Cohérence entre politique énergétique et ambitions écologiques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen d'une proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à étudier la possibilité d'une mise en cohérence de sa politique énergétique avec ses ambitions écologiques, présentée par M. Bruno Retailleau, Mme Sophie Primas et M. Daniel Gremillet, à la demande du groupe Les Républicains.

Discussion générale

M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au nom du président Retailleau, de la présidente Sophie Primas et des membres du groupe Les Républicains, nous avons souhaité déposer cette proposition de résolution.

Nous avons voté un objectif de neutralité carbone en 2050. Pour l'atteindre, le nucléaire, filière d'excellence, peu émissive -  6 kilogrammes de CO2 par kilowattheure - et pourvoyeuse d'emplois - 220 000 sur tout le territoire - sera le modèle-clé.

C'est une filière centralisée, reposant sur une entreprise publique. Elle est garante d'un égal accès à l'énergie sur tout le territoire, de la place de l'État dans le secteur et d'un faible coût de l'énergie. Sa production est un service public qui relève d'une mission régalienne.

Face à l'urgence climatique, c'est grâce à cette source d'énergie que nous réduirons nos émissions. Aussi suis-je préoccupé par la politique énergétique menée par le Gouvernement.

Nous avons voté en 2019 la loi Énergie-Climat qui fixe des objectifs clairs : report de dix ans de l'objectif de baisse de 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique, cadre législatif pour l'hydrogène bas carbone notamment. Mais depuis, le Gouvernement n'a cessé de nous décevoir, notamment en arrêtant le réacteur Astrid puis les deux réacteurs de Fessenheim en 2020, sans motif de sécurité.

M. André Reichardt.  - Lamentable !

M. Daniel Gremillet.  - Et enfin en limitant les financements dédiés au nucléaire, seuls 200 millions d'euros du plan de relance y étant consacrés, alors qu'il représente les trois quarts du mix énergétique.

La réforme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) et le projet Hercule sont menés dans une opacité inacceptable. Je me félicite d'ailleurs que la commission des affaires économiques ait créé un groupe de suivi, faute d'avoir été associée à ces travaux.

Le ministère de la Transition écologique a commandé à RTE (Réseau de transport d'électricité) et à l'Agence internationale de l'énergie (AIE) l'étude de différents scénarios à l'horizon 2050, dont l'un à 100 % d'énergies renouvelables. C'est bafouer la loi quinquennale, qui seule doit déterminer notre politique énergétique, monsieur le ministre !

Le Gouvernement a, de plus, voulu supprimer l'évaluation de la loi quinquennale dans la loi de finances pour 2020 et fixer par décret les objectifs de délivrance de certificats d'économie d'énergie et de part des énergies renouvelables.

Avec la pandémie, la consommation d'électricité a baissé de 3,5 % en 2020, la production de 7 %. EDF a vu sa production d'énergie nucléaire baisser de 13 % et a perdu 2 milliards d'euros de recettes.

La crise pèse sur nos capacités d'approvisionnement et éprouve notre souveraineté énergétique. Nous avons dû importer de l'électricité pendant 43 jours en 2020, contre 25 en 2019.

Enfin, la crise obère les capacités d'investissement d'EDF dont la dette atteint 40 milliards d'euros. Les besoins sont pourtant énormes : grand carénage, chantiers des EPR, programmation des énergies renouvelables.

La réponse du Gouvernement n'est pas à la hauteur. La baisse de la production d'origine nucléaire a certes des causes exogènes, mais elle résulte aussi de choix politiques, dont la fermeture de Fessenheim. C'est un gâchis économique, avec un coût de 5 milliards d'euros ; un gâchis social puisque 150 salariés ont déjà quitté le site et, à terme, seuls 60 y resteront ; un gâchis énergétique, car notre parc nucléaire a perdu 1 gigawatt de puissance.

Face à cela, Mmes Pompili et Abba se sont contentées d'appeler, dans cet hémicycle, à diversifier notre mix énergétique... Or les énergies renouvelables, par nature intermittentes, ne sont pas en mesure de surmonter le pic de consommation hivernal - ce qui nous obligera à faire tourner à plein régime les centrales à charbon étrangères.

Nous manquons d'un État stratège, notamment dans le secteur du nucléaire. Le Gouvernement n'apporte aucune réponse au besoin d'investissement. La construction de nouveaux EPR, la mise en service de Flamanville est en suspens, aucune information n'est donnée...

