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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Cyclones à La Réunion

M. Jean-Louis Lagourgue

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer

Situation internationale

M. Roger Karoutchi

M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes

Ukraine (I)

M. François Bonneau

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique

Ukraine (II)

M. Fabien Gay

M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes

Politique agricole du Gouvernement

M. François Patriat

M. Jean Castex, Premier ministre

Ukraine (III)

M. Jean-Yves Leconte

M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes

Dématérialisation des services publics

M. Éric Gold

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques

Rachat de La Provence

M. Paul Toussaint Parigi

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

Augmentation des chiffres de la délinquance

M. François-Noël Buffet

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée, chargée de la citoyenneté

Politique agricole

M. Jean-Claude Tissot

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Bilan de la politique du logement

Mme Dominique Estrosi Sassone

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée, chargée du logement

Dette publique et collectivités locales

Mme Amel Gacquerre

M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics

Finances publiques

Mme Christine Lavarde

M. Jean Castex, Premier ministre

Recapitalisation d'EDF

M. Thierry Cozic

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable

Politique d'éducation

M. Max Brisson

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports

Réquisition des soignants outre-mer

Mme Chantal Deseyne

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles

Engagement de la France au Sahel

M. Jean Castex, Premier ministre

M. Bruno Retailleau

M. Jean-Marc Todeschini

M. Olivier Cigolotti

M. Alain Richard

M. Pierre Laurent

M. André Guiol

M. Claude Malhuret

M. Guillaume Gontard

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères

Mme Florence Parly, ministre des armées

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Emploi pour les chômeurs de longue durée

Discussion générale

M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail

Avis sur des nominations

Emploi pour les chômeurs de longue durée (Suite)

Discussion générale (Suite)

Mme Laurence Cohen

Mme Brigitte Devésa

Mme Maryse Carrère

Mme Monique Lubin

M. Martin Lévrier

M. Joël Guerriau

Mme Frédérique Puissat

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Catherine Belrhiti

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

ARTICLE 3

ARTICLE 4

ARTICLE 7

M. Patrick Kanner

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État

Maintien du versement de l'allocation de soutien familial

Discussion générale

Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi

Mme Michelle Meunier, rapporteure de la commission des affaires sociales

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles

Mme Élisabeth Doineau

Mme Maryse Carrère

Mme Annie Le Houerou

M. Martin Lévrier

M. Joël Guerriau

Mme Chantal Deseyne

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Laurence Cohen

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Laurence Rossignol

ARTICLE 2

Mme Laurence Rossignol

M. Hussein Bourgi

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État

Ordre du jour du jeudi 24 février 2022




SÉANCE

du mercredi 23 février 2022

62e séance de la session ordinaire 2021-2022

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Pierre Cuypers.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun au respect des uns et des autres comme du temps de parole.

Cyclones à La Réunion

M. Jean-Louis Lagourgue .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) En un mois, La Réunion a connu deux cyclones intenses, Batsirai et Emnati, causant d'importants dommages aux infrastructures agricoles, alors que la situation économique souffre de la crise sanitaire.

Les pertes s'élèvent à plus de 47 millions d'euros et 1 000 hectares ont été ravagés. Les finances des exploitants sont pourtant déjà très tendues !

L'État a répondu présent en reconnaissant rapidement l'état de catastrophe naturelle. Je salue sa réactivité, en espérant que les vingt-quatre communes de l'île en bénéficieront. Mais il faudra aussi aller plus loin, avec des mesures complémentaires. Est-il prévu de prolonger les prêts garantis par l'État (PGE) et de mettre en place un fonds exceptionnel d'urgence ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Martin Lévrier et Mme Nassimah Dindar applaudissent également.)

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer .  - Je me suis rendu à La Réunion après Batsirai. Heureusement, nulle victime n'est à déplorer, même si les dégâts matériels sont importants, tout particulièrement en agriculture.

Les délais d'instruction seront réduits à cinq mois au lieu d'un an, en lien avec la chambre d'agriculture. Le fonds de secours pour l'outre-mer (FSOM) aidera vingt communes et la situation des autres sera étudiée. Le régime des calamités agricoles sera effectif dès mars. Avec MM. Julien Denormandie et Olivier Dussopt, nous invitons les organismes collecteurs d'impôts et de cotisations sociales à la bienveillance. Enfin, les PGE seront prolongés.

La solidarité nationale sera au rendez-vous pour les Réunionnais, nous le leur devons.

Situation internationale

M. Roger Karoutchi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, n'avez-vous pas le sentiment qu'il faut revoir la politique étrangère de la France ?

Au Liban, face au Hezbollah, on fixe un ultimatum, mais il ne se passe rien. En Arménie, pareil. En Afrique, où nos troupes ont courageusement lutté contre le terrorisme, pareil.

Il y a quelques jours, le Président de la République a négocié avec Vladimir Poutine, espérant une désescalade. Résultat : les troupes russes envahissent immédiatement le Donbass et menacent le reste de l'Ukraine.

Le simple respect du droit international ne nous affaiblit-il pas face à ceux qui s'en affranchissent ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)

M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes .  - (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Le moment est grave : sachons prendre de la hauteur. C'est un fait que le monde est dangereux et difficile.

Votre bilan de la politique étrangère de la France est partial et partiel. Le Président de la République prend ses responsabilités, qu'il s'agisse des accords de Paris, après le retrait de Donald Trump (protestations sur les travées du groupe Les Républicains), ou de la crise sanitaire au cours de laquelle, grâce à la France, le vaccin est devenu un bien public mondial. (Protestations redoublées)

Une voix à droite.  - Avec quel résultat ?

M. Clément Beaune, secrétaire d'État.  - Le Président de la République ne s'est jamais dérobé. Il a pris des risques. Il a tenté sa chance avec Vladimir Poutine, sans naïveté. À écouter Christian Jacob, rien n'aurait été tenté...

La France a également été efficace en Europe, avec le plan de relance européen qui a sauvé notre économie. Sur le plan international, elle a construit l'unité et la fermeté. Certes, la situation internationale n'est pas facile, mais ce n'est pas de la responsabilité du Président de la République.

Saluez ses résultats lorsqu'ils existent, comme en Arménie avec la libération de prisonniers. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC)

M. Roger Karoutchi.  - Moi, je ne suis pas en campagne électorale. (Rires au banc du Gouvernement) Messieurs les ministres, vous n'êtes pas censés réagir !

Une voix à droite.  - Scandale !

M. Roger Karoutchi.  - Vous êtes au Parlement, pas dans votre bureau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)

Face à l'Iran, la Chine, la Turquie, la Russie, qui ne respectent pas le droit international, nous Européens sommes trop faibles. Il faut changer de politique, pour que l'Europe soit enfin forte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)

Ukraine (I)

M. François Bonneau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Alors que l'Est de l'Europe semble sur le point de s'embraser, je pense aux Ukrainiens en proie à la spirale de la violence depuis huit ans.

Cette crise ne sera pas sans impact pour la France. Notre dépendance au gaz russe nous fait courir un risque énergétique. Une rupture d'approvisionnement voulue ou subie risque d'épuiser nos stocks, si elle est totale, ou de renchérir le prix de l'électricité en Europe -  fonction du prix du gaz  - si elle est partielle. L'effet sur l'économie française et le pouvoir d'achat de nos concitoyens sera majeur.

Quel sera l'impact en France des sanctions contre la Russie ? Quelle est la stratégie du Gouvernement ? Peut-on découpler prix du gaz et prix de l'électricité ? Comment gérer les pénuries à venir ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP)

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique .  - M. Poutine a pris une décision grave pour l'Ukraine et la sécurité européenne. Même si la Russie devait cesser ses exportations, nous ne courrons aucun risque de pénurie, avec des stocks stratégiques de pétrole de 90 jours.

Sur le prix de l'énergie, le Gouvernement a agi pour protéger le pouvoir d'achat des Français, avec notamment le bouclier tarifaire. J'ai parlé hier avec la commissaire européenne Simson et nous sommes en contact avec le gouvernement des États-Unis.

De plus, les discussions avec la Commission européenne pour revoir le market design...

M. Bruno Retailleau.  - En français s'il vous plaît !

Mme Barbara Pompili, ministre.  - ... se poursuivent. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Le nucléaire !

M. François Bonneau.  - En dix ans, la dépendance de l'Europe au gaz russe est passée de 24 à 40 %. Passer au gaz naturel liquéfié sera long et coûteux : il faut agir d'urgence pour réduire notre dépendance au gaz russe ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Alain Marc applaudit également.)

Ukraine (II)

M. Fabien Gay .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Vladimir Poutine a unilatéralement décidé lundi soir de reconnaître les deux républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. Cette atteinte à l'intégrité territoriale de l'Ukraine est un échec collectif.

L'escalade continue : l'Allemagne suspend le gazoduc Nord Stream 2 ; l'Union européenne et les États-Unis annoncent de nouvelles sanctions économiques, alors que les précédentes avaient été contre-productives ; l'OTAN, institution belliciste et obsolète, s'est réunie avec les autorités ukrainiennes et se déploie dans les pays baltes.

Depuis 2014, les exactions nourrissent les haines et le poison nationaliste. Il faut en finir avec l'esprit de vengeance dans la région.

Notre responsabilité est de nous opposer à la guerre. La paix doit être, au-delà de la fin de la guerre, notre projet politique ; elle demande des efforts diplomatiques.

Nous demandons humblement une conférence paneuropéenne de sécurité collective, sous l'égide de l'ONU. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mmes Émilienne Poumirol et Nadia Sollogoub applaudissent également.)

M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes .  - Tout doit être fait pour préserver la paix. Je ne partage pas votre analyse sur l'OTAN. Nous savons où sont nos alliances : l'Union européenne et l'OTAN. (Protestations sur les travées du groupe CRCE) Ce n'est pas nous qui avons gravement violé le droit international, mais le Président Poutine.

Sans escalade, nous assumons une réaction proportionnée mais ferme, fondée sur des sanctions.

Dès lundi, le Président de la République a proposé la réunion en urgence du Conseil de sécurité de l'ONU ; mais la Russie n'a pas accepté ce chemin diplomatique de paix.

Nous poursuivons nos efforts pour la paix et vous remercions de votre soutien. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit également.)

Politique agricole du Gouvernement

M. François Patriat .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le Salon de l'agriculture ouvre ses portes samedi prochain, hymne aux territoires et à la ruralité.

C'est un moment d'excellence et de rencontre entre villes et campagnes, mais aussi l'occasion pour les agriculteurs de faire part de leurs inquiétudes, voire de leurs colères. Il est d'autant plus attendu que l'édition 2021 a été annulée du fait de la crise sanitaire.

Les agriculteurs affrontent des crises multiples : climatique, sanitaire, financière. Le Gouvernement y répond avec une vision claire et une méthode concertée. Plan de relance, EGalim, doublement des surfaces en bio, protection des sols, revalorisation des retraites, circuits courts, Assises de l'eau, assurance récolte : autant de chantiers menés. Nous avons voté ces lois ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Ces réformes respectent notre modèle social et préparent l'avenir. Quel est le bilan de la politique agricole du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jean Castex, Premier ministre .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Il choisit ses interlocuteurs...

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Seriez-vous nostalgiques ? C'est sans doute parce que c'est notre dernière séance... (Sourires)

Je rends hommage à nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et sur des travées des groupes UC et INDEP)

Face à la crise sanitaire, ils ont répondu présent et les Français ont pu s'alimenter sans difficulté. Ils sont indispensables à notre Nation.

Je rends aussi hommage au ministre de l'agriculture, Julien Denormandie. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains) Vous le voyez agir sur nos territoires et établir des relations de confiance avec la profession.

Une voix à droite.  - Denormandie Premier ministre ! (Sourires)

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Notre politique agricole est ambitieuse, le soutien à l'agriculture tout aussi indispensable que la réindustrialisation de la France. (Mme Sophie Primas et M. Laurent Duplomb s'exclament.)

Nous voulons faire vivre les agriculteurs de leur travail (applaudissements sur les travées du RDPI et sur des travées des groupes INDEP et UC) et Dieu sait combien ils travaillent ! La loi EGalim I, que la majorité sénatoriale a votée, n'a pas atteint son objectif. C'est pourquoi nous avons déposé EGalim II.

Les négociations commerciales ne peuvent pas se conclure au détriment de nos agriculteurs. Nous y veillons. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)

Le texte sur les petites retraites agricoles a été voté à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des travées du groupe INDEP ; M. André Guiol applaudit également.)

La plus terrible des catastrophes climatiques a frappé notre pays au printemps dernier, et le Gouvernement a été à la hauteur du drame. Nous avons également soutenu la filière porcine.

Nous avons réformé l'assurance récolte, demande ancienne, votée par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et sur quelques travées des groupes INDEP et UC)

Ukraine (III)

M. Jean-Yves Leconte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La situation en Ukraine nous inquiète et les décisions de M. Poutine sont une menace pour l'Europe et le monde.

Le peuple ukrainien, qui a revendiqué sa liberté il y a huit ans, est menacé. La France a appelé ses ressortissants à quitter l'Ukraine : ce choix appartient à chacun. Mais comment faire quand les avions sont rares et chers ? Si personne ne vous attend en France ? Que prévoit le centre de crise et de soutien (CDCS) ? L'anxiété monte.

Plus de 200 000 personnes sont sur la ligne de contact et un important exode est à craindre. Accueil, soutien, équipements : les besoins sont immenses. Que feront la France et l'Europe ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes .  - Cette grave crise internationale a aussi une dimension humaine et humanitaire.

La sécurité de nos ressortissants est notre priorité. Le Quai d'Orsay a adapté ses recommandations à trois reprises. Nous préconisons d'éviter de se rendre en Ukraine et nous demandons à nos concitoyens de quitter le pays, sauf motif impérieux. Un millier de Français, beaucoup binationaux, y vivaient avant la crise. Notre ambassade reste ouverte dans un format resserré, et Jean-Yves Le Drian a demandé au CDCS d'analyser chaque cas particulier.

La France est au rendez-vous de l'aide humanitaire. L'Ukraine a fait appel au mécanisme de protection civile de l'Union européenne et notre pays fait partie des cinq premiers à répondre présent. La solidarité avec l'Ukraine va se poursuivre et s'amplifier. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jean-Yves Leconte.  - N'oublions personne : tous doivent avoir les moyens de revenir. Les dispositifs doivent être à la hauteur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Dématérialisation des services publics

M. Éric Gold .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Il y a un an, notre proposition de loi de lutte contre l'illectronisme était adoptée par le Sénat. Quelque quatorze millions de Français sont exclus de notre société numérique, que ce soit par manque de matériel, de réseau ou de compétences. Il s'agit souvent des plus fragiles : personnes en précarité sociale, personnes en situation de handicap, personnes âgées, étrangers...

Et même 40 % de nos concitoyens se disent peu à l'aise avec les démarches en ligne, donc l'accès à leurs droits. Malgré les efforts déployés, notamment à travers les maisons France Services, l'exclusion se poursuit.

Plus de 80 % des réclamations adressées à la Défenseure des droits concernent les services publics. Bien souvent, les usagers ne réussissent pas à entrer en contact avec l'agent chargé de leur dossier. On demande trop souvent à l'usager de s'adapter au service public.

Le déploiement de l'Espace numérique de santé (ENS) va accélérer le phénomène dans un domaine sensible.

Comment garantir l'accès des Français à leurs droits ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. André Gattolin et Mme Nadia Sollogoub applaudissent également.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques .  - Nous partageons votre inquiétude. Depuis 2017, nous prônons un service public efficace, proche et humain. C'est au service public de s'adapter aux Français et non l'inverse.

Les Français doivent pouvoir choisir leurs modalités d'accès aux services publics : démarches physiques dans les maisons France Services, contact téléphonique ou voie numérique.

S'agissant de l'ENS, un contact humain sera toujours possible, via les professionnels de santé et les maisons France Services.

Nous écoutons la Défenseure des droits, vigie essentielle, et les associations qui accueillent les plus fragiles, que j'ai rencontrées lors de mon récent déplacement en Eure-et-Loir.

Les services publics doivent rester accessibles, proches et humains. Contrairement à la majorité précédente, nous considérons qu'il n'y a pas de fatalité. (Protestations à gauche ; applaudissements sur les travées du RDPI)

Rachat de La Provence

M. Paul Toussaint Parigi .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le quotidien La Provence vit un nouvel épisode judiciaire. À l'heure de la commission d'enquête du Sénat sur la concentration dans les médias, le rachat de 89 % des parts de La Provence interroge.

Les procédures de rachat, verrouillées en amont par une clause d'agrément, dévoient nos règles sur le pluralisme de la presse. Un seul homme aura le pouvoir : c'est une prédation oligarchique du quatrième pouvoir. La Provence est garante de la pluralité de l'information et des opinions, à Marseille, dans la région Sud et en Corse. Comment l'État, premier créancier du groupe, peut-il rester silencieux ?

Seul le prix de rachat compte, ni le volet social ni l'indépendance des rédactions. Quel triste reflet de notre effondrement démocratique ! Quelque 850 emplois, en Provence et en Corse, sont en jeu. Comment pouvez-vous laisser faire ? Allez-vous répondre à ces enjeux politiques, économiques et sociaux ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Émilienne Poumirol et Marie-Arlette Carlotti applaudissent également.)

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture .  - Le quotidien régional La Provence, diffusé à 75 000 exemplaires, est cher au coeur des Marseillais et des Corses - le groupe détient aussi Corse Matin.

Il ne revient pas à l'État d'intervenir dans la procédure de rachat des parts de Bernard Tapie. Cela relève du tribunal de commerce qui jugera du meilleur repreneur sur le plan financier, social, mais aussi des investissements. Nous suivons cette procédure avec attention.

Le plan de relance a consacré 480 millions d'euros à la presse quotidienne. Une subvention pourra être demandée en tant que de besoin via le Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP).

Nous suivons également avec attention le sort des 850 salariés.

Certes, il s'agit d'une procédure privée, mais l'État n'est pas absent pour autant. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Augmentation des chiffres de la délinquance

M. François-Noël Buffet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette dernière séance de questions d'actualité du quinquennat sonne l'heure des bilans.

Les agressions contre les personnes augmentent fortement. Vos propres services indiquent que depuis 2017, les coups et blessures volontaires ont augmenté de 18%, les risques de 60%, les agressions sexuelles de 38 %. Quant aux menaces sur les élus, elles ont tripé !

Malgré les efforts, que nous avons accompagnés, les résultats ne sont pas là. Comment l'expliquez-vous ? Que s'est-il passé ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée, chargée de la citoyenneté .  - Tout d'abord, à l'occasion de cette dernière séance, je souhaite saluer votre travail et celui de votre commission. (On ironise à droite.)

M. Marc-Philippe Daubresse.  - C'est mérité !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Le climat de violence contre les élus nous préoccupe ; des circulaires ont été prises, le GIGN est mobilisé et les maires sont formés.

S'agissant des violences contre les personnes, nous incitons les femmes et les victimes de violences intrafamiliales à porter plainte, d'où une explosion des plaintes - c'est un contentieux de masse, englobant des faits anciens qui étaient jusqu'ici tus et auxquels la police et la gendarmerie répondent désormais.

En cumulé, il y a plus de 10 milliards d'euros d'augmentation budgétaire sur le quinquennat, et 10 000 gendarmes et policiers supplémentaires. L'engagement du Président de la République est tenu. Le Beauvau de la sécurité a donné une impulsion forte.

M. François Bonhomme.  - Pour quels résultats ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Oui, il faut faire plus. C'est pourquoi le Président de la République a présenté à Nice, à l'invitation de Christian Estrosi, la future grande loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur (Lopmi), portée par le ministre de l'Intérieur, qui nous permettra de mieux protéger les Français. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. François-Noël Buffet.  - Merci pour vos remerciements que je vous renvoie. Il y a certes un effort réel de libération de la parole des femmes. Mais quid des risques et des agressions ? Encore la semaine dernière, un maire du Rhône a été agressé. Le rapport de la Cour des comptes est inquiétant. Il révèle que les moyens supplémentaires n'ont pas eu d'effet sur les violences. Cela restera l'un de vos échecs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Politique agricole

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le programme agricole d'Emmanuel Macron en 2017 identifiait deux priorités : le rééquilibrage de la valeur et la lutte contre les pesticides.

Les lois EGalim I et II ont vite montré les limites de la théorie du ruissellement en matière agricole ; tout le monde le constate, sauf peut-être la grande distribution...

Rien non plus en matière de réduction des pesticides. La transparence fait défaut : le NODU, indicateur du recours aux pesticides, n'est toujours pas publié, alors qu'il aurait dû l'être en décembre dernier. Le Gouvernement a détricoté son propre travail en autorisant le retour des néonicotinoïdes pour la filière betterave. Les ventes de glyphosate - qui devait disparaître en trois ans - n'ont baissé que de 2 %. C'est un échec, de l'aveu même du Président de la République.

L'augmentation du seuil d'accès à l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) pourrait aboutir à la destruction des petites fermes agricoles - 69 sont concernées dans la Loire.

Ce modèle se noie dans ses dérives ; n'est-il pas temps d'en changer ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Je ne partage pas votre vision.

La nôtre vise avant tout la souveraineté alimentaire de la France et la mission nourricière de l'agriculture - que vous n'avez pas citée une seule fois. C'est trop facile de l'oublier ! (MMJean-Claude Tissot et Thierry Cozic protestent.)

La science et la raison doivent être au coeur de nos politiques agricoles ; ce n'est pas à vous, monsieur Tissot, que je l'apprendrai.

Depuis 2017, les substances les plus préoccupantes ont été réduites de 93 % et celles classées CMR1 et CMR2 de 40 %. Nous avons doublé les surfaces en bio pour prendre la première place européenne.

