Solidarité intergénérationnelle

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la solidarité intergénérationnelle, demandé par la délégation à la prospective.

Mme Nadia Sollogoub, rapporteure de la délégation sénatoriale à la prospective .  - La délégation à la prospective du Sénat a adopté le 11 octobre dernier son rapport intitulé « Inventer les solidarités de demain face à la nouvelle donne générationnelle ».

J'évoquerai la question des transferts financiers, même si le sujet est bien plus vaste. Le Pacte intergénérationnel issu de la Libération doit sans cesse évoluer.

La France se trouve dans une situation inédite : le patrimoine des ménages est élevé, représentant huit années de revenus, soit deux fois plus qu'il y a trente ans, mais il est majoritairement dormant, car constitué d'actifs immobiliers et financiers, et se transmet de plus en plus de senior à senior : l'âge où l'on hérite atteint 60 ans.

Alors que les flux successoraux représentent un tiers du revenu national comme à la fin du XIXe siècle, ce qui n'est sain, ni économiquement, ni socialement, il convient de favoriser sa transmission aux plus jeunes et son utilisation au service de l'économie.

Veillons à ne pas créer pour autant une société « héritocratique » et à ne pas creuser les inégalités sociales et territoriales. Plusieurs formules d'incitation à la transmission de son vivant, facilitant les dons et legs, et de « liquéfaction » économique du patrimoine existent : le patrimoine « immobile » doit redevenir « liquide ». La Caisse des dépôts réfléchit ainsi à de nouveaux outils de viagers.

La réflexion sur la transmission du patrimoine ne peut faire l'économie d'une réforme de la protection des seniors contre la perte d'autonomie. Il faut fonder cette réflexion, non plus sur les « trois âges » traditionnels de la vie, mais sur cinq étapes : jeunesse, entrée dans la vie adulte, âge adulte, séniorité active, et vieillesse. Cela démultiplie les interactions entre chaque classe d'âge. (Applaudissements sur les bancs de la commission et du groupe UC ; M. Didier Rambaud applaudit également.)

M. Julien Bargeton, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Souvenez-vous de la jeune militante suédoise de la COP 24 qui nous alertait sur l'urgence écologique. Souvenez-vous aussi de la demande de ce quasi-septuagénaire néerlandais, de réduire de vingt ans son âge officiel...(Sourires) Demande refusée par la justice de son pays, mais révélatrice de la difficulté, voire du manque de considération à l'égard des aînés dans le monde occidental.

Autre élément, le déclassement entre les générations : ainsi, 58 % des Français pensent que leurs enfants auront moins de chance de réussir qu'eux. C'est à rebours du socle des grandes démocraties, l'idée de progrès. Dans le mouvement des gilets jaunes, l'aspect générationnel n'a pas été très évoqué ; pourtant, les actifs d'aujourd'hui héritent d'un aménagement du territoire sur lequel ils n'ont aucun contrôle. Cela figure en filigrane de notre rapport et éclaire la crise actuelle.

Nous, sénateurs, devrons le mettre dans le grand débat. Le Sénat, trop souvent présenté comme déconnecté de la génération smartphone, ne l'est pas ; ce rapport le montre. Il peut augurer d'une nouvelle manière de procéder : nous pouvons coconstruire entre les deux assemblées et avec les citoyens, non anonymes. Il ne peut y avoir de solidarité intergénérationnelle sans préservation de notre pacte politique. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants ainsi que sur ceux des groupes RDSE et UC ; M. Roger Karoutchi, président de la délégation à la prospective, applaudit aussi.)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - La génération est différente de la jeunesse : cette dernière, porteuse d'espoir par définition, fascine. « Il faut être absolument moderne » disait le poète de la jeunesse éternelle, Rimbaud.

Votre rapport pose la question suivante : comment faire société entre les différentes générations, comment préserver ce pacte intergénérationnel ? Nadia Sollogoub présente des pistes intéressantes. Je ne peux que me réjouir de l'importance que vous accordez à ce sujet crucial : politique des retraites, de santé, bien des aspects sont concernés. C'est tout le sens des réformes du Gouvernement sur ces sujets et le sens de la « protection du XXIe siècle », pour reprendre les mots du président de la République.

