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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Climat politique et crise sociale

Mme Éliane Assassi

M. Jean Castex, Premier ministre

Détournement d'un avion en Biélorussie

M. André Gattolin

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Suites de la manifestation des policiers

M. David Assouline

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur

Moyens aériens de la sécurité civile

M. André Guiol

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur

Orientation de la politique agricole commune

M. Joël Labbé

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement

Résilience de la France face aux cyberattaques

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable

Lutte contre les rodéos urbains

M. Hugues Saury

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Erreurs de calcul des retraites

M. Stéphane Demilly

Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée, chargée de l'insertion

Impact de la crise sur les plus précaires

M. Bruno Rojouan

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable

Déserts médicaux

M. Bernard Jomier

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles

Violences conjugales

Mme Valérie Boyer

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances

Suivi des auteurs de crimes et délits déclarés pénalement irresponsables

Mme Nathalie Goulet

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Pass Culture

M. Jean-Raymond Hugonet

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement

Algérie

Mme Laurence Rossignol

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Langues régionales

Mme Laurence Muller-Bronn

M. Jean Castex, Premier ministre

Données de santé des Français

Mme Christine Herzog

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles

Le Gouvernement en campagne

M. Stéphane Ravier

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur

Solidarité face à la crise

Discussion générale

Mme Raymonde Poncet Monge, auteure de la proposition de loi

M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable

M. Teva Rohfritsch

M. Christian Bilhac

M. Éric Bocquet

M. Jean-Michel Arnaud

M. Claude Raynal

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Marc Laménie

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Isabelle Briquet

ARTICLE 2

Mme Raymonde Poncet Monge

Pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal

Discussion générale

Mme Esther Benbassa, auteure de la proposition de loi

Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur de la commission des affaires économiques

M. Alain Griset, ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises

M. Henri Cabanel

M. Fabien Gay

Mme Françoise Férat

M. Franck Montaugé

M. Franck Menonville

M. Joël Labbé

Mme Marie Evrard

M. Laurent Duplomb

M. Arnaud Bazin

Discussion des articles

ARTICLE ADDITIONNEL avant l'article premier

ARTICLE ADDITIONNEL avant l'article 4

ARTICLE 4

Ordre du jour du jeudi 27 mai 2021




SÉANCE

du mercredi 26 mai 2021

99e séance de la session ordinaire 2020-2021

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Daniel Gremillet, M. Jean-Claude Tissot.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun veillera à respecter deux valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres et celui du temps de parole.

Climat politique et crise sociale

Mme Éliane Assassi .  - Ce quinquennat, qui devait révolutionner la politique, s'abîme dans des débats hystérisés, pour faire oublier que les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres.

Alors que le patrimoine des milliardaires a augmenté de 439 % - à ce compte, le Smic serait à 4 805 euros... -, le nombre de pauvres explose, la précarité frappe notamment les jeunes, l'hôpital attend son vaste plan et le pays de Pasteur son vaccin.

Les thèmes de la sécurité et de l'immigration sont agités en permanence pour détourner les Français du vrai débat : qui décide de notre destin collectif et avec quels moyens ?

Chaque jour, des projets de loi sont déposés en réaction à tel ou tel drame. Mais la France est inquiète de l'insécurité sociale, de la mise en cause des chômeurs, de la casse continue du droit du travail, elle s'inquiète pour l'avenir de ses enfants.

La crise a montré que la France et l'Europe sont riches. Les centaines de milliards dont vous disposez serviront-ils à maintenir le statu quo ou à bâtir une société plus juste et plus respectueuse de l'environnement ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Jean Castex, Premier ministre .  - C'est moins une question que l'extrait d'une déclaration de politique générale...

Oui, la France est inquiète : elle traverse une crise sans précédent, avec toutes ses conséquences économiques et sociales.

Mais le Gouvernement agit, tous azimuts, pour y faire face. Je ne minimise pas les difficultés du temps présent ; mais, en toute humilité, je vais vous donner quelques éléments de réponse.

D'abord, la situation sanitaire s'améliore, n'en déplaise aux oiseaux de mauvais augure... (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Je parle en général bien sûr ! (On feint de se rassurer sur les mêmes bancs.) Hier, il y avait moins de 3 500 patients hospitalisés pour la covid. Nous allons dépasser ce soir les 24 millions de Français vaccinés. Les variants sont stabilisés. Ce sont les fruits de nos efforts collectifs.

Sur le plan économique et social, objet de votre question, au début de la crise sanitaire, la France ne se portait pas mal dans le concert des nations. (On le conteste à gauche.)

La France a agi pour accompagner son économie. Quand vous allez au contact des acteurs économiques, ils vous disent que l'État français ne les a pas laissés tombés, même si des imperfections demeurent. En 2020, le pouvoir d'achat a progressé de 0,6 %, malgré l'effondrement de l'économie ! Nous sommes le pays qui a le mieux fait en ce domaine ! (Mme Éliane Assassi en doute.) La France est désormais le grand pays de la zone Euro qui a le moins perdu d'activité. Il faut rester mobilisés, débrancher très progressivement les dispositifs d'accompagnement, relancer vigoureusement notre économie... Mais nous devons être fiers de notre action collective, y compris pour les plus pauvres. (Murmures à gauche)

La reprise repose aussi sur la psychologie. Les indicateurs dont nous disposons sur le moral des Français sont favorables. Réjouissons-nous !

Tout le Gouvernement est mobilisé pour soutenir le redémarrage du pays. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP, RDSE et UC)

Détournement d'un avion en Biélorussie

M. André Gattolin .  - I-ni-ma-gi-nable.... et pourtant il l'a fait ! Il ne s'agit pas d'un acte héroïque ou d'un exploit sportif, mais de l'acte de piraterie aérienne d'État ordonné dimanche dernier par le président autocratique Loukachenko. J'ai cru un instant à un canular... quel acte de folie !

Pourquoi une telle violation du droit international dans le seul but d'arrêter un jeune journaliste ? Je ne suis pas le seul à avoir été sidéré, monsieur le ministre, si j'en juge par votre réaction. (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains)

Des sanctions européennes inédites ont été prises face à cet acte d'une gravité encore plus inédite.

Mais le Président de la République s'interroge lui-même sur les limites de telles actions : « la politique des sanctions progressives sur des situations gelées n'est plus une politique efficace » a-t-il dit. Sommes-nous au bout des sanctions applicables à ce pays ? Ne pourrait-on pas les élargir à quelque 10.000 cadres qui sont la seule base du régime ? La France est-elle prête à demander l'activation de l'article 88 de la Convention de Chicago pour que la Biélorussie perde ses droits au sein de l'Assemblée de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Le Gouvernement partage votre indignation : c'est un acte de piraterie d'État, c'est une prise d'otages par l'air. De tels gouvernements n'ont plus de limite...

Le Conseil européen de lundi soir a réagi avec fermeté et unité : les mesures prises s'appliquent dès aujourd'hui avec l'interdiction de survoler la Biélorussie et de se poser en Europe pour les compagnies bélarusses.

Et nous irons plus loin. La Commission doit préparer des sanctions supplémentaires aux 88 décidées à la suite des élections truquées d'août dernier. Ces sanctions seront élargies aux milieux proches du pouvoir afin de les empêcher de venir et de commercer en Europe.

L'OACI se réunira demain à Montréal et une enquête devrait être diligentée.

Nous restons très fermes vis-à-vis de Loukachenko dont nous ne reconnaissons ni l'élection ni la politique aveugle de répression. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP, RDSE et UC)

Suites de la manifestation des policiers

M. David Assouline .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Monsieur le ministre de l'Intérieur, vous êtes aussi celui de l'organisation des élections, responsable de leur impartialité.

Pensez-vous que votre annonce d'une attaque pénale contre une candidate aux élections régionales soit compatible avec vos fonctions ? Confirmez-vous cette annonce ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE)

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur .  - Je commencerai par réaffirmer avec force mon soutien à la police républicaine et à la gendarmerie nationale, comme tout républicain devrait le faire, ce que vous n'avez pas fait, monsieur le sénateur. Je suis fier d'être à la tête de ce ministère qui a été récemment endeuillé par deux assassinats particulièrement ignobles.

J'ai trouvé très particuliers les propos de certaines personnes, dont Mme Pulvar, notamment envers la police de la République. Mme Pulvar a corrigé une partie de ses propos sur LCI. Je lui ai proposé de la rencontrer la semaine prochaine et j'espère que son agenda le lui permettra.

Oui, notre police est louable et forte et elle mérite tout notre soutien, sans réserve ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur diverses travées du groupe UC)

M. David Assouline.  - Vous ne m'avez pas répondu sur le fond.

Oui, nous devons protéger ceux qui nous protègent : nous l'avons dit, pensé et nous avons agi en ce sens lorsque nous étions au pouvoir ! (M. Gérald Darmanin, ministre, semble en douter.)

En revanche, vous n'êtes pas autorisé à tenter d'intimider une candidate. Votre rôle est de garantir un débat politique apaisé, mais vous préférez créer de l'agitation et du désordre par des opérations de communication et de saturation médiatique, alors que les citoyens attendent de votre part de la stabilité, de la cohésion et des actions efficaces.

Commencez vous-même par respecter notre État de droit et la séparation des pouvoirs, avec la sérénité que votre fonction exige ! (Applaudissement sur les travées des groupes SER et CRCE)

Moyens aériens de la sécurité civile

M. André Guiol .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Ma question s'adresse à M. le ministre de l'Intérieur dans un tout autre registre...

Comme chaque année dans le Var, la même question revient : un Dragon 83 sera-t-il affecté à notre département cette année ? Le problème de la maintenance et de la disponibilité des équipages semble se poser cette année. Comment préparer la saison 2021 en termes de moyens aériens ? Le nombre de bombardiers d'eau amphibies, les Canadair, est insuffisant. Or ils offrent un appui indispensable à nos sapeurs-pompiers sur le terrain.

Les forêts de la France, du Portugal, de l'Espagne, de la Grèce flambent chaque année. Ne peut-on envisager une stratégie européenne de fabrication ou d'acquisition de ces appareils ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur .  - Nos sapeurs-pompiers, professionnels ou volontaires, et les acteurs de notre sécurité civile méritent tout notre soutien.

La proposition de loi Matras, bientôt portée devant le Sénat, vise à renforcer considérablement le volontariat de sécurité civile dans notre pays.

Le nombre de Dragon est passé de 38 à 34 à la suite d'accidents et de défauts de matériels, ce qui handicape notre système de sécurité civile. Or ils sont de plus en plus sollicités, y compris au nord de la Loire, sans compter plus de 600 interventions sanitaires dans le cadre de la covid-19.

Nous avons déjà commandé deux appareils supplémentaires et nous comptons revenir à 38 hélicoptères d'ici 2023.

La flotte de bombardiers d'eau sera renouvelée, grâce à des moyens supplémentaires. Je rappelle que 90 % du financement de ces appareils est assuré par la Commission européenne. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Orientation de la politique agricole commune

M. Joël Labbé .  - La semaine dernière, le ministre de l'Agriculture, dont je regrette l'absence, nous a présenté le plan stratégique national pour la politique agricole commune (PAC) 2023-2027. Cela nous a immédiatement déçus.

En dépit des alertes et des signaux qui pointent l'urgence écologique, le ministre a choisi une PAC du quasi statu quo, qui fige les inégalités existantes et un modèle ni durable, ni créateur d'emploi, ni rémunérateur, ni conforme aux attentes de nos concitoyens.

La transition agroécologique ne bénéficiera d'aucun moyen supplémentaire. France Stratégie avait pourtant conclu que l'agriculture bio était la plus performante en termes économique et environnemental.

Après avoir supprimé l'aide nationale au maintien, vous avez décidé de réduire de 66 % les aides PAC pour le maintien en bio et vous les avez alignées sur la Haute Valeur Environnementale (HVE), système inopérant.

Le Gouvernement va-t-il revoir sa copie pour proposer un plan stratégique national à la hauteur des enjeux ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement .  - Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Julien Denormandie, qui se trouve à Bruxelles pour assister au Conseil européen.

Il faut tordre le cou à cette rumeur : non, le soutien à l'agriculture bio ne diminue pas. Il passe de 250 millions à 340 millions d'euros par an, soit une hausse de 30 %. Dans votre département du Morbihan, cela représente 3,9 millions, soit une hausse d'un million par an.

Cet investissement massif est à la hauteur de notre objectif de doubler les surfaces en bio d'ici 2027, dans une logique conquérante et ambitieuse.

Nous assumons la volonté de créer une filière d'excellence, pas seulement avec des aides au maintien, mais dans une stratégie de conquête avec les aides à la conversion.

Notre investissement de 1,2 milliard d'euros pour la transition agricole dans le plan de relance montre notre engagement exceptionnel, avec les agriculteurs et pas contre eux. Nous préférons réussir plutôt que brimer. La transition agricole doit être menée avec les exploitants. Nous forgeons une agriculture respectueuse des hommes, des animaux et de la terre. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Résilience de la France face aux cyberattaques

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Une attaque informatique a récemment paralysé un oléoduc majeur sur la côte Est des États-Unis. Les infrastructures énergétiques sont une cible privilégiée des cyberattaques. C'est pourquoi le président Biden a annoncé un plan de 20 milliards d'euros pour la cyberprotection des réseaux.

La France n'est malheureusement pas à l'abri de ces menaces : notre pays aussi a été ciblé par des actions de déstabilisation lors des dernières présidentielles. Mais des hôpitaux, aussi, ont été attaqués, ainsi que des médias. Une campagne de désinformation est également en cours contre le vaccin Pfizer. Les commanditaires, probablement russes, cherchent à perturber la vaccination et donc la reprise économique.

Mais la France n'est pas démunie. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) veille, mais les cyberattaques ont quadruplé entre 2019 et 2020.

