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Table des matières



Accord en CMP

Mises au point au sujet de votes

Prorogation de l'état d'urgence sanitaire (Conclusions de la CMP)

Discussion générale

M. Philippe Bas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé

Mme Esther Benbassa

M. Joël Guerriau

M. Hervé Marseille

M. Jean-Pierre Sueur

Mme Maryse Carrère

M. Alain Richard

Mme Jacqueline Eustache-Brinio

Mme Laurence Rossignol

Explications de vote

Mme Éliane Assassi

Mme Céline Boulay-Espéronnier

Annexes

Ordre du jour du mercredi 13 mai 2020

Analyse des scrutins




SÉANCE

du samedi 9 mai 2020

80e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Annie Guillemot, M. Guy-Dominique Kennel.

La séance est ouverte à 15 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Accord en CMP

M. le président.  - La commission mixte paritaire sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions est parvenue à un accord.

Afin de permettre le dépôt et la diffusion du texte, pour la parfaite information de l'ensemble de nos collègues, je vais suspendre la séance pour une heure.

La séance est suspendue à 15 h 32.

La séance reprend à 16 h 35.

M. le président.  - Je rappelle que nous devons être attentifs au respect des règles sanitaires, en particulier pour l'accès à l'hémicycle.

Mises au point au sujet de votes

Mme Françoise Laborde.  - Lors du scrutin n°103, Henri Cabanel souhaitait voter pour et non s'abstenir.

M. Hervé Marseille.  - Lors du scrutin n°102 sur l'article 6, Mme Annick Billon souhaitait voter pour ; au scrutin n°103, elle souhaitait voter pour et M. Vincent Delahaye s'abstenir.

M. le président.  - Acte vous est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique des différents scrutins.

Prorogation de l'état d'urgence sanitaire (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

Discussion générale

M. Philippe Bas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - La commission mixte paritaire réunie ce matin à l'Assemblée nationale est parvenue à un accord. C'était indispensable : après-demain commence une étape nouvelle, dans la lutte contre le fléau de l'épidémie de Covid-19, celle du déconfinement progressif.

Le confinement était fort restrictif des libertés individuelles et publiques, particulièrement de la liberté d'aller et venir, il a entraîné des conséquences redoutables pour notre économie et nos équilibres sociaux, mais il a considérablement allégé la pression sur le système hospitalier et ralenti la propagation du virus. Tel était son principal objectif.

Espérons que les deux mois de confinement auront permis aux pouvoirs publics de se préparer pour organiser la protection des Français contre le Covid-19 par d'autres moyens qui n'étaient pas disponibles le 15 mars quand il a été décidé : diffusion des gestes barrières, bien assimilés, des masques - il n'y en avait pas le 15 mars - des tests de dépistage, jusqu'à 700 000 attendus par semaine, selon le Premier ministre, ce qui suppose une organisation gigantesque, et enfin le traçage des contaminations, afin que leurs filières soient combattues.

Pour cela, le Gouvernement a estimé avoir besoin d'un système d'information pour mettre à l'abri les personnes approchées de trop près par celles qui, dépistées, sont reconnues porteuses du virus. Un tel système ne peut être artisanal : il faut un traitement de masse, et rapide. Si on laisse dans la nature un porteur du virus trop longtemps, il pourra contaminer beaucoup de personnes. Si l'on parvient à le contacter dans les 24 heures à 48 heures, on pourra mettre à l'abri et protéger toute personne qu'il aura rencontrée.

Les médecins ne suffiraient pas à la tâche. Il fallait donc que ce système d'information reposât sur la mobilisation des services de l'assurance maladie, dont les plateformes ont la capacité pour contacter les cas dit « contacts ».

Il importait donc d'aboutir à un accord : quelle que soit notre opinion sur le traitement de la crise sanitaire par les pouvoirs publics, une chose est certaine : nous n'en sortirons pas sans nous donner les moyens de le faire. C'est pourquoi le Sénat, pour la loi du 23 mars comme pour celle-ci, a toujours été au rendez-vous des exigences de l'heure, afin que les pouvoirs publics apportent des réponses à cette crise.

