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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Échec en CMP

Menaces des théories du wokisme sur l'université, l'enseignement supérieur et les libertés académiques

M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains

Mme Esther Benbassa

M. Yan Chantrel

M. André Gattolin

M. Jean-Pierre Decool

M. Jacques Grosperrin

M. Thomas Dossus

M. Pierre Ouzoulias

M. Pierre-Antoine Levi

M. Bernard Fialaire

Mme Jacqueline Eustache-Brinio

M. Jean Hingray

M. Gérard Longuet

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et de l'engagement

M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains

Accords en CMP

« Quelle politique ferroviaire pour assurer un maillage équilibré du territoire ? »

M. Philippe Tabarot, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Olivier Jacquin, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Joël Giraud, secrétaire d'État, chargé de la ruralité

M. Olivier Jacquin

M. Frédéric Marchand

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Daniel Gueret

M. Guy Benarroche

M. Gérard Lahellec

Mme Denise Saint-Pé

M. Éric Gold

Mme Angèle Préville

M. Alain Cadec

M. Jean-François Longeot

M. Hervé Gillé

M. Rémy Pointereau

M. Jean-Claude Anglars

M. Jean-Marc Boyer

M. François Calvet

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Suivi des ordonnances

Mme Pascale Gruny, vice-président chargé du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances

M. Marc Fesneau, ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques

M. Olivier Cigolotti, vice-président, en remplacement de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

M. Vincent Éblé, vice-président, en remplacement de M. Claude Raynal, président de la commission des finances

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois

M. Stéphane Piednoir, vice-président, en remplacement de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture

M. Alain Richard

M. Alain Marc

M. Stéphane Le Rudulier

M. Guillaume Gontard

Mme Cécile Cukierman

Mme Annick Billon

M. Jean-Yves Roux

M. Jean-Pierre Sueur

Échec en CMP

« Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques »

M. André Gattolin, rapporteur de la mission d'information

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Mme Vanina Paoli-Gagin

M. Stéphane Piednoir

M. Thomas Dossus

M. Pierre Ouzoulias

M. Olivier Cadic

M. Bernard Fialaire

M. Jean-Michel Houllegatte

M. André Gattolin

M. Édouard Courtial

M. Jean-Pierre Moga

M. Christian Redon-Sarrazy

M. Yves Bouloux

M. Jean-Yves Leconte

M. François Bonhomme

M. Cédric Vial

Mme Béatrice Gosselin

M. Étienne Blanc, président de la mission d'information

Ordre du jour du mercredi 2 février 2022




SÉANCE

du mardi 1er février 2022

52e séance de la session ordinaire 2021-2022

présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

Secrétaires : M. Daniel Gremillet, M. Loïc Hervé.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté.

Échec en CMP

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à démocratiser le sport, à améliorer la gouvernance des fédérations sportives et à sécuriser les conditions d'exercice du sport professionnel n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

Menaces des théories du wokisme sur l'université, l'enseignement supérieur et les libertés académiques

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les menaces que les théories du wokisme font peser sur l'université, l'enseignement supérieur et les libertés académiques, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie mon groupe et son président, Bruno Retailleau, d'avoir inscrit ce débat à notre ordre du jour. Grandes, en effet, sont les menaces que fait peser le wokisme sur l'enseignement supérieur et les libertés académiques.

To stay woke signifie : rester éveillé. Devenue projet politique d'ampleur à travers le mouvement Black Lives Matter, cette notion, fondée sur un scepticisme radical à propos de la vérité et une conception manichéenne de la société, est devenue, de l'écriture inclusive à la déconstruction en passant par le communautarisme, la bannière de ceux qui veulent fragmenter l'unité républicaine.

Je ne puis me résoudre à voir prospérer en France, pays des Lumières, des droits de l'homme et de Victor Hugo, une conception si éloignée de notre héritage révolutionnaire.

Je lui préfère de beaucoup la vision de Renan, qui disait en 1882 : « L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de coeur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation. »

Le coeur de notre citoyenneté, c'est l'adhésion de chacun aux valeurs de la République, sans effacement de son identité personnelle. Ce qui fait une nation, c'est le partage d'une communauté d'intérêts, de souvenirs et d'espérances.

La radicalité de l'idéologie wokiste heurte frontalement les principes constitutifs de notre République. Celle-ci doit réagir fermement face à ces attaques : appels à la repentance perpétuelle, déboulonnage de statues, autorisation de manifestations non mixtes par certaines municipalités, banalisation de l'écriture inclusive au mépris des circulaires officielles. (M. Thomas Dossus s'exclame.)

Comment ne pas réagir quand l'histoire est soumise aux lunettes déformantes du présent ? Quand un professeur est menacé, harcelé pour avoir contesté le fondement scientifique du concept d'islamophobie ?

La diffusion de cette idéologie s'accompagne d'une censure qui me met profondément mal à l'aise. Nos universités sont vectrices d'émancipation, elles doivent favoriser le pluralisme et l'ouverture d'esprit. (M. Thomas Dossus s'exclame.) Au contraire, le wokisme est une idéologie nauséabonde qui vise à dissoudre le débat intellectuel, la confrontation pacifique et régulée des idées.

S'il tient parfois le haut du pavé, le wokisme, n'est que le fait d'une toute petite minorité. Selon un sondage, 86 % des Français n'en ont pas entendu parler ; et sur les 14 % restant, 8 % ignorent de quoi il s'agit... À la vérité, ce n'est qu'un opium d'intellectuels, inadapté et inadaptable aux réalités de notre pays.

Il est grand temps de rappeler que le travail scientifique ne fait pas bon ménage avec la réécriture de l'histoire ; grand temps de combattre une idéologie qui tourne le dos à l'idéal des Lumières et aux fondements mêmes de notre République.

Or au-delà de quelques déclarations, la réaction du Gouvernement est en demi-teinte. La prégnance du wokisme progresse depuis cinq ans. Comme si la fascination du Président de la République pour le modèle anglo-saxon entravait une action résolue. Il arrive même que l'idéologie de la déconstruction trouve un écho dans certains propos présidentiels...

Pour combattre le wokisme, nous devons considérer notre passé avec clairvoyance mais sans suspicion, réarmer intellectuellement nos professeurs, remettre les savoirs fondamentaux au coeur de l'école : en somme, réassurer notre conception de la citoyenneté.

La Nation nous rassemble, la République nous fédère, la citoyenneté nous ouvre au monde. Ces concepts, trempés par notre histoire, demeurent d'une étonnante modernité. Je souhaite que notre débat soit l'occasion d'une réflexion sur cette actualité de notre citoyenneté républicaine.

Protégeons-la et faisons-la prospérer dans le lieu où se forme le sens critique de notre jeunesse, où le débat doit toujours être pluraliste et scientifiquement fondé : notre université ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées du groupe UC ; M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement.  - L'héritage des Lumières et notre conception de la Nation sont, en effet, sous la menace d'une idéologie politique venue des États-Unis.

Le projet du Président de la République et du Gouvernement est émancipateur. Nous voulons aiguiser l'esprit critique, garantir le pluralisme de la recherche et des enseignements.

Nous devons ne laisser s'installer aucune idéologie qui s'imposerait comme seule autorisée ; il nous faut résister à la facilité de ne plus étudier certains auteurs ou de regarder l'histoire avec les lunettes du présent.

Nous voulons des jeunes éclairés, outillés historiquement, prêts au débat. C'est le sens de notre action en faveur du pluralisme ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. François Patriat.  - Très bien !

M. Max Brisson.  - Je crois à la sincérité de votre combat personnel, mais je doute de la volonté constante du Président de la République, qui nous invite constamment à la repentance, notamment sur la guerre d'Algérie.

Je crains qu'il ne soit à la hauteur de votre volonté farouche, madame la ministre... Son « en même temps » penche parfois du côté du wokisme, et c'est très fâcheux !

Mme Esther Benbassa .  - Comment définir le wokisme ? Pour ses détracteurs, il ne serait que l'agrégat des idées défendues par la gauche déconstructiviste. Mais cette vision caricaturale laisse de côté nombre d'enjeux. Car le wokisme ne se limite pas aux propositions, extrêmes et peu constructives, de la cancel culture.

Il est issu des années 1960, quand Martin Luther King appelait la jeune génération noire à rester éveillée et engagée. Popularisé dans les universités américaines à partir des années 2000, le concept de woke est très large, intégrant le boycott, le déboulonnage des statues, le décolonialisme, l'antiracisme ou la lutte contre le sexisme.

Que certaines positions et actions puissent interroger, je le conçois. Certaines relèvent du militantisme et de la liberté d'expression, mais d'autres procèdent de la volonté d'instaurer une pensée unique, poussant à l'autocensure par des pratiques que je dénonce.

L'université est le lieu de la confrontation intellectuelle. Tenter de réduire au silence celles et ceux qui ne partagent pas nos idées est inacceptable.

De mon point de vue, la liberté académique doit être préservée à la fois des pressions gouvernementales et de l'extrémisme pouvant résulter de certains partis pris idéologiques. Comment envisagez-vous de garantir cette liberté, qui me paraît menacée d'un côté comme de l'autre ?

La French culture a su se développer et essaimer à l'étranger - je pense à Derrida, notamment. Pourquoi en irait-il autrement aujourd'hui ? (Mme Monique de Marco applaudit.)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - La liberté académique et la pluralité de la recherche sont un bien précieux.

Le Gouvernement a oeuvré pour les défendre. Je pense en particulier à l'action de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, notamment dans le cadre de la loi de programmation pour la recherche.

Nous voulons garantir la sérénité à l'université, en évitant que s'installe une pensée autorisée. Noms placardés, colloques chahutés, enseignants pris à partie : ces pratiques ne sont pas compatibles avec des débats sains et sereins.

L'esprit français, l'esprit des Lumières, c'est l'esprit critique !

Mme Esther Benbassa.  - Racisme, antiracisme, féminisme et néoféminisme ne sont en rien des dangers ! Au reste, vous savez bien que très peu de postes d'enseignant sont ouverts, à l'université comme au CNRS.

L'université est un lieu où la pensée résiste. Cette pensée critique doit être préservée - comme vous l'avez dit.

M. Yan Chantrel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco applaudit également.) Nous ne sommes pas dupes de la manoeuvre du groupe Les Républicains, qui, en pleine campagne présidentielle, utilise le Sénat pour faire avancer son agenda démagogique. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Ce débat s'apparente à un banquet totémique, pour ne pas dire une séance d'exorcisme. Il s'agit de conjurer le mal ! (On se récrie à droite.)

Partant, la droite conservatrice du Sénat emboîte le pas de la droite autoritaire du Gouvernement.

Islamo-gauchisme, wokisme : ces mots sont autant d'écrans de fumée destinés à cacher les vrais dangers qui minent nos universités. À la vérité, la droite et ses jumeaux du Gouvernement n'ont cure de l'université et de la recherche. Vous n'avez que mépris pour les chercheurs ! (Marques d'indignation à droite)

M. Max Brisson.  - Quelle caricature !

M. Yan Chantrel.  - Ces écrans de fumée sont bien commodes pour tous ceux qui défendent le statu quo et son cortège de privilèges, pour tous ceux qui ne veulent parler ni des injustices qui frappent les jeunes, notamment dans l'accès au logement et à l'emploi, ni des discriminations fondées sur le nom, la couleur de peau, l'accent, le handicap, le genre ou la sexualité.

M. Stéphane Piednoir.  - C'est honteux !

M. Yan Chantrel.  - Nous voulons une égalité et une justice réelles, le respect pour tous les enfants de France.

Nous aurions pu boycotter ce débat ridicule, à l'intitulé grotesque. Mais nous n'avons pas voulu laisser le champ libre à la parole réactionnaire. (On ironise à droite.)

Le wokisme est une chimère, un concept dépourvu de toute définition rigoureuse. Il doit être laissé aux animateurs de CNews et à l'extrême droite, qui l'a propagé.

Ces discussions mêlent rumeurs, complotisme, propos de comptoirs et informations non vérifiées. Elles sont l'illustration même du vrai danger qu'il faut combattre : l'ingérence du politique dans la recherche. En suspendant le financement d'un établissement d'enseignement supérieur, M. Wauquiez a lancé une chasse aux sorcières.

M. Jacques Grosperrin.  - Il a fort bien fait !

M. Yan Chantrel.  - Le Gouvernement ne fait pas autre chose, en enjoignant le CNRS de mener une enquête sur ses propres chercheurs. Avec ce nouveau maccarthysme, vous pratiquez vous-mêmes la culture de l'annulation que vous dénoncez !

M. Max Brisson.  - Dérisoire !

M. Yan Chantrel.  - Les menaces qui pèsent sur l'université, parlons-en.

C'est d'abord Emmanuel Macron qui propose d'augmenter les droits d'inscription à l'université. Pourquoi la droite ne dénonce-t-elle pas cette idée pernicieuse venue d'Amérique du Nord ?

C'est ensuite la culture du néo-management qui s'immisce dans la gouvernance des établissements.

Ce sont aussi la baisse de 15 % du taux d'encadrement en dix ans, la précarisation des enseignants et des chercheurs qui conduit nombre d'esprits brillants à choisir une autre carrière, et la paupérisation des étudiants, toujours plus nombreux à faire la queue devant les banques alimentaires.

Ce sont enfin le manque de crédits pour la recherche, le système dual qui donne deux fois plus de moyens à un élève de classe préparatoire qu'à un étudiant de licence...

M. Stéphane Piednoir.  - Rien à voir !

M. Yan Chantrel.  - ... et le manque de transparence de Parcoursup et de ses algorithmes, qui nourrit l'anxiété et le sentiment d'arbitraire.

M. Max Brisson.  - Quel est le rapport ?

M. Julien Bargeton.  - Le tirage au sort, c'était mieux ?

M. Yan Chantrel.  - Voilà les sujets dont nous devrions débattre ! (M. Patrick Kanner renchérit.)

Notre devoir est de garantir la liberté académique et d'empêcher toute ingérence du politique dans les débats scientifiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mmes Monique de Marco et Esther Benbassa, ainsi que M. Pierre Ouzoulias, applaudissent également.)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Ce qui menace l'université, ce sont les propos sans nuance.

M. Laurent Lafon.  - Bravo !

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Nous luttons contre toutes les précarités et inégalités de destin. Nous y avons consacré 5 milliards d'euros, avons gelé les loyers des Crous, rénové les logements étudiants. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Pierre Ouzoulias.  - Assumez votre bilan !

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Je suis toute disposée à en débattre, car nous n'avons pas à en rougir.

Contre le wokisme, nous avons saisi le collège des déontologues afin de protéger les libertés académiques.

Nous avons deux priorités : garantir un climat favorable aux études et favoriser la recherche.

Si nous avons renforcé Parcoursup, c'est pour que ce ne soit plus le hasard qui décide ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC ; MM. Max Brisson et Gérard Longuet applaudissent également.)

M. Yan Chantrel.  - Votre niveau de déconnexion me laisse pantois. (Exclamations sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Je suis un enfant de l'université, j'ai étudié à Villetaneuse. Si vous veniez sur le terrain, vous seriez effarée : les locaux, vétustes, ne sont pas chauffés. Imaginez la violence ressentie par les étudiants et les enseignants quand vous expliquez que tout va bien...

De nombreux talents partent à l'étranger - comme sénateur des Français de l'étranger, je puis en témoigner. Les chercheurs sont sous-payés et sous-considérés. Et maintenant, vous lancez même des enquêtes contre eux !

M. André Gattolin .  - La vocation du politique est de débattre de tout ; rien de ce qui se rapporte à la polis ne nous est étranger.

Je remercie donc l'initiateur de ce débat, qui aurait été encore plus intéressant si nous avions pu y associer des universitaires et des chercheurs. Quant à une proposition de loi, elle aurait posé la très délicate question des concepts et des mesures à mettre en oeuvre.

Le choix des contenus enseignés relève du monde universitaire dans son pluralisme. C'est le sens de la liberté académique, dont il sera aussi question ce soir. Le Sénat a adopté ma proposition de résolution européenne insistant sur le nécessaire soutien à ce principe en Europe.

Si « mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde », comme le disait Camus, bien les nommer est une forme d'hygiène démocratique.

C'est vrai aussi s'agissant du wokisme, qui n'a aucune définition académique. Il n'a rien à voir avec le wok, cet ustensile permettant de cuire toutes sortes d'aliments sans trop de matière grasse - encore qu'il autorise le mélange des idées sans trop de matière grise... (Sourires)

Nous devons distinguer nettement le domaine de la science et celui du débat d'idées.

M. Julien Bargeton.  - Tout à fait !

M. André Gattolin.  - Les controverses ont toute leur place dans le monde académique, sous forme de débats contradictoires et argumentés.

La liberté académique s'accompagne d'une nécessaire responsabilité : intégrité scientifique pour les enseignants, respect du pluralisme pour les établissements.

L'existence d'une pensée critique est tout sauf incompatible avec la culture académique démocratique ; sans elle, pas de controverse de Valladolid et des générations de Galilée condamnées au silence... À cet égard, Bourdieu disait juste : un champ scientifique est un espace où les chercheurs s'accordent sur leurs désaccords, ainsi que sur les instruments pour les résoudre.

Un problème se pose lorsque, au-delà de la pensée critique, se développe une pensée dénonciatrice, agressive, qui ne respecte pas les règles académiques.

Le wokisme a-t-il une résonance dans les travaux de recherche menés en France ? Nous disposons de peu d'éléments à cet égard. Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pourrait travailler à un état des lieux permettant d'apprécier la réalité de ce courant - ou de cette mode, car il y a aussi des modes dans la recherche. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Dans vos propos nuancés, vous avez bien distingué travaux de recherche et discours prescriptifs, qui cherchent à imposer une pensée autorisée.

