Souveraineté maritime française

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans et garantir nos intérêts économiques et stratégiques (demande du groupe Les Républicains).

M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains .  - Je remercie mon groupe pour l'inscription de ce débat à l'ordre du jour. Il touche à des enjeux essentiels pour la France, bien compris par tous les acteurs : le maintien de notre souveraineté et de nos droits exclusifs sur nos territoires maritimes, et notre capacité de surveillance de ces espaces pour empêcher les violations et activités illicites et exploiter durablement nos ressources halieutiques, énergétiques et minérales notamment.

Les défis sont géopolitiques. Ils relèvent de la place de la France dans le monde. Ils réclament une vision stratégique et une approche holistique de notre politique maritime. C'est le rôle de votre ministère de la mer, bien qu'il ne maîtrise pas tous les leviers de cette politique. Tous les gouvernements ont été confrontés à cette difficulté : comment mener une action publique cohérente, compte tenu de la grande diversité des décideurs ? Les moyens sont-ils à la hauteur des besoins ?

La stratégie nationale pour la mer et le littoral lancée en février 2017 a fixé le cadre en définissant quatre grands objectifs : la transition écologique pour la mer et le littoral, le développement d'une économie bleue durable, le bon état écologique du milieu marin et la préservation d'un littoral attractif, et enfin le rayonnement de la France. Où en sommes-nous de leur mise en oeuvre ?

Je m'inquiète du maintien de nos droits exclusifs sur notre espace maritime, le deuxième au monde avec près de 11 millions de kilomètres carrés -  dont 97 % pour nos départements et collectivités d'outre-mer et les terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Le contexte géopolitique se tend dans certaines régions, notamment dans le bassin indopacifique où la Chine ne cache pas ses prétentions hégémoniques.

Le troisième référendum sur l'indépendance en Nouvelle-Calédonie s'est tenu dans ce contexte et dans celui de l'éviction de la France du marché des sous-marins australiens.

S'il s'agit d'une coïncidence malheureuse, le Gouvernement a, à mon sens, mal communiqué sur ces dossiers, et les signaux envoyés à nos partenaires ne sont pas les bons : la France a semblé passive, voire absente sur la question du référendum, et s'est fait rouler dans la farine dans l'affaire des sous-marins.

Notre marine nationale peine à surveiller l'ensemble de notre domaine maritime, notamment pour lutter contre la piraterie et contre la pêche illégale. Elle fait notre fierté, mais ses moyens sont-ils suffisants ?

Concernant les aspects juridiques et diplomatiques, nous devons poursuivre la délimitation territoriale de notre espace maritime, pour éviter toute revendication intempestive. Je salue la vigilance de Philippe Folliot, qui a alerté sur la négligence dont fait preuve la France vis-à-vis de l'atoll de Clipperton et de l'île Tromelin.

Mon second sujet d'inquiétude porte sur l'exploitation de notre domaine maritime. En tant que député européen, j'ai orienté mes travaux sur le sujet de la pêche. Nous imposons des normes à nos pêcheurs, mais nous nous préoccupons moins de la qualité et des conditions dans lesquelles sont pêchées les millions de tonnes de produits importés dans l'Union européenne. Incidemment, les conséquences du Brexit sont très dommageables pour la pêche française, et j'estime que nous n'avons pas été assez fermes pour faire appliquer correctement l'accord.

Les activités maritimes doivent être soutenues et développées, notamment celles qui concernent les gisements de matières premières : d'énormes gisements de nodules polymétalliques et d'encroûtements cobaltifères restent à localiser. Une course est déjà engagée entre les grandes puissances, la France ne doit pas prendre de retard.

Les projets scientifiques sont également essentiels et je salue l'action de l' Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), vitrine de l'excellence française. Il faut une vision stratégique, appuyée par des financements et associant le secteur privé.

Notons que trois des objectifs de la stratégie française sont liés à la protection de l'environnement. Elle est certes nécessaire, mais ne doit pas occulter nos intérêts stratégiques et économiques quand les grandes puissances ne s'embarrassent pas des mêmes contraintes.