Il devient urgent de fixer un cap, à quelques semaines de l'examen du projet de loi Climat et résilience, et de réaffirmer notre confiance dans la filière nucléaire.

J'avais alerté le Gouvernement sur le risque porté par la fermeture de quatre réacteurs à échéance 2035. Face à l'apathie du Gouvernement, le Parlement doit jouer son rôle. La prochaine loi quinquennale doit être celle d'une politique nucléaire ambitieuse, qui suppose de sortir des difficultés de Flamanville, que le rapport de Jean-Martin Folz attribue à une perte de compétences généralisée. Notre pays s'y est trop longtemps résigné : il faut renouer avec le volontarisme.

Un effort doit être mené dans le domaine de la recherche et développement : je songe aux réacteurs modulables, aux réacteurs à neutrons rapides, à l'électrolyse pour l'hydrogène bas carbone. Cela suppose des financements suffisants.

Rendons au nucléaire la place qu'il n'aurait jamais dû perdre. Le Sénat est sensible au temps long, à la science et à l'écologie : c'est à ce titre qu'il doit défendre le nucléaire et adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

M. Jean-Claude Anglars .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La politique énergétique de la France pâtit de l'indécision du Gouvernement, qui sait pourtant évaluer l'évolution de la consommation d'électricité finale. Celle-ci n'a baissé que de 1,4 % entre 2012 et 2019, quand la programmation pluriannuelle de l'énergie de 2016 prévoyait une baisse de 12,3 % entre 2012 et 2023. Et le Gouvernement table sur une baisse de 50 % d'ici 2035 ? C'est irréaliste. Ce mirage empêche de définir une politique énergétique honnête et juste. La transition énergétique ne doit pas se résumer à un slogan, une promesse de campagne. Gouverner, ce n'est pas faire croire : c'est faire, tout simplement.

Pour éviter les carences, coupures et blackouts à court et moyen terme, nulle autre solution que de donner une place centrale au nucléaire. Il faut aussi plus de clarté ; or la mise en concurrence des concessions hydrauliques et le projet Hercule ne vont pas dans ce sens : c'est une atteinte à notre souveraineté énergétique. J'ai interrogé le Gouvernement sur la prolongation des concessions du Lot et de la Truyère, qui représentent 10 % de la production hydroélectrique française ; je n'ai reçu aucune réponse claire.

La transition énergétique, invoquée de manière idéologique, se décline dans tous les domaines jusqu'à l'irresponsabilité. Ainsi de la décision de ne plus soutenir la transition de la filière diesel qui se traduit, trois mois plus tard, par plus de mille suppressions d'emplois dans les usines Bosch de Rodez et SAM de Viviez.

Le renforcement de l'efficacité énergétique des logements neufs, à travers la réglementation énergétique 2020 (RE2020) est nécessaire, mais sa mise en oeuvre est à revoir.

Le Gouvernement invoque la transition écologique pour justifier des choix incohérents, irréalistes, coûteux et néfastes, sans concertation ni évaluation. Les citoyens ne sont pas dupes et dénoncent l'incohérence de ces choix.

Il faut poser les jalons d'une politique énergétique pluridimensionnelle dans laquelle le nucléaire a toute sa place. Ce qui se joue ici, ce ne sont pas des querelles partisanes, mais l'avenir et la souveraineté énergétique de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pierre Médevielle .  - Neutralité carbone à l'horizon 2050. (L'orateur met sa main en visière.) Oui, mais comment ?

Le principal objectif est de sortir des énergies fossiles polluantes tout en visant l'indépendance énergétique. Il faut travailler à des évolutions pertinentes de notre bouquet énergétique pour le rendre sûr, décarboné et compétitif.

La demande d'énergie augmente, mais les émissions doivent baisser, ce qui suppose de décarboner des secteurs entiers. Priorité aux secteurs les plus polluants, comme l'acier, le ciment et les transports, qui auront un effet d'entraînement.

L'énergie nucléaire, fleuron français depuis les années 1970, est une solution pour la décarbonation de notre énergie ; c'est un savoir-faire à préserver, tout en poursuivant l'innovation technologique.

Ainsi le nucléaire de quatrième génération, qui pourra fonctionner avec certains déchets, suscite de grands espoirs, tout comme le stockage en grande profondeur, type Cigéo - même si l'on peut s'interroger sur son caractère réversible.

