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Table des matières



Conventions internationales (Procédure simplifiée)

Conventions France-Burkina Faso

Discussion générale

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

M. Olivier Cigolotti, rapporteur de la commission des affaires étrangères

M. Rachid Temal

M. Jean-Claude Requier

M. Richard Yung

Mme Christine Prunaud

M. Robert Laufoaulu

M. André Reichardt

M. Olivier Cadic

M. Philippe Mouiller

Discussion des articles

Accord fiscal France-Botswana

Discussion générale

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission des finances

M. Jean-Claude Requier

M. Georges Patient

M. Éric Bocquet

M. Robert Laufoaulu

M. Antoine Lefèvre

M. Thierry Carcenac

M. Olivier Cigolotti

Discussion de l'article unique

Économie circulaire (Conclusions de la CMP)

Discussion générale

Mme Marta de Cidrac, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire

M. Frédéric Marchand

Mme Éliane Assassi

Mme Colette Mélot

Mme Anne-Catherine Loisier

M. Joël Bigot

M. Éric Gold

M. Didier Mandelli

M. Claude Kern

M. Cyril Pellevat

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Annexes

Ordre du jour du mardi 4 février 2020




SÉANCE

du jeudi 30 janvier 2020

54e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de Mme Hélène Conway-Mouret, vice-présidente

Secrétaires : Mme Catherine Deroche, Mme Patricia Schillinger.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Conventions internationales (Procédure simplifiée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l'approbation de conventions internationales.

Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d'examen simplifié.

Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale démocratique d'Éthiopie relatif aux services aériens, de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica relatif aux services aériens et de l'accord relatif aux services aériens entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mozambique. La commission des affaires étrangères est favorable à l'adoption de ce texte.

Le projet de loi est adopté définitivement.

Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Tchad relatif aux services aériens et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Angola relatif aux services aériens. La commission des affaires étrangères est favorable à l'adoption de ce texte.

Le projet de loi est adopté définitivement.

Conventions France-Burkina Faso

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale et de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso.

Discussion générale

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - « La liberté a souvent, hélas, le goût du sang versé ». C'est ainsi que, le 2 décembre dernier, le Président de la République ouvrait l'éloge funèbre des treize soldats français morts dans l'opération Barkhane.

Le Burkina Faso participe pleinement des fragilités, crises et défis qui affectent le Sahel. Le sacrifice de ces héros montre combien la France prend sa part de la lutte contre le terrorisme dans cette région et a donné l'occasion à nos concitoyens de témoigner leur attachement à ce combat.

Le Président de la République l'a confirmé lors de son déplacement en Côte d'Ivoire auprès des forces françaises qui assurent l'acheminement de la logistique sur la « voie sacrée » qui mène de Port-Bouët jusqu'à Gao.

Le 18 décembre dernier à Pau, le Président de la République a annoncé devant le G5 Sahel l'envoi de renforts et de moyens logistiques et de renseignements pour continuer ce combat. Nous espérons que nos alliés en profiteront pour renforcer la présence de l'État et pour consolider leurs forces de sécurité. Cet objectif politique de retour de l'État dans ces régions est aussi important que l'effort militaire.

C'est pourquoi la coopération judiciaire en matière pénale et d'extradition entre la France et ses partenaires sahéliens est un objectif majeur.

L'accord de coopération actuel avec le Burkina Faso date de 1961. Depuis 2014, la France a adressé vingt demandes d'extradition, essentiellement pour des affaires de terrorisme et d'atteintes aux personnes. J'ai à ce propos une pensée particulière pour Thierry Gouy, mort dans la nuit du 13 au 14 août lors d'une attaque à Ouagadougou.

Un groupe de travail interministériel sur l'entraide pénale travaille avec les États du Sahel. Des négociations sont également menées avec le Niger et le Mali. Les deux conventions que ratifie ce projet de loi modernisent un cadre de coopération devenu obsolète.

Depuis 2014, le Burkina Faso a émis quatre demandes d'entraide et deux demandes d'extradition à la France ; mais ce faible nombre ne doit pas occulter l'importance des affaires concernées.

Ces deux conventions permettent une coopération large, grâce au recours aux techniques spéciales d'enquêtes - auditions par vidéoconférence, demandes d'informations en matière bancaire, saisies et confiscations d'avoirs criminels, livraisons surveillées, infiltrations et interceptions de télécommunications.

Nous clarifions les modalités de communication et de transmission des demandes, notamment dans les cas les plus urgents et instituons des mécanismes de consultations à différentes étapes. La lutte contre l'impunité sera renforcée pour les extraditions. Nous précisons les modalités de l'arrestation provisoire des personnes recherchées pour éviter leur fuite et celles de la communication entre les autorités compétentes des deux États. Ces mécanismes sont inspirés de ceux du Conseil de l'Europe et des textes internationaux.

Notons toutefois plusieurs motifs de refus : infraction politique ou de nature exclusivement militaire, ou encore lorsque nous avons des raisons sérieuses de croire que l'extradition a été demandée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques. Cette convention applique le principe non bis in idem. La France n'extradera pas une personne passible de la peine capitale, sauf garanties suffisantes. Notons à ce propos que le nouveau code pénal burkinabé a aboli la peine capitale depuis le 31 mai 2018, mais qu'elle demeure prévue par des lois spéciales en matière militaire.

Les deux conventions prévoient la protection des données à caractère personnel. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

M. Olivier Cigolotti, rapporteur de la commission des affaires étrangères .  - Je remercie André Reichardt et Philippe Mouiller qui ont souhaité cet examen en séance, pour évoquer la situation dramatique du Burkina Faso.

Ces conventions actualisent notre coopération judiciaire. Le cadre de 1961, obsolète, doit s'adapter aux changements et aux enjeux actuels. Les autorités françaises sont confrontées à une certaine lenteur d'action des autorités burkinabé, ce qui a pour effet de les vider de leur substance.

La France a négocié avec les pays sahéliens ; une convention avec le Mali devrait être signée rapidement. Ces conventions sont nécessaires en cas d'attentats ou d'enlèvements.

Tout le monde a en mémoire la double attaque du 2 mars 2018 contre l'ambassade de France et l'Institut français à Ouagadougou, ou la libération des deux otages français le 9 mai 2019 qui a coûté la vie à deux militaires du commando Hubert.

Il y a eu 750 morts depuis 2015 et plus d'un demi-million de déplacés au Burkina Faso. L'ensemble du territoire burkinabé est déconseillé aux voyageurs par le Quai d'Orsay. Les zones frontalières avec le Mali, le Niger et le Togo sont particulièrement dangereuses. Quelque 3 600 Français vivent au Burkina Faso et 10 000 s'y rendent chaque année alors que le ressentiment contre la France ne cesse de s'accroître.

En novembre dernier, une embuscade contre un convoi d'une société minière canadienne a fait 40 morts et une soixantaine de blessés. À cela s'ajoutent des trafics de stupéfiants et d'êtres humains. Terrorisme et grande criminalité sont liés, le deuxième finançant le premier.

Ces conventions visent à lutter contre le terrorisme, en renforçant la coopération bilatérale. Le renouvellement du cadre conventionnel permettra de fluidifier les échanges entre les parties, garantissant ainsi une meilleure exécution des enquêtes contre les infractions terroristes.

La nouvelle convention organise les modalités de communication entre ses parties et définit les délais d'exécution des demandes. Elle prévoit des techniques spéciales d'enquêtes comme les opérations d'infiltration, les interceptions de télécommunications ou encore les livraisons surveillées qui consistent à laisser passer certains convois de drogues pour permettre l'arrestation des commanditaires ou des destinataires du trafic.

Le texte offre de larges possibilités en matière de gel des avoirs et de confiscation. Les magistrats burkinabé ont été formés dans le cadre des programmes de coopération. L'appui au retour de l'État sur le territoire est l'un des quatre piliers identifié au sommet de Pau.

Cette convention répond aux exigences internationales - refus possible d'extradition en cas de peine de mort, ou pour les affaires mettant en cause les opinions politiques, religieuses ou la nationalité. Le volume d'extradition est très faible : six dossiers ont été ouverts, sans aucune remise des personnes pour le moment.