Mme Sophie Primas.  - Et les prix ?

M. Laurent Duplomb.  - Et les débouchés ?

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation.  - Quant à la loi EGalim II, elle vient d'être votée. Connaissez-vous beaucoup de gouvernements prêts à remettre l'ouvrage sur le métier de cette façon ?

Je salue enfin le Parlement, Mme Primas et M. Duplomb (marques d'amusement à droite) avec lesquels j'ai eu plaisir à travailler.

M. Bruno Retailleau.  - Nous aussi !

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation.  - Faisons le choix d'une politique du dépassement ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et sur plusieurs travées du groupe UC)

Bilan de la politique du logement

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2017, Emmanuel Macron proposait un choc de l'offre et la construction de 60 000 logements étudiants.

Une voix à gauche.  - Raté !

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Cinq ans après, le nombre de permis de construire et de mises en chantier est passé sous la barre symbolique des 400 000. La crise est sans précédent depuis l'hiver 1954, date de l'appel de l'abbé Pierre : baisse des APL de cinq euros, réduction des loyers de solidarité versés par les bailleurs sociaux, hausse du taux de TVA, fin des aides aux maires bâtisseurs, zigzags sur le prêt à taux zéro, attaque de la maison individuelle ; bref, coups de rabot, louvoiements, dérobades. (Protestations sur les travées du RDPI) Qu'avez-vous à répondre sur ce décalage entre les promesses et les réalisations ? (Exclamations et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; plusieurs sénateurs des groupes SER, UC et CRCE applaudissent également.)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée, chargée du logement .  - Je salue votre engagement sur ce sujet, ainsi que celui de Mmes Létard, Artigalas et Lienemann.

Nous avons avancé ensemble sur les lois 3DS et Climat et résilience.

On compte 470 000 permis de construire sur les douze derniers mois, 2,27 millions sur le quinquennat, soit 100 000 de plus que pendant le quinquennat précédent. (On ironise à gauche et à droite.) Idem pour les mises en chantier. La construction neuve a repris.

Nous avons aussi révolutionné la rénovation du logement avec MaPrimeRénov, à laquelle nous consacrons 2,5 milliards d'euros : un million de Français ont déposé un dossier.

Pour les plus fragiles, nous avons ouvert 200 000 places d'hébergement d'urgence et construit 57 000 logements étudiants, plus 16 000 pour les jeunes. (On ironise à droite.) L'une des jolies réussites de ce quinquennat aura été la multiplication par dix des garanties Visale pour les personnes sans caution : 67 000 dossiers ont été acceptés.

Nous avons été au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Votre politique du logement a été un zigzag permanent, sans cap, nouvelle preuve de la déconnexion du Président de la République avec les aspirations des Français. (Protestations sur les travées du RDPI) Celles-ci sont pourtant claires : être capables d'offrir un toit à sa famille. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Michelle Meunier applaudit également.)

Dette publique et collectivités locales

Mme Amel Gacquerre .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dans son rapport annuel, la Cour des comptes estime que le redressement des finances publiques nécessiterait qu'on y consacre 9 milliards d'euros par an jusqu'en 2027.

Les élus locaux craignent l'effet Hollande - du nom du président qui avait fait baisser la dotation globale de financement (DGF) de 41 à 27 milliards d'euros.

Refaire de la DGF une variable d'ajustement serait catastrophique : les finances locales sont plombées par la non-compensation des charges liées à la crise sanitaire - Mme Guidez parlait hier de l'accueil des enfants dans les écoles ; la suppression de la taxe d'habitation a réduit l'autonomie fiscale ; les collectivités territoriales sont mises à contribution en matière de logement et de transition énergétique.

Le dynamisme des recettes fiscales en 2021 pourrait servir de prétexte à une diminution des dotations.

Garantissez-vous que la DGF ne sera pas de nouveau une variable d'ajustement ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics .  - Votre question tombe à pic : ce matin, j'ai présenté aux associations d'élus le bilan de l'exécution comptable des collectivités territoriales pour 2021, avec des recettes dynamiques cette année.

La reprise de l'épargne témoigne de la capacité des collectivités à faire face aux engagements ; les fractions de TVA affectées vont augmenter de 6 %, soit 6 milliards d'euros ; la révision des valeurs locatives, avec une hausse de 3,4 %, entrainera une augmentation des recettes de taxe foncière de 1,6 milliard d'euros. La situation des collectivités est donc globalement meilleure qu'au début du quinquennat.

Nous avons conservé la DGF à 27 milliards d'euros. Pendant la crise, nous avons mobilisé 9,3 milliards d'euros du plan de relance sur deux ans pour compenser les pertes de recettes des collectivités, auxquels s'ajoutent 2,5 milliards d'aide exceptionnelle pour les investissements.

L'engagement de stabilité des dotations et de compensation intégrale des recettes fiscales supprimées est tenu. Vous demandez un engagement pour l'avenir ? C'est ce que nous avons fait depuis cinq ans : gardez-nous ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Sophie Primas.  - Nous n'oublions pas que vous souteniez la majorité précédente !

Finances publiques

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Il nous faudra aussi engager des réformes structurelles et réduire les dépenses publiques. Ne laissons pas croire aux Français que l'on pourra réduire la dette uniquement par la croissance. » Ce n'est pas un membre de l'opposition qui parle, mais l'un de vos ministres, monsieur le Premier ministre.

Le candidat Macron ne disait pas autre chose en 2017, en promettant 60 milliards d'économies. Cinq ans plus tard, notre rapporteur général ne le répète jamais assez, la dépense courante a augmenté de 60 milliards d'euros.

Autre engagement du candidat : faire des choix et définir des dépenses prioritaires. Le résultat, c'est que le « quoi qu'il en coûte » sanitaire a laissé la place au « quoi qu'il en coûte » électoral, avec 25 milliards d'euros de dépenses supplémentaires annoncés depuis juillet, hors plan de relance et France 2030.

La Commission européenne invite la France à rétablir un déficit de 3 %. Vous avez reporté la publication de votre programme de stabilité au lendemain des élections. Qu'allez-vous faire pour parvenir à cet objectif ? Les Français ont le droit de savoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)

M. Jean Castex, Premier ministre .  - Comme vous, j'attache beaucoup d'importance à l'équilibre des finances publiques : c'est une question de souveraineté. Or jusqu'au petit événement survenu au début de 2020 - rappelez-vous - elles étaient en voie de redressement. (On le conteste à droite.)

M. Bernard Jomier.  - Par sur la santé !

M. Jean Castex, Premier ministre.  - En 2019, le déficit public était inférieur à 3 %, ce qui a conduit la Commission européenne à lever la procédure pour déficit excessif. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)

Puis est arrivée la crise sanitaire...

M. Dominique de Legge.  - Elle a bon dos !

M. Laurent Duplomb.  - Et si ça recommençait ?

M. Jean Castex, Premier ministre.  - ... qui a eu des conséquences considérables : en 2020, le PIB a chuté de 9 %, contre 3 % en 2008-2009.

M. Vincent Segouin.  - Et l'Allemagne ?

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Le Président de la République a décidé le « quoi qu'il en coûte » pour soutenir les entreprises et les ménages, puis un plan de relance de 100 milliards d'euros.

C'était absolument indispensable. Surtout - c'est toute la différence avec 2008  - cela a été décidé et coordonné dans le cadre européen : 40 % de notre plan de relance sera remboursé par l'Union européenne et la Banque centrale européenne nous a accompagnés avec sa politique monétaire.

Et ça marche : 7 % de croissance en 2021.

Mme Sophie Primas.  - Après moins 9 % !

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Voyez le rapport du FMI, qui prévoyait que la France retrouverait son niveau de PIB de 2019 au début de 2022 : nous y sommes parvenus dès l'été 2021 !

Bien sûr, cela a creusé notre déficit et notre dette.

M. Laurent Duplomb.  - Et ce n'est pas grave ?

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Mais nous avons une stratégie de redressement. Ce ne sera pas la purge, en partie imposée par l'Union européenne (« Ah ! » à gauche) qui a conduit à un échec économique en 2011-2012, en augmentant le chômage. Il est au plus bas ! (On ironise à droite.)

Pensez aux jeunes ! Nous avons relancé l'emploi grâce à l'apprentissage : le chômage des jeunes a baissé de 10 % quand il augmentait de 31 % en 2008-2009. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Bernard Fialaire applaudit également.) Il y a 725 000 apprentis, du jamais vu ! (Mme Sophie Primas proteste.)

Nous avons une trajectoire pour revenir à 3 % en 2027 grâce à la réforme des retraites, qui devra intervenir au bon moment. (On ironise à droite.)

Les Français se féliciteront de nos choix économiques. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE et du groupe UC)

Mme Christine Lavarde.  - J'ai mal compris votre stratégie...

La dette de l'Irlande et des Pays Bas a baissé de 15 % entre 2017 et 2019. Si l'ancien conseiller économique devenu Président de la République avait géré les finances publiques comme l'Allemagne, nous aurions 1 000 milliards de dette en moins - soit dix plans de relance et trente plans France 2030 ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)

Recapitalisation d'EDF

M. Thierry Cozic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le Gouvernement a annoncé une recapitalisation d'EDF. C'est une décision louable, mais je crains que ce ne soit l'arbre qui cache la forêt. Les 2,1 milliards d'euros d'argent public que l'État actionnaire accorde à EDF d'une main ne font que compenser les mesures tarifaires imposées de l'autre main afin de rassurer les investisseurs privés. La confiance n'a pas de prix...

Vos tours de passe-passe ne masquent pas votre absence de vision de long terme : la politique du carnet de chèque ne peut être l'horizon indépassable de la politique énergétique.

La crise ukrainienne montre qu'il faut être le moins dépendant possible des fournisseurs étrangers. Nous avons besoin d'un État stratège pour garantir notre souveraineté énergétique. Vos mesurettes ne suffiront pas. Comment allez-vous garantir la viabilité du groupe EDF ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable .  - EDF traverse une situation particulière. En 2022, la production d'électricité sera au plus bas, du fait de l'arrêt de plusieurs réacteurs, ce qui occasionne 11 milliards d'euros de pertes pour le groupe.

M. François Bonhomme.  - Il ne faut pas s'en étonner !

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Dans le même temps, le Président de la République a annoncé à Belfort un plan d'investissement dans le nucléaire et l'éolien, avec six nouveaux réacteurs et cinquante nouveaux parcs éoliens.

Nous limitons l'augmentation de la facture d'électricité à 4 % : grosse mesurette tout de même, qui coûtera entre 7,7 et 8,4 milliards d'euros !

M. François Bonhomme.  - Ça ne marche qu'une fois !

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - L'État soutient totalement le plan d'action d'EDF, qui recevra un apport en capital de 2,1 milliards d'euros.

En prolongeant également son engagement à percevoir ses dividendes en titres en 2022 et 2023 : il réaffirme ainsi sa confiance dans la direction d'EDF, lui permettant de restaurer ses comptes tout en investissant pour l'avenir. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Politique d'éducation

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) C'est la Cour des comptes qui le dit - inutile donc, comme hier, de vous en prendre à moi, monsieur le ministre : la performance du système scolaire français reste médiocre malgré les moyens engagés.

La Cour préconise l'autonomie des établissements, qui fédère la communauté éducative. Or notre système est très centralisé, l'autonomie y est très encadrée, et la chaîne hiérarchique contrôle fortement les décisions : seules 10 % des décisions éducatives sont prises par les établissements et 2 % en totale autonomie.

Que répondez-vous à ce constat implacable de la Cour des comptes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports .  - Je dresserai un bilan général pour répondre par avance à votre réplique...

La réforme du lycée a fortement augmenté l'autonomie, laissant bien plus de latitude aux établissements comme aux élèves.

Plus globalement, de 2017 à 2022, les élèves de primaire ont progressé : c'est attesté par les chiffres, que la Cour connaît bien. Je pourrais vous parler des devoirs faits au collège, des cités éducatives et des vacances apprenantes, mais je m'en tiendrai aux fondamentaux : lire, écrire, compter, respecter autrui.

Sur la lecture à voix haute en CE1, l'écart entre les REP+ et les autres est passé de 14,1 points à 7,8 points à la fin du quinquennat. Sur la compréhension des phrases lues, les élèves qui entrent en CE1 ont gagné un point, alors que, d'après l'Unesco, la crise sanitaire a eu pour effet que 50 % des élèves de dix ans ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux. Notre politique porte ses fruits.

J'en profite pour saluer tous les professeurs de France. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. Max Brisson.  - Vos collègues ont été beaux joueurs, pas vous. Vous aviez promis plus d'autonomie ? Jamais les prescriptions normatives n'ont été plus prégnantes. Vous aviez promis de donner la priorité à l'école primaire ? Bilan : 28 % des élèves ont une maîtrise insuffisante en mathématiques. Vous aviez promis de rendre aux professeurs toute leur place dans la société ? Bilan : 93 % des professeurs de collège estiment que leur profession n'est plus appréciée et 1 500 ont démissionné en 2021. Vous aviez promis de retisser le lien de confiance entre la société et l'école ? Bilan : 53 % des Français estiment que l'école fonctionne mal,

Du haut de votre gestion solitaire, vous n'entendez pas la réalité : non, l'école ne se porte pas mieux qu'en 2017. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Réquisition des soignants outre-mer

Mme Chantal Deseyne .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Face à la dégradation de la situation sanitaire en Martinique et en Guadeloupe, vous avez fait appel au volontariat des soignants de métropole. Plusieurs centaines d'entre eux ont répondu à l'appel.

L'arrêté ministériel du 17 août 2021 sur l'indemnisation des soignants réquisitionnés s'appliquait normalement à eux. Hélas, il oublie nombre de professions : aides-soignants, laborantins, kinésithérapeutes.

À ce jour, si l'on en croit la presse, ils sont des centaines à attendre d'être indemnisés. Comment expliquez-vous cette situation inacceptable ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles .  - Je salue les soignants mobilisés depuis deux ans face à la crise sanitaire, notamment en outre-mer, où 9 000 renforts au total ont été envoyés. La solidarité nationale a joué à plein.

Les soignants concernés ont été rémunérés par l'arrêté que vous mentionnez, exception faite d'une centaine d'aides-soignants et une soixantaine de kinésithérapeutes, retraités, vacataires ou sans emploi et donc non couverts par l'arrêté du 17 août 2021. Nous l'avons modifié le 14 janvier pour régulariser la situation. Les versements de la Caisse primaire d'assurance maladie sont en cours. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Chantal Deseyne.  - Je vous remercie pour votre réponse. Certains se trouvent en difficulté financière depuis plusieurs mois.

La reconnaissance passe par une juste rémunération. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. le président.  - À l'occasion de ces dernières questions d'actualité au Gouvernement inscrites à notre ordre du jour avant la suspension, je tenais à vous remercier, monsieur le Premier ministre, pour la constance de votre participation. Malgré certains irritants, je sens que vous vous sentez bien ici... (Sourires)

Permettez-moi d'associer à ces remerciements ceux des membres de votre Gouvernement qui ont également contribué, par leur présence fidèle, à la vitalité de nos échanges.

Je salue particulièrement M. Fesneau, ministre des relations avec le Parlement. (Applaudissements)

Nos travaux parlementaires sont, à compter de la fin de cette semaine, simplement suspendus. Nos instances, commissions et délégations, poursuivent leurs nombreux travaux de contrôle.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que vous pourrez naturellement continuer à interroger le Gouvernement dans les prochaines semaines à travers les questions écrites. (Marques d'ironie à gauche et à droite)

À cet égard, et comme j'en ai déjà eu l'occasion lors de la dernière réunion de la Conférence des présidents, je veux dire solennellement l'importance que le Sénat attache aux réponses du Gouvernement à ces questions.

Or à l'approche de la fin de la législature, le nombre de questions en attente ne cesse d'augmenter. Monsieur le ministre de l'éducation nationale, par exemple, vous n'avez répondu à aucune question écrite depuis le 22 juillet... (Huées à droite et à gauche)

Monsieur le Premier ministre, je compte sur vous pour que cette période permette de combler ce déficit. (Applaudissements sur plusieurs travées)

Le Sénat restera disponible s'il apparaissait nécessaire de le réunir en séance plénière. Nous en parlerons vendredi avec les présidents de groupe et le président de la commission des affaires étrangères - cela concerne notamment la situation en Ukraine.

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Je remercie le Sénat, malgré nos divergences, légitimes en démocratie.

Nous avons beaucoup travaillé depuis ma prise de fonctions en juillet 2020 au service de notre pays, y compris en dehors des textes nécessités par la crise sanitaire.

L'actualité législative classique a en effet été équivalente à ce qu'elle était avant le Covid, ce qui revient à dire que nous avons doublé notre action au service de nos concitoyens. Cela n'aurait pas pu se faire sans une collaboration entre pouvoir exécutif et législatif. J'ai essayé d'exercer ma fonction dans le plus grand respect des deux assemblées, avec sincérité et dans le but de rechercher l'intérêt général. J'ai toujours voulu respecter les institutions de la Ve République, pour lesquelles j'ai un profond attachement.

Je vous remercie tout particulièrement, monsieur le Président -  nous avons créé ensemble les comités de liaison  - ainsi que les présidents de groupe, avec qui j'ai une relation de respect et de confiance.

Longue route à notre démocratie parlementaire ! (Applaudissements)

La séance, suspendue à 16 h 30, reprend à 16 h 45.

Engagement de la France au Sahel

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat sur cette déclaration, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à l'engagement de la France au Sahel.

M. Jean Castex, Premier ministre .  - La semaine dernière, le Président de la République a annoncé, en lien avec nos partenaires européens et africains, les principes d'un engagement renouvelé au Sahel, en cohérence avec l'annonce, faite en juin dernier, de la réorganisation de notre dispositif et compte tenu de la dégradation des conditions politiques de notre présence au Mali.

Cette décision a été prise collégialement, dans un cadre partenarial préservé avec nos alliés africains et européens. Elle traduit notre détermination à poursuivre notre engagement, dans l'esprit de Takuba, contre le terrorisme islamiste dans la région.

Cette nouvelle donne nous conduit à renouveler et à adapter notre dispositif en accélérant les évolutions décidées ces deux dernières années, en particulier lors des sommets de Pau et de N'Djamena. Cette réarticulation de notre engagement m'amène à m'exprimer devant vous cet après-midi au titre de l'article 50-1 de la Constitution.

Depuis plus de neuf ans, l'action des gouvernements a été marquée par un souci de transparence maximale dans l'information des assemblées. J'en veux pour preuve Ia constance avec laquelle votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous l'impulsion du président Christian Cambon, a travaillé sur le sujet ; je salue la très grande qualité de ses travaux.

Ce débat est d'abord l'occasion de nous incliner de nouveau devant le sacrifice de nos cinquante-neuf soldats morts au Sahel. J'ai une pensée particulière pour eux et leurs familles, ainsi que leurs camarades blessés.

À nos militaires qui s'engagent avec courage pour la sécurité des peuples sahéliens, je tiens à dire notre grande fierté et notre total soutien.

Plus largement, l'action de la France au Sahel est l'oeuvre de beaucoup : diplomates, gendarmes et policiers, personnels du secteur privé. Nous n'oublions pas non plus nos journalistes assassinés à Kidal en novembre 2013, non plus que nos jeunes humanitaires lâchement abattus au Niger en août 2020.

J'ai également une pensée pour nos ressortissants, dont la sécurité est l'objet de toute notre attention.

Je réaffirme notre soutien et notre amitié aux populations sahéliennes, en première ligne face aux groupes terroristes et qui, déjà frappées par une extrême pauvreté, sont les premières victimes de l'insécurité.

Notre débat doit être empreint de dignité et de responsabilité, alors que fausses informations et manipulations prospèrent, nourrissant les fantasmes.

Depuis le premier jour, notre présence au Sahel répond à un objectif clair : lutter contre les groupes terroristes à la demande des pays de la région et contribuer à la protection des populations.

De ce point de vue, nous avons obtenu d'incontestables résultats.

En 2013, le Mali était au bord de l'effondrement, et son armée n'était que l'ombre d'elle-même. Le nord du pays était aux mains de groupes liés à Al-Qaida. Grâce à la courageuse décision du président Hollande de répondre à l'appel pressant des autorités maliennes et de la région, l'offensive djihadiste a été enrayée ; en quelques semaines, la progression des groupes terroristes a été arrêtée et les repaires djihadistes du nord du pays, démantelés.

Nous avons ainsi neutralisé l'installation d'un proto-État islamiste. La création d'un tel sanctuaire pour Ies groupes terroristes aurait constitué un péril mortel pour la région et pour notre sécurité.

Par la suite, notre présence militaire au SaheI, toujours dans un cadre multilatéral, nous a permis de remporter, jusqu'à une période récente, des succès significatifs. Les objectifs fixés à nos forces armées ont été pour l'essentiel atteints : nous n'avons laissé aucun répit aux groupes terroristes, éliminant en particulier plusieurs de leurs chefs internationaux, dont, en juin 2020, l'émir d'Al-Qaida au Maghreb islamique.

Au sommet de Pau, les chefs d'État se sont accordés pour concentrer leurs efforts contre la filiale de Daech au Sahel, l'État islamique au Grand Sahara, qui s'installait dans la zone dite des trois frontières. Ces efforts ont été couronnés de succès, puisque nous avons neutralisé les quatre plus hauts cadres de cette organisation, dont son fondateur.

L'action résolue menée contre les groupes terroristes les a forcés à revoir leurs ambitions, renonçant notamment à l'instauration d'un califat territorial. Cette action concourt à la protection de nos compatriotes sur notre sol, car nous avons empêché les groupes djihadistes de se constituer une base territoriale d'où ils auraient pu se projeter pour nous attaquer.