Nous consolidons les outils pour mesurer la réalité de la situation. Nous porterons ces éléments à votre connaissance.

Le renforcement des moyens du CNRS, la création de 360 congés spécifiques et l'augmentation du budget des laboratoires visent à renforcer nos universités. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. André Gattolin.  - J'ai travaillé avec mes étudiants sur l'écriture inclusive : une majorité s'y déclarait favorable, mais sans l'avoir étudiée et sans l'utiliser dans leurs travaux. Il ne faut pas confondre les débats qui traversent la jeunesse avec les travaux réellement produits par la recherche.

M. Jean-Pierre Decool .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie M. Brisson pour ce débat.

Stay woke : le titre d'un documentaire de Laurens Grant sur le mouvement Black Lives Matter est devenu aux États-Unis le mot d'ordre de tous ceux qui considèrent les sociétés occidentales comme structurellement racistes, sexistes, islamophobes et homophobes. Soyez sur vos gardes, car les discriminations sont partout. Bref, nous sommes tous coupables à notre insu...

Le wokisme est d'abord une faute d'orthographe : il aurait fallu dire : Stay awoken. Au commencement était l'erreur - déjà !

En France, nous subissons les assauts de cette idéologie moralisatrice, qui frappe la langue du quotidien à travers l'écriture inclusive - qui exclut, opposant sans cesse sans jamais accorder. L'écriture inclusive se propage partout, notamment à l'université, malgré l'interdiction claire posée par le ministre de l'Éducation nationale. Nous en avions débattu en mai dernier, sur mon initiative. Je salue l'initiative de Mme Gruny, qui a déposé une proposition de loi sur le sujet.

Cette idéologie touche aussi le langage artistique. Certaines manifestations ne peuvent se tenir au prétexte qu'elles véhiculeraient des stéréotypes racistes ou sexistes, jusqu'en Sorbonne où la pièce Les Suppliantes d'Eschyle n'a pu être jouée, car certains acteurs portaient des masques noirs - un retour à l'usage antique.

Il est choquant que des groupuscules s'arrogent un rôle de censeur. La culture doit rester libre !

Nous ne devons pas baisser la garde mais mener la bataille sur le plan des idées, expliquer pourquoi on ne lutte pas contre le racisme en interdisant des pièces de théâtre, pourquoi on ne défend pas l'égalité en excluant les hommes de certaines réunions, pourquoi on ne grandit pas le débat en empêchant de s'exprimer ceux qui ne pensent pas comme il faut.

Le wokisme n'a pas sa place à l'université. Il y va de la préservation de notre langue et de notre culture ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal ont été clairs : l'écriture inclusive n'a pas sa place dans les établissements scolaires et universitaires, car ce n'est pas du français.

Je vous rejoins totalement en ce qui concerne l'annulation de la pièce d'Eschyle. Jamais nous n'accepterons une censure qui nous prive de la grandeur de telles oeuvres. Cette pièce a d'ailleurs été rejouée, en présence de Frédérique Vidal et Franck Riester, alors ministre de la Culture.

M. Jean-Pierre Decool.  - La pédagogie est l'art de la répétition : je vous remercie donc d'avoir rappelé la position ferme de Jean-Michel Blanquer.

M. Jacques Grosperrin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Science et connaissance doivent être respectées dans leur autonomie : le savoir n'est pas une opinion politique.

L'université est attaquée par les tenants d'une déconstruction assumée. Ce n'est ni une obsession ni un fantasme, car les exemples abondent, dénoncés par une majorité d'enseignants-chercheurs.

Ma préoccupation est laïque et républicaine. Ne baissons pas la tête devant la bien-pensance moralisatrice d'une gauche communautariste en panne d'idées !

Je pense à tous ces étudiants sérieux, qui aspirent à penser par eux-mêmes et auxquels on veut imposer un nouveau terrorisme intellectuel. Il ne leur est plus possible d'avancer que le voile est un symbole d'oppression de la femme, car un discours extrémiste sature l'espace universitaire.

Certains universitaires cherchent au travers du wokisme une revanche - contre quoi ?  Ils pensent pouvoir cumuler la position du chercheur et celle de l'acteur. L'avenir des étudiants leur importe peu. Personne n'est dupe de leur technique de déconstruction, même si l'intimidation empêche parfois de la dénoncer.

Cette confusion entre la recherche et le militantisme s'ajoute à la cancel culture pour imposer l'égalitarisme dans la production académique.

L'État doit y mettre un terme et renforcer les garanties entourant la liberté académique.

Les moyens d'agir existent, car de nombreux articles du code de l'éducation énoncent clairement que l'activité d'enseignement et de recherche s'exerce dans l'indépendance et la sérénité et que le service public de l'enseignement supérieur est laïc et indépendant. Il faut avoir la volonté politique de le rappeler efficacement et d'opérer les contrôles nécessaires.

Il faut aussi que les textes ne soient pas modifiés par l'État lui-même dans le sens du wokisme. À cet égard, une récente modification du code de l'éducation interroge : le service public de l'enseignement supérieur doit contribuer à la lutte contre les discriminations et à la réduction des inégalités sociales ou culturelles. (M. Thomas Dossus s'exclame.)

Un autre article dispose désormais que l'enseignement supérieur lutte contre les stéréotypes sexués... Que le ministère lui-même utilise un vocabulaire militant traduit une forme d'inconscience des enjeux de la liberté académique.

Chacun doit prendre conscience de l'emprise croissante de ce militantisme dévoyé ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Vous avez parlé d'égalité des chances et d'émancipation : ce sont, en effet, des valeurs essentielles de notre République.

Les modifications que vous avez évoquées sont le fruit du travail parlementaire. Nous devons lutter contre toutes les discriminations, c'est la grandeur de la France universaliste. Toute la Nation doit se lever contre les actes racistes.

Les seules limites à la liberté académique ont été posées par le législateur : négationnisme et appel à la haine.

M. Jacques Grosperrin.  - Je connais votre engagement, mais la situation est grave. Le Président de la République doit s'exprimer sur ce sujet capital pour l'avenir du pays !

M. Thomas Dossus .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Quel soulagement, à la lecture de l'ordre du jour : enfin, le grand danger est nommé ! Le wokisme ! Enfin, la droite française suit Bolsonaro et Trump dans leur panique morale ! Après la théorie du genre, l'écriture inclusive et l'islamo-gauchisme, bienvenue au nouveau danger qui unifie tous les réactionnaires.

Pour moi, c'est un mouvement de jeunes gens éveillés qui s'interrogent sur les dominations de nos sociétés et nos grands hommes, demandent un égal traitement des humains quels qu'ils soient ou s'intéressent à la manière dont le langage produit des normes. Pour vous, ce sont des extrémistes plus dangereux que l'extrême droite, qui pourtant menace de mort des personnalités politiques, appelle à la guerre civile et a fomenté dix attentats déjoués depuis 2017 !

Vous êtes en accord avec le Gouvernement. La priorité de M. Blanquer, alors que l'éducation est en crise, a été d'organiser un colloque sur le wokisme...

M. Jacques Grosperrin.  - Il a bien fait.

M. Thomas Dossus.  - ... où l'on n'a entendu que des propos de comptoir.

La priorité de Mme Vidal a été de demander une enquête sur l'islamo-gauchisme...

M. Jacques Grosperrin.  - Elle a bien fait.

M. Thomas Dossus.  - ... et celle M. Wauquiez, de couper les subventions à Sciences Po Grenoble.

M. Jacques Grosperrin.  - Il a bien fait !

M. Thomas Dossus.  - Les députés Abad et Aubert ont demandé une mission d'information sur ce même sujet. Avec la finesse d'analyse qui les caractérise, ils ont dressé des parallèles avec le nazisme et le stalinisme et écrit qu'islam conservateur et écriture inclusive marchaient main dans la main. Une opération de communication de plus - mais le mal était fait.

Avec le Gouvernement, vous jetez le poison de l'anathème sur les sciences humaines et sociales. Vous n'avez que faire de la paupérisation de la recherche, de la précarisation des chercheurs, des étudiants faisant la queue devant les guichets de la banque alimentaire. Vous avez un rapport hermétique avec le réel et proposez un débat au ras des pâquerettes, stigmatisant et foncièrement inutile.

Lorsque la recherche va à l'encontre de votre projet politique - qu'on ne peut plus distinguer de l'extrême droite - vous voulez l'annuler. C'est votre camp qui s'oppose à la liberté académique, au détriment des vrais sujets comme la précarité étudiante. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Max Brisson.  - Les nuances ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Vous appelez au pluralisme, mais condamnez les débats. Le colloque voulu par Jean-Michel Blanquer a posé des principes et les a challengés. Nous n'avons qu'une boussole : garantir un climat sain et serein pour que les étudiants construisent eux-mêmes leur pensée. Ne laissons pas s'installer une pensée unique ni une autocensure. Outre-Atlantique, des universités tentent de recréer ce pluralisme. Au sein de nos universités, nous le défendons. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Thomas Dossus.  - Il n'y avait aucun pluralisme lors de ce colloque qui allait dans un seul sens.

M. Jacques Grosperrin.  - Vous n'y étiez pas !

M. Thomas Dossus.  - Le niveau était très faible. Une discussion de comptoir ! (Protestations à droite)

M. Pierre Ouzoulias .  - (M. André Gattolin applaudit.) Le Sénat unanime alertait le Gouvernement par une résolution, le 4 janvier dernier, sur les difficultés de l'université, où la qualité de l'enseignement pâtit du manque de financements.

Nous avons eu la satisfaction d'entendre le Président de la République reconnaître, le 13 janvier devant la conférence des présidents d'université, que son Gouvernement n'avait fait que colmater les brèches. La priorité est de donner des moyens à l'enseignement supérieur. Alors que le paquebot universitaire ressemble au Titanic, je me demande si l'objet de ce débat n'est pas de déterminer si la musique jouée par l'orchestre serait responsable du naufrage !

Néanmoins, je partage la volonté de mieux défendre la liberté académique.

Mon amendement n°97 à la loi de programmation de la recherche garantissait l'indépendance des universitaires et leur liberté d'expression et accordait une protection fonctionnelle de droit aux enseignants-chercheurs. Vous l'aviez repoussé, mais semblez avoir changé d'avis. Voterez-vous la proposition de loi de mon groupe sur le sujet ?

Paul Ricoeur, depuis Nanterre occupée en 1968, définissait le droit de l'enseignant comme « le droit afférant à la compétence et à l'expérience, tel qu'il a été sanctionné non par les étudiants, mais par les autres compétents, ses pairs ; le droit à la liberté de pensée et d'expression, en dehors de toute censure politique et idéologique ; le droit d'accomplir son propre dessein de connaissance et de science, dans l'enseignement et hors de l'enseignement. »

La liberté académique est une liberté professionnelle, personnelle et corporative, avec des normes déontologiques. Elle suppose l'autonomie professionnelle et une communauté régie par la collégialité et la cooptation, selon le professeur Olivier Beaud. Ces deux principes ont été transgressés depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU).

N'y a-t-il pas une contradiction à discourir des libertés académiques et des théories académiques qui les menaceraient ? Alors que l'indépendance des professeurs est garantie par la Constitution, est-ce au Parlement de débattre des théories enseignées ?

Des menaces planent sur la liberté d'expression à l'université, c'est vrai. Cependant, selon l'avis du 21 mai 2021 du collège de déontologie de l'enseignement supérieur et de la recherche, saisi par la ministre, les présidents d'université disposent de tous les outils pour y faire face.

Le Parlement, lui, doit défendre l'État de droit. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; MM. François Bonhomme et Gérard Longuet applaudissent également.)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - La priorité, c'est la liberté académique. La ministre a en effet saisi le collège de déontologie. Le Gouvernement accompagne les présidents d'université contraints de reprogrammer la vingtaine d'événements qui n'ont pu avoir lieu à cause de perturbateurs. C'est là sa seule doctrine.

M. Pierre Ouzoulias.  - Dommage que nous soyons en fin de mandature, puisque vous auriez manifestement soutenu notre proposition de loi ! C'est à souhaiter que le président Macron soit réélu. (Sourires)

La protection fonctionnelle de droit des professeurs, que nous défendons, a manqué à Samuel Paty. Elle aurait pu sauver sa vie.

Enfin, la collégialité et la cooptation sont mises en danger par la loi.

M. Pierre-Antoine Levi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le wokisme, la cancel culture, la pensée décoloniale ont fait irruption dans le paysage universitaire de notre pays. Quel paradoxe : le décolonialisme est en fait une colonisation nord-américaine de nos esprits. Pourtant, notre histoire est différente de celle des États-Unis. Pourquoi calquer ce qui n'est pas la réalité de notre pays, sinon parce que ces penseurs ont quitté le champ républicain ? (M. Max Brisson renchérit.)

Le passé doit être regardé en face sans complaisance ni repentance.

Il n'est pas question de transiger avec les libertés académiques ou d'expression, mais attention : la liberté académique est un prétexte pour développer un discours qui réduira in fine les libertés. Les tenants de ce courant mortifère obtiennent habilement bourses et crédits de recherche. C'est peut-être politiquement incorrect, mais j'assume de le dire.

Qui peut nier que depuis soixante ans, les sciences humaines sont politisées ? Un observatoire européen des libertés académiques a été créé. Comment ne pas s'inquiéter quand la commissaire européenne Helena Dalli interdit de parler de Noël ?

J'espère qu'il n'est pas trop tard. Ayons le courage de dénoncer les extrêmes dans leur volonté de division. On doit pouvoir défendre son pays, son histoire sans être taxé de nationalisme. (MM. Jacques Grosperrin et Max Brisson approuvent.) On doit pouvoir défendre notre gastronomie sans être taxé de suprémacisme blanc, comme un candidat à la présidentielle. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Face à cet horrible anglicisme qu'est le wokisme, luttons ensemble contre la déconstruction de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - La définition de la Nation par Ernest Renan est le plus beau des héritages. Être français, c'est vouloir l'être, partager les valeurs et l'héritage de la France et vouloir construire son avenir.

Il faut rejeter l'autocensure et avoir un débat politique, idéologique. Les débats en sciences sociales doivent avoir lieu.

Il y a 55 ans, Gaston Monnerville présidait cette Haute assemblée. Il est la preuve que s'il existe un État sans racisme systémique, c'est bien la France.

M. Pierre-Antoine Levi.  - Merci pour ces propos. Mme Vidal avait demandé un rapport au CNRS sur l'islamo-gauchisme et le wokisme : où en est-il ?

M. Jacques Grosperrin.  - Il n'arrivera pas !

M. Bernard Fialaire .  - De quoi le wokisme est-il le nom ? Pourquoi faut-il être vigilant vis-à-vis de cet appel à la vigilance ? Il a le goût des revendications des Noirs américains et l'odeur de la révolte des descendants d'esclaves, mais il n'en est qu'une indigeste mixture et une usurpation indigne.

Au-delà d'une indignation adolescente érigée en vertu suprême, du « ni pour, ni contre, bien au contraire » de Coluche, s'installe l'intolérance. Voltaire s'est battu pour le droit de s'exprimer de ceux qui ne pensaient pas comme lui ; aujourd'hui, les adeptes du wokisme se battent contre ceux qui exprimeraient leurs idées sans leur légitimité !

Barack Obama ne serait qu'un blanc à la peau noire, certains homosexuels, des hétérosexuels en couple avec une personne de même sexe... La cancel culture pousse l'intransigeance jusqu'à l'intolérance. On déboulonne les statues, suivant une réinterprétation bien mauvaise de Derrida qui éteint nos Lumières.

En disciple d'Alain, je ne veux pas répondre au mépris par le mépris. « Au fond du radical qui obéit toujours, il y a un esprit radical qui n'obéit jamais, qui ne veut point croire, qui examine, et qui trouve dans cette farouche liberté quelque chose qui nourrit l'immense amitié humaine ; et c'est l'égalité », résumait-il. L'esprit d'égalité, c'est la résistance, et la confiance en l'homme.

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien.

M. Bernard Fialaire.  - Comment supporter que l'on empêche une universitaire de s'exprimer à l'université ? Sous couvert de vigilance contre la discrimination, le wokisme est une idéologie dogmatique qui porte atteinte à l'unité républicaine et s'oppose à nos valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité.

L'esprit critique doit s'exprimer, mais pas au détriment de nos valeurs. Notre jeunesse est dépourvue de repères entre ou contre lesquels se construire. Ne réécrivons pas l'histoire, comme c'est parfois le cas en cette campagne naissante. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Gérard Longuet et Daniel Gueret applaudissent également.)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Votre plaidoyer en faveur de l'unité républicaine montre que ce débat dépasse l'université. Merci.

M. Bernard Fialaire.  - Une société a besoin d'autorité, d'une autorité de compétence qui réhabiliterait la science. Quand on voit des gens arborer une étoile jaune car on leur propose un vaccin gratuit, il y a lieu de s'inquiéter. Notre jeunesse a besoin de repères.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le terme wokisme n'ayant pas encore intégré le Petit Robert, je partage avec vous la définition de Pierre Valentin dans L'Idéologie woke. Anatomie du wokisme. Selon lui, « il s'agit ici d'être éveillé aux injustices que subissent les minorités dans les pays occidentaux ». Dans cette idéologie postmoderniste en forte progression, cette nouvelle culture morale, le statut de victime devient une « ressource sociale ». Les campus américains sont les premiers concernés. Pierre Valentin décrit des militants issus de familles aisées, qui recherchent une autorité instituée en cas de conflit, plutôt que de le régler eux-mêmes, avec pour conséquence « la croissance d'une bureaucratie universitaire chargée de poursuivre et de prolonger cet état de surprotection ».