Il n'a cependant pas voulu le faire sans garanties. Trois séries de garanties nous paraissent importantes. D'abord, la personne mise en quarantaine doit pouvoir en choisir le lieu, sans doute le domicile, ce qui n'empêche pas l'administration préfectorale d'en proposer d'autres. Ensuite, nous avons voulu que nos compatriotes se voient appliquer le même principe de libre choix, d'où qu'ils arrivent, de l'étranger ou de l'outre-mer.

Au cas où les conditions de logement dans les outre-mer seraient insalubres, ou la promiscuité trop grande, le préfet pourra exceptionnellement s'opposer à ce libre choix ; c'est une soupape de sûreté pour la santé publique.

La deuxième série de garanties porte sur ce système d'information, dérogeant au principe du secret médical, puisque des données médicales sensibles seront traitées par des non-médecins. Les six garanties que nous avons votées ont été reprises dans l'accord conclu en CMP - et même davantage, puisque la durée de conservation des données n'excédera pas trois mois. Cela s'ajoute au droit d'opposition, et au fait qu'aucune autre maladie ne sera mentionnée, même si vous et votre médecin devez en avoir connaissance car elle peut vous affaiblir dans la lutte contre le Covid-19, mais cette donnée n'est pas nécessaire pour rechercher les personnes contacts.

J'en viens au principe de la responsabilité. Tout s'est emballé : on a parlé d'amnistie, voire d'autoamnistie. C'est hors de propos ! Aucune juriste, fût-elle garde des Sceaux, ne peut parler d'amnistie hors du cas d'une personne déclarée coupable, protégée d'une condamnation en vertu d'une disposition législative. Je vous défie de trouver quoi que ce soit qui pût y ressembler, dans le texte adopté par le Sénat, dans celui de l'Assemblée nationale, et fortiori dans les conclusions de la CMP.

Il s'agit simplement de préciser que le juge devra, en appréciant la responsabilité de la personne mise en cause, tenir compte de ses compétences, de ses fonctions, de ses moyens, dans les circonstances particulières de cette épidémie redoutable, ayant entraîné l'adoption d'un texte modifiant la répartition des responsabilités : pendant la période du Covid-19, le maire a moins de pouvoir qu'en temps ordinaire !

Voyez le maire de Sceaux dont l'arrêté sur le port du masque obligatoire dans les rues de sa ville a été annulé. Ses pouvoirs de police générale, lui a-t-on répondu en droit, sont limités par les pouvoirs de police spéciale donnés par le Parlement au Gouvernement, au Premier ministre, aux ministres et aux préfets. Moins de pouvoirs, moins de responsabilités ! Il était nécessaire que cela fût clairement dit, pour les maires, mais aussi les employeurs, qui devront prendre des milliers de décisions par jour, pour mettre en oeuvre le déconfinement. Il était normal que chacun sache quelle est l'étendue de ses responsabilités.

Ce droit spécial, entré en vigueur le 23 mars, continuera à s'appliquer dès lors que nous acceptons la prorogation de l'état d'urgence.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé .  - La démocratie et l'esprit de responsabilité sont une seule et même chose. L'Assemblée nationale, le Sénat l'ont montré, dans ce moment crucial, en trouvant des compromis qui ne renient aucune de leurs exigences respectives.

Le travail du Sénat est reconnu par le texte adopté par la CMP. Votre assemblée a posé les jalons indispensables pour concilier l'efficacité de la lutte que nous menons contre ce virus, avec le respect des grands principes auxquels nous sommes tous très attachés dans des délais contraints et des conditions difficiles. En exerçant leur droit d'amendement, les législateurs ont précisé, consolidé, corrigé, enrichi le texte du Gouvernement, et ce dès lundi en commission des lois. Je remercie le président Bas pour la qualité de son rapport.

L'objectif de promulgation de la loi le 11 mai a été tenu. Nous pouvons tous nous féliciter, au-delà de nos divergences, de mener le même combat pour la santé et la protection des Français.