Ces victoires, nous ne les avons évidemment pas obtenues seuls. Elles sont le fruit de la volonté des États sahéliens de traiter ensemble les défis de la région dans le cadre du G5 Sahel, que nous soutenons.

Nous nous sommes aussi efforcés d'impliquer de manière croissante les autres États européens dans notre démarche. Nos partenaires ont pris conscience que la sécurité de l'Europe se jouait aussi dans cette région. Notre rôle dans la reconstruction de l'armée malienne a été déterminant, avec la formation de plus de 15 000 cadres et soldats. Takuba, au sein de laquelle dix pays européens se sont engagés, incarne ce que les Européens sont capables de réaliser dans des environnements complexes.

Nous avons suivi une approche globale - orientation bien connue du Sénat. Le terrorisme et l'insécurité prospèrent sur la pauvreté et la faiblesse, voire l'absence, de l'État. La réponse de fond au terrorisme, ce sont des autorités démocratiquement légitimes, l'État de droit et le développement économique et social.

L'Alliance pour le Sahel, consolidée au sommet de Pau, traduit cet engagement de la communauté internationale, avec le financement de plus d'un millier de projets de développement.

Oui, notre action s'est fondée sur le principe selon lequel l'intervention d'une armée étrangère ne peut ni se substituer à l'action d'un État souverain ni s'émanciper d'un cadre multilatéral.

En sortant du cadre de la transition, les autorités maliennes ont fait le choix grave de rompre avec la communauté internationale. La France et ses partenaires africains et européens se devaient d'en tirer toutes les conséquences.

La communauté internationale a aujourd'hui comme interlocuteurs au Mali des autorités de fait issues d'un double coup d'État. Elles ont renié un à un leurs engagements. Les élections qui devaient se tenir dans quelques jours n'auront pas lieu, car la junte ne cherche qu'à se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible.

La Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest et l'Union économique et monétaire ouest-africaine ont placé le Mali sous un régime très strict de sanctions. L'Union européenne et toute la communauté internationale sont solidaires de cette décision.

Par ailleurs, le régime malien a décidé de s'appuyer sur une organisation privée de mercenaires russes, Wagner, dont le modèle économique repose sur la prédation des richesses des pays où elle opère. Cette milice nourrit la guerre, car la guerre la nourrit - on le voit bien en Centrafrique. Ses multiples exactions sont attestées.

Au contraire, l'appui européen et international dans lequel la France s'inscrivait s'exerçait sans contrepartie financière ni intérêts cachés.

Il ne nous est plus possible de nous investir dans un pays dont les autorités ne souhaitent plus coopérer, comme le montre le mauvais procès fait à nos alliés danois.

Peut-on imaginer un seul instant poursuivre nos efforts diplomatiques et financiers alors que nous sommes accusés d'avoir un agenda caché contraire aux intérêts du peuple malien ?

Nous devons repositionner notre dispositif hors du Mali.

Nous fermerons les bases de Gossi, Menaka et Gao.

Cela se fera en bon ordre et en toute sécurité ; les opérations dureront entre quatre et six mois.

Nous renforcerons notre logistique depuis la métropole.

Nous agirons en partenariat avec nos partenaires de Takuba, en bonne intelligence avec les forces armées maliennes et la Minusma.

Nous conduisons ces opérations suivant notre calendrier et notre organisation en donnant la priorité à la sécurité de nos soldats et de nos ressortissants.

Le Niger s'est dit disponible pour faciliter l'évolution du dispositif. Nous ferons transiter notre logistique par le golfe de Guinée.

Notre appui au peuple malien sera préservé via l'alliance pour le Sahel, sous réserve que ses programmes ne soient pas détournés au profit du terrorisme.

Nous continuerons d'oeuvrer pour le respect du mandat de la Minusma et des accords de paix d'Alger.

C'est sur des bases renouvelées que nous poursuivons notre engagement au Sahel.

Il n'y a pas que l'attitude de la junte malienne qui nous conduit à nous adapter, mais aussi l'état de la menace terroriste qui a évolué sous l'effet de l'action de la coalition liguée contre elle.

Ne pouvant constituer un sanctuaire, les groupes liés à Al-Qaida se sont disséminés dans l'ensemble de l'Afrique de l'ouest. L'attaque survenue au Bénin en octobre dernier, dans laquelle l'un de nos ressortissants a été tué, et à laquelle nous avons vigoureusement répondu, en témoigne avec acuité.

La reconfiguration de la menace terroriste nous conduit donc aussi à adapter notre stratégie et notre organisation. Précisément, nous tenons compte de la dissémination de la menace. Malgré la défection de la junte malienne, le G5 Sahel demeure un cadre pertinent de coordination.

Mais il faut aussi élargir la réponse aux zones périphériques du Sahel. Nous parlons des frontières du Bénin, de la Côte d'Ivoire, du Togo ou du Ghana.

Nous nous appuierons sur l'initiative d'Accra en lien avec la Cedeao. Nous sommes en pourparlers avec les pays de la région.

Mais la lutte contre le terrorisme ne sera gagnée localement que par les Africains eux-mêmes. Dès lors, nous devons construire l'avenir avec eux. Nous devons encore davantage soutenir les États et leur population.

En complément de ce qui se fait déjà, nous nous appuierons sur l'alliance pour le Sahel qui, depuis 2017, soutient les acteurs locaux en matière de développement.

Un effort doit être porté sur le volet civil de prévention. Je pense à des secteurs clés comme celui de l'éducation, à la justice et au social, qui permettent de renforcer la présence de l'État en lien avec la société civile.

Le Président de la République, jeudi dernier, après concertation approfondie avec nos alliés, a souhaité modifier la physionomie de notre présence militaire. Notre approche doit être encore plus intégrée, avec un dispositif plus souple, agile et modulable, reposant sur des implantations dont la taille et la localisation sont à revoir - nous en avons discuté avec le président Cambon.

Le redéploiement se fera au Niger, puis dans les pays voisins.

La France dispose de forces prépositionnées en Côte d'Ivoire et au Sénégal qui pourront venir en appui, sur demande.

Elle conduit des actions de coopération civiles et militaires qui pourront être réorientées.

Nous poursuivons nos engagements selon le même esprit Takuba qui a fait la réussite de nos opérations.

La présence de la France au Sahel doit évoluer, pas seulement parce que la position du gouvernement malien a changé. La France respecte profondément la souveraineté des États.

Nous prenons acte du changement radical opéré par la junte malienne, mais nous ne renonçons en aucun cas à notre objectif : la lutte contre le terrorisme islamiste pour protéger les populations locales et assurer la sécurité de notre propre pays.

Nous avons obtenu de réels succès dans des conditions extrêmement difficiles grâce à l'engagement exceptionnel de nos soldats, parfois jusqu'à la mort.

Nous continuerons d'appliquer les principes fondamentaux qui structurent notre intervention: le multilatéralisme, avec les États de la zone, ce qui n'est pas simple, ainsi que l'implication politique et militaire de nos partenaires européens.

Le recours à une approche plus globale, prenant davantage en compte les populations, est aussi une clé fondamentale de notre action.

Les questions majeures de sécurité sont imbriquées avec d'autres problématiques.

Ai-je besoin de rappeler notre vision de l'aide au développement, notamment depuis la loi ambitieuse, votée à l'unanimité du Parlement l'été dernier ?

C'est bien dans ce cadre global que s'inscrit la réorganisation de notre dispositif, en réponse aux évolutions des réalités géopolitiques de cette région et plus globalement de l'ensemble du monde.

Cette réorganisation est conforme aux intérêts de la France, de l'Europe et du monde. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP et UC ; M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, applaudit également.)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce débat est particulier ; vous venez de le rappeler, il intervient après la décision puis l'annonce du Président de la République de retirer nos forces du Mali pour les réarticuler ailleurs au Sahel. Je ne veux pas polémiquer. Nous devons avoir la bonne hauteur vis-à-vis de nos armées, que nous avons envoyées combattre là-bas pendant dix ans, sur un terrain difficile. Nous pensons en outre à nos 59 soldats qui y ont laissé leur vie. Je voudrais dire à leurs familles qu'ils ne sont pas morts pour rien, mais pour la France, pour nos valeurs, pour protéger le sol français. Ils sont tombés au champ d'honneur pour que le Sahel ne tombe pas aux mains des pires ennemis de la France.

Nous pouvons être fiers de l'action de nos armées en Afrique. Serval a été un succès : 400 djihadistes tués en deux mois, les principales villes du Nord libérées, les principales bases terroristes neutralisées ; sans la France, nous aurions eu Raqqa là-bas. Nous aurions eu la constitution de ce proto-État, de ce califat islamiste au coeur du Sahel.

Ce que nos armées ont fait, très peu d'armées auraient pu le faire dans de telles conditions, sur un territoire aussi large et avec des moyens, somme toute, assez limités. Leur mérite nous oblige.

En particulier, nous devons être intraitables contre les menées terroristes sur notre propre sol. Notre main ne doit jamais trembler sur le front intérieur.

Il importe aussi que le retrait du Mali ait lieu dans la dignité, et avec une sécurité totale pour nos forces.

Débattre à bonne hauteur suppose aussi l'honnêteté. Car à quoi sert un débat s'il est convenu et débordant d'autosatisfaction ?

Serval a été un succès. Barkhane, ensuite, nous a permis d'engranger des victoires : le leader d'AQMI a été tué en juin 2020, l'État islamique au Grand Sahara a été pratiquement neutralisé.

Mais il faut pousser plus loin l'analyse. Avec Barkhane, nous avons fait un pari : contenir les groupes terroristes en attendant la relève des forces locales. Ce pari, nous n'avons pas pu le gagner. Nous avons perdu la course de vitesse entre l'érosion naturelle des opinions publiques manipulées - la guerre informationnelle fait désormais partie de la guerre conventionnelle - et la montée en puissance des forces locales.

L'influence de la France en Afrique a-t-elle été renforcée ? Je ne le crois pas. Quant à la menace djihadiste, elle augmente plutôt, visant désormais des États dans le golfe de Guinée.

Il y a eu des erreurs, militaires et diplomatiques.

Sur le plan militaire, nous avons commis l'erreur de penser que nous pouvions nous disperser, alors qu'on ne gagne qu'en tapant vite et fort. Il y a eu aussi des illusions, comme celle de penser que nous pourrions relever en quelques années l'une des armées les plus faibles et les plus corrompues d'Afrique. Celle, aussi, de croire que le G5 Sahel pouvait exister sans la perfusion française et sans grammaire commune d'intervention.

Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé de l'esprit Takuba. Cela fut, en effet, de l'ordre de l'esprit, dans une dimension quelque peu immatérielle. Enlevez les 400 militaires français à Takuba, que reste-t-il ? Un esprit seulement. Quant à la Minusma, elle a tout juste été capable de se protéger elle-même - et encore, avec le concours de nos forces.

Mais les erreurs les plus importantes ont été diplomatiques.

En juin 2021, le Président de la République a annoncé un retrait progressif de nos forces, envoyant ainsi un double signal : à la junte, qui l'a saisi comme prétexte pour se jeter dans les bras de Wagner, et à nos partenaires, logiquement réticents à s'engager davantage.

La principale erreur fut de réinterpréter notre politique africaine, depuis le discours d'Ouagadougou, très tôt dans le quinquennat, en se fondant sur la société civile africaine - en pratique, une diaspora souvent issue de la grande bourgeoisie. En nous détournant des autorités, de fait ou de droit, nous avons désorienté nos partenaires. La voix donnée aux autorités publiques est devenue une parmi d'autres, dans le cadre d'ateliers...

Que faire, désormais ? Nous retirer et tirer un trait sur l'action menée ? Évidemment non. Nous devons rester au Sahel en nous redéployant et tirer les leçons de cette expérience.

Pour ma part, j'en tire trois leçons qui tiennent aux illusions françaises.

D'abord, on ne peut pas obtenir des résultats dans un État quasi failli, sans politique de développement à côté des opérations militaires. La France peut être un pompier qui éteint l'incendie, mais pas le gendarme qui restaure l'ordre. C'est là une illusion largement partagée en Occident.

Ensuite, peut-on se servir des opérations extérieures comme terrain d'entraînement pour un embryon d'armée européenne ? On voit très vite les limites de cette idée.

Enfin, entre notre angélisme et la realpolitik de la Russie et de la Chine, il y a une marge pour le réalisme. Faire avec les autorités en place, dialoguer avec elles, est nécessaire à une diplomatie efficace.

Dans l'Union européenne, nous seuls disposons d'un modèle complet d'armée capable de se projeter à l'extérieur. Le maintenir est essentiel, et nous saurons y veiller lors du vote des lois de finances.

L'Afrique est un continent en devenir, instable ; son avenir engage notre destin. À travers nos actions militaires, diplomatiques et de développement, nous devons rendre la présence française à nouveau souhaitable en Afrique. La France doit rester en Afrique : car de même que nos histoires sont communes, nos destins sont liés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées du groupe UC)

M. Jean-Marc Todeschini .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il y a trois semaines, lors des questions au Gouvernement, notre président, Patrick Kanner, vous a demandé ce débat. C'est un enjeu démocratique, alors que, tout au long du quinquennat, le Président de la République a préféré une approche descendante dans la relation entre exécutif et législatif.

Ce débat intervient après la décision présidentielle. S'agit-il encore d'un débat ? Pour autant, évitons les caricatures autant que le quitus aux décisions élyséennes.

Nous pensons avant tout à ceux qui sont morts pour la France. J'ai une pensée émue pour leurs familles, que j'ai rencontrées dans mes fonctions antérieures. La flamme du souvenir ne s'éteindra jamais !

Je salue le travail du service de santé des armées et de l'Institut national des Invalides.

Alors que le départ du Mali est annoncé, nous pensons aussi à toutes les ONG qui oeuvrent sur le terrain, ainsi qu'aux journalistes qui font vivre la liberté, en particulier Olivier Dubois, enlevé dans la région de Gao voilà dix mois et dont la famille est sans nouvelles.

Depuis neuf ans, les armées françaises sont engagées sur un théâtre d'opérations complexe. Répondant à l'appel du gouvernement malien, nos troupes sont intervenues en quelques heures en 2013, sur la décision de François Hollande.

Serval a consisté à se projeter rapidement pour protéger la démocratie. Cette opération n'a jamais été une offensive de conquête, et les armées française et européennes n'ont jamais été des forces d'occupation. Les relations avec les autorités locales ont toujours été claires.

Barkhane a ensuite été engagée, pour accompagner l'autonomisation de l'armée malienne. Il s'agissait de permettre au Mali de raffermir sa souveraineté face à la menace djihadiste, pas de construire un autre État ou d'imposer un parti au peuple malien.

Les armées françaises n'ont jamais été défaites. Tous nos soldats ont affronté le feu ; ils ont su se distinguer. Il nous revient de les honorer.

Les annonces des derniers jours ne traduisent pas une défaite militaire, mais un manque de clairvoyance de l'exécutif. La décision de quitter le Mali est prise sous la contrainte : contrainte du rejet de la présence française - c'est le fruit de la stratégie d'influence de Moscou - et contrainte diplomatique, consécutive à la rupture du dialogue avec une junte qui privatise le pouvoir à son unique profit.

Un retrait désordonné serait un cadeau aux terroristes. Je salue donc ce que vous avez dit hier à l'Assemblée nationale, monsieur le Premier ministre, s'agissant de la garantie de la sécurité de nos troupes.

Il y a aussi la contrainte liée à l'arrivée de Wagner. Comment mener des opérations en présence de ces fous de guerre, qui font commerce de la violence ? Nous ne pouvons prendre le risque d'être associés à ceux qui multiplient les exactions. L'avenir est écrit : après le départ des forces françaises, quand la junte sera à court de trésorerie, les mercenaires se paieront sur la bête. Tout cela pour quoi ? Les officiers de la junte sont des rentiers qui ne servent que leur intérêt.

Dans cette affaire, ce qui restera, ce n'est pas tant la décision de partir, mais l'instabilité et le manque d'anticipation. Vos fameuses lignes rouges, si elles ont existé, n'ont fait que reculer, comme autant de coups de poker à l'intention de Bamako et de Moscou.

En réalité, le Gouvernement s'est retrouvé dos au mur. La véritable ligne rouge, c'est celle que les événements nous imposent. Gouverner, c'est prévoir. Mais notre diplomatie n'a eu aucune prise sur le déroulement des événements.

Après avoir tenu la main de Trump, le Président de la République a enchaîné les gesticulations. Au Liban, l'initiative française n'a débouché sur rien. Dans la zone indopacifique, des interrogations demeurent sans réponse sur l'affaire des sous-marins australiens. La crise ukrainienne est un épisode de plus dans la même conception de la diplomatie.

Mais la politique étrangère n'est pas affaire de buzz et d'envolées sans lendemain : il y faut de la méthode et de l'assiduité, du sérieux et du sens de l'anticipation.

La France quitte le Mali par la petite porte. On nous explique que rien ne changera vraiment, que Barkhane continuera depuis les pays limitrophes. Mais quid du survol de l'espace aérien malien pour protéger la Minusma ?

Barkhane n'est qu'un exemple des embarras diplomatiques du Gouvernement. C'est toute notre politique étrangère que nous devons interroger, de notre réseau consulaire à l'aide au développement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Olivier Cigolotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue l'initiative du Gouvernement, qui a demandé l'inscription à notre ordre du jour de cette déclaration, suivie d'un débat. C'était indispensable.

Je rends hommage à nos soldats engagés au Sahel, aux régiments qui s'y sont succédé, aux 59 militaires qui y ont perdu la vie. Nos pensées vont à leurs familles et à leurs proches.

La France est engagée au Mali depuis 2013 ; neuf ans plus tard, loin d'être sur la voie de l'apaisement, le pays est dévasté.

Le Mali a été créé sur la base de l'ancien Soudan français, rassemblant des populations sans lien réel. Depuis 1960, l'instabilité politique a favorisé une évolution chaotique. Les accords de paix issus du processus d'Alger n'ont été que peu mis en oeuvre.

Trois phénomènes destructeurs sont à l'oeuvre dans le pays : les violences armées, la corruption des autorités, la progression des groupes djihadistes. Les autorités locales souhaitent négocier avec certaines composantes de ceux-ci. Dès lors, la constitution d'une armée nationale malienne était vouée à l'échec.

La crise malienne a une origine protéiforme : la rébellion touareg, la progression des groupes terroristes et les nombreux conflits communautaires.

Début 2020, le sommet de Pau avec les États du Sahel a permis de désigner l'État islamique au Grand Sahara comme ennemi prioritaire et les États de la région ont demandé à la France de les épauler dans la lutte contre le terrorisme.

Les coups d'État de 2020 et 2021 ont entraîné des complications supplémentaires et une ligne rouge a été franchie fin 2021 avec l'arrivée des mercenaires de Wagner. La junte n'est en effet pas à une provocation près contre les partenaires de Takuba et de Barkhane.

Après le coup d'État au Burkina, seul le Niger bénéficie d'un gouvernement légitime.

La montée du sentiment antifrançais a fini par rendre notre présence impossible. Comment expliquer ce changement, dans l'imaginaire local, d'une force de protection à une force d'occupation ?

Le retrait officialisé jeudi dernier de nos soldats semble l'option la plus adaptée pour continuer à agir dans cette région et soutenir les pays voisins d'Afrique de l'Ouest et du golfe de Guinée face aux groupes terroristes qui visent Dakar et Abidjan.

Nous devons pour cela nous rapprocher du Niger, à condition que notre présence soit validée démocratiquement par la population. Le gouvernement nigérien engagera prochainement sa responsabilité devant son Parlement sur le sujet. Comment la France envisage-t-elle sa coopération avec le Niger et les pays voisins ?

Le Président de la République a déclaré que la fermeture des bases françaises au Mali prendrait quatre à six mois. Ce processus complexe, alors que se profile la saison des pluies, devra être rapidement sécurisé. Il faudra également redéfinir Takuba avec les pays contributeurs.

Les enjeux relatifs à Eucap Sahel et à la Minusma nécessiteront des adaptations à ce contexte nouveau.

La France a-t-elle les moyens de rester seul leader de la lutte contre le djihadisme ? À l'heure de la présidence française de l'Union européenne, il faut oeuvrer à un partenariat européen durable et travailler avec les autorités légitimes des pays de la région.

Quitter le Mali, après les succès tactiques mais après l'échec stratégique de Barkhane, ne signifie pas la fin de la lutte contre le terrorisme ni le renoncement à la sécurité de la France et de l'Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. le président de la commission, MM. Alain Richard et André Gattolin applaudissent également.)

M. Alain Richard .  - Mes premières pensées vont à nos soldats engagés dans la région. Leur combativité et leur abnégation méritent notre respect et notre reconnaissance. Je rends aussi hommage à nos 59 soldats morts au Sahel et à leurs familles ; la Nation n'oubliera jamais leur sacrifice. Nous pensons aussi avec affection à leurs frères d'armes blessés. Leur action n'a pas été vaine et ils n'ont pas été vaincus. Serval, engagée en 2013 à la demande du président Traoré, a évité l'implantation des djihadistes et l'effondrement de l'État malien.

Après Serval, le processus démocratique a repris et les régions du nord ont été libérées. La France a su mobiliser ses partenaires pour lutter contre le terrorisme au Sahel, aux portes de l'Europe.

Pendant neuf ans, notre action commune a abouti à un cadre international fiable de soutien aux États de la région ; l'alliance Sahel reste un acquis solide.

Au Mali, la multiplication de groupes armés prétendant agir au nom de l'islam est aussi la conséquence de l'incapacité et de la corruption des autorités locales. Elle est la cause de l'échec du développement et de la sous-scolarisation. Les autorités religieuses n'ont pas su rétablir le dialogue et organiser le développement.

