« Trois ans après la loi Asile et immigration, quel est le niveau réel de maîtrise de l'immigration par les pouvoirs publics ? »

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Trois ans après la loi Asile et Immigration, quel est le niveau réel de maîtrise de l'immigration par les pouvoirs publics ? », à la demande du groupe Les Républicains.

M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Trois ans après, quel est l'intérêt de la loi Collomb ? Quasiment nul.

Nous avions dit que ce texte, au demeurant sympathique et aux objectifs positifs, ne permettrait pas de changer de politique. L'expérience a montré que nous avions raison.

Le Sénat l'avait considérablement modifié, mais le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont préféré adopter une loi quasiment vide.

En matière d'asile, il faudra bien reconnaître que, lorsque les pays d'origine ne sont pas en guerre ou théâtre de persécutions, la procédure est détournée au profit d'une immigration économique.

Le premier pays d'origine, c'est l'Afghanistan. Là, pas d'état d'âme ! Il est légitime que des Afghans arrivent au titre du droit d'asile, que la France a toujours respecté -  il existait d'ailleurs dès avant la Révolution.

Ensuite viennent la Côte d'Ivoire, le Bangladesh et la Guinée. Ces pays sont certes en grande difficulté économique, mais ce ne sont pas des dictatures et les droits de l'homme n'y sont pas foulés aux pieds.

Les déboutés du droit d'asile doivent être raccompagnés à la frontière. En pratique, les gouvernements successifs ne se sont pas mis en état de le faire.

M. Sébastien Meurant.  - Eh non !

M. Roger Karoutchi.  - Sur environ 120 000 demandes annuelles, 40 000 personnes obtiennent l'asile. Or sur les 80 000 personnes déboutées, seules 15 000 à 20 000 sont effectivement raccompagnées -  les bonnes années. Nous fabriquons donc tous les ans entre 50 000 et 70 000 sans-papiers ! Il y a ensuite une pression pour les régulariser, au nom du temps passé en France.

La loi Collomb n'a rien changé à cet égard.

Le problème du regroupement familial n'est pas non plus résolu. Les gouvernements successifs ont facilité l'acquisition de la nationalité, créant des droits au regroupement d'autant plus nombreux.

Les centres de rétention n'ont pas non plus évolué.

Il faut dire que le Gouvernement ne dispose pas à l'Assemblée nationale de la majorité pour agir. Peut-être aussi n'est-il pas lui-même unanime...

Vous vous retranchez derrière les règles européennes, mais tout n'est pas la faute de l'Europe. Par exemple, comment accepter que l'Agence française de développement vienne en aide à des pays qui refusent la réintégration de leurs ressortissants ?

En matière de droit de séjour, l'Allemagne impose des conditions d'acquisition de la langue : des centaines d'heures d'apprentissage, sanctionnées par un examen. En France, il n'y a qu'une obligation d'assiduité, sans contrôle du niveau...

Au bout du compte, beaucoup de discours, mais peu de réalisations ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté .  - Le texte de 2018 faisait suite à la crise migratoire de 2015 et 2016, marquée par une forte pression migratoire. Il visait à réduire les délais de traitement des demandes, à renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière et à améliorer l'accueil des étrangers admis.

Enrichi par le Parlement, il a été validé par le Conseil constitutionnel dans son intégralité. (M. Stéphane Ravier s'esclaffe.)

Nous progressons vers l'objectif d'un délai de traitement ramené à six mois, notamment grâce au guichet unique de l'asile. La crise sanitaire a toutefois enrayé les progrès réalisés.

La productivité de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a augmenté de 25 %, grâce à 200 postes supplémentaires. L'objectif d'un traitement des demandes en deux mois va être atteint. Je salue les agents de l'office pour leur travail délicat, parfois éprouvant.

Le principe de l'orientation directive des demandeurs d'asile s'applique depuis le 1er janvier 2021, pour une meilleure répartition territoriale. Au 1er novembre 2021, 16 000 demandeurs d'asile avaient ainsi été réorientés de l'Île-de-France vers d'autres régions. En parallèle, 4 700 nouvelles places d'hébergement ont été créées, portant la capacité du parc d'hébergement à 103 000 places.