Avec l'article premier, l'état d'urgence sanitaire est prolongé jusqu'au 10 juillet, date que vous avez préférée à celle du 23 juillet que nous avons initialement envisagée.

Les débats sur la responsabilité des élus ont été vifs, jusqu'en CMP. Celle-ci a prévu finalement un article spécifique du code de la santé publique pour préciser les conditions d'appréciation des responsabilités pénales pendant l'état d'urgence sanitaire.

À l'article 6, les garanties nécessaires ont été apportées aux élus, vos exigences ont été entendues ; il ne servira pas de base au déploiement de Stop Covid et un comité de contrôle et de liaison s'assurera du suivi de l'épidémie par le système d'information.

Grâce à la commission des lois, mais également à la commission des affaires sociales, les garanties en matière de droit du travail sont renforcées. Les mesures d'isolement et de quarantaine de l'article 2 sont mieux encadrées après l'examen parlementaire.

Ce texte n'est pas un blanc-seing donné au Gouvernement. Il n'en a jamais été question. Chaque article a été débattu, amendé. De nouveaux débats parlementaires sont à prévoir. Depuis le 8 mars, le pays est à l'arrêt ; mais la démocratie parlementaire a continué à fonctionner. Je tiens à en remercier chacun d'entre vous. (M. Alain Richard applaudit.)

Mme Esther Benbassa .  - La CMP est parvenue à un accord. Le Parlement a joué son rôle en améliorant la copie de l'exécutif.

Les modalités de la quarantaine, aux articles 2 et 3, ont été mieux encadrées, et les droits des personnes placées en isolement accrus. On a évité, à l'article 5, la formation des brigades de citoyens, non dépositaires de l'autorité publique, susceptibles de verbaliser leurs compatriotes. Bien que le fichage et le traçage des malades, à l'article 6, posent de sérieux problèmes, nous nous réjouissons de leur encadrement et de l'anonymisation des données.

Pouvons-nous, pour autant, nous satisfaire de ce texte ? Évidemment, non ! Primo, le Parlement n'a pu débattre sereinement de la mise entre parenthèses du droit commun, avec l'urgence proclamée par le Président de la République de la date butoir du 11 mai.

Secundo, il n'y a pas lieu de prolonger cet état d'urgence sanitaire, qui ne répond en rien aux besoins engendrés par la pandémie.

L'atteinte disproportionnée à nos libertés individuelles et publiques, ainsi qu'à la protection de nos données personnelles, n'est pas justifiée. Notre législation est suffisamment armée pour faire face à cette crise. Plutôt que d'un régime de surveillance généralisée, c'est surtout de moyens dont nos politiques publiques ont besoin. Mais l'exécutif préfère l'enfermement et le fichage des malades au renforcement des moyens médicaux. Il refuse de répondre aux attentes financières urgentes de nos hôpitaux et soignants, pour redonner du sens au service public.

Depuis 2015, nos gouvernements montrent une prédilection inquiétante pour les états d'urgence, préludes à une société de contrôle.

L'urgence sanitaire n'est pas derrière nous. Nous comprenons qu'un esprit de concorde soit attendu. Représentants de la Nation, nous sommes dans notre rôle en relayant la colère et le ressentiment qui s'expriment dans nos territoires, en défendant les droits et aspirations de nos concitoyens.

L'urgence est aussi sociale, et l'exécutif n'a même pas inscrit dans le texte la distribution massive et gratuite de masques !

L'urgence est enfin démocratique. Le 11 mai ne verra pas le retour à la normale, mais un sécuritarisme coercitif et répressif se profile : comment accorder tant de pouvoir à un exécutif à qui, pour la gestion même de cette crise, deux tiers des Français refusent leur confiance ?

Parce que nous espérons des lendemains plus solidaires, plus fraternels, plus écologiques et plus sociaux, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne votera pas l'adoption de ce texte.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - C'est dommage !