Paraphrasant Staline, il faudrait parler de « durabilité dans un seul pays » pour stigmatiser la faiblesse d'une stratégie qui ne fait porter les efforts que sur la France. Nous devons agir au niveau international et multilatéral pour que l'effort soit partagé.

À l'aube d'un nouveau quinquennat, il nous semble nécessaire de faire un point sur notre politique afin de s'assurer que le cap est le bon, et que la barre est fermement tenue. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Joël Guerriau .  - Notre pays entretient un lien particulier avec la mer, du fait de son histoire et de sa géographie. Nous avons traversé tous les océans, conservant une présence en Amérique du Nord, dans les Caraïbes, en Amérique du Sud, dans les océans indien et pacifique, et enfin dans l'Antarctique. La diversité de notre espace maritime est une chance - et, à cet égard, nous nous réjouissons du choix exprimé pour la troisième fois par la Nouvelle-Calédonie de rester française.

La délégation sénatoriale à l'Outre-mer a publié de nombreux rapports sur le sujet. L'un d'entre eux, en 2014, proposait la création d'un ministère de la Mer. À ce titre, madame la ministre, je salue votre présence parmi nous.

Nous avions également plusieurs recommandations concernant la promotion aux échelons national, européen et mondial d'un cadre normatif pour une économie bleue durable, notamment par la prise en compte de la fragilité du milieu marin dans le code minier. Où en sommes-nous ? Où en est l'application des textes internationaux, en particulier de la convention de Montego Bay ?

Beaucoup nous envient la richesse de notre domaine maritime, d'où l'importance de bien le connaître. Le service hydrographique et océanographique de la marine est l'un des piliers de cette connaissance. Un robot sous-marin nous permettra d'explorer nos fonds marins dès la fin de l'année et l'Ifremer a lancé des études mais le retard sera long à rattraper, tandis que les Russes et les Chinois sont très actifs en la matière.

La France doit également maîtriser ses eaux. Notre vigilance est régulièrement mise à l'épreuve. Nous disposons d'un rare outil de défense sous-marine que nous devons préserver. Nos sous-marins, notamment le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Barracuda, figurent parmi les meilleurs.

La regrettable décision de l'Australie n'enlève rien à l'importance de maintenir l'influence française dans la zone indopacifique. J'ai pu voir, en visitant le centre satellitaire de l'Union européenne, des grappes de bâtiments de pêche chinois escortés par des frégates... La Chine a compris que pour dominer le monde, il faut être une grande puissance maritime.

«L'activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l'exploitation de la mer. Et, naturellement, les ambitions des États chercheront à la dominer pour en contrôler les ressources », disait de Gaulle en 1969. Nous y sommes.

Mme Agnès Canayer .  - « Les Français aiment la mer, mais ils la connaissent mal » disait Jacques Chirac en 1994. La France possède le deuxième domaine maritime mondial, mais n'en a pas saisi toute l'importance.

La crise du coronavirus, le dérèglement climatique et le Brexit ont accentué la fragilité de l'économie maritime française. L'an passé, le Sénat a publié un rapport sur la stratégie portuaire ; je me félicite que le Gouvernement s'en soit inspiré.

Il faut aujourd'hui aller plus loin. Au-delà des 1,5 milliard d'euros pour les ports de l'axe Seine, des 650 millions d'euros pour le volet maritime du plan de relance et de la création d'HAROPA (Le Havre, Rouen, Paris), la faiblesse de nos grands ports métropolitains est patente. Le climat social instable condamne peu à peu nos ports par rapport à ceux de nos voisins.

De plus, les ports sont mal reliés à l'hinterland : il faudrait développer les connexions fluviales et ferroviaires.

Le Brexit impacte nos pêcheurs, nos ports et nos échanges commerciaux. Il faut un plan Marshall des ports, indispensable d'un point de vue économique et écologique. Le rapport du Sénat préconise un triplement des aides aux ports ; nous en sommes loin.

