Convention d'extradition avec le Cambodge

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge.

Discussion générale

Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État chargée du développement et des partenariats internationaux .  - Cette convention a été signée le 26 octobre 2015 par les ministres de la justice des deux pays.

La relation entre la France et le Cambodge a vocation à se renforcer et à se diversifier. Elle est fondée sur des coopérations d'excellence, dans le domaine de la santé ou du patrimoine notamment. La préservation du site d'Angkor illustre la richesse de ce travail commun.

Les relations bilatérales avec le Cambodge se sont renforcées sous l'impulsion du Président de la République. Le Cambodge a adhéré aux ambitions de l'accord de Paris, notamment.

La France et le Cambodge partagent une communauté de valeurs, dont un attachement à la Charte des Nations unies. Il s'est ainsi prononcé contre l'agression de l'Ukraine par la Russie.

La démocratie cambodgienne reste toutefois un sujet de vigilance. La France veille à la bonne application des accords de paix de Paris du 23 octobre 1991, en vue de l'établissement d'une démocratie pluraliste et respectueuse des libertés fondamentales.

Notre dialogue sur la démocratie et les droits de l'homme est franc et constructif. Nous n'éludons aucun sujet. La France s'est ainsi prononcée contre les restrictions imposées à la presse à l'aube des élections législatives de 2023.

La convention d'extradition que nous vous demandons d'adopter est un exemple de coopération opérationnelle.

Nous avons déjà signé de nombreuses conventions communes spécialisées : sur les stupéfiants, en 1961 ; contre la torture, en 1984 ; contre les trafics de stupéfiants, en 1988 ; contre la criminalité organisée, en 2000 ; ou encore contre la corruption, en 2003. Cependant, aucune convention bilatérale ne lie nos deux pays en matière de coopération judiciaire.

La coopération judiciaire repose simplement sur le principe de réciprocité.

En revanche, aucune convention ne lie nos deux pays en matière de coopération judiciaire, en sorte que notre coopération en matière d'extradition repose sur le principe de réciprocité dans le cadre de la courtoisie internationale.

Depuis 2009, quatre demandes d'extradition ont été formulées, trois par les autorités françaises, la dernière par les cambodgiennes. Les demandes françaises visaient notamment des faits de viol sur mineur de 15 ans, de trafic de stupéfiants et de blanchiment ; toutes ont donné lieu à la remise de la personne recherchée. La demande d'extradition passive a donné lieu à un avis défavorable de la Cour d'appel de Paris en raison des réponses incomplètes apportées par le gouvernement cambodgien.

La convention soumise à votre approbation a pour objectif de faciliter et encadrer les demandes d'extradition entre nos deux États. J'insiste sur les motifs prévus de refus, obligatoires ou facultatifs. En particulier, l'extradition ne sera pas accordée lorsque la partie requise considère que la personne recherchée l'est pour une infraction politique ou lorsqu'elle a des raisons sérieuses de penser que l'extradition est demandée pour des raisons liées à l'origine ethnique, au sexe, à la religion, à la nationalité ou aux opinions politiques. En outre, conformément aux droits de la défense, une demande sera rejetée si la personne réclamée doit être jugée par un tribunal d'exception n'assurant pas les garanties de procédure fondamentales. L'extradition sera également refusée si les faits qui la motivent sont passibles de la peine de mort - laquelle a été abolie par le Cambodge en 1989.

Plusieurs d'entre vous ont émis des réserves fondées sur une inquiétude en matière de droits de l'homme. Cet enjeu a été intégré, et la convention est protectrice des droits et libertés fondamentaux.

Enfin, j'indique que le Cambodge a ratifié cette convention le 14 octobre 2020. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

M. Christian Cambon, rapporteur de la commission des affaires étrangères .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées du groupe UC) Cette convention a été signée le 26 octobre 2015 par Christiane Taubira, alors garde des sceaux, et son homologue cambodgien, Ang Vong Vathana. Le Cambodge l'a ratifiée le 14 octobre 2020.