M. Joël Guerriau .  - Simone Weil écrivait, lors de la Seconde Guerre mondiale, que « l'unique source de salut et de grandeur pour la France, c'est de reprendre contact avec son génie au fond de son malheur ». Ce génie collectif se manifeste aujourd'hui. La baisse des contaminations et des décès témoigne de la prise de responsabilités individuelle et collective. Notre groupe remercie le personnel soignant ainsi que tous les acteurs, publics et privés, qui ont participé à la gestion de cette crise.

Ce texte a été enrichi par le Sénat, puis par l'Assemblée nationale. Et ce dans un laps de temps très court. Je salue Philippe Bas ainsi que les membres de la commission des lois pour leur travail constructif. Le texte équilibré issu de la CMP démontre que notre pays est capable d'affronter dans l'unité une crise planétaire. Le travail parlementaire aura été essentiel. On peut ne pas partager les orientations prises, mais qui peut dire qu'il aurait su parfaitement gérer cette crise ?

L'état d'urgence sanitaire est prorogé raisonnablement dans la perspective du déconfinement et du redémarrage de notre pays.

L'accord trouvé en CMP sur la responsabilité des maires et des employeurs est équilibré. Les maires sont la force d'une présence territoriale et d'un engagement public décentralisé. Ils attendent de l'État des directives claires, un partage des informations et une coordination efficace.

Concernant le système d'information, des garanties fortes ont été apportées, sur la durée limitée du système ou la délimitation des données pouvant être partagées et traitées. En revanche, des réserves demeurent sur l'absence de consentement concernant le partage et le traitement des données médicales.

Le Sénat a apprécié l'utilisation d'outils numériques sensibles à l'aune de leur apport dans l'éradication du virus.

Enfin, le Parlement a préservé la place fondamentale du juge des libertés et de la détention et a bien encadré l'isolement et la mise en quarantaine.

Nous pouvons faire confiance aux Français. Notre devoir est de leur apporter un cadre en énonçant des principes généraux tout en préservant nos libertés. « La liberté n'est pas l'espoir de l'avenir. C'est le présent et l'accord avec les êtres et le monde dans le présent » écrit Albert Camus. Le présent est compliqué à gérer, et l'espoir de l'avenir difficile à imaginer. Mais de notre réussite collective dans cette épreuve dépend notre futur. Le groupe Les Indépendants votera ce texte.

M. Hervé Marseille .  - Le groupe UC a pris acte avec satisfaction de l'accord en CMP. Le Parlement a montré son unité. Que n'aurait-on entendu si l'issue avait été autre ! Je remercie Philippe Bas et Alain Milon et salue les efforts d'Olivier Véran avec qui nous avons eu des échanges passionnés mais respectueux.

Le Sénat a joué son rôle en défendant les droits du Parlement et les libertés publiques. Je me réjouis que les députés nous aient suivis sur l'article premier, en limitant la prorogation de l'état d'urgence au 10 juillet. L'usage de l'état d'exception doit être strictement limité, et le retour au droit commun se faire dès que possible.

Nous ne donnons pas pour autant un blanc-seing au Gouvernement. Le Sénat continuera pleinement son travail de contrôle.

La question de la responsabilité des décideurs publics et privés, absente du texte initial, a été introduite grâce à notre commission des lois. Elle a fait l'objet d'échanges vifs ; c'est finalement une nouvelle écriture qui a été retenue, qui s'appuie sur le code de la santé publique.

Au-delà du droit, nous devions envoyer un signal aux maires, mais aussi aux chefs d'entreprise et responsables associatifs qui sont amenés à prendre des décisions.

Je remercie l'Assemblée nationale pour les garanties qu'elle a acceptées ou renforcées : sur les données personnelles, sur l'application Stop Covid, à laquelle l'article 6 ne peut servir de base juridique, sur les ordonnances, et enfin en rétablissant l'avis conforme de la CNIL pour la mise en oeuvre du système d'information.

Apparemment marginale, la réouverture des plages et forêts intéresse au premier plan de nombreux élus et nous regrettons la suppression de l'article 5 bis, mais donnons acte au Gouvernement de ses déclarations sur ce sujet qui, il est vrai, relève du réglementaire.