Le service national universel porté par le secrétaire d'État Gabriel Attal va également dans votre sens, pour remobiliser la jeunesse. Vous préconisez de valoriser l'apprentissage et les métiers manuels. Cela s'inscrit tout à fait dans la loi Liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018.

M. François Bonhomme.  - À la bonne heure !

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Nous accordons également une aide de 500 euros pour aider à l'obtention du permis de conduire. En tant que secrétaire d'État auprès de la ministre de la santé, je parlerai plus longuement de la dépendance.

Nous devons nous préparer à l'arrivée vers le grand âge de la génération du baby boom. La concertation que nous menons nous permet de n'écarter aucune piste. Votre rapport sera versé à la somme des réflexions utiles. (M. François Bonhomme soupire.)

Il faut lutter contre l'isolement des personnes âgées. Les aidants doivent aussi être aidés. Améliorer les prises en charge, c'est mettre fin au regard dévalorisant sur les personnes âgées. Nous réfléchissons aux établissements de demain, où les jeunes d'aujourd'hui se sentiraient bien. Notre travail aboutira en mars, pour soumettre les scénarios que nous aurons retenus, avec Agnès Buzyn, au débat et au vote des assemblées. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM  ; quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et RDSE ; M. Roger Karoutchi, président de la délégation, applaudit aussi.)

M. Jean-Pierre Moga .  - La solidarité intergénérationnelle doit aussi s'exprimer aux deux extrémités de la vie professionnelle : les seniors, de plus de 55 ans, et les jeunes entrant dans la vie active, éprouvent des difficultés. Les générations ont des points de vue différents sur la hiérarchie et la vie au travail. Les seniors, dont le capital d'expérience devient obsolète, ont besoin de mise à niveau technologique et numérique, les jeunes attendent plus de tâches valorisantes, et veulent mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle.

Le supérieur hiérarchique qui ordonne sans contredit doit laisser place à celui qui accompagne, écoute, fédère et conseille. Quelles mesures compte prendre le Gouvernement pour faire face à ces enjeux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Stéphane Artano applaudit également.)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Les zones d'accueil des agences de Pôle emploi ont été réaménagées, plus de 1200 jeunes en service civique ont été mobilisés, pour accompagner les personnes en difficulté à l'usage des bornes en libre accès, faisant passer le taux de satisfaction de 77 % à 91 %. En 2016, le taux d'emploi des seniors s'est amélioré, et particulièrement pour les personnes de 55 ans à 59 ans, passant de 37 % en 2005 à 49,8 % en 2016.

Le parcours emploi compétences bénéficie à 41,2 % des demandeurs d'emploi de longue durée, et 46,1 % des seniors. Les seniors sont aussi éligibles aux emplois francs. Le Gouvernement veut mettre en place la flexisécurité. Un travail important de sensibilisation a été fait pour les aides-soignants.

Il ne faut laisser personne au bord du chemin. Il nous faut une croissance riche en emplois et inclusive.

M. Daniel Chasseing .  - À la veille du grand débat national et de la réforme des retraites, quels moyens pouvons-nous mettre en place pour retisser la solidarité intergénérationnelle ? La croissance de nos entreprises est liée aux transferts pour financer l'aide aux plus fragiles ou aux dépendants. De nombreuses solutions existent pour rompre avec l'isolement des personnes âgées et des aidants. Des bénévoles transmettent leur savoir-faire.

Quelle place donner aux seniors pour la formation ? Comment « raviver la flamme dans les yeux des jeunes gens et reconnaître la lumière dans les yeux des anciens », comme le disait Victor Hugo ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UC)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - La loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel a transféré la formation aux régions, qui sont donc libres d'associer des retraités à la formation. D'autres collectivités territoriales peuvent aussi agir, avec par exemple le repas intergénérationnel à la cantine.