Soyons vigilants face à l'américanisation de notre société et aux tentatives fallacieuses d'assimiler la France aux États-Unis. Revenons aux faits : il y a 80 ans, des Noirs étaient lynchés et pendus aux États-Unis au nom de la justice ; le dernier lynchage date de 1981. À la même époque, des députés de couleur siégeaient en France. Pendant la Première Guerre mondiale, un régiment d'Afro-Américains est incorporé à l'armée française à la demande du Maréchal Foch, quand le commandement américain estime que le « manque de conscience civique et professionnelle » des soldats noirs constitue une « menace constante pour les Américains ». Je pourrais aussi citer Eugene Bullard, engagé en 1914 dans la Légion étrangère, premier pilote de chasse noir dans l'armée française, soutien de la France libre pendant la Seconde guerre mondiale, qui vit des soldats d'Afrique se battre pour libérer la France. Leclerc dut se séparer de soldats noirs de la 2e DB à cause de la ségrégation américaine.

Je ne nie pas l'existence du racisme mais je souhaite apporter des nuances. Notre pays n'est pas comparable aux États-Unis et le racisme systémique n'est pas dans notre ADN.

Le wokisme fait peser des menaces sur notre université. Jean-Michel Blanquer a appelé à « déconstruire la déconstruction en cours » lors du colloque en Sorbonne le 7 janvier : je le rejoins. Cessons de battre notre coulpe sur des faits du passé analysés avec les yeux d'aujourd'hui ! Combattons les inégalités mais restons éveillés et fiers de notre histoire, fidèles aux Lumières. L'université doit rester ouverte et libre, tout en sachant résister aux sirènes du Nouveau Monde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Jean Hingray .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'espère que, dans un futur proche, on rangera le wokisme dans la rubrique du fait colonial. En s'infiltrant à l'université, il a gagné quelques esprits insuffisamment construits pour éviter d'être déconstruits. Le wokisme est une tentative de colonisation des esprits. Plus c'est gros, mieux ça passe ! Même si l'on sait le monde universitaire sensible à l'humanisme, il est avant tout fondé sur la rigueur du savoir et la fermeté de la raison : on pourrait en attendre plus de résistance.

Dans « université », il y a « universel ». Dans le wokisme, c'est la lutte des uns contre les autres. Jusqu'où va la contrition ? On se croirait revenu aux Cathares ! Tuez-les tous, le wokisme reconnaîtra les siens... Mais l'université n'a pas besoin de catharsis. J'interpellais Mme Vidal lors des questions au Gouvernement : elle m'avait dit que la main du Gouvernement ne tremblerait pas face au wokisme. Mais ma soeur Anne ne voit rien venir. Nous attendons des actes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Quel plus bel endroit pour débattre que l'université ? La sérénité des travaux, sans angélisme, y est primordiale.

M. Gérard Longuet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Max Brisson d'avoir obtenu ce débat : le Sénat est ainsi au coeur de ses responsabilités. Nous sommes peut-être en avance, je l'espère, d'un problème qui ne se poserait pas chez nous.

Mme Eustache-Brinio a rappelé avec raison que notre culture à l'égard des anciens colonisés n'était pas celle des États-Unis : ancien ministre de la Défense, je tiens à souligner le sacrifice de ceux que nous appelions Sénégalais mais qui ne l'étaient pas tous, et l'intégration de soldats Noirs américains durant la Première Guerre mondiale.

Nous avons le devoir de réfléchir. Il est absurde de prétendre que le savoir serait le résultat de l'oppression, au sommet de laquelle on trouve cet épouvantable individu, le mâle hétérosexuel blanc. Poser toutes les minorités en victimes et inviter chacun à trouver sa part de victimisation est dissolvant pour notre identité. Nous avons l'habitude de nous affronter, mais la règle de la majorité républicaine risque de voler en éclats si le wokisme nous emprisonne dans notre identité. C'est en fait la renaissance du racisme le plus fermé et le plus sectaire : on ne pourrait échapper à notre ascendance, alors que la République, c'est partager des valeurs communes à chacun, quel que soit son parcours.

Dans votre action, madame la ministre, il y a du bon et du moins bon. Vos réponses et l'engagement de M. Blanquer lors du colloque en Sorbonne nous rassurent.

En revanche, je vois dans l'émergence des déontologues poindre cette bureaucratie du contrôle dénoncée par Mme Eustache-Brinio, avec un risque de débordement sans limites. Il faut plutôt renvoyer devant la justice les expressions racistes ou révisionnistes.

Votre réponse implicite au procès de la domination du mâle blanc hétérosexuel bourgeois, c'est le recrutement d'étudiants sur des critères qui ne sont pas ceux du travail et de la réussite intellectuelle. (Marques d'approbation à droite) Comme président de région, j'ai été l'un des premiers à ouvrir des classes d'accès à Sciences Po pour les lycées professionnels - mais il fallait travailler pour réussir. Aujourd'hui, on refuse des étudiants, malgré leur mérite, parce qu'ils ont le malheur de venir d'un bon lycée ! Nous risquons de perdre des étudiants et de voir des enseignants s'autocensurer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Le rappel historique de Mme Eustache-Brinio est fondamental : la grille de lecture anglo-saxonne n'est pas la nôtre, elle fausse notre perception.

Monsieur Longuet, il n'est pas question de nouvelle bureaucratie : les déontologues accompagnent les présidents d'université dans la lutte contre les conflits d'intérêts, les conflits entre chercheurs et surtout contre l'autocensure. Nos deux lignes rouges sont définies par la loi de notre pays : non à l'appel à la haine, non au négationnisme. Pour le reste, la liberté académique est pleine et entière.

M. Gérard Longuet.  - Le diable se niche dans les détails : c'est pourquoi nous avons le devoir d'être attentifs, face à ceux qui achèteraient la sérénité dans leurs établissements par des complicités inacceptables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et de l'engagement .  - Ce débat est à l'image de celui qui traverse le pays. Il ne faut faire preuve d'aucun angélisme face aux dérives que nous observons dans certaines universités.

Au-delà, notre unique enjeu est la défense des libertés académiques, ce que nous avons fait avec la loi de programmation de la recherche. Mais ne nous trompons pas de débat : il ne faut pas que l'autocensure s'installe au sein de nos universités, que les chasses aux sorcières conduisent à une régulation insidieuse par la peur d'être jeté en pâture.

Le débat, l'échange, la controverse, voilà qui est français. L'histoire doit être étudiée dans sa totalité. Il y a une différence entre combat politique et thèse de recherche ! Il n'est pas question de limiter le débat scientifique ; nous devons garantir un climat serein dans les universités et protéger les enseignants-chercheurs et les doctorants.

Pour garantir la pluralité des débats, il faut plus que jamais des valeurs fermes et des objectifs clairs. Pour accompagner les citoyens en devenir que sont les étudiants, il faut des repères, des rappels historiques, sans céder à la tentation de certains de réécrire l'histoire, de déboulonner les statues, de changer les titres d'oeuvres ou d'interdire des pièces de théâtre.

À chaque fois qu'il y aura une tentative de faire annuler un colloque, une pièce de théâtre, nous serons aux côtés des présidents d'université.

Pour autant, nous luttons contre les discriminations, parce que nous voyons notre pays comme une Nation et chacun comme un citoyen.

Le racialisme essentialiste est un nouveau racisme. Il sépare, fragmente, crée des communautés. Face à ce mal qui s'installe dans le débat politique, nous défendons l'universalisme français, au nom de l'unité nationale.

Nous accompagnons l'université et le CNRS par des moyens financiers, nous agissons contre la précarité des étudiants. La négation des dérives est importante. Nous nous battons pour protéger le pluralisme au sein d'une République universaliste qui reconnaît chacun de ses enfants comme citoyen, et rien d'autre. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ». Selon l'IFOP, en 2021, seuls 14 % des personnes comprenaient le sens du mot woke. Cet anglicisme paresseux masque l'idéologie de l'intersectionnalité, qui postule que plusieurs formes de discriminations se conjuguent. Il faudrait collectivement nous réveiller et prendre conscience de tout ce que l'humanité a produit d'injustices depuis la nuit des temps.

Sommes-nous endormis ? Incultes ? Le privilège cognitif est-il l'apanage d'une minorité éclairée ? Ce courant est plutôt une vaste entreprise de déconstruction, une autoflagellation intellectuelle, une repentance perpétuelle, jugeant avec le recul de plusieurs siècles tous les événements historiques : Adam était-il misogyne, l'homme des cavernes était-il respectueux de l'environnement ? Voyez les questions, ils trouveront toujours une réponse. Sans doute savent-ils exactement ce qu'ils auraient fait s'ils étaient nés en 1917 à Leidenstadt.

Nous voulons préserver le débat contradictoire et la liberté d'expression dans l'enseignement supérieur. Mais la censure est l'outil préféré de ces prétendus progressistes, taxant les autres de fascisme. Nous déplorons l'interdiction faite à ceux qui ne sont pas dans cette orthodoxie de pensée.

Pour avoir refusé de s'excuser d'exister, d'être blanc ou français, des étudiants ont été expulsés par ceux qui confondent le comptoir des Indes et celui du café du commerce. La rhétorique woke repose sur la censure et ne parle jamais du fond.

Je m'inquiète en voyant des chercheurs défendre cette idéologie pleine de mots creux. Cela n'a pas de sens ni de valeur : islamophobie, embyphobie, grossophobie... Ces déconstructeurs préfèrent médicaliser le débat en inventant de nouvelles pathologies afin de condamner moralement un adversaire sur l'autel de la modernité. Le féminisme est-il grandi lorsqu'on taxe de transphobie des femmes qui ne veulent pas partager leur vestiaire avec des hommes ?

J'accuse les tenants de cette pensée de fragiliser la démocratie en apprenant à tous à se détester mutuellement.

Je conclus par ces mots de Barbara : « Ô faites que jamais ne revienne / Le temps du sang et de la haine ». (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

La séance est suspendue quelques instants.

Accords en CMP

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, de la proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte et de la proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte sont parvenues à l'adoption d'un texte commun.

« Quelle politique ferroviaire pour assurer un maillage équilibré du territoire ? »

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Quelle politique ferroviaire pour assurer un maillage équilibré du territoire ? » à la demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

M. Philippe Tabarot, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc de la commission.) Presque quatre ans après l'adoption de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire et deux ans après celle de la loi d'orientation des mobilités (LOM), la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a voulu faire un point d'étape avec le Gouvernement sur les orientations de la politique ferroviaire dans nos territoires.

Les retours du terrain sont pour le moins contrastés. Malgré l'engagement pris par le Premier ministre de régénérer 9 200 kilomètres de lignes de desserte fine, le compte n'y est pas. Malgré les protocoles d'accord conclus, l'État se défausse sur les régions pour ce qui est de l'entretien de ces petites lignes, pourtant gage de stabilité.

En dépit des promesses, les montants consacrés aux petites lignes sont loin d'être à la hauteur des enjeux. Le rapport Philizot évalue les besoins de financement à 7,6 milliards d'euros d'ici 2028, soit 700 millions d'euros par an. Mais en deux ans, seuls 600 millions d'euros y ont été consacrés. Notre commission a proposé de doubler ces crédits, sans succès.

Comment expliquer un tel décalage entre les engagements et la réalité, entre les déclarations d'intention et les moyens mis en oeuvre, tel qu'il transparaît dans le projet d'actualisation du contrat de performance entre État et SNCF Réseau ? Ce projet de contrat fait l'unanimité contre lui, le manque d'ambition est patent, les moyens très insuffisants. Il faut le réviser.

Dans une perspective de maillage équilibré du territoire, quel modèle de financement du transport ferroviaire voulez-vous promouvoir ? En France, les péages sont deux fois plus élevés que dans le reste de l'Europe. Régions de France estime la trajectoire d'augmentation insoutenable et invite à repenser le modèle de financement de SNCF Réseau, à l'heure de l'ouverture à la concurrence.

Les régions ont énormément investi en faveur des transports du quotidien, la Cour des comptes l'a souligné. N'abandonnez pas ce patrimoine national que sont nos petites lignes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Olivier Jacquin, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Merci au président Longeot d'avoir fait inscrire à l'ordre du jour ce sujet qui m'est cher. Après quarante ans de tout-TGV et de sous-financement, combien de petites lignes fermées ? Sans parler de l'état du réseau...

Lors des Assises de la mobilité, la priorité donnée aux trains du quotidien était consensuelle. La réforme du statut et l'ouverture à la concurrence, moins. En termes de méthode, le plan de régénération du réseau ferroviaire devait être confirmé par un contrat de performance de SNCF Réseau - que nous attendons depuis deux ans.

Vous avez commis, depuis, deux têtes à queue - à moins que ce ne soit une déclinaison du « en même temps ».

D'abord, en juillet, le Président de la République annonce de nouvelles lignes à grande vitesse, non financées et non programmées. Puis nous apprenons, grâce à la revue Contexte, que le contrat de performance de SNCF Réseau prévoirait une très forte augmentation des péages. Après les gilets jaunes et l'expérience de démobilité que fut la crise sanitaire, ce n'est pas sérieux.

Face au défi climatique, il faut donner un vrai modèle économique au rail. Vous n'avez pas profité du quoi qu'il en coûte et du Plan de relance : il manque 1 milliard d'euros par an aux gestionnaires d'infrastructures pour assurer un maillage du territoire.

Lors de la LOM, le Sénat a demandé un rapport sur l'avenir des trains d'équilibre du territoire (TET) et des trains de nuit. Grâce à la presse - merci Mobilettre - nous l'avons obtenu, et il est passionnant. Il met en lumière des besoins non satisfaits sur cinq grandes transversales nationales, et une dizaine de lignes de train de nuit.

Envisagez-vous de créer de nouvelles lignes d'équilibre du territoire ? Avec quels opérateurs, quels moyens, et selon quel calendrier ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État, chargé de la ruralité .  - Les Français sont attachés à un grand service public ferroviaire, qui fait partie du patrimoine national. Le train a structuré le territoire, et une liaison directe vers Paris reste, dans l'imaginaire collectif, indispensable à un maillage équilibré du territoire. Pour beaucoup de Français, le train fait partie du quotidien. Il est aussi un outil puissant de désenclavement et de transition écologique.

Mais le réseau souffre de décennies de sous-investissement. En 2017, la moyenne d'âge du réseau était de trente ans, et les trois quarts des petites lignes étaient menacées de fermeture ou de forts ralentissements entre 2018 et 2030.

Régénérer le réseau, améliorer les transports du quotidien et développer le fret, accélérer la transition vers des mobilités propres, voilà les priorités de notre action depuis 2017.

L'adoption du nouveau pacte ferroviaire avait pour objectif de donner un nouveau souffle à notre système ferroviaire, en combinant remise à niveau et équilibre financier.

L'État a consenti des investissements sans précédent, en augmentation de 60 % par rapport au quinquennat précédent, et a repris la dette de la SNCF à hauteur de 35 milliards d'euros. Nous investissons en moyenne 3 milliards d'euros par an sur dix ans pour la régénération du réseau, soit 50 % de plus que pendant la décennie précédente.

En 2022, nous mobilisons aussi 4,7 milliards d'euros dans le cadre du Plan de relance. Nous avons également triplé les investissements pour la mise en accessibilité. Cet effort en faveur du transport ferroviaire est inédit.

La régénération des lignes de dessertes fines du territoire est une priorité du Gouvernement. Nous dessinons un nouvel avenir pour ces lignes, en concertation avec les régions, et non selon des plans définis depuis Paris. Déjà, neuf régions se sont engagées dans le plan de revitalisation, pour 6 000 kilomètres de lignes et 5,2 milliards d'euros sur dix ans. L'État a investi 300 millions d'euros pour accélérer les travaux les plus urgents dans le cadre du plan France Relance.

Le soutien public, que vous estimez insuffisant, n'a jamais été aussi élevé.

L'assainissement financier de SNCF Réseau permet aussi de regarder vers l'avenir : accélération des liaisons Toulouse-Bordeaux, Marseille-Nice, Montpellier-Perpignan, dynamisation des services ferroviaires.

Certains déplorent que les résultats ne soient pas immédiatement visibles. Mais le ferroviaire est une politique du temps long.

Le transfert aux régions est essentiel pour assurer la pérennité des petites lignes appelées un jour à redevenir des axes de développement. Dans le Sud, ou en Bourgogne, l'ouverture à la concurrence permettra une meilleure qualité de service et plus de dessertes.

Nous avons relancé les trains Intercités de jour et de nuit. J'y suis très attaché. J'étais d'ailleurs cette nuit dans le Paris-Briançon - avec trois heures de retard, je dois le reconnaître... (Sourires) La renaissance des trains de nuit sera un marqueur fort de notre action, avec la réouverture du Paris-Nice et du Paris-Tarbes. Nous avons investi 100 millions d'euros dans le cadre du Plan de relance. D'ici 2030, dix lignes pourraient voir le jour.

Le rapport remis au Parlement identifie des axes stratégiques ; je souhaite qu'il donne lieu à un véritable débat au Parlement.

Cet élan se poursuit au niveau européen avec l'ouverture des lignes Paris-Vienne et Paris-Berlin.

