de preuves définitives. Les enfants ne sont pas des rats !

En commission, la ministre a eu la maladresse de mélanger troubles liés à la surexposition aux écrans et troubles du spectre de l'autisme. Je n'ai jamais parlé d'autisme, seulement de troubles de langage et de l'attention. C'est vous seule qui avez évoqué l'autisme.

Oui, nos méthodes divergent. Notre commission de la culture a coutume de travailler avec tous les gouvernements pour faire progresser les dossiers ; sur l'interdiction du téléphone portable à l'école, nous avons fait confiance au Gouvernement, malgré l'absence d'études.

Nous connaissons le poids des lobbies : il a fallu trois ans pour obtenir le bandeau sanitaire sur les publicités pour les boissons sucrées ! Va-t-on recommencer le scandale de la cigarette, de l'alcool, des produits sucrés ?

En cette journée internationale des droits de l'enfant, le Défenseur des droits recommande le principe de précaution, à savoir l'interdiction de l'exposition des moins de 3 ans aux écrans dans les lieux les accueillant. Le Sénat prend ses responsabilités en prenant partie pour la santé de nos enfants, que le Gouvernement prenne les siennes ! (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Je salue le travail de la commission et l'investissement de sa présidente sur les questions liées au numérique. Celui-ci a changé nos modes de vie. Il est important de porter un regard critique sur ces bouleversements. Vous appelez à prendre en main notre destin numérique, de sensibiliser les citoyens aux enjeux ; à cet égard, nous devons porter une attention particulière aux enfants.

Les potentiels effets d'une surexposition aux écrans de très jeunes enfants sont source de questionnement. Le Gouvernement partage l'objectif de mieux communiquer sur des repères dans l'usage des outils numériques.

À partir des recommandations établies par le ministère en 2008, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) s'est saisi du sujet.

La proposition de loi visait initialement à diffuser un message sanitaire sur les emballages des outils numériques ; en commission, vous l'avez étendue à toute publicité pour ces outils.

S'il est vrai que le temps passé devant les écrans augmente, les données manquent quant aux conséquences sur le développement psychomoteur des enfants.

À travers le nouveau carnet de santé de l'enfant, le ministère invite les parents à éviter de mettre un enfant de moins de 3 ans dans une pièce où un téléviseur est allumé. Cependant, le principe de responsabilité fait que nous ne pouvons imposer des messages sanitaires non étayés par des analyses scientifiques.

M. Pierre Ouzoulias.  - C'est irresponsable !

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - C'est pour répondre à ces interrogations que la ministre a saisi le Haut Conseil de santé publique ; nous attendons ses recommandations. Preuve, s'il le fallait, que le Gouvernement partage vos inquiétudes. (M. Pierre Ouzoulias s'exclame.)

Le plan Priorité prévention prévoit une campagne d'information sur les repères d'usage d'écrans qui seront créés. La question de la surexposition des enfants aux écrans fait aussi l'objet d'une réflexion dans le cadre des états généraux des nouvelles régulations du numérique. Le mouvement doit être européen, voire international.

Je veux insister sur le rôle des parents. Être parent est une mission difficile, sans doute plus qu'autrefois. Avec la démultiplication des supports, limiter l'exposition des enfants aux écrans peut se révéler une bataille quotidienne.

L'un des axes de la stratégie « Dessine-moi un parent » est de sensibiliser les parents et de former les professionnels aux risques de surexposition des jeunes enfants aux écrans ; il nous faut évaluer le rôle des adultes référents dans ces usages. Le réseau des écoles des parents et des éducateurs propose des animations collectives, des ateliers de sensibilisation, des conférences-débats qui facilitent la prise de conscience des parents. Les PMI ont aussi un rôle à jouer.

Enfin, le passage à l'instruction obligatoire dès 3 ans favorisera chez tous les enfants l'apprentissage de la vie en collectivité, l'interaction avec les autres, l'ouverture sur l'extérieur.

Nous voulons agir. Mais à ce jour, les données que vous avez citées sont trop partielles pour imposer un message sanitaire. Nous avons besoin qu'une instance d'expertise se prononce pour mener, sur cette base, les actions pertinentes. (Murmures sur plusieurs bancs à gauche)

C'est pourquoi nous ne pouvons soutenir cette proposition de loi, même si nous en partageons l'objectif.