L'une de ces demandes mérite d'être signalée : elle concerne l'extradition de François Compaoré, frère de Blaise Compaoré, président du Burkina Faso de 1987 à 2014. François Compaoré a été arrêté le 29 octobre 2017 à l'aéroport de Roissy sur le fondement d'un mandat d'arrêt émis par un juge d'instruction investiguant sur les assassinats, en 1998, de Norbert Zongo, journaliste d'investigation, et de ses trois compagnons de voyage. Aux termes de la demande d'extradition, François Compaoré encourait la peine de mort du chef criminel d'incitation à assassinats. En juin dernier, la Cour de cassation a écarté la question prioritaire de constitutionnalité posée par l'intéressé et a rejeté le pourvoi qu'il avait formé contre l'avis favorable de la chambre de l'instruction. À la lumière de ces arrêts, un décret du Premier ministre accordant l'extradition est en cours de rédaction.

L'ambassadeur du Burkina Faso m'a indiqué que cette décision d'extradition était très attendue par la population burkinabé et qu'elle apaisera les ressentiments qui s'expriment actuellement à l'encontre de notre pays, comme a pu le faire la décision du Président de la République de déclassifier des archives sur l'assassinat de Thomas Sankara. L'un des défis qui se posent aujourd'hui au gouvernement burkinabé est d'ordre mémoriel et cette décision est heureuse à cet égard. Les conventions examinées aujourd'hui seront sans incidence sur la procédure d'extradition de François Compaoré puisque la partie burkinabé a adressé sa demande avant leur entrée en vigueur.

Ces nouvelles conventions répondent au souhait émis par les autorités françaises d'une coopération plus efficace avec les pays du Sahel dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée et n'impliquent aucune adaptation de nos dispositions législatives ou réglementaires.

Je préconise donc l'adoption de ce projet de loi, comme la commission à l'unanimité. (Applaudissements sur toutes les travées)

M. Rachid Temal .  - Ces conventions remplacent celles de 1961, en les améliorant. À l'époque, c'était la Haute-Volta ; depuis, les relations diplomatiques et le cadre juridique ont évolué.

Les conventions sont conformes aux standards habituels. Pour le groupe de travail du G5 Sahel, la renégociation de ces conventions était nécessaire pour adapter les dispositifs à la lutte contre le terrorisme.

Au Burkina Faso, la criminalité est liée au terrorisme car elle le finance. Il faut lutter contre ce mécanisme. Le pays est dans un état d'extrême urgence. Le terrorisme sévit au nord du pays ; 36 civils en ont été victimes lors d'un récent attentat sur un marché.

La France a engagé ses troupes dans l'opération Barkhane. Je salue l'engagement de nos troupes et le sacrifice des soldats tombés dans la lutte contre l'idéologie islamiste. Merci de nous donner l'occasion d'un débat sur l'opération Barkhane. Il faut réadapter notre dispositif à la situation locale au Sahel.

Nous nous inscrivons dans la politique des « 3D » : diplomatie, défense, développement. Je regrette à ce propos la baisse des engagements de l'AFD dans ce pays.

Je salue l'accord de 2018 pour la transmission d'archives sur la mort du président Thomas Sankara en 1987 et l'extradition de François Compaoré, mis en cause pour l'assassinat du journaliste Norbert Zongo - qui revêt une symbolique particulière et pousse des milliers de Burkinabé à demander justice chaque 13 décembre.

Un nouveau code pénal a été promulgué le 21 juin 2018, abrogeant la peine de mort - même s'il n'y avait pas eu d'exécution depuis 1988.

Ces conventions excluent l'extradition pour des délits d'opinion ou des poursuites liées à la religion ou à la nationalité.

Les conventions renforceront l'amitié entre nos peuples, l'État de droit et la lutte contre le terrorisme.

M. Jean-Claude Requier .  - La situation sécuritaire et humanitaire est préoccupante au Burkina Faso et au Sahel, où depuis quelques mois, les attentats djihadistes se multiplient. Lundi dernier, 39 personnes ont ainsi été tuées sur un marché, s'ajoutant aux 600 victimes depuis quatre ans - sans parler du demi-million de personnes déplacées.

Inquiétons-nous de l'extension des trois groupes terroristes - deux liés à Al-Qaïda au nord, un lié à l'État islamique (EI) à l'est depuis 2018.

En octobre, les forces de l'opération Barkhane ont évité que la ville de Djibo ne tombe aux mains des djihadistes, ce qui n'est pas sans rappeler l'intervention aux côtés des Tchadiens contre une incursion d'une cinquantaine de pick-up venus de Libye.

Grâce à l'engagement des soldats français - parfois jusqu'au sacrifice de leur vie - nous obtenons des succès militaires ; mais l'insurrection djihadiste ne recule pas. Les groupes s'adaptent et détectent les fragilités pour cibler leurs actions, notamment dans la zone des trois frontières.

Le G5 Sahel doit intensifier ses efforts. Je ne suis pas partisan du désengagement de la France, car nous sommes en première ligne. Les acteurs régionaux doivent se ressaisir. La fragilité institutionnelle de ces pays ne facilite pas les choses.

Un sentiment anti-français se répand au Mali et au Burkina Faso. La réforme du franc CFA annoncée par le Président de la République devrait contribuer à l'atténuer. (M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État, approuve.) L'ouverture des archives concernant l'assassinat de l'ancien président charismatique Thomas Sankara va également dans le sens d'une amélioration de l'image de la France.

Quant au renouvellement des conventions, il permettra de fluidifier la communication entre les parties et annoncer une meilleure exécution des décisions.

Les institutions judiciaires burkinabé faciliteront la mise en oeuvre de la réforme pénale. Si la peine capitale a été abrogée dans le dernier code pénal burkinabé, elle est encore en vigueur pour des cas régis par des lois spéciales.

Sous ces réserves, le groupe RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)

M. Richard Yung .  - Ces deux conventions promeuvent une coopération judiciaire bilatérale plus efficace dans la lutte contre le terrorisme. Le Burkina Faso est régulièrement visé par des attaques terroristes : contre l'ambassade de France en mai 2018 ou plus récemment sur un marché, au moment même où une loi autorisant la constitution de milices d'autodéfense contre le terrorisme était discutée au Parlement. La communauté française du pays vit enfermée à Ouagadougou.

Une politique d'entraide forte entre nos deux pays palliera les failles du dispositif actuel contre le terrorisme.

Le Burkina Faso est un lieu de passage pour tous les trafics - drogue, cigarettes, êtres humains... - qui remontent de la Guinée vers ce grand supermarché qu'est devenu le Sahara.

La convention précise notamment que le secret bancaire ne peut pas être invoqué.

La France soutient les efforts de démocratisation du pays depuis l'élection en 2015 du président Kaboré. C'est le premier partenaire bilatéral du Burkina Faso avec 100 millions d'euros d'aide - ce qui est insuffisant mais indispensable.

Le pays vit une crise humanitaire sans précédent, avec un accès à l'eau et à l'assainissement limité et 300 000 enfants souffrant de malnutrition et privés d'éducation.

La crise sécuritaire est renforcée par la faiblesse de l'armée burkinabé - malgré les formations que nous assurons depuis soixante ans. L'état d'urgence est permanent dans quatorze provinces. Le terrorisme s'étend de plus en plus au nord-est du pays et aux frontières avec le Niger et le Mali. Cinq ou six groupes terroristes y sévissent avec des allégeances politiques et religieuses différentes.

En décembre dernier, l'Union européenne a annoncé un renfort de moyens. Les deux conventions s'inscrivent dans ce processus de lutte contre le terrorisme. La convention d'extradition est conforme aux droits français et européen.

Nous soutenons la ratification de ces deux textes. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC)

Mme Christine Prunaud .  - Les deux conventions que nous examinons semblent aller dans le bon sens. Elles garantissent l'aide apportée par la France au Burkina Faso. Veillons à ne pas faire du copier-coller de notre administration dans cet effort de démocratie.

Nous suivons de près le dossier de François Compaoré. La Côte d'Ivoire s'était montrée réticente à l'extrader, d'autant qu'il a acquis la nationalité de ce pays. La France pourrait être un bon intermédiaire pour obtenir qu'il soit jugé au Burkina Faso.

Conformément à la promesse du Président de la République à Ouagadougou en novembre 2017, les archives françaises relatives à la mort de Thomas Sankara ont été déclassifiées : c'est une avancée majeure.

Ces deux conventions aideront le Burkina Faso. Le groupe CRCE votera donc la ratification de ce texte, malgré les réserves qu'il entretient sur la politique générale de la France au Sahel.

L'audition récente du général Castres - général en retraite, je le précise - a été éclairante sur la gestion des crises au Sahel. En reprochant à des forces étrangères de manipuler l'opinion burkinabé, Emmanuel Macron a minimisé le rôle des armées nationales dans cette zone.