À l'approche des élections de 2022, sommes-nous prêts à faire face à l'intensification de ces attaques ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable .  - Non, la France n'est pas à l'abri des cybermenaces, qui ne cessent d'augmenter. Le nombre de leurs victimes a quadruplé en un an selon l'Anssi.

Toutes les organisations doivent désormais intégrer ce risque. Notre stratégie d'accélération cyber, qui comporte six axes, est financée à hauteur de 1,4 milliard d'euros. Sous l'autorité de Cédric O, elle vise à développer des solutions souveraines, à renforcer les liens entre les acteurs de la filière, à soutenir la demande, à renforcer la formation aux métiers émergents de la cybersécurité, à renforcer les fonds propres des entreprises du secteur et à porter une attention particulière à la cybersécurité des établissements de santé.

Des démonstrateurs de sécurité travaillent et les moyens de l'Anssi ont été accrus depuis 2017. Nous avons lancé un appel à manifestations d'intérêt auprès des collectivités, des établissements de santé et des ports, et un plan de sécurisation des administrations est doté de 136 millions d'euros.

La mise en place d'un campus du cyber en 2021 permettra de développer des synergies entre tous les acteurs. Nous continuerons d'accélérer pour améliorer notre cybersécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Lutte contre les rodéos urbains

M. Hugues Saury .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un jeune homme de 20 ans mort, un enfant de 5 ans grièvement blessé alors qu'il traversait à vélo sur un passage protégé ; à Lyon, une femme fauchée par deux jeunes à scooter. Chaque semaine, les rodéos motorisés font la une des médias, malgré la loi du 3 août 2018 qui en fait un délit puni d'une peine d'emprisonnement allant de un à cinq ans. Le phénomène perdure et même s'amplifie. Pourquoi ?

D'abord, les policiers ont pour consigne de ne pas aller au contact, par peur des accidents et des émeutes urbaines ; c'est un redoutable aveu d'impuissance. Conséquence : le sentiment que certains individus ne sont pas tenus de respecter les lois de la République.

De plus, la confiscation des véhicules est mise en oeuvre de manière marginale, et les engins saisis sont le plus souvent restitués aux fauteurs de troubles.

Enfin, l'État a été récemment condamné pour son inaction en la matière, preuve que la loi n'est pas appliquée comme il le faudrait.

Tout cela crée un sentiment de totale impunité, incompatible avec la légitime attente de sécurité de nos concitoyens. Face à ce constat d'échec, qu'allez-vous faire contre ce fléau ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Précision utile : la condamnation de l'État ne concerne pas des faits imputables à ce Gouvernement.

Depuis la loi du 3 août 2018, nous avons fait voter la loi Justice de proximité qui permet les saisies immédiates de scooters. J'ai demandé aux maires qu'ils conservent les véhicules saisis - la garde coûte 50 millions d'euros par an à la justice.

Enfin, nous avons considérablement progressé et non pas régressé, comme vous le dites : en 2018, il y eut 92 condamnations, 697 en 2019 et 991 en 2020, soit une multiplication par dix des condamnations intervenues pour les rodéos urbains.

J'ai pris une circulaire reprenant les 350 infractions dites de basse intensité, pour que les parquets appliquent les textes avec la plus grande fermeté. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Erreurs de calcul des retraites

M. Stéphane Demilly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dans son rapport de mardi dernier, la Cour des comptes a certifié les comptes 2020 de plusieurs branches de la sécurité sociale, moyennant « un nombre accru de réserves ». Elle souligne en particulier de nombreuses et croissantes erreurs dans le calcul des prestations retraites de la CNAV : cela concernerait une prestation sur six, nouvellement attribuée ou révisée ! Dans la grande majorité, ces erreurs sont au détriment des retraités.

L'impact cumulé est estimé à 1,6 milliard d'euros. La moitié des retraités lésés avaient subi un préjudice égal ou supérieur à 123 euros par an. C'est beaucoup sur une retraite moyenne de 1 393 euros nets mensuels. Il y a cinq ans, les erreurs ne concernaient qu'un dossier sur neuf.

De plus, les erreurs concernent surtout les retraites les plus modestes. La Cour des comptes relève que le taux d'erreur se monte à 23 % pour l'allocation de solidarité aux personnes âgées.

Comment redonner confiance à nos concitoyens et améliorer la fiabilité du système ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée, chargée de l'insertion .  - En effet, les erreurs de calcul ont augmenté ces dernières années. L'erreur médiane est de l'ordre de 10 euros par mois, en défaveur des assurés. Ce calcul est extrêmement complexe, compte tenu notamment des 42 régimes de retraite et de la complexification des carrières.

L'assurance retraite fait un travail considérable pour détecter et corriger ces erreurs. Au moins 40 % des anomalies sont corrigées dans les semaines et mois qui suivent leur identification. Elle a mis en place un plan d'action global pour mieux comprendre les raisons de ces erreurs, pour former ses personnels et revoir ses systèmes informatiques. Les effets de ce plan sont attendus dès cette année, sous le contrôle attentif d'Élisabeth Borne et de Laurent Pietraszewski. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Impact de la crise sur les plus précaires

M. Bruno Rojouan .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il n'y a pas si longtemps, les gilets jaunes mettaient au jour les fractures, sociales, économiques et territoriales qui minent notre société.

La covid et les confinements ont mis un frein aux contestations, mais les reproches contre votre politique n'ont pas cessé pour autant. Depuis 2017, le quotidien des classes populaires ne s'est pas amélioré.

Votre politique est très éloignée des préoccupations des Français ruraux et modestes. Prendre le vélo et les transports en commun, abandonner le diesel et les chaudières au fioul : vous les sommez de s'adapter, mais attention au choc en retour !

Malgré le « quoi qu'il en coûte », la France populaire n'y trouve pas son compte. Monsieur le Premier ministre, avez-vous conscience que la France populaire gronde et que la plus petite décision malheureuse peut raviver les tensions ? Comment comptez-vous résorber ces fractures ?

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable .  - Oui, la crise sanitaire a affecté plus durement les ménages les plus modestes. Je n'énumérerai pas toutes les aides transverses et sectorielles que nous avons apportées, mais en faisant tenir l'économie par des mesures de soutien, ce sont d'abord ces ménages que nous avons fait tenir.

Des aides exceptionnelles, légitimes, ont été versées aux plus fragiles pour un milliard d'euros en novembre 2020, notamment aux bénéficiaires du RSA, à 4,1 millions de familles bénéficiaires des aides au logement et à 560 000 jeunes précaires. Nous avons augmenté l'allocation de rentrée scolaire et développé l'hébergement d'urgence. Ces aides atteignent leur cible : les deux tiers vont aux 20 % les moins riches, selon une étude du Trésor publiée fin 2020.

Le niveau de vie des plus modestes ne s'est pas détérioré pendant la période, estime une étude du Conseil économique, social et environnemental.

Les plus fragiles sont au coeur de nos préoccupations depuis 2017. Nous n'avons pas attendu la crise pour supprimer la taxe d'habitation et réduire de 5 milliards d'euros l'impôt sur le revenu. (Mouvements à gauche comme à droite) Le cap ne change pas : nous continuons à travailler à l'augmentation du pouvoir d'achat des plus fragiles ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Déserts médicaux

M. Bernard Jomier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La question des déserts médicaux est toujours d'actualité. Beaucoup de collectivités territoriales prennent des initiatives pour résoudre ces injustices territoriales. Il y a deux ans, le Sénat a proposé d'affecter pour six mois les internes en fin de cursus en zone sous-dense en ville. Ce dispositif a été adopté dans la loi du 24 juillet 2019. Or les textes d'application nécessaires n'ont toujours pas été pris. Quand donc appliquerez-vous cette loi ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, RDSE, INDEP, UC et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles .  - Cette mesure avait été proposée par la sénatrice Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La question des déserts médicaux est ancienne, elle touche aussi les territoires urbains - vous le savez, comme sénateur de Paris.

Le nombre de généralistes et spécialistes en accès direct baisse depuis des années. Le Gouvernement en a fait une priorité.

M. Franck Montaugé.  - Répondez à la question !

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Nous avons ainsi créé les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), au plus près des besoins locaux. La crise de la covid a révélé l'efficacité de ces dynamiques territoriales. (On s'impatiente à gauche, où l'on invite le ministre à répondre précisément à la question.)

Nous avons créé 400 postes d'assistants médicaux pour seconder les médecins et déployé 600 généralistes dans des territoires prioritaires, dont 200 sur les territoires ruraux, en exercice partagé entre hôpital et ambulatoire.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Je reviendrai vers vous dans les meilleurs délais pour vous répondre sur la publication des décrets... (Vives exclamations à gauche)

M. Bernard Jomier.  - Nous ne savons donc pas quand les décrets seront publiés... Cette mesure, adoptée après un échange entre les deux chambres, fait pourtant consensus. Nous vous avons laissé de la latitude dans la rédaction, mais vous refusez d'appliquer la loi. C'est un vrai problème démocratique !

Le projet de loi 3D - ou 4D, on ne sait plus trop... - arrive bientôt. Inscrivons-y la reconnaissance du rôle des collectivités territoriales dans les dispositifs territoriaux de santé. Respectez notre rôle ! (Applaudissements nourris sur toutes les travées, à l'exception de celles du RDPI)

Violences conjugales

Mme Valérie Boyer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Stéphanie, jeune maman, est abattue en pleine rue par son compagnon, ex-détenu et réfugié. Dans l'Essonne, une femme est tuée à coups de marteau devant son fils de 11 ans. À Mérignac, Chahinez est brûlée vive en pleine rue par son compagnon.

Monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire pour corriger ces failles et éviter que de tels drames se reproduisent ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances .  - Je connais votre engagement dans la lutte contre les violences conjugales. Trop longtemps, notre société a été sourde aux cris d'alarme, aveugle face aux souffrances et muette face aux violences faites aux femmes.

Depuis 2017, la mobilisation du Gouvernement et de la majorité est totale. Quatre lois ont été votées en quatre ans, et le Grenelle des violences conjugales a donné lieu à 46 mesures, dont l'ordonnance de protection, le téléphone grave danger, le bracelet anti-rapprochement, l'augmentation de 60 % des places d'hébergement dédiées.

Hier, j'ai annoncé l'extension des horaires du 3919, sur tout le territoire, pour toutes les femmes, y compris malentendantes ou sourdes. Fin août, cette ligne sera accessible sept jours sur sept, 24 heures sur 24.

Vous avez pu constater que nous menons ce combat de manière déterminée. Chaque féminicide est un drame. C'est ensemble, État, collectivités territoriales et société civile, que nous arriverons à enrayer ce fléau. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Valérie Boyer.  - Ces drames auraient pu être évités si vous vous donniez les moyens d'appliquer la loi. Seulement 76 bracelets anti-rapprochement prescrits, et 45 hommes équipés. Vous refusez d'augmenter le budget.

Vous libérez les conjoints violents faute de place de prison : 15 000 places promises, 1 500 construites...

Vous avez refusé les peines planchers, la déchéance du statut de réfugié en cas de crime et délit, le name and shame en cas de violence conjugale.

Hier, nous avons voté la reconnaissance du syndrome de la femme battue - malgré l'opposition du Gouvernement.

La ministre des Sports défend le hijab dans le cadre du sport et ne s'émeut nullement qu'on choisisse pour l'hymne des Bleus un rappeur qui chante le viol d'une femme politique.

M. André Reichardt.  - Un scandale !

Mme Valérie Boyer.  - Votre Gouvernement, c'est beaucoup de communication, mais la grande cause du quinquennat se perd dans les méandres du « en même temps », voire du séparatisme. C'est regrettable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

Suivi des auteurs de crimes et délits déclarés pénalement irresponsables

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Depuis dix-huit mois, nos commissions des lois et des affaires sociales travaillent sur l'irresponsabilité pénale et l'expertise psychiatrique. Le Sénat a adopté un texte hier, et le Gouvernement mène une réflexion pour l'avenir. Je veux parler du présent.

En 2018, 326 auteurs jugés irresponsables ont fait l'objet d'un non-lieu, et 13 495 de classements sans suite, sans que l'on sache quelles mesures de soin ou d'accompagnement sont mises en place, ni qui ils sont et où ils demeurent.

Le 18 juin 2019, la direction des affaires criminelles et des grâces a indiqué supprimer le recensement des décisions d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, afin d'alléger la charge de travail.

La dernière étude épidémiologique sur la santé mentale en prison remonte à 2007...

Quel système de collecte et de suivi des personnes irresponsables prévoyez-vous ? Ces données sont essentielles pour assurer la sécurité des Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Vous élargissez notre débat d'hier au sort réservé à ceux qui sont déclarés irresponsables. Vous auriez dû interroger le ministre de la Santé, puisque ces personnes ne sont pas détenues, mais soignées !

S'agissant du recensement des décisions d'irresponsabilité, ma porte est ouverte pour discuter d'un dispositif. L'argument de la charge de travail n'est pas pertinent.

La décision du 14 avril a beaucoup ému, mais a été rendue en droit : le juge ne pouvait distinguer là où la loi ne distinguait pas.

À la demande du Président de la République, j'ai beaucoup consulté, et travaillé à un projet de loi que j'ai soumis à l'avis du Conseil d'État ; il sera prochainement porté à votre connaissance et j'espère que nous pourrons travailler ensemble sur cette question. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Nathalie Goulet.  - C'est bien votre ministère qui a supprimé la collecte des données ! Or ce recensement fait partie des préconisations du rapport Houillon-Raimbourg, qui est l'alpha et l'oméga de la politique de la Chancellerie... (M. le garde des Sceaux le conteste.) Il faut y travailler ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Pass Culture

M. Jean-Raymond Hugonet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le pass Culture opère une rupture radicale, inversant les termes de la politique de l'offre et de la demande et plaçant le service public de la culture en concurrence directe avec les opérateurs privés et les industries de loisir.