La sûreté et la sécurité doivent également faire l'objet d'une attention particulière, les installations pouvant être la cible d'attaques terroristes.

Si le nucléaire est le coeur du bouquet énergétique, les énergies renouvelables, de plus en plus efficaces et de moins en moins coûteuses, en sont les poumons. Elles permettront de faire reculer la précarité énergétique. La technologie photovoltaïque avance à pas de géant : il faut investir à l'échelon européen, comme pour les batteries ou l'hydrogène, car nous dépendons fortement des fournisseurs asiatiques.

Quant aux craintes sur l'intermittence de ces énergies, les solutions sont à portée de main. Il faut poursuivre le travail et les investissements pour développer des solutions nouvelles, comme la conversion de l'électricité en hydrogène.

Pour éviter les déceptions, fixons des objectifs réalistes et évitons les promesses politiciennes utopiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Daniel Salmon .  - Abandonner les énergies fossiles est un impératif pour la survie de l'humanité.

Nous sommes à un tournant. Nos choix engageront la France pour des décennies, voire des millénaires. Face à cela, deux options : la vôtre, à savoir la relance d'un nucléaire fragile, obsolète et dangereux ; la nôtre, qui est un engagement immédiat dans les énergies renouvelables et une sortie programmée du nucléaire.

Ouvrons les yeux : le nucléaire n'est pas une énergie d'avenir ! Le Gouvernement s'arc-boute sur des schémas du XXe siècle.

Les EPR sont coûteux - le chantier de Flamanville a vu son coût multiplié par six.

M. Bruno Sido.  - Pour l'instant !

M. Daniel Salmon.  - EDF est au bord de la faillite et confrontée à un problème de sûreté et de sécurité des déchets. Dix ans après Fukushima, nous ne pouvons plus jouer les apprentis sorciers.

Qui peut dire ce que sera notre société dans dix ans, dans cent ans ? Les hôpitaux sont déjà victimes de cyberattaques ; l'industrie atomique est d'une vulnérabilité extrême, aggravée par l'échelonnement des mises aux normes des vieux réacteurs. Selon l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), un accident nucléaire coûterait au minimum 400 milliards d'euros. (Marques d'agacement sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

L'étude RTE-AIE du 27 janvier estime difficile, mais possible d'atteindre une énergie totalement décarbonée en 2050, à certaines conditions. Le 100 % renouvelable est donc réalisable.

Mme Sophie Primas.  - Quand ?

M. Stéphane Piednoir.  - À quel prix ?

M. Daniel Salmon.  - C'est un choix de société qui doit résulter d'une délibération parlementaire voire, pourquoi pas, d'un référendum. Le funeste projet Hercule est profondément antidémocratique. Le nucléaire et la démocratie n'ont jamais fait bon ménage... Pendant ce temps, Photowatt se meurt.

Des économies d'énergie couplées à une montée en puissance des énergies renouvelables, une production tout à la fois décentralisée et en réseau, voilà la vraie transition énergétique que nous défendons. Le GEST votera contre cette proposition de résolution qui est à l'opposé.

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La politique publique énergétique française serait marquée du sceau de l'indécision, selon les auteurs de cette proposition de résolution. C'est bien réducteur : assurer à la fois le développement des énergies renouvelables et le maintien du nucléaire, ce n'est pas tergiverser. Afin de conforter notre souveraineté énergétique, il ne faut pas dépendre d'une seule source : nous avons besoin du nucléaire mais aussi des énergies renouvelables.

Le code de l'énergie vise la neutralité carbone à l'horizon 2050. Cette ambition est compatible avec notre politique énergétique. L'empreinte carbone de la France est de 6,9 tonnes de carbone par habitant : nous sommes très bien placés en Europe, et le nucléaire y contribue avec des émissions de 35 grammes équivalent CO2 par kilowattheure, contre 1 200 grammes pour le charbon. Celui-ci représente 0,2 % de notre mix énergétique, contre 29 % en Allemagne. En 2022, nous fermerons quatre centrales à charbon.

Nous devons aussi augmenter notre production d'énergies renouvelables pour atteindre l'objectif de 33 % en 2030. C'est faisable. L'an dernier, les énergies renouvelables représentaient déjà 26,9 % de notre consommation électrique, en hausse de quatre points par rapport à 2019.