Tous ces pays ne misent pas forcément sur une armée forte, certains voulant au contraire qu'elle ait le moins d'influence possible. Il faut dire aussi que leurs moyens matériels sont bien inférieurs aux nôtres.

De nombreux groupes terroristes se renforcent. Les soldats français se retrouvent en difficulté et le ressentiment contre la France s'accroît.

Comment justifier l'envoi de deux cents soldats français supplémentaires dans la zone ? Qu'est-ce que cela va changer ? Soulevons plutôt la question des perspectives : comment aboutir à la paix ? La solution ne peut être que politique ; il faudra bien s'y atteler un jour. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Olivier Cigolotti, rapporteur, applaudit également.)

M. Robert Laufoaulu .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) « Les bons sentiments ne suffisent pas à notre protection. La guerre n'est pas un phénomène hors-sol, réservé aux autres : elle vient frapper tous ceux qui refusent de la regarder en face. La sécurité n'existe que pour qui s'en donne les moyens. » C'est ainsi que le général Vincent Desportes caractérisait la position de la France après les attentats de 2015. La menace djihadiste est née et a prospéré dans des territoires où l'État est affaibli, où le règne de la loi n'a plus cours et où les populations sont délaissées.

La géographie du Sahel a toujours été propice au développement des trafics, auxquels s'ajoutent désormais les attaques terroristes. La France est l'une des principales forces à l'oeuvre dans la lutte contre le djihadisme. Quelque 4 500 soldats français sont engagés dans des conditions très difficiles. Le groupe Les Indépendants tient à rendre hommage à leur courage.

Les guerres asymétriques nous rappellent que gagner la guerre, c'est avant tout bâtir la paix. Pour mettre fin à un conflit armé, on ne peut pas faire l'économie d'une réponse politique.

La France a développé la stratégie « 3D » où le militaire ne représente qu'un seul volet, conjugué à la politique et à l'aide au développement.

Le Burkina Faso connaît une dégradation de ses conditions sécuritaires et une aggravation de la crise humanitaire. Si rien n'est fait, les pays voisins, Mali et Côte d'Ivoire, seront menacés et les effets se feront sentir jusqu'en Europe.

Les deux conventions envoient un double message. L'un aux criminels, qui seront plus efficacement poursuivis, l'autre aux populations, qui verront l'autorité de l'État renforcée. La France et le Burkina Faso travaillent main dans la main pour mettre fin aux infractions ; l'État doit retrouver sa place dans toutes les régions.

Le groupe Les Indépendants votera la ratification de ces textes et restera attentif à la situation au Sahel. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE ; MM. Olivier Cigolotti, rapporteur, et Olivier Cadic applaudissent également.)

M. André Reichardt .  - Je me réjouis du retour à la procédure d'examen normale, à la demande de mon groupe Les Républicains sur ces conventions. La situation dramatique du Burkina Faso l'imposait.

Le Burkina Faso est au bord du gouffre, alors que c'est l'une des clefs de la stabilité de l'Afrique de l'Ouest. S'il venait à tomber, toute la côte guinéenne serait menacée. Les conséquences atteindraient aussi l'Europe. Nous tenons compte de cette dimension régionale dans les travaux du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest que j'ai l'honneur de présider.

La priorité numéro un est la lutte contre l'État islamique au Grand Sahara. Au Levant, les cendres de Daech sont brûlantes. L'Irak et la Syrie sont des poudrières. Il faut éviter de renouveler les mêmes erreurs en Afrique.

En 2015, je présidais la mission d'information contre le djihadisme. Quatre ans après, je suis à nouveau membre de celle contre la radicalisation. Sans action de long terme là-bas, notre action ici sera inefficace. Une bonne gouvernance, c'est la force de la loi et la garantie de son application. Empêcher la diffusion de l'idéologie djihadiste passe aussi par le renforcement des moyens judiciaires ici et là-bas.

La France ne peut agir seule, mais a besoin de coopérer avec tous les pays de la zone, y compris l'Algérie et le Maroc. Or en dépit de la présence d'un magistrat de liaison à Dakar, les demandes d'extradition ou d'entraides prennent parfois des années avant d'avoir une réponse, ce qui est dommageable pour tous. La promulgation d'un nouveau code pénal en 2018 et la réforme de la procédure judiciaire sont les signes positifs du développement d'un État de droit.

Les montants liés au trafic de drogue atteignent des milliards de dollars. Il faut pouvoir lutter contre les filières et cette convention y participera.

Sans surprise, le groupe Les Républicains votera la ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti, rapporteur, applaudit également.)

M. Olivier Cadic .  - Les conventions que nous ratifions aujourd'hui s'inscrivent dans la stratégie globale de notre pays au Sahel. Nous y sommes engagés depuis sept ans pour lutter contre le terrorisme, avec les opérations Serval puis Barkhane.

Mais le terrorisme impose d'aller au-delà de la seule action militaire. Les menaces sont quotidiennes. Tout peut arriver à tout instant. Merci, monsieur le ministre, d'avoir cité nos compatriotes disparus à Ouagadougou. Que l'on me permette de saluer le courage de Martine Voron, conseillère consulaire à Ouagadougou, dont le bureau était à 60 mètres des tirs. Ayant tenté en vain de contacter l'ambassade et le consulat général - qui étaient également attaqués - elle a fini par joindre l'ambassadeur, bloqué à l'aéroport, qui lui a délégué ses pouvoirs pour avertir la communauté française. Elle a ainsi envoyé, seule, le plus de courriels possible avant de subir des tirs d'artillerie. Un militaire burkinabé entre dans son bureau, tire, avant de se rendre compte de son erreur et de l'évacuer. Elle a été décorée de la Légion d'honneur.

Au Burkina Faso, de nombreux réseaux de criminalité s'organisent autour de trafics. L'orpaillage illégal - dans un pays où l'or constituait 71 % des exportations, le trafic de cocaïne ou de pierres précieuses comme les diamants sont importants. La rénovation du cadre juridique est nécessaire pour lutter contre ces infractions.

La question du délai d'examen des demandes est cruciale : malgré la présence d'un magistrat de liaison régional, basé à Dakar, ce délai, supérieur à un an, peut parfois atteindre plusieurs années. Pour y remédier, un groupe de travail a été mis en place par le ministère français de la Justice.

Ces conventions ont pour principal objectif de favoriser une meilleure exécution des demandes françaises aux autorités burkinabé, dans des délais plus rapides. Elles sont conformes aux engagements européens et internationaux de la France, ce que nous saluons. Nous soutiendrons leur ratification. (Applaudissements sur les travées des groupeUC et RDSE)

M. Philippe Mouiller .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Président délégué du groupe d'amitié France-Burkina Faso, je juge ces accords essentiels. Cette coopération renouvelée s'inscrit prioritairement dans la lutte contre le terrorisme, aux ressorts multiples. Elle accélère les extraditions. Dans un contexte sécuritaire fortement dégradé, l'ONU considère désormais le Burkina Faso comme l'épicentre de la crise. Ces conventions réaffirment l'État de droit et ses valeurs en matière de justice.

Il y a cinq ans, le régime de Blaise Compaoré est tombé car le peuple a refusé la modification de la Constitution. C'est un triple message aux populations ; aux terroristes qui doivent savoir que l'État burkinabé, soutenu par la France, mettra en oeuvre les conditions juridiques afin qu'ils répondent de leurs actes là-bas et en Europe si nécessaire ; aux États voisins, qui malgré l'inquiétude, constatent que la France et la communauté européenne sont toujours sur place.

Angel Losada, représentant spécial de l'Union européenne au Sahel, l'a très bien résumé : « le vide de l'État, c'est l'oxygène du terrorisme ». Il faut élaborer des projets adaptés aux populations, adopter une vision régionale et décloisonnée des crises. Mettons en place, entre Africains et Européens, une coopération plurisectorielle.

J'espère que la France oeuvrera en ce sens dans sa future loi d'orientation et de programmation de développement et de solidarité internationale, que le Parlement attend patiemment. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté.

L'article 2 est adopté.

L'ensemble du projet de loi est adopté.

Mme la présidente.  - À l'unanimité.

Accord fiscal France-Botswana

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 15 avril 1999 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Botswana en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.

Discussion générale

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Allons plus au sud, vers l'Afrique australe : le Botswana, indépendant depuis 1966, n'a jamais connu de conflits ; fier de sa stabilité pacifique, il est devenu un modèle de démocratie parlementaire comme en témoignent les élections générales d'octobre 2019.

Le président Mokgweetsi Masisi, qui dispose désormais d'une majorité parlementaire confortable, souhaite ouvrir encore davantage son pays aux investissements étrangers, afin de diversifier l'économie nationale et de rendre plus attractif le climat des affaires.