L'enjeu de ce texte ne se limite pas à sa portée opérationnelle, modique compte tenu du faible nombre d'extraditions sollicitées. Ces échanges sont réalisés sur la base informelle du principe de réciprocité : au vu de leur caractère sporadique, la signature d'une convention bilatérale ne s'imposait pas vraiment.

La commission des affaires étrangères a débattu de la détérioration des droits de l'homme au Cambodge, qui a conduit le groupe CRCE-Kanaky à demander le retour à la procédure normale pour l'examen de ce texte, et de notre relation bilatérale, qui connaît une dynamique très positive.

En matière de droits de l'homme, la commission n'a pu que regretter le profond décalage entre le droit et la pratique. Si la Constitution comme la loi cambodgiennes garantissent la liberté d'expression, le respect des droits de la défense, l'indépendance des juges ou encore la séparation des pouvoirs, la mise en pratique de ces garanties n'est pas à la hauteur des principes affichés. Les élections législatives de l'été dernier ont ainsi été précédées d'une répression féroce : condamnation à vingt-sept ans de prison de l'opposant Kem Sokha et dissolution de son parti, condamnation par contumace de Sam Rainsy et de 70 autres opposants à des peines allant de vingt ans de prison à la perpétuité, entraves diverses au droit de vote et à la liberté de la presse... Syndicalistes, défenseurs des droits fonciers et militants écologistes font l'objet d'intimidations et d'arrestations, régulièrement dénoncées par les ONG.

Cette situation a valu au Cambodge de se voir retirer par l'Union européenne une partie des préférences commerciales accordées au titre du régime « Tout sauf les armes », dont il bénéficiait depuis 2001.

Notre commission, dans un premier temps, a abordé avec une certaine circonspection ce texte dont la ratification est repoussée depuis neuf ans en raison de la politique intérieure du royaume. J'ai toutefois proposé l'approbation de cette convention, pour des raisons plus positives.

Nous avons jugé rassurantes les garanties apportées aux justiciables, conformes aux standards internationaux. Les demandes d'extradition abusives ou formulées à l'encontre d'un opposant au régime seront ainsi rejetées.

Alors que la peine capitale est abolie au Cambodge depuis 1989 et que ce principe est inscrit dans la Constitution depuis 1993, la convention prévoit fort prudemment une clause de substitution, afin de parer à toute tentation de retour en arrière. Par ailleurs, une clause humanitaire permet le rejet d'une demande en raison de l'âge ou de la santé de la personne visée.

Compte tenu de ces précautions qui sont autant de garde-fous, la commission des affaires étrangères a estimé que rien ne s'opposait à des échanges extraditionnels avec le Cambodge, comme nous en pratiquons dans le cadre de conventions bilatérales similaires avec 54 États, dont la Chine et l'Iran. Ces extraditions n'en seront que mieux encadrées et sécurisées, sur le fond comme sur la forme.

J'en viens à l'état de notre relation bilatérale. Après un temps d'arrêt durant la pandémie, celle-ci est actuellement très dynamique, à la faveur notamment de la visite officielle en France de Sa Majesté Norodom Sihamoni, roi du Cambodge, suivie de celle du nouveau premier ministre, Hun Manet.

Les dirigeants cambodgiens ont affirmé leur volonté d'approfondir la relation bilatérale, se montrant demandeurs d'un partenariat renforcé avec la France. Ces contacts récents s'inscrivent dans une coopération ancienne, dans le cadre de laquelle la France a joué un rôle central dans le développement du pays. La présence active de la communauté cambodgienne en France et de la francophonie au Cambodge renforce nos liens.

Dans le contexte mondial actuel, où l'influence française est de toute part et par tout moyen remise en question, une telle volonté de rapprochement avec la France mérite d'être encouragée. Cette relation privilégiée peut constituer un cadre efficient pour des progrès en matière de droits de l'homme, s'agissant notamment de la lutte contre l'impunité, des droits des personnes LGBT+, du droit de l'environnement ou de la grâce des opposants.