Le Gouvernement maintient le cap et injecte 30 milliards d'euros dans la transition écologique via le plan de relance, dont 2 milliards pour l'hydrogène vert - soutien qui pourrait atteindre 7 milliards d'euros d'ici 2030 pour faire de la France un pays moteur en la matière.

Sept parcs d'éolien en mer seront construits d'ici 2026, pour un total de 350 éoliennes.

Le nucléaire est un atout : nous sommes d'accord sur ce point et le Président de la République l'a rappelé le 8 décembre au Creusot : « l'avenir énergétique et écologique de la France passe par le nucléaire ».

Plusieurs pays européens comme la Finlande ou les Pays-Bas sont aussi engagés dans cette voie et étudient la création de nouveaux réacteurs.

Il est vrai que l'EPR de Flamanville accumule les déconvenues ; nous devons poursuivre nos efforts en matière de sûreté et de gestion des déchets.

Le nucléaire, c'est aussi 2 600 entreprises et 220 000 emplois sur notre territoire. Le plan de relance injecte 500 millions d'euros, dont 100 millions d'euros dès cette année, pour moderniser la filière. Les centrales du Tricastin, dans mon département de la Drôme, et de Cruas, de l'autre côté du Rhône, représentent 12 % de la production nucléaire française. Un grand nombre d'élus territoriaux ont signé une lettre pour manifester leur soutien total à l'accueil de l'EPR2 sur le site du Tricastin.

Il faudra aussi diversifier la production grâce aux petits réacteurs nucléaires, plus faciles à installer et à brancher sur le réseau. Ne tardons pas si nous visons l'exportation : nous ne sommes pas seuls sur ce marché, la Chine, la Russie et les États-Unis sont dans la course.

L'urgence climatique nous impose d'agir sur la consommation finale. La baisse constatée entre 2012 et 2019 est insuffisante, dit l'exposé des motifs - mais le Gouvernement n'est pas inactif. En témoigne le succès de MaPrimeRénov', avec 780 000 demandes. Avec la RE2020, nous nous sommes dotés de l'une des réglementations environnementales du bâtiment neuf les plus ambitieuses d'Europe.

Si nous soutenons le nucléaire et sa modernisation, nous devons aussi faire confiance à notre savoir-faire et à nos capacités d'adaptation pour enrichir notre mix énergétique. Ne partageant pas le déclinisme qui irrigue cette proposition de résolution, nous voterons contre.

M. Christian Bilhac .  - L'État, les collectivités territoriales, les entreprises se sont engagées sur l'objectif de la neutralité carbone à l'horizon 2050. La Commission européenne a proposé un objectif de baisse de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030.

La stratégie nationale bas carbone repose sur une augmentation de la part de l'électricité de 25 % à 50 % des besoins énergétiques finaux d'ici à 2050. Or la réduction de la part du nucléaire menace la stabilité de notre approvisionnement électrique. La demande est appelée à augmenter ; l'abandon du gaz pour chauffer les logements est prématuré. On demande aux Français de remplacer leur chaudière au charbon ou au fioul par une pompe à chaleur électrique, leur diesel par un véhicule électrique ou hybride : cela va entraîner une croissance exponentielle de la consommation électrique ! (Mme Sophie Primas approuve.)

Malgré le report de la construction de six EPR, le soutien du Président de la République à la filière, affiché le 8 décembre au Creusot, est sans équivoque.

Le rapport de RTE et de l'AIE envisage huit scenarios avec différentes pondérations du nucléaire, de 50 % à 0 % en 2050. Cet exercice de prospective est utile : ne pas le faire serait irresponsable. Il faut décarboner notre mix énergétique et éviter les pénuries.

Mais la proposition de résolution ne dit rien des énergies renouvelables. Devenues compétitives, elles méritent qu'on leur donne un coup d'accélérateur. Or les recours contre les parcs éoliens ou solaires par des associations dites environnementales se multiplient, comme dans l'Hérault où un parc éolien a été condamné à la destruction ; l'éolien en mer est lui aussi embourbé dans les recours.

Mme Sophie Primas.  - Des recours des écologistes !

M. Christian Bilhac.  - La piste des économies d'énergie a été peu exploitée : notre parc de logements est énergivore, les travaux peu efficaces et les contrôles insuffisants.