Il part du principe que l'accès à la culture serait un problème économique et technologique avant d'être symbolique et politique. Il ignore l'engagement des équipes de médiation culturelle, financées par les collectivités territoriales.

Enfin, ce projet draine un budget intarissable, quoi qu'il en coûte, véritable gabegie que la Cour des comptes ne manquera pas de dénoncer le moment venu.

Après Françoise Nyssen et Franck Riester, Roselyne Bachelot est le troisième ministre à récupérer ce mistigri présidentiel.

À l'heure où la généralisation du pass Culture vient d'être décidée par le Président de la République, McFly et Carlito vont-ils assurer le service après-vente ou allez-vous arrêter les frais ? (Rires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement .  - Le pass Culture permet l'émancipation de notre jeunesse en levant le frein à l'accès aux concerts, aux festivals, à l'achat d'instruments de musique et de livres. Déjà, plus de 650 000 jeunes ont téléchargé l'application. Nos jeunes ont besoin de retrouver cette culture qui nous a tant manqué.

Pas moins de 80 % des dépenses à ce titre concernent des livres. Les jeunes ont acheté des livres ! Ce pass est une chance pour eux, pour notre pays. Il accompagne l'éducation artistique et culturelle, que nous déployons dès la Quatrième via des projets collectifs puis en Terminale via des projets individuels. Il s'agit d'accompagner chaque enfant vers la culture pour tous en levant les frais financiers. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jacques-Bernard Magner applaudit également.)

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Votre réponse ne convainc pas grand monde. C'est le réseau de la culture décentralisée qui assure la relation au public jeune. La priorité à la jeunesse ne passe pas par des gadgets décidés verticalement à Paris, au mépris de l'action de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Algérie

Mme Laurence Rossignol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) J'associe à cette question mes collègues les plus proches ainsi qu'Olivier Léonhardt.

En Algérie, est né il y a deux ans un mouvement citoyen, pacifique, mixte, qui demande un pouvoir civil, des libertés démocratiques, un partage des richesses, la fin de la corruption. Bref, un avenir.

Or, à la faveur de la crise sanitaire, la répression s'est abattue sur ce mouvement, dans le but de le casser par la peur et la domination. Des milliers de citoyens, de militants, de journalistes ont été emprisonnés. Les libertés d'opinion, de manifestation, d'information, le droit à un procès équitable sont bafoués. Que pouvons-nous faire pour les garantir en Algérie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Éliane Assassi applaudit également.)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Nos deux pays sont liés par des liens anciens, essentiels, que nous souhaitons encore renforcer. Le président Tebboune et le président Macron se parlent régulièrement, le Premier ministre se rendra bientôt à Alger pour un comité interministériel de haut niveau.

Les autorités algériennes ont exprimé leur intention de réformer leur pays en profondeur dans un esprit de dialogue et d'ouverture. Nous souhaitons la réussite des réformes, au bénéfice de l'Algérie et des Algériens, mais c'est aux Algériens et à eux seuls de fixer les modalités de leur destin, dans le respect des libertés publiques, de la liberté d'expression, de la liberté de la presse.

Le moment de votre question est singulier. En effet, des élections législatives ont lieu dans quinze jours et la campagne est déjà ouverte. Par respect pour la souveraineté du peuple algérien, je n'en dirai pas plus.

Mme Laurence Rossignol.  - Nous la respectons aussi, mais 137 personnes sont emprisonnées pour délit d'opinion. Le processus de réforme démocratique en profondeur que vous décrivez, c'est l'idéal -  mais c'est l'inverse qui a lieu.

Ces atteintes quotidiennes aux libertés sont extrêmement dangereuses pour l'avenir de l'Algérie. La jeunesse, privée d'avenir, fuit massivement le pays : depuis l'an dernier, le nombre de jeunes algériens qui rejoignent les côtes de l'Europe a augmenté de 50 %.

Ce qui se passe en Algérie, notre coeur le ressent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Éliane Assassi applaudit également.)

Langues régionales

Mme Laurence Muller-Bronn .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je regrette l'absence de M. Blanquer pour répondre à ma question.

Le 8 avril, les langues régionales ont obtenu une reconnaissance historique à l'Assemblée nationale avec l'adoption de la proposition de loi de Paul Molac, à une très large majorité. Son article 4 inscrit dans la loi l'enseignement immersif.

Mais le Gouvernement a initié un recours devant le Conseil constitutionnel, contre sa propre majorité... Et le 21 mai - Journée mondiale de la diversité culturelle ! - celui-ci a rendu une décision qui signe l'arrêt de mort des langues régionales en censurant l'essentiel du texte.

Plusieurs députés En Marche ont affirmé que leur signature pour ce recours leur avait été arrachée et ont cherché à la retirer.

« Les langues régionales sont une chance pour la République », affirme aujourd'hui le Président de la République et pour minimiser l'impact de la censure, on annonce une énième mission confiée à deux députés.

Qu'en attendez-vous, concrètement ? Quel est l'avenir des écoles basques, bretonnes, alsaciennes, occitanes et autres, sous contrat avec l'État ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et GEST ; Mme Frédérique Espagnac applaudit également.)

M. Jean Castex, Premier ministre .  - (« Ah ! » et marques de satisfaction) Non, le Gouvernement n'a pas formé de recours contre la proposition de loi Molac devant le Conseil constitutionnel. (M. Max Brisson s'exclame.) En toute hypothèse, la principale censure prononcée par le Conseil constitutionnel porte sur un motif soulevé d'office. Elle aurait donc pu intervenir dans le cadre de n'importe quelle question prioritaire de constitutionnalité (QPC). (M. Max Brisson proteste.)

Le Président de la République et le Gouvernement sont extrêmement attachés aux langues régionales. (M. Max Brisson en doute.)

Je suis, comme vous, élu dans une région où les langues régionales sont très développées ; je les ai toujours soutenues et encouragées.

M. Max Brisson.  - Sauf cette fois !

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Nous tirerons toutes les conséquences de cette décision, avec la volonté de préserver et de promouvoir les langues régionales à l'école, dans le cadre de l'unité de la République.

M. David Assouline.  - C'est une deuxième déclaration de politique générale !

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Les écoles sous contrat avec l'État ont exprimé des inquiétudes. Je tiens à les rassurer, leur rentrée s'effectuera tout à fait normalement.

M. Max Brisson.  - Et après ?

M. Jean Castex, Premier ministre.  - La mission confiée aux deux députés sera courte : lorsqu'ils auront rendu leurs conclusions, je recevrai l'ensemble des associations concernées pour en tirer sereinement les conséquences, avec toujours la volonté de préserver la richesse que sont les langues régionales. (M. François Patriat applaudit.)

M. Max Brisson.  - Trop tard ! Quel gâchis.

Données de santé des Français

Mme Christine Herzog .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'émission Cash investigation du 19 mai dernier a révélé un scandale d'État. Les pharmaciens ont été autorisés par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) à collecter les données de santé des Français au profit d'IQVIA, filiale française du plus gros data broker américain, contre une imprimante gratuite et six euros par mois... Un plat de lentilles au regard des profits générés par ces données, qui sont ensuite revendues pour du ciblage publicitaire !

Ainsi toutes nos données de santé - numéro de sécurité sociale, âge, sexe, affections, traitements - sont transmises à des opérateurs privés à l'étranger. La moitié des officines pratiqueraient cette collecte ; 40 millions de Français seraient concernés, sans avoir été informés - contrairement aux exigences du Règlement général sur la protection des données (RGPD).

Cette pratique serait connue et couverte au plus haut sommet de l'État. Confirmez-vous son illégalité ? Qu'allez-vous faire pour y mettre fin ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles .  - Cette émission a en effet suscité des interrogations, auxquelles il convient de répondre, tant le sujet de l'accès aux données de santé est sensible.

La société IQVIA récupère auprès des 14 000 officines dont elle est partenaire des données entièrement pseudonymisées. Elle n'a jamais accès à l'identité du patient : ces données permettent de mener des études d'intérêt public visant à évaluer par exemple la bonne utilisation de médicaments, le respect des contre-indications notamment.

Les données ne sont pas vendues, c'est la prestation d'analyse qui est indemnisée au pharmacien : la nuance est de taille. Les données ne sont pas transmises à des tiers ; certaines sont en open data et contribuent à la gestion de la crise. Ainsi du nombre de vaccins, de tests antigéniques réalisés, d'autotests vendus, etc.

Pour chaque officine partenaire, IQVIA émet un cahier de bord. Les données servent aussi pour les négociations conventionnelles du réseau officinal avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM).

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le dossier médical partagé est indépendant de la relation entre le pharmacien et la société ; il n'y a pas d'accès à la carte Vitale. IQVIA a pris, en plus, des mesures de transparence.

Le Gouvernement en campagne

M. Stéphane Ravier .  - Monsieur le Premier ministre, y a-t-il un pilote dans l'avion ? C'est la question que se posent les Français, sachant que quinze membres du Gouvernement sont candidats aux élections régionales et départementales. Alors que la France traverse une crise sans précédent, ils n'ont donc rien de mieux à faire que de coller des affiches et tracter, avec Rolex, Breguet et boutons de manchette au poignet... (Rires ; M.  Alain Duffourg applaudit.)

Rien de moins que les ministres de l'Intérieur et de la Justice sont candidats, ainsi les ministres des PME et de l'Industrie, secteurs en grande souffrance, et Mme Schiappa, mais sa seule activité étant de faire des tweets, personne ne verra la différence... (Rires)

Le ministre de la Santé, lui, se fait colleur d'affiches pour Renaud Muselier, en PACA. Avec un tel soutien, la victoire de Thierry Mariani est assurée ! Le Premier ministre n'est plus le chef de la majorité mais le directeur de campagne du dynamitage de ce qui reste de son ancien parti.

Pendant ce temps, les Français souffrent de la crise, se font agresser... Pendant que vous faites campagne, que vous découvrez le pays - c'est toujours ça ! (Rires) - les restaurateurs, les cafetiers, les hôteliers se battent pour survivre. Et les jardins de l'Élysée se transforment en théâtre de Guignol : c'est l'Emmanuel Comedy Club !

Charles ! François ! Réveillez-vous, ils sont devenus fous !

J'ai honte pour ceux qui prennent part à cette mascarade ! Vous aurez le déshonneur et la défaite comme l'a prédit Éric Ciotti.

Monsieur le Premier ministre, ne vous sentez-vous pas trop seul à la table du conseil des ministres désertée ? (M. Alain Duffourg applaudit )

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur .  - En tant que ministre en charge des élections, j'ai été désigné pour répondre à votre inventaire à la Prévert, qui tourne à l'almanach Vermot.

Pourquoi un tel mépris envers les campagnes et les élections ? Comme vous, je me suis présenté aux élections municipales, tout en étant ministre ; contrairement à vous, j'ai été élu. (M. Stéphane Ravier s'exclame.) Avant de donner des leçons de démocratie, présentez-vous donc à une élection au lieu de reprocher aux autres vos mauvaises expériences. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Françoise Gatel applaudit également.)

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

La séance reprend à 16 h 35.

Solidarité face à la crise

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi d'urgence visant à apporter une réponse solidaire et juste face à la crise, à la demande du GEST.

Discussion générale

Mme Raymonde Poncet Monge, auteure de la proposition de loi .  - Cette proposition de loi comprend une mesure immédiate de lutte contre l'aggravation de la pauvreté du fait de la crise sanitaire.

Le constat est sans appel. Selon le collectif d'associations Alerte, un million de personnes ont basculé dans la pauvreté en 2020 et plusieurs centaines de milliers dans la grande pauvreté, s'ajoutant aux plus de neuf millions d'avant la crise.

Avant que l'Insee ne mesure le recul du niveau de vie des plus précaires, ces acteurs sociaux nous ont alertés : explosion du recours à l'aide alimentaire, arrivée massive de nouveaux publics comme les jeunes et les indépendants, hausse des demandes de revenu de solidarité active (RSA) et d'aide personnalisée au logement (APL).

Le creusement des inégalités, aggravé par la crise, trouve sa source dans les mesures fiscales et de dérégulation que nous avons dénoncées en leur temps. Il faut renouer avec le progrès social.

Ces ménages ne sont pas suffisamment soutenus par le Gouvernement : ils ne peuvent plus faire face à leurs besoins fondamentaux, voire vitaux. C'est pourquoi nous proposons d'adopter sans attendre une aide d'urgence forfaitaire mensuelle automatisable se fondant sur l'APL.

Dans le même temps, le patrimoine des plus riches s'accroissait alors que les ménages les plus pauvres voyaient leurs revenus diminuer. Les 20 % les plus pauvres ont désépargné ou se sont endettés pour 2 milliards d'euros supplémentaires, pour le seul premier confinement.

Parallèlement, 70 % de l'épargne supplémentaire est le fait des 20 % les plus riches.

La Fondation Abbé Pierre, qui a étudié les conséquences de la crise financière de 2008, nous enseigne qu'en cas de baisse des ressources, les ménages pauvres privilégient le loyer et rationnent leurs autres dépenses, notamment alimentaires et de soins, avec un reste à vivre autour de 9 euros par jour. Les impayés de loyer apparaissent quand la baisse de ressources perdure et que l'épargne est réduite à néant.

Le public allocataire de l'APL vit à 40 % sous le seuil de pauvreté. Quelque 50 % d'entre eux appartiennent aux 20 % des ménages les plus modestes. Ce sont eux que nous visons par cette mesure.

Depuis 2017, l'APL a perdu de son pouvoir d'achat. Cette prestation a le plus fort impact social et redistributif, réduisant de près de 8 points l'intensité de la pauvreté : c'est pourquoi nous l'avons choisie comme support de notre aide de 100 euros par mois, jusqu'à trois mois après la fin de l'état d'urgence.