Tel est le sens que je souhaite donner à l'approbation de cette convention : une position sans naïveté ni complaisance, fondée sur le choix d'approfondir notre relation bilatérale avec un pays à la croisée des chemins, entre une forte influence chinoise et une volonté de renforcer un partenariat avec la France ancré dans notre histoire commune. En utilisant le levier de cette convention, qui renforcera la lutte contre la criminalité dans nos deux pays, notre diplomatie est dans son rôle. Je vous invite à adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

Mme Michelle Gréaume .  - Notre groupe, avec le GEST, a demandé qu'un débat se tienne en séance sur cette convention d'extradition, dont l'approbation tarde depuis 2015. Le projet de loi a été trois fois déposé, à chaque fois retiré.

Ces rétropédalages sont liés à la détérioration très préoccupante de la situation des droits de l'homme au Cambodge. Plusieurs rapports, dont celui du Comité des droits humains des Nations unies, font état d'une situation plus que problématique. Le rapporteur spécial sur les droits humains au Cambodge a dénoncé des arrestations et poursuites injustifiées à l'encontre de défenseurs des droits, de journalistes et de dissidents.

Le parti du sauvetage national, principale formation d'opposition, reste interdit, et les actions engagées contre ses membres et ceux du parti de la bougie, qui lui a succédé, se poursuivent. Cette situation a conduit l'Union européenne à retirer, dès 2020, une partie des préférences commerciales accordées au Cambodge en 2001 au titre du régime « Tout sauf les armes ».

En outre, l'augmentation considérable de la population carcérale dans les prisons cambodgiennes est mise en évidence par différents rapports. Le taux d'occupation atteint 300 %, selon le rapporteur spécial des Nations unies.

Plus grave encore, le Comité des droits de l'homme des Nations unies s'est déclaré, dans un rapport de mai 2022, très préoccupé par les allégations de tortures et de mauvais traitements infligés en garde à vue et en détention.

Dans ces conditions, ratifier cette convention reviendrait à signer un « deux poids, deux mesures » en matière de défense des droits humains qui ulcère nos concitoyens et décrédibilise la voix de la France. Nous pensons nécessaire de voter contre ce texte tant que nous n'aurons pas de solides garanties sur la fin des exactions contre les droits humains. (M. Akli Mellouli applaudit.)

M. André Guiol .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La France et le Cambodge sont partenaires dans de nombreux domaines sous l'égide des Nations unies. La convention unique sur les stupéfiants, la convention contre la torture ou celle contre la corruption instaurent déjà des mécanismes de réciprocité entre nos deux pays.

Pour une meilleure sécurisation juridique de l'extradition, cet arsenal mérite d'être complété par une coopération bilatérale directe. Aussi, il faut considérer ce projet de loi avec intérêt, même s'il a été plusieurs fois retiré, ce qui incite à la vigilance.

Malgré le petit nombre de cas concernés, cette convention d'extradition renforcera la lutte commune contre la criminalité. Elle répond aussi à une exigence plus globale d'adaptation de la coopération judiciaire au regard d'enjeux comme les litiges transnationaux ou l'exploitation sexuelle.

Nos débats ne doivent pas occulter la situation très fragile des droits de l'homme au Cambodge, non plus que la dérive autoritaire du régime. Le haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU a qualifié la situation de très préoccupante. Lors des dernières élections législatives, des syndicats et des étudiants ont été ciblés, parfois physiquement.

Sortir ce texte de la procédure d'examen simplifié sert la vigilance dont la Haute Assemblée doit faire preuve. C'est aussi l'occasion de rappeler aux entreprises françaises de ne pas contribuer au désordre environnemental qu'engendre la stratégie dite du pentagone mise en place par le premier ministre cambodgien. Des militants écologistes sont jetés en prison parce qu'ils défendent des forêts menacées, et le Vietnam s'inquiète du désastre écologique qu'entraînerait un détournement du Mékong.

Toutefois, on ne peut nier la nécessité de maintenir le dialogue avec le pouvoir en place, dans une région en proie aux velléités impérialistes de l'axe sino-russe.