Le stockage de l'énergie est une piste d'avenir ; j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ce point devant le Sénat lors du récent débat sur l'hydrogène vert. Conservons notre parc nucléaire tant qu'il n'y aura pas d'autre solution viable, et développons les énergies renouvelables. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Fabien Gay .  - J'aborde sans a priori dogmatique cette proposition de résolution axée sur l'électricité d'origine nucléaire.

Face à l'urgence d'une révolution environnementale globale, à la nécessité de sortir douze millions de nos concitoyens de la précarité énergétique, d'assurer notre souveraineté, comment bâtir une meilleure complémentarité entre les différentes sources d'énergie ?

Il faut une planification, une mobilisation de moyens financiers et de la recherche et développement. Ces choix doivent être citoyens et éclairés, et non l'apanage du Président de la République.

Le nucléaire est un atout incontestable : c'est l'énergie la plus décarbonée. (Plusieurs « Bravo ! » sur les travées du groupe Les Républicains) C'est aussi une énergie pilotable, qui nous préserve des blackouts.

Mais n'oublions pas les accidents de Tchernobyl ou de Fukushima. Il faut un haut niveau de compétences dans la surveillance des établissements : seul le service public en est le garant. Or la proposition de résolution est muette sur ce point. Muette aussi sur la notion de bien public garanti à tous, qui doit être hors du champ de la concurrence.

Certes, vous rappelez la nécessité de garantir le pouvoir d'achat des citoyens, mais sans mentionner l'échec de la libéralisation de l'électricité, ni l'Arenh qui oblige EDF à vendre une partie de son énergie d'origine nucléaire à ses concurrents !

Or ce bilan est le vôtre, chers collègues, à commencer par la hausse des tarifs pour les usagers. Savez-vous que 40 % de la hausse des tarifs réglementés a pour but de permettre aux concurrents de l'opérateur historique de proposer des tarifs égaux ou inférieurs ? Les ménages paient pour les actionnaires des opérateurs alternatifs.

Pourquoi ne pas demander au Gouvernement d'abandonner le projet Hercule, héritage du dogme dépassé de la concurrence libre et non faussée ? S'il est adopté, le nucléaire sera repris par EDF Bleu, qui portera toute la dette pour permettre la rentabilité des activités privatisées. La complémentarité entre énergies doit être assurée dans un groupe intégré.

Le cadre public reste indispensable, c'est pourquoi le groupe CRCE s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Denise Saint-Pé .  - Je tiens à remercier le groupe Les Républicains pour cette proposition de résolution, qui nous permet d'évoquer la politique énergétique du Gouvernement. La crise sanitaire ne doit pas faire oublier les dérèglements climatiques de long terme. Or le projet de loi Climat et résilience comporte bien peu de dispositions sur cette dimension - et des dispositions très frileuses.

Les énergies renouvelables sont intermittentes et non pilotables : RTE a ainsi dû demander en janvier 2021 à nos concitoyens de réduire leur consommation d'électricité. De plus, de nombreux projets d'énergies renouvelables sont contestés.

Le Gouvernement semble réticent à développer le biogaz issu de la méthanisation agricole, puisque la RE2020 écarte le chauffage au gaz dans les bâtiments neufs. Les investissements de modernisation des infrastructures des barrages hydroélectriques sont suspendus dans l'attente d'une décision de la Commission européenne.

La filière hydrogène est prometteuse mais doit se structurer pour devenir rentable et écologique, ce qui prendra du temps.

Dans ces conditions, je pense, comme le Président de la République, que le nucléaire doit faire partie de la solution, car c'est une énergie décarbonée. Malheureusement, son sort est lié au dangereux projet Hercule. Il convient que le Gouvernement clarifie son positionnement sur ce sujet. Reste à convaincre l'opinion sur la sécurité et le coût, alors que l'entrée en service de l'EPR de Flamanville risque d'être retardée. Le nucléaire doit être intégré à notre politique énergétique, mais il n'en est pas l'unique horizon.

Mon groupe votera majoritairement ce texte, mais je m'abstiendrai à titre personnel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je remercie les auteurs de cette proposition de résolution dont le titre est encourageant : les ambitions écologiques sont en effet mises sur un pied d'égalité avec notre politique énergétique. Cependant, son contenu invite à davantage de prudence.

Ainsi, les auteurs de ce texte estiment irréalisable de parvenir à une consommation plus sobre ; or seule une réelle volonté politique nous permettra d'atteindre cet objectif.