La loi nous donne le moyen d'agir plus efficacement pour éloigner les déboutés du droit d'asile : le recours contre la décision négative de l'Ofpra n'est plus automatiquement suspensif, et les conditions matérielles d'accueil peuvent être retirées.

Pour mieux lutter contre l'immigration irrégulière, la loi a doté l'administration de nouveaux instruments tels que la rétention dont la durée maximale est portée à 90 jours, ou la retenue administrative de 24 heures. Toutes ces mesures ont facilité les éloignements forcés, dont le nombre a atteint 19 000 en 2019.

Cependant, la crise sanitaire a interrompu la dynamique. En 2021, le nombre d'éloignements reste tributaire de la situation sanitaire mais aussi de la posture diplomatique de certains pays d'origine. C'est pourquoi, vous le savez, nous faisons pression sur ces pays -  Algérie, Maroc, Tunisie  - pour une meilleure délivrance des laissez-passer consulaires.

Nous ciblons prioritairement les étrangers présentant une menace pour l'ordre public : 1 238 personnes ont ainsi été éloignées fin 2021. Cette mesure sera reconduite en 2022.

La création du fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM) depuis le 1er mars 2019 permet aux préfectures d'apporter leur concours aux conseils départementaux dans la phase d'évaluation des mineurs non accompagnés (MNA). En 2021, 78 collectivités ont utilisé le dispositif, et une incitation financière a été mise en place. Sur les 19 441 dossiers enregistrés, 95 % concernent des hommes, 50 % sont des majeurs ; la répartition par nationalité est stable, Guinéens, Ivoiriens et Maliens représentant 57,8 % des enregistrés.

Enfin, la loi de 2018 se donnait l'ambition d'accueillir davantage d'étrangers très qualifiés, en élargissant le passeport Talents.

Mme le président.  - Il faut conclure.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Je détaillerai d'autres points dans mes réponses à vos questions. (M. François Patriat applaudit.)

M. Stéphane Ravier .  - « Nous allons renforcer les contrôles, traquer les fraudeurs, punir les coupables ! », déclarait il y a quelques jours un membre du Gouvernement. Je me suis dit : « Enfin ! On va s'occuper des immigrés clandestins ! » Hélas, vous ne parliez pas des étrangers mais des Français, ces Gaulois réfractaires non-vaccinés.

Puisque l'État de droit est accessoire à vos yeux, que l'on peut suspendre la liberté de circuler des Français, nous pouvons donc le faire pour les étrangers, équiper les clandestins d'une application de tracking afin de s'assurer qu'ils quittent bien le territoire ! (M. Guy Benarroche s'insurge.)

Votre loi de 2018 n'a rien changé, les chiffres explosent : 277 000 titres de séjours délivrés, dont 14 % seulement pour une immigration de travail ! Cette immigration n'est pas une chance mais un fardeau et un fléau. Plutôt que de faire repartir les immigrés chez eux, vous préférez les répartir chez nous.

En 2019, 115 000 demandes d'asile ont été rejetées, pour 19 000 expulsions forcées. Cela fait donc 95 000 clandestins supplémentaires - l'équivalent d'une ville comme Tourcoing. Pourquoi M. Darmanin ne les y accueillerait-il pas tous ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Le débat ne porte pas sur le passe vaccinal - ou me serais-je trompée d'assemblée ?

La loi a bien donné des résultats : 19 000 éloignements forcés en 2019. Par ailleurs, nous considérons les étrangers non pour ce qu'ils sont, mais pour ce qu'ils font. Certains ont vocation à être raccompagnés, d'autres sont éligibles à l'asile. Beaucoup ont aidé le pays à tenir pendant la pandémie ; nous les avons d'ailleurs naturalisés.

Toutes les situations ne se valent pas ! (M. Bernard Buis applaudit.)

M. Jean-Yves Leconte .  - L'asile est un droit, l'immigration une politique. La proportion d'immigrés dans la population française est dans la moyenne européenne. La France délivre 8 % de premiers titres de séjours, contre 17 % pour l'Allemagne et 20 % pour la Pologne. Toutes les économies innovantes, à part la Chine et le Japon, ont une proportion d'immigrés bien supérieure à la nôtre.