En partenariat avec l'association « Ensemble demain », des retraités isolés, des associations de retraités peuvent s'investir à l'école. On voit là tout l'enjeu de l'articulation entre les différents acteurs pour faire se rencontrer deux mondes.

M. Daniel Chasseing.  - La solidarité familiale fait partie des devoirs moraux. Nous devons aussi valoriser les métiers manuels, qui peuvent être un levier d'intégration des jeunes.

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - À l'initiative du Sénat, la loi ELAN a fait progresser la solidarité intergénérationnelle en créant un statut juridique de collaboration intergénérationnelle solidaire, permettant à une personne âgée de louer à un jeune de moins de 30 ans une part de son logement. Cette mesure de bon sens fixe enfin un cadre à une disposition au plan « Bien vieillir » de 2007. Cette tendance se retrouve à présent sur tout le territoire, alors que les résidences universitaires du Crous sont rapidement saturées.

La loi d'adaptation de la société au vieillissement de 2015 prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur le logement intergénérationnel.

Mais la loi ELAN, qui sécurise le contrat de bail, ne suffit pas. Le Gouvernement donnera-t-il des consignes pour que l'administration fiscale et les Urssaf aient une vision bienveillante de cette modalité très particulière de ce travail, qui n'est en rien dissimulé ? Quid des APL, dont la contemporanéité s'applique dès cette année ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Je salue la CMP conclusive sur la loi ELAN. Vous évoquez une possibilité de logement très utile pour les jeunes. La loi évite une requalification en contrat de travail. Mais cette possibilité rencontre des freins financiers et juridiques. L'article 117 de la loi ELAN pose une charte déterminant un contrat dédié à la relation entre la personne âgée et le jeune. Les principaux réseaux de la cohabitation intergénérationnelle l'ont salué.

Mme Patricia Schillinger .  - Ma question porte sur le même sujet. La cohabitation intergénérationnelle est de plus en plus utilisée, notamment dans les grandes villes. Elle permet de loger un jeune tout en rompant l'isolement d'une personne âgée, et en partageant les frais. Bien préparée, elle peut ainsi déboucher sur une belle aventure humaine.

Le contrat de sous-location introduit par la loi ELAN, dans l'article 631-17 du code de la construction et de l'habitation, y contribue.

Quelles mesures prendra le Gouvernement pour faire mieux connaître cette possibilité ? Compte-t-il faire des campagnes de communication ou mettre au point des incitations fiscales ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Avec la loi ELAN, la colocation est désormais possible dans le parc public. Toute personne peut mettre à disposition une des chambres de son logement.

L'État y travaille avec les bailleurs privés et sociaux.

L'habitat intergénérationnel permet de rompre l'isolement des personnes âgées et offre à son colocataire un loyer plus modéré. La Charte en cours de préparation doit être travaillée par tous les acteurs.

Mme Laurence Cohen .  - Le rapport de la délégation sénatoriale à la prospective interroge nos systèmes de solidarités face aux mutations économiques.

La transformation de notre système de retraites pour un régime à points casse le lien entre les actifs et les générations précédentes, la solidarité intergénérationnelle et le niveau des retraites. On accumulera des points, transformés en pension. Les inégalités de pensions des femmes liées à des carrières plus courtes, des salaires plus bas et davantage de temps partiel vont s'aggraver par rapport aux hommes. Que pensez-vous de notre proposition de mettre à contribution les revenus financiers au financement des retraites ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Plutôt qu'à une réforme, nous travaillons à une refondation de l'architecture globale du système de retraites.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Nous sommes rassurés !

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Nous passerons d'un système complexe de 42 régimes à un seul, universel.

L'ancien système correspondait à une société où les carrières se déroulaient au sein d'une même entreprise. Depuis quinze ans, les parcours des salariés sont plus différenciés, avec des temps partiels et des pauses. Deux salariés qui ont cotisé de la même façon ne touchent pas la même retraite. Le nouveau système sera plus juste.