Deuxième point de divergence, le tout-nucléaire. Ne nous laissons pas enfermer dans une opposition stérile autour du nucléaire, et trouvons un juste milieu : nous ne pourrons pas nous en passer du jour au lendemain.

Il faut augmenter la part des énergies renouvelables, mais le Gouvernement fait preuve d'une impréparation inquiétante ; nous avions pourtant pointé les retards lors du débat sur le blackout. La centrale à charbon de Saint-Avold a été mise à contribution à vingt-deux reprises cet hiver, et nous avons importé de l'électricité allemande, très largement issue du charbon : cela montre notre échec.

La cohérence de notre politique énergétique repose sur une véritable planification, avec un programme de décarbonation de la production et de transformation de la consommation. Le rééquilibrage de notre bouquet énergétique engagé par Ségolène Royal, avec une réduction de la part du nucléaire, doit se poursuivre.

L'échec de Flamanville est le résultat d'une défaillance de l'État qui a privilégié son rôle d'actionnaire au détriment d'un pilotage de long terme.

Le développement des énergies renouvelables est encourageant : elles représentent 30 % de notre consommation électrique. L'éolien est désormais la troisième source de production.

Le Gouvernement doit être en mesure de mettre en oeuvre une production souveraine d'énergie. Malheureusement, nous nous privons de capacités d'agir en privatisant Engie ou EDF et en niant l'importance de l'État stratège. La question d'un vrai service public de l'énergie doit être posée. Nos indécisions d'aujourd'hui seront payées par les générations de demain.

Le groupe SER s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Sophie Primas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis un an, la commission des affaires économiques demande un débat transparent devant le Parlement sur notre politique énergétique. Je me réjouis que cette proposition de résolution le provoque.

Au printemps, la pandémie a plongé le secteur de l'énergie dans une crise inédite, provoquant une chute de la demande mondiale de 5 %. Selon l'Agence internationale de l'énergie, la crise de la covid-19 a causé plus de perturbations que tout autre événement dans l'histoire récente.

Les projets de restructuration se multiplient  - Hercule, Bright, Total Énergie... - et la succession d'annonces anxiogènes pose de graves questions.

Sur le plan de la souveraineté, nous assistons à un affaiblissement de notre appareil productif, à une perte de compétences, d'envie, d'enthousiasme autour de ce qui fait la force de notre modèle : l'atome.

De fait, deux réacteurs ont déjà été arrêtés, les premiers d'une série de quatorze d'ici à 2035. EDF envisage d'ouvrir un tiers du capital d'une nouvelle entité dénommée EDF Vert, Engie restructure les deux tiers de ses activités de service, Alstom a cédé des turbines nucléaires à General Electric... Face à cette situation préoccupante, notre commission a reculé de dix ans l'objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire, car nous n'étions pas prêts, et poursuit son activité de contrôle sur EDF et Engie.

Notre transition vers une économie plus sobre en carbone est également mise à l'épreuve. La recherche nucléaire est en berne depuis l'arrêt du réacteur Astrid ; les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables sont remis en cause ; la réglementation environnementale induit des surcoûts très élevés ; les 12 milliards d'euros du plan de relance sont en réalité pour moitié des redéploiements de crédits. Bref, les moyens sont insuffisants. Notre commission avait pourtant proposé d'investir massivement dans l'industrie nucléaire, la rénovation énergétique et les énergies alternatives...

Le Gouvernement doit sortir du déni, admettre l'impact du Covid sur le secteur de l'énergie et réaffirmer sa confiance en l'énergie nucléaire.

Face à l'urgence climatique, cessons de tergiverser : nous ne décarbonerons pas notre économie sans le nucléaire. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) lui-même le dit : le nucléaire est le meilleur ami du climat !

Il nous faut accélérer l'achèvement de l'EPR de Flamanville, dynamiser les projets du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, conforter les missions de l'ASN, soutenir activement l'hydrogène nucléaire en attendant l'hydrogène vert.

Nos attentes sont bien plus ambitieuses que ce que prévoit le projet de loi Climat et résilience, étonnamment muet sur le nucléaire...

Baisser trop tôt la production nucléaire serait une faute. Le nucléaire doit retrouver une place de choix dans notre mix énergétique et notre R&D, ce qui n'est nullement contradictoire avec le développement des énergies renouvelables ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

M. Patrick Chauvet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La proposition de résolution pose la question de l'équilibre entre notre politique énergétique et nos ambitions écologiques.