Dans un contexte de Brexit dur, il faut également envisager la création de ports francs pour faire face à la concurrence britannique. Ces dispositifs ont été annoncés lors des deux derniers comités interministériels de la mer (CIMer), mais non suivis d'effet. Il est temps d'agir face à la férocité croissante de la compétition internationale.

Le renforcement de l'attractivité de nos ports est un impératif pour le maintien de la souveraineté nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. André Guiol et Olivier Cigolotti applaudissent également.)

M. Jacques Fernique .  - « Les changements que nous avons déjà provoqués dans le système océanique perdureront pendant des siècles et aggravent la crise climatique », selon Dan Laffoley, de l'Union internationale pour la conservation de la nature.

Les océans ont un rôle déterminant à jouer dans la transition écologique, n'en déplaise à Alain Cadec, qui juge excessive la protection de l'environnement...

Le secteur maritime pèse davantage, en termes d'emplois, que le secteur automobile. Les politiques en la matière ne sauraient être strictement nationales. Nous interrogeons ce soir notre souveraineté maritime, mais nous savons combien la collaboration à l'échelle internationale est essentielle. Notre indépendance numérique, par exemple, se joue au fond des océans. Pour contrer la domination des Gafam, il faut une dynamique européenne forte.

De même, contrer la chute de la biodiversité réclame une lutte résolue contre la pêche illégale et la surpêche, et une attitude ferme face à la Chine.

La stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins a fait tache, au lendemain du congrès mondial de l'UICN : le Président de la République s'est opposé à un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins, alors que de grands scientifiques annoncent des pertes de biodiversité inévitables en cas d'autorisation des activités minières.

À long terme, les avantages d'un océan sain dépassent de loin les bénéfices de court terme de l'exploration minière. L'économie bleue n'est qu'un mirage. Encourageons plutôt l'innovation, le recyclage et la réparation !

Engager notre stratégie marine dans la transition écologique est une opportunité et non un frein. Il faudra d'abord crédibiliser l'objectif de neutralité carbone du transport maritime à l'horizon 2050 ; il faudra également protéger au moins 30 % des océans grâce aux aires marines protégées, dont les résultats à court terme sont spectaculaires.

François Sarano prônait devant notre commission du développement durable une transformation du pêcheur exploitant en pêcheur gestionnaire : cessons de rémunérer la destruction pour rémunérer la gestion collective, et bannissons le chalutage en eau profonde.

Laissons le dernier mot à Dan Laffoley : « La protection des océans est une affaire de survie humaine ». Prenons en acte. (Applaudissements sur les travées dGEST et du groupe SER)

M. Pierre Laurent .  - Avec 11 millions de kilomètres carrés, la France dispose du deuxième espace maritime au monde. Que faisons-nous de cette responsabilité ? La question ne doit pas être abordée par la fenêtre étroite de « nos intérêts économiques et stratégiques », comme le suggèrent nos collègues à l'initiative de ce débat, mais avec la hauteur de vue qui sied à la France.

Rappelons-nous les mots du poète : « La terre est bleue comme une orange » ; elle est bleue comme la masse des océans.

Faut-il persévérer dans la recherche de puissance, et la mer se place alors naturellement au coeur de la compétition mondiale, ou reconnaître le rôle des océans dans la construction d'un futur durable ? La France doit choisir la seconde approche.

Le contrôle politique et militaire des zones de ressources au service du marché, voilà la politique actuelle. Nous restons dans cette voie, alors que notre position pourrait ouvrir des échanges et des coopérations.

De plus, réchauffement climatique et bouleversements géopolitiques redessinent la carte du monde ; et nous persistons dans une vision autocentrée et dépassée qui sous-estime l'ambition nécessaire, et la place croissante des enjeux environnementaux.

Notre approche reste militaire, et pour quels résultats ? Notre partenaire allemand persiste à préférer Boeing à Dassault, alors que dans le Pacifique, les États-Unis et le Royaume-Uni ont écarté sans ménagement la France du marché des sous-marins australiens.