Mme Laurence Cohen.  - Tout serait histoire de langage et de pédagogie ! Apparemment, on ne comprend pas. Mais ce qui est rassurant, c'est que nous ne sommes pas les seuls ; de nombreux gilets jaunes sont des retraités au pouvoir d'achat en berne. Pourquoi la revalorisation des retraites n'est-elle pas à l'ordre du jour du grand débat national ?

Mme Nadine Grelet-Certenais .  - Le rapport sénatorial s'inquiète de la fragilité de notre pacte intergénérationnel. Je vois quel est l'intérêt idéologique d'attiser le conflit entre les générations mais cette thèse est discutable car politique. En effet, c'est une question de choix de société ; de vision de la solidarité, de l'entraide, de la citoyenneté même.

Les participants aux mouvements sociaux actuels s'inquiètent de la remise en cause du système de répartition et du niveau des pensions. La désindexation des retraites, décidée malgré l'opposition du Sénat, aggrave les inquiétudes légitimes des retraités et alourdit la charge sur les plus fragiles, annulant quasiment le gain de CSG pour les plus pauvres.

Allez-vous continuer à leurrer les Français sur leur hausse de pouvoir d'achat ou reviendrez-vous sur cette désindexation ? En saura-t-on enfin un peu plus sur cette réforme des retraites qui inquiète tant ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Notre refonte de l'architecture du système des retraites vise à créer un système universel, la concertation est en cours avec les partenaires sociaux sur ses grands principes ; dans un second temps, seront discutées les questions de la gouvernance, du pilotage et de l'organisation du système universel - conditions de départ, examen des situations particulières, modalités de transmission entre l'ancien et le nouveau système. Ensuite, un projet de loi sera transmis au Parlement. Ce que le Gouvernement veut, c'est un système des retraites adapté aux évolutions de notre société.

Même chose pour notre système de prestations sociales. Notre choix d'augmenter les prestations sociales, l'AAH et le minimum vieillesse, le montre : nous voulons combattre la pauvreté. Mais il faut rendre ce système plus lisible pour les Français.

M. Stéphane Artano .  - L'allongement de l'espérance de vie bouleverse notre société. Selon la Sofres, une majorité de Français juge essentielle la transmission des patrimoines entre générations.

Allons-nous vers une lutte des âges ou, plutôt, une lutte des classes ? Selon Serge Guérin, dans La Guerre des générations n'aura pas lieu, les solidarités n'ont jamais été aussi importantes et la silver economy prend de l'ampleur.

Pour autant, l'isolement croît dans les territoires les plus éloignés, faute de médecins ou de services publics. Créons un véritable réseau de sentinelles pour lutter contre l'isolement de nos aînés. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, LaREM et Les Indépendants ; M. Yannick Vaugrenard applaudit également.)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Le programme Monalisa réunit 460 organisations en faveur des personnes isolées. Parce que trois bénévoles sur dix ont plus de 65 ans, nous voulons également favoriser le bénévolat pour lutter contre la solitude des personnes âgées. Mmes Buzyn et Cluzel ont installé en février, une commission de promotion de la bientraitance et de lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables, dont les personnes âgées font partie.

Mais il faut aussi souligner l'engagement des collectivités territoriales et de leurs CCAS. Lors des plans Canicule et Grand froid, elles s'assurent que les personnes âgées ont toute l'ingénierie nécessaire pour se préserver du risque chaleur et froid. On leur doit aussi des projets intergénérationnels avec la construction d'Ehpad auprès de crèches.

M. le président.  - Merci de respecter votre temps de parole, Madame la ministre.

M. Stéphane Artano.  - Le maillage territorial est plus compliqué dans la ruralité. Ce sujet mérite une réflexion au sein du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge.

Mme Nassimah Dindar .  - Ce rapport dresse un juste constat : celui de la nécessité de trouver de nouveaux modes d'expression des solidarités intergénérationnelles.

