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Table des matières



Engagement et proximité (Procédure accélérée - Suite)

M. Jean Louis Masson

Mme Cécile Cukierman

M. Claude Malhuret

M. Loïc Hervé

M. Mathieu Darnaud

M. Jérôme Durain

Mme Josiane Costes

M. François Patriat

M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales

Offensive militaire au nord-est de la Syrie

Discussion générale

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution

M. Pierre Laurent

M. Joël Guerriau

M. Alain Cazabonne

M. Christian Cambon

M. Patrick Kanner

M. Jean-Noël Guérini

M. Bernard Cazeau

M. Jean Louis Masson

M. Jean-Pierre Vial

M. Rémi Féraud

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Mise au point au sujet d'un vote

Renforcer l'encadrement des rave parties

Discussion générale

Mme Pascale Bories, auteure de la proposition de loi

M. Henri Leroy, rapporteur de la commission des lois

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

M. Alain Fouché

M. Loïc Hervé

M. Jérôme Durain

Mme Nathalie Delattre

M. Arnaud de Belenet

M. Jean Louis Masson

Mme Éliane Assassi

M. François Bonhomme

Mme Brigitte Lherbier

Mme Nicole Duranton

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Henri Cabanel

Mme Esther Benbassa

ARTICLE ADDITIONNEL

ARTICLE PREMIER BIS

ARTICLE 2

ARTICLE 3

Explications de vote

M. Jérôme Durain

M. Henri Cabanel

Mme Pascale Bories

M. Fabien Gay

Mme Sylvie Goy-Chavent

M. Arnaud de Belenet

Mme Cécile Cukierman

M. Henri Leroy, rapporteur

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État

Rappel au Règlement

M. Pierre Laurent

Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Véronique Guillotin

M. André Gattolin

M. Jean Louis Masson

M. Pierre Laurent

M. Franck Menonville

M. Pascal Allizard

M. Didier Marie

M. Jean-François Longeot

M. René Danesi

Mme Patricia Morhet-Richaud

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État

Mme Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires européennes

Annexes

Ordre du jour du mercredi 23 octobre 2019

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du mardi 22 octobre 2019

10e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Éric Bocquet, Mme Jacky Deromedi.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Engagement et proximité (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique.

Une grande aventure commence : je vous rappelle que ce scrutin s'effectuera depuis les terminaux de vote. (Sourires) Je vous invite donc, chers collègues, à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l'insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.

M. Jean Louis Masson .  - Tel que modifié par le Sénat, ce texte comporte quelques petites améliorations. Je le voterai donc, mais du bout des lèvres. C'est, en effet, une occasion manquée. Rien ne concerne la proximité, si ce n'est le titre du texte. Si l'on veut de la proximité, il faut mettre fin au gigantisme : grandes régions ou intercommunalités. Quand on regroupe une centaine de communes, des maires peuvent avoir une heure de route pour se rendre au siège de l'intercommunalité : est-ce cela, la proximité ? En supprimant le seuil de 15 000 habitants créé par la sinistre loi NOTRe, que nous n'avons été que 49 à repousser ici, on mettrait fin à cette absurdité !

Hélas, mes amendements n'ont pas été adoptés.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Ils n'ont pas été défendus.

M. Jean Louis Masson.  - Vous nous proposez qu'on puisse sortir plus facilement des intercommunalités, mais cela ne règlera pas le problème.

Avec les grandes régions, les choses sont encore pires. Le Gouvernement Valls, par un mensonge éhonté, nous promettait 10 milliards d'euros d'économie avec les grandes régions. La Cour des comptes l'a montré, les grandes régions, non seulement ne font pas d'économie, mais coûtent plus cher !

Mme Nathalie Goulet.  - Bien sûr !

M. Jean Louis Masson.  - Le Grand Est est deux fois plus grand que la Belgique ! Une conseillère régionale de la Marne me l'a écrit : elle doit faire 332 km pour aller à Strasbourg, soit 664 km aller et retour ! Le Grand Est a augmenté de 51 % les frais de déplacement et de réception. (On s'exclame sur le banc de la commission.) La Cour des comptes l'a révélé, cette région bat le record de France pour l'augmentation de son régime indemnitaire.

Mme Catherine Troendlé.  - Cela n'a rien à voir !

M. Jean Louis Masson.  - C'est bien la preuve que c'était une mauvaise idée.

Mme Cécile Cukierman .  - Avec ce texte, dont nous avons débattu deux semaines, nous devons répondre aux élus locaux - en particulier suite aux nombreux « irritants » de la loi NOTRe, auxquels nous mettons un coup d'arrêt bienvenu.

Ce projet de loi s'inscrit dans un contexte politique. Bientôt nous discuterons du projet de loi de finances qui ne répondra pas aux besoins, hélas. Puis nous examinerons le projet de loi « 3D ». Il est regrettable de ne pas avoir traité l'ensemble de l'intercommunalité dans le même texte.

Mais, rassurez-vous, nous serons présents malgré tout. La presse s'en est émue depuis quelques mois, le texte est celui de la crise de l'engagement.

Vous l'avez dit : pas de « big bang » ni de « grand soir ».

Ce texte apporte des réponses pour faciliter au quotidien l'exercice du mandat de maire, mais il comporte aussi des manques et les déceptions sont nombreuses.

La crise de l'engagement n'est pas seulement liée aux problèmes de l'intercommunalité, aux pouvoirs de police ou au manque d'un statut de l'élu mais aux difficultés qu'ont les élus de maintenir des services publics étatiques sur leur territoire : bureau de poste, gares, écoles, trésorerie... L'enjeu est la place de l'État : un État qui n'impose pas mais accompagne et sécurise l'exercice du mandat de l'élu local.

Ce texte tend à renforcer la place de la commune dans l'intercommunalité : c'est une bonne chose. Mais nous devrons conduire le débat sur la tarification sociale de l'eau.

Quant à la quatrième partie de votre texte, qui concerne le statut de l'élu - c'est l'expression retenue par la presse, n'en déplaise à ceux qui repoussent un tel statut -, des progrès sont à noter, en particulier dans la prise en compte des frais de garde ou encore la réévaluation des indemnités.

Notre groupe votera ce projet de loi. Nous serons vigilants lors du débat au sein de la CMP et au maintien des avancées que nous avons voulues. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Frédérique Puissat applaudit également.)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Il est difficile en France de résister à la tentation d'harmoniser, d'uniformiser le politique et l'administratif, obsession qui date de Philippe le Bel et qui a marqué toute notre histoire y compris - Tocqueville l'a bien dit - pendant la Révolution.

En 1800, Chaptal disait devant l'Assemblée : « Le préfet transmet les ordres au sous-préfet, celui-ci aux maires des villes, bourgs et villages, de manière que la chaîne d'exécution descend sans interruption du ministre à l'administré, et transmet la loi et les ordres du gouvernement jusqu'aux dernières ramifications de l'ordre social avec la rapidité du fluide électrique ».Quarante ans après la première loi de décentralisation, si l'on remplace les termes « ministre » et « préfet » par « experts », les choses ont-elles tant changé que cela ?

Une voix sur les travées du groupe Les Indépendants.  - Non !

M. Claude Malhuret.  - La rigidité de l'administration est comme un lit de Procuste dont nous cherchons à scier les barreaux. Ce texte fait pièce à la loi NOTRe, qu'on pourrait résumer à cette formule : « Chérie, j'ai rétréci les maires ». (Rires et applaudissements des travées du groupe RDSE jusqu'à celles du groupe Les Républicains)

Vous vouliez obtenir que les maires vous pardonnent, non pas à vous, monsieur Lecornu ou à votre Gouvernement, même s'il a été un peu rude au début...

M. Jean-Paul Émorine.  - Très bien !

M. Claude Malhuret.  - ... mais qu'ils pardonnent à tous les gouvernements successifs, qui n'ont su prendre que des mesures cosmétiques tout en prétendant répondre aux difficultés des maires. Vous vouliez que les maires pardonnent les fermetures de classes, les déserts médicaux, la fracture numérique. Vous vous présentez dans le rôle du rédempteur. (Rires sur de nombreuses travées) Cela nous mènera-t-il au Salut ? Espérons que le Sénat y ait au moins contribué - en tout cas, il n'y est pas opposé. Cette loi est-elle une révolution ? Non, et personne n'en demandait une, au contraire : les maires craignent plus que tout l'instabilité législative, plaie de notre pays.

Cette loi sera suivie d'un prochain texte sur les collectivités territoriales. Le travail sera-t-il abouti ? Pas tout à fait : il restera le chantier de la réforme de la fonction publique territoriale (M. Loïc Hervé applaudit.) et du statut de l'élu. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Le commencement, disait Aristote, est la moitié du tout. Restons optimistes. (Applaudissements des travées du groupe Les Indépendants jusqu'à celles du groupe Les Républicains ; M. Arnaud de Belenet applaudit également.)

M. Loïc Hervé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce texte est le fait d'un constat. Le mouvement des gilets jaunes a permis à notre pays de redécouvrir ce que sont les maires : des sentinelles de la démocratie. Face à des corps intermédiaires affaiblis, l'exécutif s'est tourné vers eux, les représentants les plus proches du terrain, en leur demandant de recoudre le tissu social. Les maires ont été au rendez-vous. La commune a été comme toujours une « petite République dans la grande », pour reprendre une expression chère au président Larcher, et même au service - voire au secours - de la grande.

Le Sénat ne voulait pas d'un nouveau rendez-vous manqué. Les rapporteurs, auxquels il faut rendre hommage, ont su éviter plusieurs écueils liés à l'approche des municipales, à la nécessaire articulation avec un texte à venir dont nous ne connaissons pas les contours, et encore à la diversité des sujets abordés.

Notre groupe décentralisateur et girondin a pris toute sa part. Je rends hommage notamment à Laurent Lafon et Jean-Marie Mizzon, chefs de file sur ce texte. Nous avons proposé et obtenu une conférence des maires obligatoire au sein de l'ensemble des EPCI, qui devra se réunir au moins une fois par trimestre.

Nos collègues handicapés bénéficieront d'avancées grâce à la mobilisation de nombreux collègues et du président de notre commission des lois.

Je dois relayer l'inquiétude de nos collègues polynésiens à propos de l'applicabilité du titre IV à la Polynésie française. Ils sont très attachés au principe d'égalité. D'autres sujets brûlants restent à traiter dont l'égalité homme/femme dans les fonctions exécutives, attente forte et légitime qui devra trouver une réponse avant 2026.

À quelques semaines de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, vous savez, monsieur le ministre, que la meilleure des pommades contre les irritants de la loi NOTRe est sonnante et trébuchante.

Attention aux hausses des indemnités, si elles doivent être financées par le seul budget communal : vous savez comme nous, monsieur le ministre, ce que c'est que le budget d'une commune de moins de 3 500 habitants.

En réalité, rien ne changera réellement sans aggiornamento de l'administration territoriale de l'État. Encore hier, je m'arrachais les derniers cheveux qui me restent... (Rires sur de nombreuses travées)

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Cela demande une certaine habileté !

M. Loïc Hervé.  - ... en lisant une lettre adressée à un maire et qui traduisait une réalité si lointaine de ce que vous professez, avec sincérité, dans ce texte.

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour préserver les avancées que nous avons obtenues au Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes Les Républicains, RDSE et Les Indépendants)

M. Mathieu Darnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le temps d'un instant, je laisse ma casquette de rapporteur et retrouve une certaine liberté de ton.

Avec ce texte, nous avons voulu délivrer un message : nous voulons défendre la commune, non pas l'échelon administratif, mais la commune qui est la patrie du quotidien, le creuset des solidarités, qui unit nos concitoyens dans un lien de proximité avec leurs élus, qui est une source de lien social et constitue une part de notre identité. Pour que vive la France communale, il fallait que ce texte redonne du souffle à cette commune et remette le maire et les élus locaux au coeur du débat, qu'il leur redonne la primauté dans la prise de décision et rende au bloc intercommunal sa capacité d'action efficace.

Pour plus de proximité, nous aurons la Conférence des maires qui donne voix au chapitre à chacune des 35 000 communes de France. Nous avons permis la redéfinition des EPCI XXL, lorsqu'ils éloignent trop le pouvoir de décision des citoyens.

Nous avons aussi redonné une place importante aux maires dans les commissions départementales de coopération intercommunale.

La consultation menée par le Sénat a mis en évidence les difficultés auxquelles étaient confrontés les maires, sentinelles de la démocratie. Ce texte a cherché à leur donner des solutions.

Nous espérons que nous serons entendus pour que la loi de finances assure la neutralité fiscale dans le retour des compétences des intercommunalités vers les communes.

Ce texte est une boîte à outils qui permettra aux élus d'exercer leurs compétences au plus proche de nos concitoyens.

Cher Claude Malhuret, je ne sais pas si ce texte permettra de nous faire pardonner nos erreurs ainsi que celles des gouvernements successifs. Le Sénat a souhaité faire passer un message clair : la commune représente tout pour nos concitoyens. L'intercommunalité n'est que le complément utile où se construit la mutualisation, mais la véritable collectivité, c'est la commune.

Ces débats ont montré que nous savions nous élever au-delà de ce qui nous sépare, pour répondre à la crise que traverse notre pays. C'est dire l'attachement qui est le nôtre à la vitalité de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et sur quelques travées du groupe RDSE ; M. Alain Richard applaudit également.)

M. Jérôme Durain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Le groupe socialiste et républicain se félicite que le Gouvernement se soit saisi des enjeux liés à la démocratie locale. M. Macron regrettait au début de son quinquennat le trop grand nombre d'élus locaux ; il a découvert leur importance sur le terrain.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Enfin !

M. Jérôme Durain.  - Le texte du Gouvernement était ambitieux. Je salue le travail des rapporteurs. Ce texte est constructif à défaut d'être structurant. Il améliorera les conditions d'exercice des mandats locaux et mettra fin aux tracas du quotidien des élus locaux.

Conférence des maires obligatoire, introduction de la parité et représentation des femmes dans les exécutifs communautaires, mais aussi tarification sociale de l'eau, telles sont quelques-unes des avancées notables introduites par notre groupe.

Sur les pouvoirs de police du maire, nous avons noté la forte demande qui existe chez les élus communaux.

Porté par Marie-Pierre de la Gontrie, soutenu par Roger Karoutchi, (On apprécie sur de nombreuses travées.) un amendement typiquement sénatorial donne la possibilité aux communes d'encadrer entre 60 et 120 le nombre des nuitées pour les meublés de tourisme de type Airbnb.

Nous avons aussi obtenu que tous les adjoints de mairie relèvent du droit du travail lors de la suspension de leur contrat de travail et au moment de leur réintégration.

Toutes ces avancées nous ont convaincus d'apporter notre appui à ce texte.

Quelques regrets cependant : des progrès supplémentaires en matière de parité auraient pu être votés. Certains amendements en matière de transferts de compétence pourraient créer de l'instabilité. La si décriée loi NOTRe, si imparfaite soit-elle, n'a été refusée que par quelques-uns dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

L'article 17 permettra aux intercommunalités de transférer à la région et au département des compétences qui leur auront été transférées par les communes : avouez que c'est très discutable quand on parle de renforcer la commune et la proximité ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

La rémunération des élus aurait mérité de donner lieu à des preuves d'amour supplémentaires de la part du Gouvernement. La question des villes moyennes n'est, à cet égard, pas réglée.

Les champs d'amélioration restent nombreux. Nous les poursuivrons lors de l'examen du texte dit 3D annoncé par le Gouvernement.

Nous suivrons avec intérêt les débats à l'Assemblée nationale, notamment sur la bientraitance fiscale. Nous attendons de voir les preuves d'amour du Gouvernement aux collectivités locales lors du projet de loi de finances.

Notre groupe votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois.  - C'est sage !

Mme Josiane Costes .  - Avec plus de 1 900 conseillers régionaux 4 000 conseillers départementaux et plus de 500 000 conseillers municipaux, la France compte 600 000 élus locaux qui se dévouent pour assumer une fonction qui devient de plus en plus difficile.

Ce projet de loi ne résoudra pas tout. Néanmoins, ne cachons pas notre satisfaction de voir quelques avancées qui amélioreront le quotidien des élus locaux.

Les charges pesant sur les élus locaux n'ont cessé de s'alourdir ces dernières années en raison notamment de la baisse des dotations, des transferts de charges et de la judiciarisation de leurs missions.

La loi NOTRe, partout, cristallise les mécontentements avec les intercommunalités forcées et disproportionnées. Le maire doit retrouver sa place au sein de la commune mais aussi de l'intercommunalité.

La Conférence des maires est le meilleur outil pour enrayer le sentiment de dépossession éprouvé par les élus. Les plus petites communes doivent être mieux représentées au sein des intercommunalités. L'intégration de l'accord local est, à cet égard, bienvenue.

Une intercommunalité apaisée est une intercommunalité qui peut agir efficacement dans le respect du principe de subsidiarité. L'article 17 sur les transferts de compétences y contribue utilement. La gestion de la compétence eau ne correspondait pas à une frontière administrative. Le projet de loi y remédie. Idem pour les PLUI, avec la possibilité de les différencier.

Le Sénat aurait pu aller plus loin en donnant davantage de pouvoir aux maires en matière d'urbanisme.

Cependant l'intercommunalité n'est pas la source de tous les problèmes. Les élus souffrent aussi des contraintes qui les entravent. Les élus urbains, issus de communes largement dotées, sont correctement indemnisés, ce qui est loin d'être le cas des élus ruraux qui n'osent souvent pas faire peser leurs charges de fonction sur le budget de leur commune.

Tout ne sera pas résolu d'ici le prochain renouvellement des conseillers municipaux, ce n'est d'ailleurs pas l'ambition de ce texte. Cependant, la revalorisation des indemnités des élus des plus petites communes, représente une avancée. Même chose pour le maintien de l'AAH des élus en situation de handicap.

Le système d'équivalence universitaire, porté par notre groupe, garantit aux élus une meilleure articulation entre vie familiale et vie professionnelle. Parce que le maire est parfois à portée de bousculade, et plus seulement d'engueulade, il était important d'intégrer à ce projet de loi les dispositions législatives du plan d'action pour la sécurité des maires proposé par le président de la commission des lois.

Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. François Patriat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Jamais le Sénat n'a été davantage le Sénat. Deux semaines durant, notre République décentralisée a subi un véritable contrôle technique. Pourtant ce texte n'a pas gagné en clarté ce qu'il a gagné en volume, puisque nous sommes passés de 32 à 123 articles.  Et nous n'avons pas gagné en clarté : en commission puis en séance, les termes juridiques les plus tarabiscotés ont croisé le fer. Galimatias, salmigondis, que retiendront nos concitoyens de ce tohu-bohu législatif ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

L'intercommunalité n'est pas leur langage, pas plus que le coefficient d'intégration fiscale ou la compétence « promotion du tourisme ».Leur quotidien est fait de montagne de mer, de forêts ou de champs.

M. François Grosdidier.  - Expliquez cela aux technocrates !

M. François Patriat.  - Nos concitoyens n'ont que faire du transfert de la compétence eau et assainissement, mais veulent que l'eau coule du robinet. Ce qui leur importe, c'est le bus qui pourra transporter leurs enfants à l'école. (Protestations à droite) Que pensent-ils de nos cinq heures de débat sur les modalités de désignation des vice-présidents d'EPCI ?

Le fond de notre affaire doit rester les Français.

Monsieur le ministre, vous savez vivre dangereusement : vous avez même mis sur la table le sujet des indemnités.

Libérer, simplifier, protéger, tel est le triptyque qui a présidé à ce texte. Sur le millier d'amendements déposés, il n'y avait pas que des amis de la liberté : ainsi sur la police municipale à Paris ou sur le droit de vote à 16 ans.

La liberté, c'est davantage l'assouplissement des conditions de délégation de compétences entre collectivités ou encore la faculté pour les départements d'attribuer des aides aux entreprises.

Nous protégeons davantage les élus, renforçons leur pouvoir de police et soutenons les petites communes. Nous administrons un choc de simplification pour libérer les élus de la rigidité de l'administration. Je le redis avec Paul Valéry : « un État est d'autant plus fort qu'il peut conserver en lui ce qui vit et agit contre lui ».

Monsieur le rapporteur, votre texte témoigne d'une conception généreuse de la liberté intercommunale. Cependant, la suppression du CIF n'est pas responsable ! Vous nous préparez des lendemains budgétaires gratinés...