Mon camarade Jean-Paul Lecoq, à l'Assemblée nationale, soulignait l'ampleur de l'action à construire : surveillance, sauvetage, lutte contre les pollutions criminelles, protection des ressources halieutiques. Nous devons tenir notre rang au service de la sécurité globale. Si nous mobilisons nos atouts nationaux et développons les coopérations internationales, nous y parviendrons.

Nous devons favoriser une nouvelle vision de la pêche, réinventer la construction navale incroyablement délaissée dans notre pays, revenir à un État stratège dans le développement des ports et soutenir les énergies marines renouvelables.

Les fonds marins regorgent de minerais précieux, et les États font la course pour les exploiter. Au dernier congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 80 % des États et 95 % des ONG se sont prononcés pour un moratoire sur l'exploration et l'exploitation minière des fonds marins ; la France s'est abstenue. Nous proposons, quant à nous, un traité protégeant ces fonds marins de toute exploitation : voilà notre conception d'une souveraineté maritime renouvelée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Olivier Cigolotti .  - Les conflits dans la zone indopacifique, les tensions en Arctique, le Brexit ou les tensions sur l'exploration des fonds marins sont autant de signes de l'aspect multidimensionnel de la question maritime. Depuis la Grèce antique, les nations les plus puissantes sont maritimes.

La France, deuxième espace maritime du monde grâce à son outre-mer, doit en assurer la sûreté. Notre économie, notre industrie, notre diplomatie sont en grande partie tournées vers la mer.

Dans la vive compétition mondiale, la France dispose de nombreux atouts pour développer sa vocation maritime. Notre stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes, articulée avec la stratégie nationale pour la mer et le littoral entrée en vigueur en 2017, doit constituer un socle solide de réflexion.

Concernant la défense de nos intérêts stratégiques, les défis ne manquent pas : certaines délimitations sont remises en cause, des États étrangers se livrent à des activités illicites dans nos eaux. Nous devons être fermes pour préserver nos droits.

Les routes maritimes sont le vecteur de plus 70 % de nos importations et exportations. L'accessibilité des grands axes est vitale. À moyen terme, l'importance stratégique de certaines routes va évoluer à mesure que le besoin en produits raffinés augmente. Une meilleure analyse des flux est nécessaire, pour adapter notre stratégie aux nouvelles menaces.

Je salue la décision de la CMA-CGM de s'interdire la navigation dans les routes du Nord libérées par la fonte des glaces en Arctique ; mais la France va-t-elle inviter les armateurs étrangers à suivre cet exemple ?

La marine marchande représente un outil de souveraineté. Je salue les travaux du Fontenoy du maritime pour encourager la compétitivité du pavillon français, mais nos places portuaires sont plus faibles que celles de nos voisins européens. La modernisation en cours demande des investissements lourds et une diversification des activités.

La crise de la pêche à l'issue du Brexit a rappelé que la tension est forte en matière halieutique. Les Anglais restent fermes sur le sujet. Le marché français doit préserver ses intérêts, dans un contexte où la demande de poisson ne cesse de croître.

La France qui a développé un programme de création d'aires marines protégées dans un but de préservation de la nature, qui n'est pas exclusif d'autres objectifs. Qu'envisage-t-on, madame la ministre, à long terme, comme projets et avenir pour ces zones ?

La presse se fait l'écho de la création d'une nouvelle direction de la mer, issue de la fusion de la direction des affaires maritimes et de la direction de la pêche maritime et de l'aquaculture. Cette nouvelle direction saura-t-elle allier enjeux économiques et environnementaux, avec des moyens en conséquence ?

La mer est un vecteur de rayonnement. Nous sommes riverains de trois océans. Nous devons redoubler d'efforts pour conserver notre souveraineté maritime menacée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)

M. André Guiol .  - Le temps du Mare Liberum cher à Grotius est-il révolu ? L'idéal de liberté propre à l'espace maritime se heurte de plus en plus à la compétition qui s'y joue. L'Actualisation stratégique de 2021 rappelle les rapports de force qui se jouent dans les fonds marins.