La compensation financière de cette mesure serait constituée du décalage d'un an de la réforme de la taxe d'habitation pour les plus aisés, qui ont constitué une épargne d'un niveau inégalé pendant la crise. Le gain de pouvoir d'achat, à terme, de cette réforme sera de 18 milliards d'euros, concentrés à 45 % sur les 20 % des ménages les plus aisés. Ce cadeau fiscal, dont les conséquences sur le budget de l'État sont les mêmes qu'une dépense, a été justifié par un principe d'égalité désincarné : il est en réalité inéquitable. Il ne s'agit cependant ici que de le décaler d'un an pour protéger les plus vulnérables en laissant à l'État davantage de marge de manoeuvre. Tel est l'objet de l'article 2.

L'accroissement des inégalités de revenus et de patrimoine reste incompatible avec la lutte contre la pauvreté. L'urgence sociale nous invite à prendre des mesures immédiates, justes et solidaires : votons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST. M. Joël Bigot applaudit également.)

M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances .  - Cette proposition de loi comprend deux articles, dont le second est la compensation financière du premier.

L'article premier prévoit le versement d'une aide de 100 euros par mois jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire. Rattachée aux APL, elle est cependant de nature très différente car elle ne tient pas compte des revenus, du patrimoine, du montant du loyer ou de la composition du ménage. Il s'agit donc d'une aide sociale générale, forfaitaire, sans véritable lien avec les dépenses de logement et à l'effet de seuil considérable. Son coût serait de 660 millions d'euros par mois pour 6,6 millions de bénéficiaires, soit 2 milliards d'euros pour trois mois, à comparer aux 17 milliards d'euros d'aides au logement en 2020, dont 13,9 milliards d'euros à la charge de l'État. Cette somme est gagée sur le report de la réforme de la taxe d'habitation.

Si le souhait d'aider les ménages modestes est légitime, cette aide me semble mal adaptée à la diversité de leurs situations. La commission des finances n'a donc pas adopté cet article.

L'article 2 modifie la trajectoire de la réforme de la taxe d'habitation sur les résidences principales. Il s'agit de financer la mesure de l'article premier. Pour mémoire, en loi de finances initiale pour 2018, le Parlement a adopté un dégrèvement de la taxe d'habitation pour les 80 % des ménages les moins aisés. Ce dégrèvement devrait être total en 2023, en étant transformé en exonération et en prévoyant une exonération progressive pour les 20 % des ménages les plus aisés.

En 2021, le produit de la taxe d'habitation sera reversé à l'État. Les collectivités territoriales bénéficieront de ressources de substitution - part départementale de la taxe foncière ou fraction de TVA.

La commission des finances a critiqué cette réforme en soulignant que son impact sur les collectivités territoriales n'était pas suffisamment évalué : elle a donc voté un décalage d'un an du mécanisme de substitution au bénéfice des collectivités territoriales. Jamais, en revanche, nous n'avons critiqué le principe de la réforme qui s'impose pour des raisons constitutionnelles.

L'article 2 de la proposition de loi prévoit que l'exonération de la taxe d'habitation soit limitée à 30 % en 2022, à 65 % en 2023 et à 100 % qu'en 2024. Cela n'a pas d'incidence sur les collectivités territoriales car le nouveau schéma est déjà en vigueur. Ne refaisons pas ici le match ; ce n'est pas l'objet de cette proposition de loi.

Cet article générerait une recette supplémentaire pour l'État de 2,6 milliards d'euros en 2022. Mais il ne se justifie pas dès lors que nous avons refusé d'adopter l'article premier.

En outre, le terme de « ménages aisés » est-il adéquat ? Pas toujours. Être dans les 20 % de ménages qui paient encore la taxe d'habitation ne signifie pas que l'on est riche car les seuils retenus sont faibles. Par exemple, un couple sans enfant avec chacun 1 749 euros par mois fait partie de ces ménages aisés ; ce sont 2 256 euros chacun pour un couple avec deux enfants. Il ne s'agit pourtant aucunement de privilégiés !

Ce décalage serait un mauvais signal pour la relance, mais aussi pour la prévisibilité de la loi fiscale.

La commission des finances vous propose de rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable .  - Cette proposition de loi part de différents constats sur lesquels nous nous entendons. Oui, la crise sanitaire a aggravé les inégalités. Elle affecte plus durement les ménages du bas de l'échelle des revenus, compte tenu des secteurs d'emplois -  restauration et transports par exemple -, des types de contrats, du moindre recours au télétravail ou des dépenses supplémentaires engendrées par la fermeture des cantines scolaires.

Fort heureusement, le Gouvernement n'a pas attendu pour dresser ce constat et s'attaquer au problème. Quelque deux tiers des aides aux ménages se sont adressés aux 20 % des ménages les moins riches.

La réponse devait être rapide, juste et solidaire : nous l'appliquons. Mais nous divergeons clairement sur la nature des moyens mobilisés. Vous proposez une aide de 100 euros par mois. Cette solution comporte plusieurs limites, déjà ébauchées par le rapporteur.

D'abord, son montant n'est pas nécessairement adapté à la configuration familiale. En outre, l'aide ne concerne pas les bénéficiaires du RSA. Les effets de seuils seraient également délétères. Enfin, le coût serait supérieur à 1,8 milliard d'euros pour trois mois.

Pour financer la mesure, la réforme de la taxe d'habitation serait décalée d'un an pour les 20 % des ménages les plus aisés, or elle a été prévue par la loi de finances initiale pour 2020 à la demande du Conseil constitutionnel. Le Conseil d'État a estimé qu'un tel impôt méconnaissait le principe d'égalité devant les charges publiques s'il était pérenne. Un tel décalage pourrait être perçu comme un renoncement à la réforme et présenterait un fort risque d'inconstitutionnalité.

Le Gouvernement ne peut soutenir cette proposition de loi. Il a cependant bien l'intention de poursuivre par d'autres moyens sa lutte contre la pauvreté : activité partielle, fonds de solidarité, indemnités journalières, aide exceptionnelle de 150 euros pour les bénéficiaires du RSA et de 100 euros supplémentaires par enfant également pour les bénéficiaires d'aides au logement, aide de 200 euros à 800 000 jeunes précaires, augmentation de 100 euros de l'allocation de rentrée scolaire, aide aux étudiants boursiers. L'investissement dans la cohésion sociale est un pilier de la relance.

Je suis chaque jour en contact avec les associations de lutte contre la pauvreté. Le mois dernier, 100 millions d'euros ont été déployés pour financer 33 projets nationaux et 576 projets régionaux.

Cette mobilisation est exceptionnelle autant que légitime ; nous la poursuivrons.

M. Teva Rohfritsch .  - Notre rapporteur a fait référence aux propos de Benoît Coeuré, chargé du suivi et de l'évaluation de la relance, devant notre commission des finances.

Contre vents et marées, le pouvoir d'achat est resté stable en 2020 grâce aux mesures de soutien mises en place par le Gouvernement - même s'il faut manier les grands agrégats avec précaution. Le choc de la crise a été absorbé à 65 % par les administrations publiques, à 31 % par les entreprises et à 4 % par les ménages.

L'emploi n'a reculé que de 1,6 % grâce au dispositif d'activité partielle.

La crise a touché plus durement les plus précaires. Ce constat nous rassemble. Cependant, tenons compte de ce qui a déjà été fait.

Les différents groupes ont relevé en commission des finances les écueils de ce texte. Le dispositif de l'article premier est insuffisamment ciblé et souffre de nombreux effets de seuil. L'article 2 va à contre-courant du vote du Parlement sur la taxe d'habitation, à rebours de l'engagement du Gouvernement de ne pas alourdir la charge fiscale pendant la crise.

La mission solidarité a bénéficié en 2021 de 6 milliards d'euros supplémentaires pour verser diverses aides exceptionnelles pour les bénéficiaires du RSA ou encore les étudiants.

Vous pouvez compter sur notre groupe pour soutenir les plus précaires, mais par souci de cohérence avec la politique gouvernementale et pour toutes les raisons déjà évoquées, nous nous opposerons à ce texte.

M. Christian Bilhac .  - Cette proposition de loi cherche à répondre aux conséquences de la crise sanitaire en créant une mesure de soutien exceptionnelle de 100 euros par mois pour les bénéficiaires des aides au logement dès promulgation et pendant trois mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire. Elle serait financée par un décalage d'un an de la réforme de la taxe d'habitation.

La suppression de la taxe d'habitation constitue une erreur financière et démocratique, mais il ne me semble pas judicieux d'y revenir.

Ce texte représente une réponse politique à la baisse de 5 euros des APL. Le groupe RDSE partage l'objectif d'aider les plus modestes, mais l'outil choisi ne nous semble pas adapté.

Une étude de l'Insee de 2016 révélait de fortes inégalités entre les Français, les 10 % les plus aisés touchant 6,7 fois plus que les 10 % les plus pauvres, après impôts et prestations sociales. Quelque 9,3 millions de personnes étaient sous le seuil de pauvreté, rejointes en 2020 par un million de personnes supplémentaires.

Comme la commission des finances, je m'interroge sur de nombreux aspects du texte. Il ne garantit nullement que cette mesure qui coûterait 7 milliards d'euros soit utile à la lutte contre les inégalités. Pire, elle s'accompagnerait d'effets de seuils considérables.

Le groupe RDSE, dans sa majorité, ne votera pas la proposition de loi.

M. Éric Bocquet .  - Dans un récent rapport, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) indique que « notamment en raison des minima sociaux, les bénéficiaires d'aides au logement pauvres sont aussi pauvres que l'ensemble des personnes pauvres ». Si la tournure de phrase peut paraître déconcertante, elle souligne le niveau de précarité des allocataires d'APL.

La proposition de loi, qui s'appuie sur cette aide, est louable mais insuffisante. Pourquoi une telle restriction des bénéficiaires ?

Cette aide serait inférieure à celle versée exceptionnellement par le Gouvernement. La mesure ne remédierait pas à la précarité d'ampleur qui touche les Français. En outre, elle manque en partie sa cible. Sur les 2,9 millions d'allocataires des APL, seulement 15 % ont moins de 29 ans et seulement 5 % sont étudiants. Il n'y a rien non plus pour les femmes et hommes en proie à la grande précarité.

Le groupe CRCE a proposé de revaloriser les bourses et les minima sociaux, d'élargir le RSA au moins de 25 ans. Quant au logement, nous avons fait adopter, dans cet hémicycle, une proposition de loi pour revenir sur le délai de carence et revaloriser les APL.

Nous voterons l'article premier tout en nous opposant à l'article 2 qui prévoit le simple décalage d'un an de la réforme de la taxe d'habitation, ce qui ne constitue ni une réponse à la crise, ni une mesure de justice sociale. Nous nous sommes opposés à cette réforme favorable aux plus aisés. L'exemple de Maubeuge est parlant : pour les plus aisés qui paient la taxe d'habitation, c'est plus d'un SMIC d'économies par an, alors que la charge retombe sur les plus modestes via la TVA.

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La pandémie a provoqué des mutations économiques, sociales et financières et un accroissement des inégalités auquel la proposition de loi veut remédier. Mais la réponse à ce constat partagé n'est pas adéquate.

L'article premier prévoit le versement aux bénéficiaires d'APL d'une aide de 100 euros par mois pendant trois mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire, sans prendre en compte la situation du ménage. Cela risque de créer un effet de seuil dommageable et de renforcer le caractère inégalitaire des APL, dénoncé par la Cour des comptes.

Cette mesure coûterait 660 millions d'euros par mois aux finances publiques, soit près de 2 milliards d'euros pour trois mois, sur un total de 17 milliards d'euros pour les APL en 2020. Vu les effets escomptés, rien ne justifie un tel effort !

L'article 2 reporte d'un an la réforme de la taxe d'habitation, ce qui générerait 2,6 milliards d'euros pour l'État. On s'attaque à une réforme déjà engagée et l'on abîme la prévisibilité de la loi fiscale.

Je rappelle enfin que les 20 % de ménages concernés par la réforme de la taxe d'habitation appartiennent majoritairement à la classe moyenne. Évitons de nuire à leur pouvoir d'achat et à l'efficacité de la relance.

Le rapporteur l'a bien expliqué : cette proposition de loi apporte une réponse inadaptée à une question parfaitement légitime. Nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Claude Raynal .  - Merci au GEST de nous permettre de débattre des conséquences sociales de la pandémie.

La proposition est raisonnable, tant en termes de coût que de durée d'application.

Le Gouvernement s'est volontairement privé de ressources, ce que l'on peut admettre en période de croissance, mais en 2020, la chute du PIB a été de 8,2 %, sans précédent depuis la dernière guerre !

L'article 2 est pleinement justifié. Je le trouve même modéré. Nulle baisse d'impôt n'a de sens tant que nous n'avons pas retrouvé notre niveau de PIB. Quelque 6,5 milliards d'euros seront distribués à des ménages qui ont thésaurisé pendant la crise et bénéficié de la flat tax, de la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou de la taxe sur les dividendes.

Le Gouvernement se prive aussi de 10 milliards d'euros d'impôts de production en réponse à une demande aussi vieille qu'injustifiée. Au total, ce sont donc 16,5 milliards d'euros par an dont nous sommes privés. Encore ne parlerai-je pas, par charité, d'un candidat qui souhaite porter cette baisse à 33 milliards d'euros. Parallèlement, on ne jure plus que par la baisse de la dépense publique au nom de la stabilisation de la dette. Cela ne manque pas de sel !

M. Michel Canévet.  - Si !

M. Claude Raynal.  - Vous refusez d'intégrer la pandémie dans notre logiciel.

Ni la suppression de la taxe d'habitation pour les plus aisés ni la diminution des impôts de production n'étaient au programme du candidat Macron ; ne dites donc pas que vous tenez vos promesses en la matière.