Je pense enfin à nos compatriotes bloqués dans des pays étrangers, notamment nos étudiants en Roumanie. Notre collègue Olivier Cadic s'en est préoccupé. Beaucoup de Français établis hors de France ne comprennent plus très bien où nous en sommes. Il faut des réponses précises.

Je salue l'excellent travail qui a permis d'aboutir à ce résultat. Le groupe UC votera ce texte.

M. Jean-Pierre Sueur .  - D'abord, un point important : notre groupe a considéré qu'il revenait au Sénat de protéger les élus locaux. Les maires devront dès lundi prendre de lourdes responsabilités. Le texte de l'Assemblée nationale était désastreux : il revenait à autoamnistier les ministres et hauts responsables de l'État ! La formulation trouvée en CMP, cent fois meilleure, insiste sur les responsabilités de chacun et précise que dès lors que les maires appliquent une décision de l'État, ils agissent en tant qu'agents de l'État et ne peuvent pas être poursuivis à ce titre.

À l'article 6, je salue le retour à l'avis conforme de la CNIL et le délai de trois mois au lieu de neuf pour la conservation des données, tout comme la mise en place d'une commission de contrôle librement constituée par le Sénat et l'Assemblée nationale.

Des problèmes subsistent toutefois, sur le droit d'information, de rectification et d'opposition, et sur le secret médical, malgré des avancées...

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Il est bon de les souligner.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pourquoi voterons-nous contre ?

M. Philippe Bas, rapporteur.  - On se le demande...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pour une loi qui prolonge l'effet de celle du 23 mars, nous n'acceptons pas qu'il n'y ait pas une ligne sur le social. L'urgence est sanitaire, certes, mais elle est aussi sociale pour tous ceux qui vivent dans la précarité. Mme Rossignol y reviendra.

Mme Maryse Carrère .  - Dès lundi, nos concitoyens retrouveront un peu de liberté après deux mois éprouvants. Le défi sera de retrouver les espaces publics et collectifs où le virus reste présent et d'adopter des gestes barrières irréprochables pour éviter de surcharger les services de réanimation.

Nous avons été nombreux à déplorer la restriction de nos libertés. Mais dans sa grande majorité, le groupe RDSE votera la prolongation de deux mois de l'état d'urgence, en se félicitant que l'Assemblée nationale ait, à a suite du Sénat, retenu la date du 10 juillet. Nous poursuivrons notre mission de contrôle et veillerons à ce que la continuité de l'État soit réaffirmée.

Nous nous réjouissons de l'adoption de certains de nos amendements qui évitent que nos compatriotes d'outre-mer soient soumis à l'isolement à leur arrivée sur le territoire métropolitain.

Nous regrettons que le débat sur le port obligatoire du masque dans l'espace public n'ait pas abouti. La mesure, à nos yeux, était essentielle.

Nous regrettons aussi que l'amendement de nos collègues Artano et Arnell sur la transparence des prix des produits sanitaires ait disparu du texte final, comme celui sur la suppression des frais bancaires.

Malgré les garde-fous qui entourent l'article 6, beaucoup de médecins risquent de considérer que les nouvelles missions qui leur sont attribuées posent un problème déontologique.

Face au risque, la question de la responsabilité est clé. Les maires sont en première ligne, notamment pour la reprise de l'école. Chacun doit mesurer leur engagement. La responsabilité morale est aussi à prendre en compte. Nous aurions préféré préserver la rédaction de l'article premier dans la version du Sénat mais le compromis est acceptable. L'heure n'est pas à la recherche des responsabilités pour faute, mais à la responsabilité dans la recherche d'un projet collectif. Je ne doute pas de l'inventivité française pour le mettre en oeuvre.

Les apports du Sénat ont été préservés à l'article 6.

La grande majorité du RDSE votera ce texte. (Mme Françoise Laborde et M. Joël Guerriau applaudissent.)

M. Alain Richard .  - Le travail sur ce texte a été inspiré par une volonté de perfectionner la loi en tenant compte des impératifs d'intérêt général. Je salue le travail déterminant de Philippe Bas.