Notre pays, qui dispose du deuxième espace maritime mondial, est celui qui a le plus à perdre si rien n'est fait pour le réguler. Peut-on envisager une planification de la gestion des mers à l'échelle internationale, comme les États européens s'y emploient avec la directive de 2014 ? La convention des Nations unies sur le droit de la mer doit évoluer pour éviter que les grandes puissances n'imposent pas leurs règles, de façon parfois sournoise, comme le fait la Chine.

Il faut mieux protéger les câbles sous-marins contre les captations malveillantes de données. Comme l'a dit Pascal, il faut mettre la force au service de la justice, et non l'inverse. Nous devons à cet effet disposer d'une force navale importante et respectée. Dans cet objectif, disposer d'un second porte-avions est essentiel : il faudra réfléchir à sa date de mise en service et au retrait progressif du Charles-de-Gaulle.

Notre marine est aujourd'hui en mesure d'assurer notre souveraineté et de faire respecter le droit international. Mais qu'en sera-t-il en cas de conflit de conflit long et de haute intensité ?

Notre place dans l'OTAN et notre rôle dans la dissuasion nucléaire doivent être réévalués. Mais notre réputation, fondée sur notre histoire, joue aussi pour le rayonnement de la France, tout comme notre savoir-faire en matière de construction navale, notre contribution à l'aide au développement et la francophonie. La France, patrie des droits de l'homme, doit aussi fonder cette souveraineté sur le respect de ses idéaux. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI ; M. Olivier Cigolotti et Mme Hélène Conway-Mouret applaudissent également.)

Mme Martine Filleul .  - Notre souveraineté maritime souffre de plusieurs faiblesses, et nos politiques ne sont pas à la hauteur des enjeux.

La mer est un espace de rigueur et de liberté, disait Victor Hugo. Elle est désormais surtout un espace d'affrontements.

La crise du Brexit et ses conséquences sur la pêche ont montré la perte d'influence de la France au sein de l'Union européenne. La présidence française de l'Union européenne doit remobiliser nos alliés sur le sujet de la mer.

Le changement climatique va accentuer les tensions entre États. La fonte des glaces va modifier les limites de nos espaces maritimes. La France doit prévenir ces conflits et s'engager pour la protection du climat et de l'environnement.

Nos infrastructures, et en particulier nos ports, doivent être sécurisés. Ils sont essentiels pour l'approvisionnement de nos territoires et promeuvent nos filières d'excellence. Malgré les réformes, le retard de nos ports est patent, faute d'investissements. Les fonds du plan de relance et ceux annoncés par le comité interministériel de la mer (CIMer) sont encore insuffisants.

Garantir notre souveraineté maritime nécessite de préserver le plein potentiel des océans en matières alimentaire, énergétique et médicale, menacé par la pollution et la surexploitation des ressources.

L'accès à la mer représente une extraordinaire opportunité, mais implique aussi une grande responsabilité. Or il y a loin de la coupe aux lèvres : les aires sous protection forte représentent moins de 3 % de notre espace maritime. L'objectif de 10 % en 2022 fixé par le Gouvernement est encore trop flou et certains scientifiques demandent qu'il soit porté à 40 %.

Des limites claires doivent être fixées rapidement pour éviter des exploitations minières dommageables. Les océans sont essentiels à la vie sur terre et à la régulation du climat. Concilier tous ces impératifs, voilà le défi que nous devons relever. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Nadège Havet .  - La globalisation et la maritimisation des échanges sont au coeur des enjeux diplomatiques internationaux. La présidence française du Conseil sera l'occasion de placer cette question stratégique au centre des discussions.

La France dispose de la deuxième zone économique exclusive mondiale. Elle occupe une place importante dans les secteurs de la construction, du transport, de la recherche, de l'armement maritimes. Malgré cette situation exceptionnelle, l'économie bleue ne représente que 2 % de notre PIB. Nos ports sont en effet sous-exploités : les ports métropolitains perdent en compétitivité, ceux de l'outre-mer restent à l'écart des grandes routes maritimes.