La persistance du terrorisme ne pouvait être réglée par les seules armées étrangères. C'est pourquoi les critiques maliennes contre l'armée française sont intolérables et irrespectueuses, relevant d'une manipulation médiocre.

La junte, arrivée au pouvoir après deux coups d'État successifs, ne propose aucune perspective crédible de transition démocratique avant 2025 et a abandonné les accords d'Alger. Elle a multiplié les provocations à l'égard de la France, alors que celle-ci était intervenue à la demande d'un gouvernement malien légal, lui. Nous approuvons donc la décision de retrait du Président de la République.

La junte s'est enfermée dans une logique d'isolement et de provocation contre ses partenaires, au détriment de la sécurité et des intérêts de sa propre population. Que penser de la décision d'utiliser ses faibles ressources à rémunérer Wagner plutôt qu'à déployer des services publics ? Nous connaissons les méthodes de cette société privée : intimidation des civils, violation du droit international, violences, exploitation des ressources des pays où il agit. Cela s'est vérifié en Syrie, en Libye et en Ukraine.

Les conséquences de l'arrivée de Wagner en Centrafrique nous préoccupent pour l'avenir de la Minusma, privée du soutien aérien français. L'Union européenne a donc décidé des sanctions le 13 décembre dernier.

Ne croyons pas que la Russie n'a aucun agenda géopolitique au Sahel. La désinformation russe, turque, chinoise et malienne poursuit des fins politiques et a conduit à alimenter injustement le sentiment antifrançais au Sahel. Il est dommage que nous n'ayons pas su contrer ces attaques. Cette leçon doit nous servir pour l'avenir.

Acté dès le sommet de N'Djamena, notre retrait militaire était nécessaire, au profit d'une coopération accrue et mieux dimensionnée. Cette nouvelle logique nous permettra d'adapter notre action à celles des terroristes, en lien avec le Niger et le Tchad, sans oublier les pays du golfe de Guinée.

Il faut mettre les civils au coeur de notre politique de lutte contre le terrorisme, en développant les programmes sociaux et économiques.

Dans cet esprit de résistance, nous approuvons les choix cohérents du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Pierre Laurent .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER) La dramatique situation malienne et le bilan désastreux de l'intervention militaire française ont des causes profondes. Les États du Sahel ont été affaiblis de longue date par l'ajustement structurel libéral. Les armées locales sont faibles, à l'image de leurs États. C'est la toile de fond de cette crise sécuritaire depuis dix ans.

Je pointais déjà l'impasse de Barkhane il y a un an, bien avant l'arrivée de la junte au pouvoir. Il s'agit de la quarante-deuxième intervention française en Afrique depuis les indépendances. À l'époque, nous disions : « la situation humaine, politique et économique du Mali empire. Dans ce contexte de déstabilisation sociale et politique, les islamistes continuent de développer leur sinistre entreprise. Les leçons des guerres menées au nom de la guerre contre le terrorisme ne sont pas tirées. À chaque fois, les pays sont laissés en proie au chaos pour des décennies. La désintégration de la Libye en est un exemple : elle est d'ailleurs directement à l'origine d'une partie des violences armées dans le nord du Mali. Dans quel état laisserons-nous le Mali et les autres pays de la région si nous poursuivons dans cette voie ? »

C'est pourtant ce que nous avons fait, alors que le désastre était prévisible, résultat de la militarisation à tout va. Les succès tactiques n'empêchent pas que 90 % du territoire soit en rouge sur vos cartes diplomatiques, et n'ont jamais tari le recrutement des entrepreneurs de violence.

En 2021, 2 000 évènements violents ont été recensés au Sahel causant la mort de 4 800 personnes. Ces chiffres, en hausse constante, sont en partie le fait de l'armée française. Citons le bombardement français de Bounti le 3 janvier 2021, qui a fait 19 morts civils, et les manifestants tués et blessés les 20 et 27 novembre 2021, au Niger et au Burkina Faso alors qu'ils tentaient d'empêcher le passage d'un convoi militaire français.

Cette guerre a aussi coûté la vie à 59 soldats français dont nous saluons la mémoire.

Le retrait français du Mali marque-t-il un changement de paradigme ? Certainement pas : la France continue à vouloir tirer les ficelles des régimes et mène une politique à géométrie variable d'un pays à l'autre. Nous appliquons contre le Mali les sanctions très dures de la Cedeao, qui touchent avant tout la population et la diaspora malienne en France.

Il faut enfin se concentrer sur l'aide au développement, parent pauvre de nos interventions en Afrique : 28 millions pour l'APD en 2021 au Mali, contre 900 millions d'euros pour Barkhane.

Non, la France-Afrique est loin d'être une vieille histoire. Il suffit de citer le ravalement de façade unilatéral du franc CFA en Eco et l'intervention de Nicolas Sarkozy le 24 janvier pour que l'ami de la France, Alassane Ouattara, avale la couleuvre de la vente des concessions portuaires détenues par Bolloré au groupe italien MSC. Il est temps de changer d'époque !

Nous devons soutenir les armées locales, avec des formations et des transferts de technologies, pour rompre avec l'ancienne puissance coloniale. La démilitarisation des relations internationales est une urgence, qu'il s'agisse de l'Europe ou de l'Afrique.

Il faut également renégocier les accords d'Alger. Inspirons-nous de la feuille de route de Lusaka afin de faire taire les armes en Afrique.

Luttons contre les paradis fiscaux qui accueillent chaque année 1 000 milliards de dollars venus d'Afrique, et consacrons 10 % de l'APD au soutien des systèmes fiscaux des pays en développement.

Il faut oeuvrer en faveur d'une politique monétaire de l'Afrique et de l'indépendance du franc CFA-Eco. La France doit agir pour que les droits de tirage spéciaux du FMI soient révisés et que les traités de libre-échange soient modifiés afin de favoriser un développement endogène.

Toute autre voie est vouée à l'échec ; ces dix dernières années le démontrent avec éclat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)

M. André Guiol .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.) Depuis quelques mois, la relation entre Paris et Bamako tenait de la chronique d'une mort annoncée. Il n'y avait guère d'autre alternative au retrait. Comment en sommes-nous arrivés là ?

L'arrivée au pouvoir de la junte, avec MM. Goïta et Maïga, a marqué un tournant, mais le sentiment antifrançais a des causes plus profondes.

Je salue l'action de nos soldats au Mali qui ont payé un lourd tribut mais qui ont enregistré de grands succès, avec l'élimination de chefs terroristes comme l'émir d'Al-Qaida en juin 2020. En 2013, Serval a préservé l'intégrité de l'État malien.

Mais gagner la guerre ne fait pas gagner la paix et Bamako n'a pas su engranger les gains des victoires militaires sur le terrain.

Devons-nous nous éterniser dans un État qui a failli ?

La présence militaire devrait être accompagnée par une action humanitaire. Ne faut-il pas conditionner le maintien des forces françaises à des objectifs de reconquête institutionnelle de l'État local ? Doit-on rester contre l'avis de la population ? La position de la France a toujours été compliquée dans ses anciennes colonies. En 2013, pourtant, Bamako l'a appelée à l'aide, avec le soutien de l'Union européenne et de l'ONU.

Désormais, la présence française est instrumentalisée par la junte et par Wagner et ses fake news.

Malgré les partenariats noués dans le cadre de Takuba, du G5 Sahel et de la Minusma, la France s'est trouvée en première ligne. Il faut aller plus loin en matière de défense européenne, car c'est la sécurité de notre continent qui se joue au Mali.

Sur le plan diplomatique, il faut aussi tirer les leçons de cette expérience. La France peut-elle accepter de négocier avec des États qui discutent avec les terroristes ? Le président Keïta voulait négocier avec des chefs d'Al-Qaïda, tant les indépendantistes Touaregs lui semblaient le principal ennemi. Senghor dénonçait le fait d'imposer la civilisation européenne déguisée sous les couleurs de l'universel.

Le Mali, au 144e rang du PNUD, a besoin de se développer, mais comment faire dans ce contexte ?

Certes, le retrait de Barkhane ne signifie pas l'abandon du Sahel. Après le départ du Mali, des digues sont à construire, mais avec qui ? Le Burkina, victime d'un putsch ? Le Niger, où la présence française est acceptée mais fragilisée ? L'Algérie, tapie dans l'ombre et avec laquelle nos relations fluctuent ?

Les sanctions économiques ne suffisent pas. Les religions sont instrumentalisées et le monde toujours plus inégal : les conflits sont partout, comme le montre l'Ukraine.

Seule la recherche du bonheur de l'individu est universelle. La réponse militaire doit toujours s'accompagner d'un engagement sur le terrain contre la pauvreté pour ne pas être rejetée par ceux qui réclamaient naguère notre aide.

Ceux qui sont censés nous remplacer ne feront pas nécessairement mieux que nous pour le peuple malien : rendez-vous est pris !

Enfin, la campagne de dénigrement lancée contre notre armée valide l'adage selon lequel l'important n'est pas ce qui est vrai mais ce qui est cru. Retenons-le ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC)

M. Claude Malhuret .  - Il y a un point commun entre le Mali et l'Ukraine : la dissipation d'une grandiose illusion. Le XVIIe siècle fut celui de l'ordre westphalien, le XVIIIe siècle, celui des Lumières et de la démocratie, le XIXe, celui de la domination par l'occident, le XXe, celui du combat à mort entre démocratie et totalitarisme. La chute du mur de Berlin a signé la victoire des démocraties : l'illusion s'est effondrée le 11 septembre 2001.

Le Choc des civilisations de Samuel Huntington, paru en 1996, était visionnaire. Les conflits idéologiques de la guerre froide ont été remplacés par des lignes de fracture entre civilisations. Nous observons le retour des religions, des nationalismes, des zones d'influence et l'affaiblissement des universalismes au profit des particularismes. Nous restons seuls ou presque à nous revendiquer de la démocratie dans un océan de régimes illibéraux, dictatoriaux, religieux, militaires ou totalitaires.

Le Mali en est un bon exemple, à la conjonction du djihadisme, de soudards anachroniques dénonçant le colonialisme soixante ans après l'indépendance, de l'influence économique de la Chine et de celle, militaire et politique, de la Russie.

De quand datent nos difficultés au Mali ? Du début ! Dès 2011, lors de notre oxymorique guerre humanitaire en Libye, nous avons laissé s'y aggraver la guerre civile, entraînant l'explosion des groupes djihadistes dans tout le Sahel, boostée par des trafics en tout genre. Barkhane ne pouvait que ne jamais finir, ou finir par un départ sans victoire définitive.

Lorsque la démocratie défaille, elle cède la place à l'extrémisme religieux ou aux centurions. Le dictateur paranoïaque de Moscou l'a compris, qui installe à Bamako un quarteron de colonels formés en Russie et y déchaîne les mercenaires de Wagner. Et c'est là que l'Ukraine fait écho au Mali. Poutine redoute la contagion si l'Ukraine réussissait sa marche vers la démocratie. En lançant 150 000 soldats sur l'Ukraine, il arrive à convaincre certains, ici même, qu'il est l'agressé.

Dans leur combat contre les dictatures, les démocraties ont un énorme handicap : la cinquième colonne des populistes d'extrême droite et d'extrême gauche qui ont un flair infaillible pour renifler les despotes. De Le Pen à Mélenchon en passant par Zemmour, c'est à qui gagnera le concours du meilleur caniche.

On ne peut qu'être effaré par la litanie des violations du droit international par la Russie. Invasion de la Géorgie, soutien aux sécessions de l'Ossétie, de l'Abkhazie, de la Transnistrie, crimes contre l'humanité en Tchétchénie et en Syrie, annexion de la Crimée, soulèvement du Donbass, pressions sur la Moldavie et les pays baltes, dénonciation maladive de l'OTAN, cyberattaques massives, chasse aux ONG, destruction du Boeing de la Malaysia Airlines, assassinat manqué de Navalny, exil forcé pour Khodorkovski et Kasparov, sans parler des multiples assassinats réussis. Et aujourd'hui, invasion !

Mais l'extrême droite et la vieille gauche anticapitaliste continuent de brailler leur antiaméricanisme rance. Comment pardonner aux Américains de nous avoir sauvés trois fois au XXe siècle ? Pour ces tyrannophiles, tout aussi responsables sont les dirigeants européens qui prônent la démocratie et l'État de droit, ce que l'ex-colonel du KGB ne supporte pas. Depuis trois jours, ils s'aplatissent devant Poutine, qui déclare que l'Ukraine n'existe pas, et pilonnent Macron, parlent de souveraineté et réclament la soumission de l'Ukraine.

Que les extrêmes tiennent ces discours de collabo est dans l'ordre des choses. Mais ils déteignent sur une partie de la droite républicaine qui est déjà zemmouro-poutinisée, et sur une autre qui me rappelle le toc-toc du parapluie de Daladier à Munich. Qui imaginerait De Gaulle à un conseil d'administration d'oligarques russes complices de Poutine et corrompus jusqu'à la moelle ?

En 1938, les nazis expliquaient que la nation autrichienne n'existait pas, qu'ils voulaient défendre les Allemands des Sudètes. N'est-ce pas la logorrhée de Poutine ? « Ceux qui oublient l'histoire sont condamnés à la revivre », dit Marx. C'est ce qui arrive.

Je partage l'analyse du Premier ministre sur la situation au Mali et rends hommage à nos soldats. Ils ne sont pas morts pour rien : depuis dix ans, ils ont empêché l'installation d'un califat islamique d'où seraient planifiés des attentats en Europe. Ils sont le symbole et le guide de ce dont nous aurons besoin à l'avenir : le courage. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur diverses travées du RDSE, du RDPI, des groupes UC et Les Républicains)

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

M. Guillaume Gontard .  - Un débat, c'est bien, mais avant les décisions, c'est mieux, surtout s'il est suivi d'un vote. Le Gouvernement ne se sera pas, là encore, illustré par sa considération du Parlement. Comme d'habitude, nous avons dû attendre la parole présidentielle, alors qu'un seul vote parlementaire avait autorisé l'intervention militaire au Mali depuis neuf ans.

La décision est restée confinée à l'Élysée, alors que nos voisins européens ont des pratiques différentes. Passer devant le Parlement prend certes du temps, mais ce n'est rien comparé à la durée des conséquences des décisions prises.

L'engagement militaire au Mali n'est plus viable, entre les refus de la junte, les manifestations antifrançaises et la présence sur place de 800 hommes de Wagner.

Avec le GEST, j'adresse nos pensées aux 59 soldats morts, à leurs familles, à leurs proches et aux blessés.

Le retrait ne rend pas la suite de la politique française au Sahel plus aisée. Comment fermer les bases de Ménaka, Gossi et Gao alors que nos soldats seront plus vulnérables à mesure que la présence française diminuera, et que la junte exige un retrait immédiat ? Quelle aide nos partenaires nous apporteront-ils ?

Plus stratégiquement, quel sera l'avenir des 13 000 casques bleus de la Minusma sans la protection des forces françaises ? Il faudra tirer les leçons de notre échec au Mali. Soyons honnêtes : des erreurs ont été commises, mais le Gouvernement ne le reconnaît pas en prétendant que notre retrait tient à l'arrivée de la junte et de la milice Wagner.

La France a soutenu, des décennies durant, des dirigeants autoritaires. Nos méthodes sont très verticales, comme le montre la convocation sommaire de nos partenaires à Pau, il y a deux ans. Refuser de reconnaître ces erreurs, c'est courir le risque qu'elles se répètent.

La task force Takuba n'a pas non plus fait l'objet d'un enthousiasme débordant.

Sur le plan politique, trois pays où la France intervient ont subi un coup d'État militaire alors que la France plaçait de l'espoir dans le G5 Sahel.

Bien qu'instrumentalisées, les manifestations antifrançaises ne peuvent être ignorées. N'oublions pas les frappes de Bounti en 2021, qui ont fait dix-neuf morts. On ne peut intervenir dans un autre pays contre sa population. Aucune intervention militaire ne peut advenir sans solution politique. Il faut prendre en compte les contextes locaux et communautaires et dépasser le tabou des discussions avec certains groupes armés.

Les besoins des populations doivent être au centre de notre stratégie : ce sursaut civil, annoncé au sommet de N'Djamena, doit arriver rapidement.

Il faut augmenter l'aide humanitaire pour les 2,5 millions de déplacés : les ONG estiment que seuls 48 % des besoins alimentaires sont satisfaits. Quelque 880 millions d'euros ont été consacrés à l'intervention militaire en 2020 contre 28 millions d'euros à l'aide humanitaire...

La PFUE est l'occasion d'élaborer un traité entre l'Union européenne et l'Union africaine : ce devra être un texte de coopération sur l'eau, l'alimentation, le climat ou encore le numérique. Notre stratégie doit être globale, sinon la réorientation de notre présence au Sahel ne sera qu'un nouvel enlisement pour la prochaine décennie. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Jean-Luc Fichet et André Gattolin applaudissent également.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, UC et INDEP) Ce débat était utile. Il y a un an, nous débattions de la poursuite de Barkhane, après un premier coup d'État au Mali. Il restait des motifs d'espoir : succès militaires, renforcement de Takuba et du G5 Sahel. Un an plus tard, la réalité est bien autre : les provocations de la junte de Bamako sont insupportables alors que 59 militaires ont fait le sacrifice de leur vie. J'ai une pensée douloureuse pour leurs familles et leurs compagnons d'armes. C'est pourquoi je tiens, à chaque fois, à me rendre aux Invalides pour le dernier hommage qui leur est rendu.

La junte a remis en cause nos accords militaires et la population est abreuvée de propagande antifrançaise : dès lors, comment rester ? Pour autant, ne renions pas ce que nous avons fait : nous avons agi conformément à nos valeurs, nous souciant du sort des populations maliennes, férocement ciblées par les djihadistes.

L'analyse du Sénat demeure : l'aide au développement est essentielle pour stabiliser le Sahel. La France a été au rendez-vous : en cinq ans, le Sahel a reçu 2,2 milliards d'euros de dons. Nous voulons être plus rapides et plus efficaces car la pauvreté est le terreau de l'extrémisme.

Militairement, Barkhane a fait progresser le front de la défense européenne : plusieurs partenaires nous ont rejoints dans Takuba, accroissant notre capacité d'agir en commun et forgeant une culture stratégique commune.

Comment poursuivre notre engagement ? Il faut endiguer le terrorisme dans les pays du golfe de Guinée, dans la nouvelle zone des trois frontières entre Bénin, Niger et Burkina afin d'éviter la jonction avec les terroristes au nord du Nigéria.

Cette évolution inquiétante peut encore être inversée par une action civile et militaire vigoureuse.

Certaines puissances étendent leur influence, comme le montre l'installation en Afrique de Wagner, qui met en coupe réglée les ressources de la République centrafricaine. Le Mali prend le même chemin. Là où la France défendait et investissait, Wagner sert de garde prétorienne à un pouvoir déliquescent et se paie sur les richesses de ce malheureux pays.

Il faut tirer les leçons du passé et faire les bons choix pour l'avenir. La précipitation nous replongerait dans les mêmes pièges fatals à Barkhane. Notre guide doit être le rôle que la France doit jouer : plus qu'un replâtrage, il faut une réflexion sur notre nouvelle stratégie en Afrique.

Notre redéploiement ne doit pas être une translation de Barkhane au Niger, où nous risquons de revivre les mêmes évènements : les campagnes antifrançaises y ont déjà commencé et le président Bazoum a subi une tentative de coup d'État deux jours avant son investiture. Attention à ne pas offrir un cadeau empoisonné à ce pays.

Le retrait est, de plus, une opération à haut risque, alors que la junte malienne nous met sous pression : elle doit savoir que nous prendrons le temps de protéger nos soldats.

Vous prévoyez une implantation plus petite, moins visible et plus variable : attention à ce que cela ne ressemble pas à notre interventionnisme à l'ancienne sur ce continent. En outre, il faut concentrer des moyens suffisants face aux groupes terroristes.

Enfin, après la fin de Takuba, avez-vous obtenu des assurances de nos alliés ? Quelles sont les intentions et les capacités des acteurs de la région, du G5 Sahel, des armées locales ? Qu'en sera-t-il de la mission de formation de l'Union européenne au Mali ?

Le président algérien a déclaré il y a quelques jours que la relation avec la France prenait une nouvelle tournure : impliquerez-vous ce pays dans notre action ?

Nos doutes demeurent. Nous souhaitons que le Parlement soit informé de façon régulière et transparente, après huit ans sans débattre. C'est à votre honneur, monsieur le Premier ministre, d'avoir organisé ce débat, condition du contrôle démocratique et du soutien de nos compatriotes à la lutte contre le terrorisme.

Engagement de nos armées et agilité de l'aide au développement : c'est ainsi que la France pourra mener le combat pour la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et UC ; M. Joël Guerriau applaudit également.)

Mme Florence Parly, ministre des armées .  - De profonds bouleversements politiques et sécuritaires en Afrique de l'Ouest, au Sahel et tout particulièrement au Mali ont conduit le Président de la République à engager une nouvelle étape de transformation de Barkhane.

Je veux avant tout rendre hommage aux 59 militaires tués depuis 2013 dans le cadre de ces opérations, ainsi qu'à ceux qui ont été blessés en combattant le terrorisme. Leur sacrifice n'a pas été vain.

L'engagement exemplaire des 125 000 soldats français qui se sont succédé au Mali pendant neuf ans n'a pas non plus été vain. Sans leur professionnalisme, leur détermination, leur ardeur au combat, le Mali aurait peut-être connu le destin de l'Irak et de la Syrie. Grâce à eux, le Mali n'est pas devenu un sanctuaire terroriste.

Depuis 2013, la situation politique a beaucoup évolué. Le Mali est désormais dirigé par une junte militaire qui a rompu tous ses engagements. Les conditions de notre présence ne sont plus réunies. C'est pourquoi, en concertation avec nos partenaires européens et sahéliens, nous avons pris la décision de quitter le Mali. Cette décision acte un état de fait : nous ne pouvons pas continuer un combat militaire aux côtés d'une junte qui a clairement signifié sa volonté de rupture avec ses partenaires.

Nous quittons le Mali mais nous aurions pu y rester plus longtemps si les circonstances avaient été différentes. Les seuls bénéficiaires des turpitudes politiques sont les groupes terroristes. C'est pourquoi nous allons poursuivre la lutte contre le terrorisme, aux côtés de nos partenaires européens et africains, avec des moyens plus légers, plus agiles, dans le cadre d'une stratégie collective adaptée aux évolutions de la menace. Nous prendrons en compte l'extension dangereuse du terrorisme vers l'Afrique de l'ouest, en intensifiant notre coopération de défense avec les pays du golfe de Guinée.

Pourquoi partons-nous du Mali ? Pour le comprendre, il faut se souvenir des raisons pour lesquelles nous y sommes allés. C'est à la demande des États de la région que nous sommes intervenus à partir de 2013, pour lutter contre le terrorisme.

Au cours de ces neuf années, la méthode a évolué mais les résultats ont toujours été là, grâce à nos militaires, mais aussi parce que le gouvernement malien rendait leur mission possible. Celle-ci était double : affaiblir les groupes terroristes et accompagner la montée en puissance des forces armées maliennes.

Or, la junte a choisi la rupture diplomatique et la provocation politique. En ne respectant pas le calendrier électoral, en faisant appel à Wagner, elle heurte nos valeurs. En renvoyant les forces danoises, en expulsant l'ambassadeur de France, en insultant publiquement les membres du Gouvernement français, elle choisit l'isolement.

Cette junte entrave aujourd'hui l'action de nos forces sur le terrain.

Les conditions ne sont plus réunies pour rester ; la cohérence exige que nous partions.

Nous ne quittons pas le Mali à cause d'un sentiment antifrançais, d'ailleurs difficilement mesurable. Cette vision est déformée par la loupe des réseaux sociaux, qui n'est pas exempte de manipulations de la part de nos compétiteurs. Barkhane, partout où elle a été déployée, a toujours été bien accueillie par les populations locales.

Si nous partons, c'est uniquement à cause de la rupture du cadre politique, imposée par la junte malienne.

Est-ce un constat d'échec ? En neuf ans, nous avons neutralisé les principaux chefs terroristes, désorganisé leurs structures, détruit leur ancrage territorial, et les avons obligés à se cacher.

Si échec il y a, c'est celui de la junte qui n'a pas la volonté politique de lutter avec détermination contre les groupes armés terroristes, et qui n'a rien obtenu sur le plan politique : il n'y a eu aucune avancée sur l'accord de paix et de réconciliation.

Nos objectifs étaient militaires : contrer les groupes terroristes et l'action de leurs chefs - le Premier ministre a détaillé nos succès -, mais aussi former les armées sahéliennes. Nous avons entraîné des milliers de militaires sahéliens, et avons combattu à leurs côtés.

En 2013, l'armée de terre malienne comprenait 7 000 hommes, l'armée de l'air, 1 000 hommes, mal équipés, mal entraînés. Aujourd'hui, l'armée malienne est forte de 40 000 hommes, formés et équipés. Elle est désormais capable de faire face aux groupes armés terroristes. C'est une grande réussite. Il appartient dorénavant au Mali d'entretenir ce que nous avons fait.

Nous avons permis le retour de l'État malien dans certaines zones et accru notre aide au développement.

Ce n'est pas parce que nous nous quittons en mauvais termes qu'il n'y a rien à retenir.

Que ceux qui osent parler d'échec regardent l'état du Mali en 2013 et m'expliquent comment nous aurions pu atteindre une victoire totale !

Nous avons redonné espoir à une population qui vit sous la terreur terroriste. Nous avons traité directement une menace très dangereuse. Aujourd'hui nous assumons nos actes et notre décision. Nous ne pouvons pas rester au Mali, alors nous partons.

Une opération militaire n'est jamais gravée dans le marbre. Serval et Barkhane se sont sans cesse adaptées en fonction d'une menace terroriste qui se propage vers le sud.

Dans le domaine militaire, il s'agit de se réarticuler pour prendre en compte la nouvelle géographie de la menace. Nous réduisons notre empreinte au profit d'une présence plus diffuse et plus intégrée avec les forces armées avec lesquelles nous coopérons.

Takuba va perdurer, mais évoluer. En deux ans, nous avons réussi à accomplir ce que nous attendions de l'Europe de la défense depuis cinquante ans : monter une coalition entre dix États européens militairement capables et politiquement volontaires, avec des soldats d'élite européens qui montent au combat face aux terroristes.

Les résultats ont largement dépassé les attentes initiales. Comment parler « d'illusion », quand cette force a neutralisé une trentaine de djihadistes entre le 1er et le 6 février, que le président Bazoum s'est dit prêt à accueillir un dispositif comparable sur le territoire nigérien ? Takuba a rempli son objectif opérationnel. Son départ du Mali ne signe pas sa fin ; des échanges auront lieu ces prochains jours avec nos partenaires.

La lutte contre le terrorisme s'arrête-t-elle aujourd'hui ? Évidemment que non ! Nous allons poursuivre notre engagement avec nos alliés européens et africains. C'est la forme de notre présence qui évolue.

Nos opérations continuent.

Wagner est-elle la cause de notre départ ? Non. La cause, c'est la rupture provoquée par la junte malienne. Mais Wagner est le symptôme de la volonté de la junte de se maintenir à tout prix au pouvoir et de s'isoler de la communauté internationale.

Wagner s'est déjà déployé dans plusieurs pays. C'est un système fondé sur la violence, les exactions contre les populations civiles, la prédation des ressources. Il isolera le Mali.

Nous prenons toutes les mesures nécessaires pour sécuriser le désengagement de nos militaires. Nous nous préparons au pire - c'est le propre des militaires. Nous suivons activement le déploiement de Wagner sur le terrain et nous tenons prêts à réagir avec la plus grande fermeté à toute menace sur la force Barkhane. Nous ne tolérerons aucune provocation ni entrave durant notre redéploiement.

M. Christian Cambon, président de la commission.  - Très bien !

Mme Florence Parly, ministre.  - Je remercie le Sénat pour la qualité de nos débats en séance publique, lors de l'examen de la loi de programmation militaire ou lors de débats de contrôle, et de nos échanges en commission. La défense nationale et la protection des Français sont des enjeux qui dépassent les clivages partisans.

Monsieur le président Cambon, l'information transparente et régulière des parlementaires participe de la compréhension par les Français de notre action. Je reste à votre disposition pour vous rendre compte. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Bruno Sido et M. le président de la commission applaudissent également.)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Je me réjouis de la qualité des interventions, de leur rigueur et de l'absence de polémique.

Je suis ému. J'étais ministre de la Défense lorsque le président Hollande a pris la décision courageuse d'engager les forces françaises au Mali. J'ai présidé aux obsèques du chef de bataillon Damien Boiteux, premier mort pour la France, au premier jour des opérations.

J'ai inauguré dans les jardins de l'ambassade de France une stèle en hommage aux 59 morts pour la France, pour le Mali, pour notre sécurité.

J'ai de la tristesse et de la colère face à la non-reconnaissance de nos actions, de notre soutien, par des autorités qui se sont imposées par la force au Mali. Nos forces sont qualifiées de forces d'occupations, nos militaires de mercenaires par les successeurs de ceux qui ont appelé la France au secours pour éviter que le Mali ne devienne un État djihadiste.

Nous avons décidé de réarticuler nos dispositifs, en abandonnant nos positions initiales.

Monsieur le président Retailleau, le search c'est Pau ; le sursaut civil, c'est N'Djamena. Ce sont deux étapes différentes. S'il y a un échec, c'est celui des accords d'Alger. Car une solution politique est bien sur la table, monsieur Gontard : elle a été initiée en 2015. Des papiers ont été signés, prévoyant une réintégration des groupes armés signataires dans les forces maliennes, une décentralisation, une mise en valeur des capacités du nord du pays. Les Nations unies ont validé ces accords. L'Union africaine les a soutenus.

Comment se fait-il que les accords d'Alger soient restés lettre morte ? C'est peut-être là qu'il faut chercher des responsabilités.

M. Alain Richard.  - Très bien !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - La diplomatie algérienne n'est pas en cause ; l'inertie était telle que tout le monde a abandonné. Les anciens responsables politiques maliens ont une part importante de responsabilité, il faut le dire. (Mle président de la commission approuve.)

Monsieur Todeschini, la réalité d'aujourd'hui, c'est la diffusion du terrorisme sur tout le continent africain. Nous ne sommes plus en 2013, avec une colonne qui fond sur Bamako. La dissémination du terrorisme d'Al-Qaida et Daech ne se limite pas au Mali ni à la zone des trois frontières : elle atteint le golfe de Guinée, le Nigeria, le Tchad, la Somalie, le Mozambique. L'inquiétude sur la sécurité devient continentale.

Vous avez dit que nous n'avions pas vaincu le terrorisme.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Je n'ai pas dit ça !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Ce sujet, auquel était dédiée la dernière assemblée générale de l'Union africaine, est crucial, pour l'Afrique mais aussi pour l'avenir des Européens.

Alain Richard l'a dit, nous sommes confrontés à un enjeu de contre-offensive dans le domaine de l'information, face à l'entreprise de manipulation menée par certains États - et pas que la Russie. Cela impose un partenariat nouveau avec les Africains.

Oui, monsieur Retailleau, il est difficile d'agir dans un État quasi failli. Le terrorisme se développe dans les failles des États affaiblis ou non structurés. C'est pourquoi il faut soutenir la démocratie en Afrique.

Notre posture au Sahel, tant militaire que civile, n'a cessé d'évoluer. Nous sommes passés d'un engagement de substitution à l'armée malienne à un engagement de partenariat, puis à une logique de soutien à la force conjointe du G5 Sahel, puis à une européanisation, puis à une présence internationale dans le cadre de la Minusma et de Takuba - toujours soutenue par des résolutions des Nations unies. (M. Alain Richard opine.)

Cette agilité se traduit aussi dans le domaine civil. Parallèlement à Barkhane, nous avons lancé avec les Allemands l'alliance pour le Sahel, qui réunit 25 États, les cinq du Sahel et vingt partenaires extérieurs. Depuis son lancement en 2014, elle a permis de mobiliser 22 milliards d'euros sur l'ensemble de la zone. Grâce à l'alliance pour le Sahel, plus de 6 millions de Sahéliens disposent désormais de l'eau potable, 600 000 foyers ont accédé à l'électricité, 2 300 magistrats ont été formés.

L'AFD y a contribué significativement, avec d'autres.

Lorsque des territoires sont libérés des terroristes, il faut y accompagner le retour immédiat de l'État. (M. le président de la commission approuve.) Daech et Al-Qaida se battent pour récupérer les territoires libérés. Le retour de l'État, c'est-à-dire de l'école, du dispensaire, de la sous-préfecture, est essentiel. C'est bien là où l'État est revenu que la sérénité et la paix ont progressé, en Mauritanie par exemple ou au Niger : la priorité du président Bazoum est que l'État reprenne sa place là où les terroristes sont vaincus.

Nous sommes dans une logique de transformation permanente de notre action; c'est pourquoi le Président de la République a souhaité une réarticulation de notre dispositif tant civil que militaire. Nous y travaillons, avec nos partenaires européens et africains, dans le sens d'une présence plus légère et mieux intégrée aux forces locales.

Takuba a servi de laboratoire en la matière et son esprit souffle toujours, monsieur Retailleau. J'ai participé tout à l'heure au Conseil des ministres allemand ; j'ai senti l'attention allemande sur la nécessité de poursuivre cet objectif de sécurité. Le partenariat militaire avec l'Afrique est une condition de notre sécurité.

Il faut aussi ajuster notre modèle civil en développant une approche préventive, pour empêcher les territoires de basculer, notamment dans le nord du golfe de Guinée : Côte d'Ivoire, Togo, Ghana, Bénin. Ils demandent que les Européens soient partenaires de cette stabilisation, indispensable face à la montée des périls.

Nous agissons dans le cadre de la coalition internationale pour le Sahel, composée de soixante partenaires essentiellement européens, mais aussi des organisations internationales. Le travail continue, vu l'ampleur de l'enjeu.

Le président Cambon appelle à refonder notre relation avec le continent africain. C'est précisément ce que souhaite le Président de la République, et le sixième sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine, qui s'est tenu la semaine dernière à Bruxelles sous présidence française, a acté une alliance nouvelle. L'Union européenne s'affirme comme premier partenaire du continent et les Africains se mobilisent pour une nouvelle donne, qui intègre les enjeux de souveraineté sanitaire et vaccinale. La mobilisation des DTS pour l'Afrique, monsieur Laurent, est actée, à hauteur de 100 milliards de dollars - une initiative française !

Il nous faut poursuivre les investissements en matière d'infrastructures, de transition énergétique, d'agroécologie. La Grande Muraille verte doit être mise en oeuvre au Sahel. Je suis heureux que l'ancien président Issoufou soit considéré comme le leader de cette opération, comme il le montrera dans dix jours à Montpellier.

Nous ne devons pas abandonner les forces vives de la société civile malienne à la junte ; je profite de cette tribune pour leur lancer un message de soutien et d'amitié. Des liens très forts nous unissent. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Cadic.  - Bravo !

La séance est suspendue quelques instants.

Emploi pour les chômeurs de longue durée

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à créer une garantie à l'emploi pour les chômeurs de longue durée, dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social, présentée par M. Patrick Kanner et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.

Discussion générale

M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le présent texte part d'un constat partagé : le chômage de masse, ce poison lent qui mine nos sociétés, menace notre modèle social et nourrit le populisme, n'est plus l'exception mais la règle.

La reprise économique qui suit la crise sanitaire offre au Gouvernement l'occasion de se réjouir des bons chiffres du chômage au sens du BIT. Mais avec 5,659 millions de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi, toutes catégories confondues, le poids du chômage leste notre société, surtout quand nous connaissons les effets délétères de votre réforme de l'assurance chômage...

Certes, les mesures d'accompagnement existent, nous avions d'ailleurs proposé de les étendre avec le revenu minimum jeunesse, nous heurtant au mur de la majorité sénatoriale et du Gouvernement. Vous nous opposiez l'insertion par l'emploi - autrement dit, changer de trottoir. Or l'un n'exclut pas l'autre, comme le montre cette proposition de loi audacieuse.

Le chômage de longue durée, soit l'absence d'activité pendant plus d'un an, concerne 40 % des demandeurs d'emploi en France. Ce n'est pas marginal ! Il faut éviter qu'ils n'atteignent un point de non-retour, vecteur de déclassement social irrémédiable. Le droit d'obtenir un emploi figure dans notre Constitution ; il faut le rendre effectif.

Avec Hémisphère Gauche et l'Institut Rousseau, nous sommes partis du constat que la pénurie est engendrée non par un manque d'offres, mais par une organisation du marché de l'emploi qui éloigne certains durablement de l'emploi, les plongeant dans la précarité

À l'État de corriger cette injustice, pour que la relégation d'une partie de la population ne soit jamais une fatalité ou un invariant.

Nous proposons ainsi que chaque chômeur de longue durée se voit proposer un emploi à temps choisi payé au SMIC horaire.

Le dispositif n'impose rien ; il évitera à ceux qui en bénéficieront de s'enliser dans la trappe à pauvreté qu'est le chômage de longue durée et leur permettra de rebondir ensuite vers un emploi mieux payé.

Pour répondre à la demande, il nous faudrait créer un million d'emplois. Utopie ? C'est pourtant ce que notre proposition permettrait, pour un coût inférieur aux politiques existantes.

Pour y parvenir, nous engageons une montée en charge des contrats aidés et développons l'insertion par l'activité économique. Nous nous appuyons aussi sur l'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), qui a fait ses preuves. Plutôt que de la généraliser, nous proposons de supprimer le plafond de soixante territoires et de simplifier l'habilitation de nouveaux territoires par simple arrêté préfectoral.

Ensuite, nous avons orienté notre texte vers un déploiement d'emplois dits verts. Pour embarquer tous les citoyens dans la dynamique de transition écologique, l'État doit offrir aux Français, notamment aux plus éloignés de l'emploi, des perspectives nouvelles. Cette approche inclusive et solidaire est le préalable à toute transition énergétique d'envergure.

Les emplois verts représentent 1,8 % seulement de l'emploi en France ; trop peu au regard des besoins. De nouvelles compétences vont se déployer : à nous de les encourager. Mais déjà de nouveaux emplois peuvent être créés en lien avec les besoins de transition, notamment dans le secteur agricole.

Je réponds au procès en utopie : le financement de cette garantie ne pose aucun problème. Cette mesure permettrait même d'économiser de l'argent public, le coût du chômage de longue durée étant estimé à 36 milliards d'euros par ATD Quart-Monde. Notre dispositif coûterait moitié moins. En supprimant la flat tax, en instaurant un impôt de solidarité sociale et climatique sur le capital, en annulant la baisse des impôts de production, en augmentant le taux de la taxe sur les transactions financières, nous nous donnons les moyens d'enclencher cette dynamique vertueuse.

À terme, la garantie de l'emploi sera financée par la transformation des allocations et des aides sociales. C'est là le meilleur moyen de lutter contre le soi-disant assistanat.

Le bilan de quarante ans de politiques de lutte contre le chômage est décevant. Avec cette proposition audacieuse et vertueuse, offrons la possibilité de sortir de cette ornière ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - La création d'une garantie d'emploi pour les chômeurs de longue durée vise à concrétiser le droit à obtenir un emploi proclamé par le préambule de la Constitution de 1946. Il s'agit d'aller à la rencontre des personnes privées d'emploi, de les accompagner et de les former.

La privation d'emploi ne se réduit pas à la catégorie administrative des 2,6 millions de demandeurs d'emploi de longue durée ; elle concerne aussi de nombreuses personnes découragées ou invisibles qui n'apparaissent pas dans les statistiques.

Aux fins d'éradiquer le chômage de longue durée, cette proposition de loi mobilise plusieurs outils existants relevant de l'économie sociale et solidaire (ESS). Les contrats aidés, assortis du versement à l'employeur d'une aide à l'insertion professionnelle, ont le plus souvent été utilisés comme outils conjoncturels de lutte contre le chômage ; il s'agit d'en faire des instruments d'insertion.

L'article 3 fixe à compter de 2023 un nombre minimum de 200 000 contrats aidés dans le secteur non marchand ; l'article 4 en impose 50 000 dans le secteur marchand.

Il s'agit par ailleurs de favoriser l'insertion professionnelle des personnes éloignées de l'emploi au sein des structures de l'insertion par l'activité économique (SIAE). L'ambition du Gouvernement - 240 000 postes à la fin du quinquennat dans les SIAE - reste très théorique.

Quant à l'expérimentation TZCLD, elle est la solution de dernier ressort, la voiture-balai des politiques de l'emploi. En postulant que nul n'est inemployable et en visant l'exhaustivité, elle apparaît comme la nouvelle frontière des politiques de lutte contre le chômage d'exclusion.

L'article premier propose de la pérenniser sans attendre 2026 et d'accélérer son extension, en multipliant par cinq tous les deux ans le nombre de territoires concernés. Sa cible serait également élargie aux moins de 25 ans privés d'emploi depuis six mois et domiciliés depuis trois mois dans un des territoires concernés.

Face aux réserves des acteurs de l'expérimentation et pour respecter la démarche de territoire, je préfère une suppression du plafond actuel de soixante territoires : ainsi, tous les projets émergents remplissant les conditions du cahier des charges pourront être éligibles immédiatement par simple arrêté.

La proposition de loi oriente cet investissement vers des activités contribuant à la lutte contre le changement climatique, secteur déjà investi par l'insertion par l'activité économique (IAE) : 38 % des entreprises à but d'emploi (EBE) relèvent du secteur de la transition écologique.

L'article 3 prévoit que les aides ne seront accordées que si le contrat aidé porte sur la protection de l'environnement ou la gestion des ressources. L'article 4 conditionne l'aide au poste dans le secteur marchand aux engagements pris en matière de décarbonation. Cette orientation est souhaitable si elle reste souple.

Cette expérimentation porte en elle son financement en ce qu'elle réduit le coût, élevé, du chômage de longue durée.

La proposition de loi comporte également un projet de réforme fiscale ambitieux, à hauteur de 10 à 11 milliards d'euros, en vue de réduire les inégalités sociales.

Une partie de la baisse des impôts de production initiée en 2021 sera annulée pour certaines entreprises non vertueuses, qui ont continué à réaliser des bénéfices durant la crise. Cela pourrait rapporter 7 milliards d'euros.

L'article 6 rétablit l'impôt sur la fortune (ISF) sous la forme d'un impôt climatique sur le capital. L'ISF avait été supprimé en 2018 au profit de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) pour inciter à investir dans les entreprises, sans résultat probant si ce n'est pour les plus riches.

Sera également supprimé le prélèvement forfaitaire unique, devenu depuis 2018 l'option par défaut de taxation des revenus du capital.

Nous instaurons également une taxe additionnelle sur les transactions financières qui pourrait rapporter plusieurs centaines de millions d'euros, juste contribution des marchés financiers à la lutte contre le chômage de longue durée.

Face à l'urgence sociale et la crise environnementale, nous devons agir.

La commission des affaires sociales n'a pas adopté ce texte, ce que je regrette. Je vous invite néanmoins à le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le groupe SER nous présente son texte créant une garantie à l'emploi pour les chômeurs de longue durée dans des activités utiles à la reconstruction écologique et au développement du lien social.