L'absence de projet d'amendement du Gouvernement augurait bien de l'aboutissement de la CMP. Ce moment du processus législatif est le seul auquel le Gouvernement n'a pas à participer. Et c'est bien ainsi. Nous avons travaillé dans un esprit de conciliation et de responsabilité.

L'article premier précise les conditions dans lesquelles s'exercera la responsabilité pénale des personnes physiques, autorités locales comme employeurs. Le texte retenu maintient les principes essentiels du code pénal, mais en précisant que l'appréciation du juge s'exercera en tenant compte de la situation exceptionnelle, celle d'un état de crise reconnu par la loi.

Deux questions se poseront devant le juge constitutionnel. D'abord, celle du lien direct ou indirect de cet article avec l'objet de la loi. J'estime que le lien est direct puisque les décideurs sont placés dans des conditions dégradées d'exercice de leurs décisions, avec une responsabilité amplifiée, du fait de l'état d'urgence sanitaire que le projet de loi vise à proroger.

Deuxième question : avons-nous porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs en expliquant au juge pénal comment il doit juger ? En précisant dans le code de la santé publique que le juge devra apprécier la situation en fonction des conditions exceptionnelles reconnues par la loi, il me semble que le principe est respecté.

Sur la quarantaine comme sur le système d'information, nous avons été scrupuleux et avons bien placé le curseur entre protection de la santé publique et respect des libertés individuelles. Nous pouvons, la conscience tranquille, approuver ce projet de loi ainsi modifié - ce que fera le groupe LaREM dans son intégralité. (M. le rapporteur applaudit.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio .  - La situation a beaucoup évolué depuis la loi instaurant l'état d'urgence sanitaire. Le confinement a sauvé de nombreuses vies, en donnant à nos soignants le temps nécessaire pour faire face à la première vague de l'épidémie. Saluons une fois de plus leur engagement et leur dévouement.

Nombre de Français, employés dans les secteurs essentiels se sont également engagés sans compter et ont joué un rôle crucial.

Le déconfinement est amorcé, en France comme chez nos voisins. Il devra s'accompagner d'une poursuite des mesures de distanciation sociale et du strict respect des gestes barrières.

Le déconfinement n'est pas tant un retour à la normale que l'amorce d'un processus de retour à la normale. Pour atteindre cet objectif, ce projet de loi permet la mise en place d'outils informatiques destinés à lutter contre la maladie, à l'heure où le confinement cesse graduellement.

La question de la responsabilité en temps de Covid, initialement absente du texte, a fait l'objet de riches débats juridiques et politiques.

Le Sénat, à l'initiative du président Bas, avait apporté les garanties nécessaires aux acteurs du terrain, sans organiser l'irresponsabilité, comme d'aucuns l'ont parfois prétendu à tort. L'Assemblée nationale lui a préféré un dispositif qui élargissait l'irresponsabilité.

La CMP a trouvé un compromis, en guidant l'appréciation du juge. Il sera possible de distinguer l'importance des responsabilités de chacun en temps de crise, entre ceux qui fixent le cap de la politique sanitaire et ceux qui l'exécutent, sans impunité, sans blanchiment ni autoamnistie.

Le Sénat a mieux calibré les modalités des quarantaines pour les personnes entrant sur le territoire ou circulant entre la métropole et l'outre-mer, afin que la quarantaine ne soit jamais plus gênante que strictement nécessaire. Les députés ont reconnu l'intérêt de ces dispositions.

Enfin, l'article 6 aura fait couler beaucoup d'encre, à raison. L'informatique a évidemment ses faiblesses et risques inhérents, et nous serons intraitables sur la sécurité des données. Nous ne devons toucher au secret médical que d'une main légère. Si nous y touchons, c'est qu'en l'absence de vaccin ou de traitement, le suivi des contacts est essentiel pour casser les chaînes de contamination. Sauver des vies justifie à nos yeux l'adoption d'un dispositif sortant du droit commun, mais d'application temporaire et soigneusement circonscrit. Enfin, nous avons exclu qu'une application de type Stop Covid puisse se fonder sur le présent texte.