Le PIB dépasse, en 2017, 17 milliards de dollars, soit plus de 8 000 dollars par habitant, grâce aux richesses minières et à une population réduite de 2,2 millions d'habitants. Son taux de croissance atteint 4,8 % entre 2010 et 2018. Pays intermédiaire, il vise la catégorie de pays développé d'ici à 2036.

Des fragilités existent, dont la dépendance aux pays voisins. L'économie est centrée sur la rente diamantifère qui représente 40 % du PIB et 89 % des revenus des exportations.

Le président souhaite donc diversifier son économie vers le savoir, en développant des initiatives pour l'économie, l'enseignement et la biodiversité. La mise en oeuvre du Plan de développement national et du plan Vision 2036, ainsi que les listes fiscales qui influent sur l'environnement des affaires devront être suivies particulièrement.

Dans ce contexte, le 27 juillet 2017, la France et le Botswana ont signé un avenant à leur convention en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude en matière d'impôt sur le revenu, afin d'y introduire une nouvelle clause d'assistance administrative en matière d'échange d'informations.

Cette convention intègre les dernières dispositions de l'OCDE.

En 2010, le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements de l'OCDE estimait que le Botswana n'était pas encore entièrement prêt à mettre en place une procédure d'assistance administrative renforcée et alignée sur les derniers standards internationaux en la matière.

Ce fut le cas, après une deuxième évaluation, en 2017, d'où la signature de l'avenant, qui modifie l'article 26 de notre convention fiscale, en étendant le champ de la coopération administrative entre nos autorités fiscales respectives.

Au-delà des seuls impôts sur le revenu, le champ est élargi à toutes les impositions recouvrées par la France et le Botswana et permettra, sous certaines conditions, la lutte contre le blanchiment, la corruption et le financement du terrorisme.

La France disposera ainsi d'un outil conventionnel efficace pour échanger des informations avec le Botswana.

Reconnaissons les progrès réalisés par le Botswana en matière de transparence, qui justifient son retrait de la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) par arrêté du 6 janvier 2020. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)

M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La ratification de cet avenant du 27 juillet 2017 doit être autorisée par le Parlement. Le Gouvernement ne saurait se lier à des conventions internationales comportant des droits et des obligations pour nos concitoyens et nos administrations sans que la Représentation nationale n'en approuve les principes et les dispositions. Contrairement à d'autres conventions internationales, les conventions fiscales sont rarement examinées en procédure simplifiée, à la demande du groupe CRCE. Certes, nous devons soit les adopter, soit les rejeter. Nous n'en avons pas moins le devoir d'exercer la vigilance du Parlement sur leurs conséquences.

La convention originelle, datant de 1999, n'était plus « à jour ». Les normes internationales de transparence fiscale et d'assistance administrative ont largement évolué. Le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, qui rassemble plus de 150 pays, définit ces normes et en évalue le respect par les États parties.

L'OCDE fournit des modèles qui ont servi pour cet avenant qui étend l'échange d'informations à tout renseignement jugé « pertinent », et non plus seulement « utile », et à toutes les impositions.

Ainsi modifié, l'article 26 définit également plus clairement les conditions dans lesquelles les renseignements transmis peuvent être utilisés à des fins autres que fiscales, par exemple dans le cadre d'une procédure contentieuse. Enfin, il devient explicitement interdit à un État de se prévaloir du seul secret bancaire ou professionnel pour refuser de transmettre certaines informations.

Les dispositions de l'avenant s'appliquent toutefois depuis le 1er janvier 2018 en France et depuis le 1er juillet 2018 au Botswana. Cette portée rétroactive permet d'éviter que les opérations antérieures à la ratification de l'avenant n'échappent aux administrations fiscales des deux pays.

Je regrette cependant de n'avoir aucune précision sur l'incidence financière de la convention. Une soixantaine de Français et une vingtaine d'entreprises seraient concernés seulement. Cet avenant est donc principalement une mesure technique, qui a conduit au retrait du Botswana de la liste française des États et territoires non coopératifs, où il figurait depuis 2012 et où treize États demeurent. Je regrette que le Parlement soit peu informé des critères de constitution de cette liste.

La qualification d'ETNC entraîne l'application de sanctions fiscales, par exemple des retenues à la source alourdies sur les flux financiers, des obligations déclaratives plus contraignantes ou encore l'exclusion de l'application du régime mère-fille.

Le Botswana n'est pas considéré comme un paradis fiscal comme peuvent l'être le Panama ou les Bahamas. Il n'est inscrit sur aucune autre liste noire.

Je tiens à souligner les progrès réalisés par le Botswana ces dernières années. Un premier projet d'avenant à la convention avait été proposé en 2010, avant que la France ne suspende les négociations du fait de la mauvaise notation du Botswana par le Forum mondial.

Le secret bancaire était, en outre, utilisé comme prétexte pour refuser de fournir certaines informations et les dispositifs d'échange d'informations n'étaient pas en place.

La notation du Botswana s'est dégradée, en raison du durcissement des critères et de la réticence des autorités botswanaises à transmettre des informations. Si la situation perdure, le Botswana risquerait une réinscription sur la liste des ETNC.

Il existe un risque de discordance entre les listes française et européenne : si le Conseil de l'Union européenne venait à estimer que le Botswana avait failli à ses engagements, le pays s'exposerait à une inscription sur la liste noire. La France devrait alors le réinscrire sur sa propre liste des ETNC. En effet, depuis la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, la liste française intègre la liste européenne des juridictions non coopératives.

La signature de cet avenant est permise grâce aux efforts du Botswana.

Le 30 octobre, le Botswana a demandé à l'OCDE de bénéficier d'une assistance administrative. Le parcours sera long. Et cela ne garantit pas son immunité. Les cas du Panama et Anguilla l'ont montré.

Le Botswana n'a pas encore fixé de date pour la mise en oeuvre d'échanges d'informations, mais a montré sa bonne volonté. D'où la proposition de la commission des finances d'adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Antoine Lefèvre.  - Très bien !

M. Jean-Claude Requier .  - Évoquer l'évasion et le Botswana, c'est davantage s'échapper en pensée vers la beauté des paysages d'un pays où la nature est préservée, à l'image de la réserve du Kalahari, riche de guépards, hyènes ou girafes, qu'examiner une convention fiscale... (Sourires)

La France et le Botswana entretiennent des relations cordiales mais limitées. Peu endetté, ce pays, le plus riche d'Afrique australe, est l'un des moins corrompus du continent ; de taille équivalente à la France, doté d'un indice de fécondité de 2,3 enfants par femme, il jouit de ressources naturelles considérables, tant il est riche de nickel, cuivre, diamants mais aussi d'énergies fossiles.

Il est néanmoins enclavé et dépendant du secteur extractif, malgré les efforts de développement du tourisme et de l'agriculture. Sa population réduite, de quelque 2,2 millions, souffre hélas de l'une des prévalences au VIH les plus élevées du monde.

La France entretient des relations actives avec le Botswana pour ce qui est du domaine culturel et de l'enseignement du français. Les relations commerciales sont limitées à quelques millions d'euros par an et passent principalement par l'Afrique du Sud.

En 2017, le Botswana était le 185e client et le 163e fournisseur de la France. Il était tout de même le 8e pour les équipements militaires, non comptabilisés dans les statistiques du commerce extérieur.

La convention fiscale bilatérale de 1999 n'a pas posé de problème particulier. Mais depuis sa révision par le Forum mondial de la transparence en 2010, le Botswana n'était plus en conformité avec les standards internationaux d'échanges de renseignements, d'où son inscription sur la liste ETNC de la France et la « liste grise » du Conseil de l'Europe.

Cet avenant reprend en grande partie les modèles de 2012 de l'OCDE. Cela fera sortir le Botswana de la liste française ETNC.

L'article premier élargit à tous les impôts le champ d'échange d'informations. Les renseignements recueillis sont secrets. Cela répond aux exigences de transparence fiscale formulées depuis la crise de 2008. Mais veillons à la confidentialité. Selon l'article 2, l'application de ces dispositions est rétroactive au 1er janvier 2018 pour la France, au 1er juillet 2018 pour le Botswana.

Cet avenant permettra au Botswana d'atteindre les derniers standards fiscaux internationaux. Comme cinq autres États, le Botswana a été retiré de la liste ETNC par arrêté ministériel le 6 janvier dernier.