Nous avons, non un problème de contrôle, mais d'intégration. Pourquoi, madame la ministre, ne voulez-vous pas aller plus loin ?

Pourquoi ne dénoncez-vous pas les propositions folles, démagogiques, de la droite ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) L'idée de quotas est totalement irresponsable : avec seulement 12 % de titres délivrés pour l'emploi, l'un des plus bas taux de l'Union, nous n'avons aucune marge de manoeuvre, car nous délivrons très peu de titres de séjour ! (M. Stéphane Ravier le conteste.)

M. Roger Karoutchi.  - 220 000 titres de séjour par an, c'est pas mal !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Je me suis déjà élevée contre l'idée d'une immigration zéro, qui est déconnectée de la réalité.

En 2019, le Premier ministre avait évoqué devant le Parlement la possibilité de définir des objectifs chiffrés en matière d'immigration professionnelle ; le comité interministériel de 2019 l'a acté. Nous développons une politique d'attractivité visant à attirer des profils de pointe pour les secteurs innovants, grâce au Passeport Talents : 31 000 ont été délivrés en 2020. (M. François Patriat applaudit.)

M. Jean-Yves Leconte.  - Nous n'avons plus de marge de manoeuvre, sauf à changer les règles en n'accueillant plus d'étudiants ni de conjoints de Français ! (M. Guy Benarroche approuve.)

M. Ludovic Haye .  - La loi Asile et immigration avait pour objet de réduire de onze à six mois les délais d'instruction des demandes d'asile par l'Ofpra. Elle prévoyait pour ce faire de nouveaux outils, validés par le Conseil constitutionnel. Quels sont les résultats en la matière ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Toute demande doit recevoir une réponse rapide, qu'elle soit positive ou négative : c'est pourquoi nous avons fixé un objectif de notification de la décision définitive dans un délai moyen de six mois. Les 200 ETP supplémentaires alloués à l'Ofpra ont permis de répondre à ce défi. Malgré un allongement conjoncturel des délais dû à la crise sanitaire, l'activité de l'Ofpra a repris, avec 130 000 décisions rendues en 2021, ce qui en fait le premier organisme de protection en Europe, devant l'Allemagne. Nous devrions atteindre la cible en 2022. (M. François Patriat applaudit.)

M. Franck Menonville .  - Le nombre de demandes d'asile ne cesse d'augmenter, malgré la baisse conjoncturelle due à la crise sanitaire. La majorité des immigrés ne relève pas du droit d'asile, qui est massivement dévoyé. Nous ne parvenons toujours pas à faire exécuter les décisions de reconduite aux frontières pour les déboutés du droit d'asile, malgré la loi de 2018. L'objectif de la loi n'est pas atteint. (M. Roger Karoutchi approuve.)

Comment améliorer la procédure pour garantir le droit d'asile tout en maîtrisant nos flux migratoires ?

Le Danemark a adopté une loi pour transférer à des pays tiers les demandeurs d'asile : qu'en pensez-vous ? (MM. Sébastien Meurant et Pierre Médevielle applaudissent.)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Le Danemark est membre de l'espace Schengen, mais ne participe pas au régime d'asile européen en raison de son option de retrait. Il applique néanmoins les règlements Dublin 3 et Eurodac.

Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, le Président de la République souhaite faire avancer le pacte migratoire pour mieux harmoniser les règles, réguler les flux secondaires et renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l'Union.

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La loi Asile et immigration est la vingt-huitième loi depuis 1980 sur le sujet !

Le taux d'exécution des OQTF s'établit à 5,6 % en 2021. Ce taux, le plus bas de l'histoire, interroge sur la crédibilité même de nos institutions. En 2020, sur 93 000 demandes d'asile, trois quarts des requérants ont été déboutés. On a vite fait de calculer le nombre de personnes qui demeurent illégalement sur le territoire...

Ne serait-il pas temps de traiter les demandes dans les pays d'origine, auprès des consulats des États membres de l'Union ? Le Gouvernement va-t-il proposer cette mesure au niveau européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Ce serait peu opérationnel. Il faudrait un accord hautement improbable des pays concernés. L'écrasante majorité des 82 millions de personnes déplacées est extra-européenne. Il serait illusoire de penser mettre ainsi fin à la migration des demandeurs d'asile vers le territoire européen.