Mme Sylvie Robert .  - Dans un entretien à un hebdomadaire français, Philip Roth expliquait que « face à l'écran et à son pouvoir hypnotique, la lecture de romans (...) comme vecteur d'informations sur le monde et l'expérience humaine, et comme plaisir, est devenue obsolète. » Au-delà de la lecture, les contacts humains, la découverte de la vie sont déterminants pour l'apprentissage du langage, de la communication verbale ainsi que corporelle, pour la capacité d'attention et de concentration, bref, pour la construction des plus jeunes.

Or l'utilisation immodérée, voire frénétique, des objets numériques les met en danger. Veillons à ce que ces objets ne finissent pas par prendre possession de l'être humain !

Après la phase d'euphorie liée à la démocratisation d'internet, nous avons pris conscience que l'entrée dans la troisième révolution industrielle s'accompagnait de défis nouveaux. Cette phase de transition doit être une phase de régulation si nous voulons maintenir un rapport harmonieux entre la société et le déploiement des nouvelles technologies.

C'est dans cette philosophie que s'inscrit cette proposition de loi. C'est une première étape. À l'avenir, il serait pertinent de faire preuve de plus de pédagogie en évitant la stigmatisation des parents car le numérique impose aussi une éducation des parents.

Les parents doivent veiller à ne pas donner le mauvais exemple, et s'imposer une certaine distanciation.

Les actions de prévention prévues dans ce texte nécessitent des moyens financiers. Il faudra sans doute prévoir dans les années à venir un vaste plan de prévention incluant des différentes problématiques de santé publique liées à la surexposition.

La position du Gouvernement suscite surprise et incompréhension. Cette proposition de loi de bon sens n'est qu'une première étape. Son rejet par le Gouvernement laisse perplexe.

Mme Maryvonne Blondin.  - Tout à fait.

Mme Sylvie Robert.  - Madame la ministre, vous souhaitez mener des études d'impact avant de légiférer. Pourtant, quand il a fallu interdire les téléphones portables à l'école, vous n'avez pas attendu et la précipitation a été de rigueur.

M. Pierre Ouzoulias.  - Le président de la République avait décidé...

Mme Sylvie Robert.  - Nous vous avons suivis. Je regrette que vous favorisiez les postures sélectives plutôt que les arguments.

Suivons le Défenseur des droits car il y va de la construction des adultes de demain. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Françoise Laborde .  - Cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité en PLEC, tant elle est d'intérêt majeur pour la santé des futures générations. Les scientifiques le démontrent depuis des années, l'exposition précoce des enfants aux écrans est délétère pour leur développement. Certes, exercer une vigilance de chaque instant sur l'usage des écrans par les enfants incombe d'abord aux parents, qui doivent aussi donner l'exemple.

Les écrans allient la facilité du virtuel et la force de l'émotionnel, le plus souvent en huis clos. Il faudrait appliquer la règle des 3, 6, 9,12 : pas d'écran avant 3 ans, pas de jeux vidéo avant 6 ans, pas d'internet avant 9 ans, pas de réseaux sociaux avant 12 ans.

Une étude de 2017 a montré que les enfants de 1 à 6 ans passent en moyenne 4 h 37 par semaine devant les écrans, soit 55 minutes de plus qu'en 2015. Les conséquences sur l'apprentissage et la concentration sont dramatiques : problème de langage, de repère dans l'espace, de sommeil, passivité, voire vision du monde à plat !

En commission, nous avons adopté un texte imposant l'affichage d'un message sanitaire sur les emballages des outils numériques et prévu un message similaire sur les publicités, à l'instar de ce qui existe dans l'alimentaire. Plusieurs amendements ont été déposés pour élargir le message aux sites de e-commerce et aux plateformes de visionnage des vidéos à destination des enfants. La renégociation de la directive e-commerce et la future loi sur l'audiovisuel seront l'occasion d'en débattre.

Nous devons inclure dans la prévention tous les services sanitaires et socio-éducatifs intervenant auprès des enfants. Les agents des médiathèques, par exemple, doivent être formés.

Pour le Gouvernement, il est urgent d'attendre. Pour nous, il est urgent d'agir ! Tout en regrettant que la PLEC ait limité l'examen du texte, le groupe RDSE le votera. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Colette Mélot .  - À l'heure où l'on possède un téléphone portable à 10 ans en moyenne, la surexposition des enfants aux écrans devient un enjeu de santé publique.

Sean Parker, Bill Gates ou Steve Jobs eux-mêmes limitent l'utilisation des écrans pour leurs enfants.