En période de crise, il existe d'autres priorités. Le déficit à financer pour 2020 s'élève à 206 milliards d'euros. Pour atteindre 3 % de déficit public pour 2027, il faudrait réaliser 65 milliards d'euros d'économies.

Vous n'avez encore annoncé aucune mesure, mais j'ai ma petite idée. En période de crise, l'État providence doit jouer son rôle à plein. Cela passe notamment par la revalorisation des APL le temps de la crise sanitaire, comme le propose le GEST.

Au Sénat, les groupes de gauche ont proposé diverses mesures de soutien en faveur des Français les plus en difficulté. Le CRCE a déposé plusieurs textes ; le groupe SER, par l'intermédiaire de Rémi Cardon, a déposé une proposition de loi créant une dotation d'autonomie pour les 18-25 ans. Les élus de la majorité gouvernementale proposent désormais un revenu d'urgence pour les jeunes. Encore un effort, on y est presque !

Le présent texte apporte une réponse utile ; sans surprise mais avec conviction, nous le voterons. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - « Ce ne sont pas les faits en eux-mêmes qui frappent l'imagination populaire, mais bien la façon dont ils sont répartis et présentés. Il faut que par leur condensation, si je puis m'exprimer ainsi, ils produisent une image saisissante qui remplisse et obsède l'esprit. Qui connaît l'art d'impressionner l'imagination des foules connaît aussi l'art de les gouverner. » Depuis Gustave Le Bon, on sait qu'un mensonge répété de nombreuses fois finit par devenir réalité.

N'en déplaise à Oxfam et compagnie, la France est très loin d'être un parangon d'inégalités.

En 2019, notre coefficient de Gini - cet indicateur compris entre 0 et 1 qui mesure les inégalités  - était de 0,29 : beaucoup plus proche de 0 que de 1 et inférieur à la moyenne de l'OCDE. Notre rapport interdécile - le rapport entre les revenus des 10 % les moins riches et des 10 % les plus riches - était de 1 à 7 avant la crise, contre 10 au Royaume-Uni et 19 aux États-Unis.

La France est un pays...

Mme Sophie Taillé-Polian.  - ...où tout va bien ?

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - ...qui ne laisse pas les inégalités se creuser : avec une dépense publique à 60 % du PIB, elle est celui où les transferts de richesses sont les plus importants ! (On le confirme à droite.)

Des mesures exceptionnelles ont été prises avec la pandémie : prolongation des indemnités des chômeurs en fin de droits, augmentation bienvenue des salaires des soignants, baisse des impôts aux entreprises...

L'urgence est maintenant d'inventer de nouveaux modèles économiques pour créer de l'emploi et rembourser la dette astronomique accumulée.

Le groupe INDEP votera contre la proposition de loi.

Mme Sophie Taillé-Polian .  - (Mme Esther Benbassa applaudit.) Je viens vous parler de 20 % des Français ; les plus pauvres, ceux qui ont désépargné ou se sont endettés pendant la crise à hauteur de 2 milliards d'euros  - pas les 10 % les plus riches qui ont accumulé 25 milliards d'euros en plus.

Ceux qui alimentent les files d'attente devant l'aide alimentaire - que Mme Paoli-Gagin n'a-peut-être pas vus, mais qui existent. Ce sont des jeunes, des familles monoparentales, des travailleurs précaires.

Je sais bien que le Gouvernement va dire qu'il fait beaucoup, qu'il y a le chômage partiel... Mais celui-ci ne protège que 80 % des salariés, dont 20 % sont précaires, et les aides d'urgence ne pèsent que 1 % du plan de relance ! À côté de cela, on annonce encore 7 milliards d'euros supplémentaires d'aides aux entreprises.

Je vous parle de ceux qui ont remis à plus tard non pas leurs sorties, leurs voyages, mais leur rendez-vous chez le médecin.

Certes, ce texte n'est pas le grand soir ; ce n'est pas la taxe sur les dividendes ou l'ISF vert - nous les proposerons, faites-nous confiance... (Murmures désapprobateurs à droite)

Mais c'est un appel par lequel nous vous exhortons, madame la ministre, (Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État, proteste) à faire quelque chose de concret, d'opérationnel, d'efficace, pour aider ces 20 % de Français les plus pauvres.

Le Gouvernement, au contraire, propose de les faire payer, à travers la réforme de l'assurance chômage.

Cessez de mépriser les plus pauvres dans vos discours et vos actes : protégez les plus pauvres autant que les entreprises et les salariés en CDI.

Pour ce faire, nous vous exhortons à adopter cette proposition de loi.

On parle beaucoup des entreprises zombi, mais n'oublions pas les ménages zombi : ceux pour qui toute vie sociale s'arrête, faute d'assurance sur le lendemain... (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie nos collègues du GEST pour cette initiative. Je salue le travail et la pédagogie du rapporteur Charles Guené.

Personnes seules, retraités, étudiants : ces catégories et d'autres vivent des situations particulièrement difficiles.

Le nombre de pauvres a augmenté d'un million pendant la crise sanitaire. Ils rejoignent les neuf millions déjà sous le seuil de pauvreté.

Les bénévoles qui oeuvrent dans les associations sociales, humanitaires, caritatives le confirment. L'évolution du RSA en témoigne également, ainsi que celle des aides sociales délivrées par les centres communaux d'action sociale (CCAS).

Comme l'a rappelé le rapporteur, les APL ont un coût de 17 milliards d'euros en 2020.

Le complément de 100 euros prévu à l'article premier est coûteux : 600 millions d'euros par mois. Ce n'est pas proportionné aux besoins et mal relié aux conséquences de la crise sanitaire.

Quant au report de l'exonération de la taxe d'habitation prévu à l'article 2, il n'est pas souhaitable, car beaucoup de ménages présentés à tort comme aisés attendent cette mesure dont la mise en oeuvre est déjà longue. Il serait par ailleurs inconstitutionnel, créant une inégalité devant les charges publiques.

Le groupe Les Républicains ne soutient donc pas ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Isabelle Briquet .  - La précarité s'est aggravée avec la crise sanitaire et risque de s'aggraver encore. La réponse proposée par le GEST est ciblée sur le logement. Il est vrai que depuis 2017, le logement est une politique sacrifiée, considérée comme une variable d'ajustement - même pendant la crise.

Les récentes annonces du Premier ministre vont dans le bon sens, mais nous attendons une politique du logement plus ambitieuse. Une hausse de 100 euros des APL soutiendrait plus de 6 millions de foyers, soit 13 millions de nos compatriotes.

Cette réponse d'urgence est perfectible, mais il s'agit d'une proposition amendable et, de toute façon, d'un dispositif temporaire qui permettra des mesures adaptées aux diverses situations.

Le financement proposé par le report d'un an de la suppression de la taxe d'habitation est solidaire et rejoint une proposition que notre groupe avait faite à l'occasion de l'examen du budget pour 2021, malheureusement repoussée par le Gouvernement. Aujourd'hui, il est plus que jamais nécessaire d'allier justice fiscale et justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°125 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 92
Contre 251

Le Sénat n'a pas adopté.

ARTICLE 2

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Nous retirons le texte ; non parce qu'il serait inopportun de prendre 5 milliards d'euros aux 20% des ménages les plus riches, mais parce que c'est l'articulation entre les deux articles qui avait du sens.

Mme la présidente.  - Acte est donné du retrait de cette proposition de loi de l'ordre du jour de l'espace réservé au GEST.

La séance est suspendue quelques instants.

Pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal, à la demande du groupe GEST.

Discussion générale

Mme Esther Benbassa, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER) Les pandémies questionnent notre rapport à l'animal sauvage ou domestique, autant que notre modèle agricole et notre système de santé.

Ce n'est pas sans fierté que je présente cette proposition de loi qui répond à une prise de conscience grandissante des conditions parfois déplorables de l'élevage animal dans notre système agricole.

Ce texte a reçu le soutien de nombreuses associations de défense des droits des animaux, mais aussi de sénatrices et de sénateurs membres de six groupes différents ; c'est dire la résonance de ces préoccupations au-delà des clivages partisans.

En France, 80 % des animaux sont dans un élevage intensif - c'est 95 % pour les porcs, 80 % pour les poulets de chair et 68 % pour les poules pondeuses.

Dans les fermes-usines, les animaux subissent des traitements cruels et leur confinement dans des cages induit chez eux des troubles du comportement. En outre, les élevages intensifs asphyxient la production locale par des prix bas, contribuant lourdement au mal-être du monde agricole.

Il est donc nécessaire d'accompagner la transition vers un élevage et un abattage éthiques.

À cet égard, il convient d'accompagner ceux qui dépendent de l'élevage intensif pour faire évoluer leurs pratiques. Selon une enquête de janvier 2021, 85 % des Français se déclarent opposés à l'élevage intensif. Nous devons cette évolution de l'opinion aux lanceurs d'alerte et aux associations.

La directive européenne 98-58-CE pose le cadre du bien-être animal dans les élevages, mais laisse une grande marge aux États membres pour la mise en oeuvre. La commission des affaires économiques a rejeté cette proposition de loi en prenant prétexte de cette directive ; je le regrette, car la France accuse un grand retard dans sa législation.

En Autriche, 97 % des animaux sont élevés hors cage ; 92 % en Suède, 86 % en Allemagne, 83 % aux Pays-Bas et 69 % en Belgique. La France ne pointe qu'au 17e rang européen avec 25 % - derrière la Roumanie, la Croatie et la Hongrie.

Un étiquetage transparent et détaillé doit indiquer le mode d'élevage, pour que le consommateur décide en toute connaissance de cause ; nos agriculteurs doivent être préservés de leurs concurrents qui ne respectent pas les mêmes normes, par exemple par une taxation.

Les agriculteurs aiment leurs bêtes ; ils voudraient bien leur donner une « bonne » mort, sans souffrance. Faute de temps, la proposition de loi n'aborde pas la question de l'abattage, mais l'abattage de proximité a nos faveurs.

À l'article premier, nous proposons des dispositifs d'accès au plein air obligatoires d'ici 2040 et des densités maximales.

L'article 2 limite à huit heures le transport quotidien des animaux sur le territoire national.

L'article 3 interdit l'élimination des poussins mâles et des canetons femelles qui, broyés, gazés, étouffés, vivent aujourd'hui un cauchemar industriel ! L'Allemagne est pionnière, là encore, puisque le Bundestag vient d'interdire cette pratique à compter de 2022. Le sexage in ovo sera pratiqué entre le 9e et le 14e jour. Il existe aussi une technique française faite par spectrophotométrie, encore inaboutie.

Le ministère de l'Agriculture promet l'interdiction de l'élimination des poussins pour fin 2022 ; la promesse sera-t-elle tenue ? Nous demandons une interdiction dès janvier 2022.

Il faut aussi accompagner les agriculteurs en développant l'abattage de proximité ; leurs investissements pourraient être financés par des prêts à taux zéro ou des prêts garantis par l'État.

Notre pays connaît une urgence sociale, sanitaire, environnementale, mais aussi éthique ; nos jeunes qui défilent pour le climat nous le rappellent. Engageons sans délai la démarche vers un modèle plus respectueux du vivant. (Applaudissements prolongés sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)

Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Merci au GEST de nous donner l'occasion d'un débat de société. Tous les parlementaires partagent votre préoccupation du bien-être animal ; le secteur, les filières le veulent. Le sujet est consensuel, comme le montre l'adoption large d'une résolution du Parlement européen sur le transport des animaux. Il faut assurément trouver une solution alternative au broyage des poussins. Nous partageons donc l'objectif, mais contestons les moyens que vous proposez pour les atteindre, ainsi que les effets qu'ils induisent.

J'ai tout d'abord une pensée pour les éleveurs, dont le bien-être est lié à celui des animaux. Comment se lever si tôt tous les matins si c'est pour perdre de l'argent ? La décapitalisation du cheptel se poursuit, menaçant notre souveraineté alimentaire. Nous importons déjà 45 % du poulet, 25 % du porc, 55 % des ovins et un tiers des produits laitiers consommés en France.

En perdant notre élevage, nous perdrions un levier d'aménagement du territoire, de stockage du carbone, de réduction de notre vulnérabilité aux aléas climatiques, de biodiversité.

Il faut être à l'écoute de nos éleveurs, qui ne comprennent pas pourquoi ils sont toujours voués aux gémonies.

Il y a des abus, je ne le nie pas, mais comme dans toute profession. L'élevage hors cage des poules pondeuses est cependant devenu majoritaire ; 94 % des vaches laitières et 67 % des vaches allaitantes ont accès à l'extérieur ; 20 % des poules pondeuses sont élevées en plein air : dans ce domaine, la France est première en Europe - le second pays n'étant qu'à 5 %.

Le titre de la proposition de loi ignore cette réalité : en plaidant pour un élevage éthique, il sous-entend qu'il n'existerait pas en France aujourd'hui. Cela est inexact.

La proposition pose aussi des problèmes pratiques. Ainsi, l'article premier interdit toute construction de bâtiments d'élevage sans accès à l'extérieur à partir de 2026 ; pour les filières, cela pose un problème de biosécurité : le « tout plein air » expose les animaux au risque épidémique, notamment les volailles, comme on l'a vu avec l'influenza aviaire.

Pour le porc, passer au tout plein air en 2040 couvrirait une surface foncière équivalente à un département français ; pour les poules, on aurait besoin de la superficie de la ville de Paris...

De même, le plafonnement des temps de transport est une fausse solution au vrai problème de l'insuffisance du maillage du territoire pour les abattoirs et les couvoirs. Une réglementation française plus stricte rendrait l'approvisionnement auprès d'abattoirs étrangers plus intéressant. Cela interdirait tout élevage de volailles et de lapins en dehors des régions de l'Ouest, où sont aujourd'hui concentrés les abattoirs pour ces animaux.