Sur le plan juridique, une telle proposition se heurterait à nos principes constitutionnels et à nos engagements européens.

En revanche, il faut consolider le recueil des demandes d'asile à la frontière extérieure de l'Union européenne, ce qui est au coeur du pacte pour l'immigration et l'asile.

M. Guy Benarroche .  - Source inépuisable d'exploitation politicienne, l'immigration est pourtant un phénomène naturel. Comment recevoir les immigrés de manière humaine, acceptable socialement, pour mieux les intégrer : voilà la question - non pas comment limiter l'immigration, mais comment l'accompagner.

Pourquoi n'y a-t-il aucune création d'emplois à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ? Maîtriser l'immigration, c'est d'abord respecter les immigrés, leur donner les moyens de faire leur demande, non les refouler illégalement à la frontière, comme à Montgenèvre, détruire leurs tentes ou interdire l'action des associations !

Mais ce Gouvernement n'est pas insensible à la politique du chiffre. Quotas arbitraires, selon les pays ou les compétences, critères bien peu catholiques (M. Roger Karoutchi ironise)... Que prévoyez-vous donc ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Il est faux de prétendre que le Gouvernement empêcherait les associations de travailler - au contraire, elles sont opérateur de l'État, qui les finance. À Calais, elles distribuent des repas, mettent à l'abri, mettent en garde contre les passeurs.

Jamais des policiers ne sont venus lacérer des tentes ! Au contraire, consigne a été donnée de préserver la dignité des personnes migrantes. (M. Guy Benarroche le conteste.)

Nous avons augmenté les moyens de l'Ofpra, avec 200 ETP supplémentaires. Vous savez que la CNDA, qui est une juridiction, relève du ministère de la Justice et est administrée par le Conseil d'État.

Ministre chargée de la laïcité, je ne parlerai pas de critères « catholiques »... (M. Roger Karoutchi s'amuse.)

Mme Éliane Assassi .  - Les mesures de la loi Asile et immigration, largement dénoncées, portent atteinte aux droits des étrangers et des demandeurs d'asile - et partant, à nos valeurs fondamentales, au respect de la dignité humaine.

Ainsi, la promotion du fichier AEM par la loi relative à la protection de l'enfance conduit à faire le tri entre les enfants à protéger et les MNA, à affaiblir encore plus. Quand renversera-t-on cette logique répressive ?

Quelque 28 000 personnes ont été enfermées en centre de rétention, en pleine crise sanitaire ! Allez-vous y mettre fin ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Le Gouvernement veut passer des droits formels aux droits réels, en matière d'éloignement comme d'intégration. Nous agissons dans le respect des droits humains et de la dignité des personnes, y compris dans les centres de rétention administrative et lors des éloignements forcés. Pendant la pandémie, les personnes migrantes ont été prises en charge.

M. Vincent Capo-Canellas .  - La semaine dernière, la ville de Calais a encore été le théâtre de violences impliquant des migrants : ce n'était pas une rixe entre migrants, mais entre migrants et Calaisiens. Plus tôt, lors de l'évacuation d'un camp de migrants, des policiers ont été blessés. Ce territoire s'enlise dans la violence et la misère. La loi Asile et immigration n'a pas permis de sortir de l'impasse. Cette réalité s'impose à nous.

Sangatte a fermé en 2002, la première jungle a été démantelée en 2009. Comment sortir enfin de cette situation ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - La situation est particulièrement difficile à Calais. Avec le ministre de l'Intérieur, nous nous y rendons régulièrement. Je rends hommage aux services de l'État sur le terrain, aux associations et salue tout particulièrement l'action de la maire Natacha Bouchart.

Comme Gérald Darmanin, j'adresse un message de soutien aux CRS qui ont été agressés et blessés au cours de la récente évacuation.

Nous avons besoin d'une action coordonnée avec le Royaume-Uni. Les migrants présents à Calais sont déterminés à le rejoindre, y compris au péril de leur vie. Nous menons une coopération diplomatique en ce sens.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Merci d'avoir salué les forces de l'ordre et les élus. Nous souhaitons des avancées dans la coopération avec la Grande-Bretagne.