Les membres du groupe RDSE approuvent ce projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Georges Patient .  - La législation fiscale est une question nationale alors que les échanges économiques raccourcissent les distances ; c'est paradoxal ! D'où la signature de conventions fiscales. Il en existe 125 entre la France et les pays tiers, plus de 2 500 dans le monde. La plupart sont établies sur les modèles de l'OCDE.

Le 15 avril 1999, la France et le Botswana ont signé une convention fiscale entrée en vigueur le 1er juin 2003, concernant les revenus perçus à compter de 2004. Elle finalise l'assistance administrative permettant l'échange de renseignements nécessaires à l'application de la législation fiscale, pour les résidents des deux pays.

Mais l'article 26 est en décalage avec les modèles les plus récents de l'OCDE. Le Botswana était inscrit sur la liste des ETNC. Or, depuis 2018, un nouveau modèle de convention multilatérale issu des travaux de l'OCDE de 2015 s'applique par le biais de l'instrument multilatéral qui a modifié la quasi-totalité des conventions fiscales existantes, afin de prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. En conséquence, Paris et Gaborone ont signé un avenant à la convention fiscale en 2017. L'ensemble des prélèvements recouvrés par nos deux pays est pris en compte dans l'échange des renseignements. Le Botswana a ainsi pu quitter la liste des ETNC.

Nous devons nous réjouir des avancées du Botswana qui a modifié son réseau de conventions fiscales avec l'Union européenne et a adhéré au cadre BEPS (Base erosion and profit shifting) de l'OCDE. Cependant, ce pays figure toujours dans la liste grise de l'Union européenne.

Nous avons déjà salué les progrès, certes insuffisants, en matière de coopération internationale et les avancées vers un cadre commun. Le groupe LaREM votera ce texte.

M. Éric Bocquet .  - Pourquoi débattre de cette convention fiscale alors que les échanges entre nos deux pays sont très modestes - le Botswana est le 185e client de la France - et que le Botswana ne représente que 0,1 % des échanges mondiaux des services financiers offshore ?

Cependant, le sujet nous concerne : il ne doit pas échapper aux élus de la Nation, dans la mesure où il touche à la perception des moyens financiers des États pour financer les services publics, la justice sociale et notre modèle de société.

Le Botswana a été retiré de la liste des paradis fiscaux le 6 janvier dernier, avant même l'accord de notre Parlement, sur la base d'un engagement du pays de créer les conditions d'une meilleure transparence. Mais quid de sa mise en oeuvre ? J'hésite entre saint Thomas qui ne croit que ce qu'il voit et Friedrich Engels selon lequel « la preuve du pudding, c'est qu'on le mange ! » (Sourires)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État.  - Je suis plutôt pour saint Thomas !

M. Jérôme Bascher.  - Cela se discute ! (Nouveaux sourires)

M. Éric Bocquet.  - Ces éléments de fond nous font douter de l'utilité des conventions fiscales. L'OCDE ne rassemble que quarante États, le G20 et le G8 seulement les plus riches, alors qu'il y a plus de deux cents États dans le monde. Nous portons l'idée d'une véritable COP de la fiscalité internationale, sur le modèle de la COP sur le climat tenue à Paris en 2015, idée utopique sans doute...

Cependant, redéfinir les trois mille conventions fiscales prendrait des années de travail. Il nous faut ouvrir le chantier de la coopération fiscale et financière internationale au nom de l'intérêt général. Les recettes fiscales constituent 34 % du PIB des pays de l'OCDE, et seulement 17 % pour les pays en voie de développement. Or, pour assurer leur développement et leur autonomie, ces États ont besoin d'accroître leurs dépenses consacrées aux infrastructures, aux services de base et aux transferts sociaux. Il leur faut donc accroître leurs recettes fiscales.

La région du Botswana est sans doute l'une des plus soumises à l'évasion fiscale. La Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement a montré que les Gouvernements n'ont touché que 17 % de la rente issue des activités extractives entre 2004 et 2012.

Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste votera contre la ratification de ce texte.

M. Robert Laufoaulu .  - La fiscalité est un puissant levier de l'action diplomatique française. Les dispositions fiscales que porte le Parlement font valoir les intérêts français dans les relations internationales. Il y va de notre capacité à faire entendre notre voix dans les discussions internationales.

L'ambition de ce texte peut paraître modeste. La convention fiscale qui lie nos deux pays concerne peu d'habitants et peu d'entreprises. Cependant, cette convention a une portée symbolique, puisqu'elle donne un satisfecit au Botswana dans sa mise en oeuvre d'une plus grande transparence en matière d'échange d'informations.

Le processus s'inscrit dans le temps long. L'inscription en 2012 sur la liste française des ETNC a sanctionné une dégradation de la situation du Botswana. Depuis, le Botswana nous a donné des garanties, d'où l'avenant à cette convention qui l'exclut de la liste des pays ne répondant pas aux exigences de l'OCDE.

Il ne s'agit nullement d'accorder un blanc-seing à l'administration fiscale du Botswana. Si les efforts ne portent pas dans la durée, le pays risque d'être inscrit sur la liste noire de l'Union européenne.

La participation du Botswana au programme BEPS garantit nos bonnes relations de coopération.

Le groupe Les Indépendants ratifiera cette convention, soucieux de garantir des relations bienveillantes, exigeantes et respectueuses avec nos partenaires, africains notamment. Il y va du rôle et de l'influence de la France sur la scène internationale.

M. Antoine Lefèvre .  - La France a signé de nombreuses conventions bilatérales pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Une convention bilatérale avec l'Union européenne a été signée en 2017 qui ne couvre pas le Botswana. Cet avenant veut y remédier. Il va dans le bon sens en renforçant une relation de confiance. Le Botswana est un petit pays de 2,3 millions d'habitants, entre ces deux grands voisins, le Zimbabwe et l'Afrique du Sud...

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État.  - Mais un grand pays par l'histoire !

M. Antoine Lefèvre.  - ...qui offre des perspectives économiques intéressantes.

J'ai visité ce pays il y a trois ans en tant que président du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique australe. Le Sénat a beaucoup aidé, grâce à feue la réserve parlementaire, la dynamique Alliance française de Gabarone, qui contribue fortement à développer notre lien culturel avec ce pays d'influence anglo-saxonne.

Inflation stable à 3 %, taux de croissance positif, constitution d'une classe moyenne, revenu moyen dépassant celui de l'Afrique du Sud, le pays est un modèle remarquable de l'Afrique subsaharienne. Le Botswana a toujours promu la paix et la stabilité dans la région. La corruption y est limitée, de sorte qu'il a été classé deuxième pays le moins corrompu de la région en 2020. Il a certes rétrogradé de la première place en 2019, en raison de problèmes sous l'ancienne présidence. Ainsi, d'après une étude publiée dans le Journal of Contemporary African Studies « la corruption chez les élites a prospéré sous le régime du Président Khama, qui en a également été l'un des premiers bénéficiaires, par le biais de l'entreprise de ses frères Seleka Springs. »

Le président Masisi, réélu, a renforcé les mesures anticorruption en rendant par exemple obligatoire aux agents de l'État la déclaration de patrimoine.

En 2016, l'OCDE a jugé que les garanties étaient suffisantes pour que le Botswana signe la convention d'assistance mutuelle en matière fiscale.

Le groupe Les Républicains votera la ratification du texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE)

M. Thierry Carcenac .  - Ce texte, classique, découle des travaux de l'OCDE et de la montée en puissance de la démarche BEPS. Le groupe SOCR soutient les initiatives découlant de cette démarche. Il serait difficile de s'opposer à une harmonie des dispositions fiscales entre les deux pays.

Certes, peu de contribuables seront concernés et le retour d'expérience est mince. Mais le projet de loi revêt une importance symbolique, car le Botswana a été retiré de la liste française des ETNC sans consultation du Parlement.

Le Botswana a été placé par la France sur la liste des ETNC en 2012 et dans la liste grise de l'Union européenne en 2017. La lutte contre la fraude fiscale est un objectif politique fort. Cependant, ne soyons pas naïfs : cet avenant changera-t-il quelque chose à la situation ? Le cas du Panama est éclairant.

« Dans le doute, abstiens-toi » ; le groupe socialiste et républicain suivra cet adage...

M. Olivier Cigolotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La convention du 15 avril 1999 prévient les doubles impositions et lutte contre l'évasion fiscale. Des efforts importants de transparence ont été fournis par les pays de l'OCDE et notre convention avec le Botswana n'était plus à la hauteur. D'où cet avenant qui ne remet pas en cause le fond de cette convention mais la rend conforme aux dernières évolutions.