Pour la commission des affaires économiques, l'échelon d'action pertinent est le niveau européen : à défaut, les importations augmenteront et le bien-être animal n'y gagnera pas - avec, en prime, une perte de souveraineté alimentaire et un mauvais bilan carbone.

Le sexage dans l'oeuf est une technique bientôt mûre ; mais l'imposer dans huit mois, c'est condamner les petits couvoirs. En allant trop loin, nous inonderions notre marché d'ovoproduits polonais. (Mme Sophie Primas le confirme.) Laissons faire la recherche et les filières.

L'Union européenne doit nous faire évoluer ensemble, pour éviter les distorsions de concurrence. Le Gouvernement est-il prêt à porter ces évolutions ?

J'ai moi-même eu le sentiment que le texte était équilibré en première analyse ; mais les surcoûts induits sont colossaux : 13 milliards d'euros pour le porc à 100 % en plein air ; 64 millions d'euros pour les poules pondeuses, soit 4 % du chiffre d'affaires du secteur. Or l'agriculture n'a reçu que 1,2 milliard d'euros dans le plan de relance...

Pour toutes ces raisons, la commission vous propose de rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Alain Griset, ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises .  - Veuillez excuser l'absence de Julien Denormandie, qui participe à la négociation finale de la PAC à Bruxelles.

Les éleveurs français sont trop souvent pointés du doigt ; mais ce sont les premiers à souhaiter plus de bien-être animal. Le Gouvernement, qui agit avec méthode et pragmatisme, fait le pari de la modernisation des structures d'élevage et d'abattage. Cela nécessite un accompagnement, pas des bouleversements radicaux.

Madame Benbassa, soyez assurée que nous partageons vos objectifs : il faut répondre aux impératifs biologiques des espèces, lutter contre la maltraitance animale et garantir des produits sains et de qualité.

Même si l'on peut comprendre le souhait de nombreux citoyens que l'élevage se fasse en plein air, il faut tenir compte des enjeux sanitaires, économiques, fonciers, dans un débat trop souvent passionnel.

L'élevage français est à taille humaine et c'est l'un des plus durables au monde. Les plans de filière, mis en place à compter de 2017, y contribuent.

La lutte contre l'antibiorésistance, par exemple, est bien engagée, avec une baisse de 37 % des utilisations d'antibiotiques depuis cinq ans.

Le tout plein air - 5 % de la production aujourd'hui - en 2040 n'est pas tenable. Cela signifierait de repenser 90 % de l'élevage des poulets de chair. La richesse de notre élevage, c'est sa diversité.

Il faut une ambition à l'échelle du marché unique ; il faut des transitions adaptées au temps de l'agriculture.

Le débat sur le transport d'animaux vivants doit s'inscrire dans cette réflexion, pour éviter les distorsions de concurrence. La Commission européenne travaille avec son programme Farm to fork à l'amélioration des conditions de transport maritime.

Le plan de relance permettra de moderniser les abattoirs. La filière oeufs a bien intégré les attentes des citoyens en matière de broyage des poussins. Mais qui paie le coût de la transition ? Un modèle pérenne ne peut reposer sur le seul État. Inscrire l'interdiction dans la loi ne permet pas d'accompagner financièrement les filières.

Les contraintes se sont accumulées sur les éleveurs. En 2012, les éleveurs de poules pondeuses ont investi massivement pour se mettre aux normes. Ils ne peuvent assurer seuls les transitions. La loi EGalim interdit toute nouvelle installation d'élevage en cage ; 53 % de l'élevage est déjà dans un système alternatif. La clé réside dans la montée en gamme, seule à même de réconcilier attentes sociétales et revenu des agriculteurs.

Les États généraux de l'alimentation ont contribué à la structuration des filières, autour des chartes de bonnes pratiques et des signes de qualité. Les plans de filière responsabilisent les professionnels. Une véritable transition est en marche !

Le plan de relance consacre 300 millions d'euros à la modernisation de nos élevages et abattoirs et à la structuration des filières.

Mais les injonctions des citoyens doivent se traduire dans l'acte d'achat, en mettant fin à la guerre des prix bas. C'est le sens des travaux de Serge Papin sur la contractualisation et la pluriannualité et de la proposition de loi EGalim 2 portée à l'Assemblée nationale.

Cette transition repose aussi sur l'évolution des mentalités.

Soyez rassurés : le Gouvernement a l'intention d'inscrire à l'ordre du jour de vos travaux avant la fin de l'année la proposition de loi, votée à l'Assemblée nationale, visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale.

À la stigmatisation, nous préférons les mesures concrètes. Je salue les travaux d'Henri Cabanel et de Françoise Férat sur la détresse dans la profession d'éleveur.

Rejetez une radicalité qui mettrait fin à l'élevage français. Faites preuve de raison et de bon sens : ambition, pragmatisme, confiance dans nos éleveurs sont les clés d'une transition réussie. La question de la rémunération des éleveurs doit être au centre des discussions.

Refuser cet état de fait, c'est condamner les éleveurs.

M. Henri Cabanel .  - (M. Joël Labbé applaudit ; rires à gauche) Une proposition de loi peut-elle changer le monde ? Le débat d'aujourd'hui relève de ce fantasme. Comment être contre toutes ces bonnes et nobles intentions ? Mais je m'interroge sur l'opportunité de légiférer alors que le mal-être des agriculteurs est à son comble ! Deux agriculteurs se suicident chaque jour ; ne les oublions pas.

Il faut de la nuance. Avec Françoise Férat, notre rapport sur la détresse des agriculteurs a été adopté à l'unanimité par la commission des affaires économiques, loin des partis pris idéologiques et des réseaux sociaux qui réduisent les débats à néant.

L'agriculture focalise les tensions, les incompréhensions et les fausses informations. Or elle est au coeur de nos vies alors qu'elle clive souvent via des modèles opposés. Il faut réunir toutes les parties prenantes et appréhender le sujet de façon globale, loin des passions et des fantasmes.

L'agriculture, c'est un faisceau d'enjeux - économiques, sociaux, environnementaux - à traiter de façon transversale. Je m'inquiète des effets de lois qui n'auraient d'impact que sur les seuls agriculteurs français : il faut travailler au niveau européen, pour éviter la concurrence déloyale entre les États membres.

Je prône les circuits courts et les signes de qualité, mais nos agriculteurs travaillent en moyenne 55 heures par semaine pour 1 036 euros par mois, soit 4,7 euros de l'heure. Avez-vous analysé l'impact de vos propositions sur le bien-être animal ? Les consommateurs risquent de se fournir en produits étrangers élaborés selon des normes différentes.

C'est une évolution des mentalités, pas une loi, qui changera le monde : il faut accompagner le consommateur, par l'étiquetage notamment.

Des avancées seront proposées dans le titre V du projet de loi Climat. Ce véhicule législatif est plus légitime et nous pourrons l'amender.

C'est pourquoi notre groupe RDSE s'abstiendra dans sa majorité. Conscience et raison ont aussi force de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC)

M. Fabien Gay .  - La question du bien-être animal comporte de multiples dimensions et transcende les clivages politiques. Nos concitoyens y sont de plus en plus sensibles.

La maltraitance dans certains abattoirs, l'élevage en batterie, le broyage des poussins nous interrogent car c'est un miroir sombre de notre société. Songeons aussi à la violence subie par les personnels des abattoirs ! Maltraiter l'être, c'est créer un précédent dans la violence et l'aliénation, c'est vouloir détruire l'altérité.

L'alimentation est une nécessité, un plaisir, un moment de convivialité, mais il faut aussi envisager sa dimension éthique et repenser le rapport de l'humain à la nature.

Il faut sortir du débat pour ou contre la viande. Nous devons repenser notre modèle hyperproductiviste d'élevage qui concerne 80 % du secteur. Le nombre d'éleveurs s'est effondré en trente ans, alors que les cheptels augmentaient : l'agriculture paysanne a perdu face aux fermes de mille vaches et les rémunérations ne cessent de diminuer comme le relevait le CESE en 2019. La multiplication des accords de libre-échange est une pression supplémentaire pour nos agriculteurs.

La proposition de loi du GEST vise à trouver un équilibre, pour de meilleures conditions d'élevage, sans stigmatiser les éleveurs. La plupart des réglementations et cahiers des charges nationales et européennes visant à protéger les animaux sont fondés sur les cinq libertés recensées dans le rapport Brambell de 1965, soit l'absence de faim et de soif, d'inconfort, de douleur, de blessures et de maladie, de peur et de détresse, et l'assurance d'un espace suffisant et la compagnie d'autres congénères.

Ces critères ne sont pas contraignants et il manque des moyens pour assurer les contrôles. Aussi, le fonds créé par l'article 4 est-il intéressant.

Il faut passer d'un élevage intensif, industriel et destructeur à un élevage respectueux de l'environnement, de l'humain et de la planète. C'est pourquoi nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST)

Mme Françoise Férat .  - Le développement de nombreuses associations de défense des animaux et les actions coups de poing qu'elles mènent parfois montrent combien la question du bien-être animal est importante pour l'opinion publique. Nous ne sommes pas insensibles aux images qui nous viennent de certains abattoirs.

Les éleveurs, dans leur très grande majorité, réprouvent les traitements ignobles et se préoccupent du bien-être animal, en respectant les normes européennes et nationales.

Les manquements au bien-être animal doivent être sanctionnés.

Mais les solutions prônées par cette proposition de loi ne répondent pas aux préoccupations de la filière et elle risque de mettre nos éleveurs à genoux. Les dispositifs proposés ne sont pas applicables. Le tout plein air n'est pas possible, ne serait-ce que par manque de foncier. N'oublions pas la rémunération du producteur ! Sans consentement des consommateurs à payer plus cher, une telle mesure encouragerait les importations.

En outre, plein air n'est pas toujours synonyme de bien-être animal : pensons à la neige ou aux fortes chaleurs ! Et que dire du risque d'épidémies ou de contacts avec la faune sauvage ?

Si nous limitons à quatre heures les transports d'animaux dans l'Hexagone, comment éviter des détours par l'étranger ? Avec quelle conséquence carbone ? Les solutions proposées ne sont pas réalistes.

Pour réduire les durées de transport, il convient de développer des abattoirs de proximité, viables financièrement et sanitairement fiables.

En outre, le tout plein air pour la filière porcine coûterait 13 milliards d'euros ! À titre de comparaison, le plan de relance prévoit 100 millions d'euros pour l'ensemble de la biosécurité et du bien-être animal.

Ces restructurations auront un prix pour les éleveurs qui subiront la double peine : investissements accrus et prix en hausse alors que les produits français sont déjà peu compétitifs. Sachant qu'un Français sur sept se prive déjà de repas pour des raisons financières, il achètera du porc espagnol qui coûte deux fois moins cher que le français.

Des solutions se développent, comme l'interdiction du broyage des poussins. La France travaille avec l'Allemagne pour parvenir à une solution viable pour la filière d'ici fin 2021.

N'oublions pas non plus tous les efforts de l'agriculture en faveur de l'environnement : la ferme France est la meilleure du monde et ne mérite pas cet agribashing agressif !

Travaillons pour assurer des rémunérations décentes pour nos agriculteurs, sur la base de prix de vente également décents. C'est pourquoi le groupe UC ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Montaugé .  - (Applaudissements sur les travées des groupeSER et GEST) Depuis le néolithique et l'apparition de l'élevage, l'homme a évolué et connu des relations complexes avec l'animal.

Depuis l'Antiquité, considérée comme l'âge d'or du lien entre l'homme et l'animal, cette relation s'est construite sur le plan religieux, moral, économique... Ce fut un long cheminement, avec notamment le Traité des animaux de Condillac. Deux concepts ont alors émergé : celui du « droit de l'animal » et celui du « bien-être animal ».

Je remercie le GEST qui veut faire avancer concrètement le bien-être animal. La loi de 2015 a reconnu que l'animal était un être vivant, doué de sensibilité, ouvrant la voie au fondement juridique de la notion de bien-être animal, concept auquel nous souscrivons. Mais on ne peut prétendre aujourd'hui que les éleveurs ou les industriels ne s'en soucient pas.

Je sais la relation affective d'un éleveur responsable à ses bêtes : les jours où on les emmène à l'abattoir sont difficiles. Ceux qui gèrent les abattoirs savent qu'il faut être irréprochable. La société est exigeante sur ces sujets. L'image, la marque, le chiffre d'affaires peuvent être affectés par d'éventuelles dérives.

Monsieur le ministre, il est de votre rôle d'assurer les contrôles et de sanctionner les fautifs. La loi EGalim semble insuffisante à cet égard.

Un plan en six axes pour le bien-être animal avait été présenté en janvier 2020 par le Gouvernement : où en est-on ? Quel est son bilan ? C'est le flou complet. C'est pourquoi le groupe SER voudrait insérer un article additionnel avant l'article premier, demandant au Gouvernement un bilan des actions de la France en faveur du bien-être animal. Afin d'avoir un débat apaisé, nous devons savoir objectivement d'où nous partons.

Nous rappelons notre attachement à l'élevage, et à ce qu'il représente dans nos territoires -  je viens du Gers, département qui souffre beaucoup  - et aux éleveurs dont le métier est si difficile, pour une rémunération de plus en plus misérable !

Quelles seront les conséquences de la prochaine PAC ? EGalim 2 est aussi attendu, même si nous n'y croyons guère !

Des accompagnements psychologiques pour les agriculteurs doivent également être proposés : nous avons déposé un amendement en ce sens à l'article 4. Ils ont besoin de considération. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST)

M. Franck Menonville .  - Je tiens à saluer le travail d'Esther Benbassa, en lien avec Marie-Christine Chauvin.

Cette proposition de loi permet d'ouvrir un débat important. Nous partageons vos préoccupations pour valoriser le travail des éleveurs et améliorer le bien-être animal, mais nous ne voterons pas ce texte.