M. Bernard Fialaire .  - Il y a trois ans, était promulguée la loi Asile et immigration - la vingt-huitième depuis 1980 à promettre un accueil digne. Rien n'a pourtant changé.

Les campements insalubres se multiplient. Faute de solutions d'hébergement de long terme, certains migrants se tournent vers des squats. C'est notamment le cas à Lyon, sur les pentes de la Croix-Rousse ou dans le quartier de la Confluence.

Il y a un problème de répartition des migrants. Lyon est une terre d'accueil : la région Auvergne-Rhône-Alpes est la deuxième pour les demandes, mais la quatrième seulement pour les centres d'accueil et d'orientation.

La question de l'orientation des migrants est indissociable des capacités d'accueil de chaque région.

Face aux conditions d'accueil insatisfaisantes, ne faut-il pas revoir les dispositions de la loi concernant l'hébergement ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - L'accueil demeure un défi important mais des progrès sensibles ont été réalisés grâce à la loi Asile et immigration. Les capacités du dispositif national d'accueil ont été renforcées. Nous avons 400 places dédiées aux réfugiés en Île-de-France et 6 000 places plus globalement pour les demandeurs d'asile. La région Auvergne-Rhône-Alpes est l'une des mieux dotées, avec 550 nouvelles places en 2021.

L'État finance les places, mais le défi est souvent de convaincre les élus locaux de les accueillir.

Le dispositif d'orientation depuis les régions les plus concernées, en place depuis le 1er janvier 2021, vise à éviter que les demandeurs ne se retrouvent à la rue.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Depuis début octobre, les avocats auprès de la CNDA sont en grève afin de dénoncer l'augmentation du nombre de décisions rendues par ordonnance, c'est-à-dire sans que le demandeur soit entendu lors d'une audience. Ils dénoncent une politique du chiffre.

Bien sûr, il est nécessaire de réduire les délais d'examen des demandes, mais il n'est pas justifié que des personnes en situation très difficile, qui ont subi des persécutions, ne puissent faire valoir leurs droits oralement.

Comment répondre à cette problématique ? Les demandeurs d'asile ont le droit d'être entendus.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Le Gouvernement s'est fixé comme objectif de répondre définitivement en six mois, en tenant compte des différentes étapes de la procédure. Le délai moyen sur le segment préfecture du dossier est désormais maîtrisé. Si la crise sanitaire a allongé les délais en 2020, on constate depuis une amélioration. En 2021, l'Ofpra a pris plus de 130 000 décisions.

Le délai moyen de traitement devant la CNDA est actuellement de cinq mois. Vous savez que la CNDA étant une juridiction, elle est indépendante du Gouvernement.

Nos objectifs devraient être atteints en 2022 s'agissant des instances qui, elles, dépendent du Gouvernement.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Réduire les délais, oui, mais permettre aux personnes de s'exprimer, oui aussi !

M. Sébastien Meurant .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a trois ans, le Gouvernement nous promettait une loi « humaine et efficace ». Tous les jours, nous constatons les ravages de l'ensauvagement, lié notamment à l'immigration.

Les morts du Bataclan ont payé l'angélisme du prédécesseur de M. Darmanin, M. Valls, qui défendait que l'on trie parmi les réfugiés.

L'immigration clandestine n'a jamais autant prospéré. Il y aurait 600 000 à 700 000 clandestins sur notre sol, pourtant le Président de la République promettait de tous les expulser. Paroles, paroles...

L'immigration légale est largement liée au regroupement familial, donc non choisie. L'immigré est censé avoir les moyens de faire vivre sa famille... Combien d'immigrés légaux viennent-ils grossir les rangs de l'immigration clandestine à l'expiration de leur visa ? Nous en délivrons 3,5 millions par an !

Quel est le coût réel de l'immigration ? Est-il raisonnable, alors que les Français ont du mal à se loger et se soigner, d'accueillir plus de 450 000 personnes par an ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Je ne suis pas moins au contact de la réalité que vous. (M. Sébastien Meurant proteste.)