Il faut résoudre l'équation entre le prix de l'énergie produite et consommée et le mix énergétique que nous souhaitons.

Nouvelles pratiques et nouvelles normes, télétravail et usages numériques impliqueront inévitablement une hausse des besoins en électricité. Nous devons pouvoir produire suffisamment, de manière responsable, au bon moment et au bon prix.

Produire suffisamment et proprement, c'est maintenir au minimum notre capacité nucléaire à son niveau actuel, tout en développant les énergies renouvelables.

Produire au bon moment, le nucléaire le permet - mais il faut aussi accentuer la R&D en matière de stockage de l'électricité.

Produire au bon prix, voilà la principale difficulté. L'Arenh, que renforce le projet Hercule, est un boulet au pied de l'opérateur historique qui l'empêche d'investir dans le nucléaire et les énergies renouvelables. Où en sont les négociations avec la Commission européenne sur cette question ?

Le coût maîtrisé de l'électricité en France est la conséquence de nos choix passés. En passant de 70 % à 50 % de nucléaire dans le mix, prenons garde à pouvoir investir dans d'autres sources d'énergie décarbonée - sans quoi nous devrons importer de l'énergie issue du charbon !

L'Europe possède le plus grand parc nucléaire au monde, mais la Chine et la Russie ont les plus grandes capacités de mise en service, et la Chine dépassera l'Europe vers 2030. L'Europe est à la croisée des chemins. Impulsons une véritable politique européenne de l'énergie, ambitieuse, décarbonée et indépendante ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Mme Angèle Préville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Oui, nous devons mettre en cohérence notre politique énergétique avec nos ambitions écologiques.

Notre production est décarbonée à 93 %, dont 70 % de nucléaire. Il faudra développer plus encore les énergies renouvelables pour compenser les futures fermetures de centrales, et notamment la petite hydroélectricité.

Pour décarboner, il faut réduire la consommation d'énergie fossile, surtout dans le transport, révolutionner nos modes de consommation et de production, limiter les déchets et le gaspillage, conditionner les aides publiques, investir davantage - 50 milliards d'euros de plus par an, selon Jean Pisani-Ferry.

Nos centrales nucléaires sont vieillissantes : poursuivre leur exploitation sera risqué, malgré le grand carénage. Le réchauffement des cours d'eau - la Garonne atteint 30 degrés l'été ! - et la baisse des débits complique le refroidissement, entraînant des arrêts répétés de certaines centrales. Que dire du fiasco de l'EPR Flamanville, qui sera raccordé au mieux en 2023 et aura coûté quatre à six fois plus cher que prévu... Enfin, quid de la gestion du cycle de vie de l'uranium ?

L'absence d'accidents sérieux depuis Fukushima ne signifie pas que la maîtrise du risque est définitivement acquise. Un accident en France, ce serait un demi-département rayé de la carte, contaminé pour des milliers d'années...

Aujourd'hui encore, on est obligé d'injecter en continu de l'eau dans les trois réacteurs de Fukushima.

L'exploitation minière de l'uranium est loin d'avoir toujours été vertueuse : le Limousin s'en souviendra longtemps... Les déchets ne sont toujours pas enfouis à Bure. Il est grand temps d'y remédier.

Les citoyens n'ont jamais été interrogés sur ce sujet pourtant crucial qui mêle souveraineté, indépendance et écologie ; il faudrait leur donner les moyens d'un choix éclairé.

La proportion de 50 % du nucléaire de ce mix actée dans la PPE nous paraît raisonnable. Aussi, le groupe SER s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Christian Klinger .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Alors que le Gouvernement s'apprête à créer le délit d'écocide, êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à reconnaître la fermeture de Fessenheim comme le premier écocide ?

La Cour des comptes a dénoncé un processus de décision chaotique. Cette fermeture est une triple faute.

Faute écologique d'abord : sans cette fermeture, nous n'aurions pas eu de tension sur les réseaux cet hiver, et dû recourir au charbon de Saint-Avold ni aux importations de gaz. L'impact est évalué à 10 millions de tonnes de CO2 en plus.