Je partage son objectif et le diagnostic sur la nécessité de donner un emploi à chacun, afin qu'il trouve sa place dans la société.

Vous jugez le bilan du Gouvernement insuffisant en matière d'emploi : pourtant, l'émancipation par le travail est au coeur de nos préoccupations depuis le début du quinquennat.

Votre proposition, loin de régler le problème, déstabiliserait les acteurs du marché de l'emploi et détricoterait des réformes majeures.

Il me semble prématuré d'étendre l'expérimentation TZCLD, dont nous défendons l'intérêt. Respectons le texte de la récente loi du 14 décembre 2020 et n'allons pas plus vite que la musique ! L'objectif est d'étendre l'expérimentation à cinquante nouveaux territoires : neuf supplémentaires en bénéficient déjà. L'efficacité du dispositif est encore insuffisamment évaluée.

Il ne faut pas accélérer au détriment du parcours des personnes et des projets des territoires. Vous connaissez ces derniers, mais savez aussi l'importance, parfois, de prendre le temps nécessaire.

La création de 100 000 contrats supplémentaires en IAE d'ici 2023 est intéressante, mais vous semblez ignorer ce que nous faisons dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté : orienter 100 000 travailleurs supplémentaires vers les métiers en tension entre 2018 et 2022. La moitié du chemin a déjà été parcourue avec 55 000 personnes de plus accompagnées en 2021 par rapport à 2017. Dans notre département du Nord, monsieur le président Kanner, Vitamine T compte plus de 3 000 salariés en parcours d'insertion.

Brigitte Klinkert a versé 400 millions d'euros aux structures de l'IAE, pour les aider à surmonter la crise, mais aussi à se positionner sur les métiers du BTP, de l'hôtellerie-restauration ou de la transition écologique.

Aussi, je crois que votre objectif est satisfait : à une exception près, nous ne sommes jamais passés sous la barre des 100 000 personnes accompagnées depuis 2017.

Le recours aux contrats aidés n'est pas opportun pour développer les emplois verts, même si je vois bien là une tentative de « en même temps » de votre part. Vous prévoyez 200 000 contrats aidés dans le secteur de l'ESS et 50 000 dans le secteur marchand : considérer ces dispositifs comme un soutien à la transition écologique serait un dévoiement des contrats aidés. Nous préférons qu'ils concernent l'ensemble des métiers en tension.

Il est possible de mener de front les deux combats - insertion et transition écologique - sans mélanger les outils, pour préserver leur lisibilité. Le service civique, par exemple, est souvent utilisé par les maires en matière de transition écologique... (Murmures de protestation sur les travées du groupe SER)

Nous investissons 15 milliards d'euros dans le plan d'investissement dans les compétences et 1,4 milliard d'euros dans le plan de réduction des tensions de recrutement.

Nous portons le même objectif que le vôtre s'agissant des demandeurs d'emploi de longue durée puisqu'ils reçoivent 1 000 euros pour se former.

Enfin, nous en avons déjà parlé lors de précédentes campagnes électorales, la commande publique et privée est aussi un levier efficace : les collectivités ont un rôle à jouer en matière de clauses sociales et environnementales, telles que prévues par la loi Climat.

Vous l'aurez compris, le Gouvernement n'est pas favorable à ce texte, qui détricote certaines de ses réformes. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Avis sur des nominations

Mme la présidente.  - Conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l'article 13 et à celles de l'article 56 de la Constitution, la commission des lois a fait connaître qu'elle a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable à la nomination de M. François Seners et un avis défavorable à celle de Mme Jacqueline Gourault aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n°2010-837 et de la loi ordinaire n°2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, elle a émis un avis favorable à la reconduction de M. Julien Boucher aux fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

La séance est suspendue à 20 heures.

présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Emploi pour les chômeurs de longue durée (Suite)

Discussion générale (Suite)

Mme Laurence Cohen .  - La proposition de loi de nos collègues du groupe SER vise à réduire le nombre de chômeurs de longue durée. Au quatrième trimestre 2021, la France comptait 2,2 millions de chômeurs, dont 700 000 depuis plus d'un an, auxquels s'ajoutent 2 millions de personnes sans emploi n'entrant pas dans les critères de Pôle Emploi.

Ce texte s'appuie sur les travaux des associations, dont l'ONG ATD Quart-Monde que je remercie pour son travail sur le coût du chômage de masse pour la société : perte de richesses, de cotisations sociales et de consommation, mais aussi dommages psychosociaux. Comme l'a bien montré Cathy Apourceau-Poly lors de sa rencontre avec les anciens salariés de Bridgestone, il s'agit surtout d'un coût humain.

Il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver un emploi. Le chômage entraîne aussi une perte de lien social. Cette proposition de loi déculpabilise enfin les chômeurs.

Ce texte propose une refonte de la fiscalité : il revient sur la baisse des impôts de production, rétablit l'ISF, supprime la flat tax et augmente la taxe sur les transactions financières. Nous avions défendu de telles mesures à chaque discussion budgétaire : pourquoi n'ont-elles pas été mises en oeuvre sous le quinquennat précédent ?

Nous proposons une sécurité de l'emploi et de la formation, un plan de recrutements publics, l'augmentation des rémunérations dans la fonction publique de 30 %, un SMIC à 1 500 euros ainsi que l'abrogation de la loi El Khomri, des ordonnances Macron et de la réforme de l'assurance chômage. En ce sens, ce texte ne va pas assez loin : nous nous abstiendrons.

Mme Brigitte Devésa .  - Je salue la clarté du rapport de M. Fichet et le groupe SER qui a demandé l'inscription de ce texte à l'ordre du jour. Il a le mérite de proposer un projet de société et de s'attaquer au chômage de masse qui mine la société de l'intérieur et rend nos élites apathiques, découragées, se réjouissant d'un taux de 8 %...

Ce texte détaille les mesures financières qui accompagnent des créations d'emplois. Voilà presque un programme présidentiel !

L'intention est louable, d'autant que l'emploi serait un droit constitutionnel, même si les juristes s'opposent sur ce point entre droit à l'emploi et droit au travail.

D'ici 2030, la moitié des agriculteurs partiront à la retraite ; près de 50 000 emplois ne sont pas pourvus dans le transport routier, ils pourraient être 100 000 dans cinq ans ; marins et officiers manquent. À cela, votre texte n'apporte pas de solution, comme au manque de candidats dans les métiers du bâtiment - couvreurs, chaudronniers, charpentiers, plombiers... Sont-ils utiles selon vous à la transition écologique ? Voici la principale limite de votre texte.

Vous créez un nouvel impôt, accélérez les expérimentations, mais alourdissez aussi le budget de l'État de 7 milliards d'euros par la diminution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la contribution économique territoriale (CET).

Vos choix sont arbitraires, voire idéologiques, quand ils excluent certaines entreprises stratégiques ou créatrices d'emplois et de valeur ajoutée. Vous placez les entreprises en lien avec l'environnement et le lien social devant toutes les autres. Les restaurateurs en font-ils partie ? Ils ont dû augmenter de 30 % les salaires à Narbonne pour attirer les candidats... Et pourquoi ne pas valoriser aussi les emplois utiles à la culture ou à l'engagement civique ? Votre proposition de loi est contestable.

Autre question : comment un texte sur les métiers de demain peut-il faire l'impasse sur la formation ? Vous vous contentez de créer un nouvel impôt avec, dans son nom, les mots de solidarité sociale et de climat.

Oui, les contrats aidés peuvent être améliorés et les expérimentations étendues, mais le groupe UC ne votera pas ce texte dont il ne partage pas les orientations.

Mme Maryse Carrère .  - L'année 2021 a vu une baisse importante du chômage, de 12,6 % pour les catégories A, soit 480 000 chômeurs de moins. Après un pic au premier trimestre 2021, le chômage de longue durée a connu une légère décrue, mais il représente encore 49,6 % des chômeurs. Et le nombre de personnes sans emploi depuis au moins deux ans continue d'augmenter : les personnes les plus éloignées de l'emploi sont les premières frappées par la crise et les dernières à profiter de la relance. Ce sont parfois des personnes brisées : nous savons les conséquences traumatisantes de la perte d'emploi.

Selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE), en France, la valeur travail est fondamentale pour déterminer l'identité, voire la valeur sociale, et le chômage est synonyme d'isolement social. Il entraîne une détérioration de la santé physique et mentale et est propice aux addictions. Les psychiatres assimilent ce traumatisme à un deuil.

Cette proposition de loi mobilise plusieurs dispositifs pour lutter contre ce phénomène. Nous en partageons les objectifs, mais les contrats aidés, souvent précaires et utilisés comme une aubaine par certains employeurs, ne peuvent constituer l'unique solution : dans le secteur marchand, seuls 25 % débouchent sur un emploi.

Nous regrettons l'absence d'un volet relatif à la formation, alors que le Président de la République a annoncé 1,4 million d'euros pour 2022 et le déploiement des parcours de remobilisation par Pôle Emploi.

Enfin, la généralisation de l'expérimentation TZCLD nous semble prématurée.

Le groupe RDSE s'abstiendra majoritairement.

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Alain Supiot dénonçait le renversement consistant à traiter le travail non comme la cause, mais comme l'effet de la richesse. Nous ne partageons pas cette analyse : le travail est avant tout un bienfait dispensé par le travailleur, source de richesse pour la société. Toute personne qui travaille contribue à la qualité du tissu social.

Le chômage de masse est a contrario délétère en termes de santé et de finances publiques et sociales.

Dans les périodes d'amélioration du taux d'emploi, nous devons nous attaquer au chômage de longue durée. Il reste 5,6 millions de chômeurs en France, sans compter les radiations, qui représentent 9,4 % des sorties des listes de Pôle Emploi et dont le nombre a bondi de 45 % en un an : un effet de la réforme de l'assurance chômage ?

Personne n'est inemployable ; il n'y a que des compétences mal identifiées ou mal employées. Le besoin en travail est inépuisable ; ce sont les structures du marché du travail qui sont défaillantes.

Les entreprises ne pâtissent pas d'une pénurie de main-d'oeuvre, comme le montre l'étude de Pôle Emploi de février 2022 : à peine 6 % des recrutements sont abandonnés faute de candidat.

Le Préambule de la Constitution de 1946 dispose que chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi.

La proposition de loi, pour y parvenir, mobilise trois dispositifs existants - l'expérimentation TZCLD, les contrats aidés et l'IAE -, alors que bien souvent les pouvoirs publics préfèrent passer à autre chose, plutôt que de conforter des dispositifs éprouvés.

Même si un amendement du rapporteur remplace la conditionnalité verte par des incitations, le texte témoigne de notre souci de la protection de l'environnement. Le rapporteur propose également de réserver l'obligation de neutralité carbone aux entreprises de plus de 250 salariés.

Notre approche est bien systémique. Nous ne saurions nous contenter de mesures sans ambition dans le domaine de l'emploi et de l'environnement. Nous devons travailler sur le temps long, dans le cadre de projets pour les territoires, co-construits au niveau local.

Je remercie le rapporteur et M. Kanner pour le travail réalisé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Martin Lévrier .  - Notre pays connaît un problème structurel de chômage de longue durée depuis quarante ans, même si sa proportion a chuté de 8 points depuis 2017, à 36,7 % en 2020 : preuve de l'efficacité de notre politique ! Pour autant, à la sortie de la crise, des entreprises peinent à recruter dans des secteurs déjà en tension auparavant.

Comme vous monsieur Kanner, je pense qu'il n'y a ni fatalité au chômage ni impuissance de la politique économique.

Cette proposition de loi tend à créer des emplois dans des secteurs liés à la protection de l'environnement et au lien social. Elle pérennise l'expérimentation TZCLD, prévoit a minima 100 000 emplois dans l'IAE à compter de 2023 et crée 200 000 emplois aidés. Pour financer ces mesures, elle instaure un impôt de solidarité sociale et climatique sur le capital, augmente la taxe sur les transactions financières, supprime la flat tax et revient sur la baisse des impôts de production. Et pourtant, si le chômage a baissé, c'est bien parce que la visibilité fiscale des entreprises s'est améliorée !

Non, il n'y a pas de fatalité, puisque le chômage a atteint 7,4 %, son niveau le plus bas depuis 2008 !

Emmanuel Macron a fait de l'insertion par le travail l'un des piliers de sa politique contre la pauvreté, en s'appuyant sur l'IAE. Nous avons lancé un plan de 1,4 million d'euros avec un volet formation destiné aux chômeurs de longue durée. Dans une démarche d'aller vers, Pôle Emploi a recontacté fin 2021 tous les chômeurs de longue durée et va déployer les parcours de remobilisation.

Quelque 240 millions seront mobilisés pour étendre les aides à l'embauche, actuellement réservées aux jeunes : 100 000 d'entre eux ont retrouvé un emploi à la fin 2021. Voilà des dispositifs efficaces !

L'expérimentation TZCLD a également fait ses preuves ; aussi sera-t-elle étendue à cinquante nouveaux territoires et pour cinq ans, financée par les fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée.

Nos dispositifs répondent déjà aux objectifs de votre texte. Nous sommes, en outre, opposés aux moyens de financer vos propositions et pensons que nous pouvons faire mieux avec moins. Aussi, nous ne voterons pas ce texte. (M. Joël Guerriau applaudit.)

M. Joël Guerriau .  - Les chiffres du chômage sont au plus bas depuis quinze ans : la dynamique dessine un chemin favorable.

Cette proposition de loi s'attaque au chômage de longue durée avec des emplois subventionnés par l'État, le rétablissement de l'impôt sur la fortune et l'annulation de la baisse des impôts de production. Cela ne correspond nullement aux besoins observés : handicap, emploi des jeunes, des seniors et des moins diplômés, difficultés d'accès au logement et à la mobilité, difficultés de recrutement des entreprises.

Il faut davantage former et accompagner dans l'emploi. Le Gouvernement s'est mobilisé en ce sens avec le développement de l'apprentissage et la création du contrat d'engagement jeune.

Il faut améliorer le taux d'encadrement des demandeurs d'emploi à Pôle Emploi, qui peut atteindre un conseiller pour 350 dans certaines agences. C'est ainsi que 1 400 postes seront créés en 2022.

Il faut aussi renforcer la concertation avec les partenaires sociaux et proposer des solutions personnalisées aux difficultés de logement, de santé et de maîtrise de la langue française. Une constellation de dispositifs existe déjà : sachons les cartographier et les évaluer.

Retrouver du travail peut aussi entraîner des frais connexes, ce qui nécessite une insertion durable dans l'emploi.

Sans être contre les TZCLD, je ne crois pas que le chemin vers le plein-emploi passe par un amoncellement de dispositifs coûteux, mais plutôt par une bonne coordination entre politique de l'emploi et marché du travail. Redonnons du sens au service public de l'emploi. Le développement du mentorat est aussi créateur de lien social : sachons profiter de l'expérience des seniors.

Nous ne voterons pas ce texte. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Mme Frédérique Puissat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Brigitte Devésa applaudit également.) Je remercie Patrick Kanner et son groupe d'avoir inscrit cette proposition de loi à notre ordre du jour et je salue le travail du rapporteur Fichet.

Ce texte a le mérite de mettre en relief la valeur travail, vecteur de progrès social et de lutte contre les inégalités. De fait, la perte d'emploi altère le niveau de vie et peut constituer un traumatisme social. Avec le temps, la motivation du chômeur s'affaiblit et laisse parfois place au désespoir.

Reste que nos divergences sont nombreuses.

Sur le fond, il est proposé de pérenniser le dispositif TZCLD alors que l'encre du projet de loi prolongeant son expérimentation est à peine sèche.

À sa création, en 2016, le dispositif avait trois objectifs : éradiquer le chômage de longue durée, mesurer les effets positifs du retour à l'emploi et vérifier l'équation financière sur laquelle il repose. Il a connu certaines réussites, mais ses évaluations - au demeurant coûteuses - sont contrastées. Si elles ne l'étaient pas, nous aurions inscrit définitivement ce dispositif dans le paysage social. (M. René-Paul Savary acquiesce.)

Le rapporteur défend une position plus nuancée que la rédaction initiale du texte : la suppression du plafond de soixante territoires. Pour notre part, nous continuons de penser que ce dispositif doit encore faire ses preuves.

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

Mme Frédérique Puissat.  - Le texte prévoit aussi de développer les emplois aidés : 100 000 postes supplémentaires dans l'IAE, 200 000 dans les collectivités territoriales. Mieux vaudrait s'attaquer à la racine du problème - la formation, sur laquelle Mmes Devésa et Carrère ont justement insisté - et prendre en compte les tensions de recrutement dans de nombreux secteurs.

Des mesures fiscales très coûteuses sont proposées pour financer les 17 milliards d'euros que coûte la proposition de loi.

Sur la forme, enfin, la concertation a manqué avec les parties prenantes.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Le GEST se félicite que nous puissions débattre d'une approche alternative dans la lutte contre le chômage de longue durée. En la matière, non, on n'a pas tout essayé !

La garantie de l'emploi est une pièce maîtresse de la théorie moderne de la monnaie développée par Pavlina Tcherneva, en rupture avec la théorie néoclassique du taux de chômage d'équilibre, chère à la Commission européenne - taux auquel il faudrait se résigner, sauf à mener des réformes structurelles défavorables aux salariés.

Les cadeaux fiscaux consentis par le passé ont été hautement inefficaces : en 2018, le CICE n'a créé que 160 000 emplois pour un coût de 40 milliards d'euros, autrement plus exorbitant que celui des mesures proposées...

Ce texte pose le premier jalon d'une nouvelle conquête sociale, la garantie d'emploi pour tous les Français, suivant le postulat que personne n'est inemployable sous réserve d'être accompagné et formé. Il encourage des emplois porteurs de sens, à l'opposé des bullshit jobs théorisés par David Graeber. Sa mise en oeuvre est prévue au niveau des territoires, dans le cadre de la gouvernance partagée du dispositif TZCLD.

La garantie d'emploi est le moyen de mettre fin au drame social que représente le chômage de longue durée. Celui-ci favorise les addictions, augmente le risque de suicide et provoque, selon l'Inserm, de 10 000 à 14 000 morts par an. Lié à plusieurs déterminants sociaux, dont le handicap, c'est un gâchis humain qui mine la cohésion sociale et le potentiel de croissance.

Parce que la garantie d'emploi correspond à une société où l'emploi n'est plus subordonné aux seuls besoins de la rentabilité du capital, mais s'inscrit dans une logique de solidarité organique, le GEST votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Depuis 1983, notre taux de chômage n'est jamais passé sous les 7 %. Les gouvernements successifs ont abandonné l'idée même du plein-emploi. François Mitterrand a ainsi affirmé : « dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé » - aveu d'échec cinglant.

Nous partageons la préoccupation des auteurs du texte, car il est inquiétant de voir notre société s'habituer à un chômage endémique.

Toutefois, les mesures proposées sont une nouvelle illustration de la capacité des socialistes à aborder le problème à l'envers... (Murmures réprobateurs sur les travées du groupe SER) Pour croire que le chômage serait causé par l'absence de garantie d'emploi, il faut n'avoir rien appris des erreurs commises depuis quarante ans ! (Exclamations sur les mêmes travées)

Nos collègues s'appuient sur une interprétation très particulière du préambule de la Constitution de 1946. Le droit d'obtenir un emploi n'emporte pas d'obligation de résultat, mais une simple obligation de moyens pour les pouvoirs publics. Le travail ne se décrète pas ! À moins de socialiser la totalité de l'économie privée...

S'agissant des emplois aidés, le bilan désastreux que la Cour des comptes en a tiré en 2018 n'est aucunement pris en compte. Très onéreux, ces emplois sont inefficaces pour l'insertion professionnelle.

Le groupe socialiste profite de bonnes intentions écologiques pour promouvoir son idéologie fiscale. Ce n'est pas acceptable ! (Protestations sur les travées du groupe SER)

Les 17 milliards d'euros dépensés pour financer ces mesures ne feraient qu'affaiblir nos entreprises et le patrimoine des Français. Les hausses d'impôt proposées sont plus guidées par un socialisme fiscal que par une vraie volonté de réduire le chômage ! (Mêmes mouvements)

S'agissant du dispositif TZCLD, il paraît plus sage d'attendre la fin de son expérimentation, dans deux ans.

Le chômage de longue durée ne sera pas vaincu en orientant les chômeurs vers des emplois déconnectés de l'économie réelle, financés in fine par des hausses d'impôt. Il le sera par des réformes structurelles et un effort d'éducation et de formation. C'est ainsi qu'on créera des emplois durables et adaptés à notre économie.

Le groupe Les Républicains n'est pas favorable à cette proposition de loi dispendieuse et qui ne répond pas aux besoins des personnes sans emploi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État.  - Nous avons en partage la volonté de proposer des emplois à tous les chômeurs de longue durée.

Plusieurs orateurs ont mentionné le pacte de remobilisation pour les 800 000 chômeurs de longue durée, auquel 1,4 milliard d'euros sont consacrés. Ce dispositif est en train de porter ses fruits. Il est déjà déployé par 170 agences Pôle Emploi ; toutes le mettront en oeuvre d'ici à la fin mai.

À Argenteuil et Rouen, j'ai assisté à des séquences de formation organisées dans ce cadre. Elles sont destinées à reconstruire la confiance des chômeurs de longue durée.

Nous pouvons partager les objectifs des auteurs du texte, mais la méthode qu'ils proposent n'est pas la bonne. Sur le fond, nous arriverons néanmoins à ce qu'ils souhaitent : par le travail, donner à chacun une place dans la société.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Rédiger ainsi cet article :

Le II de l'article 9 de la loi n° 2020-1577 du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le mot : « soixante » est remplacé par les mots : « chacun des » ;

2° Le deuxième alinéa est supprimé.