En 2019, il y a eu 19 000 éloignements forcés, contre 12 000 en moyenne entre 2007 et 2011. C'est un fait.

Vos propos sont caricaturaux. Nous signons régulièrement des retraits ou des refus de titre de séjour pour troubles à l'ordre public, pour non-respect des valeurs de la République, notamment en cas de condamnation pour violences sexistes et sexuelles - une avancée que j'avais obtenue d'Édouard Philippe.

Le ministère de l'Intérieur mène des actions très concrètes. Nous regardons ce que font les étrangers, non ce qu'ils sont ni d'où ils viennent.

C'est l'honneur de la France d'accorder des titres de séjours aux réfugiés. Nous sommes aussi très heureux d'accueillir les passeports Talents et nous expulsons ceux qui n'ont rien à faire en France.

M. Arnaud de Belenet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'intitulé de la loi du 10 septembre 2018 pourrait faire croire, à tort, que le Parlement a enfin adopté la réforme qui réglerait tous les problèmes. Trois ans après, ce n'est pas le cas.

L'éloignement des étrangers sans droits ni titres est insatisfaisant. Raccourcir les délais de traitement, c'est bien ; s'assurer de l'exécution des OQTF, c'est mieux !

Après avoir atteint 22 % en 2012, leur taux d'exécution ne dépasse pas les 15 % depuis 2016. Avec la crise du Covid, le plancher est historiquement bas. Cela entame la crédibilité du discours du Gouvernement...

C'est bien le coeur du problème. Éloigner les déboutés du droit d'asile coûte cher, sans parler de l'épineux problème des laissez-passer consulaires.

Quel est le taux d'exécution des OQTF pour 2021 et quelles sont les mesures que vous comptez mettre en oeuvre pour l'améliorer ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - L'efficacité des services s'exprime par un taux mais surtout par un chiffre brut. La durée de rétention a été allongée à 90 jours. Les éloignements contraints ont atteint 20 994 en 2019, 30 % de plus qu'en 2016. La crise sanitaire a interrompu cette dynamique ; s'y ajoute la posture de certains pays d'origine.

Nous ciblons prioritairement l'éloignement des étrangers représentant un trouble à l'ordre public.

Nous augmentons les capacités des centres de rétention administrative ; trois ont été ouverts.

Nous développons les retours volontaires avec 1 100 places en dispositifs de préparation au retour (DPAR).

Enfin, le ministre de l'Intérieur a sensiblement réduit le nombre de visas délivrés aux pays les plus récalcitrants à reprendre leurs ressortissants. (M. François Patriat applaudit.)

M. Jérôme Durain .  - Ces dernières semaines, le débat public a permis de rappeler que la France est dans la norme en matière d'accueil des étrangers.

D'après Jean-Christophe Dumont, de l'OCDE, l'augmentation du nombre de personnes nées à l'étranger est de 1,5 point en France contre 2,2 pour la moyenne de l'OCDE. C'est 3,3 points en Allemagne et 4 points en Belgique.

Certains se focalisent plus que de raison sur le taux de réalisation des OQTF. Il est évidemment insatisfaisant qu'une décision administrative ne soit pas exécutée. Mais, outre les laissez-passer consulaires, il y a aussi un problème français, celui de la délivrance d'OQTF à des jeunes majeurs étrangers issus de l'aide sociale à l'enfance (ASE) qui, formés et intégrés, n'ont aucune raison d'être éloignés. Plutôt que de rechercher 100 % d'application des OQTF, recherchons 100 % d'OQTF justifiées ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - L'enjeu est de sécuriser le droit au séjour des MNA. L'admission au séjour est de plein droit, à leur majorité, pour les mineurs isolés pris en charge par l'ASE avant 16 ans. Une voie exceptionnelle est prévue pour ceux qui sont pris en charge entre 16 et 18 ans et qui justifient d'au moins six mois de formation professionnelle, sous certaines conditions. La circulaire Valls de 2012 traite enfin certaines situations particulières, comme celle des mineurs isolés qui poursuivent des études avec assiduité et sérieux. Nous voulons éviter les ruptures brutales à la majorité.

Reste qu'il est parfois difficile de connaître l'identité et la nationalité de ces jeunes ; 1 139 documents présumés faux ont été détectés en 2019 par la police aux frontières. (M. François Patriat applaudit.)