La cohésion du territoire passe également par l'investissement dans la stratégie nationale pour le fret ferroviaire, qui vise à doubler la part modale du fret d'ici 2030. Ce sera une priorité de la présidence française de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Olivier Jacquin .  - En 2018, la SNCF suspendait pour cinq ans les circulations de Nancy vers Lyon par TGV, en raison de travaux en gare de Lyon. Deux alternatives ont été proposées, l'une via Strasbourg, l'autre par un TGV direct Nancy-Marne-La-Vallée - supprimé l'an dernier.

Or le rapport sur les perspectives des TET démontre l'importance des besoins le long du sillon lorrain vers Lyon et Grenoble... Quand allez-vous rétablir cet axe ? Les promesses de la SNCF seront-elles tenues ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - La LOM et le rapport Philizot de mai 2021 guident notre politique. Je souhaite que l'étude visant à identifier les TET à même de désenclaver les territoires soit discutée au Parlement. Il faut améliorer l'accessibilité des métropoles et des villes moyennes et, oserais-je dire, réenchanter ces lignes de longue distance.

Trois lignes ont été identifiées : Metz-Lyon-Grenoble, Toulouse-Lyon, Nantes-Rouen-Lille. Il faudra en étudier la faisabilité technico-économique, ainsi que l'articulation avec le programme de régénération et de modernisation du réseau.

Concernant le sillon lorrain, les travaux en gare de Lyon Part-Dieu ont été un facteur conjoncturel de fermeture de la LGV. Désormais, la SNCF évoque des raisons structurelles, à savoir la nature régionale du trafic entre Nancy et Dijon. Pourtant, les trains de substitution ont été très fréquentés, preuve de l'intérêt de cet axe. Nous devrons, à partir du rapport cité plus haut, aborder cette question.

M. Olivier Jacquin.  - Voilà une mauvaise nouvelle : la SNCF n'envisage pas le retour du TGV. Elle prétendait pourtant que ce service serait rétabli une fois le noeud lyonnais désenclavé.

Par ailleurs, nous n'avons jamais eu accès au rapport Philizot, mais seulement à quelques éléments qui ont fuité !

Vous ne m'avez pas répondu sur la méthode et le calendrier. Les études, ça ne suffit pas !

M. Frédéric Marchand .  - « L'État ne croit pas au réaménagement du territoire. Nous, nous allons sacrément investir pour la rénovation des trains, la sauvegarde des petites lignes et la modernisation des gares », a récemment affirmé le président de la région Hauts-de-France.

Dans ma région, le débat autour de la politique ferroviaire est hystérisé. La SNCF n'est pas exempte de reproches mais ne mérite pas un procès en sorcellerie. Le maillage territorial ne peut se faire dans la défiance, en montrant l'opérateur du doigt : SNCF et région doivent travailler ensemble. La signature du contrat de performance s'est faite dans la douleur et des différends persistent.

Dans les Hauts-de-France, la mobilité est essentielle. Se pose la question d'une liaison directe entre Lille et le bassin minier, pour désenclaver un territoire qui a tant donné à la France.

L'État porte-t-il bien une vision ferroviaire pour notre territoire, aujourd'hui otage d'enjeux politiques mortifères ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Je déplore que la question de la mobilité en Hauts-de-France soit prise en otage par l'actualité politique. La région mérite mieux que cela.

M. Michel Savin.  - La France aussi !

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Ce n'est pas une question de plateau télé, mais bien du quotidien, pour se rendre au travail, partir en vacances.

Le Gouvernement a demandé à la SNCF d'élargir le travail amorcé avec la région sur les dessertes TGV à toutes les collectivités concernées. Le niveau de desserte a été globalement amélioré. Après les perturbations dues à la crise sanitaire, l'enjeu à court terme est de remettre en place les offres nominales prévues pour 2021.

Pour les petites lignes, le protocole signé avec la région prévoit 825 millions d'euros de travaux, dont 330 millions financés par l'État.

Nous avons bien conscience des difficultés sur le TER Hauts-de-France, qui ont été très pénalisantes pour les voyageurs. C'est un sujet qui est de la compétence de la région, autorité organisatrice. La SNCF a mis en place un plan de redressement de la qualité.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - J'avais déjà posé cette question, sur la virgule Roissy. Le ministre avait répondu que cela avançait. C'est vrai pour le barreau Roissy-Picardie, mais il ne s'agit pas de la même ligne ! (Sourires)

Je vous parle d'un tronçon d'un kilomètre qui raccrocherait Roissy à la ligne Paris-Villers-Cotterêts-Soissons-Laon-Hirson, crucial pour permettre aux habitants de l'Aisne de venir travailler à Roissy, et aux touristes de visiter la future Cité de la langue française de Villers-Cotterêts.

Le contrat de plan État-Région (CPER) prévoyait une étude pré-opérationnelle financée pour 300 000 euros, soit 150 000 euros pour chaque partie. Le sujet, essentiel pour l'attractivité de l'Aisne, a-t-il avancé ? Le conseil régional des Hauts-de-France s'est dit prêt à financer ; nous attendons autant de clarté de la part de l'État.

M. Michel Savin.  - Très bien ! De la clarté !

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Notons tout de même que la desserte de l'Aisne a bénéficié du nouveau barreau Paris-Laon.

Sur le sujet qui vous intéresse, l'État finance en 2021, pour 150 000 euros, une étude fonctionnelle et technique, qui se poursuit. Elle alimentera les réflexions sur les opérations prévues sur le réseau Nord. Financement et calendrier seront abordés dans le cadre des négociations du volet mobilité du CPER 2023-2027.

M. Daniel Gueret .  - La crise sanitaire a mis en avant de nouveaux modes de vie, avec la prise d'assaut des villes moyennes à moins de 100 kilomètres de Paris.

L'idée a été émise d'expérimenter des trains directs entre ces villes et la capitale, sur des sillons peu utilisés en dehors des horaires de pointe, d'autant que ces villes sont elles-mêmes au centre d'une étoile ferroviaire maillant leur département.

La politique ferroviaire dont nous avons besoin ne passe pas par la réouverture utopique de toutes les petites lignes mais par l'optimisation des moyens dont nous disposons.

Oui, le temps politique n'est pas le temps ferroviaire : il aura fallu 27 ans pour rallier Chartres à Orléans et permettre, de là, d'aller à Tours, la ville universitaire. Il faudra du temps pour rattraper le retard immense pris dans l'investissement sur les réseaux.

La ville de Chartres travaille avec la région et la SNCF à un vaste programme Pôle gare, hélas largement financé par les collectivités...

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - La crise sanitaire et le développement du télétravail ont modifié les besoins en mobilité. Difficile de savoir si cette évolution sera durable.

Mais le temps ferroviaire est plus long que celui des tendances de la société.

Le réseau ferroviaire prendra en compte ces évolutions. Le besoin de desserte est élevé dans les villes de la grande couronne. Un train rapide consomme beaucoup de capacités ferroviaires dans des zones denses où circulent des trains qui effectuent de nombreux arrêts. Il est donc difficile d'intégrer de nouveaux TGV dans un système ferroviaire déjà saturé. Région et SNCF doivent discuter ensemble pour améliorer l'offre de mobilité.

M. Guy Benarroche .  - Le ferroviaire est un outil incontournable de la transition écologique, mais votre politique ne suffira pas à rattraper le retard et à conforter l'attractivité du rail. Les besoins d'investissement s'élèvent à 3,5 milliards d'euros par an, vous y consacrez 2,3 milliards d'euros sur trois ans ; pour les petites lignes, il faudrait 700 millions d'euros, vous leur accordez 300 millions d'euros. Nombre d'entre elles risquent d'être condamnées.

Les crédits manquent, comme la transparence sur leur utilisation. La loi 3DS a prévu un transfert des petites lignes aux régions : ces dernières risquent de devoir financer les investissements nécessaires, alors qu'elles assument déjà les coûts de renouvellement.

Allez-vous enfin lancer un plan d'investissement à la hauteur des enjeux ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Les dessertes fines du territoire sont adaptées aux enjeux d'aménagement du territoire et de transition écologique. Quelque 9 000 kilomètres de petites lignes irriguent nos territoires. Ce Gouvernement a oeuvré à leur renaissance grâce à un plan de remise à niveau signé en 2020 avec les régions.

En 20222, l'État va engager 200 millions d'euros, pour atteindre 550 millions sur la période 2020-2022 ; 1 100 kilomètres de lignes ont déjà été régénérés, dont 138 kilomètres dans votre région.

Déjà, neuf protocoles d'accord, pour 5,8 milliards d'euros, ont été signés avec les régions pour sauver plus de 7 000 kilomètres de lignes.

Cette politique tranche avec le passé. Les engagements du Gouvernement sont tenus.

M. Guy Benarroche.  - Il faudrait sauver les trois quarts des lignes menacées, inclure les acteurs locaux, couvrir les territoires peu denses, favoriser le fret... Nous en sommes encore loin. Le maillage du territoire requiert des aides de l'État, la coopérative ferroviaire Railcoop l'a bien rappelé. Les effets d'annonce ne suffiront pas pour atteindre 18 % de part pour le fret et 17 % pour les voyageurs.

M. Gérard Lahellec .  - Il est prématuré de tirer un bilan des mesures prises sous ce quinquennat : le pacte ferroviaire n'a pas encore produit ses effets et la concurrence s'exerce d'abord sur les segments captifs comme le Paris-Lyon. Si une telle concurrence s'exerçait en Bretagne, elle couvrirait le Paris-Rennes ; mais qui emmènerait des trains jusqu'à Brest et Quimper ? Nous le savons : plus on va loin, moins il y a de voyageurs, et moins c'est rentable.

Le projet de loi 3DS divise les petites lignes en trois catégories, la troisième étant à la charge des collectivités territoriales. Les bons élèves sont punis...

Les pertes de recettes consécutives à la crise sanitaire n'ont pas été compensées : ce sont les régions et la SNCF qui ont comblé le trou.

Quelles ambitions nourrit le Gouvernement pour préserver l'offre de service sur l'ensemble du territoire ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Dégradation du service, endettement et déficit record, la situation est le triste résultat de décennies de sous-investissement. Il était urgent de sauver le service public ferroviaire : nous nous y sommes attelés avec le nouveau pacte ferroviaire au bénéfice des voyageurs, de la SNCF, des cheminots, des contribuables.

Un cadre social harmonisé a été mis en place, avec la constitution d'une branche professionnelle, un sac à dos social pour les salariés transférés et la portabilité de leur régime de retraite.

L'arrivée de nouveaux opérateurs européens comme Trenitalia est favorable aux voyageurs. On voit avec Railcoop qu'ils investissent différents segments de marché - pas seulement les plus rentables. La concurrence permet de libérer des énergies et de susciter de nouveaux services au profit des voyageurs.

Mme Denise Saint-Pé .  - La loi pour un nouveau pacte ferroviaire et la grève contre la réforme des retraites - la plus longue de l'histoire de la SNCF ! - sont derrière nous, mais la crise sanitaire continue et de nouveaux défis approchent.

La qualité de notre réseau ferroviaire repose sur trois piliers : un réseau à grande vitesse, un réseau structurant et les lignes de desserte fine.

Le plan de relance permet de renouer avec le développement de nouvelles lignes à grande vitesse, mais je m'inquiète pour celles du réseau existant. Les caténaires « Midi » des lignes du sud-aquitain, comme sur l'axe Dax-Pau, sont en mauvais état et doivent être remplacées. Allez-vous investir dans la modernisation du réseau structurant ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - L'entretien et l'amélioration du réseau existant sont une priorité du Gouvernement pour offrir une offre de qualité à l'ensemble du territoire. Cela suppose de trouver un équilibre entre lignes à grande vitesse et lignes classiques, trains de jour et trains de nuit, lignes nationales et internationales. Nous défendons un maillage équilibré du territoire.

La desserte de la région paloise retient toute notre attention. Nous attendons en avril le résultat des études prévues par le CPER, qui ont été financées à hauteur de 500 000 euros.

Le grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) concernera aussi cet axe, puisqu'il réduira de vingt minutes le temps de trajet entre Bordeaux et Dax, et donc entre Paris et Pau. Le Gouvernement a confirmé l'engagement financier de l'État.

Cette nouvelle ligne n'empêchera pas les investissements nécessaires sur le réseau existant.

Mme Denise Saint-Pé.  - Il est temps que ce réseau soit amélioré, notamment s'agissant des caténaires, qui datent de 1937 !

M. Éric Gold .  - Le Gouvernement s'est positionné en faveur de la rénovation du réseau existant, notamment la ligne Clermont-Paris, qui souffre de retards inacceptables. Mais les lignes intrarégionales sont également essentielles. La liaison entre Clermont et Saint-Étienne, par exemple, ne peut se faire sans correspondance : cela prend une heure de plus qu'en voiture.

En 2016, elle a été interrompue entre Boën-sur-Lignon et Thiers - l'année même de la mise en place de la grande région, qui reliait les deux métropoles administrativement. Les travaux de régénération sont estimés à 50 millions d'euros ; nous sommes en attente des résultats d'une étude de faisabilité. En attendant, nous prenons le bus...

L'État ne peut se désengager de tels travaux. Entendez-vous accélérer leur mise en oeuvre ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - La ligne Paris-Clermont fait l'objet d'un programme ambitieux. J'en connais les difficultés... Il m'est arrivé, en train de jour, d'avoir l'impression d'être dans un train de nuit !

La ligne Clermont-Saint-Étienne est effectivement en partie suspendue depuis 2016, sur la section la plus montagneuse ; un service de substitution par autocar a été mis en place.

La région Auvergne-Rhône-Alpes et le Gouvernement ont signé le 5 octobre 2020 un accord pour la relance du ferroviaire qui comprend le lancement d'une étude pour expertiser les besoins et envisager une réhabilitation à un coût moindre. C'est à la région, qui est autorité organisatrice, de définir les modalités de service sur ce tronçon.

Un protocole d'accord est en cours de négociation sur les petites lignes avec la région. Si la région opte pour une relance du rail, l'État sera au rendez-vous.

M. Éric Gold.  - Quelle que soit l'AOM, l'État doit donner une impulsion. Nous manquons de visibilité.

Mme Angèle Préville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le dérèglement climatique est un voyage sans retour. Le transport, qui contribue largement aux émissions de gaz à effet de serre, fait partie de la solution.

Les Lotois sont inquiets de l'avenir de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. La desserte du département ne serait pas assurée par la future LGV, certains trains s'arrêtant à Brive. Le sujet est primordial. Nous ne comprendrions pas d'être abandonnés car ruraux.

Le changement climatique exige une stratégie robuste et volontariste en faveur du rail, afin de reconquérir des usagers qui s'en sont détournés.

Des opérateurs comme Railcoop proposent de nouvelles offres : il convient de les soutenir. Il en va de même pour le fret. Quelle est votre stratégie ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Pas moins de 1,6 milliard d'euros sont consacrés à cet axe entre 2015 et 2025. Les travaux de modernisation apporteront de réels progrès. L'État a investi 800 millions d'euros pour l'achat d'un matériel roulant plus confortable, dont 450 millions pour le Paris-Orléans-Limoges-Toulouse.

N'ayez pas d'inquiétude : le schéma de desserte décidé il y a deux ans ne sera pas modifié.

Le projet Railcoop est sans précédent. Il rassemble 11 000 sociétaires, dont 180 entreprises. Le Gouvernement a facilité son arrivée sur le réseau, notamment l'acquisition de matériel. La SNCF a mis à disposition des sillons compétitifs, et le plan de financement est en cours de bouclage. C'est une excellente nouvelle pour les voyageurs.

Mme Angèle Préville.  - Nous attendons toujours des investissements concrets de l'État.

M. Alain Cadec .  - Les lignes de desserte fine représentent un tiers du réseau ; elles sont indispensables aux habitants des territoires ruraux et des villes moyennes. En 2018, après des décennies de sous-investissement, le rapport Spinetta proposait la fermeture de 200 de ces lignes.

Après avoir longtemps privilégié les lignes à grande vitesse, l'État avait promis de remettre en marche ces petites lignes, sous la responsabilité des régions. Il devrait investir 7 milliards d'euros sur dix ans, mais laisse les régions assumer la rénovation. Combien cela va-t-il coûter aux régions, et donc aux contribuables ?

Toutes n'en ont pas les moyens, certaines préfèrent privilégier le bus. N'existe-il pas d'autres moyens moins coûteux, par exemple des trains autonomes expérimentés par Taxirail dans les Côtes d'Armor, pour sauver des petites lignes déficitaires ? Bien sûr, restera à financer la réhabilitation des voies...

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Je sens un paradoxe dans votre question : vous êtes favorable à la réouverture de ces lignes tout en étant circonspect sur le coût. C'est légitime ! L'État investit 3 milliards d'euros par an dans la rénovation du réseau. Ce n'est pas un investissement à perte, car le ferroviaire sera davantage utilisé, avec uen fréquence et une fiabilité accrues.

Trop longtemps, on a empêché ces lignes de bien fonctionner. Je me souviens de l'époque où l'on ne pouvait réserver une couchette que la veille pour le lendemain. On avait beau jeu, ensuite, de se plaindre du faible nombre de voyageurs !

Le train constituera une alternative à la voiture sur de nombreux axes. Certaines innovations comme Taxirail vont dans ce sens.

L'étude sur le redéploiement des Intercités de jour et de nuit met l'accent sur l'effet réseau et la nouvelle clientèle attirée par un nouveau modèle d'exploitation.

M. Jean-François Longeot .  - Selon les territoires, nos concitoyens ne sont pas égaux au regard de la mobilité ferroviaire.

2021 a été particulièrement difficile pour les usagers des Hauts-de-France, indique Stéphane Demilly, que je remplace. Le trafic est régulièrement perturbé et les bonnes résolutions ne suffiront pas. Il est urgent de réagir : 200 000 usagers par jour sont concernés.

Nous pouvons comprendre des problèmes ponctuels, liés aux intempéries ou à la crise sanitaire, mais pas aussi systématiques.

Nous souhaitons une politique ferroviaire qui réponde au sentiment d'injustice. Quelles mesures prendrez-vous pour répondre aux difficultés que rencontrent nos territoires ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Les TER des Hauts-de-France représentent 1 250 trains et 200 000 voyageurs par jour. J'ai une pensée pour les usagers qui pâtissent des irrégularités du trafic, mais le principe de libre administration des collectivités territoriales m'impose de ne pas interférer dans ce domaine qui relève de la région. Depuis septembre 2021, la régularité des trains est très dégradée.

Grâce au plan d'action présenté à la région en octobre, la SNCF obtient de meilleurs résultats, avec plus d'agents roulants. Elle s'est engagée à respecter un taux de suppression de trains de 3,5 %, contre 8 % actuellement sur neuf lignes. Elle a donné son accord de principe pour le remboursement des abonnements des usagés touchés.

M. Hervé Gillé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Avant avril 2022, sera créée la société publique de financement pour lancer les appels d'offres du Grand projet du Sud-Ouest (GPSO). La relance de la LGV Bordeaux-Toulouse arrive à point nommé, à la veille des élections : 4 milliards d'euros sont promis sous réserve de l'engagement de toutes les collectivités. Or il manque encore à l'appel 340 millions d'euros de financement.

Quid des aides européennes attendues, à hauteur de 20 %. Le Gouvernement est-il en mesure de prendre l'ordonnance prévue avant avril ? Est-elle déjà transmise au Conseil d'État ? Où en sont les négociations avec l'Europe ? Quel est le calendrier ? Qu'envisagez-vous pour le franchissement de la frontière espagnole et la traversée du Pays Basque ?

Envisagez-vous un avis favorable du Conseil d'État ? Confirmez-vous le début des travaux en 2024 ? Quelle sera la date de signature de l'ordonnance ? Comment concilier le maintien des lignes de desserte fine et ces 14 milliards d'euros d'investissement ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Il manquait 340 millions d'euros, mais la région Nouvelle-Aquitaine s'est engagée à compléter les financements promis par d'autres collectivités territoriales qui seraient finalement défaillantes.

Il appartient au Conseil d'État seul, saisi aujourd'hui, d'émettre un avis sur l'ordonnance. Il y a un subtil équilibre à trouver entre lignes à grande vitesse et lignes de desserte fine. C'est tout l'enjeu des contrats avec les régions.

Nous ne voulons pas manquer de moyens pour ce qui relève de l'intérêt régional ou local.

M. Hervé Gillé.  - Le conseil régional s'est engagé à verser les 340 millions manquants ? Je ne le savais pas et le vérifierai.

Je regrette que ce débat soit trop souvent un monologue et que vous ne répondiez pas à toutes mes questions.

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Si on veut des détails techniques dans un débat comme celui-ci, il faut envoyer la question au préalable. Aucun ministre n'est omniscient !

M. Hervé Gillé.  - Je vous avais fait part du thème de ma question. Pas besoin d'être grand clerc pour savoir quels sont les enjeux autour du Bordeaux-Dax et du Bordeaux-Toulouse.

Me confirmez-vous que la ligne Bordeaux-Dax est aussi prévue ? Un financement complémentaire sur cette section est-il envisagé ?

M. Rémy Pointereau .  - Politique ferroviaire et maillage équilibré du territoire devraient aller de pair. Or c'est loin d'être le cas pour bon nombre de territoires ruraux. Mon département attend avec impatience ce maillage qui le ferait enfin sortir de l'enclavement.

La ligne POLT est la colonne vertébrale des territoires du Sud du Centre. Il y a plusieurs décennies, le Capitole roulait à 160 km/h ; aujourd'hui, il se traîne à 120 km/h, voire moins. Des travaux ont été annoncés : où en sommes-nous ?

La ligne Bourges-Montluçon est dans une spirale infernale : la mauvaise qualité des voies réduit la vitesse, d'où des retards, donc moins de voyageurs, ce qui conduit la SNCF à ne pas investir... On finit par devoir prendre l'autocar pour aller de Montluçon à Saint-Amand Montrond, puis à Vierzon. Bravo pour la décarbonation !

Que comptez-vous faire pour y remédier ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Dans le cadre du plan signé en février 2020 entre l'État et la région Centre-Val-de-Loire, l'État a déjà investi 66 millions d'euros dans les petites lignes, dont la rénovation de Bourges-Montluçon qui est assurée à 100 % par SNCF Réseau. Je connais bien cette ligne et tout son intérêt.

Fin 2023, l'État aura financé à 91,5 % les travaux sur Bourges-Montluçon, soit 26 millions d'euros, le reste étant apporté par SNCF Réseau.

La ligne POLT est financée à hauteur de 1,6 milliard d'euros : à l'horizon 2025, les ouvrages d'art et les caténaires auront été rénovés.

Le matériel roulant sera remplacé en 2026 pour 800 millions d'euros dont 450 millions d'euros pour la ligne POLT.

M. Rémy Pointereau.  - C'est loin !

M. Jean-Claude Anglars .  - En Occitanie, notamment en Aveyron, l'État vient de signer deux protocoles d'accord, l'un pour la LGV Montpellier-Perpignan et l'autre pour quinze lignes de desserte fine. Il est heureux que le Rodez-Paris de nuit ne soit pas fermé. Mais il est symptomatique de l'état du réseau ferroviaire en France, hors LGV : les travaux s'éternisent, les trains sont inconfortables. Comme les voyageurs, je déplore la lenteur des améliorations.

Je vous félicite pour la rapidité de la mise en place du Paris-Berlin de nuit, qui roulera fin 2023. Mais sur les petites lignes, là où dans les gares les machines automatiques remplacent les agents de la SNCF, les usagers devront attendre dix ans...

Vous avez engagé tardivement les rénovations, au détriment de la cohérence.

Concernant l'Aveyron, pouvez-vous nous confirmer que vous vous intéressez aussi aux petites lignes ?

Berlin, c'est bien, mais Rodez, c'est bien aussi ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Joël Bigot et HerGillé applaudissent également.)

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Vous avez raison : Rodez, c'est bien ! Je crois être le seul membre du Gouvernement à avoir fait un déplacement officiel en train de nuit de Paris à Rodez, malgré le dysfonctionnement du chauffage...

Nous procédons à des investissements inédits en faveur des petites lignes de la région mais, hélas, le Gouvernement ne peut pas effacer d'un coup de baguette magique des années de sous-investissement. Pour les travaux les plus urgents, 300 millions d'euros sont prévus dans le cadre de France Relance.

Les problèmes du Paris-Rodez sont liés aux conditions météorologiques et au manque de personnel dû au Covid. J'ai constaté aussi qu'il était compliqué de réserver. L'exaspération des usagers est légitime et les services du ministère des Transports font régulièrement le point avec la SNCF sur ce point.

M. Jean-Marc Boyer .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) Les Auvergnats sont exaspérés par l'isolement ferroviaire de leur territoire.

Il y a bientôt cinq ans, Mme Borne nous avait fait des promesses d'amélioration. Les dysfonctionnements du Clermont-Ferrand-Paris devaient disparaître. Mais les trains ne sont pas plus rapides et la réalité toujours aussi déprimante.

Des travaux de modernisation sont certes en cours, mais le gain de temps sera minime et les travaux prévus pour 2028 ne sont pas financés. Le vice-président aux transports de la région l'a dit : il est urgent de reprendre l'étude de la LGV Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon (POCL).

Les progrès techniques ont permis de réduire le temps de parcours entre les dix plus grandes villes de France et Paris. Cependant, une carte isochrone montre que seule la capitale auvergnate est restée à 3 heures 20 de la capitale - autant que la côte d'Azur.

Nous y veillerons avec Rémy Pointereau, président de l'association LGV Grand Centre.

M. Rémy Pointereau.  - Très bien !

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - La LGV POCL est d'un grand intérêt. Le rapport du Comité d'orientation des infrastructures (COI) de février 2018 estime que les travaux interviendront après 2038.

La priorité, c'est l'entretien et la modernisation de la ligne actuelle, pour 760 millions d'euros ; le renouvellement du matériel roulant est attendu pour la fin 2023 et sera financé à hauteur de 350 millions d'euros. Un programme de modernisation de 130 millions d'euros est aussi engagé, en cofinancement avec la région Rhône-Alpes. De nouvelles rames arriveront en 2024 et le temps de parcours diminuera à partir de 2026.

C'est une ligne que j'emprunte beaucoup. Il n'y a pas que Clermont-Ferrand qui est desservi : il y a aussi Riom, Moulins, Nevers, Vichy...

M. François Calvet .  - Les Pyrénées-Orientales sont déshéritées par la politique ferroviaire. Le projet de la LGV Montpellier-Perpignan est né dans les années 1990, et il se hâte lentement : le tronçon Montpellier-Béziers ne sera pas prêt avant dix ans, celui de Béziers-Perpignan pas avant vingt ans. Cinquante ans pour construire une ligne de 140 kilomètres ! Il faut réaliser les travaux en une seule fois.

L'état désastreux de la ligne menace le Train Rouge entre Rivesaltes et Caudiès, dont le financement ne permettra de poursuivre les travaux que jusqu'à la fin de cette année. Les derniers investissements datent de 2011-2012. Je me réjouis que le préfet de région ait demandé au préfet du département de réunir un comité de pilotage. Mais rassurez-moi sur la pérennité de cette ligne.

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - La LGV mixte voyageurs-fret Montpellier-Perpignan doit être construite en deux temps : 2 milliards d'euros jusqu'à Béziers, avec achèvement à horizon 2035, et 6 milliards d'euros pour Béziers-Perpignan, à horizon 2045.

L'État a souhaité accélérer les travaux. L'enquête publique pour Montpellier-Béziers s'est achevée le 27 janvier.

L'État participe à 40 %, à parité avec les collectivités territoriales, et l'Union européenne à 20 %. Une société de financement dédiée est à l'étude. Le Premier ministre a signé le protocole d'intention de financement de l'État le 22 janvier 2022.

M. François Calvet.  - Et sur le Train Rouge ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État.  - Je vous répondrai par écrit.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Merci à chacun des intervenants pour ce débat riche et nécessaire. Nous sommes à une période charnière, comme le disait M. Tabarot : ouverture à la concurrence, possibilité pour les régions de reprendre des lignes de desserte fine, nouveau contrat de performance État-SNCF Réseau.

Nos questions ont mis en lumière les inquiétudes légitimes que soulève ce sujet d'actualité. Ce débat a permis de mettre en lumière quatre points d'attention.

Le premier concerne l'impact de la crise sanitaire sur le ferroviaire. Comme l'a dit Daniel Gueret, certains de nos concitoyens ont voulu s'éloigner des centres urbains, à la faveur du télétravail, mais cela a suscité de nouveaux besoins. Par ailleurs, le train est un levier pour la décarbonation des transports. Le Sénat a d'ailleurs été moteur pour inscrire dans la LOM les objectifs du ferroviaire en la matière.

Deuxièmement, je regrette que les moyens déployés pour le maillage du territoire ne soient pas à la hauteur. Ne transformez pas cet objectif en incantation et donnez-vous les moyens d'atteindre les ambitions que nous nous sommes fixées ! Certes, nous constatons des améliorations, mais aussi des points noirs, comme en Sud-Aquitaine. Alors que les régions peuvent reprendre des petites lignes, l'accompagnement de l'État sera indispensable pour garantir l'égalité entre concitoyens en matière de mobilité.

Troisièmement, le contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État doit sortir du strict cadre budgétaire pour porter une vision ambitieuse de développement du train sur tout le territoire.

Le dernier point concerne les perspectives stratégiques que nous appelons de nos voeux. Notre modèle de financement, qui reposait jusqu'à présent sur le TGV, doit évoluer. Le train doit être un outil au service de l'aménagement du territoire et d'une mobilité durable et équitable. Nous comptons sur vous, monsieur le Secrétaire d'État ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.

présidence de M. Gérard Larcher

Suivi des ordonnances

M. le président.  - Nous débattons, pour la première fois, du suivi des ordonnances prises en application de l'article 38 de la Constitution.

Depuis des années, le Sénat veut encadrer et améliorer le suivi des ordonnances. Ce débat fait suite aux conclusions du groupe de travail sur les méthodes de travail du Sénat, qui a rendu ses conclusions le 25 mars 2021.

Les rapporteurs de chaque texte suivent les ordonnances prises en application de celui-ci, et le Gouvernement publie désormais un programme prévisionnel des ordonnances. Depuis un an, le Sénat publie un suivi hebdomadaire des habilitations, des ordonnances publiées et de celles qui sont ratifiées.

Ces chiffres illustrent un recours soutenu et banalisé aux ordonnances sur des sujets moins techniques, et une raréfaction des ratifications : 20 % durant ce quinquennat, et 10 % pour celles publiées ces trois dernières années, niveau le plus bas jamais observé.

Je juge cette évolution préoccupante pour le Parlement. Ce débat sera l'occasion de faire le point.

Mme Pascale Gruny, vice-président chargé du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances .  - (Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et M. Rémy Pointereau applaudissent.) Le Sénat organise pour la première fois un débat en séance sur les ordonnances : je m'en félicite, tant elles concurrencent désormais la loi.

Le Sénat, depuis longtemps, fait part de sa préoccupation sur les ordonnances. Personne ne nie leur utilité, notamment quand elles traitent de sujets techniques ou concourent à la codification à droit constant. Mais les ordonnances sont devenues un mode normal d'élaboration de la loi. En 2021, malgré les efforts du Sénat, les chiffres sont alarmants : 90 ordonnances publiées, un record sous la Ve République. C'est le double de la moyenne annuelle depuis 2007.

Contrairement à l'année 2020, ce recours n'est pas justifié par la crise sanitaire, puisque seules dix ordonnances s'y rattachent.

On atteint 326 ordonnances pour le quinquennat, soit trois fois plus que pour la période 2007-2012 et moitié plus que pour 2012-2017. En 2021, 58 % des textes intervenant dans le domaine de la loi sont des ordonnances.

En parallèle, seules 65 ordonnances ont été ratifiées depuis le début du quinquennat, en partie grâce aux efforts du Sénat qui a intégré des ratifications par amendement. À cet égard, le Conseil constitutionnel s'est reconnu compétent pour connaître des ordonnances non ratifiées et dont le délai d'habilitation a expiré

En juin 2021, vous disiez, monsieur le ministre : « Le constat d'une forme de banalisation me semble difficile à contester ». Vous la justifiez par la lutte contre l'inflation législative, le gain de temps et les circonstances sanitaires.

S'agissant de l'inflation législative, le Gouvernement en est le premier responsable. En outre, une ordonnance ne permet pas de gain de temps puisqu'elle fait l'objet d'une demande d'habilitation. Il a ainsi fallu 436 jours en moyenne entre la demande d'habilitation et la publication de l'ordonnance, contre 250 jours pour l'adoption définitive d'un projet de loi par le Parlement, hors textes financiers.

Les ordonnances de 2021 ont porté sur des sujets variés, comme la réforme de la haute fonction publique ou la cinquième branche de la sécurité sociale, qui auraient pu faire l'objet d'une loi ordinaire. Ce recours apparaît donc davantage comme un moyen de contourner le débat parlementaire.

Sans compter que chaque habilitation dessaisit le Parlement, quand bien même l'ordonnance n'est pas publiée. En effet, le Parlement ne peut légiférer sur le sujet tant que le délai d'habilitation n'a pas expiré.

Cette banalisation est-elle revendiquée par le Gouvernement ? En juin 2021, vous disiez que le Gouvernement s'engagerait, lors de la demande d'habilitation, à inscrire le projet de loi de ratification. Or s'ils ont tous été déposés à temps, seuls trois projets de loi de ratification sur 61 ont effectivement été inscrits à l'ordre du jour !

À deux reprises ces dernières semaines, le Gouvernement a transmis des demandes de désignation dans des organismes extraparlementaires en vertu d'ordonnances non ratifiées. Les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ont refusé, à juste titre, d'y donner suite. L'une d'entre elles avait même été envoyée en cours d'examen de l'ordonnance créant l'organisme en question ! La présence de parlementaires à ce conseil ne figure d'ailleurs plus dans la version finale du texte : ces nominations étaient donc bien inutiles. Face à cet engagement non tenu, comment la politique du Gouvernement en matière de ratification évolue-t-elle ?

Le Parlement est la voix du peuple, il ne faut pas la négliger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Marc Fesneau, ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne .  - Je remercie la présidente Gruny et les présidents de commission du Sénat pour leur travail de grande qualité. Le sujet des ordonnances est sensible, et votre assemblée prévoit, depuis la dernière réforme de son Règlement, son suivi.

Le Gouvernement salue cette initiative avec intérêt. Je forme le voeu que ce débat soit fructueux. Le recours aux ordonnances nous apparaît souvent comme une nécessité face aux contraintes du calendrier parlementaire et à la technicité de certains sujets. Il n'y a aucune volonté de la part du Gouvernement de court-circuiter le Parlement.

C'est vrai, le Gouvernement a pris un nombre record d'ordonnances en deux ans, mais beaucoup l'ont été du fait de la crise sanitaire et de l'impossibilité de réunir le Parlement en continu. Nous avons voulu répondre aux préoccupations de nos concitoyens.

Sur 327 ordonnances prises depuis 2017, 93 sont liées à la pandémie. Cela représente 234 ordonnances, hors crise, prises au cours de ce quinquennat, contre 271 sous François Hollande et 152 sous Nicolas Sarkozy.

Hors conventions internationales, les ordonnances représentent 53 % de la production législative, soit deux points de plus qu'au cours du quinquennat précédent. Nous sommes donc loin d'une quelconque dérive.

Tout le monde a sa part de responsabilité dans l'inflation législative. D'ailleurs, le Gouvernement a travaillé, notamment avec le Sénat, pour transformer des demandes d'habilitation en articles de loi.

J'entends dire aussi que la législation par ordonnance serait plus lente que la législation classique. Le Gouvernement actuel adopte les ordonnances plus rapidement que sous les deux précédents quinquennats, en n'utilisant que les deux tiers des délais d'habilitation.

Enfin, concernant la ratification, certains parlementaires déplorent d'être privés d'un débat. Vu la densité de l'ordre du jour, cela n'est pas toujours possible ni souhaitable sur des sujets techniques. En revanche, s'agissant de domaines sensibles, comme la justice pénale des mineurs, le Gouvernement s'engage à inscrire le projet de loi de ratification à l'ordre du jour.

En outre, le Parlement peut inscrire lui-même des textes de ratification. Je rappelle que le Sénat lui-même avait refusé la ratification de l'ordonnance sur la haute fonction publique qu'il avait inscrite à l'ordre du jour.

On peut regretter que le Parlement se sente dessaisi, mais après une année de tous les records, il n'aurait pas été envisageable de soumettre à votre examen des textes supplémentaires. Un meilleur dialogue entre le Parlement et le Gouvernement permettrait de mieux identifier quels textes requièrent ratification.

Pour conclure, je rappelle que les ordonnances sont un outil précieux pour le Gouvernement. Il ne remplace pas les débats parlementaires, qui aboutissent souvent à mieux définir la portée des habilitations.

Le travail du Sénat et du Secrétariat général du Gouvernement participent de cet objectif. Le débat d'aujourd'hui trouvera, j'en suis certain, la même utilité que le débat annuel sur l'application des lois.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques .  - Le constat de Mme Gruny est éloquent : nous n'aimons guère les ordonnances.

Aussi, la commission des affaires économiques a été vigilante, lors de l'examen de la loi Climat et résilience, sur la réforme du code minier par ordonnances. À l'heure où la souveraineté minière est une nécessité, nous voulons que le Parlement prenne toute sa part à ce travail. Où en est l'avancement de cette réforme très attendue ? Le travail du législateur inscrit dans le dur de la loi sera-t-il préservé ?

Où en est l'association des parties prenantes à l'élaboration des ordonnances ?

Enfin, le Gouvernement pourra-t-il garantir l'entrée en vigueur de la réforme avant la fin de la législature ?

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Cette réforme est en effet attendue et stratégique. L'article 81 de la loi Climat et résilience contient 30 mesures d'habilitation qui expirent le 21 novembre. La rédaction des textes portant réforme du code minier est en cours de finalisation et les consultations obligatoires sont imminentes. Le texte de la loi ne sera pas remis en cause, mais complété.

Les parties prenantes ont été associées, avec les ministres de la transition écologique et de l'économie. Une réunion sur la Guyane a eu lieu le 19 novembre 2021 et une réunion interministérielle s'est encore tenue hier.

Tout est mis en oeuvre pour que la réforme paraisse dans les délais impartis.

M. Olivier Cigolotti, vice-président, en remplacement de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Le travail de notre commission et le vote du Parlement déterminent en profondeur l'action de nos forces armées et de notre réseau diplomatique. Le Parlement doit avoir son mot à dire sur des décisions qui nous engagent à long terme.

La loi de programmation militaire prévoyait quatre ordonnances. Or, aucune ratification n'a été inscrite à l'ordre du jour, à rebours de l'esprit même de ce texte et alors que les sujets sont centraux - reconversion des militaires dans la fonction publique et extension du congé du blessé, notamment.

De même, nous regrettons le choix de ne pas associer la représentation nationale au travail d'adaptation de notre droit aux conséquences du Brexit. Le Sénat a pourtant développé une réelle expertise sur le sujet, à travers le groupe de travail de Jean-François Rapin et Christian Cambon.

Notre commission salue le renforcement du suivi des ordonnances par le Bureau du Sénat. Nous souhaitons une inscription systématique des projets de loi de ratification, pour qu'un débat contradictoire ait lieu.

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Vous insistez sur deux sujets d'importance.

En ce qui concerne le Brexit, le débat a eu lieu et a été fourni. Le délai d'habilitation a été réduit par la commission mixte paritaire de trente à douze mois. Le Sénat avait approuvé l'essentiel de l'habilitation.

S'agissant de la loi de programmation militaire, je connais l'attachement de votre commission au suivi de sa mise en oeuvre. Un travail de concertation doit être mené entre le Gouvernement et les assemblées pour identifier les ratifications qui doivent faire l'objet d'un débat.

Nous ne pourrons parler de tout, mais, en anticipant, nous pouvons nous concentrer sur les sujets centraux.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales .  - Deux ans et cinq mois : c'est le temps qu'il aura fallu pour adopter l'ordonnance du 19 mai 2021 sur les services aux familles. Pendant ce temps, le Parlement a été dépossédé de son pouvoir sur ce sujet essentiel.

Le Gouvernement a été incapable de légiférer par ordonnance dans le délai de six mois fixé par la loi ASAP. Le délai de publication a été allongé, et l'habilitation semble se recharger d'elle-même, sous le prétexte de mesures complémentaires à prendre, pratique que nous dénonçons.

L'habilitation de la loi ASAP est en fait plus large que celle de la loi ASE.

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Un délai de six mois était prévu pour cette ordonnance. Mais il a fallu consulter les acteurs, ce qui a pris du temps, avant de porter le projet de texte à la connaissance du Conseil d'État. Le délai a finalement été respecté.

L'ordonnance est appliquée à 90 %. Le texte de ratification devrait être transmis au début de cette année, le travail de finalisation est en cours.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Le recours aux ordonnances est fréquent. Certaines sont d'ailleurs de confort, le Gouvernement n'utilisant finalement pas l'habilitation qui lui a été consentie -  comme sur les conditions de prise en charge par l'employeur de certains frais de transport.

Le Gouvernement n'évalue pas toujours l'opportunité des mesures qu'il souhaite prendre, et le législateur se trouve dessaisi de sa compétence. Pourquoi ne pas faire davantage confiance aux parlementaires ? Est-ce une question de temps, d'agenda médiatique ?

D'autant que la voie parlementaire s'avère souvent plus rapide. Ainsi, sur la réforme du code minier, l'adaptation des territoires littoraux au changement climatique et la création du bureau d'enquête sur les risques naturels, nous aurions travaillé plus vite et mieux en avançant ensemble.

L'exemple de notre réflexion sur la taxe sur le transport routier de marchandises en Alsace est malheureusement trop rare.

Nous aspirons à une confiance et une sérénité plus grandes dans notre travail avec le Gouvernement.

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Dans 95 % des cas, les habilitations ont abouti à la parution d'une ordonnance ; ce taux était de 87 % sous François Hollande et de 79 % sous Nicolas Sarkozy.

S'agissant de l'habilitation dont vous avez parlé qui n'a pas encore été prise, son délai, prolongé de quatre mois, expirera le 23 avril 2022. De plus, les parlementaires ont modifié les montants du forfait mobilités durables. Les retours d'expérience sont encore insuffisants pour envisager de rendre le dispositif obligatoire.

Un baromètre de suivi a été créé, et le Gouvernement a mis en place un plan d'action pour mieux faire connaître le dispositif et envisager son déploiement au-delà des entreprises. L'évaluation des accords prévue par la LOM est actuellement pilotée par l'Ademe, pour un bilan au printemps prochain.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes .  - Les ordonnances sont devenues les outils principaux de transposition des directives européennes. Cela n'est pas forcément condamnable, surtout en cas de refonte de codes.

Mais il faudrait mieux connaître le périmètre des habilitations demandées afin d'éviter toute surtransposition, et le Parlement devrait être mieux informé des intentions du Gouvernement. Les habilitations demandées sont souvent trop imprécises.

Depuis janvier 2018, notre commission surveille la transposition et évalue les marges de manoeuvre. Il s'agit de nous assurer que toute surtransposition est justifiée. Mais notre travail est compliqué par le morcellement des transpositions. (Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, approuve.)

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Je salue la qualité du travail de la commission des affaires européennes du Sénat, notamment en matière de suivi des transpositions.

Afin de transposer diverses mesures, le Gouvernement a régulièrement recours à des textes portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Dadue).

Le Parlement ne peut étendre le champ d'une habilitation, mais il peut le réduire. Le Gouvernement partage votre préoccupation de ne pas surtransposer.

En cas de choix politique en faveur d'une surtransposition, nous fournissons les précisions nécessaires, et les éléments complémentaires sont soumis au Conseil d'État : tout cela est contenu dans les études d'impact.

J'ai pris bonne note de votre demande de plus grande précision dans les demandes d'habilitation.

M. Vincent Éblé, vice-président, en remplacement de M. Claude Raynal, président de la commission des finances . L'unification du recouvrement des taxes et impositions et la refonte des amendes ont fait l'objet d'ordonnances. Nous y étions opposés, estimant l'habilitation trop large.

En outre, la codification ne s'est pas faite à droit constant. La doctrine fiscale est ainsi réinterprétée par le Gouvernement.

La loi de finances pour 2022 comporte une nouvelle habilitation de 24 mois sur le sujet. Il nous faudra un bilan en la matière.

La généralisation de la facturation électronique pour les entreprises a également fait l'objet d'ordonnances, publiées dans les temps. Les délais de mise en oeuvre ont cependant été décalés à 2024 pour les grandes entreprises, 2025 pour les entreprises de taille intermédiaire et 2026 pour les PME. Pourquoi ne pas être passé par le législateur ?

Enfin, le statut et la responsabilité pécuniaire des comptables publics ainsi que la refonte des juridictions financières ont fait l'objet de longues discussions, mais les parlementaires auraient dû être associés à la rédaction de l'ordonnance.

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - La généralisation de la facture électronique pour les entreprises est un chantier très important. Les entreprises doivent disposer de visibilité pour anticiper, raison pour laquelle nous avons assoupli les délais de mise en oeuvre.

En ce qui concerne l'unification du recouvrement des taxes et impositions et la refonte des amendes, j'ai bien entendu votre demande de bilan.

S'agissant de la refonte des juridictions judiciaires et de la réforme du régime de responsabilité des comptables publics, le Gouvernement en a, dès de début, précisé les grandes lignes. L'article d'habilitation a permis au Parlement de débattre des grandes orientations. Le texte devrait être publié en mars prochain. Les ordonnances étaient justifiées par la technicité et l'ampleur des mesures à prendre.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois .  - Dans les domaines de compétence de la commission des lois, je distingue trois usages de l'article 38 de la Constitution.

D'abord, le Gouvernement utilise parfois les ordonnances comme filets de sécurité. Le Parlement se voit ainsi privé d'exercer son pouvoir : c'est le cas pour l'ordonnance sur les débits de boissons, dont le délai a expiré en avril dernier sans que le Gouvernement ait légiféré...

Ensuite, le Gouvernement prétexte parfois de la nécessité de négocier avec les acteurs. Ainsi, il s'autorise des blancs-seings, que nous déplorons.

Enfin, le Gouvernement argue souvent de la complexité de la réforme envisagée. Ainsi l'ordonnance sur les procédures collectives a-t-elle été prise au nom d'une très grande technicité. Nous avons déposé une proposition de loi de ratification. Le Gouvernement va-t-il consulter le Parlement ?

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - En ce qui concerne les débits de boissons, le délai a, en effet, expiré. Mais le Gouvernement a peu recours à ce que vous avez appelé le filet de sécurité : je le répète, seules 5 % des ordonnances autorisées ne sont pas prises.

Dans le contexte de crise, et compte tenu de la situation des débits de boissons, il ne nous a pas paru opportun de modifier les conditions de vente des boissons alcoolisées.

S'agissant des procédures collectives, le Gouvernement a bien déposé le projet de ratification sur le bureau du Sénat dans les temps, soucieux de débattre d'un sujet aussi important pour nos entreprises. Le texte n'a pas encore trouvé sa place dans l'ordre du jour.

Sur le troisième point que vous avez soulevé, je n'ai pas la réponse ; je vous la fournirai le plus rapidement possible.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois.  - Merci, monsieur le ministre.

M. Stéphane Piednoir, vice-président, en remplacement de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture .  - Je veux parler de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. L'ordonnance demandée autorisait l'État à prendre des mesures dérogatoires au droit de l'urbanisme pour réaliser plus rapidement les travaux. Le Sénat s'y est opposé, ce qui a fait échouer la CMP.

Pourquoi donc le Gouvernement n'a-t-il jamais pris l'ordonnance en question ? Le Gouvernement et l'Assemblée nationale nous ont privés d'un accord cohérent avec l'exigence d'unité nationale face à un tel drame et avec la garantie d'un chantier exemplaire.

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - En l'absence d'une définition précise du projet de restauration, il nous a paru nécessaire de prendre cette précaution. Certes, c'était une forme de filet de sécurité. Mais nous voulions tous avancer rapidement.

Une seule dérogation a été prise, concernant l'exploitation des carrières, étant donné l'ampleur du chantier et l'exigence de cohérence de l'architecture de la cathédrale.

Vous pouvez vous féliciter d'avoir eu raison trop tôt ; mais il est parfois préférable de prendre des précautions...

M. Alain Richard .  - Ce débat est bienvenu. Nous le tenions précédemment au titre de l'application des lois.

Il convient de relativiser les propos de Mme Gruny sur la masse des ordonnances. Elle a intégré les ordonnances de 2020 sur la crise sanitaire pour ses comparaisons avec les autres quinquennats, mais, en dehors de ces textes, le nombre d'ordonnances est inférieur sous ce quinquennat.

Par ailleurs, on ne peut pas tenir compte seulement du nombre d'ordonnances ; il faut s'attacher à leur volume. Comme je l'ai plusieurs fois signalé, sans résultat, Légifrance tient une comptabilité par mots.

Les considérations de délai doivent tenir compte des travaux préparatoires et concertations nécessaires à une ordonnance. C'est le cas notamment pour la réforme du code minier.

Il faut certes améliorer les ratifications, mais 80 à 90 % d'entre elles ne nécessitent pas de débat. Un tri pourrait être opéré par le bureau de chaque commission, et ces débats pourraient se tenir dans le cadre de la législation en commission.

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - La comptabilisation des ordonnances est effectivement délicate ; nous devons avancer sur le sujet pour disposer, Gouvernement et assemblées, de critères partagés.

Il est vrai que nous avons mené un travail atypique de concertation sur le code minier.

Je le répète, nous sommes prêts à réfléchir avec les assemblées sur les ratifications nécessitant prioritairement un débat en séance.

M. Alain Marc .  - Le nombre d'ordonnances ne cesse d'augmenter. Entre 2012 et 2018, elles ont été plus nombreuses que les lois. Cette progression s'est accentuée avec la crise sanitaire.

Nous avons le sentiment que la loi n'est plus considérée comme le mode normal de législation. L'exécutif dépossède ainsi les parlementaires de leur pouvoir législatif, d'autant que les ratifications sont rarement inscrites à l'ordre du jour.

Le 28 mai 2020, le Conseil constitutionnel a accentué nos inquiétudes en imaginant qu'une ordonnance non ratifiée puisse acquérir une valeur législative rétroactive.

Le Gouvernement compte-il faire preuve d'une vigilance accrue sur les ratifications ?

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Lors de la session 2019-2020, le nombre d'ordonnances a augmenté du fait de la crise sanitaire.

Dans la décision du Conseil constitutionnel que vous avez mentionnée, l'ordonnance non ratifiée n'est considérée comme législative que pour assurer la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel l'a rappelé le 3 juillet 2020. L'ordonnance non ratifiée reste un texte réglementaire, susceptible de recours devant le juge administratif.

Cette jurisprudence ne modifie en rien les prérogatives du Parlement en matière de ratification, mais garantit une meilleure protection pour nos concitoyens.

S'il fallait ratifier toutes les ordonnances, nous aurions un problème d'ordre du jour. Mais, je le redis, nous pouvons travailler ensemble à l'identification des textes les plus importants.

M. Stéphane Le Rudulier .  - La banalisation des ordonnances pose problème pour l'équilibre de nos institutions. Un acte du Gouvernement ne peut avoir valeur législative.

La récente jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les ordonnances non ratifiées a donné le coup de grâce au rôle du Parlement. Notre Constitution a rationalisé le parlementarisme pour stabiliser les gouvernements, à une époque où l'on pensait qu'il n'y aurait pas de fait majoritaire. Désormais, l'esprit en est inversé.

Pensez-vous que l'on puisse réformer et gouverner par ordonnances, alors que les Français perdent confiance en leurs dirigeants ? Je regrette que la proposition de loi de M. Sueur n'ait pas prospéré à l'Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Et moi donc ! (Sourires)

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - J'ai déjà expliqué la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Quant à la banalisation des ordonnances, il est vrai qu'il a été beaucoup fait usage de cette procédure sous les trois derniers quinquennats. Plus largement, nous légiférons beaucoup - lois ou ordonnances.

Mme Sophie Primas.  - Même sur les menus des cantines...

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Peut-être devrions-nous réfléchir à une régulation ?

M. Guillaume Gontard .  - Le recours aux ordonnances a doublé en dix ans, tandis que le taux de ratification a chuté à 20 %.

La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel a semé le trouble. Elle est d'ailleurs contestée par le Conseil d'État - et par le Sénat. De fait, elle prive le Parlement de son rôle législatif.

Le Gouvernement ne fait même plus semblant de mettre les formes. Comment expliquez-vous un tel recours aux ordonnances et l'abandon des ratifications ?

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - J'espérais vous avoir rassuré sur la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel... J'insiste : elle ne concerne que les questions prioritaires de constitutionnalité. D'éminents juristes ont confirmé qu'elle ne changeait pas la nature des ordonnances.

Le Conseil constitutionnel censure un recours trop large aux ordonnances, comme dans le projet de loi Sécurité globale.

Nombre d'ordonnances récentes sont liées à la crise sanitaire, il ne faut pas le perdre de vue.

S'agissant des ratifications, je répète que nous pouvons prévoir un débat sur les sujets les plus importants.

Mme Cécile Cukierman .  - Le recours aux ordonnances a dangereusement augmenté, avec 345 demandes d'habilitation depuis 2017, soit 6 % de plus que sous le quinquennat précédent. Dans le même temps, les ratifications sont de moins en moins nombreuses.

Oui, la jurisprudence du Conseil constitutionnel nous inquiète. Elle exonère le Gouvernement d'une ratification.

Comme nous inquiètent les propos rapportés par Marianne d'un futur candidat à la présidentielle, actuellement Président de la République, sur la réduction du temps de débat parlementaire.

Jour après jour, la verticalité du pouvoir se renforce. Le Gouvernement envisage-t-il d'aller plus loin, avec un Parlement qui ne voterait plus la loi ?

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Le recours aux ordonnances est certes élevé, mais depuis plusieurs quinquennats, sans compter les contraintes de la crise sanitaire...

Les ordonnances ne servent nullement à contourner le Parlement, et la décision du Conseil constitutionnel n'y change rien.

Travaillons sur les débats de ratification qui pourraient être inscrits à l'ordre du jour.

Mme Annick Billon .  - Le Sénat est en pointe sur le suivi des ordonnances, renforcé par la dernière réforme de notre Règlement.

Oui, la crise sanitaire a nécessité de prendre de nombreuses ordonnances, mais elles restent insatisfaisantes pour le législateur.

Plus inquiétant me paraît être le taux de ratification, nettement plus faible que sous les quinquennats précédents. Comment l'expliquez-vous ?

Avant 2007, il n'y avait que 14 ordonnances publiées par an en moyenne : depuis 2017, il y en a 64 !

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Le Gouvernement a pris 28 ordonnances en 2017 et 27 en 2018, puis 57 en 2019 et 124 en 2020. Avant la crise sanitaire, leur nombre était tout à fait comparable à la pratique antérieure.

Nous devons être vigilants sur les ratifications pour en améliorer le taux, trop faible. Nous y travaillons avec le Secrétariat général du Gouvernement.

M. Jean-Yves Roux .  - Vous connaissez la faible appétence du RDSE pour les ordonnances. (M. Jean-Claude Requier renchérit.)

La récente jurisprudence du Conseil constitutionnel ne nous rassure pas, car l'article 38 est banalisé.

Nous légiférons précipitamment, au risque que les mesures prises tombent dans des abysses ou soient dévoyées par quelque représentant d'intérêts.

Les majorités nouvelles n'auront pas les ratifications comme priorité.

La loi 3DS prévoit de nombreuses ordonnances, sur des sujets majeurs comme la clarification du rôle des foncières solidaires, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'amélioration de la prise en charge de la sécheresse et l'adaptation de la loi en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie - excusez du peu.

Il en va de même pour le projet de loi sur les outils de gestion des risques climatiques en agriculture, que nous examinerons dans quelques jours. Nous ne pourrons ratifier les ordonnances dans les délais impartis. Est-il bien raisonnable de procéder ainsi ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Nathalie Delattre.  - Très bien !

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Le projet de loi 3DS est en cours de finalisation, car la CMP a abouti hier à un accord dont je me félicite. Il prévoit douze mesures d'habilitation.

D'autres sont prévues en cette fin de quinquennat. Cela n'a rien d'inédit : on l'a vu sous Nicolas Sarkozy comme sous François Hollande. Comment en faire grief au Gouvernement ? Il faut agir jusqu'au dernier moment. En outre, il existe, heureusement, une forme de continuité républicaine.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Refusant que le Parlement ne soit jamais en état de débattre d'une réforme aussi importante que celle de la haute fonction publique, le Sénat a adopté, le 6 octobre 2021, à 225 voix pour et 32 contre, une proposition de loi marquant son opposition à la ratification de cette ordonnance. Je réitère ma question - à laquelle je n'ai pas eu de réponse - : quelles conclusions le Gouvernement tire-t-il de ce vote ?

Le 4 novembre 2021, le Sénat a adopté, à 322 voix pour et 22 contre, une loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l'État de droit en cas de législation par ordonnance. Mme la ministre n'ayant articulé aucune réponse à ma question, réitérée, je la pose à nouveau : quelles conclusions le Gouvernement tire-t-il de ce vote massif ?

M. Stéphane Le Rudulier.  - Bravo !

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Le Sénat était fondé à se saisir de la ratification par la voie d'une proposition de loi - même si celle-ci a été rejetée.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous étions contre la ratification !

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - C'était dans vos prérogatives. Acceptez que le Gouvernement ait eu une position différente sur ce sujet. (M. Jean-Pierre Sueur proteste.) Assumons nos différences.

Le débat démocratique est sain. En cette période électorale, il appartiendra à chacun de faire des propositions pour améliorer les voies et moyens du travail parlementaire. Nous avions initié une révision constitutionnelle qui n'a hélas pu prospérer ; ces questions sont donc devant nous.

Au demeurant, la ratification en séance de toutes les habilitations, comme vous le souhaitez, poserait un problème d'encombrement de l'ordre du jour parlementaire.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous pouvons les ratifier en commission !

M. Marc Fesneau, ministre délégué.  - Je ne suis pas sûr que nous ayons besoin d'une loi sur un sujet qui relève plutôt des bonnes pratiques et du dialogue démocratique entre les assemblées et le Gouvernement, quel qu'il soit.

M. le président.  - Je ne sais s'il faut une loi, monsieur le ministre, mais le Parlement doit pouvoir débattre et échanger avec l'exécutif. En tant que président du Sénat, je suis très attentif à ce que les droits du Parlement soient respectés. Chacun a des progrès à faire.

Je remercie le groupe de travail et sa présidente d'avoir proposé ce débat, dont il faudra tirer les enseignements. Il ne doit pas relever de la liturgie, mais contribuer à renforcer la qualité de la législation et le rôle de la démocratie représentative.

La séance est suspendue à 19 h 35.

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Échec en CMP

Mme la présidente.  - La commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

« Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques »

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport : « Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques », à la demande de la mission d'information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences.

M. André Gattolin, rapporteur de la mission d'information .  - Quatre mois après l'adoption du rapport de la mission d'information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français, je suis heureux que ses conclusions fassent l'objet d'un débat public avec le Gouvernement.

Je remercie le RDPI, qui a accepté d'y consacrer son droit de tirage, et les membres de la mission d'information pour l'adoption unanime du rapport. Je vous remercie enfin, madame la ministre, pour votre implication et celle de vos services.

Quelles suites entendez-vous donner à nos recommandations ? Notre rapport a contribué à alerter sur un phénomène longtemps ignoré, celui des influences et ingérences étrangères qui menacent notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques.

Lorsque nous avons entamé nos travaux en juillet 2021, nous nous sommes appuyés sur des exemples étrangers alarmants, notamment en Australie et au Royaume-Uni, où les universités sont exposées aux influences étrangères en raison de leur dépendance aux droits d'inscription versés par les étudiants étrangers et aux pressions des pays d'origine de ces étudiants. Cela va du contrôle des diasporas à la censure effectuée sur les chercheurs, en passant par l'instrumentalisation des sciences humaines et sociales. Grâce aux législateurs, ces universités ont mis en place un cadre juridique pour protéger leur enseignement supérieur et leur recherche.

En France, la menace est réelle mais méconnue. Notre pays est une cible de choix compte tenu de son haut niveau de recherche scientifique - la France est troisième au classement de Shanghai - et de son relatif manque de moyens tant publics que privés. Cependant, seulement dix cas sérieux ont fait l'objet d'un signalement en 2020.

L'identification des tentatives d'influence reste problématique car elle est peu organisée et ne fait pas l'objet d'un recensement systématique, sans compter l'autocensure croissante des chercheurs qui subissent des chantages aux visas ou des interdictions d'accès à certaines sources.

Il existe un dispositif structuré de protection de la recherche, organisé autour du haut fonctionnaire de sécurité et de défense du ministère et du réseau des fonctionnaires de défense et de sécurité désignés dans chacun des établissements, mais il est mal connu des chercheurs et insuffisamment coordonné. En outre, il ne concerne que les secteurs de la recherche les plus techniques : les sciences humaines et sociales en sont exclues. Cela explique que le ministère ne puisse fournir des cartographies et informations exhaustives sur le sujet.

Notre rapport identifie deux objectifs majeurs. Le premier est de faire du sujet des influences étrangères une priorité politique pour dresser un état des lieux et co-construire des réponses adaptées avec le monde universitaire. Nous proposons la création d'un observatoire ad hoc associant universitaires et spécialistes du ministère.

Le deuxième objectif est d'aider les universités à protéger leur liberté académique et leur intégrité scientifique, dans le respect de leur autonomie. La transparence et la réciprocité des partenariats de recherche doivent être systématiques.

Il faut enfin instaurer des normes européennes en matière de recherche et de propriété intellectuelle.

Notre rapport n'a pas épuisé le sujet mais il joue le rôle de vigie. Nos travaux ont été largement relayés par la presse française. À la suite de sa publication, la Turquie a lancé une campagne d'intimidation contre une chercheuse turque, que nous avons dû signaler au haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

À la suite de notre rapport, une mission interministérielle a été lancée par le Premier ministre. Les ministères concernés s'y sont également intéressés. J'espère, madame la ministre, que vous saurez mettre en oeuvre les mesures appropriées. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées des groupes SER et UC)

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation .  - À l'initiative du RDPI, le Sénat a consacré une mission d'information à la question cruciale des influences étrangères dans les universités. Je me réjouis de ce débat.

Par nature, l'enseignement supérieur et la recherche sont ouverts sur le monde. Nous devons développer cette richesse avec ambition, mais sans naïveté face à d'éventuelles menaces.

La visibilité de nos établissements attire certains acteurs dont les valeurs diffèrent des nôtres.

Les acteurs de l'administration centrale sont chargés de la stratégie et de la vigilance, dont les règles sont déclinées au niveau local. Les universitaires doivent aussi être directement associés.

Grâce aux remontées des chercheurs et des 150 fonctionnaires de sécurité et défense, le ministère connaît les menaces et ingérences qui affectent l'écosystème de l'enseignement supérieur. Nous protégeons les savoirs, les savoir-faire et les établissements de recherche les plus sensibles, au moyen de dispositifs dédiés.

Le comité de liaison en matière de sécurité économique joue notamment un rôle majeur. Au niveau régional, les délégués académiques dédiés à la sécurité servent de relais.

Le déploiement de ces dispositifs se poursuivra en 2022. Le Gouvernement souhaite en effet renforcer la protection de notre souveraineté dans les technologies clés. Certains investissements publics y sont corrélés, notamment dans le cadre du Plan de relance ou des programmes prioritaires de recherche au sein du programme d'investissement d'avenir (PIA).

La circulaire du 11 octobre 2021 du Premier ministre a été relayée auprès de chaque établissement. Les projets d'accord doivent répondre à des règles précises, ce qui a été rappelé par circulaire le 28 janvier aux responsables d'établissement.

Des préconisations ont été établies conjointement avec la DGSI pour mieux comprendre les tentatives d'ingérence étrangères.

La sécurité numérique représente une autre priorité. Nous avons établi une feuille de route avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et le ministère de l'Éducation nationale et un comité stratégique de la sécurité numérique sera mis en place ce mois-ci. Le directeur général de l'Anssi est intervenu devant les recteurs et les délégués régionaux à la recherche et à l'innovation pour les sensibiliser aux risques. Chaque société d'accélération du transfert de technologies (SATT) disposera d'un référent sécurité.

Une cohérence européenne est également nécessaire. La Commission européenne a publié le 18 janvier une boîte à outils pour l'ensemble des établissements supérieurs de l'Union afin qu'ils se prémunissent des influences étrangères.

Nous prenons ce sujet très au sérieux et nous vous remercions pour votre travail. (M. Julien Bargeton applaudit.)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - Certaines vérités sont si évidentes qu'on a tendance à les oublier. Il n'y a pas de grande nation qui ne soit scientifique ; sa grandeur dépend de ses savoirs et de sa capacité à les transformer. La mission d'information l'a rappelé. Je remercie André Gattolin de placer ce sujet stratégique au coeur de nos débats.

La recherche doit redevenir la filière d'excellence qu'elle était. Elle se protège aussi en devenant un tremplin vers l'entreprenariat et le marché. La loi de programmation de la recherche (LPR) a posé à cet égard un cadre ambitieux en renforçant les moyens des chercheurs. Il faut nous engager dans cette voie plus massivement encore pour rester dans la course.

De quels indicateurs disposez-vous pour évaluer l'attractivité des métiers de la recherche ?

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - Oui, nous devons réinvestir dans notre recherche pour qu'elle soit un domaine d'excellence et qu'elle nourrisse l'innovation au profit de la société.

Au-delà de l'augmentation des crédits prévus dans la LPR, le plan France 2030, dont le comité de suivi a été mis en place hier, vise à reconstruire une souveraineté économique et industrielle fondée sur la recherche.

L'échec, en matière de recherche, doit être considéré comme une expérience. Nous devons continuer à soutenir l'entreprenariat, notamment à travers les plans « esprit d'entreprendre ».

La France se place en troisième position en matière de recherche à l'université ; elle doit prévenir les ingérences.

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Notre groupe a lancé une mission d'information sur un sujet connexe. Quel paradoxe : le manque de champions français est patent, malgré une recherche de grande qualité !

M. Stéphane Piednoir .  - Depuis longtemps, nous subissons un espionnage industriel et économique, mais les stratégies insidieuses à l'oeuvre dans l'université sont moins connues. Cette mission d'information était donc utile et j'en remercie le président et le rapporteur.

Nous faisons face à de nouvelles menaces, organisées à grande échelle, contre lesquelles nos universités ne semblent pas suffisamment armées, malgré la présence de fonctionnaires sécurité défense en leur sein. La coordination des acteurs doit être améliorée, comme la formation des chercheurs au risque.

Qu'est-il prévu en termes de formation pour les instances de gouvernance universitaire, les doyens, les directeurs de laboratoires et l'ensemble des chercheurs ?

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - Vous avez raison de souligner le manque de coordination des différents acteurs. Nous devons y travailler. Le secrétariat général à la défense et la sécurité nationale et l'Anssi doivent davantage travailler ensemble et proposer des formations communes aux chefs d'établissements comme aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs, qui sont en première ligne.

Il faut aussi mieux prendre en compte les sciences humaines et sociales, comme le préconise le rapport. Des intimidations peuvent en effet avoir également lieu dans ces disciplines.

M. Thomas Dossus .  - La mission d'information a découvert un nouveau champ d'action pour le Gouvernement : la protection des universités contre les ingérences, qui peuvent prendre diverses formes, sans remettre en cause les libertés académiques. Celles-ci sont des outils indispensables de notre recherche, et une vraie richesse. Nos universités sont libres de nouer des partenariats avec qui elles souhaitent.

Il ne faut donc pas que le remède soit pire que le mal. Aussi, les projets d'accords internationaux entre les universités ne doivent pas faire l'objet d'une autorisation du ministère, mais d'un simple avis. Sur ce point, les propos tenus par Mme Sarah El Haïry et par le groupe Les Républicains lors du débat de cet après-midi ne m'ont pas rassuré.

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - Il s'agit effectivement d'un avis simple, comme pour les accords de coopération entre établissements. En cas de doute, nous faisons état des risques à signer un tel accord, mais cela ne va pas plus loin.

Les collaborations entre chercheurs sont encore plus libres ; elles se font au gré des relations interpersonnelles. Aussi, il est important de former tous les acteurs sur les risques d'ingérence. Dans les programmes d'accueil des scientifiques en exil, ces derniers font part des pressions qu'ils ont subies.

Nous tiendrons une conférence de deux jours à Marseille dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne sur le thème de la préservation des libertés académiques et du soutien aux échanges universitaires. La réciprocité et le respect des valeurs sont essentiels en ces matières.

M. Pierre Ouzoulias .  - Nous avons parlé cet après-midi du woke, et maintenant des ingérences chinoises... Quelle continuité dans les débats du Sénat ! (Sourires)

La fragilité des universités peut venir de leur trop grande dépendance aux droits d'inscription des étudiants étrangers et aux financements privés, dont la provenance n'est pas toujours parfaitement connue. Le classement de Shanghai est un outil de repérage et de ciblage potentiel pour ceux qui veulent influer.

La modicité de nos frais d'inscription et les financements publics élevés sont une protection contre ces influences. Le modèle de l'université française, qui semblait archaïque, pourrait donc s'avérer être une protection essentielle et moderne. Je propose de renommer le classement de Shanghai le classement Leclerc de l'indépendance nationale. (Sourires)

M. Stéphane Piednoir.  - Incorrigible !

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - Le classement de Shanghai a été créé pour suivre la visibilité des investissements chinois dans le monde universitaire. Dès lors, toutes les universités de la planète y ont été incluses.

Notre système universitaire est majoritairement financé par des fonds publics, à hauteur de 80 % par l'État, auxquels s'ajoutent les financements des collectivités et de la formation continue. Les financements privés se font au travers de fondations extérieures aux établissements.

Un tel financement nous protège. Mais ce qui nous protège moins, c'est le fait que les enseignants-chercheurs sont parfois un peu naïfs quant à certaines relations personnelles, sans voir le tableau d'ensemble. Nous devons davantage les alerter et les former.

M. Pierre Ouzoulias.  - Dans le cadre de la PFUE, il faudrait promouvoir un classement alternatif, pour parvenir à une expertise dégagée de tout conflit d'intérêts.

M. Olivier Cadic .  - Ce rapport met en lumière les travaux d'Antoine Bondaz sur l'intégration des investissements militaires dans les universités civiles chinoises, dont une quinzaine semblent impliquées dans des actions d'espionnage ou d'ingérence.

Des étudiants chinois ont ainsi signé des clauses de confidentialité avec des entreprises, qui semblent rendre impossibles les contrôles. Quels garde-fous le ministère a-t-il prévus ?

L'institut Pasteur de Shanghai et le P4 de l'institut de virologie de Wuhan ont signé un partenariat. Leurs coopérations se poursuivent-elles ?

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - En Chine, les présidents d'université sont toujours accompagnés d'un membre du parti. La liberté académique n'est pas partout la même ...

La recherche duale, civile et militaire, existe dans de nombreux pays, à l'image de ce qui se passe au Centre national d'études spatiales (CNES) en France.

Il existe un référent sécurité au sein de l'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT). Les doctorants peuvent faire l'objet de signalements et des contrôles ont lieu.

La coopération entre l'Institut Pasteur de Paris et celui de Shanghai se poursuit, mais elle n'a rien à voir avec le P4 de Wuhan qui était lié avec le P4 de Lyon mais dont les accords se sont éteints d'eux-mêmes par manque de réciprocité.

M. Bernard Fialaire .  - Le partage des connaissances est une dimension vitale du travail scientifique. Il permet des progrès qui bénéficient à l'humanité : voyez le cas du vaccin contre le Covid-19 qui a été développé en un temps record.

Cependant, les stratégies d'influence, orchestrées par des États extra-européens, existent bel et bien. Nous sommes au-delà du soft power : ces offensives ont pour but d'instrumentaliser l'enseignement et de collecter des données sensibles.

Il faut mieux normer et sanctionner ces interférences, à l'échelle européenne, afin de protéger notre recherche. La PFUE pourrait en être l'occasion. Les ministères de l'Enseignement supérieur et des Affaires étrangères collaborent-ils sur cette question ?

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - La Commission européenne a déjà proposé une sorte de boîte à outils, car les systèmes universitaires et de recherche au niveau de l'Union sont encore assez diversifiés.

Dans le cadre de la PFUE, nous avons prévu deux journées de travail à Marseille, début mars, la première entre ministres des États membres, la seconde avec des pays tiers, pour réaffirmer les principes de liberté académique et d'intégrité scientifique. Il s'agira aussi de définir dans quel cadre nous pouvons établir des coopérations équilibrées. Dans certains pays, de tels partenariats permettent de protéger les chercheurs nationaux.

M. Jean-Michel Houllegatte .  - Le 20 octobre 2020, la déclaration de Bonn sur la liberté de la recherche scientifique a été adoptée par les 27. Elle définit ce qu'est la liberté scientifique et rappelle l'exigence d'échanges libres des recherches et des données.

Ce texte engage les gouvernements à établir des protections européennes contre toute ingérence politique. Mais cette déclaration n'a eu hélas aucun écho en France, hormis un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

Le rapport de la mission d'information recommande de profiter de la PFUE pour promouvoir une norme européenne et internationale de clarification, dans une démarche offensive.

Madame la ministre, qu'allez-vous concrètement proposer ?

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - La déclaration de Bonn a effectivement proposé une définition consensuelle des libertés académiques. Elle a bien eu un écho dans les universités, où elle a été déclinée dans des chartes. Il importe désormais qu'elles se traduisent concrètement.

La surveillance mondiale des libertés académiques a été proposée par des universités du nord de l'Europe et du Canada, au sein de l'Observatoire mondial des libertés académiques, auquel l'Europe a adhéré. La France affiche un score de 0,881 sur 1, ce qui veut dire que nous pouvons encore nous améliorer en matière de libertés académiques.

M. Jean-Michel Houllegatte.  - J'ai trouvé sur internet cette déclaration en anglais mais pas en français !

M. André Gattolin .  - Nous avons travaillé d'arrache-pied pour élaborer ce rapport en deux mois. Or, quatre mois plus tard, je reste sur ma faim : on nous égrène quelques propositions, qui reprennent beaucoup l'existant...

Rappeler qu'il faut respecter la déclaration de Bonn n'est pas suffisant. L'État doit mettre en oeuvre une vraie politique !

Comment expliquer qu'une université aussi renommée que ParisTech signe des partenariats avec des universités en lien avec l'armée chinoise ?

Un rapport a été remis au Premier ministre, mais allez-vous nous proposer des solutions ? Et quid des propositions européennes ? Pour le moment, c'est business as usual...

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - En effet, il ne suffit pas de rappeler des préconisations - même si ces rappels n'ont pas été inutiles.

Nous avons un plan de protection, élaboré conjointement avec l'Anssi et la DGSI. Des référents ont été nommés, une formation est dispensée aux recteurs et délégués académiques, ainsi désormais qu'aux présidents d'université et directeurs d'établissement. Nous allons travailler aussi sur la question des délais.

La fondation ParisTech est de droit privé. Elle ne sollicite pas le ministère pour passer des accords...

M. Édouard Courtial .  - Je tiens à souligner la cohérence de nos débats : sur le wokisme cet après-midi, sur les libertés académiques ce soir.

Les frontières sont ténues entre diplomatie, influence, interférence et ingérence.

Le financement des établissements par des fonds privés est un enjeu essentiel. Les fonds d'investissement dans l'éducation et les nouvelles technologies sont à surveiller de près, à l'instar du fonds chinois Weidong, qui a racheté la Brest Business School. Cette démarche fait partie intégrante des nouvelles routes de la soie et de la stratégie Made in China 2025. La Chine entend ainsi imposer ses normes sur tous les marchés.

Comment pouvons-nous suivre ces investissements privés et veiller à la défense de notre potentiel scientifique et technique ?

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - Dans la LPR, j'avais proposé une ordonnance sur l'encadrement du financement des établissements privés, finalement retirée à la demande du Sénat. Je suis heureuse de constater que mon idée progresse...

Je suis convaincue de l'intérêt d'un système mixte, avec un enseignement privé au côté du public. Certains établissements à but non lucratif jouent un rôle important.

Oui, des structures d'enseignement privé peuvent s'organiser librement. Lorsque j'ai proposé un meilleur encadrement, vous m'avez reproché d'être contre l'enseignement privé.

Un réseau de surveillance et une veille à grande échelle sur les établissements doivent être mis en oeuvre.

M. Jean-Pierre Moga .  - L'université est un haut lieu de la République où doit régner la liberté d'expression. Mais elle est aussi un lieu de conflits où la recherche d'influence peut aller jusqu'à l'interférence.

Nous devons aider nos universités à protéger les libertés académiques et l'intégrité scientifique.

Pour cela, il faut d'abord lutter contre la censure d'intervenants. Toutes les opinions doivent pouvoir s'exprimer, dans les limites prévues par la loi.

Ensuite, nous devons réaffirmer l'autonomie de la recherche et sa neutralité axiologique. La recherche ne doit pas traduire un jugement moral ou une opinion politique.

Comment le Gouvernement entend-il protéger les libertés académiques et lutter contre les influences étrangères ? Comment garantir une meilleure sécurité numérique ? (M. Olivier Cadic applaudit.)

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - L'université n'est pas un lieu de conflits, mais de débats. Débattre empêche de se battre.

La méthode scientifique permet de construire un consensus à travers un débat argumenté, sans invectives ni disqualification préalable. C'est ce contradictoire qu'il importe de préserver.

La cybersécurité est un enjeu central : nous travaillons avec l'Anssi à la formation des acteurs, avec des tests grandeur réelle.

M. Christian Redon-Sarrazy .  - Dans la continuité de celle de M. Moga, ma question porte sur la sécurisation des données dans l'espace numérique. Tous les experts prévoient une dégradation de la sécurité numérique dans les années à venir.

Le rapport de la mission d'information propose de généraliser l'audit par l'Anssi de la sécurité des systèmes des universités. Les hôpitaux sont déjà victimes d'attaques extérieures, comme les rançonnages.

La Commission supérieure du numérique recommande au Gouvernement de se doter d'un cloud de confiance, indispensable depuis l'adoption du Cloud Act aux États-Unis. Le Gouvernement a estimé que les données nationales pouvaient être stockées sur le cloud de Google et Microsoft. Les acteurs du nucléaire français ont recours au service Microsoft Azure.

Le Gouvernement a-t-il conscience de notre vulnérabilité sur le plan numérique ?

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - Le sujet est pris au sérieux par le Gouvernement, et les audits de l'Anssi recommandés par le rapport sénatorial ont débuté.

Nous travaillons aussi sur les centres de calcul, qui appellent une protection particulière.

Le cloud de confiance est un enjeu européen.

Enfin, l'éducation à la cybersécurité pour tous les citoyens est essentielle : les gens ne comprennent pas tous l'importance de la protection de leurs données personnelles...

M. Yves Bouloux .  - Je salue l'excellent travail accompli par la mission d'information. Ses conclusions sont sans appel : la menace est réelle.

La Chine, en particulier, cible nos activités économiques à travers les partenariats des instituts Confucius. De tels partenariats doivent être réalisés en toute transparence et vigilance.

Quelles suites entendez-vous donner aux recommandations sénatoriales ?

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - Des dispositions réglementaires applicables aux partenariats internationaux existent déjà.

Le système d'information de l'établissement doit rester indépendant de tout partenariat.

Les actions de coopération sont sous la responsabilité des directeurs d'établissement, qui doivent respecter les règles de protection du patrimoine scientifique et technique. Les sciences humaines et sociales doivent intégrer cette notion.

En cas de difficulté, les établissements se tournent vers nous. Nous leur conseillons parfois de rompre leur partenariat avec l'institut Confucius.

M. Yves Bouloux.  - Dans un monde toujours plus dur, nous devons instamment renforcer la protection de notre patrimoine !

M. Jean-Yves Leconte .  - Le partage des connaissances et la circulation des idées sont au fondement de l'université. Néanmoins des menaces existent, certaines relevant de l'espionnage, d'autres de l'influence.

Parfois, nos chercheurs sont visés par des pressions ou des menaces. Je pense à Cécile Vaissié, à la suite de son travail sur les réseaux du Kremlin en France. Elle a été attaquée en diffamation. La justice lui a donné raison.

Quelles conséquences avez-vous tirées de cette expérience ? Comment protéger nos chercheurs des procédures bâillons ?

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - Il est inadmissible qu'un chercheur soir forcé à la non-intégrité, c'est-à-dire à publier des résultats contraires à ses travaux.

Le monde académique, souvent, se protège lui-même, à travers la validation par les pairs, qui fonctionne dans le monde entier. C'est elle qui fait la force de la recherche.

En cas de besoin, les chercheurs doivent demander la protection fonctionnelle et ne jamais rester seuls. L'institution est là pour protéger la liberté académique.

M. François Bonhomme .  - Beaucoup s'inquiètent de manoeuvres d'influence visant à déstabiliser notre pays. Les travaux de la mission d'information ont permis de mettre en lumière cette réalité.

La menace pour notre souveraineté nationale, longtemps peu documentée, est bien réelle. Des États comme la Chine, la Russie ou la Turquie détournent nos valeurs de liberté académique au service de leur stratégie d'ingérence.

Trois facteurs jouent dans ce domaine : la dépendance budgétaire, la faiblesse des administrations, parfois soumises à des injonctions contradictoires, et la culture d'un monde universitaire qui a du mal à se penser comme sujet de conflits.

Quelles mesures envisagez-vous pour pallier ces fragilités ?

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - S'agissant des ressources budgétaires, nous avons la chance d'avoir un système protecteur. Les ressources de nos universités sont très majoritairement publiques, en sorte que les puissances étrangères ont peu de prise.

La loi sur l'autonomie des universités a été défendue par Mme Pécresse : ce n'est pas vous, je pense, qui la critiquerez. Il n'y a pas d'injonctions contradictoires pour les établissements.

Certains laboratoires doivent être protégés plus que d'autres. Les chefs d'établissement le savent - j'ai été dans ce cas.

Certains chercheurs estiment naïvement qu'il est plus important de partager que de protéger ; ils ne voient pas toujours l'intérêt de leurs recherches pour d'autres que des collègues. Un travail de persuasion doit être mené, en leur montrant des exemples précis.

M. Cédric Vial .  - Nous péchons par naïveté face à l'influence méthodique d'États étrangers.

Notre liberté académique et notre souveraineté ne sauraient faire l'objet de compromis. Or elles sont menacées par des formes de censure, de pression ou de désinformation.

Le système de protection est mal adapté aux sciences humaines et sociales. Il faut réaffirmer le rôle des fonctionnaires de défense et de sécurité et mieux associer les collectivités territoriales, notamment les régions, dont la connaissance du terrain est précieuse.

Comptez-vous agir en ce sens ?

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - La formation et la sensibilisation sont essentielles. Les fonctionnaires de sécurité et de défense vont être mobilisés à cet effet.

Les formations doivent être adaptées aux disciplines. En particulier, les sciences humaines et sociales doivent être davantage prises en compte ; elles le sont déjà dans les recommandations de la Commission européenne.

Les régions peuvent participer à ces actions dans le cadre de leur mission de surveillance du territoire. Il faut travailler à la sensibilisation de tous, et que toutes les bonnes volontés s'impliquent.

Mme Béatrice Gosselin .  - Ayant participé aux travaux de la mission d'information, j'ai été frappée par les témoignages de personnalités dont les pays sont plus vigilants que le nôtre face aux influences extérieures.

Le phénomène est amplifié, dans des pays comme l'Australie, par la dépendance des universités aux financements étrangers.

Il faut d'abord évaluer le niveau de la menace. Or notre mission a observé un manque d'informations à cet égard.

Le dispositif de sécurité français ne concerne que les risques élevés réprimés par le code pénal, comme l'intrusion dans les lieux stratégiques ou le vol de documents. Les sciences humaines et sociales sont laissées de côté.

Il faudrait un cadre juridique spécifique pour mieux protéger notre enseignement supérieur. Qu'en pensez-vous ? Ne serait-il pas pertinent de prévoir une coordination internationale sur ce sujet ? Dans le cadre de la PFUE, nous pourrions faire de la déclaration de Bonn un texte fondateur pour la recherche européenne.

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - Les ressources des universités australiennes proviennent parfois à 70 % d'étudiants internationaux dont les neuf dixièmes sont chinois : le risque d'ingérence est patent.

Les pays qui fondent le modèle économique de leurs établissements sur des droits d'inscription élevés veillent particulièrement à leur protection face aux ingérences étrangères. Ils y arrivent avec plus ou moins de succès.

La meilleure protection des libertés académiques est assurée par le monde académique lui-même, à travers la validation par les pairs. Il faut lui laisser la main sur ce plan.

M. Étienne Blanc, président de la mission d'information .  - Je me félicite de ce débat très riche sur un sujet essentiel, que notre mission d'information a su mettre au coeur du débat politique, alors que les gouvernements et les pouvoirs publics en général y ont, jusqu'à présent, très insuffisamment répondu.

En seulement huit semaines, au coeur de l'été, nous avons beaucoup travaillé. L'audition de M. Paterson a été particulièrement dense et éclairante sur les agissements de la Chine contre les libertés académiques en Australie.

Notre rapport contient 26 propositions à la fois réalistes et ambitieuses.

Permettez-moi d'insister sur trois idées essentielles.

D'abord, la connaissance de la zone grise est cruciale, pour mieux nous protéger des pratiques qui en relèvent. L'échange est au coeur des universités : c'est une tradition ancienne, bien française d'ailleurs. Mais des pays, souvent non démocratiques, fonctionnent différemment : ils cherchent à influencer, sans égard pour la liberté d'analyse. Je pense notamment à la situation des Ouïghours ou au génocide arménien.

Ensuite, nous devons travailler en réseau pour mieux comprendre les méthodes dont nous sommes victimes, en associant les services de renseignement et les services militaires.

Enfin, une plus grande volonté politique s'impose. Vous avez dit, madame la ministre, qu'une prise de conscience est en cours. Mais nous ne sommes pas à la hauteur de l'enjeu.

Les pays qui nous attaquent s'en prennent, au fond, à la liberté d'enseigner, à la liberté de penser. Il est grand temps de réagir puissamment ! (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du CRCE)

M. Olivier Cadic.  - Très bien !

Prochaine séance demain, mercredi 2 février 2022, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 5.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 2 février 2022

Séance publique

À 15 h, à 16 h 30, de 18 h 15 à 20 h 30, puis de 22 h à 23 h 45

Présidence :

M. Gérard Larcher, président

M. Roger Karoutchi, vice-président

M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires :

Mme Victoire Jasmin - M. Jacques Grosperrin

1. Questions d'actualité

2. Débat d'actualité sur le thème : « Énergie et pouvoir d'achat : quel impact de la politique du Gouvernement ?»

3. Proposition de loi tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales, présentée par M. Olivier Henno et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°400, 2021-2022) (ordre du jour réservé au groupe UC)

4. Débat sur le thème : « L'amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l'attention »