Selon les experts, la surexposition des enfants aux écrans expose à des risques de dépendance, de myopie, des troubles de l'attention, de la mémoire et du comportement, à des difficultés d'apprentissage, à un isolement social, à un risque d'exposition aux contenus violents, au cyber-harcèlement...

Nous soutenons cette démarche qui est un complément utile aux campagnes de sensibilisation que le CSA mène depuis dix ans.

Nous avions proposé des mesures complémentaires dans la proposition de loi visant à interdire les téléphones portables à l'école : équiper les écrans de filtres à lumière bleue ou encadrer la durée d'utilisation pédagogique des écrans par classe d'âge. Nous avons redéposé ces amendements sur le présent texte, et convenu ensemble d'une application par voie réglementaire.

Si le numérique est une rupture technologique égale à l'invention de l'imprimerie, nous devons rester attentifs aux signaux envoyés par les communautés scientifiques et éducatives pour en réguler les effets néfastes. Nous soutiendrons cette proposition de loi qui va dans le bon sens. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je salue le travail de fond de Catherine Morin-Desailly. Le contexte est préoccupant, voire alarmant. Tous les spécialistes que nous avons auditionnés soulignent les dangers d'une exposition trop précoce des tout petits aux écrans, tels que des troubles de l'attention ou une socialisation imparfaite.

Les conséquences désastreuses d'une exposition avant 3 ans compromettent les chances de ces enfants de devenir des adultes autonomes et équilibrés.

La proposition de loi s'adresse d'abord aux industriels, rappelés à leur responsabilité sociétale. Ils doivent non seulement apposer un message d'alerte mais reconsidérer la conception de leurs produits. Cette autorégulation est possible ; l'industrie agroalimentaire a su le faire pour les produits gras et sucrés.

L'éducation aux écrans est un devoir de tous les instants qui incombe aux parents. Ce serait abdiquer ses responsabilités éducatives que de laisser son enfant seul devant un écran au prétexte que l'on serait débordé, ou pour avoir la paix. Le rôle parental suppose de poser des règles, de donner l'exemple, de n'accepter aucune habitude addictive.

Pour résister à la fascination de l'écran, il faut s'investir dans des activités, interagir, éveiller l'attention, la curiosité. Outre l'environnement familial, cette mission relève aussi des lieux de socialisation et des structures d'accueil de la petite enfance. L'engagement doit être collectif.

Il importe que les professionnels soient formés et qu'ils respectent la règle définie par Serge Tisseron : pas d'écran avant 3 ans, car le temps passé devant un écran est préjudiciable au développement à cet âge ; pas de console de jeux avant 6 ans, pas d'internet avant 9 ans, et de manière encadrée et accompagnée jusqu'à 12 ans. Je suggère l'instauration d'une journée hebdomadaire sans écran pour permettre aux familles de se retrouver. Je propose enfin un atelier obligatoire pour les parents à la maternelle et dans les PMI. Interdire les outils numériques serait illusoire : c'est par la prévention qu'il faut agir.

Le groupe Les Républicains soutient cette proposition de loi avec conviction. En cette journée internationale des droits de l'enfant, il aurait été appréciable que le Gouvernement accepte ce texte. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. André Gattolin .  - Les gouvernements rejettent toujours les propositions de loi pour les mêmes raisons. Nos propositions seraient pertinentes mais percuteraient des projets plus larges portés par l'exécutif. Le Parlement ne s'appuierait pas sur des données assez étayées. Soit, mais c'est le principe même des propositions de loi que d'être contraintes et concises pour pouvoir entrer dans les niches réservées à leur examen - alors que les ministères peuvent s'appuyer sur le Conseil d'État et sur l'expertise de leur administration. Nos travaux sont parfaitement sérieux pourtant et s'appuient sur de nombreuses auditions.

Cette proposition de loi inscrit dans le code de la santé publique l'affichage d'un message sanitaire sur les emballages et lors de la diffusion de publicités. Elle va dans le bon sens en protégeant les plus jeunes, qui sont les plus fragiles, de messages qui détournent leur attention à des fins au mieux récréatives, au pire de communication persuasive visant à orienter leurs choix en matière de consommation, voire à entraîner des comportements addictifs.

Cette proposition de loi s'inscrit dans la même veine que l'interdiction du téléphone à l'école ou que ma proposition de loi visant à supprimer la publicité destinée aux enfants dans les programmes jeunesse du service public.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure.  - Tout à fait.

M. André Gattolin.  - Les études sur le sujet ne manquent pas. La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), du ministère de la Santé, souligne ainsi que la part des enfants de grande section portant des lunettes est passée de 12 % à 18 % en treize ans. Le taux de surcharge pondérale est supérieur de 40 % à la moyenne chez les jeunes qui ont un écran dans leur chambre.

Les membres du groupe La République En Marche voteront en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Pierre Ouzoulias .  - Madame la présidente, madame la rapporteure, madame la ministre... j'ai plaisir à utiliser exclusivement le féminin ! (Sourires)

Sous la conduite de sa présidente, la commission de la culture mène une réflexion de fond sur les apports et les dangers du numérique, de façon consensuelle et en se détachant des sollicitations et des contingences d'un monde soumis à la dictature de l'instant.

Dans cette démarche ambitieuse de régulation de l'espace numérique, il était judicieux de s'intéresser, ab ovo, aux plus jeunes. Cette proposition de loi porte sur les écrans, néanmoins ce n'est pas sur l'objet lui-même mais sur l'enjeu qu'il représente pour les apprentissages cognitifs de l'enfant que nous légiférons.

Ses trois articles seront introduits dans le code de la santé publique, mais, dans l'absolu, pourraient constituer les prémices d'un code de la santé mentale qui reste à écrire ! (Mme Maryvonne Blondin approuve.)

Je suis surpris d'entendre la ministre affirmer que les données manquent sur l'ampleur de l'exposition des enfants et sur les effets de la surexposition. Un spécialiste des neurosciences que nous avons reçu dit l'inverse - je veux parler de votre collègue M. Blanquer. Il a ainsi déclaré que l'usage du téléphone portable peut empêcher la construction d'une sociabilité harmonieuse, essentielle au développement des enfants ; que l'addiction aux écrans peut devenir une plaie qui nuit aux rapports humains ; qu'il faut éviter que les enfants soient devant les écrans de manière abusive, notamment avant 7 ans. (Mmes Françoise Laborde et Catherine Morin-Desailly, rapporteure, approuvent.)

Cette proposition de loi, qui sera sans doute votée à l'unanimité, répond donc à l'injonction ministérielle. Il aurait été utile que votre Gouvernement engageât une réflexion interministérielle sur le numérique et ses usages. Je parle au passé car le secrétariat d'État de M. Mahjoubi a été rétrogradé : auparavant rattaché au Premier ministre, il l'est désormais au ministre de l'Économie. Certes, le numérique peut être un outil puissant de transformation de l'économie et de l'administration. Néanmoins, il faut protéger nos concitoyens lorsqu'il porte atteinte aux libertés et les mettre en garde contre un usage immodéré. Sur tout cela, nous aurions aimé entendre M. Mahjoubi. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Michel Laugier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Bien sûr, le groupe centriste votera ce texte des deux mains, non seulement parce que Catherine Morin-Desailly en est l'auteur, mais parce que c'est un texte de bon sens, qui fait l'unanimité dans cet hémicycle... sauf sur le banc du Gouvernement, pour lequel il serait urgent d'attendre. Mais l'heure n'est plus à la tergiversation. Elle est à l'action. Face aux évidences, nous nous tâtons, nous interrogeons. Nos concitoyens sont fatigués des atermoiements. Ils veulent des actes.

La politique meurt de notre incapacité à prendre nos responsabilités.

M. Pierre Ouzoulias.  - Tout à fait.

M. Michel Laugier.  - Cette proposition de loi ne fait que tirer les conséquences des études sur le sujet. Toutes constatent que l'exposition précoce a des conséquences néfastes sur le développement, qui vont d'une moindre forme physique au retard scolaire en passant par les difficultés de socialisation. L'information des parents passe par des messages sanitaires, comme pour l'alcool, le tabac et les boissons sucrées. Qui songerait à supprimer le macaron avertissant les femmes enceintes des dangers de l'alcool ?

Le texte a été amélioré et complété en commission. Il soulève la question fondamentale de l'éducation aux médias et au numérique. L'écran à haute dose n'est bon pour personne.

Après avoir stigmatisé le contenant, il faut s'interroger sur le contenu. Ces technologies ont un impact très fort et très négatif sur les nouvelles générations et nous en sommes encore à discuter. Il n'est plus urgent d'attendre, il est urgent d'agir. (Applaudissements sur tous les bancs)

À la demande de la commission de la culture, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°21 :

Nombre de votants 335
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l'adoption 333
Contre 2

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur tous les bancs)