M. Henri Leroy .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La loi de 2018 se voulait une loi de fermeté. Le bilan est accablant. Vous avez délivré plus de 275 000 titres de séjour en 2019, soit 20 % de plus en trois ans. Vous avez étendu la réunification familiale aux frères et soeurs d'étrangers mineurs. Alors que le nombre d'admissions exceptionnelles au séjour explose, à peine plus de 10 % des OQTF ont été exécutées ces trois dernières années. La loi est passée à côté de ses promesses. Loin de s'être améliorée, la situation s'est dégradée.

À combien estimez-vous le coût de l'immigration pour la France ? Allez-vous lever ce tabou ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Guy Benarroche proteste.)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - La politique d'immigration est retracée dans dix-neuf programmes budgétaires, répartis au sein de treize missions, pour un total d'environ 6,6 milliards d'euros en 2021. Cela comprend les dépenses portées au titre de la politique publique d'immigration, d'asile et d'intégration, les coûts engagés par les forces de sécurité pour lutter contre l'immigration irrégulière, mais aussi les dépenses portées par les ministères de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur ou de la Santé, par exemple pour l'AME.

Une approche plus globale suppose de mettre en rapport coûts et contributions. Selon l'OCDE, en moyenne, entre 2006 et 2018, la contribution des immigrés sous forme d'impôts ou de cotisations a été bien supérieure aux dépenses publiques consacrées à leur protection sociale, leur santé ou leur éducation.

M. Stéphane Ravier.  - Il en faut en faire venir des millions de plus, alors !

M. Henri Leroy.  - À quatre mois des élections, il n'y a plus rien à attendre de ce gouvernement complaisant et laxiste envers une immigration qui, ne vous en déplaise, n'est pas une chance pour la France mais bien un fardeau de plus en plus pesant pour nos concitoyens ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il semble très difficile pour le Gouvernement de donner des chiffres fiables. L'État dispose pourtant d'indices pour établir le nombre d'immigrés en situation irrégulière, notamment en recoupant les fichiers des titres de séjour, de l'AME ou de la caisse d'allocations familiales. Or ces chiffres sont tus, peut-être par peur des réactions ?

Mme Valérie Boyer.  - Bravo !

Mme Catherine Belrhiti.  - En 2018, le rapport d'information de l'Assemblée nationale pointait du doigt l'impossibilité d'estimer correctement le nombre d'habitants en Seine-Saint-Denis, qui compterait 150 à 400 000 étrangers irréguliers...

Selon Patrick Stefanini, ancien secrétaire général du ministère de l'Immigration, il y aurait 900 000 étrangers séjournant illégalement en France. C'est objectivement inquiétant, alors que nos capacités d'accueil sont saturées et que nos dépenses sociales explosent.

Quelle est l'ampleur réelle de l'immigration irrégulière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Il n'existe pas d'outil de comptabilisation fiable en la matière. L'AME offre une première estimation. Au 30 septembre 2020, il y avait 368 890 bénéficiaires de l'AME.

À compter de 2022, le système européen d'entrée-sortie fournira des données ; en l'état, l'interpellation aux frontières donne une estimation incomplète de la pression migratoire.

Mme Catherine Belrhiti.  - Nous avons toujours un problème de chiffres ! Comme je le proposais le 7 octobre dernier, il faut mettre en place des hotspots pour traiter les demandes d'asile dans les pays de départ. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Édouard Courtial .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'article 51 de la loi de 2018 permet la création d'un fichier biométrique des personnes se disant MNA. L'outil est très attendu par les conseils départementaux. Ancien président du conseil départemental de l'Oise, j'ai pu prendre toute la mesure du besoin.

Trois ans plus tard, les problèmes demeurent, voire s'aggravent. Une bagarre au couteau a éclaté il y a quelques jours à Beauvais entre MNA devant le foyer qui les hébergeait. Or je rappelle que les MNA relèvent de la politique de l'État et non des collectivités territoriales.