Je salue les efforts continus de nos agriculteurs pour adapter leurs méthodes de travail : toutes ces évolutions vont dans le bon sens et prennent en compte les attentes des consommateurs en matière sanitaire et de bien-être animal. Le mouvement est d'ailleurs européen.

L'agriculture française est l'une des plus durables au monde, mais elle doit aussi rester compétitive pour conquérir des marchés à l'international et contribuer à notre souveraineté et sécurité alimentaires. Aussi, ne faut-il pas raisonner sur le sujet à l'échelle franco-française.

Soyons cohérents et n'importons pas ce que nous ne nous autorisons pas à produire !

Lors du dernier budget, nous avons soutenu la modernisation des élevages et des abattoirs dans le cadre du plan de relance. N'oublions pas le bien-être des éleveurs dont le métier est difficile et exigeant. Il leur faut beaucoup de passion pour l'exercer. Qu'il leur soit rendu hommage dans cet hémicycle ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

M. Joël Labbé .  - (Applaudissement sur les travées du GEST) Je tiens à saluer l'initiative d'Esther Benbassa : il est des débats nécessaires qui ne s'arrêteront pas à la discussion de ce soir. Le bien-être animal est un enjeu majeur : nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à souhaiter consommer de la viande de qualité, issue d'élevages respectueux du bien-être animal.

C'est aussi un enjeu environnemental et territorial. C'est enfin un enjeu pour les éleveurs qui ont du mal à trouver leur équilibre économique. Mais quid des éleveurs dits intégrés qui n'ont pas le choix ? Je pense à trois projets d'usines d'élevage dans le Morbihan avec un emploi à temps plein (ETP) pour 80 000 poulets... Comment accepter cela ?

Il nous faut agir collectivement pour donner aux éleveurs les moyens de la transition. Tel est l'objet de cette proposition de loi.

Nous devons également veiller à rester compétitif en travaillant au niveau européen mais aussi au niveau des traités internationaux, en imposant des clauses miroir ou en sortant les produits alimentaires des accords de libre-échange.

À l'échelle nationale, il faut valoriser les circuits courts d'abattage, les projets alimentaires territoriaux, la restauration collective. Hélas, le plan de relance est loin d'être suffisant en ce domaine.

Nous devons rémunérer les externalités positives des élevages respectueux de l'environnement, afin d'améliorer les revenus de nos agriculteurs.

Nous devons réussir la transition vers un élevage éthique, respectueux des éleveurs, des animaux et de l'environnement.

Nous parlons beaucoup de fractures dans notre pays ; elles existent aussi dans le monde agricole, entre ceux qui défendent la poursuite de l'industrialisation de l'agriculture et ceux qui pratiquent une agriculture paysanne respectueuse des climats, de la biodiversité, des animaux et des humains. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER)

Mme Marie Evrard .  - La proposition de loi vise un élevage éthique et soucieux du bien-être animal. La commission des affaires économiques l'a rejeté, en désaccord contre la méthode et la temporalité proposées. L'enfer est souvent pavé de bonnes intentions...

Dès son titre, ce texte jette le soupçon sur les éleveurs. En tant qu'agricultrice, je puis témoigner de l'attachement de la très grande majorité des éleveurs à leurs animaux. Ils font souvent passer le bien-être de ceux-ci avant le leur. On ne doit pas se servir de quelques cas particuliers de maltraitance pour discréditer toute une profession.

Le texte n'est qu'une suite de nouvelles interdictions et restrictions : condition d'élevage, durée du transport, élimination des poussins mâles et des canetons femelles en filière ponte. Il fait fi des efforts déjà réalisés en matière de bien-être animal et se limite à l'échelle nationale, alors que le cadre d'action devrait être européen. Il ne se préoccupe pas non plus de ses conséquences néfastes sur les agriculteurs.

Avec cette proposition de loi, c'est comme si le Gouvernement n'avait rien fait pour améliorer la condition animale. Or, des mesures ont déjà été prises comme les interdictions de la castration à vif des porcelets et, à terme, de l'élimination des poussins mâles. Les moyens prévus par le plan de relance pour moderniser les élevages et les abattoirs répond à l'article 4. J'ai pu mesurer des progrès ainsi financés dans l'Yonne.

Notre groupe s'abstiendra sur ce texte ; pour ma part, je voterai contre.

M. Laurent Duplomb .  - (Applaudissement sur les travées du groupe Les Républicains) Comment prendre la parole quand ce sera ici la seule parole d'un éleveur ?

Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur.  -   Je le suis aussi !

M. Laurent Duplomb.  - C'est vrai, nous sommes deux. Comment parler de ma passion après ce qui a été dit ?

Il ne faut pas confondre le bien-être animal et la maltraitance animale -  condamnable.

On ne peut pas se contenter de parler d'élevage sans rappeler les évolutions conduites depuis des années en faveur du bien-être animal.

Quand je me suis installé, mes bovins étaient attachés six mois de l'année. Ils sont désormais en stabulation libre, ventilés à 23° et brossés.

Les éleveurs s'interrogent sur l'éthique de notre société.

J'entendais récemment à la radio un animateur qui souhaitait acheter une urne funéraire d'occasion. Son vendeur, sur Leboncoin, lui explique qu'il s'agit en réalité de celle de sa belle-mère, dont il a vidé les cendres, sa femme l'ayant quitté (Rires sur diverses travées). Comment un éleveur peut-il comprendre cette dichotomie de la société ? Elle exige de lui de nouveaux efforts sans réagir à l'histoire que je viens de vous raconter. Quid du sens de l'humain ?

Bien sûr, nous pouvons ouvrir le débat sur l'intégration, sur l'élevage intensif, mais on ne peut continuer à stigmatiser, à faire des amalgames, au risque de faire disparaître l'élevage dans notre pays, si important pour nos paysages et la vie de nos campagnes.

Notre élevage, que vous condamnez (On le conteste sur les travées du GEST), est majoritairement resté familial : il faut le défendre et le préserver.

Nous n'y arriverons pas en stigmatisant une profession qui mérite plutôt notre respect. Soyons fiers de nos éleveurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur divers bancs du groupe UC)

M. Arnaud Bazin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Voilà longtemps que nous n'avons pas débattu de tels sujets éthiques, certainement depuis les articles de la loi EGalim sur les poules pondeuses et les vidéos dans les abattoirs - ce qui prouve tout l'allant du Gouvernement sur ce sujet puisque seuls quatre abattoirs sont dotés de tels systèmes vidéos, sur les dix prévus.

Il faut donc remercier le GEST d'avoir suscité ce débat, surtout que le Gouvernement ne semble pas pressé d'inscrire à notre ordre du jour la proposition de loi sur le bien-être animal, pourtant issue de sa propre majorité.

Qui pourrait être opposé à un élevage respectueux des animaux associé à une rémunération décente des éleveurs ? Il est convenu de parler du bien-être animal, mais il y a dans ce terme une grande hypocrisie qui me gêne, c'est un autre débat. Il faut surtout respecter les besoins fondamentaux des animaux que nous élevons pour les consommer ou consommer leurs produits - ce sera déjà bien.

On ne peut en rester aux « Y'a qu'à interdire » et « Faut qu'on subventionne l'adaptation », sans prendre en compte l'environnement européen et les conséquences économiques avec un double risque : une alimentation à deux vitesses, l'une pour bobos et l'autre pour prolos, et la ruine de beaucoup de nos éleveurs, sans bénéfice pour les animaux, mais avec des conséquences sérieuses pour nos territoires.

Ajoutons à cela une dissonance cognitive : le comportement du consommateur n'est pas toujours celui du citoyen qui répond à la question du sondeur. Les Français se disent prêts à payer 15 % plus cher leurs denrées alimentaires mais, dans les faits, au-delà de 7% à 8 % de surcoût, le consommateur ne suit pas. Le bien-être animal doit relever d'une démarche scientifique déclinée en critères compréhensibles.

Il faut aussi revoir nos accords commerciaux européens et internationaux pour éviter l'exportation de conditions d'élevage que nous n'accepterions plus chez nous. Sinon, les animaux seront maltraités, mais loin de chez nous : cachez cet élevage que je ne saurais voir... belle avancée pour les Tartuffe !

Un élevage éthique représente un progrès moral pour l'espèce humaine, ce qui suppose un grand travail d'éducation sur plusieurs générations.

Ce texte est d'appel. Le Gouvernement doit se saisir du sujet : éducation à l'alimentation, modification de l'alimentation, protection des éleveurs contre la concurrence déloyale, étourdissement préalable obligatoire des animaux, surveillance vétérinaire des abattoirs, mise en oeuvre de contrôles appropriés.

Cette proposition de loi nous invite à l'action. L'alimentation doit retrouver toute son importance et s'inscrire dans le nécessaire progrès moral de l'humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE ADDITIONNEL avant l'article premier

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai d'un an à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport faisant un état des lieux exhaustif de l'ensemble des démarches engagées en faveur du bien-être animal en France. Il dresse à la fois les actions mises en oeuvre dans le monde de l'élevage mais aussi celles impulsées ou portées par la société civile ou les entreprises. Ce panorama précis permettra aux pouvoirs publics mais également à l'ensemble des acteurs mobilisés sur cette question, de savoir réellement où la France se situe en matière de bien-être animal et en conséquence, les mesures à mettre en oeuvre pour accompagner et accélérer ce mouvement.

M. Franck Montaugé.  - J'ai présenté mon amendement dans la discussion générale. Nous avons besoin d'un état des lieux et d'une étude comparée pour progresser efficacement et collectivement sur le sujet. On ne pourra progresser que si l'on part d'un constat partagé, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Le Gouvernement pourrait-il nous répondre ?

Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur.  - Dans un souci de cohérence avec son rejet du texte, avis défavorable de la commission, même si la philosophie de l'amendement apparaît stimulante.

Les questions que vous posez sont essentielles, mais un rapport au Parlement n?est pas le meilleur vecteur pour y répondre. Il faut que le Gouvernement s'engage à réfléchir sur ces sujets et en présente un grand panorama.

M. Alain Griset, ministre délégué.  - L'identification des pratiques en faveur du bien-être animal est menée par le Gouvernement. Le ministère de l'Agriculture travaille sur les alternatives aux pratiques douloureuses. La loi EGalim comporte des mesures de lutte contre la maltraitance animale.

Enfin, le plan de relance consacrera 100 millions d'euros au bien-être animal. Votre amendement est satisfait. (M. Franck Montaugé en doute) Retrait ou avis défavorable.

M. Joël Labbé.  - Nous savons que le texte sera rejeté, mais cet amendement a sa raison d'être. Un tel rapport serait dans l'intérêt de tous, y compris des éleveurs.

S'il ne reste que cela du texte, ce sera toujours un progrès...

M. Arnaud Bazin.  - L'article 69 de la loi EGalim prévoyait un rapport dans un délai de dix-huit mois sur la spectrométrie pour éviter le broyage des poussins et des canetons et sur les conditions de transport des animaux. Il ne nous a pas encore été remis...

M. Fabien Gay.  - Nul besoin d'être agriculteur pour parler d'agriculture, monsieur Duplomb. Le groupe CRCE a ainsi un avis très tranché sur l'ISF, alors qu'aucun d'entre nous ne l'a jamais payé... (Sourires à gauche ; Mme Esther Benbassa applaudit.)

Ce rapport serait certes insuffisant. Beaucoup de propositions de loi ont été déposées sur ce sujet de société. Nous avons envie d'en débattre.

Ici, il n'y a pas eu de polémique sur la proposition de loi de LaREM à l'Assemblée nationale sur le bien-être animal. La seule polémique a été entretenue par le Gouvernement et la majorité qui ont prétendu dans un journal du dimanche que le Sénat bloquerait toute évolution... Le Sénat ne bloque rien ! Si vous voulez déposer ce texte, nous en débattrons.

M. Franck Montaugé.  - Je ne retirerai pas mon amendement dont tous les groupes soutiennent l'esprit, même si la droite refuse le texte.

Votre réponse est surréaliste, monsieur le ministre. Faites-moi passer les éléments que vous évoquez : je ne suis pas certain qu'ils existent, ou de façon très partielle.

M. Daniel Salmon.  - Ce rapport aurait été l'occasion de travailler sur une définition plus précise du bien-être animal. Je sais bien que les éleveurs ne maltraitent pas leurs animaux par plaisir. Mais un grand amour partagé entre 80 000 volailles, cela ne fait pas beaucoup d'amour par volaille...

Notre élevage industriel doit évoluer. On est toujours débordé par le moins-disant.

Il faut protéger nos élevages et trouver des moyens de lutter contre la concurrence déloyale. Ce rapport est un premier pas.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques.  - On peut se faire plaisir en votant cet article, mais le texte ne sera pas adopté...

Mme Esther Benbassa.  - Pourquoi ?

Mme Sophie Primas, présidente de la commission.  - Nous n'avons pas déposé d'amendements de suppression des articles, par égard pour Mme Benbassa, mais ils seront tous rejetés. Mme le rapporteur est donc fondée à émettre un avis défavorable au nom de la cohérence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Duplomb.  - Très bien.

M. Ronan Dantec.  - Même si tous les articles sont rejetés, on peut tout de même voter l'article additionnel !

M. Guillaume Gontard.  - On peut aussi s'arrêter de discuter tout de suite. (Applaudissements ironiques à droite) J'ai l'impression que le sujet ne vous intéresse pas. (On le conteste à droite.) Il faut donc respecter le travail réalisé. S'il ne reste que cette disposition, il restera au moins celle-ci. (M. Joël Labbé applaudit.)

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article premier n'est pas adopté, non plus que les articles 2 et 3.