M. François Bonhomme.  - Beau résultat !

M. Christian Klinger.  - Cette décision a été néfaste pour l'environnement : ses responsables devraient donc être poursuivis pour délit d'écocide ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Faute économique et industrielle, ensuite : destruction de 2 000 emplois directs et indirects, répercussions sur les sous-traitants et commerçants avec une baisse du chiffre d'affaires estimée à 6 millions d'euros, ainsi que sur les collectivités territoriales, avec le prélèvement par l'État de 3 millions d'euros au titre du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR).

Cette fermeture a aussi des conséquences sur les finances publiques : 400 millions d'euros à EDF, sans compter le manque à gagner et les 2 milliards d'euros que coûtera le démantèlement.

Pourquoi avoir fermé Fessenheim ? La sûreté d'une centrale n'a rien à voir avec son âge : Fessenheim était sûre, rentable, et pouvait encore fonctionner pendant des années, selon l'ASN.

Cette fermeture, enfin, est une faute politique, car elle relève d'un choix politicien. Fessenheim a été sacrifiée sur l'autel d'un accord électoral entre le PS et les Verts en 2012. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) C'est une erreur historique !

Enfin, la reconversion du territoire n'a pas été anticipée et le projet de Technocentre, qui sera mis en service au mieux en 2029 avec 150 emplois, est très loin des attentes des Alsaciens. Dire que le Gouvernement voulait faire de Fessenheim le symbole de la reconversion industrielle et énergétique...

Les élus sont prêts à vous suivre sur un projet viable. Le plan de relance offre une chance : fléchons-en une partie pour la reconversion du territoire de Fessenheim. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports .  - Notre cohérence s'apprécie dans nos objectifs et nos investissements. Mais le grand défi est de garantir notre approvisionnement en donnant à la France les moyens de sa souveraineté énergétique, grâce à la diversité de nos sources d'énergie.

Cette stratégie est un héritage du Conseil national de la Résistance. Nous avons constitué l'un des portefeuilles d'approvisionnement en gaz les plus diversifiés d'Europe. Avec le nucléaire, nous avons une électricité parmi les moins carbonées au monde. Viser une part de 50 % de nucléaire dans le mix, c'est conserver une part prépondérante à une énergie qui représente 2 600 entreprises et 200 000 emplois directs et indirects. Le Gouvernement renforce la capacité d'investissement avec France Relance : nous mobilisons un demi-milliard d'euros pour soutenir les entreprises les plus sensibles, pour amplifier l'effort de R&D et moderniser un fleuron de notre industrie.

Parallèlement, nous devons accélérer le développement des énergies renouvelables, qui sont de plus en plus compétitives. D'ici 2030, 40 % de l'électricité produite en France sera renouvelable. Nous comptons quadrupler la puissance installée du solaire photovoltaïque d'ici 2028, doubler celle de l'éolien terrestre, tout en nous assurant de son acceptabilité, mieux exploiter le potentiel que représente l'éolien en mer en poursuivant la simplification administrative.

Des études montrent que nous pourrions aller au-delà de 40 % d'énergies renouvelables sans mettre en péril la sécurité de l'approvisionnement, et RTE analyse des scénarios de long terme. Ces travaux éclaireront les décisions qui seront prises au début du prochain quinquennat.

Notre mix énergétique ne se résume pas à l'électricité : il faut aussi transformer la filière gaz, développer le gaz renouvelable. En trois ans, nous avons multiplié par quatre le nombre d'installations de méthanisation et nous investissons 10 milliards d'euros dans le biogaz d'ici 2028.

Nous devons bâtir une filière française de l'hydrogène, nous assurer que l'hydrogène soit vert. L'électrolyse est l'option la moins coûteuse et la plus efficiente. Nous avons tous les atouts pour faire de la France l'un des leaders mondiaux de l'hydrogène, et investissons 7 milliards d'euros d'ici 2030 en ce sens.

Notre souveraineté dépend aussi de notre consommation : nous devons viser la sobriété, avec pour objectif de réduire notre consommation finale d'énergie de moitié d'ici 2050, notamment par la décarbonation des transports et la rénovation thermique des bâtiments.

Les décisions en matière d'énergie engagent les générations à venir.

La puissance de la France est intrinsèquement liée à sa production d'énergie. Nous sommes fidèles à l'ambition du général de Gaulle en la matière. Notre politique est cohérente avec nos ambitions écologiques et avec nos ambitions tout court ! (M. Frédéric Marchand applaudit.)

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°96 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 261
Pour l'adoption 227
Contre   34

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Franck Menonville applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.