Comment éviter le cloisonnement des générations, la guerre des âges ? À La Réunion, nous avons créé deux structures originales pour les personnes âgées. La première est la maison d'accueil familial qui permet d'accueillir de 4 à 11 personnes, de façon moins onéreuse qu'en Ehpad et de manière plus familiale et identitaire, donc mieux ressentie par la personne âgée avec l'octroi d'un revenu décent aux accueillants. Elle est l'expression d'une forme de solidarité intergénérationnelle et d'une forme de solidarité sociale au service de la solidarité économique.

La deuxième est la résidence pour personnes âgées « Les tournesols », portée par le CCAS de Saint-Pierre, autour d'un triangle vertueux : des logements ; des espaces de vie partagés avec un jardin de plantes médicinales et aromatiques, lieu de transmission des savoirs ; un restaurant dont la gestion a été confiée à un établissement recevant des personnes handicapées. Il s'agit de donner des racines pour voler et des ailes pour s'enraciner, comme le disait Pablo Neruda. Impulsons de nouvelles dynamiques de solidarité. Quelle souplesse sera laissée aux acteurs des territoires pour innover ? (Applaudissements sur le banc de la délégation)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - La Réunion est un département jeune qui vieillit vite. Quelque 132 400 personnes âgées ont plus de 60 ans avec plus de 23 % de personnes seules en 2013 ; il faut donc anticiper les besoins. L'hébergement collectif alternatif, de petite taille, est une piste utile. Il faut aussi renforcer le dépistage de la maladie d'Alzheimer. Favoriser l'accueil familial, les services à domicile, tout cela est dans la feuille de route liée au livre bleu des outremers. Une convention vient d'être signée entre le département et le ministère des solidarités et de la santé pour la construction de 800 logements en résidences seniors d'ici trois ans.

M. Jean-Raymond Hugonet .  - L'allongement de l'espérance de vie entraîne la cohabitation de trois à quatre générations au sein d'une même famille. Ces liens se sont transformés. Maillon fort de la solidarité, les personnes de 55 à 70 ans sont essentielles. Cela tombe bien, la moyenne d'âge au Sénat est de 61 ans. Je les ai fêtés il y a six jours ! (Sourires)

Alors que 220 000 nouveaux cas d'Alzheimer sont décelés chaque année, on ne prend pas assez en compte la nécessité d'aider les aidants. Or ces aidants soutiennent non seulement leurs aînés mais aussi leurs enfants qui peinent à trouver un emploi, un logement ; à fonder un foyer.

Comment aider cette solidarité et recréer de l'entraide là où elle n'existe plus ? Merci à la délégation sénatoriale à la prospective pour son travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - L'entraide familiale, c'est 32,4 milliards d'euros chaque année et 90 % des transferts entre ménages. Elle se fait principalement à destination des jeunes, qu'ils soient ou non issus de familles aisées. Ces aides amoindrissent les différences de revenus entre générations mais les augmentent entre catégories sociales, accroissant les inégalités. Les personnes de 50 ans sont celles qui contribuent le plus.

La solitude des seniors s'est développée tout comme s'est affinée la fonction de grands-parents avec l'accroissement du temps disponible. Dans le cadre de la concertation Grand Âge et autonomie, nous ferons des propositions. La volonté d'engagement des jeunes et leur demande d'attention et de soins auprès de leurs aînés sont des phénomènes à appréhender de manière concomitante.

M. Yannick Vaugrenard .  - La nouvelle donne générationnelle s'inscrit au coeur des solidarités. Dans notre pays, 10 % des Français possèdent 55 % du patrimoine. Se posent les questions de sa transmission et de sa taxation. Nous devons nous pencher sereinement sur les droits de succession, mais pas de façon globale ! Distinguons le cas d'un couple modeste qui veut légitimement transmettre le bien pour lequel il a travaillé toute sa vie d'un couple qui possède beaucoup de biens ! Revoyons les droits de succession seulement pour les patrimoines importants et très importants. Il y va de la justice fiscale et sociale.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Depuis les années 1980, les flux de transmission augmentent plus vite que la croissance économique ; ils représentent dorénavant 10 % du PIB. Le taux moyen de taxation sur les actifs transmis est resté stable, de 5 %. Les Français sont attachés à la transmission du patrimoine accumulé après toute une vie de travail, comme en témoigne le taux de non-recours élevé sur l'allocation sociale à l'hébergement et l'ASPA en raison de possibles recours sur la succession ; le Gouvernement l'est aussi. En revanche, les donations de son vivant, comme le propose le rapport, doivent être facilitées.