Les récents échanges entre le Président de la République et le roi, puis le premier ministre, du Cambodge illustrent le renforcement de nos relations bilatérales. Le RDSE se réjouit de ce rapprochement, qui s'inscrit dans la stratégie indo-pacifique de la France, sans perdre de vue les efforts que Phnom Penh doit fournir en matière démocratique. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur certaines travées du RDSE) Il y a neuf ans, la France et le Cambodge concluaient la présente convention. Mais, depuis, elle a connu un parcours d'approbation difficile, symptôme des remous diplomatiques entre la France et le Cambodge.

Nos relations se stabilisent, ainsi qu'en témoigne la rencontre entre le Président de la République et le premier ministre cambodgien, le 18 janvier dernier. L'approbation de cette convention renforcera la coopération et l'entraide entre nos deux pays en matière pénale.

Président de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean) en 2022, le Cambodge est un acteur de premier plan dans l'Indo-Pacifique. Olivier Becht, lorsqu'il était ministre du commerce extérieur, disait que la relation économique entre nos pays était forte, mais pouvait se renforcer encore.

Nous sommes attachés à la bonne entente avec le Cambodge, avec qui notre pays partage une histoire et des valeurs communes. La France souhaite que le Cambodge soit représenté au plus haut niveau lors du prochain sommet de la francophonie, d'autant qu'il est exemplaire dans la promotion de celle-ci. Dans le domaine environnemental, nous soutenons la volonté du Cambodge d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Par ailleurs, nos liens culturels sont inaltérables.

Cette convention comprend des dispositions importantes pour renforcer nos capacités communes à appréhender des malfaiteurs, notamment en matière d'infractions sexuelles. Le Cambodge ne doit pas être un refuge pour des Français auteurs d'infractions à caractère sexuel.

Je respecte ceux de nos collègues qui s'inquiètent des manquements en matière de droits de l'homme, de liberté de l'information et de pluralisme au Cambodge. Ces manquements sont indéniables et les inquiétudes exprimées, légitimes.

Mais l'histoire récente laisse entrevoir une évolution positive. Dans leur déclaration commune, le Président de la République et le premier ministre cambodgien ont exprimé le souhait de coopérer en faveur de la démocratie. La nette amélioration de nos relations s'accompagne d'un témoignage de bonne volonté du Cambodge pour le respect de la démocratie et de ses valeurs.

La majorité des membres du RDPI voteront ce texte ; les autres s'abstiendront.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nos deux pays ont tissé des relations étroites et se portent une amitié réelle, forgée dans une mémoire collective imprégnée de moments souvent insoutenables.

Ce projet de loi s'inscrit dans le long mouvement de rapprochement entre nos deux peuples, qui ont choisi de donner un nouvel élan à leur relation bilatérale depuis deux ans et ont inscrit, au plus haut de leur hiérarchie des normes, la démocratie et la liberté.

En 1993, après des décennies de crises et de régimes autoritaires, la Constitution cambodgienne a proclamé la séparation des pouvoirs et nombre de droits, comme la liberté d'expression. Mais, dans les faits, la situation est bien plus contrastée. Le pays est dirigé depuis 1985 par le parti du peuple cambodgien d'Hun Sen puis de son fils, Hun Manet, qui a récemment pris la tête du Gouvernement.

Au-delà des proclamations, la liberté est trop souvent atrophiée par un régime qui étouffe toute opposition crédible. Le pays a récemment ordonné la fermeture de son dernier titre de presse indépendant, et la corruption s'enkyste.

Ce débat est donc nécessaire - je remercie nos collègues qui ont demandé le retour à la procédure normale.

Le groupe SER dénonce les atteintes aux droits humains. Mais, monsieur le rapporteur, nous vous rejoignons pour constater une nouvelle dynamique dans notre relation bilatérale, dont témoignent les échanges au plus haut niveau entre nos deux pays.

Oui, la France doit aller plus loin avec le Cambodge. Mais ce chemin ne peut être emprunté sans garanties claires et direction commune - celle du confortement de nos démocraties.