M. Patrick Kanner.  - Dans sa rédaction initiale, l'article premier a suscité un certain émoi parmi les soutiens du dispositif TZCLD. Je remercie le rapporteur d'avoir noué des contacts utiles avec les acteurs.

Plutôt que de généraliser ce dispositif, nous proposons de supprimer le plafond d'extension à soixante territoires. Je puis vous assurer qu'il y a bien plus de soixante demandes. Simplifions l'habilitation des projets, en remplaçant le décret prévu par un simple arrêté.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur.  - TZCLD est un dispositif innovant et prometteur.

L'article premier tendait originellement à pérenniser cette expérimentation, mais les acteurs que j'ai rencontrés jugent qu'une généralisation serait prématurée.

Outre les territoires actuellement habilités, on recense 152 projets émergents. Supprimer la limitation à soixante territoires permettra donc de répondre à ces demandes. L'association TZCLD y est favorable.

Pour autant, la commission a émis un avis défavorable à l'amendement.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État.  - L'encre de la loi prolongeant l'expérimentation est à peine sèche que vous proposez la généralisation. Comme Mme Puissat l'a expliqué, ce dispositif n'a pas encore fait toutes ses preuves. Un comité scientifique a été installé pour l'évaluer. Restons-en à cette démarche de confiance. Avis défavorable.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Le GEST votera cet amendement. Si la ministre Borne a donné l'assurance que soixante n'était pas un plafond, mais un plancher, pourquoi ne pas l'inscrire sans ambiguïté dans la loi ?

Tout projet conforme au cahier des charges doit pouvoir candidater à l'habilitation. Cette extension permettra un meilleur maillage du territoire et enrichira l'évaluation.

À la demande de la commission, l'amendement n°1 est mis aux voix par scrutin public.

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°109 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l'adoption   91
Contre 238

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article premier n'est pas adopté, non plus que l'article 2.

ARTICLE 3

Mme le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Rédiger ainsi cet article :

I. - L'article L. 5134-30 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L'aide à l'insertion professionnelle peut être réduite si les activités faisant l'objet du contrat d'accompagnement dans l'emploi n'ont pas pour finalité la protection de l'environnement ou la gestion de ressources. »

II. - À compter de 2023, le nombre de contrats d'accompagnement dans l'emploi définis à l'article L. 5134-20 du code du travail ne peut être inférieur à deux cents mille.

Mme Monique Lubin.  - Limiter les CUI-CAE aux activités ayant pour finalité la protection de l'environnement ou la gestion de ressources est trop restrictif. Le fonctionnement de certaines associations accomplissant des actions utiles au lien social pourrait être menacé.

C'est pourquoi nous proposons de remplacer cette conditionnalité par la possibilité de réduire l'aide au poste si les activités faisant l'objet du contrat ne tendent pas à l'une de ces deux finalités.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur.  - La conditionnalité environnementale est une démarche volontariste que je soutiens. Toutefois, mes auditions ont mis en lumière le caractère limitant du dispositif initial. La solution proposée me paraît équilibrée.

Néanmoins, la commission a émis un avis défavorable à l'amendement.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État.  - Avis défavorable. Contrairement à M. Kanner, je pense que ce dispositif mettrait en difficulté d'autres pans de l'économie sociale et solidaire et de l'insertion.

La loi Climat accompagne la transition via d'autres leviers. Nous partageons vos objectifs, mais divergeons sur les leviers pour les atteindre.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Nous sommes très attachés à la conditionnalité environnementale et sociale des aides publiques.

En pratique, 45 % des activités du dispositif TZCLD concernent la transition écologique. La dynamique issue des territoires s'oriente spontanément vers ce type d'activités.

À la demande de la commission, l'amendement2 est mis aux voix par scrutin public.

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°110 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption   78
Contre 264

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 3 n'est pas adopté.

ARTICLE 4

Mme le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 8

Rédiger ainsi cet alinéa :

« c) Le contrat est conclu dans une entreprise employant moins de deux cent cinquante salariés ;

Mme Émilienne Poumirol.  - Faire du CUI-CIE un levier d'incitation à la décarbonation des modes de production est pertinent pour accompagner la transition écologique tout en créant de nouvelles opportunités d'emploi.

Toutefois, il convient de limiter la conditionnalité à la neutralité carbone aux entreprises de plus de 250 salariés. En dessous de ce seuil, les entreprises ne sont pas nécessairement en mesure de produire des informations sur leur empreinte carbone.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur.  - L'article 4 va dans le bon sens, mais il ne faudrait pas faire peser sur les PME des contraintes prohibitives. Je rappelle que l'obligation de réaliser un bilan carbone réglementaire ne concerne que les entreprises de plus de 500 salariés - 250 en outre-mer. L'amendement me paraît donc pertinent.

Toutefois, la commission a émis un avis défavorable.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État.  - Avis défavorable. L'obligation de décarbonation serait réservée aux entreprises de plus de 250 salariés, mais ce sont les TPE-PME qui bénéficient le plus de ce type de contrats. Ce que vous proposez est donc contre-intuitif du point de vue de l'effet-volume recherché.

Permettez-moi de faire un peu de publicité pour d'autres dispositifs, trop méconnus - sans doute de la faute du Gouvernement. Je pense notamment à l'aide Volontariat territorial en entreprises (VTE) vert. Un arsenal de réponses techniques est prévu qui va dans le sens que vous souhaitez.

L'amendement n°3 est adopté.

À la demande de la commission, l'article 4 est mis aux voix par scrutin public.

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°111 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l'adoption   76
Contre 253

Le Sénat n'a pas adopté.

À la demande de la commission, l'article 5 est mis aux voix par scrutin public.

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°112 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l'adoption   91
Contre 238

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 6 n'est pas adopté.

ARTICLE 7

M. Patrick Kanner .  - Sauf miracle, nous nous acheminons vers la disparition totale de cette proposition de loi...

À nos collègues de droite qui ont parlé de socialisme fiscal, je ferai remarquer qu'ils n'ont plus été au pouvoir depuis dix ans. Comme cela risque de durer encore, je leur suggère d'être innovants...

Monsieur le ministre, notre intention était d'adresser un message à ceux qui sont non seulement au bord du chemin, mais même dans le fossé, parfois depuis des générations, alors qu'ils ne demandent qu'à être reconnus.

Après avoir défendu le ruissellement, les premiers de cordée et la main invisible du marché, vous avez découvert les fractures qui minent notre société. Vous avez été forcés, le dos dans les cordes, à prendre des mesures keynésiennes. Pour notre part, nous avons toujours cru à la force de l'État et à la solidarité.

Je regrette que pas un seul de nos arguments n'ait été pris en compte. Nous continuerons notre combat ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

À la demande de la commission, l'article 7 est mis aux voix par scrutin public.

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°113 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l'adoption   91
Contre 238

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 8 n'est pas adopté.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales .  - Monsieur le ministre, nous n'avons pas toujours été d'accord, mais je tiens, au terme de ce dernier débat commun de la mandature, à vous remercier pour le travail accompli ensemble. (Applaudissements sur de nombreuses travées des groupes Les Républicains et UC, sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe SER)

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur .  - Merci aussi aux services de la commission, ainsi qu'à ses membres, mais aussi à M. le ministre pour son accompagnement. Le travail du rapporteur est parfois ingrat, l'avis de la commission n'allant pas dans le sens que je souhaitais... (Applaudissements sur diverses travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État .  - Merci pour ces propos aimables. C'est toujours un plaisir de venir travailler au Sénat, où les débats sont de qualité et où l'expression des désaccords peut se faire en toute tranquillité d'esprit. Je crois à la fois à la responsabilité individuelle et à la responsabilité collective, monsieur Kanner. Nous avons les mêmes objectifs : ne laisser personne sur le bord du chemin. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Martin Lévrier applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.

Maintien du versement de l'allocation de soutien familial

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à maintenir le versement de l'allocation de soutien familial en cas de nouvelle relation amoureuse du parent bénéficiaire, présentée par Mme Laurence Rossignol et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de loi .  - Je suis très heureuse de vous présenter ce texte, l'une des dernières propositions de loi de cette législature. Elle se situe entre la Saint Valentin et le 8 mars ; il n'y avait pas de meilleure date s'agissant de maintenir le versement de l'allocation de soutien familial (ASF) en cas de nouvelle relation amoureuse. (Sourires)

La proposition de loi est simple : supprimer un alinéa de l'article L. 523-2 du code de la sécurité sociale ; elle est un volet d'une politique globale de soutien aux familles monoparentales qui pourrait intégrer bien d'autres dispositions.

Notre politique familiale, dont nous pouvons être fiers, est marquée par sa grande souplesse d'adaptation aux évolutions de la société. Elle accompagne par exemple le travail des femmes, elle a substitué la notion de parent à celle de famille ; elle est neutre à l'égard des formes de famille. Près d'un quart des familles sont désormais composées d'un seul parent, une femme dans 82 % des cas. C'est pourquoi je parle souvent de mère monoparentale. Elles ne sont pas toutes en situation d'isolement ou de pauvreté ; beaucoup reçoivent une pension alimentaire. Néanmoins, sur 4 millions d'enfants en famille monoparentale, 1,4 million vivent sous le seuil de pauvreté. Il est donc nécessaire de protéger ces enfants de la pauvreté.

J'évoquais l'agilité de la politique familiale, dont témoigne la transformation en 1984 de l'allocation orphelin en ASF. Cependant, la suspension de cette allocation en cas de remise en couple, formelle ou informelle, du parent bénéficiaire me paraît aujourd'hui anachronique. Le moment est venu de supprimer cette suspension de l'ASF lorsque le parent bénéficiaire construit un nouveau couple.

Cette suspension part du postulat de la création d'une nouvelle solidarité grâce au nouveau conjoint, alors que, selon le rapport conjoint de l'IGAS et de l'IGF de 2021, cette solidarité intrafamiliale est loin d'être systématique : il est fréquent que le nouveau compagnon soit lui-même séparé et acquitte une pension alimentaire.

Par ailleurs, il existe une incohérence : lorsqu'un parent séparé perçoit une pension alimentaire de son ex-conjoint, cette pension est versée y compris quand ce parent se remet en couple. Le juge aux affaires familiales ne décide pas que la contribution à l'éducation et à l'entretien des enfants prévue par la convention est suspendue au motif que la mère a un nouveau conjoint ! Mais lorsqu'il n'y a pas de pension alimentaire parce que le père est défaillant, insolvable ou a disparu, la solidarité par l'ASF s'y substitue. Or dans ce cas, on suspend le versement si une nouvelle relation amoureuse est nouée.

Le maintien de l'ASF après remise en couple n'est pas une idée nouvelle : il a été expérimenté en 2014. Je fais une parenthèse historique à l'intention de M. le ministre qui, comme tous ses collègues, est très content de nous voir une dernière fois...

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles.  - Je suis toujours heureux de vous voir !

Mme Laurence Rossignol.  - ... et qui va profiter de ce moment pour dresser un bilan flatteur de l'action du Gouvernement. Avant même qu'il le fasse (sourires), je veux donc rappeler que la garantie d'impayé de pension alimentaire a été créée en 2014 ; car tout n'a pas commencé en 2017 comme je l'entends parfois. (Marques d'amusement) Elle a été généralisée en 2016 et l'Agence de recouvrement des impayés de pension alimentaire (Aripa) a été créée début 2017.

M. Patrick Kanner.  - Vive la gauche !

Mme Laurence Rossignol.  - Le Gouvernement actuel a ensuite poursuivi sur cette lancée ; les fondations étaient là pour faire plus et mieux. Un moment, nous avions prévu le maintien pendant six mois du versement de cette garantie. Au moment de sa généralisation, la technostructure s'est mobilisée pour supprimer le maintien du versement pendant six mois alors qu'aucune conclusion n'avait été donnée à cette expérimentation : quid de son caractère concluant ? Mon point de vue est qu'elle l'a été, mais la force technocratique s'impose parfois à nous.

Ce n'est donc pas une idée farfelue ; les éléments émanant des caisses d'allocations familiales (CAF) étaient positifs. C'est pourquoi je vous demande de faire évoluer notre politique familiale. Je ne crois pas aux grandes réformes de la politique familiale appelées par la droite : elle évolue avec la société et s'adapte en permanence. Les fondamentaux, que nous partageons en nombre, ne seraient peut-être pas respectés dans cette grande réforme qui serait libérale au vu de l'air du temps.

À défaut, je vous propose cette petite réforme, qui met fin à un anachronisme et pose les fondements d'un grand plan en faveur des familles monoparentales. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Mme Michelle Meunier, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Le groupe SER a demandé l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi déposée par Mme Rossignol visant à maintenir le versement de l'ASF en cas de nouvelle relation amoureuse.

L'article 2 consiste en une demande de rapport sur la diversité des situations familiales et leur prise en compte par notre régime fiscal. Un quart des familles françaises sont monoparentales, contre 12 % en 1990. On n'en est plus au seul modèle de la famille nucléaire : une réflexion sur la fiscalité paraît essentielle en la matière. Toutefois, fidèle à sa position sur les demandes de rapport, la commission a rejeté cet article.

J'en viens à l'article premier et au dispositif ambitieux promu par ce texte : il s'agit de ne plus conditionner le versement de l'ASF à l'isolement du parent bénéficiaire. Cette prestation de la branche famille est versée sans conditions de ressources à un public spécifique.

Elle est accordée à plus de 800 000 foyers en 2021, pour 1,3 million d'enfants. Elle est forfaitaire : 116 euros en cas de défaillance de l'un des deux parents, 155 euros si les deux parents sont absents.

L'ASF a pris le relais de l'allocation orphelin en 1984 afin d'englober des situations plus diverses que les seuls enfants de parents décédés. La personne ayant la charge d'un enfant dont la filiation n'est pas établie la perçoit. Enfin, elle remplace la pension alimentaire en cas d'insolvabilité.

Si le parent se soustrait même partiellement au versement de cette pension, l'ASF est versée à titre d'avance, charge à la CAF de la recouvrer auprès du parent débiteur. Cette prise en charge est montée en puissance à partir de 2014. Depuis 2016, l'ASF différentielle complète toute pension alimentaire inférieure au montant de ladite allocation.

Le parent assumant la charge effective de l'enfant reçoit aussi l'ASF sous stricte condition d'isolement. Elle cesse donc d'être versée en cas de reprise de vie commune, quel que soit son statut, mariage, pacs ou concubinage. Selon la CNAF, 24 600 parents auraient ainsi perdu le bénéfice de l'ASF en 2020 parce qu'ils ont choisi de se remettre en couple.

Ce ciblage semble de prime abord fondé : 40 % des enfants de familles monoparentales sont considérés comme pauvres. Les dépenses de l'ASF, soit 1,079 milliard en 2020, sont donc essentielles pour ces familles. Pour autant, la condition d'isolement est source d'incompréhension. D'abord, elle dissuade certains parents isolés de reprendre une vie commune. 70 % des bénéficiaires de l'ASF se trouvent dans les deux premiers déciles des revenus. Les plus pauvres reçoivent même plus souvent l'ASF que la pension alimentaire, ce qui explique le refus d'un retour à une relation maritale pour des raisons matérielles.

Ce découragement à la sortie de la monoparentalité est d'autant plus regrettable que la remise en couple augmente en général le niveau de vie, en permettant des économies d'échelle et en aidant au retour à l'activité professionnelle, alors que 35 % des parents isolés sont sans emploi.

Le ciblage de l'ASF maintient donc les familles dans une trappe à isolement qui est aussi une trappe à pauvreté.

En cas de remise en couple, la suspension du versement de l'ASF réduit aussi le revenu de ce nouveau ménage et accroît la dépendance financière de la mère. Les mères isolées risquent donc de se retrouver sous la coupe de leur nouveau conjoint. De plus, celui-ci ne contribue pas toujours aux frais d'entretien de l'enfant : il n'y est pas juridiquement tenu hors mariage, et il peut avoir ses propres enfants à charge et avoir de faibles revenus, voir perdre lui aussi le bénéfice de l'ASF.

Enfin, la suspension de l'ASF ne se justifie pas non plus du point de vue de l'intérêt supérieur de l'enfant. En tout état de cause, l'enfant demeure privé du soutien de son second parent. La perte de l'ASF est d'autant plus incohérente que les pensions alimentaires, dans les mêmes conditions, ne sont pas suspendues, alors que les bénéficiaires de l'ASF sont plus vulnérables.

Cette suppression, recommandée par le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge dans son rapport du 28 septembre dernier, est donc nécessaire.

Une approche plus globale pour ces familles serait bien sûr souhaitable, comme une meilleure prise en compte des pensions alimentaires au titre de la protection sociale ou de l'impôt sur le revenu.

Nous avons ce soir la possibilité d'adopter une mesure de bon sens sans attendre une réforme d'ampleur. À titre personnel, je vous le recommande. Toutefois, la commission des affaires sociales n'a pas adopté cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles .  - (M. Martin Lévrier applaudit.) Je vous retrouve avec plaisir ce soir, comme depuis le début de cette législature, pour examiner la proposition de loi de Mme Rossignol. Madame la rapporteure, vous contestez la suspension de l'ASF forçant, selon vos dires, à choisir entre solitude et dépendance économique.

Le Gouvernement partage votre volonté de soutenir les parents isolés. J'y reviendrai, comme l'annonçait Mme Rossignol, et je tracerai des perspectives pour l'avenir.

Les familles monoparentales, soit un quart des foyers, sont pour plus d'un tiers d'entre elles en situation de précarité. Le maintien de l'ASF en cas de remise en couple viderait cette prestation de son sens et brouillerait notre politique familiale. Créée en 1970, l'ASF aide les personnes seules assumant la charge de l'éducation d'un enfant. Elle changerait donc de nature, dans un sens peu justifié socialement, risqué juridiquement, peu cohérent avec notre système de prestations familiales, et coûteux.

Peu justifié socialement car la remise en couple restaure des économies d'échelle : l'Insee démontre que le taux de pauvreté des enfants est de 40,5 % pour ceux qui vivent avec un seul parent contre 15,5 % dans une famille en couple.

Juridiquement risqué, ensuite : une telle différence de traitement entre les couples serait constitutive d'une rupture d'égalité entre ceux ayant connu une séparation et les autres.

Budgétairement, je rappelle que l'ASF n'est pas une prestation sous condition de ressources : la suppression de la condition d'isolement en renchérirait donc le coût, sauf à la soumettre à condition de ressources, ce qui n'est pas souhaitable.

Ces risques juridiques et budgétaires sont d'autant plus grands qu'il s'ensuivrait que tous les autres dispositifs favorables aux familles monoparentales devraient être étendus au-delà de la remise en couple. Je pense aux majorations du plafond de la prestation de libre choix du mode de garde, de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) ou encore du plafond du complément familial.

Enfin, quelle différence ferait-on entre une ASF versée à un couple et les autres prestations familiales sans condition d'isolement ? Pourquoi plusieurs aides semblables ? La remise en couple aurait pour conséquence de doublonner les différentes prestations familiales ; on aurait tôt fait de demander la suppression pure et simple de l'ASF, ce qui n'est certes pas le but recherché...

Pour conclure, l'article premier de cette proposition de loi me semble inadapté à un problème réel, celui de la fragilité des familles monoparentales, pour lesquelles nous sommes déjà mobilisés. Selon moi, le principal sujet est le non-recours à l'ASF : 15 % des bénéficiaires potentiels seraient dans ce cas, soit 200 000 foyers. Il faut donc aller à leur rencontre : le data mining permet de détecter certaines familles.

C'est ce qu'a fait la CNAF avec ses bases de données : un décret lui permettra de recouper d'autres sources. De même, les CAF et la Mutualité sociale agricole (MSA) procèdent à des détections de droits auxquels certains foyers ne savent même pas qu'ils peuvent prétendre. Ces services figureront dans la prochaine convention d'objectifs et de moyens entre l'État et la CNAF.

Au-delà, il faudra amplifier les actions déjà mises en oeuvre en faveur des familles monoparentales, y compris celles datant d'avant 2017. Je pense au service public des pensions alimentaires, dont Mme Rossignol a rappelé la genèse : il assure versement et recouvrement des pensions. Un défaut de paiement n'est pas qu'un sujet de trésorerie, c'est parfois un drame pour les familles et qui plonge les enfants dans la pauvreté. Cette intermédiation fonctionne, puisque 160 000 personnes ont déposé des demandes mais après avoir souffert d'un impayé : nous souhaitons intervenir avant même que cela ait lieu.

Nous avons généralisé cette intermédiation avec le PLFSS 2022 : à partir du 1er mars, elle sera systématique dès la décision du juge, sauf refus express des deux parents.

Plusieurs questions cruciales restent posées malgré les progrès des dernières années. Il faut parfaire la garantie de recouvrement des pensions et reconsidérer le niveau de soutien aux plus modestes d'entre elles, mais aussi reconsidérer les règles de partage des aides. Il faudra aussi clarifier l'étendue des devoirs de la solidarité conjugale à l'égard des beaux-enfants. Je pense également aux aides à la garde d'enfants, casse-tête pour les familles monoparentales. Nous avons pris des mesures fortes en la matière : la majoration de 30 % du complément de mode de garde pour les familles monoparentales y participe, de même que des horaires élargis proposés par les centres de loisirs, financés à hauteur de 2 millions d'euros par la CNAF, ce qui aidera les enfants de territoires où les temps de trajet entre le travail et le domicile sont longs : les enfants ne doivent en effet pas être livrés à eux-mêmes.