ARTICLE ADDITIONNEL avant l'article 4

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par MM. Cabanel, Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin et MM. Guiol et Requier.

Avant l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

En cas de confiscation du cheptel d'un agriculteur à l'issue d'un contrôle par les services vétérinaires de l'État, l'accompagnement social et psychologique relevant de la cellule de prévention pluridisciplinaires de la mutualité sociale agricole est automatiquement déclenché au bénéfice de l'agriculteur concerné, dans des conditions définies par décret. 

M. Henri Cabanel.  - Il faut tenir compte du bien-être des agriculteurs. L'amendement prévoit de déclencher automatiquement le dispositif d'accompagnement social et psychologique de la Mutualité sociale agricole (MSA) pour les éleveurs dont le cheptel a été confisqué à la suite d'un contrôle.

Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur.  - La confiscation du cheptel est très traumatisante.

Cette idée mérite d'être étudiée, comme le préconise le rapport Férat-Cabanel, notamment dans le plan d'action du Gouvernement et dans la convention d'objectifs de gestion avec la MSA.

Ce dispositif peut être mis en oeuvre dès demain, sans vote d'une loi. J'aimerais entendre le Gouvernement. Par cohérence, avis défavorable à l'amendement puisque nous appelons à rejeter le texte.

M. Alain Griset, ministre délégué.  - L'accompagnement social et psychologique des éleveurs dont le cheptel est saisi est une nécessité. Les corps de contrôle doivent informer les agriculteurs sur les aides dont ils peuvent bénéficier et un référent départemental être identifié. Une loi n'est pas nécessaire, le Gouvernement se mobilise à travers le plan d'action. Avis défavorable.

L'amendement n°3 rectifié bis n'est pas adopté.

ARTICLE 4

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par M. Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 1

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ces aides visent également à mettre en oeuvre des mesures de soutien et d'accompagnement psychologiques pour les agriculteurs et les acteurs de l'abattage afin de leur apporter une écoute et leur proposer des mesures améliorant leur bien-être au travail.

M. Franck Montaugé.  - Cet amendement prolonge les travaux de M. Cabanel et de Mme Férat qui font désormais référence.

Les opérateurs d'abattoir travaillent dans des conditions extrêmement difficiles : ils sont confrontés quotidiennement à la mort, ils la donnent ; ils évoluent dans un cadre qui, d'autres que moi l'ont dit, s'apparente à l'univers concentrationnaire. J'ai, comme beaucoup d'entre vous, visité des abattoirs. Je me rends compte de ce que cela représente. Un accompagnement spécifique doit leur être proposé.

Mme Marie-Christine Chauvin, rapporteur.  - Toujours par cohérence, avis défavorable. Le lien établi entre bien-être animal et bien-être des éleveurs et des opérateurs d'abattoir est toutefois très juste. Le Gouvernement peut agir dès aujourd'hui sans une nouvelle loi.

M. Alain Griset, ministre délégué.  - La prévention du mal-être et du risque suicidaire est un enjeu majeur de la politique de santé au travail.

Un plan d'action en matière d'accompagnement des agriculteurs sera prochainement présenté par le ministère de l'Agriculture.

Le plan de relance et de modernisation des abattoirs est aussi une opportunité pour améliorer à la fois les conditions de travail et la protection animale - les deux ambitions sont intimement liées.

Avis défavorable même si le Gouvernement rejoint les préoccupations exprimées.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Si cet article n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les quatre articles qui la composent auraient été supprimés.

Quelqu'un demande-t-il la parole pour expliquer son vote ?

M. Yves Bouloux.  - Le groupe Les Républicains suivra la rapporteure. Les éleveurs français sont les premiers soucieux du bien-être de leurs animaux. Les méfaits de certains ne doivent pas jeter l'opprobre sur toute la profession.

Toutes les filières ont engagé un effort d'amélioration des conditions d'élevage. L'interprofession porcine Inaporc a ainsi lancé le socle de base du porc, avec des exigences minimales en matière de lumière ou d'abreuvement.

De nombreux progrès ont été accomplis, sans recourir à la loi. Les élevages alternatifs représentent désormais 53 % des poules pondeuses, contre 19 % en 2008.

L'échelle européenne est la bonne pour prendre certaines décisions, notamment en matière de transport ou d'abattage.

Enfin, nous sommes soucieux du bien-être de nos agriculteurs, confrontés à un agri-bashing insupportable.

La grande majorité des membres du groupe Les Républicains votera contre le texte ; quelques-uns s'abstiendront.

Mme Esther Benbassa.  - Je regrette que le Sénat se montre si éloigné des demandes de la population, des jeunes, des consommateurs.

Ce texte est pionnier mais la France est en retard par rapport à d'autres pays comme l'Allemagne. M. Labbé, M. Salmon et moi-même avons fait un travail en phase avec la société. Ces questions se poseront de plus en plus à l'avenir.

En refusant ce texte, avez-vous eu peur du débat ? Notre assemblée aurait dû ouvrir la voie pour l'avenir, au lieu de rester enfermée dans le conservatisme. D'autant que notre texte se montrait également soucieux du bien-être des agriculteurs et des consommateurs !

M. Daniel Salmon.  - Je partage le regret de ma collègue. Nous manquons une occasion de faire évoluer notre système agro-industriel.

Notre texte était équilibré et nuancé, à mille lieues de l'agri-bashing.

C'est vous qui préférez l'amalgame au débat ! Avec un horizon fixé à 2040, nous nous donnions du temps. En refusant de faire évoluer notre modèle d'élevage, chers collègues, vous le condamnez car il ne pourra pas se défendre contre la viande de synthèse. Quelle est la qualité gustative du poulet de six semaines, de cette viande spaghetti, qui s'effiloche, comme on en trouve aux États-Unis ? À force de produire de la viande sans muscles, autant élever directement des cellules, en laboratoire ! Si nous n'évoluons pas, l'élevage français mourra.

M. Guillaume Gontard.  - Je m'étonne d'entendre parler de stigmatisation, d'amalgame, d'agri-bashing... Mais avez-vous lu notre texte ? (Mme la présidente de la commission s'insurge.) Nous connaissons tous les difficultés des petits élevages de plein air, qui peinent à survivre.

Monsieur Duplomb, c'est cette production locale que notre texte promeut : pas l'élevage industriel qui n'est pas créateur d'emploi, qui n'a pas d'impact local, mais la production locale dont les paysans sont fiers, et que les consommateurs recherchent !

Je ne comprends pas que nos collègues ne l'aient pas compris.

Les petits élevages en plein air sont les plus résilients envers les maladies comme la grippe porcine ou la H1N1 - or on axe les mesures sanitaires sur l'agriculture industrielle !

Défendons l'élevage de proximité, c'est ce que tout le monde attend ! Je regrette donc votre vote dogmatique. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. Arnaud Bazin.  - L'objectif, nous le partageons tous : un élevage respectueux des animaux et qui assure un revenu décent aux agriculteurs. Simplement, la commission a démontré que cette proposition de loi n'est pas opérationnelle. La question est complexe.

Mme Esther Benbassa.  - Tout est complexe !

M. Arnaud Bazin.  - Il faut prendre en compte l'échelon européen, le temps long nécessaire à l'évolution des comportements alimentaires. Ce n'est pas en quatre articles que la question sera réglée ; cela suppose un projet ambitieux, porté par le Gouvernement, assorti de moyens.

Nous ne sommes pas dogmatiques mais pragmatiques. Cette proposition de loi ne fonctionne pas (Mme Esther Benbassa le conteste) mais l'objectif doit être poursuivi avec acharnement et détermination ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Fabien Gay.  - On reproche souvent aux écologistes de prôner une écologie radicale, punitive ; ce n'est pas mon cas. On ne réussira pas la transition agro-écologique sans les agriculteurs ni contre eux. On leur a imposé un modèle hyper-productiviste qui ne leur garantit pas un revenu décent. L'article premier interdit l'élevage intensif - à l'horizon 2040 ! Quelle serait la bonne perspective, pour vous ?

Mme Esther Benbassa.  - Un siècle !

M. Fabien Gay.  - L'article 4 propose un fonds d'accompagnement des agriculteurs : ce n'est ni radical, ni punitif !

Nos collègues disent partager l'objectif, tout en votant contre. C'est tout le problème des propositions de loi déposées par les groupes d'opposition.

Le débat commence alors que la société a déjà évolué sur ces questions. Il va se poursuivre. Le rapport à la nature, aux animaux change et pas seulement en matière d'alimentation. Voyez par exemple notre rapport aux animaux dans les cirques, aux animaux de compagnie. (Mouvements sur les travées du groupe Les Républicains)

Ce débat de société plus large se poursuivra. En attendant, monsieur le ministre, nous attendons la proposition de loi En Marche ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Laurent Duplomb.  - L'article premier de ce texte n'est tout simplement pas applicable.

Mme Esther Benbassa.  - Pourquoi ?

M. Laurent Duplomb.  - Sortir tous les porcs en plein air supposerait de mobiliser la surface d'un département. L'élevage de porcs en plein air, c'est le labourage complet de de la parcelle, c'est l'érosion à chaque orage, c'est la disparition totale de la surface de terre ! Ce n'est pas du dogmatisme, c'est la réalité. Si l'on pose une telle obligation, il n'y aura plus de porcs élevés en France, sinon pour une minorité de consommateurs fortunés : nous mangerons du porc élevé à l'étranger, selon des méthodes bien pires ! (M. Daniel Salmon s'exclame.)

M. Fabien Gay.  - C'est pourquoi il faut refuser le Ceta et le Mercosur !

M. Laurent Duplomb.  - Quand je fais pâturer mes vaches laitières, je distingue deux catégories, début de lactation et fin de lactation : donc 50 vaches sortent, 25 restent dedans, remplacées au fur et à mesure qu'elles sortent. Votre texte l'empêcherait ! (On le conteste sur les travées du GEST) C'est pourtant bien ce qui est écrit ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Nadia Sollogoub.  - Les éleveurs de la Nièvre tentent de survivre en exportant leurs broutards en Italie, je leur briserais le moral en votant cette proposition de loi...

Je m'étonne en outre que ce texte n'aborde pas la question majeure de l'abattage des bêtes sans étourdissement. Parler de bien-être animal sans évoquer ce sujet, c'est énorme ! (Mme Esther Benbassa proteste.)

M. Franck Montaugé.  - À l'ère de l'Anthropocène, toutes les filières économiques, toutes les populations, sur toute la terre, sont contraintes d'évoluer. Ce texte contient des propositions, des orientations.

L'agriculture n'est pas le problème ; elle est la solution, à condition d'être accompagnée dans l'évolution de certaines de ses pratiques.

Mais je ne suis pas sûre que l'action du Gouvernement soit à la hauteur des enjeux et de l'urgence.

Nos éleveurs souffrent ; leur horizon c'est la semaine, le mois prochain. Il faut aller beaucoup plus fort que nous ne le faisons.

M. Guy Benarroche.  - Nous sommes tous d'accord sur le constat, à une variante près : les mesures en faveur de l'élevage éthique, c'est maintenant qu'il faut les prendre ! Ce ne sont pas les amalgames qui ont mis l'élevage dans la situation qu'il connaît, mais les modes d'élevage imposés aux éleveurs par notre modèle de société.

Cette loi n'est qu'un premier pas, certes. Mais pourquoi n'avez-vous pas tenté de l'amender, au lieu de la rejeter ? Je regrette que vous ayez refusé l'obstacle, plutôt que d'avancer ensemble pour sauver l'élevage français. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Olivier Rietmann.  - Les désaccords sont plus profonds que vous ne le dites. Cela fait plus de trente ans que les agriculteurs modifient leurs pratiques. Ils n'ont pas attendu la loi pour se lever à deux heures du matin afin d'aider une vache à vêler !

Toutes les études montrent que le stress des animaux est maximal au chargement et au déchargement. J'ai participé à ces études. Après 45 minutes de transport, les animaux retrouvent un pouls normal. L'enjeu, ce n'est pas la durée du transport mais la formation des bouviers et des chauffeurs ainsi que les conditions de transport.

Je ne peux pas voter cette loi, parce qu'elle contient des contrevérités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sophie Primas, présidente de la commission - Merci à la rapporteure pour son travail. Monsieur Gontard, vos propos sont désobligeants : nous ne découvrons pas ce texte. Nous l'avons travaillé en commission, Mme Benbassa a travaillé avec Mme Chauvin.

Nous avons des désaccords sur le fond. Pour des raisons pratiques et non idéologiques, nous pensons qu'il faut le rejeter. Les dispositifs proposés ne sont pas conformes à la situation de l'agriculture européenne ; sur le sexage des poussins et des canetons, par exemple, des solutions plus respectueuses émergent.

Il y a donc des désaccords ; entendez-les, et ne nous reprochez pas de ne pas travailler ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

A la demande du GEST, l'article 4 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°126 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 252
Pour l'adoption 33
Contre 219

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme la présidente.  - Les articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés, je constate qu'il n'y a plus de texte. En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Prochaine séance, demain, jeudi 27 mai 2021 à 10 h 30.

La séance est levée à 20 h 15.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 27 mai 2021

Séance publique

De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures

Présidence :

Mme Laurence Rossignol, vice-présidente Secrétaires : Mme Martine Filleul Mme Corinne Imbert

1. Proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises (n°311, 2020-2021)

2. Proposition de loi visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles (n°426, 2020-2021)

De 16 heures à 20 heures

Présidence :

M. Roger Karoutchi, vice-président

3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs (texte de la commission, n°611, 2020-2021)

4. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques (texte de la commission, n°613, 2019-2020)

À la suite de l'espace réservé au groupe RDPI et, éventuellement, le soir

Présidence :

M. Vincent Delahaye, vice-président

5. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (procédure accélérée) (texte de la commission, n°622, 2020?2021)