Mon collègue rapporteur Vincent Delahaye a rappelé les progrès importants réalisés par le Botswana, qui a obtenu la deuxième meilleure note de l'OCDE en 2020.

Des interrogations demeurent sur la capacité opérationnelle du Botswana à répondre à nos demandes en matière de renseignement fiscal.

L'avenant a pour conséquence le retrait du Botswana de la liste française des ETNC qui emporte la cassation des sanctions fiscales. Cependant, dans la mesure où elles n'étaient pas appliquées, ce retrait est surtout symbolique.

Un risque de discordance entre les listes française et européenne subsiste puisque le Botswana figure encore sur la liste grise de l'Union européenne et qu'il n'est pas exclu qu'il intègre la liste noire.

Malgré ces réserves, le groupe UC soutient la ratification de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Indépendants)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

L'article unique est adopté.

Le projet de loi est adopté.

La séance est suspendue à midi vingt-cinq.

présidence de M. Philippe Dallier, vice-président

La séance reprend à 14 h 30.

Économie circulaire (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

Discussion générale

Mme Marta de Cidrac, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Déjouant les pronostics, la CMP qui s'est tenue le 8 janvier au Sénat a abouti à un accord unanime sur un texte attendu, que la navette a enrichi et équilibré.

Cet accord montre que les parlementaires sont en phase avec la demande sociétale de changer notre modèle de production et de consommation, et d'en finir avec le tout-jetable, pour aller vers une économie circulaire et lutter contre le gaspillage de nos ressources.

Sans céder au plastic bashing systématique, nous devons agir vite pour en finir avec les emballages à usage unique et les microplastiques qui polluent nos océans.

Cet accord démontre toute la force du bicamérisme. Le Sénat a ouvert la voie sur certains sujets, lancé de sains débats, l'Assemblée nationale a poursuivi notre dynamique et enrichi le texte. Je salue le travail des rapporteurs et des députés.

Le projet de loi initial, de treize articles, n'était pas à la hauteur des enjeux. Le travail parlementaire lui a donné une véritable envergure. Nos deux assemblées ont travaillé avec la même ambition environnementale ; il n'y a eu ni chambre d'enregistrement ni détricotage stérile. Le travail a été transpartisan, et le texte définitif comporte des mesures émanant de chacun des groupes de notre assemblée.

Nous sommes parvenus à un texte plus ambitieux et plus transversal. L'économie circulaire doit irriguer toutes nos politiques publiques. Le projet de loi a vu son champ considérablement élargi à l'initiative du Sénat. Nous avons inséré plusieurs grands volets, sur la lutte contre le suremballage et la surproduction de plastique, sur les dépôts sauvages, sur la prévention et la gestion des déchets, la lutte contre le gaspillage alimentaire ou encore l'exemplarité de la commande publique.

Nous avons instauré un fonds pour la réparation et un fonds pour le réemploi solidaire. Les droits et l'information du consommateur sont renforcés, avec la création d'un indice de durabilité.

Notre texte est plus équilibré, avec une responsabilité élargie des producteurs (REP) sur l'ensemble des produits et matériaux du bâtiment. Un maillage territorial en points de reprise sera obligatoire, et les producteurs devront contribuer à de nouveaux points de collecte.

Nous avons trouvé un équilibre sur le point sensible de la consigne pour recyclage : les collectivités territoriales pourront finir le déploiement des consignes de tri avant de devoir justifier de leur capacité à atteindre les objectifs européens sans mettre en place de consignes. Le Sénat a veillé à ce que le service public de gestion des déchets ne soit ni désorganisé ni affaibli, relayant les inquiétudes légitimes des collectivités qui ont massivement investi. Tout le monde devra jouer le jeu. Le dialogue devra être poursuivi, les collectivités territoriales disposer des moyens pour atteindre les objectifs fixés.

Enfin, cet accord est exigeant. De nombreuses mesures requièrent des dispositions réglementaires. Le Sénat veillera au suivi de l'application et souhaite être associé au travail d'évaluation. (Applaudissements)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire .  - Je suis heureuse et émue d'être devant vous aujourd'hui. C'est ici que ce texte a débuté, c'est ici qu'il s'achève : c'est circulaire !

J'ai tenu à conserver vos ajouts. Je suis ravie de cet accord, fruit d'un ouvrage équitable, partagé entre les deux chambres, et vous en remercie.

Notre collaboration n'a pas été qu'un long fleuve tranquille. Grâce à nos désaccords et malgré des invectives parfois inutiles, je suis fière de cette loi, dont nous avons révélé ensemble tout le potentiel.

Initialement resserré autour de treize articles, compact et dense, ce projet de loi vous laissait la possibilité d'inclure vos riches contributions. Il a multiplié sa taille par dix. Nous pouvons être fiers de ce texte qui va changer la vie des Français et des élus locaux.

M. François Bonhomme.  - Trop gentil !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Je songe d'abord aux moyens nouveaux pour lutter contre les dépôts sauvages. Quelque 70 % des déchets proviennent du BTP. Je salue le travail remarquable de Mme de Cidrac : j'ai vu dans votre territoire la mer de déchets sauvages à laquelle les élus font face. Nous endiguerons ce fléau grâce aux nouveaux moyens de police accordés aux maires, grâce à la REP sur les produits du bâtiment, la reprise gratuite des déchets triés et le nettoyage des décharges existantes.

Les fonds de réparation et de réemploi solidaire abonderont des structures locales en promouvant la lutte contre le gaspillage. Preuve qu'une discussion constructive entre le Gouvernement et le Parlement peut conduire à améliorer concrètement le quotidien de nos concitoyens !

Je me réjouis de l'accord trouvé sur la consigne ; les collectivités territoriales auront le délai nécessaire pour étendre les consignes de tri, avant une analyse objective de la situation qui pourrait conduire à la mise en oeuvre d'un dispositif de consigne visant à accélérer la transition écologique. Il n'a jamais été question de remettre en cause l'investissement des collectivités territoriales - le Grenelle comme la directive européenne nous l'interdiraient d'ailleurs.

Certaines interdictions et obligations d'informations qui avaient été rejetées au Sénat en seconde délibération ont été retravaillées à l'Assemblée nationale et réintégrées dans le texte. Je salue là encore le travail entre vos deux chambres.

Nous avons mis en place une stratégie de sortie du plastique à usage unique en vingt ans. Nous publierons un plan quinquennal dans les prochains mois afin de diminuer de moitié d'ici dix ans le nombre de bouteilles en plastique commercialisées, soit 7,5 milliards de bouteilles en moins. Nous interdisons la mise sur le marché d'une série de microplastiques, notamment dans les cosmétiques ou les produits d'entretien. Nous imposerons - en pionnier - l'usage de filtres à microfibres plastique sur tous les lave-linges neufs d'ici 2025.

M. François Bonhomme.  - Quelle audace !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Ce projet de loi ouvre la porte à des transformations systémiques, en valorisant chaque geste citoyen, et pose les bases d'une écologie de rassemblement. Vous pouvez, nous pouvons en être fiers. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et SOCR, ainsi que sur le banc de la commission)

M. Frédéric Marchand .  - Ce projet de loi intervient dans un contexte mondial inquiétant en matière de développement durable. Le 21 janvier à Davos, l'ONG Circle Economy lançait un cri d'alarme : l'écart mondial de circularité se creuse, à 8,6 %, contre 9,1 % il y a deux ans. L'économie linéaire consiste à créer des déchets. Le changement est une obligation.

Il s'incarne dans ce projet de loi qui vise à prévenir la dégradation environnementale et les inégalités sociales. Il s'agit d'accélérer le changement de notre modèle de production et de consommation.

La CMP a adopté ce texte à l'unanimité. Les échanges ont été nombreux et ouverts. L'objectif commun de la transition écologique nous a rassemblés. Ce texte est parfaitement équilibré et préserve les apports du Sénat.

Le projet de loi a été considérablement enrichi par le débat parlementaire : il donne les outils nécessaires pour revenir sur le modèle linéaire « produire-consommer-jeter ».

Il faut responsabiliser tous les maillons de la chaîne. C'est le sens de l'information des consommateurs, condition d'un choix éclairé, de l'application du principe pollueur payeur, avec la nouvelle filière REP et les fonds pour le réemploi et la réparation, de la lutte contre le gaspillage alimentaire et la scandaleuse destruction des invendus non alimentaires.

La CMP a renforcé le pouvoir des maires pour lutter contre les dépôts sauvages.

Elle est parvenue à un accord équilibré sur la consigne pour atteindre les objectifs de recyclage tout en satisfaisant les légitimes demandes des collectivités territoriales. Cela montre tout l'intérêt d'un débat parlementaire constructif.