Le Gouvernement a défini dès 2017 un cadre stratégique national pour la mer et le littoral, afin de libérer notre potentiel dans le domaine économique, dans les connaissances et dans la protection des écosystèmes marins et littoraux.

La feuille de route se traduit dans les territoires, notamment en Bretagne. En 2020, le secteur des traversées transmanche a, sous l'effet du Brexit et du Covid, enregistré une baisse de 80 % de son chiffre d'affaires. Brittany Ferries compte 3 000 salariés... Le Gouvernement s'est engagé sur une aide de 45 millions d'euros et vous menez des travaux pour définir une stratégie de secteur dans le cadre du Fontenoy maritime.

Le port de Brest Roscoff est enfin intégré au réseau transeuropéen de transports. C'est une immense victoire pour notre territoire ! Le Gouvernement nous a entendus et a agi auprès de la Commission européenne. Les ports du futur doivent miser sur la décarbonation des transports.

Le 18 novembre, à Saint-Pol-de-Léon, vous avez rappelé que la présidence française de l'Union serait l'occasion de finaliser certains dossiers. J'attire votre attention sur les clauses miroirs dans nos accords commerciaux internationaux. Quelles sont vos ambitions dans ce domaine ?

Quid également des actions réclamées par les consommateurs en faveur de produits durables ? Seuls quatre ports en France disposent de l'agrément européen comme postes de contrôle frontaliers sur ces produits. Aucun en Bretagne. C'est un non-sens écologique, puisque les produits doivent alors parcourir des centaines de kilomètres par la route !

À Brest se tiendra en février le sommet One Ocean, qui portera notamment sur l'exploration et l'exploitation des grands fonds. Je salue, à cet égard, la création d'une mission sur le sujet au Sénat.

M. Pascal Allizard .  - Notre environnement stratégique est marqué par le retour de la force et du fait accompli, le recul du multilatéralisme et du droit. La mer redevient un espace de conflictualité où s'expriment les rapports de force, notamment à propos des câbles sous-marins. Les détroits doivent aussi être préservés, pour garantir un libre franchissement. Les espaces maritimes, au coeur de la mondialisation des flux, y compris numériques, sont le lieu de toutes les tensions.

La Russie est très présente sur les mers. Ses sous-marins viennent éprouver régulièrement notre détermination en approchant nos installations. Les navires chinois impressionnent, les nouvelles routes de la soie inquiètent. La Turquie s'affirme comme puissance navale en Méditerranée. L'empressement des États-Unis à vouloir moderniser leur flotte et le pacte Aukus révèlent l'acuité de ce grand jeu en mer.

Ce qui n'est pas protégé est systématiquement pillé et contesté : le risque de combats navals de haute intensité ressurgit, nous alerte la marine.

Des périls environnementaux sont à craindre ; prédations et contestations se multiplient. Nos territoires ultramarins sont en première ligne - réchauffement climatique, migrations, trafics, pêches illicites... Nos zones maritimes ne sont pas assez surveillées.

Nous le déplorions lors de l'examen de la loi de programmation militaire. Les moyens de la marine ont certes augmenté, mais les tensions également. Nous déployons des bateaux anciens, mal équipés, au contraire de ceux de nos partenaires. La stratégie indopacifique de la France est ambitieuse... sur le papier. Le camouflet australien a entamé notre crédibilité, et le peu d'entrain des Européens à nous soutenir interroge. Personne ne souhaite pourtant que la défense de l'Europe soit confiée à l'OTAN ni celle du Pacifique à Aukus. Nous misons sur l'Inde, mais l'Inde mise aussi sur la Russie ou les États-Unis...

Et comment parler de souveraineté au bout du monde, alors que nous avons tant de difficultés à faire respecter nos droits face aux Britanniques ? Le défi est immense si nous voulons préserver nos ressources et notre crédibilité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Hélène Conway-Mouret .  - Les Français entendent par souveraineté la capacité à agir en toute indépendance pour faire appliquer le droit et les intérêts français sans avoir à obtenir l'aval d'autres pays. Nous avons à surveiller de grandes étendues maritimes, sur tous les océans. La loi de programmation militaire comprenait des objectifs pour moderniser les capacités de la marine : ces objectifs sont en partie atteints, mais cela demeure insuffisant au regard des besoins et du niveau d'équipement de certaines marines étrangères alliées.

Il faut garantir notre souveraineté sur nos espaces maritimes, la liberté de circulation dans les espaces communs, or nos moyens sont sous tension. Comment participer aux postures défensives de nos alliés, comment éviter le déclassement ? Comment choisir entre la livraison de matériels, de frégates, de ravitailleurs, et la construction d'un nouveau porte-avions ?

Trois priorités émergent. Il faut d'abord développer nos capacités amphibies, remplacer nos frégates de surveillance et poursuivre le programme Simar pour mieux protéger nos ZEE. Les bâtiments de surface sont des proies faciles face aux systèmes A2AD de la Chine ou de la Russie. Il faut compléter la surveillance maritime par un programme de surveillance spatiale.

La convention de Montego Bay est de plus en plus remise en cause ; la France et l'Europe doivent agir pour faire respecter le droit international.

Enfin, la Chine aura augmenté le tonnage de sa flotte de 138 %, contre 3,1 % pour la France, d'ici 2030. Une coopération renforcée européenne s'impose. Nos militaires le disent, il importe de plus en plus d'agir au sein de coalitions alliées. Pour préserver notre influence face à la montée en puissance militaire de pays qui ne partagent pas nos valeurs, il faut mettre en adéquation nos ambitions et nos moyens ; et mieux associer le Parlement, désormais, à la définition de la stratégie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Didier Mandelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu'ils ont ignorée », disait Richelieu. Avec le développement des échanges et les opportunités que représentent les fonds marins, les océans sont source de convoitises. Prenons-y garde.

Car malgré son immense domaine maritime, la France a tourné le dos à la mer : pour preuve, un ministère de la Mer nous a manqué pendant trente ans. Ce ministère de plein exercice est donc bienvenu et j'appelle tous les candidats à le maintenir. (Sourires)

Nous devons défendre cet espace contre toute forme d'intrusion.

Le groupe Mer et littoral de la commission des affaires économiques a mis en lumière plusieurs problèmes. La Chine cherche à développer sa nouvelle route de la soie et investit dans nos ports, menaçant l'indépendance de nos infrastructures. La stratégie nationale portuaire du Gouvernement ignore ce problème. Je demande un rapport sur la réalité de la stratégie chinoise, comme le réclamait Michel Vaspart dans sa proposition de loi.

L'Arctique, symbole du désastre climatique, disparaît peu à peu sous nos yeux. D'autres pays, Russie, Chine, s'intéressent déjà à l'exploitation de nouvelles routes dans cette zone. La France doit porter, pour ces territoires, une vision commune avec les pays riverains.

Les 57 000 kilomètres carrés de récifs coralliens de la France - la Polynésie possède 20 % de la surface mondiale - exigent une protection particulière.

Enfin, les collectivités territoriales attendent des propositions en matière de financement, pour se prémunir du recul du trait de côte.

La souveraineté maritime est l'expression de la grandeur de la France. Préservons-la. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Annick Girardin, ministre de la mer .  - Je remercie le Sénat d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour : c'est le signe que la stratégie maritime française reprend une place importante, méritée, dans nos préoccupations.

Je ne pourrai répondre en quelques minutes sur les clauses miroirs ou sur tant de questions posées. Mais trois fois auditionnée au Sénat en trois mois, j'ai maintes occasions de vous apporter des précisions. Je centrerai ce soir mon propos sur la stratégie nationale française, qui vise à préserver notre souveraineté et nos intérêts économiques et maritimes.

La France est entrée dans le XXIe siècle maritime. La présidence française de l'Union sera l'occasion d'affirmer l'ambition maritime de l'Union européenne dans un monde qui se durcit. Les arsenaux militaires se développent, les zones de contestation se multiplient, les activités illicites, la pêche illégale, la piraterie menacent les mers. La politique du Gouvernement s'intéresse donc à la préservation de notre souveraineté, de nos intérêts stratégiques et de nos intérêts économiques.

Nous sommes attachés à l'application pleine et entière de la convention de Montego Bay, signée il y a quarante ans. Elle permet aux États de s'entendre pour fixer les frontières maritimes. Nous devons traiter avec 31 voisins et avons amélioré la précision des coordonnées géographiques. Onze délimitations ne font pas encore l'objet d'un accord finalisé. Nous restons ouverts à un dialogue franc avec nos partenaires, autour de certaines îles françaises, car le mépris n'est pas une option.

Nous déployons des garde-côtes dans nos territoires, avec des moyens de surveillance satellitaires renforcés. Ces dernières années, la marine a bénéficié d'une loi de programmation militaire inédite. Les dépenses militaires sont passées de 32 à 40,9 milliards d'euros sous ce quinquennat, et le budget de la marine progresse de 9 % en 2022. Ce Gouvernement a mené un effort sans précédent pour le renouvellement de nos moyens de surveillance en mer : commandes de patrouilleurs, de bâtiments d'assistance, de vedettes côtières...

Le deuxième axe concerne nos intérêts stratégiques. Dans le cadre des équilibres de Montego Bay, la liberté de navigation doit être préservée. La place de nos fleurons, Alcatel Submarine Networks ou Orange Marine, doit être défendue.

La haute mer, ce sont des droits mais également des devoirs. Nous soutenons le principe de la mer comme bien commun. Nous le rappellerons lors du sommet One Ocean en février.

L'Autorité internationale des fonds marins doit fixer les règles d'exploration et d'exploitation en haute mer.

Dans l'océan Indien, la France a intégré le Forum des garde-côtes asiatiques en 2021, à l'unanimité.

Le développement durable est également un objectif essentiel. C'est l'ADN de mon ministère. On doit, avant toute chose, connaître précisément les ressources halieutiques : ce n'est pas le cas de l'Europe et c'est le premier objectif.

Le plan d'action pour une pêche durable que j'ai présenté au Président de la République a été validé à l'Élysée en décembre dernier en présence des acteurs concernés. Il sera finalisé avant la fin du quinquennat. J'ai également l'intention de porter ce sujet lors de la présidence française de l'Union européenne.

Le dernier axe de la stratégie gouvernementale porte sur l'économie bleue. Le Fontenoy du maritime et la stratégie de flotte portent déjà leurs fruits. Nous favorisons une flotte plus écologique et encourageons un meilleur suivi des carrières des marins.

Enfin, la consolidation des ports, dans toutes leurs dimensions économiques, est essentielle. Faire de la France la première place portuaire d'Europe, tel est mon objectif. Pour cela, il faut jouer collectif et porter une stratégie globale.

Quant à la logique de façade, dans les espaces maritimes, il n'existe pas de frontières, mais des limites, dans lesquelles un État côtier développe ses activités dans le respect des libertés des autres.

En mer, l'immobilisme n'est pas permis.

J'espère vous avoir convaincu de la pleine implication du Gouvernement.

Prochaine séance demain, mercredi 5 janvier 2022, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 45.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 5 janvier 2022

Séance publique

À 15 heures, à 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Gérard Larcher, Président du Sénat M. Roger Karoutchi, vice-président M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires : Mme Esther Benbassa - M. Pierre Cuypers

1. Questions d'actualité

2. Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, appelant le Gouvernement à oeuvrer à l'adoption d'une déclaration de la fin de la guerre de Corée, présentée par M. Christian Cambon (n°231 rect., 2021-2022) (demande du groupe Les Républicains)

3. Débat sur le rapport : « Défense extérieure contre l'incendie : assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires » (demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation)

4. Débat sur le thème : « Les oubliés du Ségur de la santé/investissements liés au Ségur à l'hôpital » (demande du groupe SER)