Demain, il faudra achever la construction de cette société plus accueillante pour toutes les familles, qui ont besoin de congés et de services adaptés. Cette universalité des services aux familles est attendue, probablement plus encore par les familles monoparentales. Cela aidera à mieux les protéger et surtout à les prémunir contre la pauvreté, par le retour ou le maintien en emploi. Nous travaillons à un droit garanti à l'accueil du jeune enfant à un prix abordable où que l'on se trouve dans notre pays.

Je suis fier d'avoir donné aux familles monoparentales leur place dans notre politique familiale : nous poursuivrons demain dans cette voie.

Je suis heureux que nous partagions un objectif commun, madame la rapporteure, et marri de notre divergence sur cette proposition de loi. Concentrons-nous sur les problèmes concrets des familles, concevons des offres nouvelles pour alléger leur charge mentale, améliorons leur qualité de vie. Je serai pour cela toujours à vos côtés. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Mme Élisabeth Doineau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) En préambule, je rappelle que le premier objectif de notre politique familiale est de compenser les charges de famille par redistribution horizontale. Mais rabotage après rabotage, cette politique a perdu de sa cohérence : les aides disparates s'empilent. Ces dispositifs sont devenus illisibles pour le commun des mortels, et donc moins efficaces et inégalitaires, avec parfois des phénomènes d'échappement et de non-recours. Longtemps rapporteur de la branche famille du PLFSS, j'ai souvent regretté le manque d'ambition de notre politique familiale, variable d'ajustement des gouvernements successifs.

Je remercie donc Mme Rossignol pour son initiative, occasion de débattre de la situation des familles monoparentales, soit 25 % des familles.

Notre politique familiale a besoin d'un nouveau souffle, en prévoyant l'accompagnement de chaque enfant. L'ouverture des droits dès le premier enfant me semble souhaitable : c'est le sens des propositions de M. Henno.

M. Guillaume Chevrollier.  - Très bien !

Mme Élisabeth Doineau.  - Contrairement à la pension alimentaire, l'ASF est suspendue en cas de retour en couple. Vous avez décrit le sentiment d'injustice que cela entraîne. Cependant, la pension est issue de la séparation du couple, alors que l'ASF est versée dans le cas d'enfants élevés par un seul adulte.

Les enfants mineurs vivant en famille monoparentale sont beaucoup plus que les autres touchés par la pauvreté: 40 % d'entre eux vivent sous le seuil de pauvreté.

Cela démontre l'enjeu économique de la situation amoureuse du parent ayant la charge de l'enfant : la perte de l'ASF entraîne un risque de dépendance économique vis-à-vis du nouveau conjoint. Cette proposition de loi est pertinente de ce point de vue. Néanmoins, je regrette qu'elle ne remette pas à plat le dispositif, en prévoyant des dispositions particulières pour les orphelins ou enfants sans lien de filiation clair pour le second parent, souhaitées par la Cour des comptes.

Une autre voie, certes coûteuse, eut été de proposer la revalorisation de l'ASF ou son indexation sur un pourcentage du SMIC. (Mme Laurence Rossignol applaudit.)

Pour conclure, le sujet est réel et nous entendons les demandes des associations. Toutefois, le groupe UC considère que la proposition de loi propose une solution incomplète : il faut poser la question de l'interaction entre toutes les prestations dans leur globalité. Nous nous abstiendrons donc.

Mme Maryse Carrère .  - Faut-il maintenir le versement de l'ASF en cas de nouvelle relation amoureuse du parent bénéficiaire ? Telle est la question posée ce soir.

Je remercie le groupe SER pour cette initiative qui permet de parler des familles monoparentales : à la situation familiale difficile s'ajoute une contrainte financière, les mères isolées ont souvent une activité partielle et donc des revenus faibles. L'ASF est déterminante pour les 800 000 familles concernées.

La perte de revenus lors du retour à une vie de couple toucherait 24 000 parents : je rejoins la rapporteure qui évoque un frein pour sortir de l'isolement car ces familles appartiennent souvent aux déciles les plus faibles. De plus, rien n'indique que le nouveau conjoint participe à l'éducation et à l'assistance financière de l'enfant.

Le non-maintien de l'ASF peut même aggraver la vulnérabilité de la mère, qui risque de se retrouver dépendante financièrement de son nouveau conjoint.

Plus globalement, ces débats se rapprochent de ceux des dernières semaines sur l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Notre objectif doit être de permettre l'indépendance face aux difficultés de la vie. Il y va aussi de l'intérêt supérieur de l'enfant.

La suspension est d'autant plus incompréhensible qu'il n'y a pas de condition d'isolement pour le versement de la pension alimentaire.

Au-delà, ce statu quo nourrit la fraude. Je regrette que la majorité ne donne pas plus d'écho à cette proposition de loi. Je souhaite que la présidentielle remette ce sujet au coeur du débat public.

Je suis favorable à cette proposition de loi mais certains membres du RDSE sont plus partagés, préférant une remise à plat de cette allocation. Dans notre grande majorité, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Annie Le Houerou .  - L'ASF a pour objet d'aider à l'éducation de l'enfant privé d'un de ses parents. Elle est versée à 807 000 familles et bénéficie à 1,3 million d'enfants. Dès lors que le parent se remet en couple, le versement est supprimé.

La proposition de loi de Mme Rossignol, dont je salue le travail incessant en faveur des enfants, supprime cette condition d'isolement. En effet, la suspension repose sur l'hypothèse, contestable et moralement inacceptable, que le nouveau partenaire contribue automatiquement à l'éducation de l'enfant.

Dès lors, certains parents isolés doivent choisir : renoncer à l'allocation, avec à la clé des difficultés financières aggravées, ou à une nouvelle vie de couple.

Les familles monoparentales sont constituées à 85 % de mères ; elles sont deux fois plus touchées par le chômage et la précarité. Leur nombre est en forte augmentation du fait de la hausse des séparations. Or 12,5 % des femmes tombent dans la pauvreté après une séparation. Cela nécessiterait la reconnaissance d'un statut de monoparent, proposition qui doit trouver sa place dans la campagne présidentielle.

Les mères isolées jonglent entre l'éducation et la prise en charge des enfants, une forte charge mentale, une activité professionnelle lorsque c'est possible. Elles doivent faire de nombreux sacrifices qui entravent la possibilité d'un emploi ou d'une formation, mais empêchent aussi les moments de répit.

Pour nombre de mères seules, se mettre en couple est une occasion de soulager la charge familiale. Celles qui ne peuvent se passer de l'ASF sont contraintes de demeurer célibataires, alors que leur revenu médian est de 1 180 euros mensuels, bien inférieur à celui de la population générale.

En 2020, 24 000 parents auraient ainsi perdu le bénéfice de l'ASF. Cette suspension peut entraîner un risque accru de dépendance vis-à-vis du nouveau partenaire. Double peine, donc : le bénéfice de l'ASF au seul parent isolé crée une trappe à isolement.

Par ailleurs, la complexité des conditions d'octroi entraîne un non-recours important. La moitié des familles monoparentales serait éligible à l'ASF mais ne la réclamerait pas. Ce renoncement est parfois volontaire en raison des risques de litige avec le conjoint défaillant. La condition d'isolement constitue donc un obstacle supplémentaire.

Ce texte constitue une réponse concrète à cette incohérence en considérant l'ASF comme une allocation versée au parent qui assume seul l'éducation de ses enfants, indépendamment de son statut marital.

Les familles monoparentales étant principalement constituées par des mères, cette mesure de bon sens leur permettra de conserver leur indépendance économique. Nous voterons sans réserve pour cette proposition de loi de justice sociale, qui soulagera la situation de précarité que vivent la moitié des mères isolées. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

M. Martin Lévrier .  - L'ASF, anciennement allocation parent isolé, a profité à 815 000 foyers en 2020, pour un montant de 1,79 milliard d'euros. Elle est conditionnée à l'isolement du parent. En 2020, la France comptait deux millions de familles monoparentales, soit un quart des familles, deux fois plus qu'en 1990. Ce fait social a dû être pris en compte par les politiques sociofiscales.

Dans un tiers des familles monoparentales, le parent n'a pas d'emploi, ce qui appelle des mesures spécifiques, comme la majoration du plafond du complément de mode de garde, par exemple. Ces majorations spécifiques perdent leur effet en cas de remise en couple. Mme Rossignol propose de supprimer la condition de célibat en partant du postulat que le nouveau partenaire n'est pas obligé de participer à la prise en charge des enfants.

Or, une telle mesure risquerait de remettre en cause l'application des autres dispositifs d'aide au bénéfice des parents isolés. De plus, elle n'aurait qu'un faible impact sur les publics les plus précaires.

En outre, alors que la France consacre une part importante de son PIB à la politique familiale, il eût été indispensable que le coût de cette proposition de loi soit chiffré.

Le texte entend améliorer l'indépendance économique des personnes concernées : ce sujet a été l'une des priorités du Gouvernement. Nous avons voté une facilité de garde d'enfant pour les parents engagés dans un parcours d'insertion sociale et professionnelle, réformé les pensions alimentaires.

C'est sur le taux de non-recours, très important, que nous devons concentrer l'effort. Notre groupe votera en majorité contre cette proposition de loi. (M. Joël Guerriau applaudit.)

M. Joël Guerriau .  - (M. Martin Lévrier applaudit.) Cette proposition vise à promouvoir le bien-être des enfants. L'ASF est versée sous condition d'isolement ; elle a évolué au cours de son histoire, mais le destinataire doit demeurer l'enfant : nous parlons de son éducation et de son avenir.

Nous comprenons les difficultés des familles monoparentales, particulières et persistantes. Nous entendons aussi l'argument de la dépendance économique du parent bénéficiaire vis-à-vis du nouveau conjoint. Mais ce qui est proposé ne répond pas à nos interrogations.

Premier point : il nous paraît essentiel que le nouveau conjoint assume la charge de l'éducation des enfants, particulièrement dans le cas du mariage ou du pacs. Certains renonceraient à se remettre en couple pour des raisons fiscales, c'est regrettable, d'autant que la famille recomposée constitue un même foyer fiscal et bénéficie de fait du quotient familial.

Deuxième point : une réforme en profondeur du système des allocations est préférable à une petite modification comme celle qui nous est ici proposée. Les faiblesses de notre système doivent être identifiées : les fraudes aux allocations familiales, à la résidence ou à l'isolement, sont très nombreuses. La Cour des comptes les a chiffrées autour d'1 milliard d'euros, auquel s'ajoutent 14 à 45 milliards d'euros de fraudes non détectées. Avant d'élargir l'accès aux allocations, il faut récupérer ce qui est injustement perçu par les fraudeurs.

Nous devons concentrer nos efforts vers nos concitoyens qui en ont le plus besoin ; mais nous préférons une réflexion plus approfondie avant une réforme de plus grande ampleur. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Mme Chantal Deseyne .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Créée par la loi du 22 décembre 1984, l'ASF est versée par la branche famille à toute personne ayant seule la charge effective d'un enfant ; la dépense était d'1,79 milliard d'euros en 2020. Versée sans conditions de ressources, elle est de 116 euros par enfant à charge. Elle peut aussi être attribuée pour compléter une pension dont le montant est inférieur ou versée à titre d'avance, auquel cas la caisse d'allocations familiales engage le recouvrement de la pension auprès du parent défaillant.

Cette prestation est accordée au parent ayant la charge de l'enfant sous réserve de son isolement ; elle cesse d'être versée en cas de remise en couple ou de garde alternée. Il s'agit d'une prestation destinée à l'enfant.

Selon l'Insee, la France compte plus de 2 millions de familles monoparentales, soit une famille sur quatre. Elles sont particulièrement exposées à la précarité. La politique familiale les prend déjà en compte par de nombreux dispositifs ; je pense à la modulation à la hausse de certaines prestations, au prolongement de la prestation partagée d'éducation de l'enfant pour six mois en cas de séparation, à l'aide à la garde d'enfant pour parent isolé lorsque le parent retrouve un emploi ou suit une formation, à la demi-part fiscale supplémentaire dès lors qu'un parent a élevé seul un enfant durant au moins cinq ans.

Cette proposition de loi va plus loin et demande le maintien de l'ASF en cas de remise en couple. Tous les dispositifs destinés aux parents isolés devront-ils à terme être aussi maintenus en cas de nouvelle relation ? Cela n'a pas de sens. L'ASF apporte un soutien ciblé aux familles monoparentales en raison de leur particulière précarité ; la remise en couple la vide de son sens, selon le postulat qui veut que le nouveau conjoint participe à l'entretien de l'enfant.

Mme Laurence Rossignol.  - C'est précisément ce que je dénonce.

Mme Chantal Deseyne.  - Le vrai problème tient au détricotage continu de notre politique familiale depuis le quinquennat de François Hollande. Les mesures d'économies mises en oeuvre par les gouvernements successifs - modulation des allocations familiales, suppression du complément de libre choix d'activité... - ont impacté durablement le budget des familles.

Il serait plus opportun de proposer des mesures pour aider les familles monoparentales à concilier vie professionnelle et familiale, en permettant au parent isolé de travailler sans encourir un reste à charge trop important lié à la garde d'enfant.

Il faut un nouvel universalisme : toutes les familles doivent être soutenues. La politique familiale est un investissement : elle a besoin d'un vrai sursaut et non d'aménagements à la marge concernant des allocations spécifiques. Il faut la remettre à plat. Le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Dans Le genre du capital, Céline de Bessière et Sibylle Gollac soulignent que si les inégalités femmes-hommes trouvent leur origine dans la structure hétéro-normative, c'est la séparation qui révèle les inégalités creusées durant toute la vie de couple.

La conséquence de la division genrée du travail dans le couple explique que le prix de la rupture soit payé par les femmes, qui subissent une perte de niveau de vie de 19 % lors de la séparation, contre 2,5 % pour les hommes.

Dans 82 % des cas, les familles monoparentales sont constituées de femmes et 40 % des enfants de ces familles sont pauvres. Aussi, les parents bénéficiaires de l'ASF appartiennent pour plus de 70 % aux 20 % des ménages les plus pauvres.

Le postulat est qu'une nouvelle famille est automatiquement créatrice d'une nouvelle solidarité ; mais la vulnérabilité du parent auparavant isolé ne s'efface pas tout d'un coup, surtout si le nouveau partenaire est également précaire.

L'ASF est pour lui une marge d'autonomie financière. Ce nouvel espace de solidarité ne génère en effet aucune obligation envers l'enfant pour le nouveau partenaire. La prestation doit demeurer attachée à la situation inchangée de l'enfant.

On ne peut exclure la désincitation à s'engager pour les plus fragiles du fait de la baisse de revenus accompagnant la perte de cette allocation, d'autant plus essentielle que le revenu est faible. Le maintien de l'ASF stabilisera la relation sans impact collatéral, alors que l'objet de ladite allocation n'a pas disparu.

Ce texte adapte le droit aux évolutions sociétales. S'attaquer aux trappes à pauvreté et à isolement, ainsi qu'aux inégalités de genre qui les traversent, est une urgence. Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Mme Laurence Cohen .  - Merci à nos collègues socialistes d'avoir mis en lumière cette problématique assez peu connue. On constate que la législation n'a que peu suivi l'évolution de la société et de la composition des ménages. L'ASF apparaît aujourd'hui anachronique, fondée sur un critère de célibat depuis 1970, année où l'autorité parentale conjointe remplace la notion de chef de famille, cinquième anniversaire de la loi autorisant les femmes à travailler et ouvrir un compte bancaire sans l'autorisation de leur mari !

Ce critère de célibat est inopérant. Si le pacs et le mariage emportent une obligation de solidarité entre conjoints, ce n'est pas le cas du concubinage. Et il est impossible d'établir le partage effectif des charges financières. En outre, il suffit au parent célibataire engagé dans une nouvelle relation de ne pas officialiser cette relation, ce qui a des conséquences non négligeables en matière de fiscalité et de succession.

Qui est le destinataire final de l'allocation ? Pour nous, c'est bien l'enfant. Fonder son versement sur le statut marital du parent est une aberration et crée une rupture d'égalité.

Ce critère est injuste : il exige soit que le parent se mette sous la coupe financière du nouveau conjoint, soit qu'il renonce à la vie de couple pour continuer à bénéficier de l'ASF. Or, selon l'Insee, les familles monoparentales sont les plus précaires, les plus pauvres, les plus mal logées. Les mères sont plus mal loties ; elles vivent avec plus d'enfants, sont moins souvent en situation d'emploi et si elles le sont, dans des emplois plus précaires et moins rémunérés. L'ASF est alors une ressource essentielle pour s'en sortir.

Le critère du célibat présumé est particulièrement injuste ; nous voterons donc cette proposition de loi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, GEST et SER)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Laurence Rossignol .  - Je remercie mes collègues qui apportent un soutien bienveillant à ce texte, par l'abstention ou le vote favorable.

Cette proposition de loi met en exergue un moralisme très archaïque. Le texte que je propose de supprimer dit que le versement de l'allocation est suspendu en cas de mariage, de pacs ou de concubinage. Or la CAF identifie les situations de concubinage par un contrôle de la notoriété de la vie commune, après une enquête de voisinage et avec le concours des services de police et de gendarmerie.

Si cette même personne retourne vivre chez ses parents, où elle bénéficiera d'une aide matérielle et affective, ou si elle vit avec une amie, elle continuera à percevoir l'ASF. En revanche, si elle vit avec un homme, il y aura présomption de relation affective et suspension de l'ASF. Cet alinéa du code de la sécurité sociale est anachronique et moraliste. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE)

Mme le président.  - La commission a demandé un scrutin public...

M. Patrick Kanner.  - Rappel au Règlement ! Cette séance est le dernier espace réservé avant la suspension des travaux. Je constate que les chômeurs de longue durée et les parents isolés ne mobilisent pas la majorité sénatoriale, si bien que celle-ci doit multiplier le recours aux scrutins publics : je le regrette pour l'image de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

À la demande de la commission, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°114 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 268
Pour l'adoption 103
Contre 165

Le Sénat n'a pas adopté.

ARTICLE 2

Mme Laurence Rossignol .  - Nous l'avions dit lors de l'examen de la proposition de loi Henno : nous ressentons tous le besoin d'une vraie réflexion collective sur la politique familiale, ses enjeux et son objet. Cette politique est désormais centrée sur l'enfant, ce qui emporte de nombreuses conséquences.

Pourquoi cette demande de rapport ? Parce que la politique familiale est aussi une politique fiscale. La pension alimentaire reçue par la mère est imposée, tandis que le père la déduit de son revenu imposable : quel est l'impact ? Nous aimerions des éléments de la part services fiscaux sur les questions de déconjugalisation et d'autonomie fiscale.

Chers collègues de droite qui avez porté la déconjugalisation de l'AAH, il faut aller plus loin, repenser l'ensemble de nos politiques familiales et sociales. Par cohérence, vous pourriez voter cette demande de rapport. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE)

M. Hussein Bourgi .  - Être majoritaire dans une assemblée est un honneur mais emporte des obligations - comme s'astreindre à une présence minimale et non recourir aux artifices de procédure que sont les scrutins publics !

Depuis que je siège ici, j'observe des règles de courtoisie républicaine de présence durant les espaces réservés. On ne peut jurer, la main sur le coeur, que la précarité des chômeurs de longue durée et de familles monoparentales est un sujet grave, et empêcher systématiquement le débat lorsqu'il a lieu. Je le regrette. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mmes Catherine Deroche et Frédérique Puissat.  - Nous débattons !

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État .  - Cet article 2 est en quelque sorte satisfait, même si je rejoins Mme Rossignol sur le fond. J'ai commandé trois rapports. Le premier à l'IGAS et à l'IGF sur la revue des dépenses en matière de politique familiale et leur adéquation à la réalité des familles contemporaines. Il y a un grand soir sociofiscal de la politique familiale à faire dans notre pays ; peut-être est-ce pour bientôt...

J'ai commandé au Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge un bilan sur les vingt dernières années de la politique familiale, ainsi qu'un panorama des familles contemporaines en se focalisant sur les familles monoparentales, homoparentales, nombreuses et recomposées.

Je vous invite à vous plonger dans ces rapports : vous y trouverez matière à réflexion.

La politique familiale a longtemps été trop centrée sur l'aspect fiscal et financier - quotient familial, niveau des allocations. La question de la redistribution horizontale est certes déterminante, mais nous assumons que la politique familiale est aussi une politique sociale de redistribution verticale. L'enfant était ainsi au coeur de notre stratégie de lutte contre la pauvreté.

L'universalité des allocations est devenue un totem, mais on peut aussi défendre l'universalité des services ; la politique familiale évolue vers une politique d'accompagnement à la parentalité, avec l'enfant comme prisme. C'est l'objet de notre politique des 1 000 premiers jours.

Je remercie tous ceux qui sont là ce soir, ainsi que ceux qui ne le sont pas, pour le travail que nous avons réalisé ensemble au cours de ces trois années, de même que l'administration du Sénat. (Applaudissements)

À la demande de la commission, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°115 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 268
Pour l'adoption 103
Contre 165

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 24 février 2022, à 10 h 30.

La séance est levée à minuit quinze.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 24 février 2022

Séance publique

À 10 h 30 et à 14 h 30

Présidence :

M. Gérard Larcher, président

Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert - M. Dominique Théophile

1. Débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes

2. Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, relative au choix du nom issu de la filiation (n°529, 2021-2022) (demande du Gouvernement)

3. Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au monde combattant (texte de la commission, n°492, 2021-2022) (demande du groupe UC)

4. Deuxième lecture de la proposition de loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public (texte de la commission, n°504, 2021-2022) (demande du groupe UC)

5. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture (texte de la commission, n°513, 2021-2022) (demande du Gouvernement)

6. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à encourager l'usage du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d'accéder à internet (texte de la commission, n°516, 2021-2022) (demande du Gouvernement)