Cette boîte à outils nous aidera à avancer, à marche forcée, vers la transition écologique : il faut sonner la mobilisation générale des comportements.

Une démarche France Circularité - sur le modèle de France Mobilités - fera des parlementaires, je l'espère, des ambassadeurs de ce texte.

Lutter contre le gaspillage et promouvoir l'économie circulaire, voilà un bel objectif. Vous pouvez compter sur le groupe LaREM pour relever ce défi. (Applaudissements sur le banc de la commission et sur les travées du groupe RDSE)

Mme Éliane Assassi .  - Ce projet de loi a suscité le débat -  c'est un euphémisme, vu que son volume a été multiplié par dix. Son examen au Sénat s'était achevé sur une seconde délibération qui revenait à la hussarde sur certaines avancées.

Nous l'avions néanmoins voté en constatant des progrès notables, satisfaits de l'adoption de 18 de nos amendements.

Le Sénat avait rejeté la consigne pour recyclage plastique qui menaçait, sous la pression des lobbies et avec votre complicité, (Mme la ministre proteste.) l'équilibre du service public des déchets géré par les collectivités territoriales et faisant payer deux fois les ménages...

Ce texte porte des mesures positives mais manque de vision globale et cohérente ; je regrette l'opacité des travaux de la CMP, tout ayant été ficelé au préalable.

Sur le fond, les questions ne sont abordées que sous l'angle de la réglementation de la consommation. Or il faut remettre en cause globalement notre système de production qui exploite les ressources dans un ordre « cannibale », selon les mots d'un ancien ministre, à rebours de toute transition écologique, la finitude étant elle-même source de profits...

Que produisons-nous, pour qui et dans quelles conditions ? Saisissons-nous de ces questions plutôt que de les laisser aux marchés financiers. Vous qualifiez ce discours de « populisme vert » (Mme la ministre le conteste.), mais le vrai populisme, c'est de faire croire qu'on peut éviter le péril écologique par des mesurettes.

Certaines mesures sont à saluer : la lutte contre l'obsolescence programmée, la promotion du vrac, la lutte contre le suremballage ou le gaspillage des invendus, la promotion du réemploi dans la commande publique, certaines interdictions de plastique.

Nous aurions souhaité élargir la gouvernance des filières REP pour plus de transparence et une plus grande attention aux conditions de travail.

La deuxième délibération est hélas revenue sur le rétablissement de la seule véritable consigne - celle du verre dans les restaurants. Le compromis trouvé en CMP renvoie à plus tard la mise en oeuvre de la fausse consigne pour recyclage. Un flou artistique qui ne convainc pas...

Le débat sur le plastique a dépassé la question du recyclage pour aller vers l'interdiction pure et simple. Nous sommes satisfaits de l'objectif global de sortie du plastique à usage unique, même si l'échéance de 2040 est lointaine. Je note que notre amendement, rejeté en deuxième délibération à la demande du Gouvernement, a été repris à son compte à l'Assemblée nationale.

Nous nous abstiendrons sur ce texte, en espérant que les nombreux décrets d'application ne viendront pas raboter son ambition. (Applaudissements sur le banc de la commission)

Mme Colette Mélot .  - Cette loi était nécessaire pour la protection de l'environnement et la lutte contre la pollution.

Les prévisions de réchauffement climatique pour 2050 montrent qu'il est urgent d'agir.

Nous saluons l'accord en CMP, mais resterons vigilants.

Le groupe Les Indépendants a d'emblée soutenu l'élargissement de la REP. Les discussions se sont cristallisées autour de la consigne. Le compromis est équilibré; les collectivités territoriales pourront évaluer leurs résultats et amortir leurs investissements ; si les objectifs internationaux ne sont pas remplis, des consignes de bouteilles plastiques seront mises en place en 2023. En Seine-et-Marne, nombre de collectivités ont investi et le système fonctionne bien. Il s'agit de rassurer.

Réduction du gaspillage des médicaments et du gaspillage alimentaire, information des consommateurs, lutte contre les dépôts sauvages, fin des emballages plastiques à usage unique en 2040 - autant d'avancées que nous saluons, même si nous aurions souhaité un changement plus rapide. L'objectif de 100 % de plastique recyclé d'ici 2025 est un engagement fort.

État, industrie, consommateurs : chacun doit contribuer à la circularité de notre économie. Nos comportements nous engagent face à un environnement qui se dégrade de jour en jour. Nous devons rester vigilants. Il en va de notre avenir.

Le groupe Les Indépendants votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur le banc de la commission)

Mme Anne-Catherine Loisier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'économie circulaire, jusqu'alors abordée par petites touches, a enfin son texte spécifique. Il comporte nombre d'avancées, en matière d'information du consommateur, de destruction des invendus, de réparabilité, d'élargissement des REP, de reprise des produits usagés ou encore d'éco-modulation. La majorité du groupe UC le votera.

Des défis restent à relever. Le meilleur déchet est celui que l'on ne produit pas, or le texte ne préconise pas suffisamment de bonnes pratiques d'entretien et d'usage. Or il faut changer les comportements en profondeur.

Quels meilleurs outils pour optimiser la collecte, le tri et le recyclage que les services publics de gestion des déchets ? La consigne de recyclage des bouteilles plastiques est à double tranchant. Elle cautionne l'usage du plastique par les industriels pour les dix ans à venir, pèse sur le consommateur, démultiplie les circuits de collecte et déstabilise les services publics existants.

Le système actuel de collecte est fondé sur un maillage territorial qui fonctionne. Les collectivités territoriales ont investi massivement pour recueillir l'ensemble des déchets de nos concitoyens à des coûts soutenables.

Nous comptons sur votre vigilance à l'égard de la gouvernance des éco-organismes : Citeo doit renforcer sa collégialité. Un groupe de suivi parlementaire de la loi serait bienvenu, pour veiller à la soutenabilité des mesures. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE ; Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. Joël Bigot .  - Quel chemin parcouru ! Je remercie le Gouvernement d'avoir déposé ce texte en premier lieu au Sénat. Cela a permis de mettre la focale sur les territoires.

Les collectivités territoriales ont été en première ligne, notamment sur la question de la consigne de recyclage, véritable pomme de discorde. Cette mesure, inspirée par les grands industriels de la boisson, aura permis de faire de la lutte contre les emballages plastiques un axe structurant du texte.

L'introduction d'un principe général dans le code de l'environnement selon lequel toutes les politiques publiques doivent prendre en compte la lutte contre la pollution des plastiques est à saluer. Nous avions fixé un objectif chiffré dès 2030 ; désormais, « la France se fixe comme objectif d'atteindre la fin de la mise sur le marché d'emballages plastiques à usage unique d'ici à 2040 ». On semble déjà s'excuser d'un futur échec.

L'article 8 bis sur la consigne est un compromis non optimal à nos yeux. Nous ne souhaitions cependant pas faire échouer la CMP. Les associations représentant les collectivités ne sont pas des lobbies, madame la ministre.

M. Claude Kern.  - Très bien !

M. Joël Bigot.  - Cette tentative de disqualification a beaucoup ému les territoires.

Nous serons attentifs aux mesures sur l'extension des consignes de tri d'ici à 2023. Mais l'incertitude créée par le projet initial a eu pour effet de geler voire stopper les projets en cours...

Le Sénat a grandement contribué à l'amélioration du texte qui compte désormais 130 articles, soit une ambition décuplée. Certains amendements désavoués ici par le Gouvernement ont reçu un avis favorable quand ils ont été redéposés par des députés de la majorité. Nous avions manifestement trop de bonnes idées...

Des manques subsistent, tels le compteur d'usage des appareils électroménagers ou encore l'interdiction des plastiques contenant des perturbateurs endocriniens avérés. Du moins l'information du consommateur progressera-t-elle.

La lutte contre le gaspillage alimentaire et non-alimentaire fait un bond en avant avec l'interdiction des destructions systématiques des invendus.

Je salue le renforcement des obligations des filières REP étendues à de nouveaux produits, tout en regrettant la suppression d'une filière REP globale ou balai.

Le fonds national unique de réemploi solidaire a été abandonné pour un dispositif à la main des éco-organismes, donc des producteurs. Dommage pour le secteur de l'économie sociale et solidaire...

Enfin, nous saluons les nouveaux outils donnés aux élus locaux pour lutter contre les dépôts sauvages.

Malgré l'absence d'un volet pédagogique, nous voterons ce texte équilibré, qui favorise une économie plus circulaire, sans pour autant prendre le grand tournant écologique qu'attendent les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE ; M. Claude Kern et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

M. Éric Gold .  - Une fois n'est pas coutume, la CMP est parvenue à un accord. La consigne a occupé une bonne partie des débats. Représentants des élus, nous nous étions engagés en première ligne pour défendre les investissements des collectivités territoriales en matière de collecte.

Le texte issu du Sénat laissait toute latitude aux industriels pour mettre en place une consigne pour recyclage sans aucun encadrement. Le compromis trouvé laisse aux collectivités et aux recycleurs jusqu'à 2023 pour atteindre les objectifs de collecte. Compte tenu de l'urgence, si le bilan des performances de collecte n'était pas satisfaisant, un dispositif de consigne pourrait être mis en place après 2023.

La collecte hors foyer demeure en deçà des ambitions européennes et nous avons veillé à l'améliorer.

Le renforcement des pouvoirs de police du maire sur la lutte contre les déchets sauvages va de pair avec une sanction de 1 500 euros, l'usage de la vidéo-protection pour verbaliser, et le transfert à l'EPCI des prérogatives de lutte contre les dépôts sauvages s'il est compétent pour la collecte des déchets. Cela confortera les maires, et évitera que le drame de Signes se reproduise.

Nous saluons les objectifs de réduction des plastiques à usage unique. D'ici à 2021, 20 % des produits de la commande publique devront intégrer des matériaux recyclés ou de réemploi et la priorité sera donnée aux pneumatiques rechapables ou rechapés lors du renouvellement des flottes. Nous nous en félicitons.

Je salue les mesures en faveur d'un moindre gaspillage alimentaire, limitant la distribution d'imprimés publicitaires, interdisant dès 2023 l'impression des tickets papiers, limitant la consommation d'eau potable dans les bâtiments neufs, ou encore interdisant la mise sur le marché de toute substance à l'état de microplastiques - dont on connaît les dégâts lorsqu'ils sont ingérés par les espèces aquatiques.

Finissons par les mesures permettant aux consommateurs de s'orienter vers des produits écologiquement plus vertueux : amélioration des consignes de tri et de l'information du client sur les qualités environnementales des produits et leur indice de réparabilité, mise à disposition de pièces détachées plus vite et plus longtemps, ou encore incitation à l'utilisation de contenants réutilisables.

La question n'est pas de savoir si le texte doit être adopté, mais s'il va assez loin. Il ne doit pas nous faire oublier l'urgence climatique, les niveaux de pollution de notre planète, et la nécessaire évolution de notre mode de vie. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants et SOCR)

M. Didier Mandelli .  - Nous y sommes... Après une riche concertation et la mise en place d'un comité de pilotage dont j'ai fait partie, ce texte arrive à son terme.

Sa première mouture comptait 6 articles et 2 ordonnances, ce qui nous avait déçus, Hervé Maurey et moi. Il est passé de 13 à 87 articles après son adoption au Sénat et à 131 articles après son passage à l'Assemblée nationale. Madame la ministre, je vous remercie d'avoir conservé un certain nombre de mesures issues de nos travées, même si cela a été au prix d'échanges animés. (Mme la ministre sourit.) Nous partagions certains objectifs. Je salue le pragmatisme et le bon sens de la rapporteure.

Les collectivités territoriales ont inspiré beaucoup de nos propositions, dont la Vendée qui attend toujours votre visite, madame la ministre.

De la même façon que le mot « écologie » ne figurait pas dans le dictionnaire en 1974 quand René Dumont s'est présenté à l'élection présidentielle, de même l'économie circulaire, que je promeus personnellement depuis trente ans, est enfin entrée dans le champ lexical. C'est moins un concept que l'expression du bon sens, puisqu'il s'agit de la traduction du principe « penser global et agir local » en conciliant développement durable et exigence sociale.

Le chemin est encore long avant que les huit milliards d'habitants de la planète - nous n'étions que quatre milliards en 1974, j'étais déjà là (Sourires) - puissent l'habiter sans épuiser ses ressources. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur le banc de la commission.)

M. Claude Kern .  - Nous nous apprêtons à voter définitivement ce texte. La nécessité d'acter des mesures concrètes n'a pas été sacrifiée sur l'autel du sujet polémique de la consigne.

Nous nous satisfaisons des nombreuses avancées du texte qui répondent aux besoins des collectivités territoriales sans enfreindre les principes européens, notamment sur la directive SUP (single use plastic).

C'est un réel tournant qui permettra d'améliorer l'information du consommateur, la prévention des déchets, la réduction des emballages à usage unique, la lutte contre le gaspillage ou encore le développement du réemploi et de la réparation à travers le principe de responsabilité élargie du producteur et le développement de plusieurs nouvelles filières de REP - qui ont été créées ici même. Cela n'efface pas vos atermoiements sur la consigne (Madame la ministre proteste.) : mise sous boisseau de l'expertise de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) au profit de celle du collectif France Boissons, approximation des chiffres, arguments fallacieux, réécriture de l'engagement de l'exécutif, accusations douteuses à l'endroit de certaines associations de collectivités... Nous resterons donc vigilants, notamment sur la collecte des bouteilles en plastique. Par quelles mesures concrètes comptez-vous enrichir les trop rares dispositifs de collecte hors foyer ? Comment encouragerez-vous Citeo à plus d'efficacité ? Il faut inciter les collectivités territoriales à investir pour l'extension des consignes de tri.

Les membres du groupe UC voteront librement et en leur âme et conscience. C'est de la mise en commun de toutes les actions que dépend la progression de l'économie circulaire. C'est un projet politique qu'il faut avoir le courage de porter. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE)

M. Cyril Pellevat .  - Je remercie la rapporteure pour son travail sur ce texte équilibré. L'Assemblée nationale a donné gain de cause à la Haute Assemblée, reconnaissant le travail accompli.

La CMP avait surtout pour objet de trouver un accord sur la consigne pour le recyclage. Le Sénat y était défavorable, craignant que ce type de consigne nous maintienne dans l'ère du tout-jetable. Le Sénat craignait aussi une perte de recettes de 200 millions d'euros pour les collectivités territoriales qui ont déjà investi dans des dispositifs de collecte.

La CMP a trouvé un accord en allongeant le délai pour les collectivités territoriales de 2023 à 2024. Des possibilités de sanctions ont été introduites dans le cas où les éco-organismes ne prendraient pas les mesures adéquates pour que les collectivités territoriales puissent atteindre leurs objectifs.

Nous nous réjouissons aussi du renforcement du pouvoir du maire dans la lutte contre les dépôts sauvages et de l'interdiction dès 2022 de l'emballage pour les fruits et légumes.

Nous ne pouvons qu'applaudir ces avancées. Il reste maintenant à permettre aux collectivités de les mettre en oeuvre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE et sur le banc de la commission)

La discussion générale est close.

M. le président.  - En application de l'article 42, paragraphe 12, le Sénat se prononce par un seul vote.

Le projet de loi est définitivement adopté.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Je me réjouis de l'issue de ce vote quasi unanime. C'était loin d'être acquis, notamment en CMP.

Le Sénat a montré encore une fois sa capacité à agir pour l'intérêt général, sans posture, ni a priori, en dehors de toute démarche politicienne.

Ce texte mettra en place de nombreuses mesures positives dont beaucoup ont été introduites au Sénat.

Le texte était initialement ramassé, voire squelettique. Nous l'avons étoffé sur le gaspillage, le suremballage, et avec des objectifs ambitieux, témoignant ainsi de l'engagement et du volontarisme de la Haute Assemblée en matière de développement durable.

Je remercie tous ceux qui ont participé à ce travail : sénateurs, députés, ainsi que Mme la ministre de l'environnement, qui a organisé une réunion ayant permis de débloquer la CMP. Merci enfin aux deux rapporteures.

Nous resterons vigilants et avons décidé que le groupe d'études sur les déchets, présidé par M. Mandelli - avant sa reprise probable par Marta de Cidrac - suivrait tout particulièrement son application. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et LaREM et sur le banc de la commission.)

Prochaine séance mardi 4 février 2020, à 14 h 30.

La séance est levée à 15 h 35.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du mardi 4 février 2020

Séance publique

À 14 h 30

Présidence : M. Gérard Larcher, président

. Explications de vote des groupes puis scrutin solennel sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (texte de la commission, n°238, 2019-2020)

À 15 h 45 et le soir

Présidence : Mme Catherine Troendlé, vice-présidente M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

Proposition de loi tendant à assurer l'effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°281, 2019?2020) (demande du groupe Les Républicains)