Cette convention peut être qualifiée de robuste au regard des garanties qu'elle prévoit, inspirées de la convention européenne d'extradition de 1957. Les infractions de nature politique et militaire sont exclues, de même que les demandes motivées par des considérations ethniques, sexuelles ou politiques. Nous savons par ailleurs que la quasi-totalité des opposants réfugiés en France ont la double nationalité : la convention les préserve de toute demande d'extradition.

Ce texte confortera notre coopération en matière de lutte contre la criminalité tout en préservant les libertés fondamentales. Le dialogue avec d'autres États peut contribuer à faire rayonner nos valeurs universalistes. Le Gouvernement doit faire de cette convention un outil complémentaire au service du rapprochement entre la France et le Cambodge et du resserrement de ces liens un moyen d'encourager l'amélioration des droits humains dans ce pays. Madame la ministre, vous devez continuer de placer à l'ordre du jour de nos échanges avec les autorités cambodgiennes la garantie des libertés publiques.

En votant ce projet de loi, nous faisons le pari de l'avenir, en responsabilité, avec lucidité et vigilance. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Fortes d'un demi-siècle d'histoire, les relations entre la France et le Cambodge sont fondées sur la confiance et l'amitié. Elles ont conduit la France à jouer un rôle de premier plan en 1991 pour le retour de la paix après des décennies de folie khmère rouge.

Les relations entre nos deux pays demeurent étroites. Elles s'inscrivent dans une francophonie dynamique et se traduisent par la présence dans ce pays de nombreux entrepreneurs français. Elles s'appuient aussi sur une aide au développement importante, des contacts fructueux en matière militaire ou des actions pour la sauvegarde du fabuleux site d'Angkor.

Nos deux pays se sont récemment engagés sur la voie du renforcement de leur partenariat. Chacun y trouve un intérêt bien compris. La zone indo-pacifique représentera en 2040 plus de la moitié du PIB mondial : elle attire autant de convoitises qu'elle cristallise de tensions, en particulier entre Chine et États-Unis. Pour la France, riveraine de cette région par ses outre-mer, le Cambodge peut être un point d'appui important. De leur côté, les Cambodgiens voient dans la relation avec la France un moyen de desserrer un peu l'omniprésence économique de la Chine.

Cette convention est un jalon sur le chemin de ce rapprochement stratégique. Signée en 2015, elle enrichit notre relation dans un domaine où la coopération est actuellement menée sur une base ad hoc. Elle ne soulève pas de problème particulier et ne concerne qu'un nombre limité de cas. Conforme aux standards internationaux, elle prévoit les garanties procédurales propres à prévenir tout abus - je pense tout particulièrement aux motifs de refus.

Il faut dire que les droits civils et politiques au Cambodge se sont dégradés ces dernières années. Si ce pays a ratifié la plupart des conventions internationales et a mis formellement sa législation en conformité avec ses engagements, constitutionnalisant l'abolition de la peine de mort en 1993, opposants politiques, responsables syndicaux et journalistes font l'objet de pressions, quand ils ne sont pas incarcérés. Cette situation a conduit l'Union européenne à suspendre en 2020 le traitement préférentiel accordé à Phnom Penh dans le cadre du régime « Tout sauf les armes ».

Le respect des droits de l'homme est une préoccupation centrale. Mais en la matière, le dialogue, certes exigeant, est préférable à l'ostracisme. La volonté de dialogue rencontrera une oreille d'autant plus attentive qu'elle s'exprimera au sein d'une relation bilatérale approfondie. L'arrivée au pouvoir d'Hun Manet peut être une occasion à saisir, même si nous ne pouvons ignorer qu'il s'agit d'une accession au pouvoir dynastique. L'émergence d'une nouvelle génération de dirigeants, déterminés à réformer leur pays et demandeurs d'une relation renouvelée avec le nôtre, crée un contexte favorable.

Nous voterons le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Pierre Grand .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le Cambodge est volontaire pour se rapprocher de Paris, afin d'équilibrer sa relation avec la Chine. Cette relation est l'occasion de renforcer nos liens avec l'Asean. Au-delà des opportunités commerciales, notre coopération concerne aussi la défense.

La France a tout intérêt à un renforcement de ces liens, mais nous ne pouvons pas transiger sur nos valeurs les plus essentielles.

Nos deux pays sont liés par une longue histoire - je pense au général de Gaulle. La législation du pays a évolué vers un plus grand respect des libertés individuelles, mais elle doit s'appliquer dans les faits.

Les accords et les échanges sont un moyen efficace de faire progresser nos idées, sans attendre que le monde soit conforme à nos idéaux - c'est valable au Cambodge comme ailleurs.

La coopération en matière judiciaire est sensible, car lutter contre la criminalité est essentiel pour l'État de droit. L'accord prévoit des garanties contre d'éventuelles dérives.

Notre groupe votera ce projet de loi, tout en invitant le Gouvernement à la plus grande vigilance sur les droits humains. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Christian Bilhac applaudit également.)

M. Philippe Folliot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les relations franco-cambodgiennes sont singulières. L'histoire a tissé des liens très forts entre nos deux nations. La France a assuré un protectorat sur le Cambodge pendant plus d'un siècle, qui s'est terminé en 1953 par une indépendance elle aussi singulière - sans guerre ni heurts. N'oublions pas non plus que c'est un Français qui a redécouvert cette merveille qu'est Angkor.

Nos destins sont liés : des Français ont vécu au Cambodge et des Cambodgiens se sont réfugiés en France pendant la terrible période qu'a vécue ce pays, avec la mort d'un quart de sa population sous les coups des Khmers rouges et la guerre civile qui a suivi.

Élu du Tarn, je rends hommage à la fondation Pierre Fabre, qui a participé à la refondation de la faculté de pharmacie de Phnom Penh. D'autre part, pas moins de 1,3 milliard d'euros ont été investis par l'Agence française de développement (AFD) dans ce pays.

Il paraît donc naturel qu'une convention d'extradition soit signée. C'est un pas de plus du Cambodge vers l'État de droit et une étape dans le renforcement de nos relations bilatérales. La convention est assortie de garanties pour que les droits politiques soient mieux respectés dans ce pays - je pense aux opposants et aux syndicalistes.

La situation politique n'en est pas moins insatisfaisante. Nous devons être vigilants et réaffirmer notre attachement à l'État de droit ici et là-bas.

Le groupe UC votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Akli Mellouli .  - Des liens indéfectibles unissent la France et le Cambodge, fruit d'une histoire commune empreinte de respect mutuel. Mais aujourd'hui, nous sommes appelés à nous positionner, en tant que défenseurs des droits humains, sur une convention d'extradition. L'amitié entre nos deux peuples nous oblige à tenir un discours de vérité.

Cette convention d'extradition doit être lue à la lumière des révélations de l'ONU ou d'Amnesty International sur des faits de torture, de violences, de mauvais traitements infligés aux détenus, dans le cadre de la campagne antidrogue au Cambodge. Ces faits doivent interroger notre conscience. Comment assurer la protection des droits fondamentaux à des personnes extradées vers des prisons où la torture et les traitements inhumains sont quotidiens ? Certes, le Cambodge a inscrit l'abolition de la peine de mort dans sa Constitution, mais ces engagements sont-ils effectifs ?

La France doit adopter une position ferme et claire. En tant que nation, nous portons la responsabilité de promouvoir les droits humains. Ce n'est qu'en étant cohérents que nous contribuerons à l'édification d'un monde plus juste et plus humain. Les liens d'amitié entre nos deux peuples nous permettent de dire les choses avec franchise. Nous voterons contre cette convention, tout en espérant trouver avec nos amis cambodgiens les voies d'une coopération respectueuse des droits fondamentaux et de la dignité humaine. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Cédric Perrin applaudit également.)

L'article unique est adopté. En conséquence, le projet de loi est adopté.

La séance est suspendue quelques instants.