Mme Corinne Imbert .  - Le tout-Ehpad présente des limites, je vous renvoie à l'avis du CCNE d'avril 2018. Les maisons d'accueil familial sont une solution d'avenir, pour l'accueil d'une à trois personnes, voire quatre s'il y a un couple. La rupture est moins brutale et la personne âgée peut conserver ses habitudes dans son environnement. Les accueillants ont parfois des enfants : la cohabitation devient un exemple d'intergénérationnel au quotidien. Pour être viable, cet accueil doit être d'un coût modéré. Est-il possible d'étendre l'accueil à quatre personnes, qu'il y ait ou non un couple ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ainsi que sur celui de la délégation ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Effectivement, il faut encourager des solutions intermédiaires, comme l'accueil familial, qui répondent souvent à des prises en charge temporaires. Le Gouvernement soutient ce mécanisme souple, intergénérationnel, avec une prise en charge de qualité. La possibilité, depuis 2010, de salarier les accueillants, et la loi de 2015 l'ont renforcé.

L'atelier « Offres de demain » de la concertation Grand Âge et autonomie proposera des solutions.

Mme Corinne Imbert.  - Vous n'avez pas répondu à ma question : est-il possible d'aller jusqu'à quatre personnes accueillies, qu'il y ait un couple ou non ? Le modèle économique serait plus viable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

Mme Monique Lubin .  - La prise en charge de l'autonomie met à l'épreuve notre contrat intergénérationnel, elle est très éprouvante pour les aidants. Le rapport sénatorial souligne la piste de la séniorité active : le risque dépendance serait un risque assurable, ce serait une alternative à l'instauration d'une seconde journée de solidarité. Pour moi, le système assurantiel est porteur d'inégalités en ce qu'il favorise les plus aisés. L'instauration d'un cinquième risque serait plus juste et mettrait en oeuvre la solidarité nationale. Aucune discussion sur cette option n'a encore abouti, si elle a jamais commencé...

Le président de la République pense-t-il au cinquième risque dans sa lettre aux Français lorsqu'il évoque un système social rénové ? Madame la ministre, avancerez-vous sur ce dossier ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Nous devons la solidarité nationale aux plus fragiles. La concertation sur le grand Âge et l'autonomie confiée à M. Dominique Libault sera suivie de débats parlementaires. L'assurance, comme d'autres solutions, doit faire partie de la réflexion.

Le dispositif d'aide doit être moins hétérogène, le reste à charge plus faible et le financement pérenne, dans un contexte de vieillissement de la population.

M. Jean-Marc Boyer .  - Un chiffre du rapport d'information est éloquent : les seniors représenteront un tiers de la population en 2050, contre un cinquième en 1990. Il faut donc soutenir l'accueil familial et l'entraide privée, qui renouent le lien entre les générations. Cela favorise le maintien à domicile des personnes âgées, leur bien vivre.

Le rôle des aidants est fondamental, leur reconnaissance passe par l'élaboration d'un statut. Enfin, les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) doivent aussi être soutenus.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement et le Parlement ont le même objectif : répondre aux besoins des 6 millions à 11 millions d'aidants. Depuis début 2018, un salarié peut renoncer, avec l'accord de son employeur, à des jours de repos pour un collègue qui soutient une personne dépendante. La loi Essoc a ouvert une expérimentation sur le relayage, le décret est en cours d'élaboration. Un nouveau service de réservation d'une place de répit, SOS Répit, a été lancé ; il recense 4 000 structures. L'habitat intergénérationnel est reconnu depuis la loi ELAN. Des mesures globales et cohérentes seront prises pour les aidants dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

Un quart des 400 000 participants à la consultation numérique dans le cadre de la concertation Grand Âge et autonomie avaient plus de 65 ans et un quart moins de 25 ans. Ces chiffres symboliques montrent que les jeunes se soucient de l'avenir de leurs parents et de leurs grands-parents.

Mme Christine Bonfanti-Dossat .  - Je salue le travail de la délégation qui pose un diagnostic étayé sur l'affaiblissement du lien intergénérationnel. L'entraide concernait 60 % des Français en 2018, contre 51 % en 2016. Les échanges matériels et symboliques au sein des familles se sont intensifiés. Or, depuis plusieurs années, nous assistons à un affaiblissement de la politique familiale : baisse du quotient familial, modulation des allocations familiales, mise en cause du principe d'universalité heureusement finalement écarté. La baisse de la natalité aura des conséquences sur la solidarité intergénérationnelle puisque les familles seront de moins en moins nombreuses et de moins en moins aidées. La politique familiale, à laquelle le président de la République s'est pourtant dit attaché, n'est pas à la hauteur des enjeux.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - L'entraide des familles est soutenue par les politiques publiques ; c'est notamment le cas du plan Pauvreté. Je pense à l'aide à la parentalité mais aussi à l'augmentation d'environ 200 euros du complément du mode de garde au profit notamment des familles monoparentales.

Nous aidons les parents, qu'ils soient âgés ou non.

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - Merci à la délégation pour ce débat dont je salue les propositions.

Le sujet, vaste, a des applications très concrètes. Si le code de l'action sociale et des familles régit l'accueil dans les familles, sa mise en place se heurte à des difficultés administratives et réglementaires. Contrairement aux familles qui accueillent des mineurs, les accueillants de personnes âgées ne sont pas embauchés par le département. Un rapprochement est-il envisageable ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement soutient la diversification des offres d'accueil des personnes âgées en perte d'autonomie. Depuis 2010, les maisons d'accueil familial ont pu se développer grâce à la possibilité de salarier les aidants. La loi de 2015 a créé un référentiel d'agrément et renforcé la formation des accueillants. La question de leur contrat de travail pourra être posée dans le cadre de la concertation Grand Âge et autonomie.

Mme Fabienne Keller, rapporteure de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Merci pour votre participation à ce débat portant sur des sujets humains et sociétaux. Avec Julien Bargeton et Nadia Sollogoub, nous avons eu plaisir et intérêt à travailler sur le rapport, qui abordait également le lien entre générations en matière politique.

Le constat en la matière est négatif : l'écart se creuse entre les générations. Un individu peut être considéré comme jeune jusqu'à 40 ans. Les nouvelles générations, bien que plus éduquées que les précédentes, participent moins aux élections. L'abstention évolue vers un comportement politique actif, signe parmi d'autres d'une crise de la démocratie.

De nouvelles formes de participation citoyenne émergent néanmoins. L'engagement citoyen se réalise différemment : consommer et manger bio, aider une voisine âgée, quitter un emploi salarié qui ne plaît pas. Les choix directs et concrets de vie privée et professionnelle ont une signification politique.

Les jeunes ont besoin d'être encouragés dans leur engagement. Le service civique, souvent effectué pour des motivations sociales et humanitaires - aider, être utile, transforme profondément leur rapport à la politique : cette expérience personnelle leur donne envie de participer plus largement à la vie démocratique. Nous pourrions nous appuyer sur cette expérience positive pour architecturer le service national universel.

Autre proposition, que nous avons faite bien avant la crise des gilets jaunes, travailler à mieux entendre la population, à mieux percevoir les actes politiques à bas bruit pour compléter la démocratie représentative. Merci à tous. (Applaudissements sur les bancs de la délégation et du groupe RDSE ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Prochaine séance demain, jeudi 17 janvier 2019, à 15 heures.

La séance est levée à 19 h 25.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus