Emploi pour les chômeurs de longue durée

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à créer une garantie à l'emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social, présentée par M. Patrick Kanner et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.

Discussion générale

M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le présent texte part d'un constat partagé : le chômage de masse, ce poison lent qui mine nos sociétés, menace notre modèle social et nourrit le populisme, n'est plus l'exception mais la règle.

La reprise économique qui suit la crise sanitaire offre au Gouvernement l'occasion de se réjouir des bons chiffres du chômage au sens du BIT. Mais avec 5,659 millions de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi, toutes catégories confondues, le poids du chômage leste notre société, surtout quand nous connaissons les effets délétères de votre réforme de l'assurance chômage...

Certes, les mesures d'accompagnement existent, nous avions d'ailleurs proposé de les étendre avec le revenu minimum jeunesse, nous heurtant au mur de la majorité sénatoriale et du Gouvernement. Vous nous opposiez l'insertion par l'emploi - autrement dit, changer de trottoir. Or l'un n'exclut pas l'autre, comme le montre cette proposition de loi audacieuse.

Le chômage de longue durée, soit l'absence d'activité pendant plus d'un an, concerne 40 % des demandeurs d'emploi en France. Ce n'est pas marginal ! Il faut éviter qu'ils n'atteignent un point de non-retour, vecteur de déclassement social irrémédiable. Le droit d'obtenir un emploi figure dans notre Constitution ; il faut le rendre effectif.

Avec Hémisphère Gauche et l'Institut Rousseau, nous sommes partis du constat que la pénurie est engendrée non par un manque d'offres, mais par une organisation du marché de l'emploi qui éloigne certains durablement de l'emploi, les plongeant dans la précarité

À l'État de corriger cette injustice, pour que la relégation d'une partie de la population ne soit jamais une fatalité ou un invariant.

Nous proposons ainsi que chaque chômeur de longue durée se voit proposer un emploi à temps choisi payé au SMIC horaire.

Le dispositif n'impose rien ; il évitera à ceux qui en bénéficieront de s'enliser dans la trappe à pauvreté qu'est le chômage de longue durée et leur permettra de rebondir ensuite vers un emploi mieux payé.

Pour répondre à la demande, il nous faudrait créer un million d'emplois. Utopie ? C'est pourtant ce que notre proposition permettrait, pour un coût inférieur aux politiques existantes.

Pour y parvenir, nous engageons une montée en charge des contrats aidés et développons l'insertion par l'activité économique. Nous nous appuyons aussi sur l'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), qui a fait ses preuves. Plutôt que de la généraliser, nous proposons de supprimer le plafond de soixante territoires et de simplifier l'habilitation de nouveaux territoires par simple arrêté préfectoral.

Ensuite, nous avons orienté notre texte vers un déploiement d'emplois dits verts. Pour embarquer tous les citoyens dans la dynamique de transition écologique, l'État doit offrir aux Français, notamment aux plus éloignés de l'emploi, des perspectives nouvelles. Cette approche inclusive et solidaire est le préalable à toute transition énergétique d'envergure.

Les emplois verts représentent 1,8 % seulement de l'emploi en France ; trop peu au regard des besoins. De nouvelles compétences vont se déployer : à nous de les encourager. Mais déjà de nouveaux emplois peuvent être créés en lien avec les besoins de transition, notamment dans le secteur agricole.

Je réponds au procès en utopie : le financement de cette garantie ne pose aucun problème. Cette mesure permettrait même d'économiser de l'argent public, le coût du chômage de longue durée étant estimé à 36 milliards d'euros par ATD Quart-Monde. Notre dispositif coûterait moitié moins. En supprimant la flat tax, en instaurant un impôt de solidarité sociale et climatique sur le capital, en annulant la baisse des impôts de production, en augmentant le taux de la taxe sur les transactions financières, nous nous donnons les moyens d'enclencher cette dynamique vertueuse.

À terme, la garantie de l'emploi sera financée par la transformation des allocations et des aides sociales. C'est là le meilleur moyen de lutter contre le soi-disant assistanat.

Le bilan de quarante ans de politiques de lutte contre le chômage est décevant. Avec cette proposition audacieuse et vertueuse, offrons la possibilité de sortir de cette ornière ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - La création d'une garantie d'emploi pour les chômeurs de longue durée vise à concrétiser le droit à obtenir un emploi proclamé par le préambule de la Constitution de 1946. Il s'agit d'aller à la rencontre des personnes privées d'emploi, de les accompagner et de les former.

La privation d'emploi ne se réduit pas à la catégorie administrative des 2,6 millions de demandeurs d'emploi de longue durée ; elle concerne aussi de nombreuses personnes découragées ou invisibles qui n'apparaissent pas dans les statistiques.

Aux fins d'éradiquer le chômage de longue durée, cette proposition de loi mobilise plusieurs outils existants relevant de l'économie sociale et solidaire (ESS). Les contrats aidés, assortis du versement à l'employeur d'une aide à l'insertion professionnelle, ont le plus souvent été utilisés comme outils conjoncturels de lutte contre le chômage ; il s'agit d'en faire des instruments d'insertion.

L'article 3 fixe à compter de 2023 un nombre minimum de 200 000 contrats aidés dans le secteur non marchand ; l'article 4 en impose 50 000 dans le secteur marchand.

Il s'agit par ailleurs de favoriser l'insertion professionnelle des personnes éloignées de l'emploi au sein des structures de l'insertion par l'activité économique (SIAE). L'ambition du Gouvernement - 240 000 postes à la fin du quinquennat dans les SIAE - reste très théorique.

Quant à l'expérimentation TZCLD, elle est la solution de dernier ressort, la voiture-balai des politiques de l'emploi. En postulant que nul n'est inemployable et en visant l'exhaustivité, elle apparaît comme la nouvelle frontière des politiques de lutte contre le chômage d'exclusion.

L'article premier propose de la pérenniser sans attendre 2026 et d'accélérer son extension, en multipliant par cinq tous les deux ans le nombre de territoires concernés. Sa cible serait également élargie aux moins de 25 ans privés d'emploi depuis six mois et domiciliés depuis trois mois dans un des territoires concernés.

Face aux réserves des acteurs de l'expérimentation et pour respecter la démarche de territoire, je préfère une suppression du plafond actuel de soixante territoires : ainsi, tous les projets émergents remplissant les conditions du cahier des charges pourront être éligibles immédiatement par simple arrêté.

La proposition de loi oriente cet investissement vers des activités contribuant à la lutte contre le changement climatique, secteur déjà investi par l'insertion par l'activité économique (IAE) : 38 % des entreprises à but d'emploi (EBE) relèvent du secteur de la transition écologique.

L'article 3 prévoit que les aides ne seront accordées que si le contrat aidé porte sur la protection de l'environnement ou la gestion des ressources. L'article 4 conditionne l'aide au poste dans le secteur marchand aux engagements pris en matière de décarbonation. Cette orientation est souhaitable si elle reste souple.

Cette expérimentation porte en elle son financement en ce qu'elle réduit le coût, élevé, du chômage de longue durée.

La proposition de loi comporte également un projet de réforme fiscale ambitieux, à hauteur de 10 à 11 milliards d'euros, en vue de réduire les inégalités sociales.

Une partie de la baisse des impôts de production initiée en 2021 sera annulée pour certaines entreprises non vertueuses, qui ont continué à réaliser des bénéfices durant la crise. Cela pourrait rapporter 7 milliards d'euros.

L'article 6 rétablit l'impôt sur la fortune (ISF) sous la forme d'un impôt climatique sur le capital. L'ISF avait été supprimé en 2018 au profit de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) pour inciter à investir dans les entreprises, sans résultat probant si ce n'est pour les plus riches.

Sera également supprimé le prélèvement forfaitaire unique, devenu depuis 2018 l'option par défaut de taxation des revenus du capital.

Nous instaurons également une taxe additionnelle sur les transactions financières qui pourrait rapporter plusieurs centaines de millions d'euros, juste contribution des marchés financiers à la lutte contre le chômage de longue durée.

Face à l'urgence sociale et la crise environnementale, nous devons agir.

La commission des affaires sociales n'a pas adopté ce texte, ce que je regrette. Je vous invite néanmoins à le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le groupe SER nous présente son texte créant une garantie à l'emploi pour les chômeurs de longue durée dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social.

Je partage son objectif et le diagnostic sur la nécessité de donner un emploi à chacun, afin qu'il trouve sa place dans la société.

Vous jugez le bilan du Gouvernement insuffisant en matière d'emploi : pourtant, l'émancipation par le travail est au coeur de nos préoccupations depuis le début du quinquennat.

Votre proposition, loin de régler le problème, déstabiliserait les acteurs du marché de l'emploi et détricoterait des réformes majeures.

Il me semble prématuré d'étendre l'expérimentation TZCLD, dont nous défendons l'intérêt. Respectons le texte de la récente loi du 14 décembre 2020 et n'allons pas plus vite que la musique ! L'objectif est d'étendre l'expérimentation à cinquante nouveaux territoires : neuf supplémentaires en bénéficient déjà. L'efficacité du dispositif est encore insuffisamment évaluée.

Il ne faut pas accélérer au détriment du parcours des personnes et des projets des territoires. Vous connaissez ces derniers, mais savez aussi l'importance, parfois, de prendre le temps nécessaire.

La création de 100 000 contrats supplémentaires en IAE d'ici 2023 est intéressante, mais vous semblez ignorer ce que nous faisons dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté : orienter 100 000 travailleurs supplémentaires vers les métiers en tension entre 2018 et 2022. La moitié du chemin a déjà été parcourue avec 55 000 personnes de plus accompagnées en 2021 par rapport à 2017. Dans notre département du Nord, monsieur le président Kanner, Vitamine T compte plus de 3 000 salariés en parcours d'insertion.

Brigitte Klinkert a versé 400 millions d'euros aux structures de l'IAE, pour les aider à surmonter la crise, mais aussi à se positionner sur les métiers du BTP, de l'hôtellerie-restauration ou de la transition écologique.

Aussi, je crois que votre objectif est satisfait : à une exception près, nous ne sommes jamais passés sous la barre des 100 000 personnes accompagnées depuis 2017.

Le recours aux contrats aidés n'est pas opportun pour développer les emplois verts, même si je vois bien là une tentative de « en même temps » de votre part. Vous prévoyez 200 000 contrats aidés dans le secteur de l'ESS et 50 000 dans le secteur marchand : considérer ces dispositifs comme un soutien à la transition écologique serait un dévoiement des contrats aidés. Nous préférons qu'ils concernent l'ensemble des métiers en tension.

Il est possible de mener de front les deux combats - insertion et transition écologique - sans mélanger les outils, pour préserver leur lisibilité. Le service civique, par exemple, est souvent utilisé par les maires en matière de transition écologique... (Murmures de protestation sur les travées du groupe SER)

Nous investissons 15 milliards d'euros dans le plan d'investissement dans les compétences et 1,4 milliard d'euros dans le plan de réduction des tensions de recrutement.

Nous portons le même objectif que le vôtre s'agissant des demandeurs d'emploi de longue durée puisqu'ils reçoivent 1 000 euros pour se former.

Enfin, nous en avons déjà parlé lors de précédentes campagnes électorales, la commande publique et privée est aussi un levier efficace : les collectivités ont un rôle à jouer en matière de clauses sociales et environnementales, telles que prévues par la loi Climat.

Vous l'aurez compris, le Gouvernement n'est pas favorable à ce texte, qui détricote certaines de ses réformes. (Applaudissements sur les travées du RDPI)