J'ai fait de nombreuses propositions dans un texte déposé au bureau du Sénat. Allez-vous faire de la gestion des MNA une priorité de votre politique migratoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Ce fichier national biométrique vise à lutter contre le nomadisme des MNA d'un département à l'autre et les fraudes. Au 1er septembre 2021, 83 collectivités territoriales y recourent - 82 départements et la métropole de Lyon - via une convention avec le préfet, pour 20 000 dossiers déjà inscrits. Treize départements s'y refusent encore, malgré les incitations financières, or le dispositif ne peut être opérationnel que s'il se déploie sur l'ensemble du territoire. C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité le rendre obligatoire ; il a été intégré au projet de loi relatif à la protection des enfants, définitivement adopté le 16 décembre dernier.

M. Bruno Belin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En août 2021, Kaboul est prise par les Talibans devant le monde ébahi. Avec honneur, la France s'est engagée à accueillir 2 500 réfugiés afghans, mais l'Allemagne en a reçu dix fois plus.

Où en sommes-nous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Dès le mois d'avril, la France a fait venir sur son territoire des personnes qui avaient travaillé en Afghanistan pour notre armée ou notre diplomatie. Je salue la mobilisation du RAID, de nos forces de sécurité intérieure, de nos militaires et de nos services diplomatiques, présents jusqu'aux derniers instants à Kaboul.

Nous avons ainsi recueilli 4 000 Afghans qui avaient travaillé pour nous ou avaient été menacés à cause de leur engagement - nous revenons à la définition de l'asile. Fin décembre, 375 demandes d'asile avaient reçu une réponse positive et près de 1 400 décisions de protection avaient été prises par l'Ofpra.

M. Bruno Belin.  - La situation est apocalyptique en Afghanistan, notamment pour les femmes. La famine qui guette va encore aggraver la situation.

La délégation aux droits des femmes a déjà organisé plusieurs auditions sur le sujet. Je propose une mission d'observation pour sensibiliser à la question. Nous ne pourrons pas dire que nous n'étions pas au courant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Joël Bigot applaudit également.)

Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 1991, Valéry Giscard d'Estaing s'interrogeait : immigration ou invasion ? Plus de trois ans après la loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie », la problématique reste d'actualité.

Certes, les moyens de l'Ofpra et de la CNDA sont en augmentation, plus de policiers sont déployés aux frontières, le nombre de places en centre de rétention administrative a augmenté.

Mais ce n'est pas assez : comme l'a montré Sébastien Meurant, rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Asile, immigration et intégration », les pouvoirs publics ne maîtrisent ni les flux ni les dépenses. Dans le projet de loi de finances pour 2022, 467 millions d'euros sont dévolus à l'Allocation pour demandeur d'asile (ADA), soit une forte augmentation - mais les budgets ont toujours été dépassés... Les dépenses excèdent systématiquement les prévisions ; les décisions administratives ne sont pas respectées.

Les événements à Calais, en Pologne et en Méditerranée nous rappellent que les flux se poursuivent. Une réponse s'impose ; nous ne pouvons hésiter davantage.

La pression migratoire va continuer à augmenter : la population africaine devrait doubler d'ici 2050. Il faut rénover notre droit en profondeur.

Or le Gouvernement a manqué d'ambition. Après s'être refusé à parler de crise migratoire, après avoir présenté l'immigration comme une chance, le président Macron a changé de discours ; mais il a aussi étendu le regroupement familial aux frères et soeurs des mineurs accueillis en France, et n'a pas fait grand-chose contre les mariages de complaisance.

Vous avez refusé d'établir un contrôle aux frontières, de conditionner l'aide publique au développement, de renforcer les peines complémentaires en cas de délit grave commis par un étranger, d'instruire les demandes d'asile dans les pays d'origine.

C'est que vous êtes liés par des textes supranationaux comme la Convention européenne des droits de l'homme, l'accord franco-algérien de 1968 et la Convention de Marrakech, qui interdisent toute maîtrise de l'immigration. Vous avez enfin décidé de restreindre les laissez-passer consulaires pour les ressortissants des pays du Maghreb, mais il est bien tard...

Résultat : deux millions d'étrangers en plus pendant votre quinquennat.

Vous êtes forts dans les mots et faibles dans vos actes. L'immigration restera comme le plus grand échec du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.