L'heure n'est plus à la rhétorique guerrière mais à la reprise prudente, adaptée et graduelle de la vie courante. Pour ces raisons, le groupe Les Républicains votera ce texte.

Mme Laurence Rossignol .  - Je salue moi aussi les avancées obtenues en CMP et le chemin opéré en direction du Sénat.

Cependant, rappelons que notre groupe ne se confond pas avec le Sénat. Les lois votées par la majorité du Sénat ne sont pas toujours celles que nous voudrions voir adopter. La rédaction du Sénat comprenait des mesures que nous soutenions ardemment, mais d'autres que nous n'approuvions pas. Et il y a toutes celles qui ne sont hélas ni dans ce texte ni dans les précédents.

Signalons qu'au moment même où nous discutions le deuxième projet de loi, le Gouvernement avait préparé le troisième... Point commun à ces trois textes, l'urgence sociale manque.

Je ne crois pas que l'épidémie puisse être résorbée si la pauvreté, facteur de la crise sanitaire, augmente. Il faut une très grande confiance dans le Gouvernement pour considérer qu'il met en oeuvre, avec l'article 6, un outil juste, efficace et indolore.

Étrangers irréguliers, SDF, tous ceux qui ne répondront pas au téléphone aux brigades - où sont-ils dans le texte ?

En y ajoutant la gratuité des masques, la suppression des frais bancaires et d'autres mesures que nous n'avons pu faire voter, cela justifie que le groupe socialiste et républicain vote contre ce texte. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie applaudit.)

La discussion générale est close.

M. le président.  - Conformément à l'article 42.12 de notre Règlement, aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement. Le Sénat se prononçant avant l'Assemblée nationale, il statue d'abord sur les amendements puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.

Je vais donc mettre aux voix les conclusions de la CMP.

Explications de vote

Mme Éliane Assassi .  - Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre la prorogation de l'état d'urgence, car le retour au droit commun était possible.

Le Gouvernement a aussi refusé de s'atteler à l'urgence sanitaire et sociale, je songe notamment aux hôpitaux.

La situation ne s'améliorera vraiment que dans plusieurs mois, quand un vaccin sera disponible ; en attendant, la seule solution, ce sont les masques et les tests qui doivent être généralisés et gratuits.

Voilà quel doit être l'objectif du Gouvernement. Nous assistons à une désorganisation générale, surtout sur les écoles, et pendant ce temps vous mettez en place un système d'information dont personne ne veut, et qui devrait faire l'objet d'un projet de loi avant son déploiement. De même l'application Stop Covid devrait faire l'objet d'un débat au Parlement.

Les maires prennent déjà leurs responsabilités ; les chefs d'entreprise ne sauraient en être exonérés. Voilà notamment pourquoi le groupe CRCE votera contre ce texte. (MmEsther Benbassa applaudit.)

Mme Céline Boulay-Espéronnier .  - Dans deux jours, la France entamera sa sortie progressive d'une période de confinement unique dans son histoire. Ce sera un soulagement, même si le déconfinement n'est pas en lui-même le retour à la normale. Notre rôle est d'accompagner ce pas, de le rendre possible, et faire en sorte que ce ne soit pas un saut de haies hasardeux.

Le Gouvernement a demandé la prorogation de l'état d'urgence sanitaire. Il a également sollicité l'autorisation de mettre en place un dispositif inédit de partage de données médicales.

Au regard de la situation du pays, de la persistance du virus, et des conséquences dramatiques en vies humaines qu'aurait une deuxième vague, ces demandes ne nous paraissent pas entièrement illégitimes. Mais le Sénat ne serait pas le Sénat s'il n'avait pas assorti cette extension des pouvoirs exceptionnels d'un certain nombre de garanties salutaires.

D'abord, en ajustant et améliorant les conditions dans lesquelles se dérouleront les quarantaines, outil déplaisant mais nécessaire de la lutte contre l'épidémie.