Tout mandat électif se mesure en trois temps. Souhaitons que le dernier, celui de la sortie soit valorisé par l'expérience des élus.

La période des vendanges est terminée, nous espérons que ce texte contribuera à la République de demain et nous le voterons. (Quelques applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. le président.  - Il va donc être procédé dans les conditions prévues par l'article 56 du Règlement au scrutin public solennel sur l'ensemble du projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique.

Le scrutin sera ouvert dans quelques instants.

Je vous invite à insérer votre carte de vote dans le terminal.

Le scrutin est ouvert. J'invite les secrétaires, dès qu'ils auront voté, à monter au plateau pour superviser le déroulement du vote.

Voici le résultat du scrutin n°14 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 338
Contre     2

Le Sénat a adopté le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique.

(Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants, UC, Les Républicains et LaREM et sur quelques travées du groupe SOCR)

M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales .  - Je vous remercie collectivement, quelles que soient nos sensibilités politiques, pour la qualité de nos débats pendant 50 heures de travaux. Je rappelle que nous avons co-construit ce texte avec vous, monsieur le président du Sénat. Ce texte aurait pu ne pas être consensuel car il renvoie à des expériences locales.

Nous avions deux objectifs au cours de l'examen des près de 1 000 amendements : éviter les errements de la loi NOTRe en déstabilisant le prochain mandat municipal, comme ce fut le cas entre 2014 et 2020. Notre deuxième objectif était de connecter les questions institutionnelles et juridiques aux dispositions financières ; si cela avait été fait davantage dans la loi NOTRe, nous aurions eu moins de déconvenues... (M. François Bonhomme approuve.)

Merci pour ce vote : j'y vois comme un encouragement à poursuivre notre collaboration. Le peuple français et ses représentants sont amoureux de la liberté. L'esprit de Tocqueville a été présent dans cet hémicycle pour donner plus de liberté aux élus locaux et aux territoires.

Le souci d'égalité a toutefois contrebalancé certaines aspirations à davantage de liberté. Ce noeud de doctrine entre ces deux valeurs doit nous conduire à beaucoup d'humilité et nous avons vu les clivages se faire entre ces deux principes. La liberté, notamment locale, est un combat permanent.

Merci pour les 500 000 élus locaux et pour la qualité de votre travail. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE ; MM. David Assouline et Jean-Michel Houllegatte applaudissent également.)

M. le président.  - Merci monsieur le ministre, merci également à nos deux rapporteurs et à notre président de commission.

La séance, suspendue à 15 h 40, est reprise à 15 h 45.

Offensive militaire au nord-est de la Syrie

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, tendant à l'engagement résolu de la France en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international visant à mettre un terme à l'offensive militaire menée par la Turquie au nord-est de la Syrie, présentée par MM. Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Christian Cambon et Rémi Féraud (à la demande du groupe Les Républicains).

Discussion générale

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À l'heure où je vous parle, nous ne savons pas ce que va devenir l'accord de cessez-le-feu. S'il va à son terme, il signifiera la fin de la présence kurde à la frontière nord-est de la Syrie. Les trahisons profitent rarement à leurs auteurs. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam le confirme.)

Daech est né du chaos suscité par l'intervention américaine en Irak - je salue Jacques Chirac qui en a préservé la France (M. Christian Cambon renchérit.) et du retrait précipité des troupes américaines par Barack Obama.

Pendant des mois et des mois, la Turquie a encouragé le financement de Daech en laissant passer les camions chargés de fûts de pétrole et en laissant entrer les apprentis djihadistes en provenance d'Europe.

Aujourd'hui, les Américains, et nous aussi, sommes tentés d'abandonner le peuple kurde. C'est intolérable. Avant que je ne mette les pieds sur le Kurdistan irakien, les Kurdes étaient à mes yeux un peuple de combattants. C'était une nation sans État. Et puis, il y a eu Erbil, Kobané, Raqqa. Erbil, en août 2014, c'était une main tendue des Kurdes à toutes les minorités que Daech tentait d'éradiquer. Ensuite, Kobané marqua la formidable résistance des Kurdes, notamment des femmes kurdes, ces Antigones modernes. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam renchérit.) Enfin, sans les Kurdes, nous n'aurions pas repris Raqqa. La pointe avancée de la lutte entre la civilisation et la barbarie islamique n'était pas incarnée par la coalition internationale, mais par nos amis Kurdes.

À l'heure où les Kurdes se tournent vers nous, qu'allons-nous leur dire ? L'offensive turque est moralement injustifiable - c'est un nettoyage ethnique avec son cortège d'horreurs - (Mme Sylvie Goy-Chavent renchérit.) et politiquement irresponsable en encourageant la résurgence de Daech. Chaque semaine qui passe voit de nouveaux attentats. En outre, 10 000 djihadistes, dont 500 Français, étaient emprisonnés par les Kurdes. Que vont-ils devenir ?

Cette résolution affirme solennellement que les Kurdes ont payé le prix du sang pour nous.

M. Christian Cambon.  - Très bien !

M. Bruno Retailleau.  - Nous voulons aussi rappeler au Gouvernement certains principes. La France se serait ainsi honorée de rappeler son ambassadeur à Ankara. Les symboles comptent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur quelques travées du groupe SOCR) Nous aurions dû suspendre le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Comment imaginer que ce pays intègre l'Union dans ces conditions ? Qui peut penser que son avenir est en Europe ?

Nous devons tout faire pour faire cesser cette offensive et permettre d'acheminer l'aide humanitaire à toutes les populations, sans exclusive.

Pour l'avenir, je fais trois propositions. La coalition doit actualiser sa stratégie. Comment voulons-nous combattre Daech ? Depuis le dernier quinquennat, la France s'est totalement alignée sur la stratégie américaine. Elle doit retrouver son chemin de crête en redevenant une puissance de dialogue au service de la paix. Elle doit parler à la Russie comme à la Syrie. Nous nous sommes fourvoyés en coupant tout contact avec ce pays, même si personne ne justifie les menées de ce régime. Nous devons retrouver une diplomatie conforme à ce que nous sommes.

L'Union européenne, quant à elle, doit renoncer à la culture de l'impuissance et acter ses divergences avec les États-Unis. L'Amérique que nous avons aimée, qui nous a libérés, n'est plus un partenaire fiable. Tirons-en les conséquences ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC, RDSE et SOCR)

M. Pierre Laurent .  - Nous souscrivons avec l'intention de principe de la proposition de résolution et condamnons fermement l'offensive turque rendue possible par le feu vert de Donald Trump. Mais cela ne suffira pas à arrêter le régime d'Erdogan.

À quelques heures de la fin du cessez-le-feu, notre inquiétude est à son comble. Erdogan a refusé de le prolonger, comme l'avait demandé Emmanuel Macron à Vladimir Poutine. La pression doit s'amplifier pour éviter le pire.

Nous devons placer les Kurdes sous protection. La France doit demander en urgence une nouvelle réunion du Conseil de sécurité à cet effet, mais elle n'est pas à la hauteur du péril. Tout se passe comme si nous lâchions les Kurdes, les forces démocratiques syriennes et les populations civiles, à la merci des bombardiers turcs.

Erdogan veut liquider physiquement l'expérience laïque et démocratique du Rojava. Les protagonistes semblent hélas acter la disparition d'un territoire kurde.

Où sont les sanctions politiques et économiques contre la Turquie ? Erdogan a redoublé ces derniers jours la répression contre les Kurdes en territoire turc.

Face à ces nouvelles alarmantes et concordantes, Emmanuel Macron a annoncé au Conseil européen une éventuelle rencontre à Londres entre Boris Johnson, Angela Merkel, lui-même et Erdogan. Mais pour quoi faire ? Colmater les brèches et reconstituer une coalition avec celui-là même qui massacre les Kurdes et les forces démocratiques syriennes ? Ces hypocrisies doivent cesser.

Nous restons enlisés dans l'OTAN, avec des alliés qui nous ont tourné le dos. La France doit retrouver une voix indépendante dans le monde, notamment pour apporter un soutien sans faille aux acteurs humanitaires. Les civils, en effet, se trouvent en première ligne de l'avancée turque. Ils risquent de devoir à nouveau partir. Mais vers quel nouvel enfer ? La France doit agir sans tarder aux côtés de ces ONG.

Je voudrais aborder une question plus difficile : puisque la résolution s'inquiète du sort des djihadistes, je veux dire mon incompréhension devant la démarche de notre ministre des Affaires étrangères qui a voulu marchander le gardiennage des djihadistes français avec l'Irak. Est-ce digne de la France ?

Le coordinateur des juges antiterroristes l'a dit : nous sommes armés judiciairement pour prendre nos responsabilités. Et que dire des enfants de ces djihadistes français - au nombre de 300 dont la plupart ont moins de 5 ans, protégés pourtant par tous les traités internationaux. Qu'attendons-nous ? Leur mort lente ou leur retour dans les griffes de Daech ?

Nous voterons cette résolution le coeur serré car l'heure est à l'action, pas aux mots ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

M. Joël Guerriau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) La Turquie a lancé le 9 octobre l'opération « Source de paix » - quel paradoxe - dans le Kurdistan syrien. Ankara dit vouloir protéger sa frontière contre les terroristes. Pourquoi un pays ami, membre de l'OTAN et de la coalition internationale contre Daech, engage-t-il une intervention unilatérale ?

Ces dernières années, le comportement d'Ankara a changé. Alors que le pays est membre de l'OTAN et candidat à l'Union européenne, son dirigeant a déclaré hier : « Tout l'occident s'est rangé aux côtés des terroristes et ils nous ont attaqués tous ensemble. Parmi eux les pays de l'OTAN, les pays de l'Union européenne. Tous ». Ce n'est pas parce qu'un djihadiste est français que tous les Français sont des terroristes, il en est de même pour les Kurdes.

Cette invasion risque de tourner au massacre. Une enquête de l'Office pour l'interdiction des armes chimiques a été ouverte vendredi dernier : du phosphore blanc aurait été utilisé contre les Kurdes.

Cette offensive est injustifiable car elle a lieu contre des alliés qui luttent contre Daech. Les Kurdes se sont battus pour défendre leur territoire et ont largement contribué à la défaite de l'État islamique. Bien sûr, comme l'a cyniquement rappelé le président Trump, ils se sont battus pour leur survie, mais aussi, en 2014, pour sauver les 50 000 Yézidis coincés sur le mont Sinjar. La sécurité de notre pays leur doit aussi beaucoup.

Cette offensive est injustifiée car elle se fait contre ceux que la Turquie avait déjà abandonnés aux coups des djihadistes. Souvenons-nous du siège de Kobané en 2014 : pendant le premier mois, pas de réaction turque. Pire encore, la Turquie en fermant sa frontière empêchait les secours d'arriver aux Kurdes.

À cette époque déjà, la Turquie avait tenté d'obtenir, en échange de l'ouverture de sa frontière, la création d'une zone tampon large de 20 kilomètres le long de sa frontière syrienne. L'offensive actuelle porte le même objectif en augmentant cette zone tampon à 30 kilomètres.

La situation du Kurdistan syrien est complexe. Le principe d'intangibilité des frontières doit être respecté, comme celui de l'autodétermination des peuples. Le Kurdistan, c'est 40 à 50 millions de personnes réparties entre quatre pays. Pour rappel, la Syrie compte 20 millions d'habitants, et l'Irak 40 millions.

Les Kurdes sont des alliés efficaces, fiables et loyaux. Nous ne voulons pas voir l'éloignement des Turcs ni celle des États-Unis. La volte-face américaine est surprenante et ne fait que confirmer la nécessité d'une autonomie stratégique européenne.

L'Union prend conscience qu'elle doit affronter cette situation sans l'appui des États-Unis, puisque Donald Trump poursuit la stratégie initiée sous Barack Obama, à savoir le désengagement américain du Moyen-Orient.

L'Europe est tombée dans le piège de la sous-traitance : celle des djihadistes et des réfugiés, ce qui ouvre la voie à tous les chantages.

L'Europe n'est malheureusement pas unie, souffrant du soutien hongrois à la Turquie.

La Revue stratégique avait mis en évidence l'instabilité et l'insécurité qui caractérisent notre XXIe siècle. Nous y sommes dans bien des domaines.

Si l'Europe ne prend pas ses responsabilités, l'histoire de l'humanité s'écrira sans elle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants ; M. Christian Cambon et Mme Marie-Thérèse Bruguière applaudissent également.)

M. Alain Cazabonne .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Après l'annonce du retrait des troupes américaines par le président Trump, des militaires et supplétifs turcs ont pénétré sur le territoire syrien mercredi dernier, du fait du retrait américain.

Il s'agit d'une faute morale, stratégique et politique. Comme le disait Churchill en 1938 aux négociations de Munich : « Vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ». (M. Christian Cambon le confirme.)

L'Union européenne a exigé l'arrêt de l'offensive et le Conseil de sécurité de l'ONU s'est réuni en urgence, jeudi 10 octobre, mais sans résultat concret.

Cette offensive soulève de nombreuses inquiétudes, à propos des 10 000 prisonniers djihadistes et des trois millions de réfugiés syriens en Turquie qui pourraient être poussés à venir en Europe.

Ce nouvel épisode du conflit syrien est en outre lourd de conséquences pour l'équilibre global des puissances. En effet, l'attaque par la Turquie de forces alliées aux Américains et soutenues par une coalition occidentale n'a pas manqué de jeter le trouble dans l'Alliance Atlantique, dont sont membres à la fois Washington, Ankara et nous autres Européens. Elle met donc dangereusement en évidence les failles du camp occidental.

Que vaut la protection américaine ? Que valent les engagements américains, depuis 2013, lorsque le président Obama n'avait pas mis ses menaces à exécution malgré l'usage d'armes chimiques ?

Le grand gagnant dans ce conflit est le président Poutine. Les Kurdes ont dû passer un accord avec leur ennemi d'hier, l'armée de Damas, qui est venue se placer le long de la frontière nord. Si les médias ont montré les négociations entre Américains et Turcs pour le cessez-le-feu, c'est en réalité Vladimir Poutine qui est à la manoeuvre.

Cette résolution va dans le bon sens. Mais il ne s'agit que de mots. L'engagement de l'Europe n'est toujours pas à la hauteur. Les Américains avaient 2 000 soldats sur place en première ligne. Mais ce qui intimidait, ce n'était pas tant le nombre de ces soldats que la présence d'une puissance capable de frappes de loin et forte d'une volonté militaire. Lorsque nous sommes forts, les mots parlent pour nous ; lorsque nous sommes faibles, nos mots sont de faible poids.

Espérons que ce conflit achèvera de convaincre ceux qui doutent de l'urgence d'une défense et d'une diplomatie européenne. C'est au creux de la vague quand les sécurités se dissolvent qu'il faut affirmer ce que l'on veut faire. Que fera l'Europe ? Une défense européenne est-elle à faire à 4, à 6, a-t-elle besoin de l'accord des 27... ou des 28 ? Quel commandement ? Face à ces difficultés, je citerai un proverbe chinois : « un voyage de 1 000 lieues commence par un premier pas ». Je souhaite que la France fasse ce premier pas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Christian Cambon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) L'offensive turque marque un tournant pour la région, pour l'Europe, pour la France. Les présidents turc et américain ont agi pour des raisons de politique intérieure ; mais les conséquences seront internationales et géopolitiques. À court terme, la trahison par les Américains de nos alliés Kurdes remet en selle Daech.

Sur le moyen terme, ce tournant marque la victoire du régime de Bachar el-Assad et de ses soutiens iranien et russe ainsi que la fin du processus de Genève et de l'espoir d'une solution politique à la guerre civile syrienne. Il marque le retrait des Américains du Moyen-Orient, qui laissent leur rôle à la Russie. Ils ont livré le Moyen-Orient sur un plateau aux présidents Poutine et Rohani.

La portée de l'onde de choc de ce séisme est encore difficile à mesurer, mais elle sera à coup sûr considérable.

Deuxième effet de moyen terme : l'éloignement de la Turquie de l'Europe. En faisant le jeu russe, en attaquant nos alliés kurdes, en permettant la résurgence de Daech et en nous menaçant d'un chantage aux réfugiés, la Turquie est entrée en isolement. Après la remise en cause des libertés publiques, après l'achat des systèmes de défense anti-aérienne à la Russie, après les forages illégaux au large de Chypre, la Turquie achève de tourner le dos à l'Europe. Là encore, les conséquences seront très lourdes.

Enfin, à long terme, cette crise est le fruit du « pivot stratégique » américain annoncé par Barack Obama et accéléré par Donald Trump : l'Europe et le Moyen-Orient ne sont plus des priorités stratégiques pour les États-Unis. Ce retrait américain laisse apparaître l'Europe dans toute sa faiblesse stratégique et pose une forte question à l'OTAN.

Aujourd'hui, l'OTAN n'a aucune autonomie par rapport aux États-Unis, comme l'a illustré l'indigence des réponses que son secrétaire général, M. Stoltenberg, avait à présenter lorsque je l'ai interpellé à Londres sur ce sujet il y a une semaine. Pourtant, à part les États-Unis et la Turquie, l'ensemble des alliés condamnait cette attaque. Pouvons-nous agir sans les Américains ?

Puissent ces événements accélérer une prise de conscience chez certains de nos partenaires qui ont douté jusqu'à présent que l'Europe doive un jour se défendre seule. Il n'y a plus de dichotomie entre une Europe de l'Ouest, préoccupée par le flanc sud, et de l'Est, préoccupée par la frontière orientale. Aujourd'hui, nous constatons tous que cette opposition n'a plus lieu d'être. L'acteur principal aujourd'hui en Syrie, celui devant qui les États-Unis ont choisi de s'effacer, c'est la Russie. Ce qui se passe en Syrie a des conséquences pour l'Europe, tout comme ce qui se passe en Irak, au Sahel, en Ukraine ou en Géorgie. C'est d'ailleurs pour cela qu'il convient de parler à la Russie.

À l'heure où prévalent l'égoïsme et le court-termisme électoraliste, où le jeu des puissances broie le droit international et les populations civiles, ceux qui ne seront pas capables de se défendre par eux-mêmes seront trahis, abandonnés et soumis. L'enjeu, c'est que l'Europe ne sorte pas de l'histoire. (M. Bruno Retailleau approuve et applaudit ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Tout nous porte à secourir les Kurdes : l'honneur mais aussi le souci de notre sécurité. À court terme pour freiner le retour de Daech, et à long terme pour redéfinir l'architecture d'une sécurité collective.

Je salue le consensus politique large que cette proposition de résolution recueille. Nous parlons d'une voix forte et unie, car il y va de l'honneur et de la sécurité. (Applaudissements)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Il y a des moments rares pour un pays où un simple choix peut faire basculer dans l'honneur ou le déshonneur. Nous vivons un tel moment.

Depuis 2011, la Syrie est en guerre civile. Dans l'intervalle, notre pays, comme d'autres, a été durement touché par le terrorisme de Daech. Déjà en 2013, avant Trump, le retrait américain nous avait empêchés d'agir contre les crimes d'Assad et de réduire Daech. Fermer les yeux, c'est trois fois irresponsable, car c'est mettre en danger notre sécurité, c'est trahir les Kurdes, c'est donner le pouvoir à Assad.

Si les États-Unis ont une responsabilité évidente, ne rien faire serait pour la France profondément déshonorant.

Or la France agit peu. L'embargo sur les armes est peu de chose. Or nous pouvons faire quelque chose, nous avons des alliés. Nous aurions alors les honneurs de la communauté internationale, comme en 2004 lorsque le président Chirac s'était illustré en refusant de s'engager dans une guerre dangereuse et sans fondement.

Il est temps que notre pays agisse. Le Gouvernement de la France doit tenir compte de cette résolution et agir, même tardivement.

Notre pays peut remercier le peuple kurde pour le combat courageux mené au sol contre Daech. Notre pays a une dette envers les Kurdes qui ont sacrifié des milliers de vies. Nous ne les remercierons jamais assez et surtout pas en les abandonnant.

M. Bruno Retailleau.  - Très bien !

M. Patrick Kanner.  - Notre pays doit porter le sujet devant l'Union européenne et l'ONU : la zone tampon doit être rétablie. Les récents combats ont tué des centaines de personnes et en ont déplacé 300 000, sans compter les 3,5 millions de réfugiés syriens en Turquie - la situation va devenir inextricable si nous n'agissons pas rapidement !

À force d'intérioriser une forme d'impuissance, la France, l'Europe, la communauté internationale, traumatisées par la guerre en Irak, sont devenues passives. Ce mutisme croissant face aux violations du droit international, cette lente agonie de résolutions non appliquées n'apportent rien de bon. La France a un rôle primordial à jouer en Europe. Il y va de notre crédibilité, de notre honneur et de la paix mondiale. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et UC et sur quelques travées du groupe CRCE)

M. Jean-Noël Guérini .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Chaos, impuissance et colère. Depuis le 9 octobre, nous commentons l'offensive turque en Syrie par ces mots. La France et l'Europe sont ravalées au rang de spectateurs passifs. Avec l'offensive turque, favorisée par le feu vert américain, Vladimir Poutine apparaît comme le maître du jeu.

Sur le plan humanitaire, les populations civiles sont menacées, ballotées. Pas moins de 130 000 déplacés, et je ne compte pas les morts... Bilan provisoire, compte tenu de l'implication de milices motivées par une soif sanguinaire de vengeance... Nous gardons à l'esprit les massacres de civils, le commerce de femmes, les pillages, les déplacements forcés commis au nom de l'obscurantisme mortifère porté à son paroxysme par Daech.

On mesure là l'irresponsabilité des présidents Trump et Erdogan. Ce dernier se dit prêt à « écraser les têtes des terroristes ». Mais sa déclaration vise les Kurdes, nos alliés, avec lesquels nous avons gagné la bataille contre Daech !

Le traité de Lausanne de 1923 et la naissance de la Turquie moderne kémaliste ont enterré la promesse d'un Kurdistan autonome. En visant le nord-est de la Syrie, qu'il considère comme la base arrière du PKK, Erdogan, fragilisé, a choisi la fuite en avant.

Nous avons un devoir moral envers nos frères d'armes kurdes. Les combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS) ont permis, avec les forces de la coalition internationale, de détruire la tentative d'organisation territoriale de Daech.

Sur le plan sécuritaire, la calamiteuse opération turque menace nos propres intérêts car, le Premier ministre l'a rappelé, elle fait courir le risque d'une résurgence des forces de Daech. La zone compte près de 10 000 djihadistes, dont 2 000 prisonniers. La France souhaite voir les djihadistes français jugés en Irak. Il nous faut des garanties quant à la capacité de l'Irak à juger ces personnes, et éviter les évasions dans le contexte actuel. Des familles de djihadistes se seraient échappées du camp d'Ayn Issa. Combien de combattants ont pu également profiter du désordre créé par l'offensive turque ?

Le sort des 3,5 millions de réfugiés ne concerne pas que la Turquie, nous rappelle le président Erdogan, qui menace de nourrir la crise migratoire européenne. L'aide financière de l'Union européenne ne semble pas suffire à Ankara qui voit dans son offensive un moyen de relocaliser ces réfugiés.

Que dire des palinodies de l'Union européenne qui, une fois de plus, n'est pas parvenue à un accord sur la suspension des contrats d'armement vers la Turquie, mesure pourtant bien symbolique.

Quant aux sanctions économiques, elles affecteraient d'abord l'Allemagne et la France.

Pour autant, devons-nous rester les bras croisés et laisser la brutalité l'emporter sur la diplomatie et la raison ? Non ! Nous avons péché de ne pas avoir suffisamment porté auprès du Conseil de sécurité de l'ONU et de l'Union européenne les propositions politiques indispensables à la sortie des conflits.

À l'évidence, jusqu'aux élections de novembre 2020, les Américains se retireront des zones d'intervention pour mieux se recroqueviller sur leurs problèmes intérieurs.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Jean-Noël Guérini.  - Les Kurdes en appellent au régime de Damas pour leur survie. Nous avons souvent rappelé que Bachar el-Assad resterait hélas la solution, malgré notre attachement aux droits de l'Homme...

Face à l'asservissement et à la tyrannie, répondons démocratie, courage, responsabilité et espoir. Le RDSE partage les préoccupations de cette résolution et la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Bernard Cazeau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Ce débat est l'occasion de nous prononcer sur l'offensive sanglante menée par la Turquie contre les Kurdes dans le nord-est de la Syrie. L'émotion est vive alors que l'accord de trêve prend fin dans six heures, avec une issue incertaine.

Notre groupe condamne l'opération militaire turque, flagrante violation du droit international rendue possible par le retrait des forces américaines. C'est une faute politique, morale et stratégique, aux conséquences humanitaires dramatiques. On compte déjà 166 000 déplacés, dont 60 000 enfants.

C'est aussi une trahison, car elle est menée contre les Kurdes, nos alliés au sein de la coalition internationale contre le terrorisme dont la Turquie fait partie. Sans leur aide décisive, sans leur sacrifice, nous n'aurions pu aboutir aussi vite à la fin de la bataille territoriale contre Daech et à la libération de l'Irak. Nous leur témoignons notre solidarité. Quelle crédibilité accorder à une alliance militaire si elle débouche sur une telle trahison ?

Enfin, cette offensive est une faute stratégique qui sape cinq années de combats pour la stabilisation de la région. Nous sommes soucieux de la sécurité des camps de détenus djihadistes et des prisons à proximité de la frontière. Le risque de résurgence de Daech sur les cendres de ce chaos est élevé, et la Turquie en porte la responsabilité.

La trêve a été négociée en l'absence des principaux acteurs concernés, entérinant une capitulation face aux revendications turques. Avec l'inconstance du président Trump, c'est la crédibilité occidentale, celle de l'Alliance Atlantique, du monde libre face au totalitarisme qui en ressort affaiblit. La Russie et l'Iran, eux, apparaissent comme une alternative crédible.

Cette situation doit pousser à un réveil des consciences en Europe. Nous ne pouvons plus laisser l'Histoire se faire sans nous. L'Europe a besoin d'autonomie stratégique, comme le prône le président de la République à travers son agenda de renforcement de la souveraineté européenne.

Notre groupe sait le Gouvernement déterminé à s'engager en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international visant à mettre un terme à l'offensive militaire turque et soutiendra donc cette proposition de résolution. Nous devons multiplier les efforts diplomatiques dans le cadre de l'Union européenne, de l'OTAN et du Conseil de sécurité. La voie diplomatique est la seule possible.

Le président de la République a annoncé une initiative commune avec la chancelière allemande et le Premier ministre britannique afin de rencontrer le président turc en décembre, en marge du sommet de l'OTAN. Espérons que cette démarche permettra d'avancer dans la résolution de ce conflit. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe UC)

M. Jean Louis Masson .  - Si nous sommes devant une situation inextricable au Moyen-Orient, ce n'est pas seulement la faute des pays concernés, mais surtout celle des pays occidentaux.

Pourquoi l'État islamique s'est-il développé, sinon parce que les États-Unis ont engagé une guerre d'agression contre Saddam Hussein ? Je ne le défends pas - il n'était pas parfait. Mais avec lui, nous étions plus tranquilles qu'avec Daech. (M. Bruno Sido le reconnaît.) Si on ne l'avait pas renversé, des centaines de milliers de personnes n'auraient pas été tuées. (Mouvements divers)

La chienlit en Irak, c'est la faute de ceux qui sont allés y faire la guerre. La chienlit en Libye, c'est la faute de l'intervention de M. Sarkozy pour renverser Kadhafi ! Je ne connais pas ses mobiles réels, mais si la Libye de Kadhafi était une dictature, ce n'était rien par rapport à la situation actuelle !

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Parlez du sujet !

M. Jean Louis Masson.  - L'État islamique, c'est 400 000 morts en Syrie, un État déstabilisé, aux mains des milices - parce que certains pays occidentaux ont voulu, avec la Turquie, renverser le régime syrien, qui n'était certes pas parfait, mais là encore, préférable à la situation actuelle.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État.  - Raqqa !

M. Jean Louis Masson.  - Merci aux États-Unis pour l'Irak, à M. Sarkozy pour la Libye, à M. Hollande qui a tout fait pour torpiller le régime de Bachar el-Assad. (M. Jean-Marc Todeschini proteste ; on s'impatiente sur les travées du groupe Les Républicains.) Et le Gouvernement actuel poursuit dans la même logique.

Les deux pays à l'origine de tous les problèmes au Moyen-Orient sont ceux à qui nous vendons des armes : la Turquie et l'Arabie saoudite. C'est inadmissible.

M. Jean-Pierre Vial .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le retrait brutal des forces américaines et l'offensive turque marquent une nouvelle étape dans un conflit vieux de huit ans. Le désengagement américain avait déjà été évoqué par le président Obama, mais son successeur le met en oeuvre avec brutalité et précipitation. Rarement une escalade politico-militaire n'aura provoqué autant d'effets collatéraux... L'OTAN ne pourra pas rester silencieuse face aux événements engagés et aux interrogations qui en résultent.

Les conflits de Syrie et d'Irak ont montré l'importance cruciale de l'unité et de l'intégrité territoriale de ces pays. La frontière nord de la Syrie porte le poids de l'histoire, des accords Sykes-Picot et du traité de Lausanne. Tout doit être fait pour que l'opération turque visant à installer une zone tampon ne soit pas un prétexte pour porter atteinte à l'intégrité territoriale de la Syrie. Il en va de la sécurité des Kurdes, des populations du nord de la Syrie dans toutes leurs composantes ethniques et religieuses.

Les événements de Kobané ont brutalement rappelé que, pour les Turcs, le principal ennemi est le PKK, bien avant Daech. Après l'opération Bouclier de l'Euphrate en 2016, l'offensive d'Afrin a conforté la volonté de contrôle de la Turquie sur cette bande frontalière. L'offensive du 9 octobre procède de la même logique. L'argument selon lequel il s'agirait d'y installer des réfugiés parait peu crédible. Vu le prix du sang versé par les combattants kurdes dans la guerre contre Daech, nous leur devons au moins la sécurité. L'accord qu'ils ont été conduits à trouver avec les autorités syriennes ne leur apporte pas les garanties nécessaires. Nous devons tout faire pour mettre un terme à l'engagement militaire turc, et protéger les populations.

Quelques dizaines de milliers de prisonniers djihadistes se trouvent au nord-est de la Syrie. Leur dispersion aurait des conséquences graves pour notre sécurité. Selon le ministre Le Drian, ils relèvent de la justice irakienne. Mais quid des enfants et des femmes non combattantes ? Entre syndrome de Guantanamo et retour des terroristes dans leur pays d'origine, l'enjeu sécuritaire, au-delà de l'aspect humanitaire, impose des décisions politiques courageuses.

Dans ce conflit, l'Union européenne aura été la grande absente, hormis un embargo qui fait surtout souffrir la population syrienne, comme nous le disait en audition le président du Comité international de la Croix-Rouge.

L'Europe, et surtout la France, doivent prendre leur part. Lors de son arrivée à l'Élysée, Emmanuel Macron défendait une ligne gaullienne, entre les États-Unis et la Russie. Ce fut la toile de fond de son discours aux ambassadeurs. Ce soir, Poutine et Erdogan se rencontreront. Il faut que s'ouvre une nouvelle page.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-Pierre Vial.  - La France est attendue. Il y a le temps des paroles et le temps des actes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Rémi Féraud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) La semaine dernière, nous avons été nombreux à interpeller le Gouvernement sur la réponse de la France à l'offensive turque, en violation du droit international. L'ultime volte-face de Trump confine à la trahison. En visant les Kurdes, le président turc a mis à mal une situation fragile, menaçant notre sécurité en permettant la résurgence du terrorisme islamique. N'oublions pas que les supplétifs de l'armée turque sont des milices islamistes.

Je remercie le président Retailleau d'avoir pris l'initiative de cette proposition de résolution, que j'ai cosignée avec les présidents Kanner et Cambon, qui engage la France dans la recherche d'une sortie à cette situation dramatique, injuste et dangereuse.

Certes, la situation géopolitique est complexe. Le nord-est syrien est au carrefour de toutes les influences qui s'exercent au Moyen-Orient. Les présidents Trump et Erdogan sont guidés par des raisons de politique intérieure, l'Iran constitue un axe chiite porteur de graves conflits, la Russie poursuit une politique cynique et brutale de soutien au régime syrien, tandis que l'Europe reste faible de ses divisions et de son manque d'ambition. Le lâchage des Kurdes les contraint à un marché de dupes avec le régime syrien sous l'égide de la Russie.

Seule la France et l'Allemagne peuvent entraîner l'Europe pour affirmer la défense de ses valeurs, de ses alliés et de ses intérêts. Sanctions économiques contre la Turquie, actions contre les dirigeants turcs détenant des avoirs à l'étranger, saisine du Conseil de sécurité de l'ONU, suspension de la Turquie de l'OTAN, arrêt des négociations d'adhésion à l'Union européenne : les leviers ne manquent pas, or nous n'en utilisons aucun. La demande de réunion de la coalition internationale est insuffisante.

La résolution 688 du Conseil de sécurité de l'ONU, âprement négociée par le président Mitterrand, instaurait déjà, en avril 1991, une zone d'exclusion aérienne pour protéger les populations kurdes. Aujourd'hui, les symboles manquent. Le Gouvernement n'a même pas rappelé son ambassadeur en Turquie !

Erdogan comprend très bien le langage de la faiblesse. La France doit reprendre l'initiative. Il est encore temps d'éviter à la fois la guerre et le déshonneur. Notre groupe votera cette résolution avec conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur plusieurs travées des groupes CRCE, UC et Les Républicains)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères.  - Monsieur le ministre, la commission des affaires étrangères a prévu de longue date de se réunir pour examiner le budget de votre ministère à 17 h 15, M. Le Drian ayant un horaire contraint. Nous nous éclipserons donc, n'y voyez pas un manque d'intérêt pour ce grave sujet.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Je remercie la Haute Assemblée pour sa prise de position. Nous partageons l'appel à respecter la résolution 2254 de l'ONU, à une solution politique, à une vigilance absolue face au risque d'une résurgence de Daech, à un engagement résolu de la France, à une action humanitaire.

Depuis le 9 octobre, nous sommes face à deux actes unilatéraux : le retrait américain et l'offensive turque, concomitants, de nature à remettre en cause les efforts menés depuis cinq ans contre Daech, et à raviver la menace terroriste en France et en Europe.

La trêve expire dans quelques heures. Les forces turques contrôlent une bande de 120 kilomètres de large et de 30 kilomètres de profondeur dans le territoire syrien. La route M4, reliant l'ouest à l'est de la Syrie, à 30 km de la frontière, est coupée. Les accrochages s'y multiplient. Les États-Unis ont négocié cette trêve mais son issue est incertaine, et ils n'ont pas tracé de perspectives pour la suite. Par conséquent, le régime syrien a repris pied avec l'appui des Russes. Ce soir, Erdogan rencontrera Poutine à Sotchi.

La conséquence, c'est 176 000 déplacés, un risque d'afflux de réfugiés vers le Kurdistan irakien, une incertitude sur l'avenir des prisonniers djihadistes.

Les FDS se veulent rassurantes mais l'accélération du retrait américain n'est pas de bon aloi, et le général Mazloum indique d'ailleurs que sa posture sera dorénavant uniquement défensive. Nous avons porté un coup à leur engagement alors qu'ils étaient offensifs contre Daech. De facto, ce retrait place la Syrie sous l'influence des pays au format dit d'Astana, Russie, Turquie et Iran, qui veulent écarter les Occidentaux de la table des négociations. L'offensive turque est donc un tournant majeur dans le conflit syrien.

Le premier enjeu est sécuritaire : après sa défaite territoriale, Daech, désormais organisé de manière plus diffuse et clandestine, risque de tirer parti du chaos. Un attentat a eu lieu le 9 octobre à Raqqa, ville d'où étaient dirigés les attentats contre la France. Après une attaque à Kamichi il y a deux jours, le drapeau de Daech y a de nouveau flotté, même fugitivement.

La France a appelé à une réunion de la coalition le plus rapidement possible car il faut actualiser notre stratégie.

La deuxième conséquence est humanitaire : 176 000 personnes ont été jetées sur les routes de l'exode, alors qu'il y a déjà 6,6 millions de déplacés internes et 5 millions de réfugiés. Les hôpitaux sont saturés. Le Kurdistan irakien risque d'être déstabilisé.

Monsieur Guerriau, vous évoquiez le « phosphore blanc ». La lutte contre l'impunité doit être générale. Le 14 octobre, nous avons réuni les ONG et débloqué plus de 10 millions d'euros pour l'achat de tentes, de nourriture et d'eau. Nous les réunissons de nouveau demain à 17 heures. Certaines prévisions font état de 250 000 réfugiés potentiels. Nous ne céderons pas au chantage turc sur les conséquences migratoires ; cette instrumentalisation du malheur est inacceptable.

Troisième enjeu : la stabilité régionale. Cette offensive nous éloigne d'une solution politique en Syrie. La solution du condominium d'Astana alimenterait le ressentiment de la population syrienne contre son régime, dont les crimes sont documentés. La normalisation est impossible sans processus politique viable, tant que le régime poursuit la solution militaire et la répression contre son propre peuple. Le président de la République l'affirmait en janvier 2018, « la perspective de normalisation ou de banalisation de la situation ne serait pas responsable. »

La France est déterminée et active au niveau diplomatique. La séquence européenne a permis de mobiliser rapidement nos partenaires européens, malgré des divergences quant à la relation avec la Turquie, et les conclusions du Conseil européen ont rejoint celles du Conseil des Affaires étrangères du 14 octobre.

Le président Retailleau parlait de gestes symboliques : nous avons convoqué l'ambassadeur turc et annulé toutes les réunions ministérielles bilatérales. Dès 2018, le président de la République a exclu toute avancée dans le processus d'adhésion de la Turquie et la France s'oppose à tout élargissement tant que l'Union européenne n'aura pas été réformée.

L'Europe doit se doter d'une autonomie stratégique et de défense. Le discours de la Sorbonne a montré la voie ; en 18 mois, beaucoup a été fait. La France a posé la première pierre, monsieur Cazabonne !

La France se doit d'être une puissance d'équilibre ; elle ne saurait être un vassal des États-Unis et de la Chine. Elle n'est pas alignée et entend parler à tout le monde. Nous avons renforcé le dialogue avec la Russie dès le mois d'août et le président Macron s'est entretenu hier avec le président Poutine de la situation en Syrie et en Ukraine.

Comme le 10 octobre, monsieur Laurent, nous demanderons chaque semaine au Conseil de sécurité de l'ONU d'aborder le sujet syrien.

Nous ne sortirons pas indemnes de ce conflit qui, je l'espère, décillera les yeux de certains de nos partenaires européens un peu frileux sur le sujet de la défense européenne. Je suis sûr que le témoignage porté par tous vos groupes politiques ira au-delà de cet hémicycle et atteindra la Syrie et ses populations injustement martyrisées. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur plusieurs travées des groupes Les Indépendants et UC)

La proposition de résolution est adoptée.

M. le président.  - C'est l'unanimité. (Applaudissements)

Mise au point au sujet d'un vote

M. Jérôme Durain.  - Mme Nelly Tocqueville a été comptée comme n'ayant pas pris part au vote sur le projet de loi Engagement et proximité, alors qu'elle souhaitait voter pour.

M. le président.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Renforcer l'encadrement des rave parties

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer l'encadrement des rave parties et les sanctions à l'encontre de leurs organisateurs, présentée par Mme Pascale Bories et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

Mme Pascale Bories, auteure de la proposition de loi .  - Les maires sont impuissants devant la multiplication des rave parties illégales, dans mon département comme dans toute la France. En mars, une rave party a rassemblé 700 personnes à Lédenon dans le Gard, sur un terrain privé, sans l'autorisation du propriétaire. Les habitants des villages alentours, dérangés par le bruit, ont prévenu la gendarmerie : 160 conducteurs ont été verbalisés pour avoir emprunté des voies de défense contre l'incendie réservées aux pompiers, sept infractions liées aux stupéfiants ont été relevées, trois pour taux d'alcoolémie très élevés. Le terrain était dévasté, jonché de déchets et de résidus de drogue.

En 2001 puis en 2002, des textes sont venus encadrer ces rassemblements en modifiant la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité. Est prévue une déclaration en préfecture un mois avant l'événement s'il doit rassembler plus de 500 personnes ainsi qu'un contact avec les autorités de santé, afin de garantir la sécurité, la salubrité, l'hygiène et la tranquillité publique. Mais la plupart du temps, cette déclaration préalable n'existe pas...

À l'heure où l'on évoque à juste titre les sujets environnementaux, je rappelle que ces rassemblements génèrent des déchets considérables, parfois sur des sites remarquables ou protégés, menacent la biodiversité et portent un risque d'incendie dans des zones touchées par la sécheresse, comme dans le Gard ou l'Hérault - ce fut le cas à Saint-Pargoire dans l'Hérault le 2 septembre dernier.

Au-delà des nuisances environnementales, les nuisances sonores troublent la tranquillité des habitants. Je suis attachée au bien-vivre ensemble, et la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres. Ma proposition de loi ne vise pas à interdire ces fêtes mais à susciter un débat apaisé entre les parties, préfets, maires, organisateurs, gendarmes, associations de protection de l'environnement et riverains.

Il s'agit de mieux encadrer les manifestations lorsqu'elles sont illégales, de donner aux maires les moyens d'exercer leur pouvoir légitime sur leur territoire et de préserver l'environnement déjà menacé.

Face à la légèreté des sanctions encourues, certains organisateurs font fi des obligations qui leur incombent. Comment ajuster mieux la peine à l'infraction ? Le débat est ouvert et je me réjouis des discussions que nous avons eues en commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Merci !

Mme Pascale Bories.  - Cette proposition de loi s'inspire de celle du 11 avril 2018 de M. Thibault Bazin, qui renforçait les sanctions.

Nous devons engager un dialogue dépassionné pour mieux encadrer ces rassemblements et en prévenir les nuisances. J'ai apprécié les propositions d'amendements adoptées en commission des lois qui enrichissent le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nathalie Delattre applaudit également.)

M. Henri Leroy, rapporteur de la commission des lois .  - La proposition de loi de Mme Bories vise à résoudre un problème auquel les élus locaux sont régulièrement confrontés. La réponse de l'État face aux rave parties non autorisées est insuffisante. Ces rassemblements suscitent des troubles pour le voisinage et pour l'environnement, sans parler des dangers sanitaires pour les participants.

Le régime d'encadrement mis en place en 2002 ne fonctionne pas. Il a transféré aux préfets les pouvoirs de police relatifs à ces free parties, qualifiées de « rassemblements exclusivement festifs à caractère musical » par l'article L. 211-5 du code de la sécurité intérieure. C'est en réalité un régime ambigu d'autorisation plus que de déclaration : aux termes de l'article L. 211-7, le préfet peut refuser de délivrer un récépissé et même interdire le rassemblement. À l'inverse, il doit engager une concertation avec les organisateurs si leur projet n'offre pas de garanties suffisantes, ce qui peut le conduire à trouver un lieu et à devenir, de facto, coorganisateur de l'événement.

L'attitude de l'État a alterné entre appui aux organisateurs et répression pour aboutir à une tolérance de l'illégalité. Souvent, ces événements se tiennent sans être autorisés par la préfecture, soit qu'ils n'aient pas été déclarés au préfet, soit qu'ils n'aient pas reçu de récépissé. Pour les rassemblements de moins de 500 participants, le rassemblement se tient souvent sans autorisation du propriétaire - privé ou public - que ce soit sur un terrain agricole ou une friche industrielle. Le nombre de condamnations est relativement faible.

Le nombre de condamnations est très faible. Certains y voient la preuve que la plupart de ces fêtes se passent bien. Certains organisateurs ont, c'est vrai, un sens des responsabilités louable. Mais nombre de rave parties sont involontairement ou volontairement hors la loi : la situation n'est pas tenable.

Paradoxalement, il y a dans le système actuel un angle mort : la concentration des interventions des préfets sur les gros événements. En deçà du seuil fixé par décret de 500 participants, c'est le maire qui est compétent, mais sans aucune déclaration. Le moindre spectacle amateur doit, lui, être déclaré au maire ! Il y a 3 200 de ces fêtes chaque année, principalement dans la France de l'Ouest, très majoritairement en zone rurale.

Le texte abaisse le seuil de déclaration obligatoire au préfet et renforce les peines en transformant la contravention de cinquième classe en délit.

La commission des lois partage les objectifs des auteurs, mais les préfets ayant peu d'enthousiasme à mettre en oeuvre le dispositif actuel, elle a choisi de couvrir l'angle mort en prévoyant un régime de déclaration obligatoire au maire pour les fêtes de moins de 500 participants.

La transformation de la contravention en délit est une bonne solution : elle permettra à la police et à la gendarmerie d'ouvrir des enquêtes en flagrance, de procéder à des interrogatoires et à des placements en garde à vue. Il ne s'agit pas d'empêcher ces fêtes au motif que leur musique serait déplaisante, mais de responsabiliser les organisateurs. On passerait à 3 750 euros d'amende et à des travaux d'intérêt général (TIG) de 400 heures - contre 120 aujourd'hui.

La commission des lois a souhaité aider les maires dans leur dialogue avec les organisateurs et les préfets. Elle a voulu sortir de la situation actuelle, où l'illégalité est tolérée.

Le régime des fêtes libres a vocation à se confondre avec le régime du spectacle. Il s'agit de redonner au maire la possibilité de sauvegarder l'ordre public, la tranquillité publique, la sécurité des personnes et la protection de l'environnement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Il y a plusieurs milliers de rave parties chaque année, 2 500 selon mes informations, 4 000 selon votre rapport. Synonyme d'alcoolisation, voire d'usage de stupéfiants, elles laissent derrière elles déchets et désordre. Il faut certes les encadrer. Ce texte vise également à renforcer le pouvoir des maires, lesquels forment l'un des maillons essentiels de la République.

Mais la proposition de loi ne répond pas toujours à ces deux objectifs.

En créant une police pour les rave parties, le texte crée un régime de police spéciale concurrente à celle des préfets, sans les moyens de ce dernier. J'ai bien noté un amendement à ce sujet, j'y reviendrai.

Ancien préfet, je sais que la mesure peut avoir des effets pervers : les organisateurs pourraient sous-évaluer l'affluence de participants pour échapper au régime préfectoral. De plus, les rave parties ont lieu le plus souvent sur les petites communes, qui pourraient être dépassées ; les préfets devront intervenir en appui ou en substitution, pour des événements de taille pourtant réduite.

Parmi les amendements déposés, l'un confie au maire les mêmes pouvoirs qu'au préfet. Les maires de communes rurales devraient alors mettre en oeuvre des dispositions de préparation qui dépassent leurs moyens, même pour des manifestations mineures. De plus, il n'est pas souhaitable de voir cohabiter deux autorités de police selon que la prévision du nombre de participants excède ou non 500 participants.

La charte prévue ne dépend pas du pouvoir législatif mais du pouvoir réglementaire ; elle existe déjà depuis 2002.

Enfin, le texte transforme la contravention en délit.

Nous pourrions être favorables à la création d'un délit pour les rassemblements de plus de 500 participants, non pour des mouvements de faible envergure.

Le Gouvernement partage les objectifs poursuivis, mais la proposition discutée lui semble contre-productive. Il lui sera difficile de la soutenir...

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Difficile, mais pas impossible ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - En revanche, le Gouvernement s'engage à ce que les préfets informent les maires le plus rapidement possible s'ils ont connaissance d'un tel événement. (MM. Bernard Buis et Arnaud de Belenet applaudissent.)

M. Alain Fouché .  - C'est au début des années 1990 dans les boîtes de nuit underground de Chicago et de Detroit qu'est née la musique electro, qui a aujourd'hui conquis l'Europe via les rave parties souvent clandestines. Elles se déroulent dans les petits villages et charrient des hordes de jeunes fêtards. Il y a des drames, des incidents graves, et même en l'absence de victimes de l'alcool ou des drogues, l'environnement subit des dommages.

Un encadrement des rassemblements à caractère musical existe depuis 2002, mais il a très vite montré ses limites, et le maire est seul pour gérer les événements de moins de 500 participants.

Aujourd'hui, il est plus facile d'organiser une fête libre sur un terrain privé, avec le seul accord du propriétaire, que des activités artistiques amateurs soumises à déclaration au maire.

La commission des lois n'a pas souhaité modifier le seuil de 500 participants qui déclenche l'obligation de déclaration au préfet. Mais les événements en deçà de ce seuil devront être déclarés en mairie. Elle a prévu l'élaboration d'une charte déterminée par arrêté des ministres de l'intérieur et de la jeunesse, après concertation avec les organisateurs de telles fêtes.

Je regrette que la commission des lois ait remplacé la peine de prison par une peine de travaux d'intérêt général (TIG). (Mme Esther Benbassa lève les bras au ciel.) J'ai été maire : il s'agit en général de faire quelques heures de jardinage... C'est insignifiant. (Rires à gauche) néanmoins le groupe Les Indépendants approuve la démarche des auteurs et votera ce texte à l'unanimité.

M. Loïc Hervé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce texte trouve sa place à la suite du projet de loi Engagement et proximité, hasard du calendrier ; d'ailleurs, pourquoi ne pas l'y avoir intégré ? Il aurait eu plus de chance de prospérer.

Le débat en commission a été nourri. Les maires sont en effet confrontés de manière récurrente au problème des rave parties, free parties ou fêtes libres, sans solution.

Le régime juridique actuel est ambigu. Le préfet peut refuser d'émettre le récépissé, mais il doit dialoguer avec l'organisateur, pour adapter les mesures prévues, voire pour trouver des locaux plus appropriés - se faisant co-organisateur de la manifestation !

Il y aurait 4 000 fêtes libres par an, dont 80 % de moins de 500 participants. En 2018, sur 800 rassemblements déclarés, seuls deux récépissés ont été délivrés par les préfets. La plupart des fêtes se sont déroulées sans autorisation ni concertation. La faiblesse des sanctions - contravention de 5e classe et confiscation du matériel - l'explique. Les maires sont démunis.

Le texte issu de la commission des lois rend la déclaration obligatoire, renforce les sanctions et prévoit la signature d'une charte par l'organisateur.

Je salue les mesures donnant les moyens au maire d'agir efficacement sur ce sujet. J'espère que les forces de sécurité seront mobilisées pour que ces rassemblements festifs le restent. Le groupe UC soutiendra le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Jérôme Durain .  - Le texte remanié par le rapporteur de la commission des lois, Henri Leroy, a été clairement exposé. Le rapport offre un exemple des difficultés méthodologiques auxquelles se confronte notre assemblée, chaque seuil offrant la possibilité d'un nouvel effet de seuil, chaque nouveau dispositif décourageant les organisateurs par la lourdeur des procédures.

Lorsque le législateur « encadre», c'est souvent pour empêcher... J'ose croire que ce n'est pas le cas ici.

J'ai parcouru la presse régionale pour repérer les fêtes ayant posé problème. Le nombre de condamnations est faible ! D'après le rapport, on ne constate que 70 contraventions, de 418 euros en moyenne. La confiscation du matériel n'est prononcée que deux fois par an en moyenne. M. Leroy en conclut que les mailles du filet sont trop larges.

Je ne suis jamais allé en teknival ni rave party.

M. François Bonhomme.  - Quel dommage !

M. Jérôme Durain.  - Je conviens que ces rassemblements peuvent occasionner des débordements, engendrer des nuisances pour l'environnement, mais le péril est-il si immense qu'il faille légiférer ? De nombreux maires risquent de se trouver pris entre des riverains hostiles et organisateurs de bonne foi - il y en a.

Dans mon département, il n'y a guère de telles fêtes ; on me dit que c'est notre géographie qui décourage les fêtards.

Dans le Doubs en revanche, une fête nommée Alice in Wonderland devait être organisée. Le propriétaire, après des menaces de mort, a changé d'avis. Elle a été délocalisée, et il n'y a pas eu de dysfonctionnements. Même chose après la fête en hommage à Steve Mari Caniço : le maire a regretté des nuisances mais il a aussi souligné la propreté du terrain. Il faudrait explorer les pistes comme l'identification de terrains pouvant être destinés à ces rassemblements.

Laurent Garnier a commencé dans les rave parties à Dijon ; il est aujourd'hui un ambassadeur de la musique française et chevalier de la légion d'honneur.

M. François Bonhomme.  - Au titre de la culture ?

M. Jérôme Durain.  - Nous attachons de l'importance à toutes les formes de cultures.

Je reste donc réservé face à ce texte ; même si j'en comprends les motivations. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Nathalie Delattre .  - L'attrait ancestral et contemporain de la fête n'est plus à démontrer. Loin de nous l'idée d'interdire les fêtes ; elles sont transgressives par principe ; il ne s'agit que de les encadrer. Festivals, carnavals, fêtes de village, ferias sont des événements cathartiques normés et normalisés par la tradition.

Mais les rave parties et free parties qui rythment la nuit, dans nos régions, rejettent les normes coutumières de la fête traditionnelle. Elles se caractérisent par leur organisation anarchique doublée de pratiques illicites.

Les considérations de sécurité sont à prendre en compte, qu'il s'agisse de l'alcool, de la drogue, des agressions de toute sorte. D'où le dispositif Vaillant en 1981 qui chargeait les préfets de l'encadrement de ces rave parties.

S'il était appliqué systématiquement, ce dispositif fonctionnerait, mais ce n'est pas le cas. Les rassemblements festifs de moins de 500 participations reposent sur la responsabilité du préfet qui mobilise les forces de l'ordre pour les encadrer posteriori. Pour les rassemblements de moindre importance, la sécurité repose souvent sur les organisateurs. C'est le cas dans le Sud-Ouest où ont lieu la majorité des 3 200 free parties annuelles.

Les rave parties ne se déroulent pas seulement en milieu rural, mais aussi dans les zones urbaines ou péri-urbaines. J'ai dû en encadrer une dans les friches industrielles de la métropole bordelaise.

Le régime actuel n'est pas satisfaisant pour les maires qui manquent de moyens pour exercer leurs responsabilités.

Quand les rassemblements ne sont pas dangereux, pourquoi les interdire ? M. Cabanel a beaucoup travaillé sur le sujet et je l'en remercie. Les free parties, libres et gratuites, représentent des moments de loisirs et de décompression utiles, pour les jeunes et les moins jeunes, notamment ceux qui ont des difficultés d'insertion sociale et ceux qui subissent la fracture territoriale. Il ne s'agit pas de juger de l'intérêt de ce type de rassemblement, mais de les encadrer.

Les amendements du groupe RDSE se veulent pragmatiques. Je ne doute pas que leur adoption nous permettra de soutenir une proposition de loi déjà enrichie par la commission des lois. (Quelques applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Arnaud de Belenet .  - À écouter les orateurs, je suis heureux de constater que nous n'avons pas besoin d'être des spécialistes de acid house, trance goa, new beat, hardcore, heavy bass music (M. François Bonhomme s'émerveille.) pour nous prononcer sur ces sujets.

M. Stéphane Piednoir.  - Quelle culture !

M. Arnaud de Belenet.  - Les accidents ne sont pas rares, non plus que les mises en danger d'autrui et les abus. Nous en sommes conscients, sans nous enfermer dans une rhétorique réfractaire à ces festivités, qui expriment également une transcendance et un refus du mercantilisme. (M. François Bonhomme ironise.)

Nous partageons les objectifs du texte. Il faut trouver un point d'équilibre, nous dit M. Durain. Cependant, les communes rurales sont en première ligne, et nous partageons les objectifs des auteurs.

Accroître la charge du maire sans lui donner de moyens n'est pourtant pas acceptable. Comment mettre en application un pouvoir de police lorsqu'on est tributaire de l'intervention des forces de police ? La responsabilité du maire restera engagée en cas de défaillance, même en cas de défaut de moyens. Les dispositions seront inapplicables, en dépit des efforts de la commission des lois.

Instituer un régime de déclaration auprès du maire, dans le cas où le préfet n'est pas compétent, aboutit à créer deux régimes de police spéciale en fonction du nombre éventuel de participants. Cette organisation mérite d'être affinée !

Je m'interroge sur l'opportunité qu'il y aurait eue à inscrire ce sujet dans le projet de loi Engagement et citoyenneté ou, pourquoi pas, dans le texte à venir sur la sécurité intérieure. Le législateur a de quoi faire oeuvre utile en la matière.

Nous ne voterons pas contre ce texte, malgré nos réserves, afin que le travail se poursuive. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Jean Louis Masson .  - Ce texte n'est pas suffisant. Il faut aller beaucoup plus loin, sur les rave parties comme sur le stationnement des nomades ou toute autre démarche abusive de personnes qui bafouent la loi avec la bénédiction des pouvoirs publics. Il faut être plus fermement dissuasif. Que ce soit pour les rave parties ou les nomades, on cherche toujours à négocier ou temporiser, alors que les intéressés sont dans une totale illégalité.

M. François Bonhomme.  - Ce n'est pas pareil.

M. Jean Louis Masson.  - Ces individus ne se gênent nullement pour faire ce qu'ils veulent. C'est extrêmement grave. On crée ainsi un système à deux poids, deux mesures : plus on est hors les clous, moins on est sanctionné pour ses actions.

La dissuasion et la réaction des pouvoirs publics devraient être beaucoup plus fortes. D'où nos amendements, dont je sais hélas qu'ils ne seront pas adoptés. Si l'on agissait plus fermement contre ces marginaux qui font n'importe quoi, on normaliserait la situation. Je ne voterai ni pour, ni contre, pas plus que je n'avais voté sur le texte concernant les nomades.

Mme Éliane Assassi .  - La lecture de ce texte a fait remonter dans mon souvenir d'autres textes : sécurité des manèges, lutte contre les rodéos motorisés, mini-motos, chiens dangereux... Cela pose la question de l'opportunité à légiférer sur tout en fonction de l'actualité. Chaque fait divers nécessite-t-il que le législateur touche à la loi ?

La proposition de loi vise à baisser le seuil de déclenchement de la déclaration au préfet et à allonger la durée maximale de saisie du matériel tout en augmentant les peines encourues, en passant d'une contravention de 5e classe à un délit pénal passible de trois mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.

La commission des lois a transformé la peine de prison en peine de TIG. Cela est heureux car les auteurs du texte cédaient à la tentation de durcir les sanctions dès qu'un fait divers en donne l'occasion.

Cela ne sert à rien, et le tout sécuritaire n'a pour but que de faire peur aux gens, alors que beaucoup d'événements s'autogèrent parfaitement bien. Auditionné, Tommy Vaudecrane, le président de Technopol, estime que durcir les sanctions ne sert à rien, qu'il vaut mieux dialoguer avec les organisateurs, et souligne qu'il n'y a pas plus d'accidents que dans les ferias ou à la sortie des boîtes de nuit.

L'élaboration d'une charte prévue par la commission des lois à l'article premier bis est acceptable mais peu engageante. Les rassemblements festifs à caractère musical ont été largement encadrés par la loi de 1995, puis par celle de 2001, et par le décret d'application du 3 mai 2002. Depuis l'ordonnance du 12 mars 2012, l'encadrement de ces rassemblements figure aux articles L. 211-5 à L. 211-8 du code de la sécurité intérieure.

Transférer les pouvoirs aux maires n'est pas la bonne solution.

Nous ne sommes pas insensibles aux nuisances environnementales que comportent ces rassemblements. Mais le texte en traite seulement à la marge... Nous ne le voterons pas, malgré les modifications apportées par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. François Bonhomme .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Parmi les vicissitudes de la vie d'un maire, toutes ne font pas l'objet de la même considération. Il y en a une qui demeure hors des radars de la pensée conforme : je veux bien sûr parler des rave parties, cet avatar du droit à la fête.

La recrudescence de ce phénomène invite pourtant à s'interroger sur le droit de propriété et l'occupation sauvage du domaine public, sur le droit à la préservation de l'environnement, sur le droit à la santé - musique trop forte, alcoolisme - ou à la sécurité.

Le caractère avant-gardiste de ces rassemblements échappe à la plupart des maires. Tout le monde n'a pas la chance, cher collègue Durain, d'habiter en Saône-et-Loire...

M. Jérôme Durain.  - C'est bien regrettable.

M. François Bonhomme.  - Par manque de sanctions - la contravention de 5e classe et la saisie de matériels pour six mois sont insuffisantes -, les rave parties fleurissent, qui touchent d'abord le milieu rural. Le Tarn-et-Garonne n'échappe pas à la règle, soumis aux décibels assourdissants de ces événements et à leur violence induite : deux mineurs ont été victimes de bombes lacrymogènes à Montaigu en 2018, un jeune est mort à Saint-Antonin-Noble-Val en 2016...

Atteintes sexuelles, alcoolisme ne sont que quelques-unes des nuisances à déplorer. Les maires sont incapables de faire face seuls à ces phénomènes. La protection de l'environnement, la sécurité des participants, la tranquillité des riverains ne sont pas assurées. Le régime d'encadrement actuel est inefficace.

Cette proposition de loi répond à un besoin véritable de sécurité. Le régime de déclaration obligatoire auprès des maires, l'allongement de la saisie du matériel et le renforcement des sanctions sont de bonnes mesures. Il ne s'agit pas de priver les teufers de leur droit, mais de mettre en place des mesures préventives et d'ouvrir un dialogue de qualité entre les organisateurs de rave parties et les autorités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Brigitte Lherbier .  - (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) Chaque année en France, plus de 3 200 rave parties sont organisées, le plus souvent en zone rurale et sans autorisation. En 2015, alors directrice des études de l'Institut des études judiciaires, j'avais demandé que la gendarmerie intervienne pour sensibiliser mes étudiants aux nuisances de ces manifestations.

La colonnelle a raconté la vaste organisation requise par le Teknival qui devait se tenir sur l'ancienne base aérienne de Cambrai. La gendarmerie devait garantir la fluidité de la circulation et le préfet les équipements sanitaires et l'électricité. Une zone de soins avait été prévue. À l'issue de la présentation, mes étudiants ont compris qu'une telle fête nécessitait un encadrement professionnel. Ils ont saisi le bien-fondé de la demande d'autorisation.

Il ne s'agit pas d'interdire ces rassemblements mais de faire respecter la loi et l'ordre public. Il n'est pas concevable de saccager un champ ou un site naturel. Les organisateurs doivent trouver le lieu adéquat pour engendrer le moins de gêne possible et le remettre en état. Un dialogue constructif est donc nécessaire. Le maire doit gérer ces rassemblements lorsqu'ils comptent moins de 500 participants. Mais, en zone rurale, les édiles sont souvent démunis. Je me réjouis donc de l'abaissement du seuil, car le préfet dispose de davantage de moyens.

L'article 2 renforce les sanctions contre les organisateurs de rave parties illégales. La commission des lois a prévu une charte de bonne conduite : je salue son initiative. De nombreuses rave parties se font dans une atmosphère bon enfant. Nous ne souhaitons pas les interdire mais les organisateurs doivent rester dans la légalité.

Cette proposition de loi encourage les comportements vertueux ; je la voterai sans hésiter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Nicole Duranton .  - Les rave parties à répétition exaspèrent en raison du bruit, de la consommation d'alcool et de stupéfiants, des déchets et des dégâts sur l'environnement.

En 1995, une circulaire se préoccupait plutôt de la vente et de la consommation de stupéfiants. En 1998, une autre circulaire distinguait les organisateurs qui faisaient une demande auprès des services administratifs de ceux qui passaient outre, organisant des free parties.

La loi du 15 novembre 2001 entérine la règle de la déclaration, mais elle est peu appliquée. Dans l'Eure, seules sept rave furent déclarées en 2002, et neuf en 2003 ; c'est très peu par rapport à la réalité. Cette proposition de loi étend donc le champ de la déclaration préalable et octroie des pouvoirs aux maires pour encadrer les rassemblements de moins de 500 participants.

La sévérité est légitime, mais elle ne doit pas dépasser le délit sanctionné. Ainsi, mon premier amendement préconise le passage de 3 750 à 4 500 euros d'amende pour ceux qui organisent des rave non déclarées.

Les organisateurs modifient souvent le lieu de la rave party en dernière minute : je proposerai un deuxième amendement pour éviter toute communication en ce sens avant l'agrément.

Enfin, en vertu d'un décret du 7 août 2017 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, le niveau sonore ne peut excéder 105 décibels en général, et 102 décibels sur 15 minutes. Je propose donc une information des participants, en direct, sur des écrans, sur le volume sonore, comme cela se pratique déjà dans les festivals.

Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Henri Cabanel .  - Je remercie Pascale Bories pour cette proposition de loi, mais il me semble compliqué de donner des pouvoirs supplémentaires aux maires sans leur octroyer davantage de moyens, notamment en zone rurale.

Il faut préserver la biodiversité de nos territoires. Une commune de l'Hérault a connu des problèmes car une rave party avait pollué l'eau potable.

Je crois au dialogue avec les organisateurs. Très peu de rave parties sont déclarées car les lieux sont difficiles à trouver. La concertation pourrait les y aider.

Mme Esther Benbassa .  - On ne peut tout réprimer ! Les sociétés ont besoin de catharsis depuis toujours ! Certes, il faut encadrer les festivités, (M. Philippe Bas, président de la commission, s'en réjouit.) mais on ne peut empêcher les débordements. Woodstock n'a jamais empêché les États-Unis de rester le temple du libéralisme économique cher à la partie de l'hémicycle d'où vient cette proposition de loi. C'était pourtant le temple du sexe et de la drogue - mais M. Bas n'était pas encore né. Ces fêtes sont des soupapes de sécurité pour la société. M. Bas me dirait que c'est de la philosophie, mais il faut de la philosophie pour gérer une société, pas seulement la police.

Il faut tirer les leçons de la mort tragique de Steve Caniço à Nantes. Il ne faut pas rester dans le tout sécuritaire, ni prévoir des peines d'emprisonnement. (M. Henri Leroy, rapporteur, se récrie.) Certains de nos collègues devraient aller en rave party pour voir ce qui s'y passe...

M. Jean-François Longeot.  - Ces rassemblements provoquent de réelles nuisances sonores. Mais les organisateurs font parfois face à des aléas de dernière minute en raison du refus d'utilisation du site qui avait pourtant fait l'objet d'une contractualisation en préfecture : ils doivent alors trouver un autre lieu en urgence.

Bien sûr, il faut condamner les excès, mais aussi reconnaître certaines désorganisations chaotiques.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - L'article premier ne crée ou ne transfère aucun pouvoir aux maires : il instaure un régime déclaratif avec une charte établie par les pouvoirs publics. Tout est, en réalité, dans l'article 2. Quand un maire a connaissance d'un délit, il a le devoir d'en informer les forces de l'ordre et le sous-préfet.

Nous n'aurions pas transféré un pouvoir au maire sans moyens, monsieur le ministre.

M. François Bonhomme.  - L'article premier sur le régime de déclaration des rassemblements me semble être une avancée.

J'apprécie la culture poétique de Mme Benbassa, et ses références à Woodstock, mais elle oublie les dérapages et les dérives. (Mme Esther Benbassa proteste.)

L'hyper-individualisme est plutôt du côté de ces manifestations dont les organisateurs qui, dans un vitalisme débridé revendiquant un prétendu droit à la fête, refusent toute limite, toute contrainte formaliste.

Je vous prie de ne pas utiliser à notre encontre des épithètes désobligeantes.

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 3

Supprimer les mots :

au moins un mois avant la date prévue

M. Jérôme Durain.  - Les rave parties sont régies par le code de la sécurité intérieure : elles sont donc précisément encadrées.

En prévoyant une nouvelle déclaration auprès du maire pour tous les cas où le préfet n'est pas compétent, l'article premier crée un nouveau régime déclaratif. Le cadre législatif en vigueur pour les rave parties importantes serait ainsi appliqué à celles de moyenne importance.

Notre amendement vise simplement à aligner le régime destiné aux petites rave sur le régime en vigueur.

La précision relative au délai d'un mois étant de nature réglementaire, il convient de laisser un décret définir cette durée au même titre que pour les grands rassemblements.

Lorsque nous sommes passés en 2006 du seuil de 250 participants à 500 personnes à partir duquel une déclaration devenait obligatoire, un simple décret du ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy à l'époque, a suffi sans qu'il soit besoin de légiférer.

Nous aurions pu également demander la suppression de l'alinéa 4 qui impose de mentionner dans la déclaration les nuisances de toute nature puisque cette prescription est déjà fixée par le décret.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Masson.

Alinéa 3

Remplacer les mots :

un mois

par les mots :

deux mois

M. Jean Louis Masson.  - Il convient de fixer un délai préalable qui soit suffisant. Un mois, c'est trop court pour réagir et tout organiser.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - Le bon délai me semble être un mois : la navette pourra améliorer la rédaction. Avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - L'instauration de la procédure de déclaration pour les rave parties de moins de 500 participants conduira le maire à se tourner vers les services de l'État - vous l'avez dit vous-même, monsieur le rapporteur. De plus, cela pourrait inciter des organisateurs à contourner la procédure de déclaration au préfet. Ce régime n'est pas satisfaisant.

Je comprends l'amendement n°5 mais, par cohérence, avis défavorable aux deux amendements.

L'amendement n°5 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°2.

M. le président.  - Amendement n°11 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Gabouty, Gold et Jeansannetas, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall.

Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le maire peut, soit en amont, soit au cours d'un tel rassemblement, en informer le représentant de l'État, afin qu'il puisse prendre les mesures prévues à l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, sans mise en demeure préalable. » ;

Mme Nathalie Delattre.  - Le dispositif Vaillant de 2001 concerne les événements de plus de 500 personnes. En Gironde, ce sont surtout de plus petits rassemblements qui sont organisés sous forme de free parties. Dans ce cas, les maires se sentent livrés à eux-mêmes : ils manquent de moyens pour interdire comme pour encadrer. Nous proposons de mettre en place un régime de responsabilité partagée entre les maires et l'État, les maires ayant la charge de la concertation et de l'information et la préfecture de l'intervention des forces de l'ordre si nécessaire.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - Les maires peuvent déjà informer le préfet mais il semble difficile qu'ils puissent invoquer leur propre carence pour le faire intervenir. Avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Avis défavorable pour les mêmes raisons.

L'amendement n°11 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°14, présenté par Mme Duranton.

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Elle fait état du niveau de volume sonore envisagé, et de la possibilité pour les participants de le consulter en temps réel par un dispositif d'affichage adéquat.

Mme Nicole Duranton.  - Le niveau sonore des rave parties, qui ne peut excéder le niveau envisagé par la loi, est un problème tant pour les participants que pour le voisinage. Sa lisibilité est essentielle.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - C'est vrai, mais il paraît préférable de laisser cette question à la charte, qui doit être élaborée en concertation avec les pouvoirs publics. Avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Même avis défavorable.

M. François Bonhomme.  - C'est un vrai sujet. Dans les discothèques ou sur les appareils audio, le niveau de décibels est limité. Tel n'est pas le cas dans les rave parties où des jeunes peuvent se retrouver handicapés à vie à cause d'un quart d'heure d'exposition. Les pouvoirs publics ne devraient pas rester sourds à ce problème. (Sourires)

L'amendement n°14 n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Grand.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° À l'article L. 211-6, après les mots : « préfet de police, », sont insérés les mots : « ou, si la déclaration a été faite auprès de lui, le maire, » ;

2° L'article L. 211-7 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, après les mots : « préfet de police, », sont insérés les mots : « ou, si la déclaration a été faite auprès de lui, le maire, » ;

b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d'ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l'ordre sont tenues de rembourser à l'État les dépenses supplémentaires qu'il a supportées dans leur intérêt. »

M. Jean-Pierre Grand.  - Vous avez déjà répondu aux deux premières parties de mon amendement, monsieur le ministre.

Lors de rassemblements non déclarés en milieu rural, les forces de gendarmerie sont particulièrement mobilisées pour sécuriser les lieux. Il apparaît donc logique de mettre à la charge des organisateurs les frais liés aux services d'ordre effectués au-delà des obligations normales incombant à la puissance publique.

Dans une vie antérieure, j'ai été élu dans le Larzac, mais maintenant dans l'Hérault où nous avons de nombreuses rave parties sauvages. Une facture aux organisateurs de rave parties non déclarées ne me semble pas une mauvaise idée...

M. Henri Leroy, rapporteur.  - Le texte de la commission met en place un régime de déclaration simple au maire un mois avant l'évènement. Mais il ne prévoit rien de plus. On peut comprendre qu'on demande une contribution liée à la sécurité aux organisateurs, mais c'est peu réaliste d'autant qu'il s'agit de spectacles amateurs. Cela créerait de nouvelles tensions pour des sommes qui ne seraient jamais recouvrées. Avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Vous imposez aux communes des obligations dont elles ne pourront pas s'acquitter : concertation, prescription, interdiction, c'est exorbitant ! De plus, la contribution n'est pas possible, compte tenu que les organisateurs sont amateurs. À Nantes, la rave party avait mobilisé 120 gendarmes.

M. Jean-Pierre Grand.  - Il y a bien un commerce : les grands camions l'attestent et la bière, pour ne parler que d'elle, est bien vendue. Ne soyons pas naïfs : les organisateurs ont les moyens de payer les gendarmes.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - S'il y a délit, il y aura confiscation. La valorisation de cette confiscation nous donnera les moyens dont nous avons besoin.

M. Fabien Gay.  - Avec un tel débat, le risque de surenchère est réel. S'il n'y a pas d'organisateur déclaré, à qui envoyer la note ? À personne !

Sur les décibels - vraie question. J'ai organisé un festival autorisé, la Fête de l'Humanité, soit la plus grande fête populaire en France, qui rassemble 600 000 personnes.

M. Loïc Hervé.  - Ce n'est pas une rave party !

M. Jean-Pierre Grand.  - La Fête de l'Humanité est tout à fait respectable.

M. Fabien Gay.  - Je peux le dire : afficher les décibels, c'est impossible, car la technique n'existe pas. D'autant plus pour des petits rassemblements amateurs ! L'arsenal législatif ne nous fait pas défaut ; nous l'avons. Mais il nous faut des moyens pour le faire appliquer, c'est-à-dire plus de gendarmes. On peut donc se lancer dans la surenchère, mais ça ne changera rien ! Il faut des moyens pour nos services publics : nous en parlerons bientôt à l'occasion du projet de loi de finances.

Le problème, quand un terrain privé est envahi, c'est que le maire est seul face à des centaines de personnes, et que les gendarmes sont souvent deux ou trois. Comment faire respecter la loi ?

M. François Bonhomme.  - En substance, M. Gay dit comme Mme Benbassa : on ne peut pas échapper aux débordements. Au motif que c'est difficile, il faudrait renoncer ! Il faudrait entériner une situation insupportable. (M. Fabien Gay proteste.)

L'objet de ce texte est de faire entrer ces manifestations dans la légalité.

Mme Esther Benbassa.  - Supprimez les carnavals ; les Français ne feront plus rien que regarder Netflix !

M. François Bonhomme.  - C'est dangereux de vouloir donner un vernis culturel, ma chère collègue !

M. Alain Fouché.  - On ne peut pas contrôler les décibels.

M. Jean-Pierre Grand.  - Je retire l'amendement n°1. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

L'amendement n°1 est retiré.

ARTICLE PREMIER BIS

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.

Après les mots :

du ministre de l'intérieur

insérer les mots :

, du ministre chargé de la culture

M. Hervé Gillé.  - Cet amendement propose d'associer le ministère de la Culture à l'élaboration de la charte : ce n'est pas que symbolique, car il vise à éviter des oppositions frontales. Le problème des rave parties n'est abordé que sous l'angle sécuritaire mais non comme un évènement culturel et artistique. La notion de culture s'est élargie depuis 1981 : la musique techno se réinvente au gré des évolutions technologiques. Elle représente économiquement 17 % des musiques actuelles.

Le ministère de la Culture a été évincé par le seul ministère de l'Intérieur. Pourtant, il aurait pu servir de médiateur. Bien avant la charte prévue par la proposition de loi, un livret a été diffusé en Bretagne ou en Pays de Loire, avec succès.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - C'est la délégation interministérielle de la jeunesse qui est en pointe sur le sujet, avec le ministère de l'Intérieur. Mais il est vrai que le ministère de la Culture pourrait avoir une influence intéressante. Avis favorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Avis défavorable, car le Gouvernement est défavorable au texte. Cette précision relève en outre du pouvoir réglementaire. Mais je note la bonne idée.

M. François Bonhomme.  - Assez de circonlocutions. Pas besoin de se tortiller pour ne pas apparaître trop opposé aux jeunes... C'est le niveau sonore qui est en jeu : pourquoi ne pas convoquer le ministère de la santé ou celui de l'environnement, lorsqu'on voit des espaces protégés dévastés ? Il faut commencer par un régime déclaratif strictement encadré.

Greta Thunberg n'a pas encore produit tous ses effets quand on voit tous ces champs dévastés. (Mme Esther Benbassa proteste.)

M. Henri Cabanel.  - Plus nous mettrons de parties prenantes autour de la table, plus nous parviendrons à des solutions : merci, monsieur le rapporteur, d'accepter la présence du ministère de la culture.

Pour le son, les participants mettent des protections. Au-delà des rave parties, n'oublions pas les discothèques, les casques audio, la Formule 1 aussi.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - Je salue l'implication d'Henri Cabanel. Le Gouvernement s'accommode d'une illégalité totale. Quand on met trois administrations pour rédiger une charte, il est à craindre qu'elle ne soit jamais publiée...

L'amendement n°6 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°9 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Gabouty, Gold et Jeansannetas, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall.

Compléter cet article par les mots :

et des associations de représentants des communes

Mme Nathalie Delattre.  - L'article premier bis, introduit en commission, prévoit une charte. Un guide de la médiation, rédigé de façon interministérielle, avait déjà été publié - il faudrait s'en inspirer.

Cet amendement associe les représentants des maires et des communes à la rédaction de la charte, dès lors que ceux-ci seront en première ligne au moment de sa mise en oeuvre.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - Avis favorable, bien sûr !

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Avis défavorable. La charte existe depuis 2002.

Mme Cécile Cukierman.  - Il ne suffit pas de faire une charte.

M. Fabien Gay.  - Il faut des moyens !

L'amendement n°9 rectifié est adopté.

L'article premier bis, modifié, est adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°7 rectifié, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.

Supprimer cet article.

M. Jérôme Durain.  - La commission a réaménagé le volet répressif. En étendant la possibilité de saisie du matériel de sonorisation et en créant un nouveau délit, elle envoie un message contradictoire.

En effet, il n'est pas cohérent d'avancer que l'on souhaite coopérer en amont avec les organisateurs et, dans le même temps, les mettre sous répression pénale en transformant la contravention en délit.

Les organisateurs savent que le régime de la déclaration est un régime d'autorisation déguisée. La pratique a suffisamment démontré cette réalité. Cet article risquerait de se retourner contre les élus locaux. Comme ils auront tendance à considérer que les conditions ne sont pas suffisamment réunies, ils pourront s'y opposer.

Or notre rapporteur a rappelé que ce texte ne crée aucun pouvoir de police du maire. Ce texte n'instaure qu'un régime de déclaration simple sans possibilité de refuser le récépissé.

Tel Ulysse attaché au mât de son navire, le maire pourra écouter le chant des sirènes sans pouvoir agir. C'est une position inconfortable pour répondre aux sollicitations de leurs administrés.

Du côté des initiateurs de la manifestation, tant que ces derniers éprouveront le sentiment qu'en jouant le jeu du régime déclaratoire, ils risquent de se faire piéger davantage, ils ne pourront qu'être incités à choisir la clandestinité.

La question porte essentiellement sur les petites raves. Nous ne disposons pas de statistiques précises pour connaître l'ampleur du phénomène. Notre rapporteur a rappelé que les enquêtes connues sont anciennes et les chiffres peu fiables. Nous légiférons donc à l'aveugle alors qu'il existe déjà tout un arsenal juridique pour que les maires et le préfet traitent les petites raves.

Comme le rappelle régulièrement le Conseil d'État qui dénonce les effets de l'intempérance normative, une telle mesure sera une source d'instabilité et de complexité qui sur le terrain, pourrait bien de se retourner contre les maires.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - Les contraventions de cinquième classe ne sont pas utilisées. On n'a constaté que 70 condamnations pour les 800 fêtes concernées par la déclaration au préfet, avec, à la clé, 436 euros d'amende... Le fait de passer de la contravention au délit donne des prérogatives aux forces de l'ordre : gardes à vue, saisies... Faut-il accepter que les lois ne soient pas respectées ? Avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Avis favorable. La peine d'emprisonnement, peine de référence en matière de délit, n'est pas prévue dans cet article. Les prérogatives dont le rapporteur parle ne sont mobilisables que lorsque les peines encourues sont la prison.

L'amendement n°7 rectifié n'est pas adopté.

L'amendement n°3 n'est pas défendu.

M. le président.  - Amendement n°13, présenté par Mme Duranton.

Alinéa 4, première phrase

Remplacer le montant :

3 750 euros

par le montant :

4 500 euros

Mme Nicole Duranton.  - La lutte contre l'organisation de rave parties sauvages doit passer par des prévisions de sanctions à même de dissuader effectivement les organisateurs potentiels de ces événements. Cet amendement propose donc d'augmenter l'amende prévue, sans pour autant la rendre équivalente aux peines encourues pour des faits plus graves.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - Retrait ou avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Avis défavorable.

L'amendement n°13 est retiré.

L'amendement n°4 n'est pas défendu.

M. le président.  - Amendement n°12, présenté par Mme Duranton.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Le fait de rendre publiques des informations relatives à l'organisation d'un rassemblement mentionné à l'article L. 211-5 sans avoir reçu l'agrément consécutif à la déclaration préalable effectuée auprès du représentant de l'État dans le département ou, le cas échéant, du maire, est puni de 1 000 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général. »

Mme Nicole Duranton.  - Les rave parties réunissent des participants venant parfois de loin, et prévenus longtemps en amont sur les réseaux sociaux. La communication sur celles-ci s'organise en effet au mépris de la loi par le maintien d'une imprécision sur le lieu de rendez-vous, souvent en le modifiant en dernière minute. Il convient donc d'encadrer ce canal, en ne permettant pas la diffusion d'informations sur la tenue d'une rave avant l'agrément préfectoral ou municipal.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - Le nouveau délit a une formulation trop large - il pourrait concerner aussi la presse et les autorités publiques elles-mêmes. Retrait ou avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Avis défavorable.

L'amendement n°12 est retiré.

L'article 2 est adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°8 rectifié, présenté par M. Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.

Supprimer cet article.

M. Jérôme Durain.  - Défendu.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - Avis défavorable : la mesure prévue par la commission semble proportionnelle.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Avis favorable à cet amendement de suppression.

L'amendement n°8 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°10 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Gabouty, Gold et Jeansannetas, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall.

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Les frais de confiscation sont mis à leurs dépens.

Mme Nathalie Delattre.  - Cet article prévoit la confiscation pénale du matériel. Cet amendement prévoit que les frais de confiscation sont automatiquement mis aux dépens de la personne morale déclarée responsable pénalement. Il faut souvent beaucoup de bras pour déplacer les matériels hors normes.

M. Henri Leroy, rapporteur.  - La valorisation des matériels confisqués permet de récupérer les frais engagés. Avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Même avis.

L'amendement n°10 rectifié n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

Explications de vote

M. Jérôme Durain .  - Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. Ce texte est contre-productif, malgré le travail de notre rapporteur. Organisateurs de rave parties, quel numéro de téléphone ? La législation sur ce sujet est délicate. Les organisateurs ne tiennent pas à se faire remarquer. On risque de les faire opter directement pour la clandestinité. Il y a aussi un risque pour les maires. Il faut de la délicatesse et du dialogue. Nous voterons donc contre le texte.

M. Henri Cabanel .  - Les maires subissent les pollutions, notamment sonores, de ces manifestations. La concertation avec les collectifs est essentielle. Je l'ai constaté sur mon territoire.

Dans l'Hérault, nous avons réuni les services de pompiers, de sécurité, de santé, le sous-préfet et le maire et nous sommes montés sur un terrain où se déroulent des manifestations illicites. Personne n'a eu assez de courage pour assumer la responsabilité de l'organisation d'une manifestation licite car toujours un paramètre posait problème : trop grande proximité des bois pour les pompiers, manque de sécurité pour les gendarmes, etc. Les organisateurs de manifestations ne trouvent pas les conditions ni les endroits pour réaliser ces manifestations.

Les solutions ne peuvent se trouver qu'en amont, avec les collectifs, pas dans des sanctions alourdies. Je m'abstiendrai.

Mme Pascale Bories .  - Chacun a droit à la liberté, mais personne n'a de droit sur la liberté, disait en substance Victor Hugo. Chacun ses goûts en matière de musique, mais quand la liberté a un caractère licencieux, il est indispensable d'en définir les limites.

C'est l'objet de cette proposition de loi qui fixe des limites tout en permettant l'information du maire, afin qu'il puisse se retourner vers les forces de l'ordre. Ces dernières doivent être dotées de moyens juridiques leur permettant d'intervenir. C'est le sens des articles 2 et 3 de la proposition de loi. J'espère, monsieur le ministre, que vous reconsidérerez votre avis sur ce texte.

M. Fabien Gay .  - À venir dans cet hémicycle, on s'aperçoit qu'il existe encore une droite et une gauche dans ce pays. Nous considérons, nous, que c'est par le dialogue et la médiation avec ceux qui veulent faire la fête en toute liberté et en toute sécurité que nous pourrons faire évoluer les choses. Au passage, en adepte des férias, je rappelle que les conduites à risque et les agressions ne sont pas l'apanage des rave parties...

C'est une autre approche que de considérer qu'en réprimant et en sanctionnant encore plus durement, on fera rentrer dans la loi ceux qui sont déjà à la limite de la légalité. Le débat, on le voit, est philosophique et politique.

Nous voterons contre ce texte inefficace et inapplicable. Où est la cohérence, quand vous voter des budgets d'austérité, tant pour les forces de l'ordre que pour les questions culturelles ?

Mme Sylvie Goy-Chavent .  - Je déplore que la loi s'adapte à un état de fait. Des jeunes s'octroient des libertés au mépris de la loi et on tente d'arranger les choses pour les faire entrer dans le cadre.

Dans ma commune de Cerdon, dans l'Ain, nous avions 110 voitures garées en épi pour empêcher les pompiers d'accéder à la manifestation. Des jeunes émergeaient des fossés, hébétés, couverts de boue, dans un état second, tels que je n'en avais jamais vu. Je viens pourtant d'un village viticole ! Et il y avait aussi des gamins de 3 ou 4 ans !

Ce texte a le mérite de pointer un problème réel. Les maires en ont assez de subir. Professeur d'arts appliqués, je suis la première à défendre l'accès à la culture, mais de là à retrouver des gens dans un état aussi déplorable... Heureusement qu'il n'y a pas eu d'accident !

M. Arnaud de Belenet .  - Entre la droite et de la gauche, il y a un pôle médian, certes minoritaire dans cet hémicycle, qui s'efforce de faire la synthèse et regrette de ne pouvoir voter ce texte, dont les objectifs sont bons, mais les moyens inadaptés.

Mme Cécile Cukierman .  - Oui, certains maires ont des difficultés pour gérer les rave parties. La question des moyens est centrale. Il est trompeur de vouloir faire croire aux maires que cette proposition de loi résoudra leurs problèmes. Ce n'est pas en renforçant la sanction que l'on réduira le nombre de ceux qui ne respectent pas la loi. Preuve en est, c'est en place de Grève qu'on trouvait le plus de voleurs au Moyen-Âge !

Nous n'avons ni condescendance ni bienveillance à avoir vis-à-vis de ces rassemblements. Les rave parties existent et certains s'y éclatent. Nul besoin de les juger. En revanche, un encadrement en amont est nécessaire.

Ce texte tente de répondre avec des outils traditionnels à des événements qui sortent du cadre ordinaire. Il faudrait être plus inventif.

M. Henri Leroy, rapporteur .  - La proposition de loi répond à une demande qui émane de nombreux maires, de toute tendance. Elle a été présentée à l'Assemblée nationale mais n'a pas été débattue. Nous répondons à l'attente des élus en replaçant le maire au centre, en veillant à ce qu'il soit informé au même titre que les services de l'État.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État .  - L'objectif du texte est d'informer le maire en obligeant l'organisateur à le faire. L'information entre les forces de l'ordre et le maire existe déjà.

Ce texte renforce les sanctions mais sans prévoir de peine d'emprisonnement ; il n'y aura donc pas d'intérêt opérationnel pour les forces de l'ordre. Soyez assurés que celles-ci continueront d'encadrer efficacement les rave parties.

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

La séance est suspendue à 19 h 45.

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Rappel au Règlement

M. Pierre Laurent .  - Mon rappel au Règlement, au nom du groupe CRCE, se fonde sur l'article 36 de notre Règlement, relatif à l'organisation de nos travaux.

Le Conseil européen dont nous allons examiner le bilan a été bien terne sur la situation dramatique du Nord-Est de la Syrie. Dans une demi-heure, le cessez-le-feu prendra fin et Erdogan a promis le massacre de Kurdes. Nous avons été unis dans notre condamnation cet après-midi mais le débat n'a rien donné de concret, alors que les informations de toutes parts et notamment celles données par le ministre sont alarmantes.

Allons-nous continuer à débattre comme si de rien n'était, dans les heures, puis les jours qui viennent, sans adapter notre ordre du jour à la situation exceptionnelle, dramatique, pleine de dangers ? Le Gouvernement n'a-t-il rien de mieux à nous dire ? Si le pire intervient, n'allons-nous prendre aucune initiative ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Didier Marie applaudit aussi.)

Mme la présidente.  - Acte est donné de votre rappel au Règlement.

Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Lors du débat préalable au Conseil européen, vous vous étiez préoccupés des points à l'ordre du jour : l'agenda européen, le cadre financier pluriannuel (CFP), la demande de négociations d'adhésion de l'Albanie et de la Macédoine du Nord, et bien sûr le Brexit.

Le président de la République s'est exprimé en conférence de presse. La nouvelle présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a présenté son nouvel agenda, avec notamment son nouveau « pacte vert » pour une neutralité carbone en 2050. Elle souhaite mettre en place un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières et un marché de permis carbone ETS.

Elle a rappelé la priorité au numérique et annoncé qu'elle réviserait le régime d'asile, à la suite de notre débat dans l'hémicycle sur la politique migratoire. L'Europe, selon elle, doit affirmer sa place, arrêter sa propre ligne de défense économique et ainsi gagner en souveraineté.

Le Conseil a débattu du futur CFP. Les échanges ont confirmé les divergences sur le volume global et les priorités à financer, anciennes ou nouvelles, les ressources propres et les rabais.

Le président de la République a rappelé que la France veut le maintien de l'enveloppe de la PAC sans opposer premier et second piliers. Le budget de la PAC ne représente que 0,3 % de la richesse européenne, que nous devons répartir et allouer à 80 % du territoire européen. Nous avons besoin de soutenir le revenu et l'investissement des agriculteurs, pour les aider à faire face aux risques du climat, des productions et des marchés.

Nous voulons augmenter les ressources propres car notre contribution nationale et les prélèvements sur recettes (PSR) doivent être limités et verdir les aides jusqu'à atteindre 40 % des dépenses compatibles avec la lutte contre le changement climatique. La discussion se poursuivra lors du prochain Conseil, pour un accord début 2020. Nous devons faire mieux qu'en 2014, quand nous avions pris beaucoup de retard à déployer les politiques européennes.

Je crois utile de clarifier les conclusions du Conseil sur l'élargissement !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères.  - Très bien !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - On a parlé à tort d'un veto français. Pour qu'il y ait veto, il faut un vote. Or il n'y en a pas eu. Par ailleurs, les positions étaient trop divergentes. Certains États membres voulaient commencer tout de suite les négociations avec l'Albanie et la Macédoine du Nord, d'autres avec ce dernier État uniquement, d'autres enfin souhaitaient poser des conditions supplémentaires. La France a proposé une approche positive et crédible, pour renforcer l'attachement de ces pays des Balkans à l'Union européenne ; afin que les réformes demandées soient pleinement mises en oeuvre ; et que le processus d'adhésion soit refondé pour éviter que les peuples - surtout les jeunes et les classes moyennes - perdent espoir et émigrent massivement. Le sommet Union européenne-Balkans se tiendra sous présidence croate à Zagreb en mai 2020.

Le Brexit est le feuilleton qui nous tient tous en haleine. Il a moins fait l'objet de discussions au Conseil que depuis lors, puisque le Conseil s'est réuni quelques heures après le bon accord négocié par Michel Barnier, qui traite le problème de la frontière irlandaise, celui du consentement démocratique en Irlande du Nord et celui d'une relation équilibrée entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. La France a particulièrement insisté sur le fait que cette relation future devra être loyale, équilibrée et sans divergences excessives avec nos normes sociales, fiscales et environnementales.

Ce soir même a eu lieu un vote encourageant, puisqu'il indique qu'il y a une majorité au Parlement britannique en faveur des objectifs de l'accord. Là où ce Parlement se divise, et où l'incertitude grandit, c'est sur la rapidité de son examen. Mais nous devons clarifier échéances et enjeux, sinon la situation s'enlisera. Grâce au président de la République qui a tenu ferme sur le texte de l'accord, nous avons fait d'énormes progrès ces dernières semaines. Nous devons tenir compte des conséquences de l'incertitude sur les entreprises et la population et en sortir, car elle est toxique et angoissante.

La solution de ce soir ouvrirait une extension, mais pour quoi faire ? Le temps seul ne résoudrait rien ; il faut une décision politique. Les Britanniques doivent recréer les conditions d'un accord.

Nous ne pouvons rester spectateurs d'un processus dont rien ne ressort ; une extension n'est acceptable que si elle est justifiée et si nous en comprenons les raisons.

Les chefs d'État et de gouvernement ont échangé sur la politique étrangère - en Syrie et sur les forages turcs en Méditerranée.

Le Conseil européen a condamné très fermement à l'unanimité les opérations militaires unilatérales de la Turquie en Syrie. Il a demandé la cessation des opérations, le retrait ferme et définitif des forces en présence. Tous les États membres ont suspendu les licences d'exportation d'armement vers la Turquie et un appel collectif à la réunion de la coalition internationale contre Daech a été lancé afin que ceux qui hier combattaient ensemble prennent leurs responsabilités.

Le Conseil a adopté des mesures ciblées contre les forages illégaux turcs en Méditerranée orientale et réaffirmé la solidarité de l'Union européenne avec Chypre.

La nouvelle Commission ne pourra pas prendre ses fonctions le 1er novembre, mais le 1er décembre, si les trois nouvelles candidatures sont présentées dans les deux prochaines semaines. C'est essentiel afin que le Conseil, le Parlement et la Commission puissent faire ce que nous attendons d'eux, à savoir proposer des projets européens et les mettre en oeuvre. (Applaudissements sur le banc des commissions, ainsi que sur les travées des groupes LaREM et UC)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Merci de ce compte rendu clair. Le Conseil européen devait ouvrir une nouvelle page, mais nous laisse un sentiment mitigé. Alors que la France a regagné du crédit en Europe, il faut faire attention aux maladresses.

Je ne reviendrai pas sur le refus de la candidate française. Savez-vous si notre futur commissaire aura le même portefeuille élargi ou si cet épisode aura affaibli durablement notre position à Bruxelles ?

Sur l'élargissement, il y a à tout le moins un problème de méthode, nous n'avons pas mis les formes, avec une victoire à la Pyrrhus, consistant pour la France à avoir raison seule contre tous. Il y a les faits, leur perception par la presse mais aussi les retours que nous avons de toutes parts, de la Suède jusqu'à l'Italie, qui montrent que la position française n'est pas comprise.

Réformer le processus d'adhésion pour qu'il soit plus politique, rigoureux, réversible et adapté à la situation de chaque pays, nous y sommes favorables. L'élargissement ne peut plus être automatique. Alors que le Brexit s'annonce être un séisme, que les négociations sur le budget sont âpres, d'aucuns voudraient encore élargir l'Union européenne. Des élections anticipées risquent d'avoir lieu en Macédoine du Nord, car nous avons fragilisé le Premier ministre et le courageux élan de l'accord de Prespa. Pourquoi avoir refusé de dissocier les deux pays, Macédoine du Nord et Albanie ?

Je plaide pour un statut intermédiaire, d'association pleine et entière, véritable antichambre pour les candidats, en fonction des efforts accomplis par chaque pays pour lutter contre la criminalité, maîtriser l'immigration, respecter les ratios économiques et monétaires...

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères.  - Le Gouvernement est-il prêt à faire sienne cette proposition ?

Le Brexit nous laissera Tous perdants, comme l'indiquait le titre d'un récent rapport du groupe de suivi que j'anime avec Jean Bizet.

Ne vous laissez pas dévorer par les péripéties quotidiennes de ce feuilleton interminable. Un dumping fiscal, social et réglementaire risque de se créer avec un nouveau « Singapour sur Tamise » à nos portes. Au-delà du court terme, il faudra refonder une relation solide avec le Royaume-Uni, dans le domaine de la défense notamment. Les 27 devront rester aussi solidaires que depuis deux ans, grâce au travail remarquable de Michel Barnier, qui a réussi à aboutir à un accord.

Une refondation de l'Europe est nécessaire et le groupe de suivi su Sénat proposera bientôt une feuille de route sur ce sujet. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM, ainsi que sur le banc des commissions)

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances .  - Le Conseil européen a été marqué par le feuilleton du Brexit. Le rapporteur général de la commission des finances nous avait prévenus d'éviter de tirer des conclusions hâtives sur le Brexit. Il avait raison ! Une nouvelle fois, tous les pronostics ont été déjoués. La Chambre des communes a réservé son vote à une date ultérieure, puis voté pour cet accord tout en rejetant le calendrier prévu...

Selon Jean-Yves Le Drian, qui s'est exprimé à l'Assemblée nationale, une nouvelle extension n'est pas justifiée. Quelle est la position française à la suite de ces rebondissements ?

La solution du backstop proposée par l'Union européenne n'a pas été conservée. Cela évite le rétablissement d'une frontière en Irlande mais avec des arrangements douaniers complexes. Toutes les garanties sont-elles prévues, compte tenu du fait que les contrôles sur les normes du marché unique seront effectués par des agents britanniques ?

Le Parlement européen s'organise, examinant une proposition de règlement sur la solidarité entre États membres. L'impact du Brexit pourrait atteindre 0,5 % du PIB pour la France. Quel soutien financier la France pourrait-elle obtenir ?

Après un échange de vues sur le cadre financier pluriannuel, le Conseil européen a invité la présidence finlandaise à présenter des propositions sur le volume et les priorités. Les États membres ont donné leurs lignes rouges, mais les incertitudes demeurent alors que le temps presse. Des concessions peuvent-elles être obtenues d'ici à la fin de l'année ? (Applaudissements sur le banc des commissions)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Le Conseil européen a été un épisode important de la saga du Brexit. Comme Christian Cambon, je souhaite rendre hommage à Michel Barnier, qui a su rester ferme sur ses trois objectifs : préserver la paix, assurer l'intégrité du marché unique et garantir les conditions d'une concurrence équitable.

Le « super samedi » a été très décevant car le Parlement britannique a adopté un amendement reportant le vote. Aussi le Premier ministre a-t-il été contraint de solliciter un troisième report du Brexit.

L'unité des 27, acquis du Brexit, pourrait éclater s'il fallait se prononcer sur l'extension du délai prévu à l'article 50, qui impliquerait de nommer un commissaire britannique. Comment conjurer ce scénario catastrophe ?

Sur l'élargissement, prenons garde à l'isolement. La France a eu des exigences louables sur les conditions à l'adhésion. Sans doute faut-il dénoncer l'incohérence de ceux qui veulent élargir sans augmenter le budget, et cesser de faire de l'élargissement un instrument de politique étrangère. Mais il ne faut pas tarder à tendre la main à des pays comme l'Albanie et surtout la Macédoine du Nord, qui voient leur jeunesse quitter massivement leur pays. (M. Olivier Cadic applaudit.)

D'autres pays pourraient bien prendre notre place. (M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, le confirme.)

Il faut une réaction européenne claire à la provocation turque sur le territoire même de l'Union avec les forages illégaux d'hydrocarbures dans la zone économique exclusive (ZEE) chypriote, même si elle est d'une autre nature que l'offensive en Syrie. Nous devons marquer notre solidarité tout en évitant l'escalade. L'Union européenne doit avoir une réponse claire, appropriée et progressive. Cette question sensible a été soulevée lors de la récente session d'automne de l'assemblée parlementaire de l'OSCE, où notre...

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères.  - Excellent...

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - ... collègue Pascal Allizard, ici présent, a joué un rôle majeur.

Que pouvons-nous attendre de l'Union européenne sur ces sujets ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur le banc des commissions)

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Sur le portefeuille du prochain commissaire français, nous cherchons à nous assurer que l'industrie, le numérique, la défense y figurent bien. Nous ne cherchons pas seulement une figure, mais quelqu'un capable de gagner la confiance du Parlement sur des objectifs ambitieux.

C'est bien pour nous assurer que la nouvelle commission soit opérationnelle et dans une configuration de plein exercice que nous avions fixé la date du 31 octobre.

Bien sûr, la future relation avec les Britanniques devra être construite, dans tous les domaines, notamment la défense, mais aussi les relations extérieures, la sécurité, la culture, l'éducation, la recherche. Nous travaillons afin que les délais soient les plus courts possible. Si le Royaume-Uni est encore membre de l'Union européenne après l'entrée en fonction de la nouvelle Commission, aujourd'hui fixée au 1er décembre, la question de la nomination d'un commissaire britannique se posera et il faudra une réunion à l'unanimité de tous les chefs d'État et de gouvernement. D'où des procédures longues et complexes qui nous éloignent de nos priorités.

Pourquoi avoir refusé de découpler les élargissements ? Car, le président de la République l'a dit, il eût été funeste de laisser l'Albanie au milieu du gué - sachant qu'il existe des minorités albanaises dans tous les pays de la région. Notre ambition, c'est de travailler avec ces pays pour les accompagner.

Ce n'est pas forcément le statut qui compte ; il faut assurer à ces pays un accès graduel, séquentiel, petit à petit, aux différentes politiques de l'Union européenne : PAC, politique de cohésion, pour finir par l'accès au marché européen.

La population doit en voir les bénéfices concrets, au lieu du dispositif actuel purement juridique.

M. Jean-Yves Leconte.  - Plus personne n'y croit !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Nous avons relancé le plan d'engagement de l'AFD.

M. Simon Sutour.  - Ce n'est pas crédible !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Si nous ne voulons pas que la Chine, la Russie, la Turquie y construisent les infrastructures...

M. Simon Sutour.  - C'est justement ce à quoi aboutira votre politique !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - ...il faut, comme l'a dit le président de la République aux ambassadeurs, nous réinvestir dans les Balkans...

Je ne crois pas que la bonne politique soit d'envoyer un formulaire avec 6 000 questions, en s'en lavant ensuite les mains... Si nous voulons arrimer les pays à l'Europe, il faut des politiques concrètes et non de l'hypocrisie.

Il est gênant d'entendre que l'élargissement serait le seul moyen de notre politique extérieure.

M. Simon Sutour.  - C'était un engagement pris après la guerre dans l'ancienne Yougoslavie !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Il faut fixer la jeunesse dans ces pays !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - S'il y a d'autres leviers que de parler marchés publics et recrutement des fonctionnaires ! Il faut allier le concret au juridique. Il convient aussi d'avancer sur le CFP. La proposition de la présidence finlandaise n'a fait consensus qu'en ceci qu'aucun pays n'est d'accord avec ce qui est sur la table. Un budget se construit, et pas à partir d'un chiffre à la double décimale près. Nous devons reprendre la discussion avec une méthode différente : que reconduire et que mener de nouveau, avec quels objectifs, et quelles ressources, car l'Union européenne n'a pas de ressources propres ? La France ne doit pas entrer dans des discussions de boutiquiers. Il s'agit de politique avant tout. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC, LaREM et sur le banc des commissions) Priorité au Brexit ! Première suggestion : ce qui sera retenu, ce n'est pas l'exégèse des positions sur le délai mais l'unité des 27. Peu importe le délai si nous voulons l'unanimité.

M. Olivier Cadic.  - Bravo !

M. Philippe Bonnecarrère.  - Si le Brexit se déclenche le 31 octobre, et que le 4 ou 5, il ne se passe rien, j'entends déjà le ricanement des extrêmes sur le mode « on nous avait menti » et nous retomberons dans la perte de confiance en la parole publique, qui n'est pas un mince problème aujourd'hui.

Le Brexit étant entouré d'un halo d'incrédulité, nos PME ne sont pas préparées. Dans le nouvel accord, pour certains, l'Irlande du Nord est dedans ; pour d'autres, en dehors. Pas besoin d'être un grand juriste pour savoir qu'une telle ambiguïté dans un contrat est dangereuse. (M. Olivier Cadic renchérit.)

Est-ce un bon accord ? Un accord est certes préférable à un no deal. Mais il faudra bien expliquer aux citoyens ce qu'il en est.

Examiner le détail de l'accord, comme s'y attelle le Parlement britannique, pourra aussi être du ressort du Parlement européen, le moment venu, même si c'est exclu au Parlement français, en raison de nos règles institutionnelles. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc des commissions)

M. Olivier Cadic.  - Bravo !

Mme Véronique Guillotin .  - Alors que la date butoir du 31 octobre approche, le doute subsiste. Le débat d'hier aux Communes ne l'a pas dissipé. Berlin a ouvert la voie à un report technique. Le Brexit étant l'otage de la politique intérieure britannique, nous devons appeler le Royaume-Uni à ses responsabilités. Nous devons avancer, car l'Union européenne a d'autres chantiers.

Sur le CFP, mon groupe sera attentif aux grandes masses du budget. La mutualisation des moyens pour répondre aux défis communs est une bonne chose. Mais n'abandonnons pas pour autant la PAC et la politique de cohésion. J'ai entendu que le montant du budget de la PAC était moins important que ce que l'on faisait avec. Oui, mais une PAC plus verte ne sera pas gratuite ! Attention à aux accords de libre-échange, à la lumière de l'accord avec le Mercosur - contre lequel les agriculteurs se sont mobilisés ce matin même - qui pourrait fragiliser encore plus les filières du sucre et des bovins. Le RDSE a déjà alerté le Gouvernement par une résolution européenne du Sénat le 27 avril 2018.

La sous-consommation des crédits de la politique de cohésion est due à une gestion interne peu efficace. Colette Mélot l'a bien montré dans son rapport, il est urgent de revoir l'autorité de gestion des fonds européens de cohésion.

Quelques souhaits sur le programme stratégique : oui aux règles plus équitables dans le domaine économique. Il faut favoriser un champion européen dans le domaine de l'intelligence artificielle pour éviter la domination américaine et chinoise. Mais cela implique de déroger à certaines règles concernant la concurrence, louables par ailleurs pour le marché intérieur, qui bloquent la constitution de leaders européens. Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) mentionnés à l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne suffisent plus, dans la guerre commerciale actuelle.

Enfin, le groupe RDSE partage la position du chef de l'État sur l'élargissement, qui ne peut être poursuivi sans une amélioration de notre capacité à agir en commun. Tirons les leçons de notre passé récent pour faire de l'Union européenne une véritable zone de prospérité. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC)

M. André Gattolin .  - On vilipende souvent la qualité de la production audiovisuelle européenne. Une série espagnole, La Casa de papel, connaît pourtant un énorme succès international. La quatrième saison, attendue par tous, a été décalée de quelques semaines, attisant l'impatience de ses millions de fans européens. À la fin de la troisième saison, les braqueurs, issus de toute l'Europe, tels des Robins des bois anti-systèmes, provoquaient un casse de la banque centrale espagnole pour faire main basse sur son trésor et imprimer de nouveaux billets, pendant leur prise d'otages. Mais le sang avait coulé pour la première fois. Sortiraient-ils indemnes de cette affaire ?

Rien à voir avec cette autre grande série, au succès d'audience garanti, mais britannique cette fois, le Brexit, toujours aussi palpitante, (Sourires) car personne n'en connaît la fin, tant les rebondissements sont nombreux...Peut-être vous, madame la ministre, en savez-vous un peu plus ?  Y aura-t-il une cinquième saison ? (Rires)

Pardonnez mon ton quelque peu farceur et primesautier, (Sourires) mais au bout d'une douzaine de prises de parole en séance publique sur le sujet, mon imagination est moins débordante que celle des auteurs de cette série britannique... (Même mouvement) Pourtant, j'ai la chance d'échanger fréquemment avec l'ancien ministre des Affaires européennes de Tony Blair, Denis MacShane, europhile convaincu et inventeur du mot « Brexit », qui a publié un livre intitulé Brexeternity ou Un Brexit sans fin... (Nouveaux sourires) Il considère que son pays pourrait encore consacrer dix ou quinze ans de plus à des débats passionnés sur le sujet. Mais on constate une inflexion.

N'en déplaise aux « réalités alternatives » chères à Donald Trump, les rêves des Brexiters ont tous du plomb dans l'aile. À commencer par le projet d'une nouvelle Association européenne de libre-échange (AELE), le référendum britannique n'ayant pas fait école, même dans les États gouvernés par des forces eurosceptiques.

L'idée d'un modèle Singapour - rêve irréaliste selon le Premier ministre de ce pays - ou celle d'un Commonwealth revisité - alors que le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande viennent de signer des accords de libre-échange avec l'Union européenne - n'ont pas plus de consistance.

Les discussions avec l'Inde ont montré que le préalable d'ouvrir les frontières britanniques aux quelque 1,3 milliard d'Indiens ne laisse guère d'avenir à l'idée de resserrer les relations bilatérales. Même chose pour l'accord « phénoménal » dont parle Donald Trump et dont le Trésor britannique estime qu'il serait défavorable aux Royaume Uni.

« Il n'y a pas d'alternative », disait Margaret Thatcher. Aujourd'hui, le Royaume-Uni est nu. Son destin est incertain. Mais nous aurons toujours la gentillesse d'accueillir nos amis britanniques s'ils voulaient revenir. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur le banc des commissions ; M. Olivier Cadic applaudit également.)

M. Jean Louis Masson .  - Les Eurocrates et Europhiles ont tendance à donner des leçons de démocratie, et auraient le monopole de la démocratie et de la volonté populaire.

Pour moi, la démocratie honnête, c'est de respecter la volonté du peuple, dans les urnes, et donc par référendum. C'est la raison pour laquelle Eurocrates et Europhiles ont peur des référendums. Ils souhaitent passer au-delà de la tête de ce que souhaite le peuple.

J'ai toujours trouvé scandaleux l'attitude du président Sarkozy...

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Ce n'est pas bien ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean Louis Masson.  - ... qui a bafoué le résultat du référendum, en signant le traité de Lisbonne, après avoir changé trois virgules.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Cela a été efficace !

M. Jean Louis Masson.  - C'est une honte pour la démocratie ! C'est la même chose au Royaume-Uni. Le peuple anglais s'est prononcé.

M. André Gattolin.  - Britannique !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Les Écossais n'étaient pas d'accord !

M. Jean Louis Masson.  - Tout le monde essaie de bafouer ce que le peuple anglais a dit.

Les députés anglais, désavoués par le référendum, ont essayé de contourner le système, et l'Union européenne a apporté de l'eau au moulin du blocage du Brexit.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Jean Louis Masson.  - J'ai peu de temps.

Mme la présidente.  - Votre temps est dépassé de trente secondes.

M. Jean Louis Masson.  - Puisqu'on ne peut plus parler, je reviendrai...

M. Pierre Laurent .  - Que retenir du Conseil européen ? On ne sait plus par quelle impasse commencer tant la construction européenne s'enfonce chaque jour un peu plus dans la crise...

On nous annonçait la sortie du tunnel des négociations sur le Brexit, mais Boris Johnson a été désavoué samedi. Il méprise tellement le Parlement qu'il a envoyé plusieurs courriers au nom du Royaume-Uni à ses partenaires européens. Il joue de tous les leviers pour laisser le maximum de liberté au Royaume-Uni pour développer le dumping social et fiscal. Des pans entiers ne sont plus dans l'accord mais dans la déclaration politique, comme tout ce qui concerne les droits sociaux. Tout annonce une sortie par le bas. La crise n'a pas fini de rebondir, l'Union européenne paiera un prix exorbitant.

L'impasse européenne n'est pas seulement britannique. Les 27 n'ont pas pu s'accorder sur le CFP tant sur le montant et le contenu de la PAC que les fonds structurels. La France veut maintenir les budgets et augmenter les dépenses de sécurité et défense sans avoir obtenu une augmentation du budget de l'Union européenne. Ce désaccord budgétaire reflète les désaccords fondamentaux sur les grands objectifs.

Pendant ce temps, Christine Lagarde est confirmée comme gouverneure de la Banque centrale européenne (BCE) sans que le rôle de la BCE ne soit remis en cause, alors que ce serait urgent en ces temps de détresse sociale et de taux zéros que d'orienter les richesses vers la dépense sociale et la transition écologique.

Impasse syrienne enfin. Le Conseil européen n'a pas ouvert la voie à une offensive diplomatique d'ampleur pour protéger les Kurdes, à un nouveau système de sécurité collective émancipée de l'OTAN. L'Union européenne est tétanisée par les décisions américaines et turques en Syrie. La France se satisfait de la réunion annoncée par le président de la République entre Erdogan, Merkel, Johnson et lui-même ; cela fait rêver pour sauver la paix ! L'Europe est dans la crise et dans l'impasse.

Il y a dix ans, nous avions proposé des états généraux de la refondation européenne, on nous traitait d'anti-européen. Repenser l'Europe est urgent, mais pas pour réchauffer les plats.

À quand un Conseil européen parlant de la fusion Alstom-GIE, d'une nouvelle politique industrielle, de l'accident ferroviaire des Ardennes, de la colère des agriculteurs contre le CETA, de la colère des communes et de la réorientation des fonds structurels européens pour plus de services publics, à quand un conseil européen qui parlera des priorités des Européens et non pas d'une marchandisation capitaliste à bout de souffle ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE) En trois ans et demi, le Brexit a connu de multiples rebondissements. L'accord de retrait est qualifié de raisonnable, d'équilibré et de respectueux des engagements européens. Les yeux se sont tournés vers Westminster, où le Parlement britannique n'avait pas été réuni un samedi depuis la guerre des Malouines en 1982.

Le vote de l'amendement Letwin plonge l'Europe dans l'incertitude, avec la demande d'un report du Brexit au 31 janvier 2020. Le président de la République Macron refuse un tel délai, sauf s'il est dûment motivé et nécessaire.

Les Européens méritent mieux que cette cacophonie. Le Conseil européen a apporté la preuve de la nécessité d'une Europe rassemblée et tournée vers l'avenir.

Le CFP nous engagera jusqu'en 2027. Nous attendons un cadre de négociations clair de la présidence finlandaise. L'Union européenne doit être ambitieuse, ce qui passe par un budget ambitieux. Les États membres et la France doivent améliorer leur système de déploiement des fonds européens. Des ressources propres seront également nécessaires pour renforcer ce budget.

Le budget doit préserver la PAC, indispensable, et la politique de cohésion, tout en mobilisant de nouvelles ressources pour l'environnement, le numérique, la sécurité et la défense.

Madame la ministre, comment vous en assurerez-vous ?

Ce Conseil a entériné la nomination de Mme Lagarde à la tête de la BCE, véritable fierté pour la France. Mais où en sommes-nous de la nomination du futur commissaire français ? Le Gouvernement doit nommer rapidement une personnalité incontestée et expérimentée.

L'Union européenne doit contribuer à la stabilisation du monde. Condamner l'offensive turque ne suffit pas, il faut agir ensemble.

L'Europe doit se renforcer avant de s'élargir ; il faut réformer le processus d'adhésion tout en tenant compte des efforts nord-macédoniens et albanais.

Le mandat de la nouvelle Commission sera déterminant pour l'avenir de l'Europe : il est avant tout question de redonner à l'Union Européenne sa place prépondérante sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et LaREM et sur le banc des commissions)

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis des mois, nous suivons la situation au Levant et en particulier l'engagement de nos forces contre Daech. En réalité, les Européens pèsent peu dans la coalition : les Russes se sont imposés sur le terrain, puis la Turquie a pris la place des États-Unis.

Depuis l'Afghanistan et l'Irak, les États-Unis ne veulent plus s'investir dans des guerres coûteuses se situant dans des zones instables. Le président Trump prétend que le job est fait prétextant que Daech a été écrasé sous les bombes. Quid du sort des populations civiles et des djihadistes emprisonnés ?

La Turquie joue sa partie en solo, renvoyant les Européens à leurs propres turpitudes, paralysés par l'accord à haut risque sur les migrants.

En outre, Chypre se retrouve à nouveau aux prises avec les autorités turques dans un différend en matière d'espaces maritimes, exacerbé par la présence de gisements d'hydrocarbures dans ladite zone. Depuis quelques semaines, l'intrusion d'un navire de forage turc dans la zone économique exclusive chypriote contestée par la Turquie fait craindre une escalade régionale.

Le Conseil a mis en place des mesures restrictives. La France a dépêché des moyens navals sur place. Où en est-on ?

J'espère que les relations avec la Russie seront plus apaisées car un des dangers pour l'Union européenne est la convergence sino-russe. La Russie bascule vers son versant asiatique en soignant sa relation avec la Chine, même si la sinisation en cours de l'orient russe inquiète Moscou. Au Forum des Nouvelles Routes de la Soie puis au Forum économique de Saint-Pétersbourg, Russie et Chine ont affiché leur entente. C'est aussi le cas au sein de l'Organisation de coopération de Shanghai sur laquelle les deux pays ont pris le leadership. En septembre 2019, un exercice militaire à grande échelle russo-chinois s'est déroulé en Russie. De même, cet été, des patrouilles d'avions militaires chinois et russes ont été menées au large de la Corée du Sud et du Japon. Aujourd'hui, la base chinoise de Djibouti intéresse à l'évidence les Russes comme les bases russes de méditerranée orientale suscitent l'intérêt des Chinois.

Le message est clair : la convergence de ces deux États doit inviter les Européens à une plus grande coopération. Il faudra être attentif à la stratégie chinoise de division de l'Europe à travers les nouvelles portes de la soie.

Je salue la signature d'un accord nippo-européen sur les connectivités durables et les infrastructures de qualité.

Un autre danger pour le vieux continent est la convergence turco-russe qui au-delà de la seule Union européenne inquiète également l'OTAN, en particulier depuis l'achat par Ankara de systèmes antiaériens russes.

Madame la ministre, les technocrates qualifient de vide juridique les quelques espaces de libertés laissés par le législateur. Pourtant, en démocratie, la liberté devrait être la règle, et l'interdiction l'exception.

J'approuve vos positions sur l'élargissement.

Si nous ne prenons pas la mesure des choses, nous nous résignons à n'être plus que les clients et les sous-traitants des Chinois et des Américains, sous la pression continuelle des Russes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très juste !

M. Didier Marie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Le Brexit a attiré l'attention des médias et du Conseil européen.

Je me félicite de la solidarité des 27 : l'Union européenne a assumé ses responsabilités. Chaque heure, nous découvrons les subtilités de la démocratie parlementaire britannique. Nous devons éviter un nouveau report et soutenons votre position, madame la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Merci.

M. Didier Marie.  - Cette belle unanimité sur le Brexit ne peut être l'arbre cachant la forêt, alors qu'une nouvelle mandature s'ouvre. Mais les Européens sont paralysés par le manque de cohésion, tant interne que vis-à-vis de l'extérieur. Toute décision est au mieux reportée au prochain Conseil de décembre.

La présidente élue de la Commission prendra ses fonctions dans quelques jours, sans avoir bouclé son équipe. Affaiblie, elle est à la tête d'une Commission plus géopolitique que politique, de son propre aveu.

La France est tombée dans ce piège. Avec un Parlement européen, sans majorité, la Commission européenne risque de revoir à la baisse ses ambitions.

Le fragile équilibre du collège de la Commission, son organisation extrêmement pyramidale, la difficulté à discerner parfois les fonctions des uns et des autres, risquent de concourir à la neutralisation des initiatives indispensables à la relance européenne.

Le signal envoyé par le Conseil européen à son intention pourrait également réduire sa marge de manoeuvre. La France a une part de responsabilité dans cette situation. L'Union européenne ne peut être le terrain de manoeuvres incessantes et l'interventionnisme continuel du président de la République ne peut que se retourner contre notre pays.

La Commission ne peut être le secrétariat du Conseil - encore moins des États membres. L'indépendance du Parlement européen, avec un droit d'initiative propre, doit être défendue.

La France, au lieu de voir une crise institutionnelle là où le Parlement n'a fait qu'exercer ses prérogatives, serait mieux avisée de plaider efficacement pour un cadre financier ambitieux, un green deal européen à hauteur des défis de la transition écologique et défendre le mieux-disant social européen.

L'Europe est dans l'urgence et a besoin d'un projet clair. Que compte faire la France ?

Le Conseil européen est incapable d'avoir une position claire sur l'invasion turque, alors que les Kurdes sont abandonnés honteusement par la coalition internationale.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - C'est vrai !

M. Didier Marie.  - En réponse à cela, on crée - tenez-vous bien - un groupe de travail. Que penser d'un Haut représentant qui déclare ne pas avoir de « pouvoirs magiques » ?

Le président de la République ne cesse de parler « d'autonomie stratégique européenne », mais en quoi consiste-t-elle réellement ?

Madame la ministre, quelles initiatives concrètes la France compte-t-elle prendre pour contribuer à un sursaut de l'Union européenne à l'égard de la Turquie et plus largement en matière de politique étrangère ?

Le Conseil, attentiste, est incapable de définir un programme commun. Le dispositif d'accueil des migrants est bienvenu mais temporaire et sur la base du volontariat. Nous n'avons que trop tergiversé face aux centaines de morts dans la Méditerranée. Réformons le règlement de Dublin, harmonisons les critères européens, créons des centres européens de premier accueil sur tous les points d'arrivée, ouvrons d'autres voies légales d'immigration, plus sûre, plus respectueuses, y compris pour les procédures de réinstallation.

L'Union européenne ne pourra relever ses défis qu'avec un budget ambitieux. Le Parlement européen a proposé un budget à hauteur de 1,3 % du revenu national brut de l'Union, contre 1,11 % recommandé par la Commission européenne. La Finlande, elle, propose un taux entre 1,03 et 1,08 % !

Face à l'urgence environnementale, mettons toutes les politiques européennes au service de la lutte contre le dérèglement climatique. Nous saluons la décision de nommer un vice-président exécutif pour le green deal, nous ne savons rien de ses modalités concrètes. Les premiers indices ne plaident pour l'instant pas en faveur d'un plan Climat qui permette de dégager 1 100 milliards d'euros par an, comme le prône la Cour des comptes européenne.

Pour que ces nouvelles priorités n'évincent les politiques traditionnelles, il faut de nouvelles ressources propres.

Si le président de la République ne se dit pas inquiet de l'absence de consensus, comment gérer ces incertitudes ? Nous ne pouvons plus être dans l'expectative et rester dans les logiques nationales. Il nous faut maintenant avancer pour consolider l'existant et bâtir des politiques nouvelles qui rétablissent la confiance dans l'Union européenne. Les forces populistes en réclamant des solutions nationales et un retour aux frontières mènent l'Europe au bord de la fragmentation et du déclin. Pour les faire reculer, nous devons cesser les logiques technocratiques et budgétaires et redonner corps à l'idée européenne.

L'Europe doit dépasser ses inerties, dépasser ses blocages. Pour cela, elle a besoin de la France. Nous attendons de l'exécutif des actes forts. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)

M. Jean-François Longeot .  - Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants) Je souhaite aborder trois grands thèmes.

Le CFP d'abord, qui soulève plusieurs questions. L'équation est complexe car il doit absorber le Brexit, intégrer de nouvelles politiques sans sacrifier les anciennes et sans réformer structurellement le financement du budget. Pour cela, comme l'a dit le président Macron, il faut à l'Union européenne des ressources propres et remettre en cause les rabais accordés à plusieurs États membres dont certains remontent aux années 1980.

Si les pistes de travail présentées par la Commission européenne en mai 2018 dévoilent un budget en hausse, porté à 1 135 milliards d'euros contre 959 milliards pour le précédent, la politique agricole commune verrait, pour sa part, son budget réduit, alors que l'agriculture devra relever à l'avenir de lourds défis : ruralité, nouveau modèle agricole, souveraineté alimentaire. Comment le Gouvernement voit-il les choses à ce propos ?

Deuxième question : quel est notre futur à 27 ? La politique de la concurrence industrielle condamne les Européens à ne jamais voir émerger de champions européens dans la compétition internationale. Nous sommes incapables de dépasser nos intérêts nationaux et de donner du sens au collectif.

Le second sujet porte sur l'inachèvement de l'Union économique et monétaire et sur les projets esquissés lors de ce Conseil européen. Le président de la République a évoqué une assurance chômage au sein de la zone euro, alors que l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité est à peine développé, et que l'Union bancaire est incapable d'assurer la stabilité du secteur bancaire en cas de crise économique.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - C'est exact, malheureusement.

M. Jean-François Longeot.  - Enfin, nous avons besoin d'une Europe qui protège. Le Brexit est le résultat d'un espoir nostalgique au retour à une souveraineté nationale fantasmée. Or, unis, nous sommes un des géants de la compétition internationale et du nouveau monde multipolaire tel qu'esquissé au lendemain de la chute de l'Union soviétique. Mais isolés, dans un imaginaire westphalien anachronique, nous ne pesons guère dans cette compétition internationale.

Face aux défis à relever, qu'il s'agisse des changements climatiques, des flux migratoires ou du bouleversement numérique, la souveraineté ne pourra s'exercer qu'à l'échelon européen. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants et RDSE ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)

M. René Danesi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le point urgent de l'ordre du jour du Conseil européen était l'approbation de l'accord de sortie du Royaume-Uni, dont les députés britanniques font preuve d'une créativité incroyable pour reporter le Brexit et ne pas revenir aux urnes, recourant aux juges si nécessaire. Jusqu'à présent, le Royaume-Uni était cité comme le modèle de la démocratie parlementaire. Après ce triste feuilleton, ce ne sera plus le cas. (Sourires)

Mais trop souvent, les gouvernements tiennent les votes populaires pour quantité négligeable. Cela a commencé en 2005 avec la France et les Pays-Bas dont les référendums sur la Constitution européenne ont été contournés par les gouvernements et les Parlements. Aux États-Unis, c'est pire : élu par les « déplorables », l'élection de Trump a été immédiatement contestée, cette contestation se faisant là encore par les juges au besoin.

Avec le déclassement des classes moyennes et populaires, l'attitude désinvolte de l'élite politico-économique à l'égard du peuple nourrit les mouvements d'extrême gauche et d'extrême droite dans tout l'Occident.

Le Conseil européen a également renvoyé à plus tard l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord. Donald Tusk et Jean-Claude Junker n'ont pas réussi à surmonter le véto de la France, des Pays-Bas et du Danemark. C'est peu dire que ces deux États ne sont pas les meilleurs élèves de la classe préparatoire à l'Union européenne... L'Albanie, elle, se singularise par le nombre de ses ressortissants qui viennent demander l'asile politique en France : 7 133 demandes ont ainsi été enregistrées en France en 2018.

On relèvera aussi que l'Albanie, déjà membre de l'OTAN, et la Macédoine du Nord qui le sera d'ici peu, bénéficient de la part des États-Unis du programme d'aide appelé ERIP pour remplacer leur matériel militaire d'origine soviétique par du matériel américain. Pour ceux qui se posent la question de l'utilité de l'OTAN, voilà la réponse : alimenter les carnets de commande du complexe militaro-industriel des États-Unis.

Maintenant que les Britanniques sortent, l'Europe peut enfin s'approfondir comme le demandait Jacques Delors en son temps. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Bravo !

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne tout doit être mis en oeuvre pour que la baisse des ressources ne soit pas synonyme d'une diminution de la prochaine programmation pluriannuelle de la PAC. Alors que l'agriculture française occupe la première place en Europe, la politique agricole est un enjeu majeur sur lequel la France doit peser de tout son poids.

Les nouvelles priorités de l'Union européenne ne doivent pas se faire au détriment des politiques traditionnelles et le volet agricole ne peut être une variable d'ajustement.

La souveraineté alimentaire doit être une priorité et conduire l'Europe à proposer une politique ambitieuse permettant de relancer la compétitivité des exploitations et leur capacité à investir et à se transformer, données essentielles d'une durabilité économique.

Les nouvelles orientations ne doivent s'appliquer que si elles sont jugées nécessaires et en parfaite adéquation avec les ambitions des États membres.

La simplification de la PAC est considérée comme « l'Arlésienne » car la bureaucratie a créé de véritables usines à gaz qui complexifient les processus, pour les agriculteurs mais aussi pour les États membres.

L'agriculture européenne rend des services à la société et à l'environnement. Les agriculteurs méritent donc une rémunération au titre des biens publics qu'ils produisent, les externalités positives, comme le stockage du C02 dans les sols par exemple.

Les questions environnementales doivent être appréhendées avec pragmatisme, en lien avec la recherche et l'innovation. L'agropastoralisme, par exemple, est une activité à la fois liée à son territoire et de son temps.

M. Jean-Paul Émorine.  - Très bien !

Mme Patricia Morhet-Richaud.  - Cette activité permet de conserver un tissu rural vivant et d'atteindre nos objectifs environnementaux, climatiques et de protection de la biodiversité. Aussi, il est essentiel que les surfaces pastorales obtiennent une meilleure reconnaissance.

La mise en oeuvre d'une politique Montagne utilisant de façon ciblée une partie des outils mis à disposition pour l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) doit être prise en compte pour soutenir l'agriculture dans les zones défavorisées et à handicap.

Je me réjouis du lancement de l'observatoire européen des fruits et des légumes, secteur clé de notre agriculture. Il convient en effet de corriger les distorsions de concurrence sur les fruits - il faut le dire en cette période de récolte des pommes et des poires, notamment dans les Hautes-Alpes. Nous devons donc nous mobiliser pour que les États membres maintiennent le budget de la PAC. Nos agriculteurs méritent que l'on se batte pour eux et il en va de l'intérêt de la France. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État .  - En fin de semaine, nous devrons faire un point sur la nécessité de concéder une extension technique permettant à la Chambre des communes d'examiner l'accord sinon à un train de sénateur, du moins à un rythme adapté. Mais une extension pour renégocier l'accord ou gagner du temps n'est pas acceptable car l'accord est équilibré : l'incertitude n'est désormais plus de mise car elle pénalise des millions d'Européens.

Monsieur Éblé, le plan de contingence a donné lieu à des modifications de règlements pour engager des travaux aux abords des ports, mobiliser le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) pour la pêche en cas d'immobilisation de la flotte.

Nous voulons aussi l'application du fonds de solidarité de l'Union européenne (FSUE), destiné à aider les pays subissant des chocs non prévisibles. La France souhaite aussi la mobilisation du fonds européen pour l'ajustement à la mondialisation qui permet de répondre à des chocs commerciaux extérieurs. Au départ, la Commission européenne prévoyait des critères suffisamment restrictifs pour que personne n'en bénéficie. La France a plaidé avec un certain succès pour que la mise en oeuvre soit effective - qu'il y ait bel et bien des bénéficiaires en face. Je ne peux pas vous dire combien d'entreprises en bénéficieraient.

J'ai besoin de vous et de votre soutien. Si les Britanniques ne voulaient pas régler leur contribution de 12 milliards en 2020, nous nous opposerions au plan de la Commission qui consisterait à couper dans les dépenses à hauteur de 6 milliards d'euros et à appeler une contribution nationale exceptionnelle de 6 milliards d'euros, soit 1 milliard pour la France, ce qui serait insupportable.

Nous voulons que cela prenne la forme d'une avance, par exemple par la Banque européenne d'investissement (BEI), au capital de laquelle le Royaume-Uni a des parts. Ce sujet est hautement politique et je ne me vois pas revenir devant vous pour expliquer que nous devons encore faire des efforts.

Oui, monsieur Bonnecarrère, nous ne voulons pas d'une relation future marquée par la concurrence déloyale. Vous aurez à vous exprimer sur l'accord de libre-échange qui pourrait être négocié avec le Royaume-Uni.

Madame Guillotin, nous travaillons avec Jacqueline Gourault, Didier Guillaume, Muriel Pénicaud, avec les préfets et avec les élus pour recenser les démarches d'obtention des fonds européens qui seraient plus simples ailleurs qu'en France de manière à s'inspirer des exemples étrangers.

Beaucoup d'interventions ont évoqué des impasses ou des croisées des chemins pour l'Europe. Mais, avant de statuer sur l'élargissement au sein du Conseil européen, on devra s'atteler à la réforme des procédures internes de décision. Concernant la Commission, peut-on travailler avec un gouvernement où 30 membres sont à égalité totale ? Il faut retrouver de la capacité à agir, et à agir rapidement. Mme Merkel le disait lors de la nomination des top jobs : le problème n'est pas les hommes mais la capacité qu'on leur donne à prendre des décisions. C'est tout le rôle des futures conférences sur l'Europe.

Monsieur Gattolin, je suis parfois avec amusement la série du Brexit ; mais lorsque je rencontre les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, je vois bien qu'il n'y a pas à en sourire. Le processus sera long : nous devrons retricoter toutes nos relations culturelles, universitaires, sociales, économiques avec la Grande-Bretagne. J'ai grandi à Calais. Le tunnel sous la Manche existera toujours, les cinq millions de camions qui le traversent ne disparaîtront pas d'un coup. Il faudra signer un traité de libre-échange. Mais nous avons aussi signé des accords bilatéraux : l'année prochaine, nous fêterons l'anniversaire du traité de Lancaster House.

M. le sénateur Masson est parti... Précision sémantique : parlons des Britanniques, et non des Anglais, car les votes ont été divers en fonction des diverses provinces. Je ne crois pas que la comparaison entre 2005 et aujourd'hui soit de bon aloi : comme l'a dit le président de la République, nous ne nous opposons pas au résultat de ce référendum ; mais il faut que le processus aboutisse.

Monsieur Laurent, vous réclamez une nouvelle politique industrielle ou ferroviaire. Sur ces deux domaines, la Commission est en train de mettre à jour sa doctrine pour protéger les emplois. La France, de son côté, souhaite exporter ses dispositions sur l'intéressement et la participation, et veut un salaire minimum européen pour qu'aucun travailleur européen ne gagne moins que le seuil de pauvreté.

Monsieur Menonville, nous défendons la PAC et la politique de cohésion en apportant de la souveraineté et de la convergence. Montrons en quoi ces politiques sont pertinentes et répondent aux attentes de nos concitoyens.

PAC et politique de cohésion sont finançables avec 1 % du PIB, mais tout le reste doit être financé par des ressources propres. Ainsi, nous réconcilierons les pays contributeurs nets et les pays qui souhaitent de nouvelles politiques.

Monsieur Allizard, XI Jinping a été reçu à Paris avec Mme Merkel. La meilleure politique avec la Chine, c'est de construire une relation de partenaires économiques et commerciaux qui repose sur la réciprocité. L'un des buts du déplacement du président de la République en Chine est l'ouverture des marchés aux entreprises françaises.

On parle des forages de bloc 7 à Chypre. Le Conseil européen a décidé de sanctions contre ceux qui mènent ces forages. Il y va de la souveraineté territoriale d'un État membre.

Monsieur Marie, la France a une feuille de route, c'est le discours à la Sorbonne. Il a inspiré le discours d'Ursula von der Leyen. L'Union européenne doit se positionner sur les défis de son siècle : climat, numérique, dans un monde mouvant. Si nous ne répondons pas ensemble, nous ne tiendrons pas face à la concurrence.

Nous ne voulons pas signer un accord de coalition pour cinq ans, mais nous souhaitons un engagement collectif et de confiance envers la présidente de la Commission européenne pour disposer d'une majorité.

Chaque mois, je vais au Parlement européen à Strasbourg ; je me rends compte qu'il existe une majorité, sujet par sujet. C'est le travail que je mène aussi au Conseil. Cela nous demande plus de travail et d'agilité, mais les majorités moins visibles et automatiques n'en existent pas moins.

Nous pourrons trouver des contributions nationales pour les politiques actuelles et des ressources propres pour financer le coût des nouvelles politiques.

Monsieur Longeot, il vaut mieux un bon accord qu'un mauvais accord négocié trop vite. Vous m'en voudriez de brader la PAC ou les régions en transition ! Cependant, nous ne voulons pas prendre de retard.

Madame Morhet-Richaud, pour deux millions d'habitants, la Macédoine du Nord a reçu de l'Union européenne 664 millions d'euros de soutien entre 2014 et 2020, au travers de l'instrument de pré-adhésion. On est donc loin d'un désintérêt européen ! C'est un investissement collectif massif qui a été réalisé, et dont il faut tenir compte, tout en traitant le sujet juridico-politique de l'élargissement.

Merci de ces échanges et de votre soutien, dans une période où nous avons besoin d'une parole unie, claire et exigeante. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)

Mme Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires européennes .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Puisque le président Bizet m'a confié l'honneur de conclure, je vous remercie pour vos contributions à ce riche débat.

Le Conseil européen a relancé les négociations sur le CFP : la présidence finlandaise a fait l'unanimité contre elle ! C'est une déception, assortie d'une bonne nouvelle : tout reste ouvert. Il y va de la capacité d'action de l'Union européenne. Nous devons rester fermes et préserver la PAC pour assurer un niveau de vie correct aux agriculteurs, assurer notre souveraineté alimentaire et préserver l'environnement.

Nous devons supprimer les rabais - si nous ne le faisons pas au départ des Britanniques, nous ne le ferons jamais - et créer des ressources propres. Le CFP sera de nouveau débattu en décembre sous la nouvelle présidence de Charles Michel. Mais cela requiert l'unanimité.

En décembre, le Conseil devra décider du plan Climat. Cette convergence des dossiers financier et climatique est propice pour l'Union européenne. La transition écologique étant un enjeu de taille, elle doit continuer à se positionner comme leader de la mise en oeuvre de l'Accord de Paris. Un nombre croissant d'États se rallie à l'objectif de neutralité carbone en 2050.

L'Union européenne devra porter également son attention sur les océans. Mais la transition écologique devra être menée au même rythme partout dans l'Union européenne, pour éviter tout dumping.

Il faut des institutions en bon état de marche. Or la Commission européenne est encore incomplète. Nous attendons le nom du candidat français. Il est étrange que le président de la République semble avoir d'autres priorités, puisqu'il a proposé la création d'une nouvelle HATVP européenne, à l'issue du Conseil.

Donald Tusk a accepté le report de 90 jours du Brexit. Le monde ne l'attend pas : remettons donc l'Europe en action, et refondons-la, pour qu'elle se projette dans l'avenir. (Applaudissements des travées du groupe RDSE jusqu'à celles du groupe Les Républicains ; M. Didier Marie applaudit également.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Bravo !

Prochaine séance demain, mercredi 23 octobre 2019, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 45.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du mercredi 23 octobre 2019

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président

Secrétaires : MM. Guy-Dominique Kennel et Joël Guerriau

1. Questions d'actualité au Gouvernement

De 16 h 30 à 20 h 30

Présidence : M. David Assouline, vice-président

2. Proposition de loi visant à adapter la fiscalité de la succession et de la donation aux enjeux démographiques, sociétaux et économiques du XXIe siècle (texte de la commission, n°62, 2019-2020)

3. Proposition de loi tendant à renforcer l'effectivité du droit au changement d'assurance emprunteur (texte de la commission, n°59, 2019-2020)

À 22 heures

Présidence : M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

4. Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du Patrimoine (texte de la commission, n°76, 2019-2020) (demande de la commission de la culture)

5. Proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l'art (texte de la commission, n°69, 2019-2020) (demande de la commission des lois)

Analyse des scrutins publics

Scrutin n°14 sur l'ensemble du projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique

Résultat du scrutin

Nombre de votants : 340

Suffrages exprimés : 340

Pour : 338

Contre : 2

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (144)

Pour : 143

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat, qui présidait la séance

Groupe SOCR (72)

Pour : 71

N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Nelly Tocqueville

Groupe UC (51)

Pour : 51

Groupe RDSE (23)

Pour : 23

Groupe LaREM (23)

Pour : 18

N'ont pas pris part au vote : 5 - Mme Agnès Constant, MM. Michel Dennemont, Abdallah Hassani, Thani Mohamed Soilihi, Dominique Théophile

Groupe CRCE (16)

Pour : 14

Contre : 2 - M. Pierre-Yves Collombat, Mme Marie-Noëlle Lienemann

Groupe Les Indépendants (13)

Pour : 13

Sénateurs non inscrits (6)

Pour : 5

N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Claudine Kauffmann