Ensuite, en consolidant fortement l'armature du système d'information de l'article 6, autre outil éminemment déplaisant, mais qui, s'il peut sauver des vies, et s'il reste circonscrit au cadre que nous lui avons fixé, demeure acceptable. La saisine du Conseil constitutionnel par notre président, Gérard Larcher, permettra une vérification supplémentaire et une solidification de ces dispositions.

Enfin, grâce à la commission mixte paritaire, et en particulier au président Philippe Bas, nous avons trouvé un compromis satisfaisant avec les députés sur la question de la responsabilité. Lundi 11 mai, les maires, chefs d'entreprise et autres responsables sur le terrain, qui font la vie de la Nation, ne seront pas les laissés-pour-compte du déconfinement.

Au regard de ces avancées, nous voterons donc le texte, mais sans renoncer à la vigilance de tous les instants qui doit être la nôtre en cette période exceptionnelle, où le Gouvernement est doté de pouvoirs exceptionnels. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. le rapporteur applaudit également.)

Mme Françoise Laborde.  - Mme Carrère n'a pas eu le temps de remercier les présidents de commissions, ministres et sénateurs.

À la demande du groupe CRCE, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°104 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l'adoption 252
Contre   87

Le Sénat a adopté.

M. le président.  - Je tiens à exprimer ma satisfaction que le Sénat et l'Assemblée nationale soient parvenus à un accord.

J'en remercie les présidents Milon et Bas, ainsi que les président et rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale.

Nous avons passé seize heures trente en séance. Pour avoir participé à la plus grande part de nos travaux, j'ai trouvé les débats toujours intéressants et passionnés : notre assemblée a pris à coeur son rôle de représentation des territoires, en conciliant les exigences de la sécurité sanitaire et les libertés publiques.

Je saisirai, dès ce soir, le Conseil constitutionnel sur ce texte. Je souhaite en effet m'assurer que le travail que nous avons conduit ensemble repose sur des bases solides et incontestables et que les mesures que nous mettons en oeuvre pour assurer la victoire sur le virus sont nécessaires et adaptées aux circonstances.

Je remercie aussi les présidents de groupe, particulièrement malmenés hier par une série d'ordres et de contre-ordres. Cela faisait penser à une autre période... C'est une méthode que nous ne pourrons répéter à l'infini.

Mme Éliane Assassi.  - C'est clair ! (M. Jean-Pierre Sueur renchérit.)

M. le président.  - Car nous entendons travailler dans la sérénité à laquelle nous sommes attachés.

Demain, le Premier ministre et moi-même, en cette journée du 10 mai consacrée à la mémoire de l'esclavage, participerons à une cérémonie au Jardin du Luxembourg, dans le format restreint hélas qui a été également celui de la cérémonie à l'Arc de Triomphe hier.

Prochaine séance, mercredi 13 mai 2020, à 15 heures.

La séance est levée à 17 h 45.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du mercredi 13 mai 2020

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président

Désignation des vingt-trois membres de la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane

- Questions d'actualité au Gouvernement

Analyse des scrutins

Scrutin n°104 sur l'ensemble du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions

Résultat du scrutin

Nombre de votants : 343

Suffrages exprimés : 339

Pour : 252

Contre : 87

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (144)

Pour : 142

N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat, qui présidait la séance, Mme Colette Giudicelli

Groupe SOCR (71)

Contre : 69

Abstentions : 2 - Mme Catherine Conconne, M. Michel Dagbert

Groupe UC (51)

Pour : 49

Abstentions : 2 - MM. Philippe Bonnecarrère, Vincent Delahaye

Groupe RDSE (23)

Pour : 21

Contre : 2 - MM. Jean-Pierre Corbisez, Joël Labbé

Groupe LaREM (23)

Pour : 23

Groupe CRCE (16)

Contre : 16

Groupe Les Indépendants (14)

Pour : 14

Sénateurs non inscrits (6)

Pour : 3

N'ont pas pris part au vote : 3 - Mme Claudine Kauffmann, MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier